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Procédures fiscales 189

Procédures de rectification
189 Taxation d’office pour défaut de déclaration : dispense de
mise en demeure en cas de découverte d’une activité occulte,
sauf si le contribuable justifie avoir commis une erreur
Il résulte de l’article L. 68 du LPF dans sa rédaction alors l’article L. 73 du Livre des procédures fiscales :” Peuvent être évalués d’office :
en vigueur que la procédure de taxation d’office n’est [...] 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non
applicable que si le contribuable n’a pas régularisé sa commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à
situation dans les trente jours de la notification d’une l’article 97 du Code général des impôts n’a pas été déposée dans le délai légal
[...] ». L’article L. 68 du même livre, dans sa rédaction applicable à la procédure
mise en demeure, mais que cette dernière n’est pas
d’imposition en litige, prévoit que : « La procédure de taxation d’office prévue
nécessaire lorsque le contribuable ne s’est pas fait aux 2° et 5° de l’article L. 66 n’est applicable que si le contribuable n’a pas
connaître d’un centre de formalités des entreprises ou du régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d’une mise en
greffe du tribunal de commerce. demeure. Toutefois, il n’y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : [...] 3°
Dans le cas où un contribuable n’a ni déposé dans le délai si le contribuable ne s’est pas fait connaître d’un centre de formalités des
légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire, ni fait entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ou s’il s’est livré à une activité
connaître son activité à un centre de formalités des illicite [...] ». Dans le cas où un contribuable n’a ni déposé dans le délai légal les
entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son déclarations qu’il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un
activité est réputée occulte s’il n’est pas en mesure centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son
d’établir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se activité est réputée occulte s’il n’est pas en mesure d’établir qu’il a commis
une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations
soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives.
déclaratives.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’administra-
CE, 9e et 10e ch., 4 déc. 2019, n° 420488, concl. É. Bokdam-Tognetti, Juris- tion fiscale a évalué d’office les revenus de M. A issus de son activité de joueur
Data n° 2019-022047
de poker exercée au cours des années 2008 à 2010 et imposables dans la
Mentionné aux tables du recueil Lebon catégorie des bénéfices non commerciaux, sans l’avoir préalablement mis en
Décisions antérieures : TA Bastia, 17 nov. 2016, n° 1500361 ; CAA Mar- demeure de déposer les déclarations afférentes à cette activité. En jugeant
seille, 8 mars 2018, n° 16MA04554 que l’Administration n’était pas tenue de procéder à cette mise en demeure au
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à l’issue d’un motif que M. A ne s’était pas fait connaître d’un centre de formalité des
examen de sa situation fiscale personnelle et d’une vérification de comptabi- entreprises ou d’un greffe de tribunal de commerce et n’avait pas déposé la
lité, M. A a été assujetti à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le déclaration prévue à l’article 97 du Code général des impôts au titre des
revenu et de contributions sociales ainsi que des pénalités correspondantes années en litige, alors que le contribuable établissait que l’absence de sous-
au titre des années 2008 à 2010 selon la procédure d’évaluation d’office cription de déclaration devait être regardée comme une erreur justifiant qu’il ne
prévue à l’article L. 73 du Livre des procédures fiscales à raison des revenus se soit pas acquitté de ses obligations dès lors que ce n’est que postérieure-
non déclarés tirés d’une activité de joueur de poker. La cour administrative ment aux années d’imposition en litige que la jurisprudence et l’administration
d’appel de Marseille a partiellement fait droit à l’appel de M. A contre le fiscale ont expressément estimé que de tels gains étaient, dans certaines
jugement du tribunal administratif de Bastia ayant rejeté sa demande de conditions, imposables à l’impôt sur le revenu, la cour a commis une erreur de
décharge de ces suppléments d’imposition, d’une part, en réduisant les bases droit. Par suite, M. A est fondé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
imposables de M. A au titre des années 2009 et 2010, d’autre part, en le moyens du pourvoi, à demander l’annulation de l’article 5 de l’arrêt qu’il
déchargeant de la majoration pour activité occulte qui lui a été infligée, en attaque.
