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Frédéric Gagnet - Version du 5/04/2024 pour TD 2109

Séance sur la distinction des contentieux


REP et Plein Contentieux
I – ELEMENTS DE DEFINTION

Classification des recours contentieux

Les recours devant le juge administratif sont classiquement répartis en quatre grandes
catégories : le contentieux de l’excès de pouvoir, le recours de plein contentieux (ou de pleine
juridiction), le contentieux de l’interprétation et de l’appréciation de légalité et le contentieux
de la répression.

Cette classification qui remonte à Laferrière (Traité de la juridiction administrative et des


recours contentieux, 1887) est encore utilisée malgré les critiques qui lui ont été adressées
présente car elle présente une certaine utilité pratique. Ainsi, le ministère d’avocat n’est pas
obligatoire en excès de pouvoir, alors qu’il l’est en général en plein contentieux, le juge se place
à la date à laquelle la décision a été prise pour en apprécier la légalité dans le cadre du REP,
alors qu’il se place à la date à laquelle il statue dans le cadre du recours de plein contentieux.

D’autres classification ont été avancées. C’est ainsi que Léon Duguit distinguait le contentieux objectif du contentieux
subjectif. Ce dernier rassemble les demandes portant sur la légalité d’un acte administratif : recours pour excès de pouvoir,
recours en appréciation de la légalité. Le contentieux subjectif couvre les litiges dans lesquels le demandeur cherche à obtenir
la reconnaissance d’un droit subjectif : dommages-intérêts, reconnaissance d’un droit personnel.

1) contentieux de l’excès de pouvoir

Construction prétorienne, le recours pour excès de pouvoir (REP) est l’action par lequel le
justiciable, appelé « requérant », demande au juge d’apprécier la légalité d’une décision
administrative et d’en prononcer l’annulation.

On indiquera cependant que, saisi de conclusions, en ce sens le juge de l’excès de pouvoir peut désormais adresser des
injonctions à l'administration et prononcer astreintes afin d'assurer l'exécution de ses décisions (articles L. 911-1 et L. 911-2 du
code de justice administrative). De telles conclusions conduisent le juge à statuer selon les règles du plein contentieux en se
plaçant à la date à laquelle il statue. De même, le juge de l’excès de pouvoir pourra condamner la partie perdante à payer les
frais d’avocat (article L. 761-1 du code de justice administrative).

Les actes visés peuvent présenter un caractère réglementaire (général et impersonnel) ou


individuel (lorsqu’il concerne une personne ou un groupe de personnes nommément désignés).

Dans le cadre du REP, le requérant peut invoquer des moyens de droit (« cas d’ouverture du
recours pour excès de pouvoir ») que l’on rangera en deux grandes catégories : les moyens de
l’égalité externe et les moyens de l’égalité interne.

Les moyens de légalité externe sont les suivants :

- l’incompétence de l’auteur de l’acte : l’auteur de la décision n’avait pas compétence


pour prendre la décision sur le plan matériel, temporel ou territorial.

- le vice de procédure
Les procédures sont plus ou moins élaborées selon les cas. On note une tendance à limiter les
conséquences d’un vice de procédure : le juge ne prononce l’annulation de la décision que dans
l’hypothèse où le manquement a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la
décision retenue ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie (CE, Ass., 23 déc. 2011,
Danthony et a., req. N°335033, Rec. Lebon, p. 649)

- le vice de forme : le droit administratif est peu formaliste. Seront sanctionnés à ce


titre : le défaut de signature de l’acte et l’absence ou l’insuffisance de sa motivation.

Les moyens de légalité interne sont rangés sous les rubriques suivantes :

- l’erreur de fait : la décision doit être annulée si elle repose sur des faits matériellement
inexacts. Par exemple : un préfet est mis en congé « sur sa demande », alors qu’il n'a jamais
formulé une telle demande (CE, 20 janv. 1922, Trépont, req. N° 68212, Rec., p. 65).

