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UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP

FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET


POLITIQUES

COURS DE DROIT PENAL DES AFFAIRES

Christian Ousmane CISS

Docteur en droit privé

Droit pénal des affaires IMD Christian Ousmane CISS, Docteur en droit privé FSJP-UCAD 1
INTRODUCTION GENERALE

La vision traditionnelle de la criminalité d’affaire avait associé ce phénomène criminel aux


délinquants de col blanc. Il s’agit de ce délinquant qui vit dans le monde des affaires. Il est par
conséquent un homme d’un statut économique et social élevé avec un niveau de
développement intellectuel et professionnel assez poussé. La délinquance d’affaire semble
réduite au cadre limité du monde des affaires. Elle d’énonce pas réellement toute la société au
point de se demander si ces infractions d’une incrimination d’envergure.

La transformation de la criminalité a entrainé une évolution de ses techniques répressives. Les


instruments classiques de sanction ne suffisent plus parce que la criminalité est devenue de
plus en plus organisée. Certes, les infractions ne changent pas fondamentalement mais elles
connaissent de nouveaux modes de commission. Les auteurs sont devenus altruistes,
structurés avec une intention manifeste de rechercher encore plus de profit.

Ce sont ces deux critères de l’organisation et de la recherche de profit qui permettent de


qualifier l’existence d’une criminalité organisée. Cette criminalité organisée ignore les
frontières, elle est transnationale, elle est transfrontalière ce qui rend inefficace un système de
répression exclusivement national.

Il faut repenser le système d’incrimination, la procédure pénale et même les sanctions


applicables.

Par rapport aux incriminations qui entrent dans la répression (de droit) pénale de fond les
Etats ont perdu dans le cadre de l’UEMOA, leur capacité d’initiative. Ainsi pour les
infractions relatives au blanchiment de capitaux et de financement de tourisme l’UEMOA
propose, après une directive une loi uniforme qui doit être adoptée par les différents Etats
membres dans un délai imparti. Dans l’OHADA, la technique consiste à procéder aux
incriminations et de laisser aux différents Etats parties la charge souveraine de prévoir et
d’appliquer la sanction.

Cette évolution existe également dans la répression pénale de forme. La recherche d’efficacité
a conduit à un aménagement des règles de recherche de la preuve. La preuve pénale des
infractions d’affaires est difficile à trouver du fait des ruses et de la professionnalisation de la

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délinquance. L’instruction a été aménagée tant sur le plan organique que matériel. L’idée est
de confier la recherche de la preuve à des spécialistes. En France, cela a conduit à la création
d’un pôle des questions économiques et financières composés de magistrat formés à cet effet.
L’aménagement a pris également sur le plan matériel des actes des actes d’investigation une
forme d’extension des pouvoirs du juge. Le juge d’instruction peut non seulement avoir accès
aux données recueillies par les différents systèmes informatiques des délinquants mais
également aux outils de collecte c’est le cas surtout en matière d’instruction des infractions de
blanchiment de capitaux. Le juge d’instruction bénéficie également d’une collaboration de
structure spécialisée dans l’analyse et la recherche d’information de certaines infractions
complexes. La cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) opère
une analyse au préalable des différentes déclarations de soupçon qui sont transmises au juge
d’instruction par l’intermédiaire du Procureur de la République lorsqu’elles font apparaitre
une présomption d’infraction de blanchiment de capitaux. Le droit pénal des affaires est ainsi
malgré son évolution constitué autour d’infractions de droit commun qui ne sont pas
exclusivement détaché de la vie de la société commerciale (vol, abus de confiance,
escroquerie). Cependant l’avènement de la société commerciale a créé un cadre propice au
développement d’autres infractions tant au moment de sa constitution, de son fonctionnement
que de sa dissolution.

Chapitre I: Les infractions de droit commun intéressant la vie des affaires

Elles peuvent être divisées en deux grandes catégories. Il y a d’abord les infractions
autonomes parce que constituées de base. Cette catégorie est constituée d’infraction de droit
commun touchant la vie des affaires ; dans la deuxième catégorie il est question des
infractions qui ne peuvent exister qu’après celles préalable d’une infraction d’origine. Il s’agit
principalement de réprimer l’intention malveillante et les techniques illicites permettant de
dissimuler la première forfaiture (recel, blanchiment).

Section I : Les Infractions autonomes

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Elles découlent d’une appropriation frauduleuse. Il s’agit du vol, de l’abus de confiance et de
l’escroquerie.

Dans le vol une chose appartenant à autrui lui a été soustraite contre son gré. L’abus de
confiance et l’escroquerie se distinguent du vol. Dans les deux situations la victime a remis
elle-même le bien à l’auteur qui s’en est approprié. L’escroquerie existe lorsque la remise fait
suite à des pratiques frauduleuses qui l’ont provoqué ; l’abus de confiance quant à lui est
qualifié si la fraude intervient après la remise légitime de la chose découlant d’un contrat qui,
par la suite a été détourné.

Paragraphe I : Le vol

Il est défini de manière simple, c’est la soustraction frauduleuse de la chose appartenant à


autrui. L’art 364 CP Sénégalais dispose que « quiconque a soustrait frauduleusement une
chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol ». De cette définition légale apparaît les
différents éléments constitutifs du vol pouvant ainsi conduire à sa répression.

I- Les éléments constitutifs du vol

Il sera distingué entre les éléments matériels et l’élément moral.

A- L’élément matériel

Il est constitué au préalable d’une chose appartenant à autrui qui est l’objet de la soustraction.

1)- Une chose appartenant à autrui

L’objet du vol porte sur une chose de nature mobilière à l’exclusion des immeubles. La
justification est dans le fait que le vol nécessite le déplacement, le transport de la chose. La
chose doit aussi être de nature corporelle. Pour le vol d’information, il est en principe
impossible en l’absence du support corporel. Cependant la soustraction du support contenant
l’information même pour un laps de temps constitue un vol. Exemple : un salarié pour
photocopier un document le soustrait un petit temps, il y a vol de documents originaux et non
d’information. Mais des arrêts ultérieurs de 1989 acceptent le vol d’information. Il s’agit de la
jurisprudence Bourguin et Antonioli. Une jurisprudence confirmée par la sanction du vol de

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contenu informatique à travers des fichiers des disquettes ou CD (voir Cass. Crim. 04 Mars
2008 Dalloz 2008 Page 2213 note Détraz).

