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Le droit de choisir sa mort : les ambiguïtés de la cour de

Strasbourg
Olivier Bachelet
Dans Revue internationale de droit pénal 2011/1 (Vol. 82), pages 109 à 127
Éditions Érès
ISSN 0223-5404
ISBN 9782749213934
DOI 10.3917/ridp.821.0109
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LE DROIT DE CHOISIR SA MORT :
LES AMBIGUÏTÉS DE LA COUR DE STRASBOURG

Olivier BACHELET*

1. Faut-il protéger l’Homme contre lui-même ? Cette interrogation constitue la


pierre angulaire d’une vive opposition doctrinale1 entre les partisans de la
primauté du respect de la dignité humaine2 – en ce que celle-ci « ne relève pas
de la seule décision du sujet », mais « se partage entre les humains comme la
conviction commune caractéristique de leur Humanité »3 – et les pourfendeurs
d’un prétendu retour à l’ordre moral, présenté comme la négation de la
conception individualiste et libérale des droits de l’Homme4.
Appliquée à la question de l’euthanasie – définie comme la pratique visant à
provoquer le décès d'un individu atteint d'une affection incurable qui lui inflige des
souffrances intolérables –, cette opposition atteint un point paroxystique dès lors
qu’il s’agit de se prononcer sur la disponibilité du droit à la vie, sans lequel la
jouissance de l'un quelconque des autres droits et libertés de l’Homme « serait
illusoire »5. Pour certains, il convient d’insister sur le nécessaire respect de toute
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vie humaine, celle-ci étant une réalité transcendante insusceptible d’être laissée à

*Chargé de cours et d’enseignement aux Universités Paris-I et Evry-Val-d’Essonne,


Membre du CREDHO-Paris-Sud, France.
1 Sur cette opposition, V. D. Roman, « “A corps défendant”. La protection de l’individu

contre lui-même », D. 2007, pp. 1784 et s.


2 V. not. M. Fabre-Magnan, « Le sadisme n'est pas un droit de l'homme » (note sous

CEDH, 17 février 2005, K. A. et A. D. c. Belgique), D. 2005, pp. 2973 et s. ; M. Fabre-


Magnan, « Le domaine de l'autonomie personnelle. Indisponibilité du corps humain et
justice sociale », D. 2008, pp. 31 et s. ; B. Edelman, « La Cour européenne des droits de
l'homme et l'homme du marché », D. 2011, pp. 897 et s.
3 X. Dijon, Droit naturel, PUF, Thémis, 1998, p. 157.
4 V. not. O. Cayla, « Le coup d’État de droit ? », Le Débat, 1998, pp. 122 et s. ;

J. Mourgeon, « Les droits de l’être humain, destructeurs de sa liberté », in Mélanges


Y. Madiot, Bruylant, 2000, pp. 404 et s.
5 CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 37 : RTD civ. 2002, pp. 482

et s., obs. J. Hauser ; ibidem., pp. 858 et s., obs. J.-P. Marguénaud ; AJDA 2003, pp. 1383
et s., note B. Le Baut-Farrèse ; RSC 2002, pp. 645 et s., note F. Massias ; JDI 2003,
pp. 535, obs. E. Decaux et P. Tavernier.
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la libre disposition de l'Homme6. Pour d'autres, mourir dans la dignité implique un


droit qui doit être reconnu à qui en fait la demande, l'individu étant seul juge de la
qualité de sa vie et de sa dignité7.
2. À ce sujet, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a très clairement
pris partie. En effet, dans une Recommandation de 1999, celle-ci recommande au
Comité des Ministres « d'encourager les États membres du Conseil de l'Europe à
respecter et à protéger la dignité des malades incurables et des mourants à tous
égards […] en maintenant l'interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à
la vie [de ces] malades incurables et des mourants ». Pour ce faire, la
Recommandation ne manque pas de souligner que « le droit à la vie, notamment
en ce qui concerne les malades incurables et les mourants, est garanti par les
États membres, conformément à l'article 2 de la Convention européenne des
droits de l'Homme qui dispose que “la mort ne peut être infligée à quiconque
intentionnellement” »8.
À cet égard, il semblait logique de ne pas attendre de la Cour européenne des
droits de l’Homme, organe juridictionnel du Conseil de l’Europe, qu’elle déduise
des droits et libertés protégés par la Convention de Rome un droit à mourir.
Pourtant, au moyen d’une jurisprudence complexe, les juges strasbourgeois y
sont finalement parvenus (I.) sans, pour autant, conférer une pleine effectivité à
ce nouveau droit de choisir sa mort (II.).
I. La reconnaissance complexe d’un droit de choisir sa mort
3. Bien qu’elle le refuse à l’aune du droit à la vie et de l’interdiction des mauvais
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traitements, la Cour de Strasbourg n’hésite pas à déduire du nécessaire respect
de la vie privée un droit à la mort. De la sorte, tout en insistant sur l’inopérance du
droit à la vie et de l’interdiction des mauvais traitements (A.) dans la
reconnaissance d’un droit à mourir, les juges européens admettent leur
suppléance par le droit au respect de la vie privée (B.).
– L’inopérance du droit à la vie et de l’interdiction des mauvais traitements
4. Selon la Cour européenne, l’article 2, aux termes duquel, notamment, « le droit
de toute personne à la vie est protégé par la loi », figure parmi les stipulations
primordiales de la Convention et « consacre l’une des valeurs fondamentales des
sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe »9. Ceci résulte

6 J. Pousson-Petit, « Propos paradoxaux sur l'euthanasie à partir de textes récents », Dr.


fam. 2001, pp. 4 et s. ; E. Dunet-Larousse, « L'euthanasie : signification et qualification au
regard du droit pénal », RD sanit. soc. 1998, pp. 265 et s.
7 A. Guillotin, « La dignité du mourant », in Mélanges C. Bolze, Éthique, droit et dignité de

la personne, Économica, 1999, pp. 315 et s.


8 Recommandation 1418 (1999) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, § 9.
9 CEDH, 27 sept. 1995, Mc Cann et autres c. Royaume-Uni, n° 18984/91, § 147 : RFDA

