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LA RECHERCHE DES RYTHMES DISPARUS

Claude Allione

Érès | « Cliniques méditerranéennes »

2007/1 n° 75 | pages 277 à 294


ISSN 0762-7491
ISBN 978749207254
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Cliniques Méd 75 18/03/07 11:35 Page 277

Cliniques méditerranéennes, 75-2007

Claude Allione

La recherche des rythmes disparus

C’est une petite fille autiste. Je l’appelle Mademoiselle Rideau. Je l’ai affu-
blée de ce surnom depuis qu’en séance elle a littéralement disparu derrière les
rideaux de la fenêtre, il y a plusieurs années de cela.
Mademoiselle Rideau était une de ces autistes immobiles. Elle pouvait
mimer la statue, rester longuement inerte, sans bouger aucun muscle, mais
sans effort de concentration apparent non plus. Rêveuse et vaguement déta-
chée du monde, elle était une sorte de Princesse Dénid de l’autisme 1. Lors des
premières séances, j’avais bien tenté de lui proposer de quoi dessiner. Elle en
avait conçu de l’ennui, et je n’avais pas insisté. La pâte à modeler, les figu-
rines et autres sujets de plastique n’eurent pas plus de succès. Je lui parlais.
Elle regardait au loin dans la minuscule pièce où je la recevais. Elle semblait
s’ennuyer, mais ne le montrait pas vraiment. Je me désespérais. Je me mis à
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la dessiner, à fabriquer une image d’elle sur laquelle elle jetait un vague coup
d’œil, et il me semblait sarcastique. Je pris tout de même l’habitude de dessi-
ner en séance, dans une singulière inversion des rôles ; ce fut à mes yeux le
seul moyen que je trouvai pour rester vivant en sa présence.
Un jour que je dessinais assis à la table, j’eus brusquement une réaction
de sursaut, comme de réveil, dont j’ignore encore la cause comme le déclen-
chement. Que faisais-je donc là ? Levant alors les yeux, je m’aperçus que ma
petite patiente avait disparu. Bien sûr, elle n’était pas bien loin, s’était simple-
ment glissée entre les rideaux et la fenêtre, et elle scrutait l’horizon, perdue
dans son intérieur vague. Non seulement elle avait disparu physiquement,
mais avait également réussi à disparaître de mon espace psychique, me relé-
guant dans une trouble indétermination mentale, me laissant abîmé dans une

Claude Allione, psychanalyste, Le Mas de la Salle, 30140 Corbès.


1. La Princesse Dénid est un conte oriental d’une princesse « autiste » qui ne retrouve son être que
dans l’amour. Voir Claude Allione, « Pour rendre hommage à Frances Tustin », dans Hommage à
Frances Tustin, actes du colloque d’Alès, Anduze, AUDIT éditions, BP 14, 1993.
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torpeur que je ressentis comme coupable. Ce fut pourtant le début d’une rela-
tion pleine d’enseignement, mais qui fut interrompue prématurément par
des événements indépendants de ma volonté comme de la sienne. Nous
pûmes toutefois jouer pendant quelques semaines à se perdre puis à se
retrouver, nous servant du rideau comme d’un voile, comme de l’instaura-
tion d’une proto-coupure.

DE LA DISPARITION

Ce fut pourtant ce sentiment d’étrangeté mêlé d’inquiétude qui, me tra-


versant pendant ces quelques secondes de « réveil », m’intrigua le plus ; et
me laissa comme le sentiment d’avoir vécu là, de façon furtive, un moment
essentiel du transfert. Cette petite fille se faisait disparaître (très efficace-
ment) jusque dans les pensées de l’autre, et semblait avoir initié ainsi un mes-
sage sans paroles qu’il me faudrait entendre pour pouvoir tenter de la
soigner.
Et si cette épreuve de disparition qu’elle venait de me faire vivre était
consubstantielle de son vécu autistique ? Cette enfant, du fin fond de sa
détresse, ne m’attirait-elle pas vers les limbes 2 de la matière, vers une
substance, objet qui n’en est pas un, m’indiquant le chemin d’une catastrophe
que rien n’a pu réinscrire dans le sens de la parole en distinguant corps et
langage ? Au-delà, se pose alors la question du statut même de la matière uté-
rine, et de ce qu’il en demeure comme trace dans l’état autistique. Pourrait-il
s’agir d’une substance, c’est-à-dire étymologiquement un « en-dessous-de-
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l’être », sub-stare 3, qui dans l’après-coup de la parole viendrait réinterpréter
la disparition ; et se traduirait dans l’autisme par un état rythmique – auto-
rythmique – sans Autre 4 ? Ce jeu qui n’en fut pas un, tant le jeu suppose de
s’articuler à l’autre, mais qui n’était pas non plus totalement autistique, ce jeu
du « disparaître » est très intéressant à cet égard parce qu’il traduit un lien à
l’analyste n’établissant pas une relation de sujets, mais ne niant pas non plus
son existence 5. Il pourrait constituer l’amorce d’un jeu authentique, passant
par un même état de perte supposée chez l’un et l’autre, chacun dans son abri