Dans le sens analogue, le vol d’électricité après avoir été reconnu par le juge vient d’être
légiféré en France. De même le vol d’onde Hertzienne de radio était rejeté par la
jurisprudence avant de recevoir une acceptation législative.

Mais dans l’affaire Bluetouff de la cour de cassation du 20 mai 2015, le juge décide que le vol
peut consister à télécharger des données informatiques, à distance, sans s’emparer de leur
support. Mais la nature d’arrêt d’espèce et de rejet empêche une projection dans l’avenir de
cette jurisprudence.

La valeur de la chose importe peu.

Il faut en outre que la chose appartienne à autrui car on ne peut voler sa propre chose. Il faut
donc au préalable déterminer à qui appartient la chose.

Les choses n’appartenant à personne ne peuvent être volées. Ex. : le gibier, le poisson, l’air
non (appropriée). Mais des produits sauvages qui poussent sur un fonds appartenant à autrui
sont à ce dernier en vertu de la règle de l’accession et peuvent par conséquent être volés. Il en
est aussi des biens qui appartiennent au domaine public ou national. Quant aux choses
abandonnées ou perdues plus la chose a de la valeur plus la qualification de vol a des chances
d’être retenue.

2)- La soustraction de la chose

On distingue aujourd’hui la soustraction juridique de la soustraction matérielle. Pour


soustraire matériellement, il faut prendre, enlever ravir une chose à l’insu et contre le gré du
propriétaire. Il faut donc un déplacement de la chose des mains du propriétaire légitime à celle
de l’auteur du délit. Il n’est pas obligatoire que la restitution soit justifiée par un emprunt non
autorisé. Ce comportement n’exonère pas l’auteur du vol car le juge sanctionne le vol
d’usage. Cependant il n’y a pas vol si une personne profite d’un ensemble d’erreurs de leur
auteur (le surplus de monnaie) une personne qui profite d’un surplus de monnaie rendu par
erreur (erreur non provoquée).

Encore faudrait-il que l’erreur ne soit pas provoquée.

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Quant à la soustraction juridique, elle existe en cas de remise d’une chose à une tierce
personne sans intention. Le juge distingue la simple détention précaire de la possession. En
cas de détention précaire, il peut y avoir vol s’il y a soustraction. Cette qualification est moins
évidente pour la possession réputée octroyer la présomption de propriété.

B- L’élément intentionnel

Il faut que l’auteur du vol ait la conscience que le bien appartient à autrui et ait la volonté de
se le procurer à titre de propriété. Dans la conception matérielle, le dol spécial n’est pas
nécessaire car il est logique que l’intention de celui qui vol est de s’approprier la chose. Or
dans la conception juridique de la soustraction c’est l’animus qui est pris par un auteur qui
n’avait pas le corpus. Il faut le dol spécial.

II- La Répression du vol

Le vol est un délit soumis à des peines dont la sévérité dépend des circonstances de sa
commission. Cependant, la répression du vol peut être limitée par certains obstacles.

A- Les obstacles à la répression du vol

Ces obstacles sont constitués des faits justificatifs notamment de l’Etat de nécessité et des
immunités familiales.

1)- Les faits justificatifs

Ils sont nombreux mais il sera question sommairement ici que de l’état de nécessité. Il y a état
de nécessité lorsque face à un danger actuel et imminent qui menace une personne autrui un
individu est obligé d’accomplir un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien.
Il faut toutefois qu’il n’y ait pas de disproportionnalité entre les moyens utilisés et la gravité
de la menace.

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2)- Les immunités familiales

Le vol commis dans une famille ne peut conduire à des sanctions pénales l’auteur bénéficie
d’une exemption légale de toute poursuite pénale lorsque la victime est un parent par
naissance ou par alliance. Les bénéficiaires de l’immunité sont par conséquent les enfants qui
volent leur parent, les parents qui volent leur enfant ou l’époux qui vole son conjoint jadis
justifié par une idée de copropriété familiale, l’individualisme de la propriété a poussé à
chercher un autre fondement aux immunités familiales. Il est aujourd’hui dans la recherche de
la paix et de la stabilité des familles qui ne peuvent être troublées par des poursuites et des
sanctions pénales pour des affaires délictuelles familiales.

Cette immunité à des limites. Elle n’existe pas pour les vols commis à résider séparément. En
France, certains objets sont exclus de l’immunité familiale. Il s’agit des documents
indispensables à la vie quotidienne (carte d’identité, titre de séjour, moyen de paiement
comme le chéquier) dans ce cas le vol sera punissable.

B- Les peines applicables au vol

Il faut distinguer selon que le vol est simple ou aggravé. Le vol simple est puni d’un
emprisonnement de 1an au moins à 5ans au plus. L’amende est de 20.000 à 200.000F.

Quant au vol aggravé, il existe lorsqu’il est commis avec une ou plusieurs circonstances
aggravantes. Le vol commis en réunion avec deux ou plusieurs personnes avec port arme
véritable ou parties, menace ou avec véhicule est puni de travaux forcés de 10ans. Les travaux
forcés seront à perpétuité lorsque le vol est commis avec une violence ayant entrainé une
infirmité de plus de 15 jours ou permanentes. Il en est ainsi lorsqu’il a entrainé la mort ou
avait été fait avec usage d’armes. L’emprisonnement de 5 à 10 ans et l’amende de 50.000 à
500.000Fen cas de vol avec escalade (passer par-dessus) effraction (art. 365 et Suivants).

Paragraphe 2 : L’abus de confiance

Dans l’abus de confiance, la confiance, la victime émet d’abord un bien généralement suite à
un contrat et le délinquant en profite pour s’en emparer. L’article 380 CP vise principalement

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deux types de contrat. Il s’agit du contrat de prêt, de dépôt, de mandat qui sortent en filigrane
du texte. Avant de déterminer les éléments constitutifs de l’abus de confiance, il convient
d’analyser la condition préalable relative à la remise de la chose.

I- La condition préalable : la remise d’une chose

L’infraction d’abus de confiance lorsqu’une chose a été préalablement remise à l’agent pénal.
Pour beaucoup d’auteurs cette remise n’est pas un élément constitutif de l’infraction mais une
condition préalable à sa commission. La remise est donc nécessaire. Il n’y aura donc pas abus
de confiance, lorsque les salariés détournent des documents auxquels ils ont accès dans le
cadre de leur travail, ici il n’y a pas remise. C’est pourquoi il est fait distinction entre la
remise et la simple remise à disposition. Cette dernière renvoie au vol alors que la remise
appelle l’abus de confiance (Cass. Crim. 09 Juin 2009). La tendance est que le juge remet en
cause la notion de remise comme condition préalable à l’abus de confiance. Aujourd’hui, il
prend de plus en plus compte le seul détournement quel que soit les conditions d’existence du
bien.