application du c du 1 de l’article 1728 du Code général des impôts, au titre des [...]
années 2008 à 2010. M. A se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant
qu’il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Sur l’étendue du litige : CONCLUSIONS
2. Postérieurement à l’enregistrement du pourvoi, le ministre de l’action et des
comptes publics a consenti à M. A, le 15 avril 2019, le dégrèvement de la 1 – Exercer une activité sans s’être fait connaître du tribunal de
totalité des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à sa commerce ou d’un centre de formalités des entreprises expose un
charge au titre de l’année 2008, en droits et pénalités. Dans la limite de ce contribuable à toutes sortes de fâcheux désagréments tels qu’une ma-
dégrèvement, les conclusions du pourvoi sont devenues sans objet. Il n’y a pas joration des droits de 80 %, un délai de prescription allongé, porté à
lieu, dans cette mesure, d’y statuer. dix ans au lieu de trois, ou encore l’absence d’envoi d’une mise en
Sur le surplus des conclusions du pourvoi : demeure avant taxation d’office.
3. Aux termes de l’article 97 du Code général des impôts : « Les contribuables En ce qui concerne la pénalité de 80 %, le fondement légal en est à
soumis obligatoirement ou sur option au régime de la déclaration contrôlée sont trouver au c du 1 de l’article 1728 du CGI, prévoyant l’application
tenus de souscrire chaque année, dans des conditions et délais prévus aux d’une telle majoration « en cas de découverte d’une activité occulte ».
articles 172 et 175, une déclaration dont le contenu est fixé par décret “. Selon Tirant les conséquences des réserves d’interprétation émises par le

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Conseil constitutionnel dans une décision du 29 décembre 1999 sément refusé en plénière de qualifier cette soupape d’élément inten-
(Cons. const., 29 déc. 1999, n° 99-424 DC, Loi de finances pour 2000 : tionnel ou moral de l’infraction punie à l’article 1728, faisant ainsi de
Rec. Cons. const. 1999, p. 156 ; RJF 2/2000, n° 248, chron. J. Maïa, l’erreur du contribuable une hypothèse d’absence objective d’exer-
p. 99 ; AJDA 2000, p. 37, note J.-E. Schoettl ; RJC 1999, I, p. 871), mais cice d’une activité occulte au sens de l’article L. 169 du LPF.
aussi des travaux préparatoires de l’article 103 de la loi de finances 2 – La question posée par le litige est celle d’une éventuelle prolon-
pour 2000 et de la gravité du taux de cette pénalité, vous avez jugé, gation de cette jurisprudence à la troisième conséquence d’un défaut
d’une part, que la notion d’exercice d’une activité occulte au sens de d’enregistrement auprès d’un CFE ou du greffe du tribunal de
l’article 1728 supposait, conformément à la définition figurant à l’ar- commerce : celle tenant à l’absence de mise en demeure avant taxa-
ticle L. 169 du LPF, la satisfaction d’une double condition d’absence tion ou évaluation d’office. L’effet « toboggan » est-il ici, comme il
de dépôt dans le délai légal de ses déclarations fiscales par le contri- l’était pour l’application de l’article L. 169 du LPF, irrésistible ?
buable et d’absence de déclaration de son activité auprès d’un centre La cour administrative d’appel de Marseille a, dans la présente
de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. affaire, jugé qu’il ne l’était pas. Celle de Nantes a, à l’inverse, dans un
Vous avez jugé, d’autre part, que la preuve de l’exercice d’une telle arrêt mentionné à la RJF, fait le grand plongeon (CAA Nantes, 1re ch.,
activité occulte repose sur l’Administration. Vous avez considéré, 16 mai 2019, n° 17NT03254 : JurisData n° 2019-024070 ; Dr. fisc.
