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Correction de l'exercice

Cas pratique

Introduction

Faits : Propriétaire d’un terrain, notre oncle nous consulte. Le maire de sa commune a permis la
construction d’un rond-point sur une portion de sa propriété privée. L’ouvrage ne couvre pas la
totalité de la parcelle puisqu’il n’empiète pas sur l’ensemble de la propriété de notre oncle et
n’entrave qu’a minima sa liberté d’aller et venir. Seulement, l’ouvrage public a été réalisé sans
autorisation préalable.

→ Précision : À l'instar des faits dans la fiche d'arrêt, il ne faut mettre en avant que les faits
principaux tout en utilisant des notions juridiques pour commencer à qualifier la situation de l'espèce.
Dans ce cas pratique, il fallait traiter de la voie de fait étant donné le thème de la séance (encore une
fois, regardez bien le thème des T.D. et votre cours pour savoir comment aborder l'exercice proposé).
Du coup, dans les faits, il faut utiliser des notions qui permettent d'amorcer pour qualification
juridique. Une voie de fait suppose une atteinte, ici à une propriété privée, par une décision, un
comportement d'une personne publique. D'où l'importance d'utiliser les termes de commune, de
propriété privée, d'atteinte, d'ouvrage public, absence d'autorisation préalable.

Il ne s'agit donc pas de recopier le sujet, mais de l'amorcer. De plus, les faits secondaires doivent être
plutôt abordés dans le corps même de la réponse du cas pratique.

Exemple de qualification dans les faits : l'utilisation de la liberté d'aller et venir permet d'exprimer
juridiquement le fait que la construction du rond-point ne l'empêche ni de sortir de chez lui ou d'y
rentrer ni de s'y promener ou d'y jouer …

Question posée :

Votre oncle voudrait savoir quel est le juge compétent dans le cadre d'une atteinte à sa propriété qui
manifeste une voie de fait et par quelle voie de recours la plus efficace peut-il faire cesser cette
atteinte ?

Pour répondre à cette question, il faut au préalable se demander s’il y a ou non voie de fait puisque de
cette qualification dépend la solution du litige.
→ Précisions : À l'instar du problème juridique de la fiche d'arrêt, il faut essayer de reformuler
JURIDIQUEMENT la question qui est posée dans le cas pratique. Il faut donc qualifier
juridiquement. À ce titre, soit vous qualifiez dans l'énoncé de la question, soit il vous est possible de
procéder d'abord à la qualification juridique avant de poser la question.

Par exemple, après avoir rappelé les faits dans lesquels vous avez précisé qu'il y a une atteinte à la
propriété, la qualification juridique consiste à mettre en exergue un cas de voie de fait. Puis, vous
posez le problème juridique. En outre, si les faits concernent une association, précisez que,
juridiquement, une association est une personne morale de droit privé. La précision est importantesi
le cas pratique ou un arrêt traite du service public.
Raisonnement

→ Le raisonnement tient en trois étapes :


• L'énoncé d'une règle, d'un principe ou d'une solution jurisprudentielle : bref, l'énoncé du
droit applicable.
• Un travail de qualification et d'application aux faits de l'espèce.
• Une conclusion concise.

L'énoncé du droit applicable :

Au préalable il faut rappeler que la compétence sur les actes de l’administration relève en principe du
juge administratif (pour la démolition d’ouvrage public voir par exemple TC, 6 mai 2002, M. et Mme
Binet c/ EDF).

Cependant, dans certaines hypothèses les actes pris ou accomplis par l’administration peuvent relever
de la compétence du juge judiciaire. C’est le cas notamment, de la voie de fait. Il s’agit d’une théorie
résultant d'une construction jurisprudentielle ancienne qui reconnaît au juge judiciaire compétence
pour assurer la protection des administrés contre les agissements matériels et contre la prise de
décisions par l'administration qui correspondent aux abus les plus graves contre les libertés. La voie
de fait est une exception à la compétence de principe du juge administratif.

Cette théorie a été historiquement reconnue par la décision T.C., 8 avril 1935, Action française (doc.
1). En l'espèce, le préfet de police de la ville de Paris avait saisi un journal au motif de risque de
troubles graves à l'ordre public, alors même qu'il ne disposait pas d'un tel pouvoir. Si dans un premier
temps cette théorie a été maintenue même après l’intervention de la loi du 30 juin 2000 relatif aux
référés (TC, 23 oct. 2000, Boussadar), la position du tribunal des conflits a évolué par une importante
décision T.C., 17 juin 2013, Bergoend c./Société E.R.D.F. Annecy Léman (doc. 5 et G.AJ.A.).