La remise matérielle doit être distinguée de la remise juridique. Elle est matérielle car du fait
de la tradition manuelle. Elle consiste à un déplacement de la chose. Elle peut être juridique et
constituée l’abus de confiance lorsqu’elle existe indépendamment de tout déplacement
physique. Il en est ainsi du vendeur qui conserve après la vente de la chose au titre d’un
mandat et la détourne (abus de confiance existe ici). La chose peut être remise par la victime
de l’abus de confiance par un tiers. La remise doit être précaire pour une durée déterminée
(contrat de dépôt) en contrepartie d’une restitution. En droit français, il n’est plus nécessaire
que la remise ait lieu au titre d’un contrat depuis la réforme de 1994 (code pénal).

Cette remise pose une autre question. L’abus de confiance peut-il porter sur un immeuble ? La
cour de cassation française vient dans un arrêt du 13 mars 20241 de répondre positivement à
cette question. Le titulaire d’un marché d’enfouissement de déchets sur un terrain lui ayant été
remis à titre précaire par des collectivités territoriales, qui réduit de façon irrémédiable les
capacités d’enfouissement de ce site en y enterrant des déchets autres que ceux pour lesquels
le marché a été conclu. Pour la cour de cassation la loi ne distingue pas selon la nature du
bien. De plus, rien n’interdit de considérer qu’un immeuble puisse être remis dans un but
déterminé puis détourné. En effet, le détournement peut seulement consister à utiliser un bien

1
Cour de cassation Pourvoi n° 22-83.689.

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à des fins autres que celles prévues, lorsque cet usage implique la volonté de se comporter
comme propriétaire du bien.

II- Les éléments constitutifs de l’abus de confiance

1) L’élément matériel

Il y a d’abord le détournement. Il peut résulter de plusieurs situations. Il s’agit par conséquent


d’un usage abusif, d’un retard dans la restitution ou de la non-restitution. Mais ces situations
ne conduisent pas systématiquement au détournement en l’absence d’intention. Dans ce cas il
s’agit simplement d’une mauvaise exécution d’un contrat. Il faut par conséquent pour
constituer l’infraction d’abus de confiance une malveillance. Outre le détournement, la
victime doit subir un préjudice. Cette condition apparait dans l’esprit de l’art 381 alinéa 1du
code pénal et même de l’art 382 qui vise la compromission d’une personne ou de sa fortune.
Le préjudice est dans la perte subie par le patrimoine.

2)-L’intention

Il faut que l’auteur de l’abus de confiance ait la volonté de se comporter comme un possesseur
de la chose même momentanément. L’agent pénal doit avoir l’intention coupable de détourner
alors que sa détention précaire ne le lui permet pas. Le juge se suffit pour caractériser
l’intention d’une simple présomption de connaissance en disant que l’agent ne pouvait pas
ignorer. Pour démontrer l’intention les juges se suffisent de la constatation matérielle du
détournement pour caractériser l’intention. On se suffit par conséquent du dol éventuel dans le
fait que l’agent pénal sait qu’il aurait pu causer un préjudice à la victime.

III- La Répression

La répression peut connaitre des obstacles constitués des causes d’exonérations (force
majeure, fait d’un tiers, faute de la victime) et des immunités familiales. Ces dernières sont
celles appliquées au vol.

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Les peines prévues sont l’emprisonnement de 6mois au moins et 4ans au plus. Quant à
l’amende, elle est de 20.000F au moins à 3.000.000 au plus. L’abus de confiance peut
connaitre des circonstances aggravantes. Il en est ainsi lorsque l’auteur a fait un appel public à
l’épargne. Dans cette hypothèse, l’art 388 alinéa 3 CP dispose que l’emprisonnement peut
atteindre 10 ans et l’amende 12.000.000F.

Paragraphe 3 : L’escroquerie

L’escroc utilise au préalable divers moyens et techniques de fraude destinés à tromper l’autre
à fin d’obtenir de lui la remise d’un bien. Les moyens utilisés permettent la remise. A la base
de l’escroquerie il y a le dol, les tromperies.

I- Les éléments constitutifs de l’infraction

A- L’élément matériel

Il se compose de trois aspects constitués d’abord de l’utilisation de moyens frauduleux, de la


remise de la chose et du préjudice.

1)- L’utilisation de moyens frauduleux

Les moyens frauduleux prennent la forme de mensonges, de ruses qui passent par un usage
d’un faux nom, d’une fausse qualité ou d’un abus d’une qualité vraie. Ces moyens peuvent
également constitués de manœuvre frauduleuse.

a)- L’usage de faux nom ou de fausse qualité

L’usage d’un faux nom dans l’escroquerie consiste à s’attribuer un nom fantaisiste imaginaire
ou un nom appartenant à autrui en vue de tromper la victime et de se faire remettre par elle un
bien. C’est une tromperie sur l’identité. L’usage d’un nom peut porter sur un faux nom
patronymique ou un faux prénom à fin de créer la confusion dans la tête de la victime. Il n’y a
donc pas d’escroquerie à faire usage d’un faux pseudonyme ou sobriquet parce que la
personne n’est pas habituellement connue sous ce nom.

Le prénom doit pouvoir influer sur l’identification de la personne avec laquelle la victime
croyait traiter. Le porteur du nom (vrai) qui sait que son nom est utilisé à des fins

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d’escroquerie est un complice par fourniture de moyens. L’usage du vrai nom ne peut par
conséquent constituer l’escroquerie car il ne s’agit pas d’user d’un faux nom.

Cependant, l’escroc peut chercher à créer la confusion avec l’identité de son homonyme en
vue notamment de bénéficier de son renommé. Dans ce cas, son comportement entre dans la
qualification de manœuvre frauduleuse.

Quant à l’usage d’une fausse qualité, sa qualification dépend du sens donné à la notion de
qualité. Le juge, de manière large, considère qu’il y a escroquerie à chaque fois qu’une
personne essayait de se prévaloir d’une qualité ou d’une activité qui n’est pas la sienne.

La qualité est donc l’état d’une personne résultant de sa nationalité, de son âge, de son sexe,
de sa situation matrimoniale, de sa profession etc.…..