2. Les limbes sont aussi le séjour des âmes des enfants morts sans baptême (limbes des enfants).
3. Substance vient du latin impérial substantia « substance, être, essence », « existence, réalité
d’une chose » […]. Ce nom dérive de substare « être dessous », « tenir bon » […]. » Alain Rey et
coll., Le Robert historique de la langue française, vol. 2, Paris, Le Robert, 1992. C’est l’idée d’essence
que nous retenons ici : consubstantiel = qui se nourrit d’une même essence, laissant apparaître
ainsi les éléments autistiques présents en chacun.
4. Claude Allione, « Quelques remarques à propos de l’autoérotisme et de l’autisme dans l’œuvre
de Frances Tustin », dans Cliniques méditerranéennes, n° 72, Toulouse, érès, novembre 2005.
5. « Lien » qui reproduirait alors une antériorité à la permanence de l’objet.
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(du rideau ; de l’oubli), créant une forme de transfert très particulière où cha-
cun serait aux prises avec un même noyau d’une universelle perte que l’on
éprouverait séparément.
Plus tard, il y eut cette analysante qui, à la fin d’une séance, me parla
d’une chemise que j’avais portée un jour, et qu’elle n’avait plus revue depuis.
Elle associa alors l’ouverture de cette chemise (blanche) avec ce qu’elle ima-
ginait de mon corps, particulièrement de mon sexe, et de situations érotiques
qu’elle se plaisait à inventer ; puis elle ajouta : « C’est comme cette biblio-
thèque qui se trouvait dans cette pièce auparavant et que vous avez fait dis-
paraître. La chemise aussi a disparu. » Disparition du savoir des livres,
disparition du voile de l’objet qui laisse imaginer, disparition de l’objet phal-
lique supposé… À quelle permanence se fier ? Inutile d’ajouter que le thème
de l’apparition-disparition du pénis jouera un rôle essentiel dans cette ana-
lyse, et qu’il s’agissait là d’un report transférentiel.
Dès 1960, Lacan désignait la disparition des enveloppes au moment de la
naissance, thème qu’il a repris en 1964 dans le séminaire sur les Quatre
concepts, avec justement l’accent mis sur la disparition du placenta comme
déclencheur de la libido. Ce terme de disparition reprenait un concept plus
ancien d’Ernest Jones, en le transformant toutefois : l’aphanisis. En grec,
aphanisis signifie disparition.
On sait que Jones a proposé d’appeler aphanisis « l’abolition totale et
donc permanente de la capacité de jouir » dans un article daté de 1927 6. Si
l’homme craint la castration, quel est l’élément qui correspond à cette peur
chez la femme ? À quoi Jones répondait par l’équivalence et l’universalité de
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cette peur de la castration. C’est le cheminement qui diffère : là où l’homme
craint que la jouissance soit suivie du « châtiment de la castration », la femme
manifeste une « peur primitive [qui] semblerait être celle de la séparation 7 ».
En d’autres termes, l’homme redoute la perte de sa puissance quand la
femme craint essentiellement d’être abandonnée. Mais Jones avait aussi
voulu étendre ce concept aux phénomènes pathologiques, et pas seulement à
la dynamique sexuelle. Il écrivait en 1929 : « L’intégrité du moi a besoin, d’un
côté, de la possession sûre de certaines pulsions sexuelles ou de leurs déri-
vés, de l’autre d’une relation sûre à la réalité extérieure. Si ce conflit n’est pas
résolu le moi est menacé et le danger final est une paralysie du fonctionne-
ment mental, état hypothétique auquel j’ai donné le nom d’aphanisis et dont

6. Ernest Jones, Le développement précoce de la sexualité féminine (conférence donnée à Inns-


bruck le 1er septembre 1927), dans Théorie et pratique de la psychanalyse, Paris, Payot, 1997, p. 399
à 411.
7. Ernest Jones, ibid.
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la démence des psychotiques et les inhibitions des psychonévrosés nous don-


nent quelque peu l’idée 8. » Mais où s’origine cette crainte de la disparition ?

LA DISPARITION DU PLACENTA

Lacan nous propose de considérer, dans son séminaire de 1964 9, que ce


qui s’envole de l’œuf dont le fœtus va sortir, c’est ce qu’il appelle la lamelle :
« À la section du cordon, ce que perd le nouveau-né, ce n’est pas, comme le
pensent les analystes, sa mère, mais son complément anatomique. Ce que les
sages-femmes appellent le délivre. » De cette lamelle, nous dit-il, résulte
l’image de ce que nous appelons la libido.
Lacan critiquera la position théorique de Jones 10 mais en gardera l’ex-
pression pour appuyer ici le concept de division du sujet. « Jones, qui a
inventé [l’aphanisis], l’a prise pour quelque chose d’assez absurde, la crainte
de voir disparaître le désir. Or, l’aphanisis est à situer d’une façon plus radi-
cale au niveau où le sujet se manifeste dans ce mouvement de disparition que
j’ai qualifié de léthal. D’une autre façon encore, j’ai appelé ce mouvement le
fading du sujet 11. » Et Lacan nous redit qu’il existe deux espèces de manques.
L’un découle du fait d’être nommé, de dépendre du signifiant qui est au
champ de l’Autre ; mais l’autre, Lacan nous le dit : il lui est antérieur – il est
à situer au niveau de la reproduction, de la reproduction sexuée, c’est un
manque qu’il qualifie de réel, « c’est ce que le vivant perd, de sa part de
vivant 12 » et qu’il recherche ensuite, en tant que « poursuite du complé-
ment », c’est-à-dire « de la part à jamais perdue de lui-même 13 » destinée à
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devenir la libido.
« La libido est cette lamelle que glisse l’être de l’organisme à sa véritable
limite, qui va plus loin que celle du corps. […] Cette lamelle est organe, d’être
instrument de l’organisme. […] Cet organe de l’incorporel dans l’être sexué,
c’est cela de l’organisme que le sujet vient à placer au temps où s’opère sa

8. Ernest Jones, psychanalyse et psychiatrie, discours prononcé à la Columbia University, New


York, le 4 décembre 1929, dans Théorie et pratique de la psychanalyse, op. cit.
9. Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Séminaire XI, Paris, Le Seuil,
1973.
10. « Car en posant très justement le problème du rapport de la castration au désir, il y rend
patente son incapacité à reconnaître ce que pourtant il serre de si près que le terme qui nous en
donnera tout à l’heure la clef, semble y surgir de son défaut lui-même. » Jacques Lacan, « La
signification du Phallus » (1958), dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.
11. Jacques Lacan, ibid. À propos du terme « léthal » (sic), le transcripteur du séminaire commet
un lapsus intéressant en ce qu’il conjoint la mort (létal) avec l’oubli (Léthé, fleuve dont l’entrée
se trouvait près de l’entrée des enfers).
12. Jacques Lacan, ibid.
13. Jacques Lacan, ibid.
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séparation. […] Moyennant quoi, viendront à cette place l’objet qu’il perd par
nature […], ou encore les supports qu’il trouve au désir de l’Autre […], il n’y
a pas d’accès à l’Autre du sexe opposé que par la voie des pulsions dites par-
tielles où le sujet cherche un objet qui lui remplacera cette perte de vie qui est
la sienne d’être sexué 14. »
En d’autres termes, la séparation de la naissance produit un reste, le
délivre (nom vulgaire des enveloppes du fœtus), le placenta, mais aussi l’en-
veloppement en tous points du corps, et le rythme, lui aussi perçu en tous
points ; restes qui se forment hors du corps, mais dans la limite de l’orga-
nisme, de la disparition de ces organes qui n’en sont pas, et dont le sujet est
condamné à leur trouver des équivalents. Ce reste produit – justement par sa
disparition – une recherche dont résultent les représentants de l’objet à
jamais perdu : les objet a. C’est de la disparition d’un objet qui n’en est pas
un – Lacan insiste sur ce point, il dit aussi « irréel 15 » – que se constitue un
nouvel objet séparable qui, perdu à son tour lors de l’opération de la castra-
tion, deviendra objet cause du désir en ce qu’il sera toujours recherché.
Autrement dit, ce sont les disparitions inaugurales qui finiront par causer le
désir. Dans cette perspective, la naissance est paradoxalement le temps de la
disparition, qu’il s’agisse du placenta, des enveloppes ou encore de tout ce
qui entoure corporellement et continûment le fœtus, particulièrement les
rythmes. Encore faut-il discriminer clairement perte et disparition, c’est-à-
dire manque et disparition.
Des observations récentes ont confirmé ce que Lacan avait pressenti : le
placenta joue un rôle particulier et prééminent dans le développement du
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fœtus 16. Il serait excessif d’en faire un objet pour le fœtus, qui semble pour-
tant s’y intéresser. Ressent-il une différence entre ce qu’il touche de lui-même
et cet organe sans lequel il ne saurait être ? qui le constitue sans être tout à
fait lui ? ou est-ce au contraire une part indifférenciable de lui-même ? À cela
répondent un certain nombre d’« objets », et particulièrement tous ceux qui
servent d’enveloppe au fœtus. S’il y a des enveloppes matérielles (dont le

