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TN: 2207400 Document Delivery On Campus User Call #: -F- PQ 2 N6 NO.2154-2205 1969 Location: Library Storage Facility Special Instructions: OcLc: Journal Title: Les nouvelles littéraires Volume: n/a Issue: 2174 Month/Year: May 22 1969 Pages: ? Article Author: Albérés, René Marill Article Title: Dréles de drames Imprint: Patron: Herve Picherit (hp5997 ) Resco, ea a velles, souvenirs de voyage, et méme contes pour enfants (vingt-cinq vo- Tumes jusav’ici), Doeuvre de Mare Blancpain est issue de trois sources : Yamour et la saveur de la vie pro- vinciale dans Ces demoiselles de Flanfolie (1) ou dans Les Peupliers de Ja prétentaine (2) ; un souci de définition de la France dans sa lan- gue, sa culture et son originalité, avec des recueils comme France ac- tuelle (3) ou Les Lumiéres de Ja France (4) ; et enfin, chez ce secré~ taire général de VAlliance frangaise, une vision du monde, qu'il a par- couru en tout sens, comme autrefois Morand, pour en rapporter des ro- mans tels que Ulla des Antipodes (5), ou des études comme Aujour- @hui, ’Amérique latine (6). A trois Gtages. (province, nation, planéte), Mare Blancpain est un homme complet. Ses trois inspirations, il fallait qu'il Jes fit se rejoindre et se fondre. C'est ce qu'il semble avoir entrepris dans le vaste cycle romanesque qu'il vient de mettre en chantier et qu'il appelle fort justement une « saga»? saga de la vie francaise, provinciale et internationale, dont le premier vo- Jume, Musique en téte (7), est une chronique de 1914 a 1940, A Tinverse des héros du roman pari-parisien, ou du roman cosmo= polite — je parlais la semaine der= niére du Prince a Palmyre (8), de Solange Fasquelle — les personnages de. Blanepain sont enracinés, Ce premier tome est fait des souvenirs d’Aurélie, la grand-mére, la « pa- tronne » du cycle. A Ia fin du siécle dernier, elle est née en Thiérache, dans une famille rurale aisée qui, comme on. disait alors, « avait des biens >. Aprés la mort du pére, sous la tutelle d’une mére de fa~ mille. efficace et effacée, les trois enfants entrent dans la vie. L’ainé, Je garcon, Bénoni, sera tué sur le front, comme lieutenant d’infante- rie ; en 1918, la cadette, Marthe, est emportée par la grippe éspagnole. Et il reste, héroine. et narratrice de cette moitié du XX" siécle, Aurélie. Elle a été la premiére de sa lignée & faire du latin, au collége de Reims; puis.< une. des premiéres & prendre yang sur les bancs de la faculté >, Lille. Voila ’événement du début de notre siécle : une nouvelle « ou-~ verture » des facultés. Mais tout ne concourt pas a cette sorte de progrés honnéte, honorable et petit-bourgeois. Il y, a aussi des interférences et des troubles. Que fera Aurélie de ses diplémes? Pendant ses vacances en Thiérache, le 1'* aot 1914, elle entend sonner, de clocher en clocher, sur toute la France, ce tocsin qui marque non pas Ja fin d'un monde, mais le début des guerres et des drames qui viendront entraver, ac- célérer ou déformer Yévolution de ce monde de braves gens qui, & partir. de 1880, étaient partis modes- tement pour Une évolution, et qui devront subir, jusqu’a 1940, et aussi jusqu’a ‘nos jours, plutét des révo- lutions et des guerres. 1914-1918 fut une époque de déso- rientement pour Aurélie, dont la famille habitait prés de la fron- tigre. Fuite en carriole, avec le traditionnel barda de. grands-méres, de canaris et de meubles de famille. 