1994, pp. 1182 et s., obs. Ch. Giakoumopoulos, M. Keller, H. Labayle et F. Sudre ; CEDH,
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également de l’article 15, § 2, de cette même Convention qui le compte parmi les
quatre stipulations auxquelles il n’est pas possible de déroger10.
Il est vrai, toutefois, que le droit à la vie n’est pas absolu puisque le paragraphe 2
de l’article 2 de la Convention prévoit un certain nombre d’hypothèses dans
lesquelles la mort peut « régulièrement » être infligée11. Il n’en demeure pas
moins que les exceptions supportées par ce texte sont très limitativement définies
et la Cour européenne exerce un contrôle strict à leur égard. Ainsi, selon elle,
« l'emploi des termes "absolument nécessaire" figurant a l'article 2, § 2, indique
qu'il faut appliquer un critère de nécessité plus strict et impérieux que celui
normalement employé pour déterminer si l'intervention de l'État est "nécessaire
dans une société démocratique" au titre du paragraphe 2 des articles 8 11 de la
Convention »12.
5. Dans l’affaire Pretty c. Royaume-Uni, concernant une ressortissante
britannique, atteinte d'une maladie incurable, qui demandait à ce que son mari
soit autorisé à lui donner la mort sans risquer de poursuites pénales, la
requérante avait tenté de détourner cette dernière affirmation au soutien de son
argumentation. Selon elle, parce que les États se verraient reconnaître une
certaine marge d’appréciation dans l’application de l’article 2, à l’instar de la
plupart des autres stipulations de la Convention, le droit à la vie devrait faire
l’objet d’une interprétation identique à celle des autres droits. Dès lors, un
parallèle serait possible entre la dimension négative reconnue par la Cour de
Strasbourg à un certain nombre de droits et libertés prévus par la Convention13 et
le droit à la vie, ce qui permettrait de déduire l’existence d’un droit à la mort.
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Néanmoins, un tel raisonnement était nécessairement voué à l’échec au regard
de la distinction opérée par l’article 15 de la Convention entre les droits à
protection relative et les droits à protection absolue. Si les premiers consacrent

1er juin 2006, Taïs c. France, n° 39922/03, § 82 : AJ Pénal 2006, pp. 403 et s., obs. C.
Saas ; JDI 2007, pp. 715-716, obs. E. Decaux. Voir également : Comité des droits de
l’Homme des Nations Unies, 20 oct. 2003, Judge c. Canada, n° 829/1998, § 10(3) : « […]
le droit le plus fondamental – le droit à la vie […] ».
10 Hormis « le cas de décès résultant d'actes licites de guerre ».
11 Article 2, § 2, de la Convention : « La mort n'est pas considérée comme infligée en

violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu
absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence
illégale ; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une
personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou
une insurrection ».
12 V. not. CEDH, 27 sept. 1995, Mc Cann et autres c. Royaume-Uni, op. cit., § 149.
13 V. not., pour la liberté de ne pas s’associer CEDH, gde ch., 29 avril 1999, Chassagnou

et autres c. France, nos 25088/94 et autres : AJDA 1999, pp. 922 et s., note F. Priet ; JDI
2000, pp. 105-107, obs. P. Guillot.
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des droits dont la personne a le choix d'user ou non et que l'État peut restreindre,
à certaines conditions, en usant de sa marge d'appréciation, les seconds ne sont
à la disposition, ni des États, ni des individus. Pour ce qui concerne
spécifiquement le droit à la vie, celui-ci ne supporte aucune autre exception que
celles prévues par le paragraphe 2 de l'article 2. Comme le note la Cour, en effet,
« les circonstances dans lesquelles la privation de la vie peut se justifier doivent
être interprétées de façon étroite »14. Dès lors, s’il y a une certaine place à
réserver à la marge nationale d’appréciation pour ce qui concerne la mise en
œuvre de ces exceptions, il ne saurait en être de même pour leur définition. En
d’autres termes, la marge d’appréciation reconnue aux États ne saurait permettre
la création d’une nouvelle exception au droit à la vie, fut-elle acceptée par la
personne concernée.
6. En plus d’encadrer strictement les hypothèses d’atteinte au droit à la vie,
l’article 2 de la Convention exige des États la satisfaction d’une véritable
obligation positive : protéger la vie. La Cour de Strasbourg impose, ainsi, aux
États de garantir le droit à la vie, non seulement par la mise en place d’une
législation et d’une pratique pénale sanctionnant les atteintes contre les
personnes15, mais aussi par la mise en œuvre des mesures préventives
nécessaires à la protection de la vie16.
En particulier, dans son arrêt Keenan c. Royaume-Uni, la Cour a jugé l’article 2
de la Convention applicable au cas d'un détenu, malade mental, qui s'était suicidé
par pendaison dans sa cellule en affirmant qu’existe « une obligation positive
pour les autorités de prendre préventivement des mesures d'ordre pratique pour
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protéger l'individu dont la vie est menacée par les agissements criminels
d'autrui»17. De la sorte, les juges européens, tout en écartant la responsabilité
des autorités britanniques qui n'avaient pu avoir connaissance d'un risque
immédiat pour la vie, reconnaissaient le principe d'une obligation de protection
contre le suicide à la charge des États. Réaffirmée à plusieurs reprises,
notamment à l’égard de la France18, cette obligation positive de protéger la vie en

14 CEDH, gde ch., 24 mars 2011, Giuliani et Gaccio c. Italie, n° 23458/02, § 177.
15 V. not. V. CEDH, 9 juin 2009, Opuz c. Turquie, n° 33401/02 et 15 déc. 2009, Maiorano
et autres c. Italie, n° 28634/06 : RSC 2010, pp. 219 et s., obs. J.-P. Marguénaud.
16 CEDH, gde ch., 28 oct. 1998, Osman c/ Royaume-Uni, n° 23452/94, § 115 : JDI 1999,

pp. 269-271, obs. P. Tavernier.


17 CEDH, 3 avr. 2001, Keenan c/ Royaume-Uni, n° 27229/95, § 88 : AJDA 2011, pp. 1060

et s., obs. J.-F. Flauss.


18 CEDH, 11 juill. 2006, Rivière c. France, n° 33834/03 : D. 2007, pp. 1229 et s., obs. J.-P.

Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; CEDH, 16 oct. 2008, Renolde c. France,


n° 5608/05 : D. 2009, pp. 1376 et s., obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ;
JDI 2009, pp. 1018-1020, obs. E. Decaux et P. Tavernier.
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luttant contre le suicide contraste donc singulièrement avec un prétendu devoir