En premier lieu, il existe deux types de voie de fait :

• La voie de fait pour manque de procédure : lorsque l’administration procède à l’exécution


forcée irrégulière d'une décision administrative légale ou non (= ce qui relève d’une mise en œuvre
concrète de l’acte par des agents de l’administration) ;
• La voie de fait pour manque de droit : exécution d'une décision administrative manifestement
illégale caractérisée par la mise en œuvre de prérogatives insusceptibles dese rattacher à un pouvoir
reconnu par les textes à l'administration.

En second lieu, des conditions sont requises pour que ces agissements soient constitutifs de voie de
fait et ces conditions ont été redéfinies par la décision Bergoend. Si, par cette décision, le T.C. ne remet
pas en cause l'essence et les conséquences de la reconnaissance de la voie de fait, il en réduit
considérablement la portée. Pour qu'il y ait voie de fait, il faut désormais (ces critères sont alternatifs
et non pas cumulatifs) :

• Soit, une atteinte à LA liberté individuelle et non plus à UNE liberté fondamentale. La
jurisprudence entend s’inscrire dans la notion de liberté personnelle au sens de l’article 66 de la
Constitution française de 1958 et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On entend
par liberté individuelle le droit à la sureté c’est-à-dire les privations de liberté (= le fait de ne pas
pouvoir être détenu arbitrairement).

exemples de cas où l’intervention du juge judiciaire est nécessaire du fait qu’il s’agit d’une privation
de liberté : hospitalisation sans consentement, centre de rétention administrative pour étrangers…

Ainsi n’entre pas dans ce champ les simples atteintes à la liberté d’aller et venir (TC, 12 février 2018,
Gueye doc.7) ni l’atteinte à la vie ou à la vie privée (Cass., Ass. pl., 28 juin 2019, 19-17.330 « affaire
Lambert » doc. 8)

• Soit, une atteinte au droit de propriété tellement grave qu’elle entraine une extinction de ce
droit. Le terme d' « extinction » est très intéressant car le Conseil constitutionnel a tendance à
utiliser les termes d' « atteinte » et de « privation ». Or, l' « extinction » est une notion plus
restrictive que l’atteinte même grave. Elle implique une dépossession totale et définitive du bien.

Dans cette décision Bergoend, le tribunal des conflits a considéré que l'implantation, même sans titre
(c’est-à-dire sans autorisation), d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas
d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration. Il
avait également considéré dans cette espèce que l’implantation d’un poteau électrique sur la propriété
des personnes en cause n’avait pas abouti à l’extinction de leur droit de propriété.
→ Précision : il peut être intéressant de rappeler les faits de l’espèce d’une jurisprudence vous les
connaissez pour aider à l’application aux faits ensuite. Ce n’est cependant pas indispensable car ce
qui compte est le raisonnement que vous suivez et non la solution. Vous pouvez donc avoir une
appréciation parfois différente du correcteur, ce qui n’est pas un problème dès lors que cela est bien
justifié dans votre raisonnement.

La décision Bergoend a été appliquée par la Cour de cassation dans son arrêt Cass., 1re civ., 9
décembre 2015, Communauté d'agglomération de Saint-Quentin en Yvelines c./ Société Orange
(doc.6 ), le juge administratif est compétent pour constater les empiètements, atteintes partielles au
droit de propriété, de même que les occupations et les confiscations de terrain par l’administration.

Si cette décision réduit le champ de compétence du juge judiciaire en matière de voie de fait, elle
n'a pas remis en cause la possible concurrence des compétences. Dans une ordonnance C.E., ord.,
23 janvier 2013, Commune de Chirongui, (doc.4) rendu quelques mois avant la décision Bergoend,
le Conseil d'État a admis que le juge administratif statuant en référé-liberté avait compétence pour
enjoindre à l'administration de faire cesser une voie de fait (en l'espèce, une atteinte au droit de
propriété).

Qualification – Applications aux faits de l'espèce :

→ Précisions : À l'instar de la définition des termes du sujet d'une dissertation, il faut être cohérent.
Dès lors que vous retenez un élément, il faut que vous l'utilisiez comme un argument par la suite.

Par exemple, dans la dissertation « Le juge administratif est-il pleinement un juge ? », si, dans la
définition du juge, vous évoquez l'indépendance et l'impartialité, il faut reprendre ces éléments en les
appliquant au juge administratif.

Pour le cas pratique, il faut procéder ainsi. Tous les éléments importants du droit applicable doivent
être repris pour les appliquer aux faits de l'espèce !