14. Jacques Lacan, « Position de l’inconscient », Conférence faite au congrès de Bonneval (1960),
dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.
15. Pour Lacan, l’objet est irréel, mais le manque est réel (voir supra).
16. « … le fœtus a une forte attirance pour le placenta en tant qu’objet clairement perçu. Le fœtus
montre continuellement de l’intérêt à toucher cet organe, à jouer avec. […] je pouvais observer
comment Elisa à la dix-huitième semaine touchait sans arrêt le placenta avec ses pieds et ensuite,
à la trente et unième semaine, comment elle s’est intéressée à son frère comme à un objet. Elle
touchait l’enveloppe, elle touchait son frère très légèrement, elle le recherchait, etc. Dans sa vie
après la naissance, quand elle a été à la crèche, nous avons vu comment elle le cherchait toujours,
et elle se comportait avec lui comme si c’était un bébé à protéger. » Romana Negri, « Observa-
tion de la vie fœtale », dans Les liens d’émerveillement, Toulouse, érès, 1995.
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délivre cité par Lacan), il en existe aussi d’immatérielles, et parmi celles-ci, au


premier rang de celles-ci : les rythmes intra-utérins.
On a en effet souvent attiré l’attention sur l’importance des battements
cardiaques maternels dans l’espace utérin. De même, la respiration et le
cadencement lié à la marche constituent des enveloppes rythmiques, perçues
par le fœtus. Si la marche reste intermittente, il n’en va pas de même des bat-
tements cardiaques et des rythmes respiratoires, qui sont permanents. De
plus, ils existent pour le fœtus de toute éternité. Ils ne sauraient être apparus
un jour ; aussi loin que remonte l’expérience sensorielle, ils ont toujours été
là. Dans sa vie amniotique, le fœtus est rythme avant d’être. Il est en perma-
nence enveloppé de cette rythmique maternelle, jusqu’à l’instant de naître où
ces rythmes disparaissent définitivement, où le monde doit continuer à être
sans que l’on puisse parler de perte ni de manque (qui supposeraient une
représentation) mais de disparition des enveloppes (tissus et rythmes). C’est
cette disparition justement qui enclenche une appétence rythmique, d’abord
centrée sur le nourrisson dans l’espace familial (il rythme veilles et sommeils
de tous), puis se retournant en une nécessité d’adaptation aux rythmes com-
muns (repas, sommeil, puis école, etc.) Le rythme est notre essence.

CE QUI DISPARAÎT

Voyons ce que quelques exemples poétiques peuvent nous dire de ce


thème, sachant qu’il n’entre nullement dans notre ambition de recenser
extensivement les auteurs qui l’ont traité, mais que ce ne sont que quelques
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exemples choisis pour leur pertinence. C’est peut être Georges Pérec qui nous
a proposé de la manière la plus vive une mise en perspective de la dispari-
tion, non pas en l’illustrant par le récit, mais en la figurant dans le corps
même du texte. Son livre, La disparition 17, a été écrit de bout en bout sans que
jamais il n’utilise la lettre « e ». C’est un procédé que l’on nomme « lipo-
gramme », déjà utilisé dans l’antiquité 18. La lettre choisie pour être éliminée
est ici une voyelle et non une rythmante consonne, mais cette voyelle est jus-
tement celle qui est la plus fréquente dans notre langue, la plus itérative,
comme une espèce de pilier de la parole, de point d’appui invisible. Bernard
Pingaud qualifie l’absente d’« inconnu noyau manquant 19 ». Noyau, ce n’est

17. Georges Pérec, La disparition, Paris, Denoël, 1969.


18. « L’Odyssée de Tryphiodore, qui n’avait pas d’a dans le premier chant, point de b dans le
second, et ainsi des autres, était un lipogramme. » Émile Littré, Dictionnaire de la langue française,
t. 4, Encyclopædia Britannica, Chicago, 1991. Une Iliade de Nestor de Laranda fut composée lipo-
grammaticalement sur le même principe.
19. Cité dans Georges Pérec, ibid., 4e de couverture.
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pas sans rappeler le centre et l’armature. Il résulte de cette expérience lipo-