– la violation de la loi, l’erreur de droit et l’erreur sur la qualification juridique


des faits

– le détournement de pouvoir : lorsque l’administration a utilisé un pouvoir ou une


procédure dans un but différent de ceux pour lesquels ils ont été conférés .

Par exemple : un agent prend une décision pour satisfaire un intérêt exclusivement privé,
indépendamment de toute considération d’intérêt général, ou pour nuire à un administré.

Il en va également ainsi du détournement de procédure.

Effet du jugement prononcé par le juge de l’excès de pouvoir: l’annulation d'un acte
administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu.

A titre exceptionnel, il peut être dérogé au principe de l'effet rétroactif de l'annulation, lorsqu'il
« est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets
que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de
l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets » (CE 11 mai 2004,
Association AC !).

II- Recours de pleine juridiction (Contentieux administratif)


Définition

Le recours de pleine juridiction (ou recours de plein contentieux) vise à faire reconnaître par le
juge des droits aux personnes qui le saisissent. Il se caractérise par l'étendue accrue des pouvoirs
dont dispose le juge administratif qui peut notamment, dans le cadre d'un tel recours, substituer
sa décision à celle de l'administration.

Décisions fondamentales :

 CE, sect., 27 juill. 2012, Mme Labachiche,


 CE, ass., 16 févr. 2009, Société Atom,
 CE, sect., 8 janv. 1982, Aldana Barreña,
 CE 8 mars 1912, Lafage, req. n° 42612, GAJA, 20e éd., 2015, Dalloz, n° 22
Les caractéristiques du recours de pleine juridiction
Les pouvoirs du juge

La principale caractéristique du recours de pleine juridiction est que le juge administratif peut,
dans ce cadre, non seulement annuler, le cas échéant, la décision qui lui est soumise, mais
également substituer son appréciation à celle de l'autorité dont l'action est mise en cause devant
lui. Par ailleurs, le juge peut être saisi en vue de reconnaître un droit subjectif au requérant,
aucune décision n'étant alors contestée devant lui.

Amené à se substituer, dans l'appréciation qu'il fait de la situation qui lui est soumise, à
l'administration, le juge de pleine juridiction se placera à la date du prononcé de sa décision.
Contrairement au juge de l'excès de pouvoir (qui apprécie la régularité de la décision qui lui est
soumise à la date à laquelle celle-ci a été prise), le juge de plein contentieux sera donc amené à
faire application d'une loi postérieure plus douce. On parle de rétroactivité in mitius.

De la même manière, le juge sera amené à prendre en considération les changements qui ont
affecté la situation factuelle du requérant.

À titre d'exemple, l'administré qui conteste devant le juge de plein contentieux une sanction qui
lui a été infligée par l'administration pourra voir celle-ci diminuée par le juge administratif si
une nouvelle loi est, entre-temps, intervenue pour diminuer la sanction applicable à ce
comportement.

La recevabilité

Illustrant là encore le caractère majoritairement « subjectif » de ce recours, sa recevabilité sera


dans la majorité des cas conditionnée à l'existence d'un « droit lésé » du requérant. En d'autres
termes, le requérant ne pourra saisir le juge de plein contentieux, sauf dispositions légales
définissant la liste des requérants recevables, que pour se faire reconnaître un droit qui lui est
propre. Par exemple, l'administré sanctionné est le seul recevable à saisir le juge de plein
contentieux pour qu'il réduise sa sanction, tout comme le contribuable.

Contrairement aux recours pour excès de pouvoir, le requérant qui saisit le juge de pleine
juridiction ne pourra que rarement le faire sans avocat (CJA, art. R. 431-2 et R. 431-3 : pour les
tribunaux administratifs).

S'agissant de la recevabilité des moyens soulevés devant le juge de pleine juridiction, les vices
propres à la décision ayant donné lieu au contentieux seront dans la majorité des cas inopérants.

Le décret n° 2018_101 du 16 février 2018 prévoit, à titre expérimental, qu'à compter du 1er avril
2018 jusqu'au 18 novembre 2020 les contentieux de la fonction publique et certains litiges sur
les prestations sociales seront précédés d'une médiation préalable obligatoire sous peine
d'irrecevabilité du recours.