des États de garantir aux individus un droit de porter atteinte à leur vie.
7. Pour l’ensemble de ces raisons et sachant que « l’objet et le but de la
Convention, en tant qu’instrument de protection des êtres humains, requièrent
[…] que l’article 2 soit interprété et appliqué d’une manière qui en rende les
exigences concrètes et effectives »19, la Cour de Strasbourg ne pouvait déduire
de cette stipulation, dans l’affaire Pretty, une obligation positive à la charge de
l’État de prendre l'engagement de ne pas poursuivre le mari de la requérante s'il
venait à aider son épouse à se suicider. Une telle solution l’aurait alors obligé « à
cautionner des actes visant à interrompre la vie ». Or, la Cour considère que ce
serait une « distorsion de langage » que d’interpréter le droit à la vie comme
conférant un droit « diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir ». Par
conséquent, elle refuse d’admettre que l’article 2 de la Convention puisse
comporter un aspect négatif et ne s'estime pas autorisée à créer un nouveau
précédent posant un principe a priori contraire au droit à la vie.
8. Cette impossibilité de déduire de l’article 2 de la Convention un hypothétique
droit à la mort trouve également un écho sur le terrain de l’article 3. En effet, dans
la même affaire Pretty c. Royaume-Uni, la requérante affirmait que la mort
« extrêmement pénible et indigne » à laquelle elle était confrontée constituait un
mauvais traitement dont l'État était tenu de la protéger au titre de l'obligation
absolue imposée par l'article 3. Une telle argumentation revenait implicitement à
considérer qu’en refusant d’accéder à la demande de la requérante, l’État
participait à sa souffrance et lui infligeait un traitement inhumain ou dégradant,
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voire une torture incompatibles avec les exigences conventionnelles.
En d’autres termes, il s’agissait pour la requérante d’invoquer un préjudice de vie
qui imposerait aux États de mettre en place les procédures nécessaires à son
interruption. Parmi ces procédures, elle demandait à ce que son mari puisse
bénéficier d’une cause d’irresponsabilité pénale en cas d’aide au suicide. Il
s’agissait, en quelque sorte, d’invoquer un « état de nécessité à rebours » qui ne
consisterait pas, comme le prévoit l’article 122-7 du Code pénal français, à
accomplir « un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne », mais à porter
atteinte à la vie afin de mettre un terme à d’insupportables souffrances.
9. Malgré tout, la Cour écarte cette argumentation en considérant que l'article 3
de la Convention n'offre pas de protection directe contre la souffrance inhérente
aux aléas de la vie. Elle souligne, en particulier, que cette stipulation « a la
plupart du temps été appliqué[e] dans des contextes où le risque pour l'individu
d'être soumis à l'une quelconque des formes prohibées de traitements procédait
d'actes infligés intentionnellement par des agents de l'État ou des autorités
publiques ». Elle rappelle, en outre, que ce texte est également applicable à

19 V. not. CEDH, gde ch., 27 juin 2000, Salman c. Turquie, no 21986/93, § 97.
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l’inaction des autorités face aux agissements imputables à des personnes


privées20.
Il apparaît donc que, si la souffrance liée à la maladie peut constituer un élément
d’appréciation d’une éventuelle violation de l’article 3 de la Convention – comme
cela est le cas s’agissant de condamnés dont les conditions de détention sont
incompatibles avec leur état de santé21 –, elle ne peut être considérée en elle-
même comme un mauvais traitement. En l’espèce, dès lors que la souffrance de
la requérante n'était pas la conséquence d'un comportement d’action ou
d’omission des autorités publiques, la Cour conclut qu’il ne saurait y avoir
violation de l’article 3.
Une telle solution doit être approuvée lorsque l’on sait que l’article 3 de la
Convention a pour objet de protéger la dignité de l’Homme22. En effet, admettre
que la souffrance ressentie par un individu du fait de la maladie puisse heurter
cette stipulation reviendrait à considérer que les défaillances physiques – voire
psychologiques – sont susceptibles de constituer une négation de l’être humain et
justifier son élimination. Or, « il serait inacceptable et dangereux de considérer
que la souffrance entame la dignité de l'Homme en niant son Humanité, alors que
l'imperfection et la souffrance sont inhérentes à [sa] nature même […]. Ce serait
ouvrir la voie à l'eugénisme »23.
10. Sur le fondement des articles 2 et 3 de la Convention, posant des droits dont
la protection est quasi-absolue, la Cour de Strasbourg refuse donc d’admettre
l’existence d’un droit à mourir. Une telle solution se justifie, pour l’essentiel, au
regard du fait que ces stipulations prévoient des droits qui ne sont à la
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disposition, ni des États, ni des individus. Ceci permet d’expliquer que, sur le
fondement du droit au respect de la vie privée, dont la protection est relative, la
Cour européenne ait pu adopter une position différente.

20 CEDH, 23 sept. 1998, A. c. Royaume-Uni, n° 25599/94 et CEDH, 10 mai 2001, Z et


autres c. Royaume-Uni, n° 29392/95.
21 CEDH, 10 juill. 2001, Price c. Royaume-uni, n° 33394/96 : AJDA 2001, pp. 1060 et s.,

obs. J.-F. Flauss ; CEDH, 14 nov. 2002, Mouisel c. France, n° 67263/01 : D. 2003, pp. 303
et s., note H. Moutouh ; D. 2003, pp. 524, obs. J.-F. Renucci ; JDI 2003, pp. 548-551, obs.
E. Decaux et P. Tavernier. Pour des troubles psychiatriques incompatibles avec le
maintien en détention : V. CEDH, 16 déc. 2008, Rupa c. Roumanie (n° 1), n° 58478/00.
22 V. not. F. Sudre, « Article 3 », in L.-E. Pettiti, E. Decaux et P.-H. Imbert (sous la dir.), La

Convention européenne des droits de l’Homme. Commentaire article par article,


Economica, 2ème édition, 1999, pp. 155 et s.
23 F. Massias, « Arrêt Pretty c. Royaume-Uni (29 avril 2002) relatif au suicide assisté et à

l'euthanasie », RSC 2002, pp. 645 et s.


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– La suppléance du droit au respect de la vie privée


11. Lu rapidement, l’arrêt Pretty c. Royaume-Uni pourrait laisser croire que la
Cour européenne refuse de déduire de la Convention un droit à la mort. Mais ce
serait omettre ses importants développements relatifs au droit au respect de la
vie privée. À ce sujet, la Cour de Strasbourg affirme, en effet, que l’article 8 de la
Convention englobe un droit à l’autodétermination qu’elle qualifie d'« autonomie
personnelle ».
Selon la Cour, « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l'entend peut
également inclure la possibilité de s'adonner à des activités perçues comme étant
d'une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa
personne ». Elle va jusqu’à affirmer que même « lorsque le comportement en
cause représente un risque pour la santé ou lorsque l'on peut raisonnablement
estimer qu'il revêt une nature potentiellement mortelle, la jurisprudence des
organes de la Convention considère l'imposition par l'État de mesures
contraignantes ou à caractère pénal comme attentatoire à la vie privée ». Dès
lors, s’inspirant d’une affaire jugée par la Cour suprême du Canada, elle estime
qu’« empêcher la requérante d'exercer son choix d'éviter ce qui, à ses yeux,
constituera une fin de vie indigne et pénible […] représente une atteinte au droit
de l'intéressée au respect de sa vie privée »24.
12. Une telle solution, bien éloignée du principe traditionnel de l’indisponibilité du
corps humain et de la vie, a récemment été réaffirmée dans un arrêt Haas c.
Suisse25. En l’espèce, atteint d’un grave trouble affectif bipolaire lui rendant la vie
insupportable, le requérant s’était adressé à différents médecins psychiatres afin
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que lui fût prescrite une substance dont l’administration lui aurait permis de mettre
fin à ses jours de manière sûre et digne. Face au refus des praticiens, l’intéressé
s’adressa aux juridictions helvétiques. En vain.
Saisie sur le fondement de l’article 8 de la Convention, la Cour de Strasbourg
affirme, dans le prolongement de son arrêt Pretty, que le droit d’un individu de
décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin constitue l’un
des aspects du droit au respect de la vie privée. Certes, elle rappelle que l’article
2 de la Convention « impose aux autorités le devoir de protéger des personnes
vulnérables, même contre des agissements par lesquels ils menacent leur propre
vie » et « oblige les autorités nationales à empêcher un individu de mettre fin à
ses jours si sa décision n’intervient pas librement et en toute connaissance de