grammatique une écriture étrange, pourtant familière à première vue, mais
qui laisse chez le lecteur ignorant cette élision un curieux sentiment fait de
« malaise », d’« étrangeté », d’« inquiétude », de « sourde angoisse ». Ces
attributs ont été recueillis auprès de groupes en formation, depuis une
dizaine d’années. Ce sont les réactions de ceux qui venaient de lire quelques
lignes du livre de Pérec, sans en connaître la structure linguistique, sans avoir
été avertis de la lettre manquante. Invariablement, lorsque ensuite ils étaient
interrogés sur ces sentiments plutôt négatifs, ils en cherchaient la cause dans
l’histoire racontée par le livre, et bien peu – même parmi ceux qui connais-
saient préalablement l’existence de ce roman – ont pu faire le rapprochement
avec le livre de Pérec, ou ont découvert l’absence de la lettre. Cette langue
écrite, qui ressemble indubitablement au français, qui est du français, pro-
voque un trouble, lequel reste inexplicable par sa seule signification. Autre
chose est en jeu qui tient à la langue. Langue qui est la même que notre
langue usuelle, et dont pourtant quelque chose s’est détaché, quelque chose
que l’on ne saurait voir, qui inscrit la modification même de sa propre struc-
ture. Pérec cite à ce propos Gérard de Nerval : « L’alphabet magique, l’hiéro-
glyphe mystérieux ne nous arrivent qu’incomplets et faussés […] ;
retrouvons la lettre perdue ou le signe effacé, recomposons la gamme disso-
nante et nous prendrons force dans le monde des esprits 20. »
On objectera que le ressort dramatique qui préside au lipogramme est,
pour Pérec, d’un autre ordre, celui de la disparition volontaire, de l’élimina-
tion génocide dans les camps de la mort nazis. C’est la disparition de la
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figure maternelle qui est ici évoquée. Cyrla Szulewicz, épouse Pérec, est
morte à Auchwitz en 1943 21. Remarquons ici que le signifiant disparition
garde toute son ambiguïté lorsqu’il prend place dans le registre de la mort.
En effet, les défunts – quoi qu’on en dise – ne sont pas disparus, ils sont au
contraire manquants. Et c’est bien au manque maternel, manque second par
rapport à une disparition première, que le texte de Pérec nous convie. Son
œuvre ne méconnaît pas la place du manque, et l’Oulipo, auquel il participa,
avait mis au point des procédés stylistiques basés sur les variantes du
manque, dont la disparition, l’enlèvement, le trou noir, etc. Ali Magoudi a
proposé de considérer que Pérec a inscrit en négatif dans son ouvrage le
génocide juif, l’impensable de la Shoah, tout autant que sa propre judéité
« déjudaïsée » « comme la marque d’une absence, d’un manque et non d’une

20. Cité dans Georges Pérec, ibid.


21. Reconnaissance officielle par l’état français (JO. du 19 février 1997) de la mort en déportation,
le 16 février 1943, de la mère de Georges Pérec, date qui ne change rien à la signification attri-
buée par Pérec au 11 février de la même année. Son père était mort au début de la guerre.
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identité 22 ». Mais Pérec était-il aussi conscient de tout cela, contrôlait-il véri-
tablement sa création jusque dans ses motivations inconscientes ? N’y aurait-
il pas plutôt une partie qui lui échappe dans cette expérience de la
disparition ? Ne faut-il pas plutôt y voir la tentative de traduire un état psy-
chique, certes centré sur l’expérience du maternel, mais bien plus archaïque ?
Le thème troublant c’est ici la reconnaissance d’une transition entre un
monde parfaitement familier et le prolongement de ce monde, identique et
pourtant différent. De même que la vie du nouveau-né, sans les rythmes uté-
rins, sans la présence du placenta, sans non plus l’enveloppement massant de
manière globalisante est la vie, la même vie qu’auparavant, vie dont quelque
chose simplement a disparu à tout jamais.
Avec Pascal Quignard, nous sommes dans un domaine plus directement
psychologique. À la question : « Que recherchez-vous dans la musique ? » il
donne une réponse qui renvoie aux « états qui précèdent l’enfance. Quand on
était sans souffle. Quand on était sans lumière 23. » Quoi d’autre que la vie
utérine ? S’interrogeant sur le rapport de l’homme à la musique, il évoque
dans La haine de la musique 24 cet épisode fœtal et les traces qu’il laisse en l’hu-
main. Citant Plotin : « La musique sensible est engendrée par une musique
antérieure au sensible », Quignard accentue cet antérieur au sensible d’un
ante natal d’abord (« l’acquisition de la langue maternelle se forge au sein
d’une couvaison sonore très rythmée datant d’avant la naissance »), et
ensuite puisant dans la phylogenèse : « Le rythme prébiologique des vagues,
avant que Pangée émerge, a anticipé le rythme cardiaque et le rythme de la
respiration pulmonée. Le rythme des marées lié au rythme nycthéméral nous
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a ouverts en deux. Tout nous ouvre en deux. »
Cependant, Quignard ne saurait être totalement exempté du soupçon
d’avoir été influencé par les travaux psychanalytiques et par la diffusion de
ce qui s’étudie du fœtus. Bien plus tôt dans l’histoire, un tout autre auteur,
Chrétien de Troyes, écrivit au XIIe siècle un poème épique, Le conte du Graal,
narration des aventures de Perceval le Gallois 25. Un matin d’hiver, alors
qu’un faucon venait de blesser une oie sauvage sur la neige, trois gouttes de
sang vinrent orner la blancheur sans limite, et Perceval s’arrêta, figé et immo-
bile, comme hypnotisé par ces tâches qui :

22. Ali Magoudi, La lettre fantôme, Paris, Minuit, 1996.


23. Pascal Quignard, Tous les matins du monde, Paris, Gallimard, 1991.
24. Pascal Quignard, La haine de la musique, Petits Traités, Paris, Calmann-Lévy, 1996.
25. Chrétien de Troyes, Le conte du Graal ou le roman de Perceval, trad. de Charles Méla, Paris, Livre
de Poche, 1990.
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LA RECHERCHE DES RYTHMES DISPARUS 285

« Sont à la ressemblance de la couleur fraîche


qui est au visage de son amie.
Tout à cette pensée, il s’en oublie lui-même »
Le monde environnant avait disparu pour le chevalier. Captivé de ces
trois gouttes sur la neige, objet auto-sensuel, objet autistique par le regard, il
s’absente dans cette contemplation quasi hypnotique. Ceux qui s’approchent
pour l’en détourner sont mis à terre. Il protège son nirvana par les armes. Nul
ne peut pénétrer dans son cercle autistique. Seul Gauvain, en invoquant le
tiers royal, pourra l’en extraire. Mais, ajoute le poète, « le soleil avait cepen-
dant effacé deux des gouttes de sang […] ainsi le chevalier n’était plus aussi
intensément à ses pensées ». Autrement dit, la présence imprévue de ce sang
sur la blancheur neigeuse, devenant un objet hypnotique, un objet-sensation
dirait Frances Tustin (à la nuance près qu’il est ici optique et non tactile), pro-
voque un état autistique. C’est l’effacement progressif de l’objet qui libère
graduellement l’esprit de Perceval. On sait que le drame de Perceval a
consisté un soir à se trouver « muet », là où une seule parole sortie de sa
bouche eût rendu force et puissance au roi « méhaigniez 26 », mutisme incom-
préhensible pour lui. De fait, l’argument des tâches de sang sur la neige
résonne comme un effacement, c’est-à-dire l’exact contraire de la dispari-
tion 27 ; alors que justement, le disparu de l’histoire, c’est le père, « méhai-
gniez » lui aussi, puis mort, rayé du discours maternel dont le désir était
d’épargner à son fils le destin de chevalier et les dangers qui l’accompa-
gnent ; et face au sang sur la neige c’est l’esprit du héros qui disparaît. C’est
le monde vivant qui a disparu lorsque dans l’imaginaire le visage féminin est
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apparu, puis s’est lentement effacé. Il s’en oublie lui-même. N’est-ce pas
aussi cela que j’ai vécu un soir d’hiver avec Mademoiselle Rideau ? C’est
aussi l’interprétation que proposait Giono, dans Un Roi sans divertissement,
lorsqu’il commentait : « Est-ce que le phénomène de Perceval hypnotisé par
le sang des oies sur la neige n’était pas une façon moyenâgeuse de calmer
une douleur (physique ou métaphysique) 28 ? » Le fait est que Giono connais-
sait parfaitement le roman de Perceval, qu’il s’en est inspiré, et qu’il a fait de