En tout état de cause, le faux nom et la fausse qualité demande que l’agent pénal ait pris un
acte positif actif. Le simple silence ou la réticence passive dans le fait de se faire attribuer un
nom qui n’est pas le sien n’est pas qualifiable d’escroquerie même s’il a entrainé une remise
d’une chose.

b)- L’abus de la vraie qualité

De plus en plus, le juge accepte l’existence d’une infraction d’escroquerie fondée sur l’abus
d’une qualité vraie. Il faut que cette qualité vraie entraine une vraie confiance. L’infraction
existe ainsi lorsqu’une personne abuse de la confiance que sa fonction lui procure pour se
faire remettre un bien.

c)- Les manœuvres frauduleuses

L’escroquerie peut résulter de manœuvres frauduleuses. Ces manœuvres sont des mises en
scène des techniques de ruse visant à tromper un tiers (autrui). Le professeur Mascala estime
que les manœuvres consistent à présenter les faits de manière particulière, à arranger des
stratagèmes ou à organiser des ruses dans le but de tromper l’autre.

A l’image de l’abus de confiance l’escroquerie nécessite des actes positifs, actifs de l’escroc.

Le silence ne saurait par sa passivité constituer des manœuvres frauduleuses. Il faut donc une
fraude.

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Les manœuvres doivent être effectuées avant la remise ou momentanément à celle-ci. Elles ne
peuvent en aucun cas être postérieures sauf si elles visent à obtenir des remises successives
dans le temps.

De simples mensonges sont insuffisants à caractériser l’escroquerie. Le juge a décidé que le


fait pour une personne de prétendre avoir oublié son portefeuille afin de se faire prêter de
l’argent ne constitue pas une infraction d’escroquerie. Cependant si le mensonge est confronté
par un autre élément d’escroquerie, l’infraction peut exister. Il en est ainsi d’un document
mensonger qui est par la suite passé par la comptabilité ce qui lui donne une certaine
crédibilité pour constituer l’escroquerie.

En tout état de cause, l’escroquerie n’existe que si les manœuvres frauduleuses et la remise
entretiennent des liens de causes à effet. Le but des manœuvres est de provoquer la remise.

2- La remise de la chose

Les moyens frauduleux doivent entrainer la remise d’une chose par la victime. La
consommation de l’infraction d’escroquerie a lieu au moment de la remise. Cependant, l’objet
de la remise doit entrer dans les prévisions légales. Elle doit porter sur des fonds, valeurs ou
biens. Les biens sont de nature corporelle ou incorporelle. La remise peut donc porter sur une
somme d’argent par moyen de chèque, en espèce ou par virement. Les choses corporelles,
objet de la remise sont des biens meubles quelle que soit leur valeur.

Les choses immobilières restent en principe en dehors de l’escroquerie car l’immeuble ne peut
être remis matériellement.

Le juge sénégalais vient de consacrer l’escroquerie portant sur un immeuble.

« Mais attendu que la loi n° 2016-29 du 8 novembre 2016 modifiant l’article


379 du code pénal vise actuellement les biens immeubles dans la commission du délit
d’escroquerie ;

Et attendu que la cour d’Appel qui a relevé que « par des procédés fallacieux
tirés de sa fausse qualité de propriétaire accréditée par les actes frauduleux destinés à
tromper la vigilance de l’administration jusqu’à obtenir la mutation dudit immeuble à
son nom, le prévenu C Aa s’est rendu coupable du délit d’escroquerie, au sens de

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l’article 379 du code pénal », portant sur la villa n° 1945, sise aux HLM 5, a satisfait
aux exigences du texte susvisé »2.

Mais le juge accepte de plus en plus la qualification criminelle si l’escroc parvient à se faire
remettre le prix de l’immeuble ou ses titres et actes de propriété.

La remise porte aujourd’hui également sur les services. La jurisprudence l’a déjà consacré à
propos de l’affaire de rondelle du parcmètre. Dans cette affaire les automobilistes
introduisaient des rondelles sous forme de pièce d’argent dans la machine pour déclencher
l’appareil en vue d’obtenir illégalement du temps de stationnement.

Cette solution consacrée par le code pénal français est aujourd’hui étendue à l’internet. La
remise peut aussi prendre la forme d’une obligation de décharge. L’acte vise à faire profiter à
l’escroc au détriment de la victime d’un droit soit en le créant soit en l’éteignant. Il s’agit de
fausses promesses de vente et même de jugements obtenus de manière frauduleuse. La remise
est traditionnellement matérielle. Elle se fait donc par tradition (transmission de main à main).

Elle peut également exceptionnellement être faite par équivalence.

3)- Le préjudice

La nécessaire démonstration d’un préjudice pour caractériser l’escroquerie est une question
controversée. La jurisprudence avait rejeté cette condition en acceptant l’existence de
l’escroquerie en l’absence de préjudice. Elle se suffisait de la seule remise de la chose pour
qualifier l’infraction. Cette décision connait un revirement jurisprudentiel qui exigeait un
préjudice de la victime.

Un an après cette solution intervient un nouveau revirement pour revenir à la jurisprudence

antérieure consistant à ne pas exiger un préjudice10

La réforme du code pénal français de 1994 exigea cependant l’existence d’un préjudice et le

juge finit lui aussi par demander son établissement11.

2
Sénégal, Cour suprême, 10 septembre 2020, 31

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B. L’élément moral

Comme toute autre infraction intentionnelle, l’escroquerie suppose que l’agent pénal agisse en
connaissance de cause avec la volonté d’obtenir la remise par fraude.

II- La répression de l’escroquerie

Il y a les peines principales qui peuvent être accompagnées de peines complémentaires et/ou
facultatives. Les peines principales sont en cas d’escroquerie simple constituée d’un
emprisonnement d’un an au moins et de 5ans au plus. L’amende est de 100.000 à 1.000.000
francs CFA.

En cas de circonstances aggravantes ces peines sont doublées. La circonstance aggravante est
principalement l’appel public à l’épargne.

Les peines complémentaires facultatives prévues à l’art. 379 al. 3 CP consistent à des
interdictions de séjour de 10 ans, de vote d’éligibilité, de port d’arme.

Les immunités familiales peuvent exempter de la répression de l’escroquerie dans les mêmes
conditions que l’infraction de vol.

