JURISPRUDENCE COMMENTÉE

PROCÉDURES FISCALES

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Procédure de taxation
d’office : l’Administration doit
justifier les méthodes
d’évaluation retenues
Jean-Jacques LUBIN
fiscaliste au CRIDON de Paris
membre du comité scientifique
de la Revue fiscale du patrimoine

Solution. – Une procédure de taxation d’office prive en principe le contribuable d’un

dialogue préalable avant tout recouvrement de l’impôt. L’impôt sur la fortune (ISF)et
aujourd’hui l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) présente une particularité rappelée dans
un arrêt du 24 juin 2020 : l’Administration est tenue, en matière d’ISF, lorsqu’elle envisage de
procéder à la taxation d’office des droits en cas d’absence de déclaration par le redevable,
d’établir préalablement que celui-ci dispose de biens taxables dont la valeur nette est
supérieure au seuil d’imposition, par la mise en œuvre d’une procédure contradictoire
comportant l’envoi d’une notification des bases d’imposition dans les formes et sous les
garanties prévues par les articles L. 55 et L. 57 du LPF.
Impact. – Il en résulte que pour l’évaluation des biens imposables, l’administration fiscale
doit justifier le rejet des observations du contribuable.

Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-10.477, F-P+B : JurisData n° 2020- gations déclaratives. En effet, en matière de droits d’enregistrement,
008860 ; Procédures 2020, comm. 189, note L. Ayrault les personnes qui n’ont pas déposé une déclaration ou qui n’ont pas
présenté un acte à la formalité de l’enregistrement dans le délai légal
ême dans le cadre d’une procédure de taxation d’office, la

M réponse de l’Administration aux observations par les-

quelles le contribuable critique les termes de comparaison
utilisés pour l’évaluation des biens taxables, doit comporter les rai-
sons qui justifient leur rejet. Explications.
1. Les principes
En vertu des dispositions de l’article L. 56, 4° du LPF, il n’y a pas
lieu d’engager la procédure de rectification contradictoire en cas de
taxation ou d’évaluation d’office des bases d’imposition.
L’article L. 66, 4° du LPF prend le relais et prévoit une procédure
de taxation d’office lorsque les contribuables ont négligé leurs obli-
sont taxées d’office.
La procédure spéciale s’applique aux redevables de l’IFI qui n’ont
pas indiqué la valeur nette taxable de leur patrimoine imposable dans
la déclaration.
Comme on le sait, cette procédure exceptionnelle d’imposition
d’office présente deux caractéristiques :
– le contribuable est privé de tout dialogue avec l’Administration
y compris avec la commission départementale de conciliation ;
– le contribuable supporte la charge de la preuve du caractère
exagéré de l’imposition.

LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 11, NOVEMBRE 2020 1

 Cependant, l’Administration a la faculté d’utiliser la procédure de
rectification contradictoire même dans les cas où elle pourrait recou-
rir à une procédure d’imposition d’office.
Une jurisprudence ancienne l’autorise (V. CE, 22 déc.1958,
n° 23350 et 23351 : RO, p. 269. – CE, 9e ss-sect., 12 oct. 1962,
n° 55194 : Dupont 1962, p. 739 ; Dr. fisc. 1962, n° 44, comm. 1031 ;
Lebon, p. 535).
Dans un souci de conciliation, le service des impôts engage une
procédure de relance par l’envoi d’une lettre amiable invitant le
redevable à souscrire une déclaration.
En l’absence de réponse, le service doit, avant de procéder à l’envoi
d’une mise en demeure, établir selon la procédure contradictoire que
la personne concernée est redevable de l’impôt sur la fortune. Il
procède donc à une proposition de rectification des bases d’imposi-
tion au moyen d’un imprimé administratif (imprimé n° 2120). Le
redevable dispose d’un délai de 30 jours à compter de la réception de
la proposition pour déposer une déclaration ou présenter des obser-
vations (V. BOI-PAT-ISF-60-10, 1er juill. 2015, § 160 et 170, transpo-
sable à l’IFI).
Enfin, l’article L. 76 du LPF oblige l’Administration d’adresser au
contribuable 30 jours au moins avant la mise en recouvrement des
impositions établies d’office une notification précisant les bases ou
les éléments servant au calcul de ces impositions ainsi que les élé-
ments de leur détermination, alors qu’auparavant les impositions
pouvaient être mises en recouvrement d’office, sans information
préalable du contribuable.
2. Procédure spéciale à l’ISF
En cas de défaut de souscription de la déclaration d’ISF dans le
délai légal ou de mention du patrimoine net taxable sur la déclaration
d’ensemble de revenus, l’administration fiscale combine la procé-
dure de rectification contradictoire (LPF, art. L. 55 et s.) et la procé-
dure de taxation d’office (LPF, art. L. 66, 4°).
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation rendue en matière
d’impôt sur les grandes fortunes (IGF)(Cass. com., 18 févr. 1986,
n° 84-12.864, Cabanié : JurisData n° 1986-000303 ; Bull. civ. IV,
n° 25 ; Dr. fisc. 1986, n° 18, comm. 939 ; JCP E 1986, I, 15396 ; RJF
6/86 n° 666), l’Administration, avant de procéder à l’arbitrage
d’office des droits, doit établir préalablement dans les formes et sous
les garanties prévues par les articles L. 55 et suivants du LPF, que le
contribuable dispose de biens taxables dont la valeur nette est supé-
rieure au seuil d’imposition fixé par l’article 885 A du CGI.
Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-10.477, F-P+B : JurisData
n° 2020-008860 ; Procédures 2020, comm. 189, note
L. Ayrault
Vu les articles L. 55, L. 57 et L. 66 du livre des procédures fiscales :
3. Il résulte des deux premiers de ces textes que, dans le cadre de
la procédure de rectification contradictoire, l’administration
adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit
être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observa-
tions ou de faire connaître son acceptation et que, lorsqu’elle
rejette les observations du contribuable, sa réponse doit égale-
ment être motivée.
4. Si, en application du troisième, sont taxées d’office aux droits
d’enregistrement et aux taxes assimilées les personnes qui n’ont
pas déposé une déclaration ou qui n’ont pas présenté un acte à
la formalité de l’enregistrement dans le délai légal, l’administra-
tion est toutefois tenue, en matière d’ISF, lorsqu’elle envisage de
procéder à la taxation d’office des droits en cas d’absence de
déclaration par le redevable, d’établir préalablement que celui-ci
2 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 11, NOVEMBRE 2020
Cette décision, sans remettre en cause la procédure d’arbitrage en
matière d’IGF tel qu’elle résultait de l’article L. 76-B du LPF, pose un
préalable puisqu’elle force l’Administration à prouver, selon les
formes de la procédure contradictoire, que le contribuable était bien
redevable de l’IGF.
Après avoir établi que la valeur du patrimoine excédait le seuil
d’imposition à l’IGF, l’Administration pouvait mettre en recouvre-
ment d’office l’impôt.
La jurisprudence Cabanié a été reprise par l’Administration dans
une instruction administrative du 5 octobre 1989 (13-L-89) (inté-
grée au BOFiP. - V. BOI-PAT-ISF-60-10, 12 sept. 2012, § 170).
L’Administration doit donc, préalablement à l’envoi d’une mise
en demeure, faire la preuve que la valeur nette du patrimoine de
l’intéressé excédait bien, au 1er janvier de l’année, le seuil d’imposi-
tion prévu à l’article 885 A du CGI.
Dans l’arrêt du 24 juin 2020, la chambre commerciale de la Cour
de cassation confirme ces principes : « Si, en application [de l’article
L. 66 du LPF], sont taxées d’office aux droits d’enregistrement et aux
taxes assimilées les personnes qui n’ont pas déposé une déclaration
ou qui n’ont pas présenté un acte à la formalité de l’enregistrement
dans le délai légal, l’administration est toutefois tenue, en matière
d’ISF, lorsqu’elle envisage de procéder à la taxation d’office des droits
en cas d’absence de déclaration par le redevable, d’établir préalable-
ment que celui-ci dispose de biens taxables dont la valeur nette est
supérieure au seuil d’imposition, par la mise en œuvre d’une procé-
dure contradictoire comportant l’envoi d’une notification des bases
d’imposition dans les formes et sous les garanties prévues par les
articles L. 55 et L. 57 du livre des procédures fiscales ».
Dans cette mesure, l’administration fiscale se devait de justifier les
évaluations retenues par plusieurs de termes de comparaison.
À n’en pas douter, l’arrêt éclaire une jurisprudence plus ancienne,
difficile à comprendre, selon laquelle l’indication des éléments de
comparaison retenus par l’Administration pour estimer qu’un
contribuable est assujetti à l’ISF n’était pas exigée dans le cas où le
contribuable s’était abstenu de répondre à la procédure de relance ou
dans celui où il a contesté le principe de son imposition. Dans cette
situation, la procédure de taxation d’office peut donc être engagée
(V. Cass. com., 27 janv. 1998, n° 96-13.260, Bourlon de Rouvre : Juris-
Data n° 1998-000246 ; Dr. fisc. 1998, n° 18, comm. 388 ; RJF 4/98
n° 495. – V. pour une analyse détaillée, Procédures 2020, comm. 189,
note L. Ayrault).
L’arrêt est transposable à l’IFI.
dispose de biens taxables dont la valeur nette est supérieure au
seuil d’imposition, par la mise en œuvre d’une procédure contra-
dictoire comportant l’envoi d’une notification des bases d’impo-
sition dans les formes et sous les garanties prévues par les articles
L. 55 et L. 57 du livre des procédures fiscales.
5. Pour dire la procédure régulière et rejeter les demandes de
M. et Mme E..., l’arrêt retient que la réponse de l’administration
fiscale aux observations des contribuables du 23 février 2012,
selon laquelle elle n’était pas tenue de donner plusieurs termes
de comparaison pour l’évaluation des immeubles, dès lors que la
proposition préalable a pour but de démontrer que le patrimoine
d’un contribuable dépasse le seuil d’imposition à l’ISF, est
conforme au niveau d’exigence de motivation de la proposition
de rectification visant à démontrer que les contribuables sont
défaillants à leur obligation déclarative en matière d’ISF, telle
qu’exigée par l’article L. 57 du livre des procédures fiscales.
6. En statuant ainsi, alors que la réponse de l’administration aux
observations par lesquelles le contribuable critique les termes de
comparaison utilisés pour l’évaluation des biens taxables doit
JURISPRUDENCE COMMENTÉE

comporter les raisons qui justifient leur rejet, la cour d’appel a violé les textes susvisés [...].

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