24 CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, op. cit., §§ 61-62 et 67.


25 CEDH, 20 janv. 2011, Haas c. Suisse, n° 31322/07. Il est à noter que la Cour
européenne sera prochainement amenée à statuer de nouveau sur la question du droit de
choisir sa mort dans l’affaire Koch c. Allemagne (n° 497/09), cette affaire ayant donné lieu
à une audience tenue le 23 nov. 2010.
116 International Review of Penal Law (Vol. 82)

cause »26. Pour autant, la Cour franchit un pas supplémentaire par rapport à sa
jurisprudence antérieure puisque, prenant en compte « la volonté du requérant de
se suicider de manière sûre, digne et sans douleur et souffrances superflues »27,
elle va jusqu’à admettre que la demande de Monsieur Haas d’avoir accès à une
substance mortifère doit être examinée sous l’angle d’une « obligation positive »
de l’État de prendre les mesures nécessaires permettant un suicide digne28.
13. Ce que refuse de reconnaître la Cour sur le fondement des articles 2 et 3 de
la Convention, elle parvient finalement par l’admettre au nom du droit à
l’« autonomie personnelle » et en vient même à affirmer qu’il existe une obligation
faite à l’État de favoriser le suicide de celui qui souhaite mettre fin à ses jours.
Comment, en effet, les juges européens peuvent-ils affirmer que « le droit à la vie
garanti par l’article 2 de la Convention oblige les États à mettre en place une
procédure propre à assurer qu’une décision de mettre fin à sa vie corresponde
bien à la libre volonté de l’intéressé »29, sans remettre en cause l’affirmation
contenue dans l’arrêt Pretty selon laquelle « l'article 2 ne saurait, sans distorsion
de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à
savoir un droit à mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à
l'autodétermination en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de choisir la
mort plutôt que la vie »30 ?
Il est vrai que la solution ainsi dégagée par la Cour européenne sur le fondement
de l’article 8 de la Convention ne concerne pas, à proprement parler, le droit à
vie. Néanmoins, une telle distinction apparaît artificielle. Il importe peu, en effet,
que le droit de décider de sa propre mort trouve son fondement dans l’article 2 ou
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dans l’article 8, dès lors que sa réalité est affirmée par la Cour qui, rappelons-le,
considère que « la Convention européenne des droits de l’homme doit se
comprendre et s’interpréter comme un tout »31.
14. Pourtant, une telle solution, consistant à admettre que le droit au respect à la
vie privée englobe « la possibilité de s'adonner à des activités perçues comme
étant d'une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse
pour sa personne », n’allait pas de soi à la lecture de la jurisprudence antérieure
des organes de Strasbourg. En effet, dans une affaire concernant certaines
vaccinations obligatoires, la Commission, tout en affirmant qu’une telle
intervention médicale, faite contre le gré de l’intéressé, constituait une atteinte au

26 CEDH, 20 janv. 2011, Haas c. Suisse, op. cit., § 54.


27 CEDH, 20 janv. 2011, Haas c. Suisse, op. cit., § 56.
28 CEDH, 20 janv. 2011, Haas c. Suisse, op. cit., § 53.
29 CEDH, 20 janv. 2011, Haas c. Suisse, op. cit., § 58.
30 CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, op. cit., § 39.
31 CEDH, 31 juill. 2001, Refah Partisi et autres c. Turquie, nos 41340/98 et autres, § 43 :

AJDA 2001, pp. 1060 et s., obs. J.-F. Flauss. Arrêt confirmé par une grande Chambre le
13 février 2003 : JDI 2004, pp. 712-713, obs. E. Decaux.
Revue Internationale de Droit Pénal (Vol. 82) 117

droit au respect de la vie privée, n’avait pas hésité à la considérer comme justifiée
dans un objectif de protection de la santé32. La Cour européenne elle-même avait
admis que la plupart des interventions médicales, si elles constituaient une
ingérence dans l’intégrité physique – considérée comme un aspect de la vie
privée –, étaient justifiées par la nécessité de protéger la santé et les droits de la
société en général ou de l’individu soumis au traitement en particulier. C’est ainsi
que dans une affaire Herczegfalvy c. Autriche33, les juges strasbourgeois avaient
estimé le recours à l’alimentation forcée compatible avec le respect de la vie
privée du requérant dans la mesure où il répondait à un impératif médical.
Conformément à cette jurisprudence, la protection de la santé – et donc celle de
l’intégrité physique et de la vie – constituait un intérêt juridique manifestement
supérieur au droit au respect de la vie privée, le consentement de la personne
concernée par d’éventuelles interventions médicales n’étant pas considéré
comme un élément à prendre en compte. La Cour européenne considérait alors
qu’il y avait un risque important à intégrer dans la protection de la santé le
consentement de l’intéressé en raison de la difficulté à distinguer un
consentement plein et entier, d’un consentement altéré par la peur, la souffrance,
les pressions ou le souci de libérer l’entourage34. Cette position était d’ailleurs
confortée par la Recommandation précitée de l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe aux termes de laquelle « le désir de mourir exprimé par un
malade incurable ou un mourant ne peut jamais constituer un fondement juridique
à sa mort de la main d'un tiers », ni « servir de justification légale à l'exécution
d'actions destinées à entraîner la mort »35.
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15. Avec les arrêts Pretty et Haas, le raisonnement de la Cour est donc
totalement inversé. Alors qu’auparavant la protection de la santé et de la vie
primait le consentement de l’intéressé, ce dernier prend aujourd’hui le pas sur la
première, au nom du droit à l’« autonomie personnelle ». Il est vrai que la Cour
considère toujours que la Convention impose aux autorités nationales
d’empêcher un individu de se donner la mort « si sa décision n’intervient pas
librement »36. Néanmoins, une telle affirmation renforce encore un peu plus la
position des personnes qui souhaitent mourir en toute connaissance de cause.
Désormais, c’est donc sur le consentement de l’intéressé que la Cour focalise

32 Com.EDH, déc., 10 déc. 1984, Acmanne et autres c. Belgique, n° 10435/83.


33 CEDH, 24 sept. 1992, Herczegfalvy c. Autriche, n° 10533/83.
34 V. s’agissant d’une personne âgée placée contre son gré dans un foyer afin de la

protéger, sans que sa faiblesse d'esprit n'ait été démontrée CEDH 26 févr. 2002, H. M. c.
Suisse, n° 39187/98 : JDI 2003, pp. 509-512, obs. E. Decaux et P. Tavernier.
35 Recommandation 1418 (1999) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe,