→ Dans le présent cas pratique, vous avez identifié un éventuel cas de voie de fait. Vous avez
donc mobilisé vos connaissances sur cette dernière. Vous constatez donc, d'après le droit
applicable, qu'il y a deux éléments à apprécier : le type de voie de fait et quelle atteinte ?
En l’espèce, la maire de la commune a, sans autorisation préalable, empiété sur la propriété privée
par la construction du rond-point. Or, ayant agi sans autorisation, la commune a pris une décision
illégale. Il s'agit donc davantage d'une voie de fait pour manque de droit.

Seulement, l'empiètement sans autorisation n'est pas total dans la mesure où le propriétaire peut
malgré tout accéder et jouir de sa propriété. Or, selon la jurisprudence Bergoend, pour qu'il y ait
voie de fait en cas de prise d'une décision illégale, il faut qu'il y ait une atteinte grave à la liberté
individuelle ou une extinction du droit de propriété.

Or en premier lieu, la liberté individuelle de notre oncle n’est pas entravée : il n’est pas privé de
sa liberté comme il pourrait l’être s’il était détenu ou enfermé sans pouvoir sortir. Tout au plus, celui-
ci subit une atteinte à sa liberté d’aller et venir, qui ne caractérise plus une voie de fait ainsi que l’a
rappelé la décision Gueye précitée.

En second lieu, l’implantation d’un ouvrage public, même sans titre, se rattache au pouvoir normal
de l’administration ainsi que l’a jugé le TC. La première condition de la décision Bergoend relative
à « l’acte insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration » n’est donc pas remplie et
suffirait à elle seule à ne pas caractériser une voie de fait.
En outre, l’empiètement n'étant que partiel en l'espèce, son droit de propriété n'est pas éteint. C’est
d’ailleurs ce qu’avait jugé la décision Bergoend. La seconde condition tenant à l’extinction du droit
de propriété n’est donc pas non plus remplie.

Solution

Dès lors que l'empiètement sans autorisation n’est pas insusceptible de se rattacher à un pouvoir de
l’administration, ne méconnait pas la liberté individuelle de notre oncle, ni n’a pour conséquence
d'éteindre le droit de propriété, il ne peut être qualifié de voie de fait. Partant, le juge judiciaire n'est
pas compétent. La compétence relève donc du juge administratif.

Notre oncle devrait alors, en application de la jurisprudence précitée du Tribunal des conflits,
envisager une action devant le juge administratif pour qu’il connaisse du litige né de l’action de la
commune.

Il pourra être opportun de conseillera à notre oncle de saisir le juge administratif d’un référé-liberté
sur le fondement de l'article L. 521-2 du C.J.A. Ce faisant, le juge administratif, pourra, par
ordonnance, faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété et ceci même
en cas de voie de fait (en application de l’ordonnance Commune de Chirongui de 2013). Le juge
des référés pourrait même enjoindre à l’Administrationde faire cesser l’empiètement au droit de
propriété ou/et dans le meilleur des cas, indemniser le requérant de l’empiétement subi.

Le cas échéant, il serait possible d'agir en responsabilité civile extra-contractuelle contre la


commune pour obtenir réparation du préjudice subi.

→ Précisions : Le thème de la séance est la voie de fait. Il faut donc mettre l'accent sur cette hypothèse
pour exclure la compétence du juge judiciaire. Ce n'est qu'après le constat selon lequelil n'y a pas
voie de fait et donc que le juge judiciaire est incompétent qu'il faut aborder l'hypothèse du recours
devant le juge administratif. Toutefois, on ne vous demande pas de faire un T.D. de contentieux
administratif (le thème du T.D. n'est pas le recours devant le juge administratif) en précisant tous les
recours possibles et de savoir lequel s'applique en l'espèce ! De plus, vous avez vu dans la plaquette
l'ordonnance Commune de Chirongui qui retient le référé-liberté même quandvoie de fait. Il fallait
donc seulement évoquer cette ordonnance !7

Rappel : Le référé-liberté est un recours autonome de sorte que rien n’empêche de cumuler ce recours
en urgence avec un recours au fond en démolition d’ouvrage public. Seulement le délai de jugement
sera beaucoup plus long d’autant que le jugement rendu pourra faire l’objet d’un appel et d’un pourvoi
en cassation. Or en matière de référé-liberté l’ordonnance est en principe rendue dans les 48 heures
et l’appel est interjeté devant le Conseil d’Etat qui lui-même statuera très rapidement.

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