enfin, que lorsqu’un contribuable n’a pas satisfait à cette double obli- 2020, n° 5, chron. 122,Th. Jouno, spéc. n° 32 ; RJF 11/2019, n° 1067 ; FR
gation déclarative (de ses revenus et de son activité),l’Administration 39/19 inf. 10 p. 16, concl. T. Jouno).
doit être réputée apporter la preuve de l’exercice d’une activité occulte La transposition est moins évidente que pour l’article L. 169 du
« si le contribuable n’est pas lui-même en mesure d’établir qu’il a LPF, et plusieurs éléments pourraient conduire à hésiter.
commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ces Le premier tient à la rédaction même de l’article L. 68 du LPF dans
obligations déclaratives » (CE, plén. fisc., 7 déc. 2015, n° 368227, min. sa version applicable à l’espèce, c’est-à-dire antérieure aux modifica-
c/ Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL : lebon, p. 423 ; Dr. fisc. 2016, n° 23, tions apportées par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à
comm. 370, concl. F. Aladjidji, note A. Bonnet ; RJF 2/2016, n° 160, la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique
chron. N. Labrune, p. 129). et financière.
Il s’agissait ainsi, via ce mécanisme de présomption atténué par Aux termes de cet article, « La procédure de taxation d’office prévue
l’introduction pour le contribuable d’une soupape en cas aux 2° et 5° de l’article L. 66 n’est applicable que si le contribuable n’a
d’« erreur », de concilier la nature objective des manquements décla- pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d’une
ratifs visés par le texte, s’opposant à un raisonnement faisant appel à mise en demeure. Toutefois, il n’y a pas lieu de procéder à cette mise en
l’élément intentionnel classique de la bonne foi, l’attribution à l’Ad- demeure : [...] 3° Si le contribuable ne s’est pas fait connaître d’un centre
ministration de la charge de la preuve, et la gravité de la pénalité de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ou s’il
prononcée. s’est livré à une activité illicite ». L’article L. 68 du LPF n’employant
Alors que cette jurisprudence pouvait paraître reposer en large pas l’expression « exercice d’une activité occulte », on pourrait être
part sur l’éclairage offert par les travaux préparatoires dont les dispo- tenté d’en rester à l’application de la condition purement objective
sitions de l’article 1728 du code sont issues et sur les exigences décou- posée au 3°, c’est-à-dire l’absence de déclaration auprès d’un CFE ou
lant de la nature de sanction de la majoration ainsi instituée, vous du tribunal de commerce, que cette absence procède ou non d’une
l’avez ensuite étendue à l’application du délai spécial de reprise prévu erreur.
par le deuxième alinéa de l’article L. 169 du LPF en cas d’exercice Le second élément tient à la radicalité des conséquences d’une
d’une activité occulte. transposition, à sa sévérité pour le service et aux difficultés pratiques
Ainsi, dans une décision du 21 juin 2018 (CE, 10e et 9e ch., 21 juin en résultant pour l’Administration.