1914 prépare et présage 1940. Aprés pien des hésitations, retour sur une ligne de démarcation et, finalement, en France occupée. En 1915, il y a deja une Kommandantur et un jour- nal « collaborationniste » : la Gazette des Ardennes... Il semble méme que Blancpain se dispense & l'avance d’évoquer dans sa chronique la se~ conde occupation, celle de 1940-1944, en s‘attachant ici & Ja premiére. Elle restait cependant une petite étudiante, et une provinciale, cette jeune Aurélie dont la vie s'est dé- roulée entre son bourg natal et Tuniversité. En 1920, nous entrons dans le cosmopolitisme. Aurélie Epouse Georges, un ingénieur four- millant de projets sociologiques (cela existait sans doute déja). Avec lui, en dehors de la Thiérache et de Yuniversité de Lille, Aurélie décou- yre une planéte en mouvement, en fusion, en surfusion, hors des fron~ tides ‘de France, dans de multiples voyages, Hollande, Angleterre, Etats- Unis, etc. Car Georges ‘est, 2 Yavance, un « manager >, un ingé- nicur-diplomate, un_diplomate-ingé- nieur, un ancien « BE, N, A. > avant Ja lettre, Mandaté par la Société des Nations, ou par quelque organisme annexe (il y en avait tant!), il par- ticipe & des réunions, des congrés, des conférences, de Blankenstein & Genéve, pour faire admetire PAlle- magne a la S. D. N., pour éviter une nouvelle guerre et unir les peu~ ples, C'est ainsi qu’Aurélie décou- ‘re le monde planétaire et internatio- nal, jusqu’a ce que les fonctions de son mari leur assignent pour rési- dence Le Caire, Crest de 1a que, aprés Véchec de Georges et de ses confréres en congrés internationaux, aprés PAnschluss, on entendra (Au~ triche, Tehécoslovaquie, — Pologne) frapper les trois coups qui préludent A... La Disparition (9) de Georges Pérec, on entend un son de cloche plus aigre, plus agres- Sif. Ce n'est plus la chronique lar- gement étalée, c'est ’événement d’ac- fualité, avec tout ce qu'il peut avoir de scandaleux, éphémére, violent (notons qu'il y' avait eu nombre de « scandales >» — Mme Caillaux, Sta~ visky, ete. — dans 'époque que dé~ par R.-M. & la Seconde Guerre mondiale, Car Musique en téte (allusion sans doute aux soldats de 1914 qui partaient la fleur au fusil) se termine, assez prutalement, sur la débacle de 1940, Cest-a-dire sur quelques images bré- ves qui, pour Aurélie, rappellent les scénes, plus longuement évoquées, de 1914-1915. La _boucle est bouclée : du collége (et de Yuniversité) la terreur de la Kommandantur a vingt-cing ans en 1915, Des congrés pseudo-diplo- matiques d’entre-deux-guerres Yarrivée de la Gestapo, & cinquante ans, en 1940 ou. 1941, Aurélie est le témoin d'une Histoire qui se répéte, et Mare Blancpain est un habile chroniqueur, Ce premier tome est si parfait en ce sens que j’aimerais que Blanc- pain se renouvelle lorsqul écrira Je second, qu'il change de person- nage-témoin et modifie les perspec- tives. Voila en’ tout cas une admi- rable chronique francaise, portant, sans lassitude ni longueurs, sur qua- rante années : les quarante années qui ont domné a la France d’aujour- @hui non pas ses structures, mais ses souvenirs anciens ou récents, ses rancunes, ses amours et cette espéce de petite honnéteté, un peu _tiéde, mais ferme, qui est le legs de nos ancétres nés avant 1900 : V'héritage Aurélie et de sa famille. crit Mare Blancpain). Mais si Yon tente tant soit peu de définir le sujet de Pérec, on y trouve Yatmo- sphére et les schémes de ce que Yon a appelé « Vaffaire Ben Barka >, Cest-a-dire d'un événement récent, propre & susciter la curiosité ou Yindignation, significatif, brutal, mais différent de la chronique, parce qu'il est un point, un trait, un drame, et MARC BLANCPAIN : Musique