§ 9.
36 CEDH, 20 janv. 2011, Haas c. Suisse, op. cit., § 54.
118 International Review of Penal Law (Vol. 82)

son raisonnement, celui-ci étant à même d’imposer à l’État de mettre en place


une procédure adéquate afin d’abréger sa vie.
Pour les pénalistes, un tel renversement de conception implique une nécessaire
modification du raisonnement lié aux causes d’irresponsabilité. L’on enseigne
traditionnellement, en effet, que le consentement de la victime n’est jamais un
facteur d’exonération de responsabilité pénale, en particulier lorsque l’infraction
porte sur une valeur indisponible, telle que la vie ou l’intégrité physique. Une telle
affirmation apparaît manifestement dépassée dès lors que la Cour de Strasbourg
juge que, même lorsque le comportement de l’intéressé représente un risque
pour la santé ou lorsque l'on peut raisonnablement estimer qu'il revêt une nature
potentiellement mortelle, l'imposition par l'État de mesures contraignantes ou à
caractère pénal porte atteinte aux exigences conventionnelles37. Le
consentement de la victime devient alors une véritable cause d’irresponsabilité
pénale.
16. Une telle solution a d’ailleurs été expressément énoncée par la Cour de
Strasbourg en matière de pratiques sadomasochistes. S’inspirant de son arrêt
Pretty, elle a ainsi réaffirmé, d’une part, que « la faculté pour chacun de mener sa
vie comme il l'entend peut également inclure la possibilité de s'adonner à des
activités perçues comme étant d'une nature physiquement ou moralement
dommageables ou dangereuses pour sa personne », d’autre part, que « le droit
d'entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps,
partie intégrante de la notion d'autonomie personnelle » pour finalement conclure
que « le droit pénal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques
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sexuelles consenties qui relèvent du libre arbitre des individus » et qu'il faut « des
raisons particulièrement graves pour que soit justifiée, aux fins de l'article 8 § 2 de
la Convention, une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la
sexualité »38.
Certes, au bout du compte, la Cour de Strasbourg n’a pas constaté une violation
de l’article 8 de la Convention suite à la condamnation pénale des requérants qui
avaient infligé d’innommables sévices à leur victime. Mais, cet épilogue renforce
encore la portée du droit à l’« autonomie personnelle » puisque la Cour, pour
écarter tout constat de violation de la Convention, insiste sur le fait que les
requérants n'avaient pas respecté « les règles normalement reconnues pour ce
genre de pratiques »39, en particulier avaient poursuivi leurs violences alors que
la victime avait crié « pitié ! », mot par lequel il était convenu que les intéressés

37 V.not. CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, op. cit., § 62.


38 CEDH, 17 fév. 2005, K.A. et A.D. c. Belgique, nos 42758/98 et 45558/99 : D. 2006, pp.
1200 et s., obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; RSC 2006, pp. 662, obs. F. Massias ;
JDI 2006, pp. 1145-1146, obs. E. Decaux.
39 CEDH, 17 fév. 2005 K.A. et A.D. c/ Belgique, op. cit., § 36.
Revue Internationale de Droit Pénal (Vol. 82) 119

devaient mettre fin aux opérations en cours. De la sorte, la volonté individuelle se


trouve bel et bien érigée « en ultime rempart contre les dérives des autres »40 et,
inversement, devient la justification de telles dérives.
Or, comme pour ce qui concerne la protection de la vie, la Cour de Strasbourg
avait jusque-là développé une jurisprudence radicalement opposée à une telle
prise en compte du consentement de la victime comme cause d’irresponsabilité
pénale. Ainsi, dans son arrêt Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, elle
n’avait pas hésité à considérer que « l'un des rôles incontestablement dévolu à
l'État est la régulation, par le jeu du droit pénal, des pratiques qui entraînent des
dommages corporels. Que ces actes soient commis dans un cadre sexuel ou
autre n'y change rien »41. En matière sexuelle, comme ailleurs, l’accent était donc
mis sur la nécessaire protection de la santé et de la vie comme l’attestait un autre
arrêt ayant constaté une violation de l’article 8 de la Convention en ce que
l’interdiction de pratiques homosexuelles ne pouvait être justifiée en « l'absence
de toute considération de santé publique »42.
17. Cette évolution de la jurisprudence européenne, qui consiste à tirer les
conséquences les plus extrêmes du droit à l’« autonomie personnelle », doit être
critiquée pour deux raisons essentielles.
En premier lieu, parce qu’elle ouvre la voie vers la justification, tirée du
consentement de la victime, des actes et tortures les plus divers, voire du
meurtre, ce dernier acte étant celui censé procurer la plus grande jouissance
sexuelle43. Par ailleurs, rien ne s’oppose à ce qu’un individu monnaye sa
participation à de telles activités, ce qui était d’ailleurs le cas dans l’affaire
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précitée K. A. et A. D. c. Belgique. Dans de telles circonstances, sur le fondement
du droit au respect de la vie privée, la jurisprudence strasbourgeoise en vient à
admettre qu’un individu, qui n’a rien d’autre à vendre que son consentement, se
résigne à subir les pulsions des autres. Pourtant, comme le notait le juge Pettiti,
« la protection de la vie privée est la protection de l'intimité et de la dignité de la
personne et non la protection de l'indignité de celle-ci, la protection de

40 J.-P. Marguénaud, « Sadomasochisme et autonomie personnelle », RTD civ. 2005, pp.


341 et s.
41 CEDH, 19 fév. 1997, Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, nos 21627/93,

21826/93 et 21974/93, § 43.


42 CEDH, 31 juillet 2000, A.D.T. c. Royaume-Uni, n° 35765/97, § 38.
43 V. Sade, Les Cent-vingt journées de Sodome, in Œuvres complètes du marquis de

Sade, tome XIII-XIV, Editions tête de feuilles, 1973, p. 14 : « Le secret n'est


malheureusement que trop sûr, et il n'y a pas de libertin un peu ancré dans le vice qui ne
sache combien le meurtre a d'empire sur les sens et combien il détermine
voluptueusement une décharge ». Cité par M. Fabre-Magnan, « Le sadisme n'est pas un
droit de l'homme » (note sous CEDH, 17 février 2005, K. A. et A. D. c. Belgique), op cit..
120 International Review of Penal Law (Vol. 82)

l'immoralisme délictuel »44. Par ailleurs, une telle solution, qui procède d’un
libéralisme exacerbé, contraste singulièrement avec celle dégagée par le Comité
des droits de l’Homme des Nations-Unies qui, dans l’affaire française du « lancer
de nain »45 a admis que l’on puisse interdire ce type de pratique, malgré le
consentement de l’intéressé, « afin de protéger l’ordre public, celui-ci faisant
notamment intervenir des considérations de dignité humaine qui sont compatibles
avec les objectifs du Pacte »46.
En second lieu, l’évolution de la jurisprudence européenne est critiquable en ce
qu’elle évoque un « droit à l’autonomie personnelle ». La faculté de se suicider ne
devrait pas être qualifiée comme tel dès lors qu’elle ne relève que d’un rapport à
soi-même47. En effet, « si le droit purement personnel est le droit portant sur sa
propre personne, il n'en découle pas que l'on a le droit de se suicider. Il résulte
seulement de cette conception que le suicide n'est pas un acte illicite, c'est-à-dire
que cette auto-lésion est une cause d'exclusion de l'anti-juridicité, de l'élément
injuste de l'infraction. Le suicide, et sa tentative, ne constituent pas par
conséquent une infraction, un crime, mais on n'a pas le droit de le commettre. La
raison en est que ce serait un abus du droit d'existence, ou de non-existence. Le
suicide n'est pas de cette façon un des droits de l'Homme »48. Pourtant, dans son
arrêt Haas c. Suisse, la Cour de Strasbourg n’hésite pas à évoquer une
« obligation positive », à la charge de l’État, de mise en place d’une procédure
permettant à l’individu qui le souhaite de mettre fin à ses jours. De la sorte, les
juges européens ouvrent la voie à un possible engagement de la responsabilité
de l’État qui n’aurait pas pleinement satisfait cette obligation, le requérant
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invoquant alors un préjudice de (sur)vie. L’on est bien loin alors du texte de
l’article 2 de la Convention selon lequel « le droit de toute personne à la vie est
protégé par la loi » …

