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FAIRE COUPLE DANS L’HISTOIRE

Éric Laurent

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2016/1 N° 92 | pages 28 à 29
ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040954
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2016-1-page-28.htm
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L’HISTOIRE
Il fut un temps, pas si lointain, où la vie amoureuse des parlêtres
se déroulait selon des normes sociales très précises,
structurées par un dimorphisme sexuel fondamental.

FAIRE COUPLE DANS L’HISTOIRE


Éric Laurent

M
ichelle Perrot comme Alain Corbin nous font l’honneur de deux textes très
denses qui répondent parfaitement à la question qui leur était posée,
de nous éclairer, en tant qu’historiens, sur : qu’est ce que « faire couple » au
XIXe siècle, ce passé récent auquel nous sommes adossés, qui nous a légué
tant de modèles et de manières de faire, terreau de la psychanalyse ?
L’un et l’autre ont tracé pour nous, avec la maîtrise qui est la leur, les significations
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qui se sont déposées au cours de la période sur ce que faire couple veut dire, tant sur ce
qui se dégage comme invariants que comme facteurs de changement. L’historienne des
femmes et l’historien de la virilité ont chacune et chacun accentué dans leur présentation
l’aspect du dimorphisme sexuel qui leur est le plus cher, tout en présentant le couple
comme tel et les tensions qui le traversent.

Côté femme

Si M. Perrot met en exergue la quasi-obligation de la conjugalité, elle souligne néan-


moins l’existence de la marge de célibat autorisé, « marge de liberté caractéristique des
sociétés occidentales ». La sexualité tempérée qui est visée par le mariage dont le fonde-
ment n’est pas la passion est, au début de la période, plutôt menacée par la sexualité
masculine « irrépressible ». À la fin de la période, une bascule commence à se produire.
Surgit « le désir des femmes qui, derrière le silence, sont des actrices décisives de l’histoire
du couple ». Faire couple est une activité à risque. Le drame des grossesses n’est pas seule-
ment le risque médical des couches. L’enfant non désiré « demeure crucial dans les
couples légitimes et dramatique pour les autres ».
Le désir féminin et le désir Autre viennent s’incarner. « À la veille de la Grande Guerre,
dans les grandes capitales – Paris, Londres, Vienne, Berlin… –, s’esquissent d’autres figures
de couples, hétéros et même homosexuels (cf. les Amazones de Paris autour de Natalie Clifford
Barney, Renée Vivien, Gertrude Stein… ). Les minorités sont porteuses d’avenir. »
M. Perrot nous permet de nous approcher de cette variété des formes du couple qui

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surgit avant la catastrophe de la Grande Guerre à laquelle elle nous rend sensible : « Aux
lendemains de la guerre, la perte, le deuil, les corps brisés, l’impossibilité pour les couples
de se retrouver, que traduit le très grand nombre de divorces majoritairement demandés
par les hommes (à l’inverse de la norme) affrontés à une véritable crise d’identité mascu-
line face à des femmes qui ont vécu sans eux. »

Côté homme

A. Corbin part du dimorphisme sexuel fondamental. Il nous fait sentir combien le


rapport du côté homme se fait avec l’autre sexe par un au-delà de la mère. Une succes-
sion de figures féminines viennent marquer le sujet, depuis la nourrice jusqu’à la cousette
pour arriver à la prostituée. Autant d’étapes de formation d’une sexualité censée initier
l’épouse lors de la nuit de noces. C’est moins sur l’effet de l'enfant non désiré qu’attire
notre attention A. Corbin, que sur l'effet des maternités en général qui, selon les méde-
cins de l’époque, affaissent le désir. Il en dégage un effet inattendu. C’est alors que les fixa-
tions de la formation de la sexualité reprennent leurs droits. Se produit un « retour à des
expériences sexuelles vécues naguère avec une fille du peuple, considérée comme plus
sensuelle, d’une force et d’un savoir sexuels plus grands que les femmes de la bourgeoisie ».
À la fin de l’époque, à partir de 1860, les facteurs de complication ou de changement sont
liés à l’évolution du rapport des femmes à la sexualité. L’éducation, le sport, le roman font
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leur entrée sur la scène du rapport entre les sexes. Une nouvelle littérature médicale appa-
raît, avertissant les couples des difficultés de l’éros nouveau. A. Corbin cependant nous
laisse sur le rire de l’époque : « Le nouveau couple qui s’en va rire, le soir, au théâtre, où se
donnent les pièces de Feydeau, n’est plus celui que j’ai décrit initialement… »

Les changements dans le couple

M. Perrot et A. Corbin, par les chemins divers qu’ils empruntent, nous permettent
de relire avec leur aide le poids de ces changements dans le couple auxquels Lacan avait
été sensible : « Mais un grand nombre d’effets psychologiques nous semblent relever
d’un déclin social de l’imago paternelle […]. Quel qu’en soit l’avenir, ce déclin constitue
une crise psychologique. Peut-être est-ce à cette crise qu’il faut rapporter l’apparition de
la psychanalyse elle-même. Le sublime hasard du génie n’explique peut-être pas seul que
ce soit à Vienne – alors centre d’un État qui était le melting-pot des formes familiales les
plus diverses, des plus archaïques aux plus évoluées, des derniers groupements agnatiques
des paysans slaves […] aux formes les plus décadentes du ménage instable, en passant par
les paternalismes féodaux et mercantiles – qu’un fils du patriarcat juif ait imaginé le
complexe d’Œdipe. Quoi qu’il en soit, ce sont les formes de névroses dominantes à la fin
du siècle dernier qui ont révélé qu’elles étaient intimement dépendantes des conditions
de la famille. »1 Oui, M. Perrot a bien raison, les couples n’échappent pas à l’histoire !

1. Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 60-61.

La Cause du désir no 92 29

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