26. « Méhaigniez : mutilé, blessé, maltraité, tourmenté » (A.J. Greimas, Dictionnaire de l’Ancien
Français, Paris, Larousse, 1999. « In fut en une bataille / Mavrez et mehaigniez sanz faille / Si
que puis aidier ne se pot / Si fut navrez d’un javelot / Parmi des hanches amadeus… », c’est-à-
dire que le roi méhaigniez fut mutilé entre les hanches. Où exactement ?
27. L’effacement marque la lenteur visible de la chose qui petit à petit n’est plus là, quand la dis-
parition se caractérise du départ, de l’absence dont on ne remarque pas la transition, le passage
de l’avant à l’après.
28. Jean Giono, cité dans les notes et variantes de Un roi sans divertissement, Paris, Gallimard,
Bibliothèque de la Pléiade, 1974.
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la disparition inversée (l’effacement) une thérapie, dans son langage : un


divertissement 29.

LES RYTHMES NOUS FONDENT

L’anthropologue, Marcel Jousse 30, a approfondi le concept de primauté


des rythmes chez l’humain, primauté qu’il oppose à la civilisation de l’écrit,
laquelle est pour lui civilisation du livre. Ce prêtre jésuite s’était trouvé
confronté dès le séminaire à la question de la vérité dans la transmission des
paroles du Christ vers les évangiles. Comment a-t-on pu se souvenir, long-
temps après, des paroles exactes pour les retranscrire dans le livre ? Au
doute, alors naissant, Jousse a opposé la transmission orale telle qu’on la
trouvait encore dans les veillées paysannes, faite de chants, de rythmes, de
balancements, et qui se caractérise d’une très grande fidélité littérale. Les
proverbes ne sont-ils pas d’abord cadence rythmée ? Ne dit-on pas avoir les
pieds dans la bouche pour traduire ce balancement dans la prosodie du vers ?
Jésus et les siens vivaient dans un milieu d’agriculteurs et d’artisans (et non
de docteurs de la foi). Le rythme est apparu dès lors à Jousse comme le vec-
teur premier de la transmission. On ne peut que penser ici à ce qui vit encore
au Moyen-Orient dans les prières avec balancements, dans les écoles cora-
niques où l’on psalmodie sur des balancements rythmiques, aussi devant le
mur des lamentations. Pour Jousse, notre modernité exclusivement biblio-
centrée est une amputation 31.
Selon Marcel Jousse, toute information est enregistrée par l’homme qui
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l’assimile et la « mime » spontanément selon un rythme – rythme unique et
personnel qui devient comme une signature. On retrouve ici un élément que,
probablement, Jousse ignorait : chaque bébé possède son propre rythme de
succion, et ce rythme lui est personnel. Il caractérise chaque nourrisson par-
ticulier : « L’amplitude des mouvements de succion du nourrisson est mesu-

29. Voyez par exemple le commissaire du Roi sans divertissement qui fait égorger une oie sur la
neige pour se repaître à son tour de cette vision, avant de se faire péter la tête à la dynamite, afin
dit Giono, qu’il prenne enfin les dimensions de l’univers tout entier. Et on pourrait citer de nom-
breux exemples de disparitions dans l’œuvre de Giono, pur poète de la phobie, depuis la femme
de Regain qu’une autre femme fait disparaître pour donner une nouvelle vie jusqu’à celles du
Roi… : « Car Marie Chazottes a bel et bien disparu. Elle est sortie de chez elle vers les trois heures
[…] Elle a tourné l’angle du mur, et depuis, plus rien. » Jean Giono, Un roi…, ibid.
30. Marcel Jousse, L’anthropologie du geste, Paris, Gallimard, 1974.
31. « Couper la relation qui existe entre le balancement de tout le corps et le balancement des pro-
positions orales constitue une sorte de mutilation », Marcel Jousse, op. cit.
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LA RECHERCHE DES RYTHMES DISPARUS 287

rée […] de façon à définir sa ligne de base personnelle d’amplitude de suc-


cion 32. »
Pour ainsi dire, nous naissons habités par un rythme, et celui-ci n’est pas
le résultat d’une expérience sensible de la cadence ; mais au contraire, chaque
expérience est littéralement mise en condition par un rythme interne. Et Mar-
cel Jousse en déduisait : « Je rythme donc je suis. » Identité rythmique, donc.
Et il ajoutait : « Notre organisme est si profondément rythmisé et rythmisant
que nous ne pouvons recevoir telles quelles, de l’extérieur, une série de sen-
sations qui ont cependant la même intensité objective. Biologiquement, le
rythme intérieur de l’énergie vitale hyperesthésie, par vagues, les organes
récepteurs et donne ainsi une plus grande intensité subjective à certaines sen-
sations de la série 33. » Cette assertion reposait pour Jousse sur une expérience
très simple mise en évidence par Jean-Pierre Rousselot, professeur au collège
de France, fondateur d’un laboratoire de « phonétique expérimentale » au
début du XXe siècle. Celui-ci s’était mis en devoir de prononcer et d’enregis-
trer une série apparemment inerte de « pa 34 » en s’appliquant à les dire avec
une intensité et une longueur égales. Or, à l’enregistrement, il ne put que
constater, qu’à « son insu et malgré lui [il avait prononcé ] le rythme intensi-
fiant et allongeant des explosions de l’énergie vitale : “pàpapàpapapàpapà-
papapà”. On a là des déflagrations qui se produisent à des intervalles
biologiquement équivalents 35 ».
Pour Marcel Jousse, l’humain, l’anthropos, est connecté au cosmos
– mais qu’est-ce que le cosmos du fœtus sinon le corps maternel ? – par ces
trois dimensions qu’il définit comme un rythmo-phasisme, un rythmo-explo-
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sisme et un rythmo-vocalisme.
Le rythmo-phasisme est globalisant (l’univers imprègne le corps), logi-
cisant (le biologique devient logique), et enfin successivant (inscription du
rythme dans la durée et dans le temps).
Le rythmo-explosisme est tour à tour l’intensité née d’un « rythme fon-
damental », la durée qui introduit l’existence du temps, la langue en tant que
rythme. Et Jousse insistait sur la rythmique des textes, son nombre de pieds,