Le champ du recours de pleine juridiction


Le recours subjectif de plein contentieux

Appelé également plein contentieux « intégral » ou « ordinaire », le recours subjectif est le plus
répandu en matière de pleine juridiction. Les deux branches principales de ce contentieux
subjectif sont la responsabilité des personnes publiques et les litiges naissant de relations
contractuelles.

On retrouve ici l'idée selon laquelle ce type de recours vise à reconnaître au requérant un droit
pécuniaire vis-à-vis de l'administration.

Le recours objectif de plein contentieux

Également appelé plein contentieux « de légalité », cette branche voit soumise au juge une
décision administrative, qui matérialise en quelque sorte la situation du requérant et dont la
légalité est contestée.

Surtout, depuis l'importante décision ATOM du Conseil d'État du 16 février 2009, le


contentieux des sanctions que l'administration inflige à un administré (et non disciplinaires ou
professionnelles) a basculé dans le champ du recours de pleine juridiction. Cette jurisprudence
a, notamment, été appliquée par la suite au contentieux de retrait de points sur le permis de
conduire.

A la différence du REP où le juge ne peut qu’annuler la décision qui lui est soumise (ou rejeter
la requête), le juge du plein contentieux dispose des pouvoirs plus étendus. Saisi d’une demande
dirigée contre acte administratif, il peut le réformer, le modifier ou y substituer une nouvelle
décision. Le juge du plein contentieux peut aussi condamner l’administration à des dommages
et intérêts (responsabilité contractuelle ou délictuelle de l’administration).

Le recours de plein contentieux recouvre toute une série de recours qui peuvent être régies par
des règles contentieuses différentes selon les cas, notamment en ce qui concerne les règles de
recevabilité et les pouvoirs du juge.

Parmi les recours de plein contentieux, on citera notamment :

- le contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement

- le contentieux électoral

- le contentieux contractuel (marchés publics et autres contrats) et quasi-contractuel (enrichissement sans


cause, gestion d’affaires, répétition de l’indu)

- le contentieux de la responsabilité extra-contractuelle

- le contentieux fiscal

- les recours contre les sanctions administratives (CE, ass., 16 févr. 2009, n° 274000, Sté Atom)

- le contentieux des édifices menaçant ruine

Le plus souvent, les recours de plein contentieux sont soumis au ministère d’avocat (voir :
recours devant le tribunal administratif).
3) Le contentieux de l’interprétation et de l’appréciation de
légalité
Le juge administratif peut être saisi d’un recours où il se borne à indiquer la portée ou la légalité
d’une décision administrative sans en prononcer l’annulation.

Ce type de recours correspond essentiellement à l’hypothèse où le juge judiciaire, confronté à


une question de la compétence du juge administratif, invite les parties à se présenter devant ce
même juge administratif, afin qu’il interprète ou apprécie la légalité d’un acte.

4) Le contentieux de la répression
Le juge administratif, agissant comme un juge pénal, de sanctionner des comportements
répréhensibles en infligeant des sanctions pénales (amendes).

aIl en va ainsi en cas de « contraventions de grande voirie », c’est-à-dire atteintes au domaine


public, principalement les voies de communication (exemple : voies navigables), en dehors des
atteintes à la voirie routière qui relève du juge judiciaire.

ANALYSE DES ARRETS DU TD

DOC 1 CJA

R421-1 : 2 mois pour faire un recours à partir de l’INFORMATION ( publication ou


notification en fonction de la nature de l’acte). Si c’est pour une somme d’argent, un RECOURS
ADM PREALABLE OBLIGATOIRE déposé devant l’adm doit précéder le recours
contentieux

R421-2 :

- conditions du recours contre décision implicite de rejet ( devenu en ppe l’exception, mais la
liste des dérogations est très longues) : 2 mois à compter de la date de naissance de la décision
implicite de rejet

