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Introduction
C'est après avoir assisté à une scène traumatisante que Victor Hugo a décidé
d'entreprendre l'écriture du Dernier Jour d'un Condamné. Un soir de 1828, il
observe un bourreau graisser la guillotine sur la Place de l'Hôtel-de-Ville. Hugo
comprend qu'un homme mourra le soir-même. Cette pensée l'inspire : dès
aujourd'hui, il écrira pour lutter contre la peine de mort.
Le court roman d'Hugo peut se lire comme le journal intime d'un condamné qui
se livre à ses dernières pensées et confessions durant les 24 dernières heures
précédant la terrible sentence. Ici, le "moi" romantique est encore de mise : le
romantisme permet à Hugo de montrer l'absurdité des théories pénales et d'une
justice qui favorise encore la peine de mort.
Pourtant, cette idée n'était pas encore développée par les penseurs des Lumières
: Diderot et Kant étaient favorables à la peine de mort et y voyaient une sentence
juste et adaptée au crime commis. La punition était encore trop faible pour
mettre à mal les criminels.
Hugo, lui, est révolté par ce genre de pratique. C'est pourquoi cet incipit est un
vrai réquisitoire contre la peine de mort. IL va chercher à montrer, au sein de ce
premier chapitre, l'aspect tragique de la condamnation à mort afin de susciter la
compassion chez le lecteur.
I. L'omniprésence de la mort
Dans cet extrait, Hugo s'insurge contre la peine de mort. Afin de prouver que
son abolition serait une bonne chose, il utilise certaines stratégies de persuasion
pour influencer le lecteur. Le recours à des procédés stylistiques bien précis agit
également sur la réception du texte.
«Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un
spectre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction,
face à face avec moi misérable, et me secouant de ses deux mains de glace
quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux.
Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle
comme un refrain horrible à toutes les paroles qu'on m'adresse, se colle
avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ; m'obsède éveillé, épie mon
sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d'un
couteau. »
Ici, Hugo montre très clairement que le narrateur est un homme instruit. Il
insiste d'ailleurs sur la vivacité de son esprit :
« Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit,
jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s'amusait à me les dérouler les
unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d'inépuisables
arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. »
Mais Victor Hugo souhaite faire de son histoire un texte réaliste qui suscite la
compassion chez son lecteur. Ce dernier doit se rendre compte de l'aspect
pathétique puis tragique de la situation.
1) Le registre réaliste
L’histoire se déroule vers le XIXe siècle, siècle de Victor Hugo. L'auteur ancre
le récit dans le réel avec une première indication dès la première ligne : «
Bicêtre ». Le Bicêtre est un grand édifice servant d’hôpital et de prison, situé au
sud de Paris.
L'homme dépeint par Hugo est un homme comme tous les autres. Nous sommes
tous égaux face à la mort et, à moins d'être un parfait stoïcien (ne pas craindre la
mort puisque lorsqu'elle sera là nous ne serons plus là), nous redoutons ce
moment tragique.
Ici, le narrateur est un homme effrayé : « seul avec elle » , « glacé de sa présence
», « mon esprit voudrait la fuir » , « refrain horrible », «je viens de m’éveiller en
sursaut », « poursuivi par elle ». Tel est l'élément tragique de la condamnation à
mort : personne ne peut l'éviter. Et avant même de rencontrer son bourreau,
l'homme s'imagine sans cesse la scène. Alors qu'auparavant son imagination
était tournée vers la vie, aujourd'hui elle n'est tournée que vers la mort.
Conclusion
Ainsi, Victor Hugo souhaite montrer la beauté de la vie et faire comprendre qu'il
est nécessaire de la préserver à tout prix. À travers une description réaliste,
pathétique et tragique de la peine de mort, l'auteur souhaite défendre l'idée selon
laquelle nul autre que Dieu ne peut ôter la vie à un homme. Ce système
judiciaire et pénal ne correspond pas aux valeurs défendues par le père du
romantisme.
Il veillera d'ailleurs à condamner ces méthodes tout au long du roman mais aussi
dans son autre ouvrage intitulé Claude Gueux, en 1834. La thématique
abolitionniste est très présente dans la pensée de Hugo qui se veut porte parole
des oubliés, des maltraités, des hommes qui n'ont plus le droit d'avoir une voix
digne d'être écoutée.