32. Bénédicte de Boysson-Bardies, Comment la parole vient aux enfants ?, Paris, Odile Jacob, 1996.
Cette ligne de base a été mise en évidence et étudiée en 1969 par Siqueland et Delucia grâce à la
méthode de la tétine non-nutritive (High Amplitude Succion, HAS) qui a permis de montrer com-
bien les nouveau-nés présentent une appétence toute particulière vis-à-vis des amplitudes ryth-
miques de la parole, spécialement des amplitudes prosodiques.
33. Marcel Jousse, L’anthropologie du geste, ibid.
34. Mais pourquoi avoir justement choisi le son « pa » ?
35. Jean-Pierre Rousselot, expérience relatée dans Marcel Jousse, op. cit.
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288 CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 75-2007

qu’il associait au « frappement de pieds » des scandeurs antiques, le « mar-


cher rythmiquement en frappant du pied le temps fort de chaque pied 36 ».
Cela revient à dire que l’individu naît avec, en lui, une appétence ryth-
mique qu’il lui faudra compenser dans diverses synchronisations ryth-
miques dont l’issue, inéluctable, est et doit être la parole, ce qu’il appelle
rythmo-vocalisme, la parole prononcée, et qui débouche sur d’autres espaces
rythmisants, créateurs notamment de la perception du temps. On se souvient
à cet égard de la définition que saint Augustin donnait de la création du
temps, comme de toute chose, par l’effet de la parole, effet du signifiant 37.
Il est très intéressant d’observer cette logique d’une appétence spécifique
vis-à-vis des rythmes dans ce que nous montrent les très grands prématurés
en service de néonatalogie, quand ils survivent de s’appuyer sur la rythmique
d’une machine. Ainsi, Catherine Mathelin rapporte l’histoire d’une petite
Anna qui cessait de respirer dès que l’on débranchait la machine destinée à
lui apporter l’oxygène indispensable – bien qu’elle fût semble-t-il capable de
respirer toute seule. Un matin, la solution fut enfin trouvée : « Elle tient sans
oxygène à condition de laisser en route à côté d’elle le bruit de la machine.
Anna est accrochée au bruit de cette machine 38. »
Le rythme sonore de la machine permet la survie, mais aucune machine
ne saurait supposer du sujet chez l’enfant ; seule la parole peut venir rem-
placer ce rythme mécanique, et « le rythme du bruit de nos voix n’avait pas
la régularité du rythme de la machine, mais était pour Anne porteur du désir
de vivre 39 ». On pressent que se nouent là plusieurs fils : l’un est aphanisis
des états rythmiques utérins ; un autre est appétence des rythmes, organe de
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la libido selon Lacan ; un autre encore constitue l’émergence de la tempora-
lité ; un autre enfin est le cadencement du sujet par une parole rythmisante
et porteuse du désir de l’Autre, de la reconnaissance du sujet par l’Autre
nommant.

QU’EST-CE QU’UN RYTHME ?

Il est banal de constater que le temps se mesure au rythme de la course


des astres ; et non sans effroi, l’homme se demande ce qu’il adviendrait si ces
astres figeaient leur mouvement dans une immobilité glacée. Le rythme (ici

36 Marcel Jousse, op. cit.


37. « Cette voix fut poussée et elle a passé, elle a eu commencement et fin, syllabes sonnantes qui
s’en sont allées, la seconde après la première, la troisième après la seconde et ainsi de suite jus-
qu’à temps que la dernière vint après les autres et, après la dernière, le silence. » Saint-Augus-
tin, Confessions, Livre XI, trad. de Louis de Mondadon, Paris, Pierre Horay Éd., 1947.
38. Catherine Mathelin, Le sourire de la Joconde, Paris, Denoël, 1998.
39. Catherine Mathelin, ibid.
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LA RECHERCHE DES RYTHMES DISPARUS 289

nycthéméral) nous est coconstitutif, et nul ne saurait penser un monde sans


rythmes. Tout nous rythme.
Rythme est pourtant un de ces signifiants qui cachent leur complexité
derrière une trompeuse évidence. Métonymiquement, on ne sait guère en
effet si le rythme est cause ou effet. Si je pénètre dans un concert de percus-
sions, mon corps se trouve enveloppé, emporté, dynamisé par les rythmes. Je
danserai peut-être. Mais qu’un jour de petite pluie ma toiture s’écoule goutte
à goutte sur une surface sonore, et voilà que j’entends un rythme dans le tip-
tap où il n’existe pas. Est-ce l’homme qui rythme sa perception du monde, ou
le monde qui lui impose sa rythmique intrinsèque ? Pour Émile Benveniste
« nous projetons un rythme dans les choses et dans les événements. Cette
vaste unification de l’homme et de la nature sous une considération de
“temps”, d’intervalles et de retours pareils a eu pour condition l’emploi du
mot même, la généralisation, dans le vocabulaire de la pensée occidentale
moderne, du terme “rythme” 40. »
En 1951, Benveniste analysait l’étymologie du mot « rythme » dans ses
emplois successifs. Car le ruthmos des grecs n’est pas exactement notre
rythme. Issu d’un verbe (réo) signifiant : couler (en parlant d’un fleuve), le
rythme fut d’abord la « manière particulière de fluer 41 », c’est-à-dire la
forme ; non pas la forme définitive de la statuaire, mais la forme instantanée,
« résultant d’un arrangement toujours sujet à changer 42 ». Nous dirions une
photographie extraite d’un film, qui ne renseigne que partiellement sur le
film lui-même. Dans une archéo-étymologie, le cadencement rythmique
signe l’écoulement du temps et en assure la continuité.
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Il est intéressant de noter que chez Platon, un verbe composé de ruthmos
désigne l’image que les miroirs renvoient, arrangement instantané des par-
ties dans un tout que nous qualifions d’imaginaire. C’est Platon qui a fait
évoluer cette manière particulière de fluer en l’attribuant à la danse : « Le
rythme résulte du rapide et du lent, d’abord opposés, puis accordés 43. » Le
cadencement dans le rythme n’est qu’une extension de sens, et non pas le
sens originel de forme, d’arrangement instantané des parties d’un tout.
On reconnaît au passage la question du temps dans cette fluence de
rythme. Le temps est un fleuve que rien n’arrête ni ne détourne. Au sens
propre, l’instantanéité de l’état d’un fleuve c’est l’instant, c’est le présent.
C’est le rythme qui crée la temporalité, non parce qu’il est présent, mais au