-date de dépôt à l’adm prouvable par tout moyen

DOC 2 : CE 8 Mars 1912 LAFARGE : l’option entre le REP ou le PC

Sujet intéressant basé sur LAFARGE : Les limites de la distinction des


recours pour excès de pouvoir et de plein contentieux : la contestation d’une
décision à objet pécuniaire ( avis 25 mai 2023)

Par Louise Guinard :: Chronique mensuelle

Il n’est pas trop de dire que la jurisprudence Lafarge laisse un souvenir impérissable à qui s’est
un jour heurté à l’étude de la distinction des recours en contentieux administratif.
Pour cause, l’étude de la distinction des recours en contentieux administratif conduit à retenir
que, par principe, la contestation de décisions administratives à objet pécuniaire relève du
recours de plein contentieux ou de pleine juridiction, puisqu’elle consiste pour les requérants à
requérir la condamnation de l’administration au versement d’une somme d’argent, et non
l’annulation pure d’un acte administratif.

Or à rebours de cette présentation classique, qui veut que les recours tendant à la
condamnation de l’administration au versement d’une somme d’argent relèvent du recours de
plein contentieux, la jurisprudence Lafage prévoit que la contestation de décisions à objet
pécuniaire peut, en certains cas, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Pour ce faire,
le requérant doit alors requérir du juge l’annulation de la décision lui refusant une somme
d’argent, et non la condamnation de l’administration à lui verser cette somme d’argent.

Ainsi il résulte de la jurisprudence Lafage qu’en fonction de la formulation de sa demande, le


requérant pourra opter soit pour un recours pour excès de pouvoir, soit pour un recours de plein
contentieux.

Si, en ouvrant la voie du recours pour excès de pouvoir à la contestation des décisions à objet
pécuniaire, la jurisprudence Lafage a principalement été justifiée par la nécessité de permettre
aux requérants d’échapper, notamment pour les litiges d’un faible montant, à l’obligation du
ministère d’avocat qui prévaut en plein contentieux, elle n’en reste pas moins d’un maniement
délicat.

Témoignant des subtilités inhérentes à la distinction des recours en contentieux administratif et


à l’application de la jurisprudence Lafage, le Conseil d’Etat a récemment été saisi d’une
demande d’avis en application de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative (CE, avis,
25 mai 2023, n° 471035).

La Cour administrative d’appel de Versailles à l’origine de cette demande d’avis a


premièrement interrogé le Conseil d’Etat sur le point de savoir quelle est la nature d’un recours
dirigé contre une lettre informant un agent public que des retenues sur son traitement vont être
effectuées en raison de l’exercice injustifié de son droit de retrait[2].

Pour répondre à cette question, le Conseil d’Etat commence tout d’abord par rappeler la règle
issue de la jurisprudence Lafage, et selon laquelle « la nature d’un recours exercé ( REP ou
PC) contre une décision à objet pécuniaire est fonction […] tant des conclusions de la demande
soumise à la juridiction que de la nature des moyens présentés à l’appui de ces conclusions ».

Le Conseil d’Etat rappelle ensuite que le principe issu de la jurisprudence Lafage se heurte aux
recours qui revêtent « par nature le caractère d’un recours de plein contentieux ».

Cela renvoie aux recours qui, même s’ils sont relatifs à la contestation d’une décision ayant un
objet pécuniaire, n’offrent pas aux requérants la possibilité d’opter pour un recours pour excès
de pouvoir en formulant différemment leur demande.

Relèvent ainsi par nature du recours de plein contentieux : la contestation de certaines décisions
à objet pécuniaire que la loi fait relever du plein contentieux et la contestation de différentes
décisions à objet pécuniaire, telles que les titres exécutoires[4] ou les ordres de versement[5],
qui sont désormais confondus en une seule et même catégorie : les titres de perception. Dans le
prolongement, le Conseil d’Etat considère également que le bénéfice de la jurisprudence Lafage
doit être écarté pour la contestation de décisions qui sont assimilables à des titres de
perception[6].
Toute la question était donc ici de savoir si la lettre informant un agent public que des retenues
sur son traitement vont être effectuées, en raison de l’exercice injustifié de son droit de retrait,
est au nombre des décisions à objet pécuniaire dont la contestation peut relever du recours pour
excès de pouvoir, et non du recours de plein contentieux, en fonction de la formulation de la
demande du requérant.