en téte GEORGES PEREC : La Disparition JACQUES CHARDONNE : Déiachements ALBERES non une longue légende mélée de bien et de mal comme Musique. en téte, Dés le premier livre de Georges Pérec, Les Choses (10), nous avions apprécié sa maniére d'’évoquer notre monde de béton précontraint et de H. L. M, ot un homme jeune et sincére ne trouve pas sa place et se refuse & la trouver, Il exprime alors sa désillusion, dans -une des- cription ironique ou désabusée de Tunivers des « ainés » ; et chacun sait (Pérec fut, en littérature, un précurseur) que cela s’'appelle mai tenant, officiellement, < contesta- tion >». Naturellement,. j’aimais bien Péree lorsqw'il fut le premier A contester et, comme tous les critiques litté- raires, amateurs d’idées nouvelles, il mintéresse moins lorsqu’il n’est plus qu’un entre cent mille. Il m’intéresse moins aussi lorsque je vois, ou je crois voir, que maintenant il fait effort pour trouver des sujets pi- quants et racle pour cela tous les fonds de tiroir de Vactualité. En 1965, dans Les Choses, il n’y avait rien de piquant, qu’une grande désil- jusion : un gargon qui a essayé d'étudier Ja sociologie, mais a trouvé ennuyeux les sociologues qui'le di- rigeaient ou la société qu’il avait A. mettre en fiches sociologiques. Crest par cet aspect et par ce refus que le livre était réussi, comme Le Rouge et le Noir est réussi pour les mémes raisons. Je crains, hélas! que depuis 1965 Georges Pérec, justement encouragé, mais trop vite félicité et adulé, n’ait un peu foreé sen inspiration, son talent et surtout sa spontanéité et sa_sincérité, pour retrouver ce pre- mier succés. | Evidemment, il ne peut pas se démentir : il a été le premier & contester, il faut qu'il continue ; mais il ne’sait plus quoi contester, car dans ce domaine, le moins que l'on puisse dire est qu'il y a surenchére, Va-t-il décrire les émeutes d’étudiants ? C'est déja fait, avec photos, La. guerre du Vietnam? Il est sociologue, et non journaliste 4 sensation. La faillite des petits commerganis? Ce n'est pas son genre, ce n’est pas fait pour son’ public, Lembarras des paysans ? Il n'y connait rien, Alors, et nous le lui pardonnons de bon’ cceur, il est allé’ rechercher, dans nos’ scan- dales ‘politiques et policiers: les plus récents, le plus aigu et le plus trou- ble. Et, pour prendre ses distances et assurer son style, il emploie non pas le maniérisme trop facile dunou- ‘veaut roman, mais une écriture heur- tée et subtile de reportage psycho- logique mélé a des notations» psy- chologiques hachées, La Disparition est un roman vio- lent, cru et facile. Un homme dis- parait : Anton Voyl. . Un ‘second homme disparait : lavocat marocain Ibn Abbou. La police a enquété, enquéte et enquétera, Mais les amis des deux victimes présumées se réu- nissent dans. une propriété. person- nelle, & Azincourt, pour faire, eux aussi, leur enquéte, Et alors cela commence & ressembler davantage & un roman de Vahé Katcha qu’a une affaire de police. Cependant, vous le devinez, Georges Pérec est trop astucieux pour -donner une conclusion 4 cette double’ enquéte. Le mystére subsiste, mais le roman est écrit : c'est, comme chez Robbe- Grillet, mais dans un autre style, la forme actuelle du roman policier « littéraire ». Parfaitement réussi, captivant, bien mis en scéne, mais sentant Vartifice. Le révolté Georges Pérec n'a pas mis longtemps’ pour passer de la révolte A Vhabileté, du défi au talent. . E... Yexistence hon- néte et troublée des braves gens de 1900 & 1940 telle. que la narre Marc Blancpain, et un fait divers énigma- tique