Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Santé Communataire PMA
Santé Communataire PMA
FONDAMENTAUX DE LA PERSONNE
Moncef Marzouki
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
© S.F.S.P. | Téléchargé le 06/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 217.64.103.71)
A l’occasion du Colloque sur les Scientifiques et les Droits de l’Homme qui s’est tenu à
l’Unesco à Paris les 8 et 9 mai 2001, il a adressé cette analyse sans complaisance du
comportement des élites scientifiques face aux défenses des libertés fondamentales.
de décès des morts sous la torture. Je ne puis chiffrer cette population, mais elle
est sans conteste beaucoup plus nombreuse que celle des militants pour les
libertés.
Enfin, la troisième, de loin l’écrasante majorité, est composée de médecins
politiquement neutres, ou plus exactement neutralisés. Que certains puissent
éprouver de la sympathie pour la Démocratie et les démocrates ne change rien
au fait essentiel : leur absolue inaction face aux violations, aux dérives de l’Etat
policier, même quand elles frappent des confrères. Leur attitude face à mes
démêlés avec le pouvoir est très symptomatique de cet état d’esprit.
En 1992, mon service de médecine communautaire à la Faculté de médecine
de Sousse fut dissout pour me punir de mes activités à la tête de la LTDH. En
1994, j’ai été emprisonné quatre mois de façon arbitraire. A ma sortie de prison,
j’ai été interdit d’activité clinique, interdit de recherche, de voyages, de télé-
phone. Pas un confrère n’a protesté. Enfin, en juillet 2000, j’ai été renvoyé d’une
faculté où j’ai enseigné vingt ans. Deux de mes anciens agrégés m’ont rendu une
visite de courtoisie une première et dernière fois. Seul, un collaborateur tient à
braver les cordons de la police et à venir me voir régulièrement. J’avoue avoir
été blessé par un tel comportement quand je le compare à la chaleureuse soli-
darité des confrères du monde entier.
Reste à expliquer un phénomène si surprenant. Pourquoi l’écrasante majorité
des médecins tunisiens détourne-t-elle les yeux des graves violations des droits
de l’homme qui ont lieu au vu et au su de tout le monde ? Pourquoi ne sont-ils
pas capables de faire preuve de cette solidarité de corps, remake et relent de la
solidarité du groupe primitif, qui a toujours permis aux hommes de se défendre
mutuellement et de survivre ? Un tel comportement ne peut être que la résultante
d’un faisceau complexe de raisons. Mes discussions avec les principaux intéres-
sés, les quelques connaissances historiques de phénomènes similaires dans
d’autres sociétés m’amènent à avancer, sous forme d’hypothèses, deux raisons
majeures :
© S.F.S.P. | Téléchargé le 06/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 217.64.103.71)
Les médecins, comme Hachemi Ayari, ne se sont pas engagés corps et âme
dans le combat pour les droits de la personne, en raison de leur statut de scien-
tifiques ou médecins, mais simplement parce qu’ils étaient – ou sont – des
hommes capables de fonctionner au-delà du paradigme bio-technique, de
surmonter leur peur, de mettre leur force vitale au service de la main invisible qui
tend à corriger les excès, à rétablir les équilibres et à hiérarchiser les passions.
La participation des scientifiques au combat des droits de la personne, ne
découle pas, ou ne s’impose pas du fait de la pratique de la science (qu’on
s’entête à vouloir marier avec la conscience), mais de cette conscience libre de
toute attache à une activité humaine particulière.
L’intervention de ces scientifiques dans la défense des libertés, consiste sim-
plement à mettre un peu plus de prestige dans la solidarité et l’engagement. Mais
c’est toujours la personne, non son savoir ou ses titres, qui reste le vrai acquis
pour de telles causes : merci de votre soutien à Hamma Hammami, enseignant,
Abbes Chourou, physicien, Moncef Ben Salem mathématicien, qui payent en ce
moment le prix fort de la persécution parce qu’ils ont voulu que la Tunisie vive
les valeurs de son époque.
Moncef MARZOUKI
dans un message au Colloque
sur les Scientifiques et les Droits de l’homme
(UNESCO Paris, les 8-9 mai 2001)
© S.F.S.P. | Téléchargé le 06/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 217.64.103.71)