Section 2 : Les infractions de conséquence : Le recel

L’infraction est de conséquence lorsqu’il y a au préalable une infraction d’origine ou de base


qui consiste un élément déterminant de sa répression de sa répression. Il en existe deux. Il
s’agit du recel et du blanchiment de capitaux. Ce dernier étant une infraction spécifique
d’affaires sera étudié dans une partie plus spécifique. Le receleur d’aujourd’hui est le
complice d’hier pour acte postérieur d’assistance, d’aide à la commission d’une infraction. Le
recel consiste à détenir, à dissimuler ou transmettre ou servir d’intermédiaire pour la
transmission d’une chose qu’on sait provenir d’un crime ou d’un délit. Le receleur est aussi le
bénéficiaire en connaissance de cause, c’est-à-dire de mauvaise foi du produit du crime ou
d’un délit. Il faut par conséquence l’existence d’une infraction d’origine. Il faut l’analyser
avant l’étude des éléments constitutifs et de la répression du recel.

Parag. I- Condition préalable : une infraction d’origine de nature criminelle ou


délictuelle

Il faut d’abord une chose ou un produit provenant d’un crime ou d’un délit. La loi semble se
référer aux seules infractions classiques de vol, d’abus de confiance, d’escroquerie en visant

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les choses enlevées détournées ou obtenues illégalement (art. 430 CP du Sénégal). Mais le
juge a depuis longtemps estimé que la nature de l’infraction importe peu pourvu seulement
que la chose provienne d’un crime ou d’un délit.

Le domaine du recel s’est alors étendu et est aujourd’hui loin de la trilogie, vol, escroquerie,
abus de confiance. Il concerne aujourd’hui par exemple l’abus de biens sociaux le
détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêt.

Il faut en outre que l’infraction d’origine conserve son caractère frauduleux. Si ce caractère
frauduleux disparait, la répression du recel devient inopérante. Il en est ainsi de l’amnistie
réelle qui dans le passé fait disparaitre l’infraction. Elle supprime donc le caractère délictueux
de l’incrimination contrairement à l’amnistie personnelle qui n’est bénéfique qu’à l’auteur. En
revanche, le recel existe même si les conditions ayant prouvé la chose ne sont pas déterminées
ou que l’auteur de l’infraction de base est inconnue (crim. 24 Nov. 1964 JCP 1964 IV170)
décédé ou en fuite il en est de même lorsqu’il est relaxé pour démence ou minorité (mineur).

Il n’est donc pas requis que l’auteur de l’infraction d’origine soit puni effectivement peu
importe alors qu’elle soit présente ou que l’auteur bénéficie d’une immunité familiale
(infraction de base).

Parag. II- Les éléments constitutifs de l’infraction de recel

1)- L’élément matériel

La rédaction de l’art. 430 CP Sénégalais n’apporte que quelques éléments dans la


détermination de l’élément matériel. Le recel consiste à détenir, à dissimuler, à transmettre
l’objet du recel. Ce sont ces éléments qui en constituent l’aspect matériel. Il s’agit d’élément
alternatifs car permettant de constituer la matérialité de l’infraction dès l’instant qu’un seul
existe.

Le problème à ce niveau est de se demander comment une simple dissimulation peut


constituer l’élément matériel. En réalité, une dissimulation implique toujours une détention
préalable. On ne peut dissimuler une chose qu’on ne détient pas même si la chose est chez un
tiers. La notion de détention est d’abord entendue au sens matériel comme le fait d’avoir la
chose entre ses mains. Elle a par la suite été comprise comme la maîtrise de celle-ci et cela
indépendamment de l’emploi que compte en faire le receleur et la durée de la détention.

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La détention est dématérialisée car l’infraction de recel existe maintenant sans détention
physique. C’est finalement le recel qui est dématérialisé et la consécration jurisprudentielle du
recel de profit. Le juge a décidé que « constitue également un recel, le fait en connaissance de
cause de bénéficier par tout moyen du produit d’un crime ou d’un délit ». Ici, le délinquant
profite d’une chose qu’il sait issu d’un crime ou d’un délit. Dans cette qualification entre
également le recel d’usage. Le juge vient de consacrer que la vision ou la consultation de site
internet pédopornographique ne suffit pas à caractériser le recel. La constitution du recel
nécessite en outre dans ce cas le téléchargement et la conservation des images
pédopornographiques dans un fichier sur le disque dur d’un ordinateur.

2)- L’élément moral

Le recel est une infraction intentionnelle. Le receleur doit donc savoir que le bien est issu
d’une infraction. Il doit être de mauvaise foi. Il doit avoir la conscience de l’origine
frauduleux de la chose objet du recel peu importe les conditions et les modalités de
l’infraction primaire. Il revient par conséquent au juge du fond d’apprécier souverainement
l’élément moral. Il peut le déduire de l’élément matériel.

Parag. III- La répression du recel

L’emprisonnement est de 1an au moins et de 5ans au plus. L’amende est de 20.000F à


200.000F. Toutefois l’amende pourra être élevée au-delà de 200.000 F et atteindre la moitié
de la valeur des biens objets du recel.

Chapitre II- Les infractions d’affaires spécifiques

Section I- Le blanchiment de capitaux

Le blanchiment de capitaux est un phénomène criminel ancien qui consiste à injecter dans
l’économie légale des fonds obtenus illicitement. Il s’agit d’un phénomène criminel complexe
dans la mesure où le blanchiment est une criminalité organisée. Il utilise des moyens
financiers et techniques, humains, assez importants.

Il emprunte également des circuits ambigus. C’est ce degré d’organisation qui en fait une
criminalité organisée. L’autre aspect est relatif à la recherche du profit que vise le
blanchisseur de capitaux.

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Le blanchiment de capitaux est en outre un phénomène criminel dangereux qui déstabilise les
valeurs politiques économiques et sociales d’un état. Le pouvoir financier de ces délinquants
est de nature à zapper l’organisation républicaine et à pousser par la corruption le jeu
démocratique. Ce même pouvoir financier leur permet (aux blanchisseurs) de fausser la
concurrence, de ternir la réputation des organismes financiers troublant ainsi l’économie d’un
pays. La lutte contre le blanchissement de capitaux a une origine internationale à travers les
résolutions et les conventions des nations unies (convention de vienne de 1988 et Palerme de
2000). Au niveau sous régional, il y a dans l’UEMOA une réponse normative à travers la
directive du 09 Sept. 2002 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux. Elle sera à
l’origine de la loi uniforme nationale contre le blanchiment de capitaux. A côté de ces normes
contraignantes existent d’autres non contraignants. Il s’agit des recommandations du GAFI
(Groupe d’Action Financiers International) de la déclaration de principe des règles et
pratiques de contrôle des opérations bancaires du comité de bale en Israël. Quant aux
dispositifs institutionnels, il existe au sein de la CEDEAO à travers la création du Groupe
Intergouvernemental d’Actions contre le Blanchiment d’Argent et de financement du
Terrorisme (GIABA).