2018, n° 411195, Dhorasoo : JurisData n° 2018-010592 ; Dr. fisc. 2019, À la différence de la mise en œuvre par le service de son délai
n° 22, comm. 284 ; Procédures 2018, comm. 278, note O. Négrin ; RJF spécial de reprise par l’établissement de suppléments d’impôts après
10/2018, concl. É. Crépey C 991), vous avez jugé que, dans le cas où un l’expiration du délai de 3 ans, ou encore de l’infliction d’une pénalité
contribuable n’a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu’il de 80 % en cas de découverte d’une activité occulte, qui ne se pro-
était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de duisent en règle générale qu’après certains échanges entre l’Adminis-
formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son tration et le contribuable au cours desquels le service peut prendre
activité est réputée occulte au sens de l’article L. 169 du LPF s’il n’est conscience de ce que la méconnaissance par le contribuable de ses
pas en mesure d’établir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se obligations déclaratives procède d’une erreur et en tirer les consé-
soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives. Vous en avez quences, soit en s’abstenant d’imposer si le délai de reprise est expiré,
déduit, dans cette espèce dans laquelle l’administration fiscale avait soit en ne prononçant pas de sanction, la mise en œuvre de la procé-
fait usage du délai spécial de reprise pour imposer les gains réalisés en dure de taxation d’office n’est pas nécessairement précédée de tels
2009 par un contribuable à raison de son activité de joueur de poker, échanges. Elle ne le sera que lorsqu’elle fait suite à un ESFP ou à une
qu’une cour avait sans erreur de droit jugé ce délai inapplicable au procédure de vérification. La dispense de mise en demeure à l’égard
motif que le contribuable établissait que l’absence de déclaration de- des contribuables ne s’étant pas fait connaître d’un CFE ou du greffe
vait être regardée comme une erreur justifiant qu’il ne se soit pas du tribunal de commerce ayant pour objet de permettre l’engage-
acquitté de ses obligations,dès lors que ce n’est que postérieurement à ment immédiat de la procédure de taxation d’office en cas d’absence
l’année 2009 que la jurisprudence et l’administration fiscale ont ex- de dépôt des déclarations fiscales dans le délai légal, il pourrait pa-
pressément estimé que de tels gains étaient, dans certaines condi- raître contre-intuitif de subordonner la régularité d’une telle dis-
tions, imposables à l’impôt sur le revenu. pense de mise en demeure à l’absence de démonstration par le
Sur le plan des principes, l’extension à l’application de l’article contribuable de ce que l’inaccomplissement de ses obligations décla-
L. 169 du LPF de la soupape de « l’erreur » dégagée en plénière sem- ratives procédait d’une erreur de sa part – ce qui revient à inciter
blait en effet, bien qu’il ne s’agît pas d’une sanction, difficilement l’Administration à retarder cette mise en œuvre par des échanges
évitable, dès lors d’une part, que vous avez renvoyé pour l’application préalables voire à user systématiquement au moindre doute de la
de la pénalité de l’article 1728 à la définition de l’activité occulte mise en demeure. Il pourrait sembler excessif de permettre à un
énoncée à l’article L. 169 du LPF, et d’autre part, que vous avez préci- contribuable de faire tomber la totalité d’un redressement en se pré-

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valant, le cas échéant pour la première fois au stade contentieux, de ce contribuable en amont sur les motifs de ses défaillances déclaratives
qu’il a commis une erreur justifiant l’absence d’accomplissement de avant de décider de se dispenser de mise en demeure avant taxation ou
ses obligations et de ce que l’Administration aurait dû lui adresser une évaluation d’office, soit qu’elle adresse par prudence, comme il le lui
mise en demeure préalablement à la taxation d’office, alors que le est toujours loisible, une telle mise en demeure au contribuable. Dans
service n’avait pas connaissance de ces éléments lorsqu’il a engagé la un cas comme dans l’autre, seul le caractère expéditif de la procédure
procédure. sera atténué, mais la session de rattrapage ainsi offerte au contri-
Enfin, si la procédure de taxation d’office est brutale pour un buable ne lui permettra pas d’échapper à l’impôt : seulement, le cas
contribuable et est dérogatoire du droit commun de la procédure de échéant, de régulariser sa situation et de déclarer ses revenus pour
rectification contradictoire, elle ne présente pas le même degré d’ex- échapper à leur évaluation et imposition d’office.
