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Fabrice Wilhelm
2016/2 N° 66 | pages 77 à 84
ISSN 1299-5495
ISBN 9782130733683
DOI 10.3917/cite.066.0077
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-cites-2016-2-page-77.htm
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Le suicide envieux
Fabrice Wilhelm
1. Nous nous situons ici dans la perspective de Mélanie Klein [Envie et Gratitude, trad. fr.
Marguerite Derrida, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1975] pour qui l’envie est un affect archaïque,
universel, expression des pulsions destructrices, qu’elle étudie à partir de ses manifestations cliniques
et de ses figurations littéraires. Pour une approche systématique de cette notion, voir F. Wilhelm,
L’Envie, une passion démocratique au xixe siècle, Paris, PUPS, 2015, p. 29-118 et p. 347-390.
2. Voir les analyses de Janine Chasseguet-Smirgel concernant l’Hilflosichkeit dans La Maladie
d’Idéalité. Essai psychanalytique sur l’idéal du moi, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 17, p. 31-45.
3. Au point qu’on peut parler de « nature projective de l’envie ». Voir Florence Guignard,
« L’envie, terre de désolation… », Revue française de psychanalyse, 1997, p. 123-138.
4. Voir Alain Gibeault : « De la projection et de l’identification projective », Revue française de
psychanalyse, 2000, p. 723-742.
cités 66, Paris, puf, 2016
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souffrance d’autrui n’est pas moins animé par l’envie que celui qui s’afflige
de son bonheur. Le suicide envieux – conséquence extrême d’une envie
exacerbée qui n’a pu trouver ni exutoire défensif ni dépassement dans la
sublimation5 – doit être envisagé à la confluence de ces deux destins de
l’affect.
Durkheim distingue trois formes de suicide dans son ouvrage de 18976.
Le suicide altruiste caractérise les groupes sociaux où l’individu est secondaire
par rapport aux intérêts et aux idéaux collectifs. Le suicide égoïste s’explique
au contraire par la désintégration sociale et le développement de l’indivi-
dualisme : il est l’aboutissement d’une dépression qui se manifeste tantôt
par la mélancolie, tantôt par l’indifférence sceptique. Le suicide anomique
est enfin une conséquence des phénomènes de déclassement, par le haut et
par le bas, produit par la labilité nouvelle des frontières sociales. La tonalité
affective qui le précède n’est pas la dépression, mais la colère, ce qui explique
sa réversibilité en homicide, pour peu que le sujet rende autrui responsable
de ses déceptions et de ses échecs. La trop forte intégration détermine ainsi
la soumission de l’individu à son devoir : en se suicidant, le sujet se sacrifie.
L’individualisme, par la rupture des liens sociaux, engendre la mélancolie
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5. L’envie primaire vise la « créativité maternelle » qu’elle veut détruire. Seul l’exercice de la
créativité permet donc selon Mélanie Klein de dépasser l’envie, voir Envie et Gratitude, op. cit.,
p. 18.
6. Émile Durkheim, Le Suicide, éd. Serge Paugan, Paris, Puf, coll. « Quadrige », 2007.
7. « Je me suis vengé… », Stendhal, Le Rouge et le Noir, éd. Michel Crouzet, Paris, GF, 1964,
p. 450.
8. « Madame, ici chacun se venge », Victor Hugo, Ruy Blas, V, 3.
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13. Sigmund Freud, « Deuil et mélancolie », Métapsychologie, éd. Jean Laplanche et J.-B. Pontalis,
Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1940.
14. Ibid., p. 158. Nous soulignons.
15. Charles Baudelaire, Œuvres complètes I, éd. C. Pichois, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque
de la Pléiade », Les Fleurs du Mal, « L’Héautontimorouménos », 1976, p. 79.
16. La conception selon laquelle le suicide mélancolique vise l’objet introjecté est nuancée par
Mélanie Klein, car il peut-être aussi un moyen de s’unir à l’objet : « Contribution à l’étude de la
psychogenèse des états maniaco-dépressifs », Essais de psychanalyse, éd. N. Abraham et M. Torok,
Paris, Puf, coll. « Bibliothèque de Psychanalyse », 1967, p. 326-327.
17. Karl Abraham, « Contribution à la psychogenèse de la mélancolie », Œuvres complètes II,
1915-1925, trad. fr. Ilse Barande, Paris, Payot, coll. « Science de l’homme », 2000, p. 193-201.
18. Saint Augustin, Confessions, trad. fr. J. Trabucco, Paris, GF, 1964, p. 22.
19. Karl Abraham, op. cit., p. 190.
20. Ovide, Métamorphoses, éd. G. La Faye, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1994.
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21. Voir Carla Casagrande et Silvana Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris,
Aubier, 2003, p. 70-78.
22. Murmure malveillant, dénigrement, satisfaction de voir le prochain contrarié, déception
de le voir prospérer, Saint-Thomas d’Aquin, Somme Théologique, La Charité, éd. H. D. Gardeil,
trad. fr. V. Vergriete, Paris, Éditions du Cerf, t. III, 1963, p. 74.
23. Eugène Sue, L’Envie, Frédérik Bastien, Les Sept Péchés capitaux, éd. Jules Rouff.
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24. Émile Zola, Germinal, éd. Henri Guillemin, Paris, Garnier-Flammarion, 1968, p. 442.
25. L’envie est selon Mélanie Klein « La manifestation sadique-orale et sadique anale des pul-
sions destructives » [Envie et Gratitude, op. cit., p. 13.]. Mais les travaux de Gérard Bonnet – voir
note suivante – nous suggèrent qu’elle est également l’expression d’un sadisme visuel.
26. Songeons au voyeur de Psychose.
27. Le développement de la pornographie a été interprété par Gérard Bonnet comme une
compensation exhibitionniste au caractère anxiogène du monde moderne qui vise inconsciemment
les plus faibles, c’est-à-dire les enfants en les contraignant à assister à un spectacle attirant et angois-
sant. Il me semble qu’il s’agit de susciter conjointement le sentiment d’impuissance et l’envie. Voir
Gérard Bonnet, Défi à la pudeur, Paris, Albin Michel, 2003.
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28. Charles Baudelaire, « Les Tentations, ou Éros, Plutus et la Gloire », Le Spleen de Paris,
op. cit., p. 309.
29. « Les Veuves », op. cit., p. 294.
30. « Les Petites Vieilles », op. cit, p. 91.
31. Ibid., p. 372. Nous soulignons.
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Dossier
Fin de vie,
éthique du soin
et situations extrêmes
32. Sur le lien entre pulsion de mort et envie, voir Hanna Ségal, « De l’utilité clinique du
concept d’instinct de mort », La Pulsion de mort, Paris, Puf, 1986.
33. Charles Baudelaire, op. cit., p. 371.
34. Cette annihilation du spectacle envié réalise la finalité des pulsions visuelles de mort. Voir
Gérard Bonnet, La Violence du voir, Paris, Puf, coll. « Bibliothèque de Psychanalyse », 1996.