Parag. I- La prévention du Blanchiment de capitaux

La prévention consiste à faire peser sur des professions assujetties des obligations préventives
qui constituent son champ matériel.

A- Le champ matériel de la prévention

Le dispositif préventif matériel comporte deux obligations principales. Il s’agit de l’obligation


de vigilance et de celle de déclaration de soupçon.

1)- L’obligation de vigilance

L’obligation de vigilance est la traduction d’un devoir classique de prudence imposée à


certaines professions notamment financières. Elle prend la forme d’une obligation
d’identification appelée également vigilance générale, d’une obligation d’examen particulier
appelée obligation de surveillance et d’une obligation de conservation. L’application de ces
obligations dépend de l’approche adoptée. Il y a une approche classique qui demande au
professionnel assujetti d’appliquer systématiquement les trois obligations quel que soit le
niveau du risque. A cette approche classique à succéder une autre qualifiée de moderne parce
qu’elle fait dépendre la vigilance du niveau du risque.

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a)-L’approche préventive classique de type systématique

Dans cette approche, le professionnel assujetti applique systématiquement toutes les


obligations préventives de vigilance à toutes les opérations de leurs clients.

- L’obligation d’identification

Elle consiste pour l’assujetti à exiger du client la production d’un document probant
permettant de déterminer son identité. C’est une obligation qui incombe personnellement à
l’assujetti. L’identification porte sur la personne du client ; Il est distingué entre les clients
habituels et clients occasionnels. Une distinction fondée sur le critère de la dualité de la
relation d’affaires. Le client habituel est dans une relation durable et constante alors que le
client occasionnel effectue une opération ponctuelle.

Pour le client habituel, l’identification est une obligation sans condition liée notamment au
montant de l’opération. Pour les clients occasionnels, l’identification n’est exigée que si
l’opération porte sur une somme d’argent en espèce ou contre-valeur (chèque titre) d’un
montant égal ou supérieur à 5.000.000. L’identification est faite par la production d’un
document permettant de déterminer l’identité de la personne mais également son adresse
domiciliaire et professionnelle.

La nature de ce document diffère selon que le client est une personne physique ou morale. S’il
est une personne physique, l’identification exige la production d’une pièce d’identité
nationale comportant une photo du client. Pour les personnes morales, l’identification se fait à
travers un extrait du Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM). Mais toutes les
professions assujetties ne sont pas des commerçants. Par conséquent, leur identification se
fera à travers la production d’autres documents. Pour les organismes à but non lucratif,
l’identification se fait par la production d’un récépissé. Il arrive exceptionnellement que la
tâche d’identification soit confiée à une tierce personne. C’est la tierce introduction ou la
tierce intervention. Elle consiste a confié à un tiers sans engager sa responsabilité,
l’identification d’un client.

- L’obligation d’examen particulier

Appelée également vigilance particulière ou obligation de surveillance, l’obligation d’examen


particulier consiste à détecter les situations douteuses dans les opérations effectuées par les
clients. A l’origine du doute, il y a une anomalie qui peut être matérielle ou intellectuelle. Elle

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est matérielle lorsqu’il existe des signes matériels ou physiques permettant de douter de
l’opération (des ratures, différence signature avec le spécimen). Elle est intellectuelle,
lorsqu’elle découle d’indice se déduisant de comportement inhabituel du client dans la tenue
de sa relation d’affaires ou d’absence de concordance entre son opération et sa situation
économique et financière.

Lorsque l’opération s’effectue dans ces conditions normales une vigilance particulière est
demandée, lorsque le montant unitaire ou total est égal ou supérieur à 50.000.000 FCFA.

Cependant lorsque l’opération est effectuée dans des conditions inhabituelles de complicité ou
sans justification économique ou d’objet licite l’examen particulier est requis lorsque le
montant est supérieur ou égal à 10.000.000 FCFA.

- L’obligation de Conservation

L’assujetti doit conserver les documents d’identification du client pendant dix (10) ans. La
conservation concerne également l’examen particulier à travers l’obligation de consignation.
Cette dernière existe lorsque l’examen particulier n’a pas permis de découvrir un soupçon à
déclarer. Le point de départ pour le calcul du délai est fixé au moment de la rupture de la
relation d’affaires.

Les documents conservés numériquement ou sur support papier sont des données à caractère
personnel dont la collecte et l’exploitation nécessitent une autorisation de la commission de
protection des données à caractère personnel.

b)- La nouvelle approche fondée sur le risque

Dans cette approche moderne le degré de la vigilance est modulé en fonction de l’importance
du risque. Au risque faible va correspondre une vigilance allégée. Les domaines à faibles
risque sont d’abord personnels. Il s’agit des institutions financières qui ont leur siège dans
l’UMOA ou dans un pays de l’UEMOA ou même dans un pays tiers qui applique des
obligations préventives équivalentes. Il en est ainsi également des sociétés cotées en bourse,
des autorités publiques et des organismes publics. Il s’agit également des opérations qui
portent sur des monnaies électroniques, des contrats d’assurances etc.…

Comment alléger la vigilance ?

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Au niveau de l’identification l’allégement consiste à la retarder. Jadis, placée avant la
formation de la relation d’affaires, l’identification sera maintenant effectuée qu’au moment de
sa formation parfois même postérieurement après le premier acte d’exécution. En tout état de
cause, l’allégement disparait lorsqu’apparait un soupçon de blanchiment d’argent.

Au risque élevé va correspondre une vigilance renforcée. Le risque de blanchiment est élevé
dans les opérations à distance parce que la partie cliente n’est pas sur place à fin de permettre
l’identification. Il est également élevé pour les personnes politiquement exposées et les
opérations anonymes. Le renforcement de la vigilance consiste à aggraver l’intensité des
obligations d’identification et d’examen particulier. L’identification a lieu avant toute
opération d’affaires. L’examen particulier est anticipé pour se placer au même moment que
l’identification.

2)- L’obligation de déclaration de soupçon

Le professionnel assujetti n’a qu’une vision limitée de l’infraction. Mais il peut avoir des
soupçons d’illicéité de blanchiment de capitaux. Il doit dans ce cas les déclarer à la Cellule
National de Traitement des Infractions Financières (CENTIF).

