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ORLAN : « JE SUIS “UN” FEMME, JE SUIS “UNE” HOMME »

Hervé Castanet

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2017/1 N° 95 | pages 95 à 98
ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040985
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2017-1-page-95.htm
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UNE ŒUVRE
L’Origine de la guerre, ORLAN

Une œuvre, rien qu’une, sera mise à l’honneur dans chaque numéro.
Une œuvre dont nous estimons qu’elle hisse à la dignité de la Chose
l’objet de notre investigation ; un invité à écrire en dira sa lecture.

ORLAN : « JE SUIS “UN” FEMME,


JE SUIS “UNE” HOMME »
Hervé Castanet

E
n 1886, Gustave Courbet peint L’Origine du monde. Depuis 1995, le tableau est
visible au musée d’Orsay. Pendant plus d’un siècle, L’Origine ne fut pas exposée
et demeura réservée à la jouissance visuelle (Schaulust, disait Freud) intime de ses
propriétaires dont le dernier fut Jacques Lacan. Le tableau (46 x 55 cm) est celui
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d’un corps de femme réduit au sexe et au ventre, peint avec des détails précis représen-
tatifs du toucher pictural réaliste : sous la toison pubienne, les lèvres s’entrouvrent... Le
tableau a fait l’objet de nombreux commentaires 1. Les plus sérieux ont insisté sur la
façon dont il était présenté : toujours caché à la vue – par un rideau, un autre tableau.
Lacan lui-même avait fait réaliser par le peintre André Masson un cache en bois sur
lequel était peint un dessin suggérant les formes du corps et du sexe. On a insisté sur la
fonction de ce cache, lu, à juste titre, à l’aune des commentaires de Lacan, dans son
Séminaire IV, La Relation d’objet, consacrés au voile ! Une phrase en résume la thèse :
« avec la présence du rideau, ce qui est au-delà comme manque tend à se réaliser comme
image. Sur le voile se peint l’absence. […] Le rideau, c’est, si l’on peut dire, l’idole de
l’absence 2 ». Le dévoilement du tableau de G. Courbet produit un effet de sidération
du spectateur, aussitôt transformé en voyeur. Lacan, dit-on, aurait pris un malin plaisir
à réaliser ce dévoilement devant des invités choisis, avertis par ouï-dire de ce qu’ils
allaient découvrir : le Courbet inconnu. La bascule subjective a lieu : celui qui veut voir,
le cache ôté, est regardé. De prédateur, il devient proie. Réduit à l’objet regard, il ne voit
plus rien et s’annule comme sujet. D’où l’effet de sidération silencieuse obtenu par le
lever du voile avec éventuellement ses effets de gêne, voire de honte. Ainsi va la
pudeur… Comme la fresque de la Villa des mystères, à Pompéi, la représente.

Hervé Castanet est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.


1. Voir notamment : Teyssèdre B., Le Roman de l’Origine, Paris, Gallimard, 2007 et Savatier T., L’Origine du monde.
Histoire d’un tableau de Gustave Courbet, Paris, Bartillat, coll. Omnia, 2009.
2. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet (1956-1957), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll.
Champ Freudien, 1994, p. 155.

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Une œuvre – ORLAN, L’Origine de la guerre