ception que la mise en œuvre de l’article 1728, aboutissant à une 3 – Dans ces conditions, et dès lors que l’absence de mise en de-
majoration de 80 %, ou du délai spécial de reprise, permettant d’éta- meure constitue une dérogation au droit commun de la taxation et de
blir des droits supplémentaires qui seraient en principe atteints par la l’évaluation d’office devant par suite faire l’objet d’un strict canton-
prescription. N’est en effet en cause que la procédure d’établissement nement, nous vous invitons à juger que l’Administration peut régu-
des droits au principal, et dans le délai de droit commun. L’on pour- lièrement, en application des dispositions combinées des articles
rait considérer la consécration d’une « soupape » moins essentielle L. 73 et L. 68 du LPF, évaluer d’office sans mise en demeure préalable
que dans ces autres dispositifs. les BIC ou les BNC d’un contribuable n’ayant pas déposé dans le délai
Toutefois, ces considérations nous semblent céder face aux argu- légal ses déclarations et ne s’étant pas fait connaître d’un CFE ou du
ments allant dans le sens d’une transposition de la logique de vos greffe du tribunal de commerce, si ce contribuable n’est pas en me-
décisions du 7 décembre 2015 et du 21 juin 2018. sure d’établir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit
En premier lieu, l’invocation d’une différence de rédaction entre acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives. En revanche, si le
l’article L. 68 du LPF et l’article L. 169 du LPF ne tient guère. contribuable apporte une telle preuve, les impositions qui auraient
D’une part, car en combinant l’article L. 68 à l’article L. 66 auquel été établies par l’Administration suivant la procédure d’évaluation
il renvoie ou à l’article L. 73 qui y fait référence, l’on retrouve bien les d’office sans envoi préalable d’une mise en demeure de déclarer ces
mêmes éléments objectifs caractérisant l’exercice d’une activité oc- revenus sont irrégulières.
culte au sens de l’article L. 169 du LPF, soit l’absence de dépôt des Par suite, dans la présente affaire, après avoir constaté un non-lieu
déclarations fiscales dans le délai légal joint à l’absence de déclaration partiel à statuer à hauteur du dégrèvement partiel intervenu en cours
de l’activité auprès d’un CFE ou du tribunal de commerce ou à l’exer- d’instance, vous accueillerez le moyen tiré de ce que la cour a commis
cice d’une activité illicite. D’autre part, car dans sa rédaction issue de une erreur de droit en jugeant, alors qu’elle avait pourtant elle-même
la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, le 3° de l’article L. 68 renvoie constaté que le contribuable justifiait avoir, en s’abstenant de déclarer
désormais expressément au fait de s’être « livré à une activité occulte, son activité et ses revenus de joueur de poker au titre des années 2008
au sens du troisième alinéa de l’article L. 169 ». Or les travaux prépara- à 2010, commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune
toires présentent cette modification comme ayant un simple carac- de ses obligations déclaratives,que l’Administration avait néanmoins
tère de coordination, ne modifiant pas la substance de l’article. régulièrement pu évaluer d’office les revenus de M. A sans avoir à le
Dès lors, la volonté de cohérence et d’unité de la notion d’exercice mettre en demeure de déposer ses déclarations dès lors qu’il ne s’était
d’une activité occulte ayant dicté votre décision du 21 juin 2018 nous pas fait connaître d’un CFE ou d’un greffe de tribunal de commerce et
paraît devoir conduire, compte tenu de la similarité de fond des n’avait pas déposé la déclaration prévue à l’article 97 du CGI.
conditions d’application des dispositions à appliquer et au regard du Le règlement de l’affaire au fond ne découlant pas de la cassation
pont désormais expressément opéré avec l’article L. 169 du LPF, à ainsi prononcée, l’Administration invoquant une substitution de
transposer votre jurisprudence Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL à la base légale et faisant valoir que M. A a en pratique bénéficié de toutes
dispense de mise en demeure avant taxation d’office. les garanties s’attachant à la procédure de rectification contradic-
En deuxième lieu, si les conséquences d’une telle transposition toire, vous renverrez l’affaire à la cour.