Aux termes de l’article 26 de la loi uniforme relative au blanchiment de capitaux, l’obligation


déclaration de soupçon porte sur les sommes d’argent détenues par les assujettis qui
pourraient provenir du blanchiment de capitaux, sur les opérations relatives aux biens qui
pourraient s’inscrire dans ce processus. La déclaration de soupçon concerne également les
sommes d’argent qui pourraient servir à financer le terrorisme. Le soupçon est un doute
conforté et insusceptible de clarification malgré un examen particulier. La déclaration de
soupçon a lieu avant l’exécution de l’opération. Il arrive exceptionnellement que la
déclaration se passe après l’exécution de l’opération. Il en est ainsi lorsque le soupçon
apparait après l’exécution ou lorsqu’il a été impossible de surseoir à l’opération. La
déclaration doit être faite par tout moyen laissant trace écrite.

Exceptionnellement elle peut être faite oralement, par téléphone en cas d’urgence. Dans ce
cas, une confirmation écrite sur papier ou électronique devra être faite dans un délai de 48
heures. La CENTIF dispose d’un droit d’opposition. Le déclarant de soupçon doit patienter
pendant 48 heures qui correspondent au délai laissé au service financier pour procéder à
l’opposition.

B- Le champ personnel de l’assujettissement

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Il sera question de déterminer les différentes professions soumises au dispositif préventif
matériel de lutte contre le blanchiment de capitaux. Il est distingué entre assujetti du secteur
financier et assujetti du secteur non financier.

1)- L’assujettissement du secteur financier

Les organismes financiers ont été les premiers à être assujettis à la prévention contre le
blanchiment de capitaux. Cette préséance est justifiée par leur vulnérabilité et leur place
essentielle dans l’économie d’un pays. Il faut donc les protéger de la mauvaise réputation et
de l’instabilité. Le secteur financier est composé des banques et des structures non bancaires.
Les structures non bancaires recouvrent notamment le secteur des assurances, des changes
manuelles, des transferts d’argent etc.….

2)-L’assujettissement du secteur non financier

Les assujettis qui composent ce secteur sont nombreux. Il s’agit des organismes caritatifs à
travers l’assujettissement des ONG et des organismes à but non lucratif. Il y a également le
secteur de l’immobilier, les agences de voyages les établissements de jeux (casino, loterie).
Mais l’accent sera mis sur l’assujettissement des professions des chiffres et du droit.

a)- L’assujettissement des professions des chiffres : le commissaire au compte

Les professions de chiffres sont composées principalement des experts comptables. Mais la
loi uniforme ne vise que les commissaires aux comptes. Ces derniers, qui sont d’abord des
experts comptables ont pour mission de certifier la régularité et la sincérité des états financiers
et des documents comptables dans les sociétés. Le commissaire est tenu d’une obligation
classique de déclarer au Procureur de la République de tout fait susceptible de constituer une
infraction. Il est tenu également dans le cadre spécifique de la lutte contre le blanchiment et de
financement de terrorisme de déclarer les soupçons à la CENTIF. La loi uniforme dispose
qu’une autre déclaration ne saurait empêcher une déclaration de soupçon.

b- L’assujettissement des professions juridiques indépendantes

Il s’agit de l’assujettissement des avocats, des notaires, des huissiers de justice, des
commissaires-priseurs, des mandataires judiciaires etc.… Si les autres ont docilement accepté
l’assujettissement, par contre les avocats l’ont fortement contesté. Le fait est que les avocats
sont régulièrement consultés par les blanchisseurs qui les considère comme des ouvreurs de
porte capables par des techniques juridiques de masquer l’origine illicite des fonds.

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Les avocats voient dans leur assujettissement une violation de leurs droits fondamentaux
notamment du secret professionnel, de l’indépendance et du droit de garder le silence qui est
un droit de ne pas s’auto incriminer.

Ils ont à cet effet saisi le juge qui a maintenu leur assujettissement mais partiellement. Par
conséquent, les avocats sont soumis à déclaration indirecte de soupçon de blanchiment de
capitaux. Ils ne saisissent pas directement la CENTIF car la déclaration est faite d’abord au
niveau du bâtonnat. C’est au bâtonnier de juger de l’opportunité de saisir la CENTIF. En
outre, un pont entier de leurs activités reste en dehors de l’assujettissement : la consultation
juridique et la défense y sont également exclues.

Parag. II- La Répression du blanchiment de capitaux

Il convient de distinguer la répression de la violation du dispositif préventif de celle de


l’infraction pénale proprement dite.

A-La Répression de la violation du dispositif préventif

Le principe est que les sanctions résultant d’une mauvaise application par les professionnels
des règles préventives sont disciplinaires. Les sanctions civiles et pénales étant exclues.

1)- Le principe de la répression disciplinaire du dispositif préventif

Lorsque par suite soit d’un grave défaut de vigilance soit d’une carence dans l’organisation de
ces procédures internes de contrôle un assujetti méconnait les obligations préventives
l’autorité ayant pouvoir disciplinaire peut agir d’office dans les conditions prévues par des
textes.

Le fondement de cette disposition est dans la nature déontologique des obligations


préventives. Or une règle déontologique ne peut connaitre qu’une sanction interne à la
profession. C’est la sanction disciplinaire.

Les éléments du manquement disciplinaire sont composés d’un aspect préalable et d’une
véritable violation de l’une des obligations préventives. L’élément préalable est constitué
d’une alternative. Il s’agit soit d’un grave défaut de vigilance soit d’une carence dans
l’organisation interne qui vulnérabilise la profession l’exposant ainsi à tous les actes de
blanchiment de capitaux.

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En outre, le professionnel doit violer une des obligations préventives spécifiques au dispositif
anti blanchiment. Les sanctions disciplinaires sont prononcées par une autorité disciplinaire
interne. Dans les professions organisées, il s’agit notamment pour les professions financières
de la commission bancaire. Dans les professions organisées en ordre, il s’agit de l’autorité
ordinale par exemple bâtonnier chez les avocats. Mais certaines professions ne sont pas
structurées il s’agit notamment du secteur immobilier, caritatif et de jeux.

2)- Le Rejet des sanctions civiles et pénales

Le rejet se manifeste par une exemption de toute responsabilité civile et pénale du


professionnel assujetti qui n’a pas procédé à la déclaration de soupçon. En l’absence de
déclaration de soupçon, le risque est l’exécution de l’opération alors que finalement elle va
s’avérer constituer l’infraction.