40. Émile Benveniste, La notion de « rythme » dans son expression linguistique (1951), dans Pro-
blèmes de linguistique générale, 1, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1966.
41. Émile Benveniste, ibid.
42. Ibid.
43. Platon, Le banquet, Lausanne, Éditions de l’Aire, 1979.
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contraire parce qu’il a disparu. De même, la voix, dans son écoulement, est
aussi un fleuve. On écoute avec attention les débordements vocaux des
autistes, le flowing-over-at-oneness, qui rythment, sans aucune cadence, leur
existence d’un écoulement sans fin, sans césure, comme a-rythmé. On pense
alors à l’indéfectible balancement corporel (rocking) qu’ils mettent en scène
sans fin, sorte de prière sans autre, sans Dieu, sans adresse aucune. On
reparle alors de l’autisme de Perceval laissant couler le temps devant les
tâches de sang, semblance hypnotique du visage de l’autre.
On retrouve d’ailleurs cette conception d’un rythme créateur de tempo-
ralité chez l’ethnologue et préhistorien André Leroi-Gourhan : « Les rythmes
sont créateurs de l’espace et du temps […] ; espace et temps n’existent
comme vécus que dans la mesure où ils sont matérialisés dans une enveloppe
rythmique. Les rythmes sont aussi créateurs de formes 44. »
L’homme préhistorique qui, rythmiquement, casse par un long martèle-
ment la pierre qu’il taille, est-il en train d’appliquer à son environnement une
rythmique interne qu’il adapte à la tâche, ou a-t-il pensé d’emblée la
meilleure technique pour éclater un galet ? Leroi-Gourhan répond que « les
techniques de fabrication se placent dans une ambiance rythmique », à quoi
il compare le sciage. Nous y ajouterons volontiers le pilage des grains, geste
ancestral qui existe encore 45. Au rythme efficient et utilitaire dans le déve-
loppement de l’humain s’opposent des rythmes autosensuels et inutiles de
l’enfant autiste. Les premiers sont utilitaires par leur aspect nourricier (piler),
laborieux (scier, tailler), artistique (danser, musiquer), religieux (prier) ou
sexuel (coïter) ; les seconds sont inféconds et autosensuels (rocking, auto-
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hypnose, etc.) Mais doit-on les considérer pour autant comme ayant des ori-
gines et des nécessités différentes ? Ou bien sont-ils au contraire les résultats
d’une seule et même substance issue des origines de la libido ? On s’aperçoit
alors que l’homme a, de tout temps, tenté de quitter volontairement son iden-
tité en pratiquant des ruptures de rythme, ou au contraire, en s’assujettissant
à une cadence qu’il s’impose (incantations, chapelets, etc.) C’est par exemple
l’ascète qui transforme son être imaginaire en agissant sur ses rythmes.
Quelques humains s’en sont fait une expertise comme les yogis, mais pour la
masse, ces ruptures (carême, jeûne) et ces abstinences (sexuelle) visent à

44. André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, tome II, Paris, Albin Michel, 1964.
45. La taille du silex, le sciage et la mouture des grains dans un mortier sont bien dans l’ordre
d’apparition de ces gestes car la percussion qui taille le silex est de toujours, même chez les
grands singes, le sciage n’apparaît pas avant 90000 et la mouture vers 12000 sans doute, avec la
sédentarisation. Le tailleur réfléchit avant de donner le coup et cela varie au cours de la taille ;
en revanche quand il retouche le produit, dans un deuxième temps, pour vraiment former l’ou-
til, cela se rythme davantage. (Remarque de l’archéologue Danielle Stordeur, Lyon, CNRS).
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LA RECHERCHE DES RYTHMES DISPARUS 291

transformer l’être, à le maîtriser, reconnaissant donc de facto qu’une de ses


sources se trouve dans le rythme.
On remarquera par ailleurs que les mammifères sauvages réduits en
captivité adoptent naturellement des « balancements périodiques qui recons-
tituent pour le sujet captif un véritable cadre dans lequel il est intégré spa-
tialement et temporellement 46 ». Ce qui n’est pas sans évoquer la stratégie du
rocking autistique.
Du rythme interne, de sa nécessité même, naît une appréhension du
temps parce que l’appétence rythmique rencontre la parole, laquelle est
avant tout un écoulement sonore cadencé d’un côté par le martèlement des
consonnes, d’autre part par la prosodie qui littéralement porte cette parole. En
arrière-plan de cette question s’entend la constitution du sujet par la rythmi-
sation de la parole. C’est ce qu’Henri Meschonnic 47 souligne à propos de la
ponctuation : elle est le souffle, c’est-à-dire l’âme, anima, qui s’entend aussi
du rythme respiratoire disparu.
Pour cet auteur, rythme et parole ne font qu’un, distinguant simplement
l’oral du parlé (et de l’écrit) ; il nous enseigne que « le rythme dans le langage
est le mouvement du sujet », lequel, sans ce rythme, serait immobile,
amorphe et inerte. « Le rythme s’insère comme un levier qui déplace le pen-
sable vers une analytique du continu. Le rythme non plus comme alternance,
structure ou périodicité, mais organisation du mouvement de la parole dans
le langage par un sujet de sujets, et organisation d’un sujet de sujets par un
discours 48. » Le langage – c’est-à-dire le temps selon saint Augustin – inscrit
la continuité dans la mesure, seule et essentielle, où il est rythme, où il est
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scansion.
Concernant la question de l’autisme et des rythmes, on trouve chez
Suzanne Maiello des positions inspirées de Meltzer, et qui en interrogent les
relations. Elle postule, chez tous les humains, une logique apte à articuler les
rythmes de la vie aérienne à ceux de l’intra utérin. « Je fais l’hypothèse que
la perception des sons rythmiques de l’organisme maternel pendant la vie
prénatale peut constituer la base qui prépare le fœtus à recevoir le son et le
rythme de la voix maternelle » ; et plus loin : « L’expérience […] rythmique
prénatale se reproduit après la naissance chaque fois que la mère berce le
bébé et lui chante une berceuse 49. » Une simple nuance doit être, selon moi,