sont en l’espèce très radicales, emportant décharge de la totalité des Par ces motifs, nous concluons : 1° à ce que vous constatiez qu’il
impositions établies, et non seulement de la pénalité de 80 % en cause n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de M. A à
dans l’affaire de plénière, votre jurisprudence Dhorasoo a franchi le concurrence du dégrèvement prononcé en cours d’instance d’un
pas en ce qu’elle touchait déjà aux droits. Cette décision a par ailleurs montant de 43 705 euros au titre de l’impôt sur le revenu de l’année
marqué la sortie du raisonnement de plénière du strict cadre des 2008 ; 2° à l’annulation de l’article 5 de l’arrêt de la cour administra-
sanctions et son application à des dispositifs autres que répressifs. tive d’appel de Marseille du 8 mars 2018 ; 3° au renvoi, dans cette
En troisième lieu, au regard de l’objet même de la garantie tenant à mesure, de l’affaire à cette cour ; 4° et à ce que l’État verse à M. A
l’envoi d’une mise en demeure avant taxation d’office et aux motifs de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice adminis-
son exclusion dans le cas des contribuables s’étant livrés à une activité trative.
occulte, il peut sembler logique de ne pas priver de la « session de Émilie Bokdam-Tognetti,
rattrapage » offerte par la mise en demeure les contribuables dont les rapporteur public
défaillances initiales ont procédé d’une erreur justifiant qu’ils ne se
soient pas acquittés de leurs obligations déclaratives. NOTE
En dernier lieu,la difficulté de la chronologie de cette justification,
susceptible de n’être apportée qu’au stade contentieux lorsque le 1 – Par cette décision, le Conseil d’État transpose la jurisprudence
contribuable ne se serait pas vu offrir préalablement l’occasion de qu’il avait élaborée en formation plénière le 7 décembre 2015 à une
combattre la présomption d’activité occulte née de ses défaillances nouvelle situation résultant de la découverte d’une activité occulte.
déclaratives, n’est pas dirimante. Sans doute la transposition de la Lorsque le contribuable s’est livré à une telle activité, l’Administra-
jurisprudence de plénière impliquera-t-elle en pratique, lorsqu’il tion peut le taxer d’office ou procéder à une évaluation d’office de ses
n’apparaîtra pas exclu au service que le défaut de déclaration ait pro- revenus (LPF, art. L. 66, L. 68-3° et art. L. 73-5°). En matière de d’im-
cédé d’une erreur au sens de votre jurisprudence Sté Frutas y Hortali- pôt sur le revenu ou sur les sociétés, elle bénéficie alors d’un délai de
zas Murcia SL et Dhorasoo, soit que l’Administration échange avec le prescription allongé de trois à dix ans (LPF, art. L. 169, al. 2). Enfin,

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l’Administration peut appliquer une majoration de 80 % (CGI, contribuable sans mise en demeure préalable (LPF, art. L. 73, 2°). La
art. 1728, 1, c). mise en demeure est en principe obligatoire par l’effet du renvoi de
2 – Pour l’application de cet article 1728,1,c,le Conseil d’État avait l’article L. 73, 5° à l’article L. 68 du LPF. Toutefois, ce texte, dans sa
jugé que « dans le cas où un contribuable n’a ni déposé dans le délai version applicable aux faits de l’espèce, prévoyait des cas de dispense
légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire, ni fait connaître son de la mise en demeure, notamment celui dans lequel le contribuable
activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribu- ne s’était pas fait connaître d’un centre de formalités des entreprises
nal de commerce, l’Administration doit être réputée apporter la ou du greffe du tribunal de commerce. Mais, depuis lors, la loi du
preuve, qui lui incombe, de l’exercice occulte de l’activité profession- 6 décembre 2013 a aligné la rédaction du 3° de l’article L. 68 sur celle
nelle si le contribuable n’est pas lui-même en mesure d’établir qu’il a des articles L. 169 du LPF et 1728 du CGI, en prévoyant qu’il n’y a pas
commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ces lieu de procéder à mise en demeure si le contribuable s’est livré à une
obligations déclaratives » (CE, plén. fisc., 7 déc. 2015, n° 368227, min. activité occulte au sens du 3e alinéa (devenu le 2e) de l’article L. 169
c/ Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL : Lebon p. 423 ; Dr. fisc. 2016, n° 23,
du LPF,cette réécriture n’ayant,selon les travaux préparatoires,qu’un
comm. 370, concl. F. Aladjidi, note A. Bonnet ; RJF 2/2016, n° 160,
caractère de coordination, sans modification de la substance du texte
chron. N. Labrune p. 129).