44 Opinion concordante du juge Pettiti sous CEDH, 19 fév. 1997, Laskey, Jaggard et Brown
c. Royaume-Uni, nos 21627/93, 21826/93 et 21974/93
45 CE, ass., 27 oct. 1995, n° 136727, Commune de Morsang-sur-Orge et CE, ass., 27 oct.

1995, n° 143578 Ville d'Aix-en-Provence : RFDA 1995, pp. 1204 et s., concl. P. Frydman ;
AJDA 1995, pp. 878 et s., chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux.
46 Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, 26 juil. 2002, Wackenheim c. France,

n° 854/1999, § 7(4) : RTDH 2003, pp. 1017 et s., note M. Levinet. Il est à noter, par
ailleurs, que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme
d’asservissement ou de dégradation a été élevée au rang de principe à valeur
constitutionnelle par le Conseil constitutionnel : Cons. const., déc. n° 94-343/344 DC du 27
juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation
des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au
diagnostic prénatal.
47 M. Fabre-Magnan, « Le sadisme n'est pas un droit de l'homme » (note sous CEDH, 17

février 2005, K. A. et A. D. c. Belgique), op cit.


48 T. Givanovitch, « Le suicide est-il un des droits de l'homme ? », RID pén. 1952, p. 410.
Revue Internationale de Droit Pénal (Vol. 82) 121

18. Le « droit à l’autonomie personnelle » recèle donc d’insoupçonnées


potentialités puisqu’il est de nature, non seulement à remettre en cause un
certain nombre d’interdits – tels que les actes de torture consentis par la victime
dans un objectif de jouissance sexuelle –, mais aussi à obliger les États à
légiférer afin de rendre possibles des pratiques jusque-là ignorées du droit49. Mais
alors, pour s’en tenir à l’euthanasie, il s’agit d’évoquer la question de la mise en
œuvre de ce nouveau droit de choisir sa mort.
II. L’effectivité nuancée du droit de choisir sa mort
19. Selon la Cour de Strasbourg, ce n’est pas parce qu'un système est conforme
aux exigences européennes, qu'un système différent n’y est pas conforme. Ainsi,
« même si l'on devait juger non contraire à […] la Convention la situation
prévalant dans un pays donné qui autoriserait le suicide assisté »50, cela ne
permettrait pas, pour autant, de considérer qu’un État qui ne l’autoriserait pas
méconnaîtrait les exigences conventionnelles. Cette affirmation résume
parfaitement la position de la Cour de Strasbourg quant à l’effectivité du droit de
choisir sa mort, en tant que résultante de l’« autonomie personnelle » déduite du
droit au respect de la vie privée. En effet, se fondant sur le critère modérateur de
l’interprétation de la Convention tiré de la « marge nationale d’appréciation », la
Cour adopte une jurisprudence « ni-ni »51, le droit à mourir étant, dans son
effectivité, « ni garanti » (A.), « ni interdit » (B.) par la Convention.
– Un droit non garanti : la liberté de choix des États
20. Après avoir considéré, dans l’affaire Pretty, que l’interdiction faite à la
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requérante d’être assistée dans son suicide constituait une atteinte à son droit au
respect de la vie privée, la Cour de Strasbourg devait se prononcer sur la

49 V. not. CEDH 11 sept. 2007, Tremblay c/ France, n° 37194/02 : RTD civ. 2007, pp. 730
et s., obs. J.-P. Marguénaud ; JDI 2008, pp. 804-805, obs. D. Lemétayer. Dans cet arrêt, la
Cour européenne n’hésite pas à affirmer que la prostitution est incompatible avec les droits
et la dignité de la personne humaine dès lors qu'elle est contrainte (§ 25), ouvrant la voie à
une interprétation a contrario. Par le jeu de l’« autonomie personnelle », la prostitution
devient donc une pratique conforme aux droits de l’Homme qui, en vertu de l’obligation
positive faite aux États, devrait être organisée par lui …
50 CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, op. cit., § 41. De la sorte, la Cour de

Strasbourg rejoint la position adoptée par Lord Bingham of Cornhill, membre de la


Chambre des Lords britannique selon laquelle, « il ne suffit pas que Madame Pretty
démontre que le Royaume-Uni n'agirait pas en méconnaissance de la Convention s'il
devait autoriser l'aide au suicide, il lui faut aller plus loin et établir que le Royaume-Uni
viole la Convention en n'autorisant pas le suicide assisté ». V. également, de manière
implicite : CEDH, déc., 16 déc. 2008, Ada Rossi et autres c. Italie, nos 55185/08 et autres.
51 V. N. Hervieu, Lettre « Actualités droits-libertés » du 21 janvier 2011, CREDOF,

Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense : https://listes.cru.fr/sympa/arc/droits-


libertes/2011-01/msg00009.html
122 International Review of Penal Law (Vol. 82)

justification de cette ingérence au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la


Convention. Ayant rapidement démontré que l’ingérence était prévue par la loi et
poursuivait un objectif légitime – celui de préserver la vie et donc les droits
d’autrui –, les juges européens devaient déterminer si cette ingérence était
« nécessaire dans une société démocratique ». Sur ce point, l’argumentation de
la requérante consistait à dénoncer le caractère général – et donc
disproportionné – de l’interdiction de choisir sa mort qui empêche la prise en
compte de la volonté de personnes saines d’esprit ayant pris une décision de
façon délibérée et en parfaite connaissance de cause. À l’inverse, le
gouvernement britannique soutenait que les malades en phase terminale, à
l’instar de Madame Pretty, sont par définition vulnérables et, par conséquent,
inaptes à donner un consentement libre et éclairé.
En la matière, s’appuyant sur différents éléments factuels, la Cour admet que la
requérante ne pouvait être qualifiée de personne vulnérable. Pour autant, elle ne
considère pas qu’il y ait eu une ingérence disproportionnée dans son droit à
l’« autonomie personnelle ». Pour ce faire, la Cour souligne que, si « la marge
d'appréciation a été jugée étroite en ce qui concerne les ingérences dans le
domaine intime de la vie sexuelle des individus […], la question soulevée en
l'espèce ne peut être considérée comme étant de même nature ou comme
appelant le même raisonnement »52. Elle admet donc qu’une large marge
d’appréciation peut être reconnue aux États dans le domaine du suicide assisté.
Elle en vient même à leur laisser, concrètement, une totale liberté puisqu’elle
admet qu’une personne considérée comme parfaitement consciente de ses actes
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et de ses choix puisse se voir refuser le droit de choisir sa mort53.
21. En statuant de la sorte, les juges européens ne peuvent que susciter la
perplexité. À quoi bon déduire de l’article 8 de la Convention un droit à
l’« autonomie personnelle », englobant le droit de choisir sa mort, pour finalement
le dénier à une requérante ne relevant pas de la catégorie des personnes
vulnérables ? Une telle position de la Cour de Strasbourg revient à affirmer
l’existence simplement « théorique et illusoire » d’un droit alors que, d’après sa
jurisprudence traditionnelle, la Convention doit toujours être interprétée de

