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Le contentieux réservé au seul juge

judiciaire
Il s’agit de contentieux réservés en principe aux juridictions judiciaires
et qui ne s’intègrent pas aux hypothèses précédentes. A quoi il faut
ajouter certains chefs de compétence « naturels » selon l’expression du
Conseil constitutionnel.
1° la gestion du domaine privé.
Principe : selon la nature publique ou privée du domaine source du
litige, la compétence variera.
- Domaine public : il rassemble des biens des personnes publiques
affectés à l’usage du public ou d’un service public et spécialement
aménagés à cette fin. Leur finalité d’intérêt général justifie un régime
juridique protecteur dont la sanction est confiée aux juridictions
administratives.
- Domaine privé : les biens ne répondant pas à la définition précédente
relèvent du domaine privé. L’exemple type en sont les forets domaniales
que l’Etat ou les collectivités locales gèrent comme « le bon père de
famille » du Code civil gère son patrimoine.
La compétence traditionnelle des juridictions judiciaires à l’égard du
decontentieux du domaine privé supporte quelques exceptions :
- Hypothèse où le domaine privé accueille cetians service publics. C’est
le cas de la protection et de la mise en valeur des forêts pour des
préoccupations de sauvegarde de l’environnement. Le contenteiux de ces
activités de service public qui se détachent de lagestion du doamine
privé appartient aux juridictions administratives (Conseil d'Etat – 3 mars
1975 – Courrière).
- Hypothèse d’actes administratifs détachables de la gestion du domaine
privé comme la vente d’une parcelle (Conseil d'Etat – 10 mars 1995 –
Ville de Digne).
- Hypothèse où le domaine privé supporte des ouvrages publics ou des
travaux publics. Exemple : les routes forestières ouvertes à la circulation
générale (TC 5 juillet 1999, Menu). Application de la loi du 28 pluviôse
an VIII.
2° les contentieux réservés « par nature » aux juridictions
judiciaires.
Il s’agit de matières visées de façon non explicite par le Conseil
constitutionnel dans sa décision de 1987.
- le droit des personnes :
Principe : les questions de droit des personnes (état et capacité,
nationalité, électorat) relèvent du droit privé qui les soumet notamment
au Code civil. Dès lors les juridictions administratives sont
incompétentes : il y a question préjudicielle.
C’est le principe de séparation qui conduit à soumettre aux juridictions
judiciaires les questions incidentes de ce genre intervenant dans un
procès administratif. Questions qui ne sont pas rares notamment en droit
des étrangers où la solution d’un procès administratif dépend alors de la
filiation ou de la nationalité d’un étranger. Par contre ce principe devrait
interdire que les juridictions judiciaires interviennent en ces matières
lorsqu’elles sont en présence d’actes administratifs. Ce n’est pas le cas.
Divers textes attribuent compétence aux juridictions judiciaires pour
connaître par exemple des actes administratifs émanant de services de
l’état civil, des préfets en matière de tutelle sur les pupilles de l’Etat ou
de commissions administratives procédant annuellement à la révision
des listes électorales.
- les droits fondamentaux :
Principe : compétence des juridictions judiciaires notamment sur le
fondement de l’art. 66 de la Constitution qui prévoit que « l’autorité
judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce
principe dans les conditions prévues par la loi ».
Ce principe reflète une tradition qui remonte à l’époque napoléonienne
confiant à cette autorité le contentieux de mesures attentatoires au droit
de propriété ou à la liberté. Une loi du 10 mars 1810 a ainsi inauguré le
mouvement en confiant aux juridictions judiciaires le contentieux relatif
au transfert de propriété et à la fixation de l’indemnité en cas
d’expropriation pour cause d’utilité publique. Il a ensuite été poursuivi
avec l’indemnisation consécutive à des réquisitions. Enfin, la
jurisprudence a imposé aux juridictions administratives de surseoir à
statuer sur les questions préjudicielles de propriété rencontrées dans les
litiges où il est saisi (TC – 18 décembre 1955 - Préfet de la Meuse).
D’autres textes ont confirmé cette défiance vis-à-vis des juridictions
administratives en donnant compétence aux juridictions judiciaires à
l’égard d’actes administratifs susceptibles de porter atteinte à la liberté
individuelle.
Exemple : l’art. 136 du Code de procédure pénale qui donne compétence
aux juridictions judiciaires en matière de détention et arrestation
arbitraire et de violation de domicile, qu’elles visent les agents ou
l'administration. La jurisprudence n’en a pas moins donné une nouvelle
interprétation stricte en limitant cette compétence aux seules actions en
réparation et même en cas en leur interdisant d’apprécier par voie
d’exception la légalité d’actes administratifs (TC - 16 novembre 1964 –
Clément).
Autre exemple : la compétence des juridictions judiciaires en vertu
d’une loi à l’égard des mesures d’hospitalisation d’office en
établissement psychiatrique décidées par les préfets. Cependant, la
jurisprudence interprète strictement en laissant aux juridictions
administratives le soin d’apprécier la régularité de la décision, les
juridictions judiciaires appréciant sa seule nécessité (cf. 27 novembre
1995, Préfet de Paris c/ Melle Boucheras).