ou scandaleux de Yépoque 1960 comme celui de La Disparition, la vie frangaise a connu bien des dra- mes. Celui de YOccupation, que Bernard. Clavel -rappelait. dans _ces Fruits de Phiver (11) qui ont obtenu en 1968 le prix.Goncourt, Celui de Vaprés-guerre aussi, et-des séquelles de YOccupation ou. de la Seconde Guerre mondiale, tel qu’on le trouve, sous forme confidentielle, dans ce livre posthume de Jacques Char- donne qui s'appelle: Détachements (12) : sur. une: époque bien troublée de la -vie frangaise,. le témoignage et la confidence de celui que l'on pourrait appeler notre plus fin écri~ vain psychologique en ce siécle. Ce n’est- pas un roman, Ni une confession. Jaeques Chardonte -parle, Aun quart de siécle de distance. Tout commence vers la mi-aoat 1944, en Charente, le « pays » de Char- donne. Bombardements, départ des troupes d'occupation, arrivée des ma- quisards, Puis Yon entre, avec Chardonne, dans cet automne 1944 ott, & la violence ou & la complai~ sance, succédérent la. vengeance et la-sé auteur ne cache pas que son texte, volontairement oublié, puis retrouvé en 1961, et. destiné & n’étre publié qu'aprés’ sa mort, fut écrit, ‘en 1945, au. sortir de ’ trois mois. de. gedle. Souvenirs et confi-. dences sur ‘une €poque pénible pour ceux qui étaient alors: soumis, comme lui, -& une. juste ou excessive. vin- dicte. Mais, méme dans un texte de cir- constance, écrit dans le désarroi ou Yamertume cachée, Chardonne n'est pas Vhomme: des polémiques. Il est un maitre de la sensibilité, et il le ‘reste encore dans ce recueil qui forme une’ méditation, mais non une plainte.. Il y voaue pourtant la prison; oui, « la prison de Cogriac, qui n’est pas la plus inhumaine de France ». A la manitre de Mon- taigne ou de Gide (ou de Jacques Chardonne), il analyse, en moraliste, et hors politique, le’ probl&me de la « punition » : © La douleur que Yon’ inflige. A un homme ne- lui donne pas conscience de. ses er~ reurs [...] I est vain de chatier les hommes [..] La police et ses ceuvres r’ont aucun effet sur I’esprit. » Cela se rapproche de Montaigne, d'un Montaigne’ qui aurait é€ mis en taule. Et, a partir de cette situation ott il_se trouvait fin 1944, ce romancier purement psychologue qu’était Jac- ques: Chardonne- se jette dans des analyses. et des réflexions qui. n’ap- partenaient pas &-sa vocation, mais que. les circonstances. lui imposent en le sollicitant : la politique fran- caise de 1920 & 1940, ses défaillan- ces, ses défaites, Jes ‘erreurs qu’elle put provoquer, entre 1940 et 1944, ainsi que les chatiments. qui leur suceédérent en 1945. Sujet doulou- reux,’ opération .chirurgicale de la Libération... Pendant ‘cette sorte @'intervention médicale, sans peur, sans rancune, sans complexe d’autopunition, Char- donne a écrit et décrit. Sans se confesser' ou s‘accabler, sans se jus- tifier non plus. Ce n'est pas un prisonnier ‘politique ‘qui parle dans Détachements, et, en ce sens, le titre est, significatif, “C'est un écrivain, un philosophe, un moraliste. qui, dans quelque condition qu'il se trouve, est toujours prét & Vanalyser.- Et méme sur cette époque maléfique pour lui, Chardonne. ne manque pas de son charme habituel; Voila, insolite, dé- placé. et. pourtant -passionnant, -un. autre témoignage sur. la vie fran- gaise, tout au cours de notre siecle. (1, 2,8 7) Dono’l, — (3) Hatier, “6 vol. — (4) Calmann-Lévy. — (6) Berger- Levrault.- —. (8) Grasset. — (9 et 10) Denoéi-Lettres Nouvelles. —. (11) Robert Lafont. = (12) Aibin Michel,

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