46. André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, op. cit.


47. Henri Meschonnic, Politique du rythme, politique du sujet, Paris, Verdier, 1995.
48. Henri Meschonnic, ibid.
49. Suzanne Maiello, Le « chant-et-danse » et son développement : la fonction du rythme dans le
processus d’apprentissage du langage oral et écrit, dans Journal de la psychanalyse de l’enfant,
n° 35, Paris, Bayard Éditions, 2004.
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ajoutée à ces assertions. Ce n’est pas comme le laisse entendre Maiello dans
la continuité, mais au contraire dans la trace en creux laissée par la dispari-
tion des rythmes premiers, leur aphanisis, que se fait l’appétence rythmique
du nourrisson. Lorsqu’elle évoque la petite Rosetta, enfant autiste, c’est pour
situer la non-communication du côté de « L’absence d’alternance
rythmique » comme si cette enfant avait encore à construire, à plus de 5 ans,
son « rythme de sécurité 50 », consécutivement à une incapacité néo-natale à
trouver un accordage rythmique du fait du défaut d’installation d’un Autre
fiable et… rythmant.
Évoquons enfin une proposition que Lacan avançait en 1955 lorsqu’il
évoquait la porte, ouverte puis fermée, puis ouverte, puis fermée encore.
« Vous engendrez ainsi ce qu’on appelle une oscillation. Cette oscillation est
la scansion 51. » Et cette scansion forme le point d’appui primitif de l’être, sa
sub-stance : « L’homme est engagé par tout son être dans la procession des
nombres, dans un primitif symbolisme qui se distingue des représentations
imaginaires. C’est au milieu de cela que l’homme a à se faire reconnaître 52. »
On ne saurait être plus clair. Le rythme est fondateur primitif du symbole, et
donc du signifiant cadençant le sujet. On pourrait relire sous cette lumière le
texte de Freud sur le fort-da, et les innombrables exégèses qui en ont été faites
depuis. Le fort-da aussi est rythmique et rythmisant. On constate également
une forte réappétence rythmique au moment où les identifications infantiles
doivent être quittées par l’adolescent, qu’il s’agisse de création (musicale) ou
d’enfermement quasi utérin dans l’espace clos de la carrosserie des voitures
grâce à des sonorisations ultra-puissantes permettant d’effacer le monde
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bruissant au profit de la seule cadence de basse, comme un cœur maternel de
synthèse. Ce que l’adolescent quitte, c’est entre autres choses les rythmes de
l’enfance : il confond le jour et la nuit, cherche des rythmiques identifica-
toires, prend à contre-pied les rythmes de ses parents, etc. Bien des décom-
pensations psychotiques ne procèdent-elles pas d’un dérèglement
rythmique ? N’en va-t-il pas de même dans la dépression ? Et si tel est le cas,
quelle est la place que l’analyste donne au rythme dans la cure ? Rythme des
séances, rythme de la parole, cadence dans la prosodie : tout est rythme.
Pour en revenir à la séance où cette petite autiste dont je parlais en com-
mençant s’était fait disparaître, on peut maintenant en proposer une lecture
basée sur les rythmes. En s’absentant de la relation, ce qui pourrait sembler
constituer un handicap, une impossibilité, mademoiselle Rideau agit dans le

50. Frances Tustin, Le trou noir de la psyché, Paris, Le Seuil, 1989.


51. Jacques Lacan, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, séminaire
II, Paris, Le Seuil, 1978.
52. Jacques Lacan, ibid. C’est moi qui souligne.
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LA RECHERCHE DES RYTHMES DISPARUS 293

sens de délivrer un message, celui de la disparition. C’est parce qu’elle a pu en


constater la réception chez l’analyste qu’elle a pu aussi mettre en scène cette
disparition, se servant alors du rideau comme d’une cloison, comme un sépa-
rateur, comme la porte dont parle Lacan. Cette stratégie eût-elle été aussi effi-
cace si je m’étais astreint à une vigilance de tous les instants ? Une fois le
rideau mis en place dans notre relation, il a pu alors servir de point d’appui
à un jeu de caché-retrouvé, comme si cette petite fille avait voulu revivre
dans la relation thérapeutique l’effet de la disparition, puis les retrouvailles
rythmiques humanisantes, potentiellement créatrices du sujet. Nous posons
ainsi que la rythmicité dans la cure est un outil essentiel, dans l’approche de
l’autisme comme ce texte vise à en illustrer la logique, mais aussi dans ce qui
fonde tous les humains vis-à-vis du désir, et donc dans le traitement de ses
dérèglements.

Résumé
Les rythmes nous fondent, non pas en tant qu’objets d’expérience, mais en tant qu’ob-
jets disparus, en tant que partie de soi perdue lors de la naissance, dans cette transi-
tion que Jones a proposé d’appeler aphanisis. L’expérience de la psychothérapie des
enfants autistes confronte en effet à cette épreuve de la disparition, que nous retrou-
vons également dans nombre de thèmes littéraires : Perceval de Chrétien de Troyes, Le
roi sans divertissement de Giono, La disparition de Perec et La haine de la musique de Pas-
cal Quignard. Lacan avait très tôt attiré notre attention sur ces pertes de la naissance
(placenta, délivre, etc.), Marcel Jousse et plus récemment Henri Meschonnic nous ont
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montré toute la place des rythmes dans le vivant. Ce texte est une tentative de repé-
rer la fonction des rythmes disparus dans la constitution de la libido, et constitue ainsi
une réflexion sur les rythmes, sur leur place dans la construction psychique, et sur ce
que cela implique dans la pathologie autistique.

Mots clés
Rythme, aphanisis, libido, autisme, temporalité, musique, danse.

THE QUEST FOR LOST RYTHMS

Summary
Rhythms underlie us, not so much as objects of experience, but as objects that have
disappeared, as part of us lost at birth, in this transition that Jones proposed to call
aphanisis. Indeed, autistic children’s experience of psychotherapy confront this trial of
disappearance that we also come across in so many literary themes, as with Chrétien
de Troyes’ Perceval, Giono’s The King without Distraction, Perec’s A Void and Pascal
Quignard’s Hatred of Music. Lacan drew our attention early to these losses in birth
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(placenta, afterbirth, etc.), Marcel Jousse and more recently Henri Meschonnic sho-
wed us the considerable place occupied by rhythms in the living world. This text is
an attempt to identify the function of rhythms that vanished in the constitution of the
libido, and thus constitutes a reflection on rhythms, on their role in psychic construc-
tion, and on what that implies in autistic pathology.

Keywords
Rhythm, aphanisis, libido, autism, temporality, music, dance.
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