Outre ces textes, deux théories jurdiprudentielles confirment l’idée selon
laquelle les juridictions judiciaires ont une compétence privilégiée en
matière de protection de s libertés et de la propriété.
- la voie de fait :
Principe : cett théorie conduit à attribuer aux juridictions judiciaires la
compétence à l'égard d’actes émanant de l'administration qui, compte
tenu de la gravité des vices qui les entachent, ne sauraient être encore
qualifiés d’actes administratifs. L’administration en se dénaturant perd le
bénéfice de l’application de son droit spécifique et du recours à un juge
spécifique. Dès lors, il n’y a pas dérogation au principe de séparation
mais bien application de ce principe.
Identification : cumul de deux conditions
- Exigence d’une illégalité inadmissible. Deux hypothèses : 1) le recours
irrégulier à l’exécution forcée d’une décision administrative légale ou
non. Le recours à la force est autorisé seulement dans les cas
d’autorsiation légale ou juridictionnelle - d’absence de toute autre voie
de droit - d’urgence. 2) une mesure manifestement insusceptible de se
rattacher à un pouvoir de l'administration (saisie d’un journal,
confiscationde photos, rétention de correspondances…) cf. TC – 12 mai
1997 – Préfet de police de Paris).
- Atteinte grave à une liberté fondamentale ou à la propriété privée (des
meubles ou immeubles). Par exemple, l'administration ne saurait
préocéder d’office à la destruction d’immeubles en état de péril après le
passage d’un cyclone . (TC - 22 juin 1998 – Préfet de la Guadeloupe).
Régime juridique : les juridictions judiciaires jouissent d’une plénitude
de compétence qui s’étend de la constation de l’existence d’une voie de
fait au prononcé d’injonctions (TC – 17 décembre 1962 – Société civile
du domaine de Comteville) et à la réparation des dommages causés. La
constatation d’une voie de fait inclut évidemment l’appréciation de la
légalité des actes administratifs incriminés, même réglementaires (TC –
30 octobre 1947 – Barinstein). Cette compétence n’est cependant pas
exclusive puisque les juridictions administratives tenues de se déclarer
incompétentes doivent pouvoir aussi constater la voie de fait, en
déclarant au besoin l’inexistence des actes administratifs intervenus ( TC
- 27 juin 1966 – Guigon).
Exception : le principe de l’intangibilité des ouvrages publics. Les
juridictions judiciaires ne peuvent par exemple ordonner leur démolition
même si leur implantation é été constitutive d’une voie de fait.
Pratique : la facilité de la procédure du référé judicaire a incité les
justiciables à alléguer abusivement l’existence de voies de fait.
L’amélioration des procédures d’urgence, notamment l’instauration d’un
référé-injonction (loi du 30 juin 2000) devrait permette de limiter ces
abus. (Cf. TC 23 octobre 2000 – M. Boussadar c/ Ministre des Affaires
étrangères).
- l’emprise irrégulière :
Définition : l’emprise consiste pour une administration à prendre
possession temporairement ou définitivement, de façon partielle ou
totale d’un immeuble, et d’empêcher ainsi son propriétaire de l’utiliser.
Il y a ici l’idée d’une véritable dépossetion, d’une occupation de
l’immeuble (cf. « mainmise ») et pas seulement d’une atteinte extérieure
comme un fossé, un obstacle.
Si l’emprise est régulière, les juridictions administratives sont
compétentes. Si elle est irrégulière, ce sont les juridictions judiciaires.
Par exemple, du fait de l’illégalité de l’arrêté préfectoral, d’une
réquisition irrégulière.
Lorsque l’emprise s’effectue en dehors de toute habilitation textuelle
(comme ce peut être le cas en matière d’occupations de terrains pour les
besoins de l’exécution de travaux publics), elle est irrégulière. Le souci
de protéger la propriété privée a conduit la jurisprudence judiciaire à
confier le soin de statuer sur la demande d’indemnité formée par le
propriétaire. (TC - 17 mars 1949 – Société « Hôtel du vieux Beffroi »).
Le contentieux confié aux juridictions judiciaires se limite curieusement
à celui de l’indemnisation ; elles ne peuvent donc statuer sur la légalité
des actes administratifs à l’origine de l’emprise (TC – 30 juin 1949 –
Nogier).
Fondement : volonté de transposer le régime légal propre à
l’expropriation ou aux réquisitions qui sont des hypothèses proches de
l’emprise. Autrement l'administration aurait pu être tentée d’agir
illégalement pour bénéficier de son juge spécifique.
Comparaison avec la voie de fait ; champ plus large de la voie de fait qui
associe protection de la propriété et des libertés fondamentales mais
application plus restreinte quant au degré d’illégalité : elle doit être
grave alors que toute illégalité suffit à la mise en œuvre de la théorie de
l’emprise irrégulière. Enfin, la voie de fait justifie la plénitude des
pouvoirs des juridictions judiciaires tandis que la compétence du juge de
l’emprise est limitée à l’indemnisation de la victime.

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