Le tableau dévoilé serait-il la Chose même enfin visible ? Le soleil au zénith pourrait-il
être affronté les yeux ouverts ? La fiction perverse (voyeuriste et fétichiste) veut nous le
faire croire mais l’épate-bourgeois vire court. Car le tableau, malgré son réalisme cru,
est lui-même un voile et le procès est décalé d’un cran. Le voyeur échoue à voir le phal-
lus symbolique absent – « le sujet héraldise son rapport avec le sexe. 3 »
En 1989, l’artiste ORLAN (née en 1947) réalise une interprétation, souvent exposée,
de L’Origine du monde. Elle utilise le même format, le même cadre doré, la même posi-
tion d’un corps nu jambes écartées, sexe visible. Une différence : la peinture de femme
est remplacée par la photographie d’un sexe d’homme en érection. Le corps est réduit
de la même façon que dans le Courbet. Bref, cette photographie est la réplique du corps
nu – au pénis près, en érection et planté au milieu. ORLAN le titre : L’Origine de la
guerre. À le déplier : les femmes donnent la vie. Les hommes se battent et tuent. Une
femme est à l’homme ce que la vie est à la mort (la guerre). Le titre interprète idéolo-
giquement l’œuvre désormais partie prenante des productions artistiques dites fémi-
nistes. Mais reste la photographie. En 2013, le musée d’Orsay expose l’œuvre
d’ORLAN. Elle en est ravie : « Cette exposition, Masculin / Masculin titille la censure
[…]. Dans mes rêves les plus fous, je n’aurai jamais cru que le Musée d’Orsay oserait
montrer L’Origine de la guerre qui est le pendant de l’humanité, l’autre versant de
L’Origine du monde. J’ai toujours essayé de dérègler les choses, et de montrer les pro-
blèmes politiques, sociaux, qui s’impriment dans les chairs. Quand j’ai fait cette œuvre,
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j’ai voulu voir ce qui se passait sur un homme quand on fait ce qu’on a fait avec cette
femme en lui coupant la tête, les bras et les jambes pour qu’il ne reste plus qu’un ventre,
un sexe. Et donc, j’ai fait la même chose en l’intitulant un peu différemment […]. C’est
un sexe qui n’humilie pas les autres, ce n’est pas un sexe énorme à la Mapplethorpe.
C’est un sexe normal que tout le monde peut avoir. On connaît l’histoire de L’Origine
du monde. Là, la personne qui pose et qui ne se cache pas, est en fait pour moi, la queue
du diable parce que c’est la queue de Jean-Christophe Bouvet qui jouait Satan avec
Depardieu. 4 » Elle ajoute : « L’Origine du monde est ce qu’on a fait subir de pire à la
femme car il s’agit d’une femme complètement mutilée, amputée et sans tête, sans bras,
sans jambes. Il n’y avait pas de raison que cela ne se fasse pas aussi avec quelqu’un de
l’autre sexe. 5 »
Accepter que le corps d’un homme soit traité, idéologiquement et donc dans le champ
de la représentation artistique, comme celui d’une femme, soit maltraité comme une
femme l’est inlassablement, dénude un enjeu militant de protestation contre le patriar-
cat. En déduire que la virilité masculine est synonyme, par définition, de violence est
une position qui n’est pas celle de la psychanalyse. Mais pourquoi donc ? Une phrase
de Lacan suffit à nous orienter autrement : homme et femme ne sont que des signifiants
et il n’y a pas de réalité pré-discursive 6. Tout à la fois, l’œuvre d’ORLAN annule cette

3. Ibid., p. 157.
4. « De “L’Origine du monde” à “L’Origine de la guerre” », vidéo disponible sur internet.
5. ORLAN, « “Elles sommes” avec ORLAN » (entretien), posté le 11 octobre 2010 sur le blog elles@centrepompidou.
6. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore (1972-1973), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ
Freudien, 1975, p. 33 : « Chaque réalité se fonde et se définit d’un discours. »

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Hervé Castanet, ORLAN : « Je suis “un” femme, je suis “une” homme »

thèse par son titre L’Origine de la guerre et tout à la fois, par l’image donnée à voir, la
démontre. Le pénis comme organe ne prend sa valeur psychique que rapporté à la cas-
tration, soit au phallus comme signifiant. Les confondre ouvre le champ où se loge le
fétiche : « C’est sur le voile que le fétiche vient figurer précisément ce qui manque au-
delà de l’objet. 7 » L’Origine de la guerre participe-t-elle allégrement du fétichisme de
l’image en peinture ou bien le dénonce-t-elle rigoureusement ? À chaque spectateur
d’apporter sa réponse.
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7. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, op. cit., p. 165.

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