52 CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, op. cit., § 71.


53 C’est également la raison pour laquelle la Cour écarte l’argument de la requérante tiré
de la violation de l’article 14 de la Convention, combine avec l’article 8, en ce qu’elle serait
moins bien traitée que les personnes capables de mettre fin à leurs jours sans assistance
parce qu'aucun handicap ne les prive de cette possibilité. À cet égard, le rejet par le Sénat
français, le 25 janvier 2011, d’une proposition de loi relative à l’aide active à mourir ne
semble pas heurter les exigences conventionnelles : F. Vialla, « Vers un acte « médico-
létal » ? », JCP G. 2011, n° 98.
Revue Internationale de Droit Pénal (Vol. 82) 123

manière à garantir des droits « concrets et effectifs »54. Il y a là un véritable


« divorce entre le "dire" et le "faire" »55.
Cette solution paradoxale trouve très certainement son fondement dans la crainte
ressentie par la Cour de voir se concrétiser un tel droit de choisir sa mort. En
effet, insistant sur son influence grandissante à l’égard des Hautes parties
contractantes, elle apparaît soucieuse de ne pas créer un précédent général56.
C’est donc impressionnée par sa propre audace que la Cour dégage finalement
une solution en défaveur de l’argumentation de la requérante. Concrètement, la
Cour refuse d’ouvrir « trop facilement les portes de l'euthanasie aux personnes
vulnérables à partir du cas exemplaire d'une requérante dont la lucidité et la saine
détermination forçaient l'admiration »57. Pour autant, cette solution revient à
maintenir, voire à rendre imprévisible l’issue d’affaires relatives au droit de choisir
sa mort.
22. Tout d’abord, l’arrêt Pretty revient à maintenir une certaine imprévisibilité pour
les potentiels requérants. En effet, pour refuser de constater une violation de
l’article 8 de la Convention, la Cour s’appuie sur la jurisprudence britannique
relative à la mise en œuvre de la prohibition du suicide assisté. Elle insiste ainsi
sur le fait que, entre 1981 et 1992, dans vingt-deux affaires où était soulevée la
question de l'« homicide par compassion », les juges n'avaient prononcé qu'une
seule condamnation pour meurtre, assortie d'une peine d'emprisonnement à vie,
« des qualifications moins graves ayant été retenues dans les autres affaires, qui
s'étaient soldées par des peines avec mise à l'épreuve ou avec sursis »58.
Certes, l’on peut considérer que la justice interne est la mieux placée pour
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évaluer l'intégrité du consentement de la personne concernée et, en adaptant la
peine dans le cas où elle aurait jugé nécessaire de poursuivre, faire respecter le
principe de proportionnalité59. Il n’en demeure pas moins qu’en admettant qu’une
personne, qui n’était pas qualifiée de « vulnérable », ait pu se voir refuser le droit
de choisir sa mort, pourtant reconnu comme une résultante de l’article 8 de la
Convention, la Cour laisse entendre aux États qu’ils disposent d’une totale liberté
dans la mise en œuvre de ce droit. Or, cette liberté se concrétise, comme le
montre la lecture de l’arrêt Pretty, par de considérables différences entre
décisions internes, notamment pour ce qui concerne les peines prononcées, alors

54 CEDH, 9 oct. 1979, Airey c. Irlande, n° 6289/73, § 24.


55 S. Van Drooghenbroeck, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne
des droits de l'homme. Prendre l'idée simple au sérieux, Bruxelles, Bruylant et Publications
des Facultés universitaires Saint-Louis, 2001, p. 544.
56 CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, op. cit., § 75.
57 J.-P. Marguénaud, « Sadomasochisme et autonomie personnelle », op. cit..
58 CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, op. cit., § 76.
59 V. not. A. Prothais, « Notre droit pénal permet plus qu’il n’interdit en matière

d’euthanasie », JCP G. 2011, n° 536.


124 International Review of Penal Law (Vol. 82)

que les faits jugés apparaissent manifestement similaires. La position des juges
européens cadre donc mal avec le principe de légalité pénale duquel ils
déduisent l’exigence de prévisibilité de la loi, mais aussi de la jurisprudence60.
23. Ensuite, la solution dégagée dans l’arrêt Pretty revient à créer une certaine
imprévisibilité pour les États. En effet, alors que dans d’autres affaires elle a
admis l’existence d’une marge nationale d’appréciation dans la mise en œuvre de
l’article 2 de la Convention61, la Cour européenne refuse d’adopter un
raisonnement identique pour déduire de cette stipulation un éventuel droit à la
mort, sorte de « décalque en négatif » du droit à la vie. Elle y parvient, malgré
tout, en ayant recours à l’article 8 de la Convention dont elle déduit un droit à
l’« autonomie personnelle ». Pour autant, elle considère que les États ne sont pas
liés par ce nouveau droit de choisir sa mort ! Raisonnement pour le moins
alambiqué et étrange qui consiste à « forcer » l’interprétation d’une stipulation de
la Convention pour, ensuite, indiquer qu’elle ne lie pas les États.
Si les mots ont un sens, déduire de l’article 8 de la Convention un droit à mourir
signifie que, tôt ou tard, ce droit pourra efficacement être opposé aux États. Or, la
jurisprudence actuelle de la Cour de Strasbourg, qui consiste à faire référence à
la marge nationale d’appréciation pour refuser tout constat de violation de la
Convention, revient à laisser les États dans une inconfortable expectative. Certes,
une telle démarche permet de respecter la diversité des droits nationaux sur une
question éminemment sensible parce qu’empreinte de morale et d’éthique. Mais,
n’aurait-il pas alors été plus simple de s’en tenir au refus de déduire du droit à la
vie un droit à mourir plutôt que de rebondir sur le terrain de l’article 8 et du
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prétendu droit à l’« autonomie personnelle » dont nous avons déjà souligné les
dangers ?
– Un droit non interdit : le « tout ou rien » de la Cour de Strasbourg
24. En opposition apparente avec la liberté de choix laissée aux États, la Cour de
Strasbourg, dans son arrêt Haas c. Suisse, n’hésite pas à déduire de l’article 8 de

60 CEDH, 22 nov. 1995, C.R. et S.W. c. Royaume-Uni, nos 20190/92 et 20166/92 ; CEDH,

10 oct. 2006, Pessino c. France, n° 40403/02 : D. 2007, pp. 124 et s., note D. Roets ; JDI
2007, pp. 712-715. V. également O. Bachelet, « Les revirements de jurisprudence,
problèmes d’application dans le temps » (commentaire sous CEDH, Pessino c/ France du
10 octobre 2006), in La France et la Cour européenne des droits de l’Homme. La
jurisprudence en 2006 (sous la direction de P. Tavernier), Bruylant, 2008, pp. 163-172.
61 V. not. CEDH, 8 juil. 2004, Vo c. France, n° 53924/00 : D. 2004, pp. 2801 et s., note E.