Pour l’obligation de vigilance, la cour de cassation française a décidé que l’obligation de


vigilance imposée aux professions n’a pour seule finalité que la détection du blanchiment de
capitaux. Par conséquent, une victime d’agissement frauduleuse ne saurait s’en prévaloir pour
réclamer des dommages et indemnités au professionnel qui par le non-respect du dispositif
préventif lui a causé un préjudice. Pour la déclaration de soupçon, c’est la loi elle-même qui
exempte les professionnels assujettis des conséquences pénales et civiles susceptibles de
résulter de l’accomplissement de la déclaration de soupçon. Ainsi, lorsqu’elle est faite de
bonne foi, elle exonère l’assujetti de toute responsabilité civile article 23 alinéa 1, 2 de la loi
uniforme contre le blanchiment de capitaux et le financement de terrorisme.

Sur le plan pénal, l’inexécution même fautive de la déclaration de soupçon n’est pas
constitutive d’une infraction pénale sauf en cas de concertation frauduleuse. Quelques
infractions pénales spéciales sont tout de même prévues notamment en cas de divulgation
d’une déclaration de soupçon effectuée contre un client. Il est donc interdit à l’assujetti
déclarant un soupçon d’informer le client qu’une déclaration a été faite en son encontre. Dans
ce cas la sanction est un emprisonnement de 06 mois à 2 ans et / ou une amende de 100.000
FCFA à 1.500.000 FCFA.

B- La répression de l’infraction de Blanchiment de capitaux

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Avant de s’appesantir sur les différentes sanctions. Il convient au préalable de déterminer
l’étendue de l’incrimination.

1)- L’incrimination du blanchiment de capitaux

L’élément préalable : l’infraction d’origine. A l’instar du recel le blanchiment de capitaux


est une infraction d’origine de nature criminelle ou délictuelle ayant procuré des produits des
biens ou des fonds illicites. Comme pour le recel toujours les modalités touchant à la
répression de l’infraction d’origine sont indifférentes à celles de l’infraction principale du
blanchiment de capitaux. Cependant depuis 2004 le juge a consacré la notion l’auto-
blanchiment. Il a décidé que le blanchiment existe à l’égard de l’auteur de blanchiment du
produit d’une infraction qu’il a lui-même commise.

- L’élément matériel. Il est constitué des techniques de blanchiment de capitaux. Il s’agit du


placement qui consiste à injecter dans le secteur formel des fonds acquis illicitement. Il y a
ensuite la dissimulation qui consiste à différentes opérations à brouiller les pistes afin de
cacher l’origine illicite des fonds. La dernière étape est constituée par la conversion ou
intégration.

Dans cette étape, l’argent est injecté dans le secteur formel parce qu’il est apparu maintenant
licite. Il revient au blanchisseur lavé de toute illégalité.

- L’élément intentionnel Le blanchiment de capitaux est une infraction intentionnelle. Il


consiste intentionnellement à accomplir les faits interdits de blanchiment, à avoir la
conscience de rechercher le résultat de l’infraction ou la connaissance de l’origine illicite des
fonds et malgré tout à accomplir l’opération interdite.

2)- Les sanctions applicables

Il convient de distinguer les peines principales des peines complémentaires.

a)- Les peines principales

Elles diffèrent selon que le blanchiment est simple ou aggravé.

Le blanchiment simple. A ce niveau, les peines applicables aux personnes physiques


constituent une règle classique. La nouveauté est de vouloir sanctionner pénalement les
personnes morales.

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Pour les personnes physiques la peine est un emprisonnement de 3 à 7ans et d’une amende
égale au triple de la valeur des biens ou fonds objet du blanchiment.

Pour les personnes morales, la fictivité empiété tout emprisonnement. Outre l’état, les
personnes morales pour le compte duquel un blanchiment de capitaux est commis par l’un de
ses organes ou représentants sont passibles d’une amende d’un taux égal au quintuple des
sanctions encourues par les personnes physiques cela ne préjudicie pas les sanctions
applicables aux personnes physiques qui ont agi.

Le blanchiment aggravé. Les circonstances aggravantes sont l’habitude, l’utilisation des


facilités professionnelles, des bandes organisées et la récidive. Dans ce cas, les peines sont
doublées.

b)- Les peines complémentaires

Il y a des peines complémentaires facultatives et les peines complémentaires obligatoires.

Les peines complémentaires facultatives. Pour les personnes physiques, il s’agit


principalement de peines d’interdiction. Il y a d’abord l’interdiction du territoire définitive
pour une durée d’un an à 5ans des étrangers.

L’interdiction porte en outre sur le séjour dans une circonscription administrative pour une
durée de 1 à 5 ans. Elle est aussi une interdiction de quitter le territoire national avec le retrait
de passeport pour une durée de 6 mois à 3ans. L’interdiction peut également être faite de
conduire des engins terrestres maritimes ou aériens pour une durée de 6 mois à 6ans etc.…

Pour les personnes morales, les peines complémentaires facultatives sont l’exclusion
définitive ou de 5ans au plus des marchés publics. Il y a le placement sous surveillance
judiciaire. L’interdiction d’activité professionnelle dans les domaines où l’infraction a été
commise, de la dissolution de la personne morale créée que pour commettre le blanchiment de
capitaux.

Les peines complémentaires obligatoires : la confiscation. Aux termes de l’art. 45 de la loi


uniforme relative contre le blanchiment une peine complémentaire de confiscation au profit
du trésor public doit toujours être prononcée. Elle porte sur les produits de l’infraction, sur les
biens meubles ou immeubles dans lesquels les fonds ont été investis ou acquis par ces fonds
sauf ignorance de leurs origines frauduleuses.

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3)- L’exemption de la sanction pénale

La lutte contre le blanchiment de capitaux utilise un système classique de coopération que


constitue le mécanisme des repentis. Selon l’importance de leur collaboration leur exemption
sera totale ou partielle.

- L’exemption totale. Les bénéficiaires sont les personnes concernées de participation à une
association ou une entente de blanchiment de capitaux. Sont ainsi exemptées de la
responsabilité pénale les personnes qui ont révélé l’existence d’une entente, association, aide
conseil à l’autorité judiciaire et qui ont permis d’identifier les personnes en cause et d’éviter la
réalisation de l’opération. Elles bénéficient d’une exemption totale de toute responsabilité
pénale.

- L’exemption partielle. Les auteurs ou complices de blanchiment de capitaux qui avant


toute poursuite permet ou facilite l’identification des autres coupables ou qui après
l’engagement permettent ou facilitent l’arrestation de celles-ci verront leur sanction réduite en
moitié. En outre, elles se verront pas appliquer l’amende ni une peine complémentaire.

Section II- Le délit d’initié

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