(L. n° 2013-1117, 6 déc. 2013, art. 50, I, 3° : JO 7 déc. 2013, p. 19941).
La majoration de 80 % en cas de découverte d’une activité occulte
avait été introduite dans l’article 1728 du CGI par la loi de finances 5 – Dans ses conclusions, le rapporteur public, Émilie Bokdam-
pour 2000 (L. n° 99-1172, 30 déc. 1999, art. 103 : Dr. fisc. 2000, n° 1-2, Tognetti a indiqué les difficultés soulevées par une éventuelle trans-
comm. 1).Pour déclarer cette disposition conforme à la Constitution, position de la jurisprudence précitée. On sait en effet que l’envoi
le Conseil constitutionnel avait relevé que la notion d’activité occulte d’une mise en demeure n’a pas à être précédé d’un débat contradic-
était définie avec une précision suffisante par le LPF, dont l’article toire avec le contribuable sur le principe de son assujettissement à
L. 169 prévoyait un allongement du délai de reprise de l’Administra- l’impôt (CE, 10e et 9e ch., 18 oct. 2018, n° 405468, Sté Aravis Business
tion « lorsque le contribuable n’a pas déposé dans le délai légal les Retreats Ltd : JurisData n° 2018-018903 ; Dr. fisc. 2019, n° 38,
déclarations qu’il était tenu de souscrire et n’a pas fait connaître son comm. 374, concl. E. Crépey ; RJF 1/2019, n° 19). Hormis les cas de
activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribu- contrôle externes, tels que vérification de comptabilité ou ESFP, dont
nal de commerce. » (Cons. const., 29 déc. 1999, n° 99-424 DC, Loi de le déroulement implique un dialogue avec le contribuable,l’Adminis-
finances pour 2000 : Rec. Cons. const. 1999, p. 156 ; RJF 2/2000, n° 248, tration n’est guère en mesure de savoir si le contribuable pourra éta-
chron. J. Maïa, p. 99 ; AJDA 2000, p. 37, note J.-E. Schoettl ; RJC 1999, I, blir une erreur justifiant qu’il ne se soit pas acquitté de ses obligations
p. 871). Puis, au 1er janvier 2010, l’article L. 169 du LPF s’est référé déclaratives. Ne disposant pas nécessairement de cette information
expressément à la notion d’activité occulte, en la définissant par réfé- au moment où elle décide de se dispenser ou non de l’envoi de la mise
rence aux mêmes critères. En effet, l’article 18-VI de la loi de finances en demeure,elle prend le risque d’allonger la procédure sans nécessité
rectificative pour 2009 a ajouté à ce texte une disposition selon la- ou, au contraire, de la vicier irrémédiablement. Toutefois, l’absence
quelle le droit de reprise de l’Administration s’exerce jusqu’à la fin de de mise en demeure constituant une dérogation au droit commun, il
la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due, paraissait logique de permettre au contribuable de s’expliquer sur les
lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L’activité occulte motifs de son absence de déclaration afin de lui permettre d’éviter
est réputée exercée lorsque le contribuable n’a pas déposé dans le délai une procédure aux conséquences très pénalisantes.
légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire et soit n’a pas fait
6 – C’est pourquoi, la teneur identique des textes applicables et
connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au
leur référence aux mêmes critères d’application ont conduit le
greffe du tribunal de commerce, soit s’est livré à une activité illicite
(L. n° 2009-1674, 30 déc. 2009, art. 18 : Dr. fisc. 2010, n° 6, Conseil d’État à choisir la cohérence et à opérer une transposition de
comm. 177). ses deux solutions précédentes, conformément aux conclusions du
3 – Ainsi, la réunion de deux éléments objectifs – le défaut de rapporteur public. Une solution contraire aurait certainement sus-
déclaration fiscale et le défaut de déclaration d’activité – fait présu- cité l’incompréhension. Si la solution concerne l’évaluation d’office
mer l’exercice d’une activité occulte, mais cette présomption n’est de bénéfices professionnels, elle est également valable pour la taxa-
pas irréfragable puisque le contribuable garde la possibilité d’établir tion d’office prévue aux 2° et 5° de l’article L. 66 du LPF (impôt sur les
qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune sociétés et taxes assises sur les rémunérations).
de ses obligations déclaratives. 7 – Il est enfin à noter que, comme dans l’affaire jugée le 21 juin
Peu après, le Conseil d’État a transposé cette solution pour l’ap- 2018, est ici en cause l’imposition des gains d’un joueur de poker en
plication de l’article L. 169, alinéa 2 de l’article L. 169 du LPF. L’ac- tant que bénéfices non commerciaux. Dans cette affaire, le contri-
tivité est donc réputée occulte, ce qui justifie l’allongement à dix ans buable avait pu établir que l’absence de souscription de déclarations
du délai de prescription, lorsque le contribuable qui n’a ni déposé procédait d’une erreur dès lors que ce n’était que postérieurement à
dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire, ni fait l’année d’imposition en litige que la jurisprudence et l’administra-
connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au tion fiscale avaient expressément estimé que de tels gains étaient,dans
greffe du tribunal de commerce, n’est pas en mesure d’établir qu’il a certaines conditions, imposables à l’impôt sur le revenu. La même
commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses solution était susceptible de s’appliquer en l’espèce eu égard aux an-
obligations déclaratives (CE, 10e et 9e ch., 21 juin 2018, n° 411195, nées d’imposition en litige. Le Conseil d’État n’a cependant pas réglé
Dhorasoo : JurisData n° 2018-010592 ; Dr. fisc. 2019, n° 22, l’affaire au fond, mais s’est borné à renvoyer le dossier à la cour admi-
comm. 284 ; Procédures 2018, comm. 278, note O. Négrin ; RJF 10/
nistrative d’appel de Marseille après cassation de son arrêt pour er-
2018, concl. É. Crépey C 991).Le lien établi par le Conseil constitution-
reur de droit. L’Administration demandait en effet une substitution
nel entre les articles L. 169 du LPF et 1728 du CGI rendait cette
de base légale en arguant ce que le contribuable avait, en fait, bénéficié
transposition quasiment inévitable.
de toutes les garanties de la procédure contradictoire. La solution au
4 – Dans la présente affaire, se posait la question de savoir si les
mêmes critères devaient être appliqués pour apprécier si l’Adminis- fond ne découle donc pas nécessairement du motif de cassation.
tration pouvait évaluer d’office les bénéfices non commerciaux du

4 © LEXISNEXIS SA - REVUE DE DROIT FISCAL N° 11. 12 MARS 2020


Procédures fiscales 189
Mots-Clés : Taxation ou évaluation d’office pour défaut de
déclaration - Dispense de mise en demeure préalable en cas de
découverte d’une activité occulte (LPF, art. L. 68) - Présomption de
caractère occulte si le contribuable n’a pas fait connaître son activité à
un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de
commerce - Possibilité pour le contribuable d’établir une erreur
justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives
(oui)
JurisClasseur : Procédures fiscales, fasc. 355, par F. Dal Vecchio

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