Serverin ; JDI 2005, pp. 501-505, obs. I. Moulier. Constatant, notamment, la diversité des
règles juridiques applicables à la recherche sur l'embryon humain, la Cour estime qu'il en
résulte « que le point de départ du droit à la vie relève de la marge d'appréciation des
États dont la Cour tend à considérer qu'elle doit leur être reconnue dans ce domaine,
même dans le cadre d'une interprétation évolutive de la Convention, qui est un instrument
vivant, à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles » (§ 82).
Revue Internationale de Droit Pénal (Vol. 82) 125

la Convention une « obligation positive », à la charge de l’État, de mettre en place


une procédure permettant à l’individu qui le souhaite de mettre fin à ses jours.
Néanmoins, certainement embarrassée par une telle prise de position, la Cour en
nuance immédiatement la portée. Reprenant en substance l’arrêt Pretty, elle
souligne, en effet, qu’en l’absence d’un consensus entre les États membres du
Conseil de l’Europe sur la question du droit au suicide, ceux-ci disposent d’une
« considérable » marge d’appréciation62. Bien plus, les juges européens
n’hésitent pas à se contredire en instillant le doute quant à l’existence véritable
d’une « obligation positive » à la charge des États63.
Ces hésitations mènent, en l’espèce, la Cour à écarter tout constat de violation de
l’article 8 de la Convention. Elle admet, en effet, que les autorités suisses aient
mis en place un encadrement strict de la délivrance d’une substance mortifère, en
la conditionnant à l’obtention d’une prescription médicale, dans la mesure où il
s’agit de protéger les individus d’une prise de décision précipitée, ainsi que de
prévenir des abus, notamment d’éviter qu’un patient incapable de discernement
obtienne une telle substance. Dès lors, insistant sur le fait que le requérant n’a
pas accompli toutes les démarches utiles en droit interne, la Cour refuse de
considérer que son droit de choisir le moment et la manière de mourir ait été
méconnu.
25. En complétant cette solution avec celle dégagée dans l’arrêt Pretty, la
position adoptée par la Cour européenne est donc celle du « tout ou rien ». En
effet, de deux choses l’une. Soit l’État ne permet pas au requérant de mettre fin à
ses jours, faute d’avoir reconnu l’existence d’un tel droit de choisir sa mort : la
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marge nationale d’appréciation lui permet alors d’éviter un constat de violation de
l’article 8. Soit l’État a effectivement consacré un droit à la mort : il doit alors avoir
mis en place une procédure ad hoc permettant aux individus qui le souhaitent de
bénéficier d’une assistance au suicide.
En adoptant une telle jurisprudence, la Cour de Strasbourg apparaît donc à la
remorque des États parties, se contentant d’intégrer les choix nationaux relatifs à
la reconnaissance, ou non, d’un droit à la mort. L’on est alors bien loin du rôle de
pionnier qui est attendu d’une Cour en charge de protéger les droits de l’Homme
par l’application d’une Convention dont les objectifs, évoqués dans son
préambule, sont de réaliser « une union plus étroite » entre les États et de
favoriser « la sauvegarde et le développement des […] des libertés
fondamentales ».
Il est, par ailleurs, possible de s’interroger : en consacrant, un droit au suicide,
voire une « obligation positive » faite à l’État de favoriser la mort de celui qui le
souhaite, la Cour européenne reste-t-elle véritablement fidèle à l’esprit des

62 CEDH, 20 janv. 2011, Haas c. Suisse, op. cit., § 55.


63 CEDH, 20 janv. 2011, Haas c. Suisse, op. cit., § 61.
126 International Review of Penal Law (Vol. 82)

rédacteurs de la Convention qui, conscients de risques éventuels de dérives, ont


prévu, dans l’article 17 de ce texte, qu’« aucune des dispositions de la présente
Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un
groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou
d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la
présente Convention » ?
26. Finalement, si la Cour de Strasbourg a jusque-là refusé d’admettre la
concrétisation du droit de choisir sa mort dans les cas d’espèce qui lui ont été
soumis, elle en a néanmoins expressément affirmé l’existence sur le fondement
d’un prétendu droit à l’« autonomie personnelle ». Pour l’instant demeuré à l’état
embryonnaire en raison de la marge nationale d’appréciation laissée aux États
dans sa mise en œuvre, la reconnaissance d’un tel droit, d’une telle « liberté pour
la mort »64, interroge sur les limites du pouvoir d’interprétation de la Convention
par la Cour.

SUMMARY
Although the European Court of Human Rights refuses to deduce from the right to life "a
diametrically opposite right, namely a right to die", the Court firmly confirms a right to
choose one’s death as a result of the "personal autonomy" provided for in article 8 of the
Convention. Nevertheless, the margin of appreciation granted to the member states in the
implementation of this right qualifies its effectiveness without necessarily dispelling the
fears related to the recognition of such a "negative right".
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RÉSUMÉ
Bien qu’elle refuse de déduire du droit à la vie un « droit diamétralement opposé, à savoir
un droit à mourir », la Cour européenne des droits de l’Homme n’hésite pas à consacrer un
droit de choisir sa mort en tant que résultante de l’« autonomie personnelle » issue de
l’article 8 de la Convention. Malgré tout, la marge d’appréciation reconnue aux États dans
la mise en œuvre de ce droit vient en nuancer l’effectivité sans, pour autant, dissiper les
craintes liées à la reconnaissance d’un tel « droit négatif ».

64 B. Edelman, « L'arrêt Perruche : une liberté pour la mort ? », D. 2002, pp. 2349 et s.
Revue Internationale de Droit Pénal (Vol. 82) 127

RESUMEN
Si bien el Tribunal Europeo de Derechos Humanos rechaza que se pueda deducir del
derecho a la vida un “derecho diametralmente opuesto, a saber, el derecho a morir”, no
duda en consagrar un derecho a elegir la muerte que deduce de la “autonomía personal”
regulada en el artículo 8 del Convenio. Sin embargo, el margen de apreciación del que
disponen los Estados en la aplicación de este derecho viene a matizar su efectividad y no
disipa, por el contrario, los temores relacionados con el reconocimiento de un "derecho
negativo".
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