A cet égard, le Conseil d’Etat retient que « Si le recours dirigé contre un titre de perception
relève par nature du plein contentieux, la lettre informant un agent public de ce que des
retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement ne peut à cet égard
être assimilée à une telle décision lorsqu’elle ne comporte pas l’indication du montant de la
créance ou qu’elle émane d’un organisme employeur qui n’est pas doté d’un comptable public.
Des conclusions tendant à l’annulation de cette décision et du rejet du recours gracieux formé
contre celle-ci doivent être regardées comme présentées en excès de pouvoir ».

Il faut donc en comprendre que la lettre informant un agent public que des retenues sur son
traitement vont être effectuées, en raison de l’exercice injustifié de son droit de retrait, ne peut
être assimilée à un titre de perception, si elle ne comporte pas le montant de la somme à prélever,
ou si elle émane d’un organisme qui ne dispose pas d’un comptable public.

En pareil cas, sa contestation ne relève donc pas par nature du recours de plein contentieux,
mais peut aussi relever du recours pour excès de pouvoir en application de la jurisprudence
Lafage. Autrement dit, dès lors que la décision en cause n’est pas assimilable à un titre de
perception, l’option offerte par la jurisprudence Lafage peut jouer pleinement.

Le Conseil d’Etat poursuit ensuite en relevant que « La circonstance que ce recours en


annulation soit assorti de conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de
rembourser la somme prélevée, qui relèvent du plein contentieux, n’a pas pour effet de donner
à l’ensemble des conclusions le caractère d’une demande de plein contentieux ».

Sur ce point, le Conseil d’Etat ne fait que rappeler la jurisprudence selon laquelle les
conclusions à fin d’injonction, qui résultent de la demande principale, ne sont pas de nature à
conférer à l’ensemble de la demande le caractère d’un recours de plein contentieux.

Pour cause, bien que les conclusions à fin d’injonction relèvent du plein contentieux, elles ne
doivent leur existence qu’à celle des conclusions au principal, et ne présentent donc qu’un
caractère accessoire par rapport à ces dernières. Dès lors, elles n’ont pas pour effet de faire
relever l’ensemble de la demande du plein contentieux puisque la nature du recours n’est
déterminée qu’au regard de la demande principale.

Ainsi, les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration, à la suite de l’annulation
de sa décision à objet pécuniaire, de rembourser la somme illégalement prélevée ne sont pas de
nature à conférer à l’ensemble de la demande le caractère d’un recours de plein contentieux.

Tout l’intérêt de cette solution jurisprudentielle est de permettre de donner son plein effet à la
décision d’annulation du juge en l’accompagnant d’une injonction de faire pour
l’administration, sans que l’intérêt de la jurisprudence Lafage, qui consiste principalement à
contourner l’obligation du ministère d’avocat, ne soit perdu.

Outre la question de la nature du recours, la Cour administrative d’appel avait secondement


interrogé le Conseil d’Etat sur le point de savoir si l’erreur commise par le juge sur son office,
en raison d’une méprise sur la nature du recours dont il est saisi, constitue un moyen d’ordre
public susceptible d’être relevé d’office dans le cadre de l’exercice d’une voie de recours[8].
En réponse à cette seconde question, le Conseil d’Etat s’est borné à retenir que « Dans
l’hypothèse où le juge a méconnu tout ou partie de son office en raison d’une erreur quant à la
nature du recours concernant la lettre informant un agent public de ce que des retenues pour
absence de service fait vont être effectuées sur son traitement, le moyen tiré de la
méconnaissance de son office est d’ordre public ».

Le Conseil d’Etat reste donc ici plus ou moins fidèle à sa jurisprudence antérieure, dont il
résultait que l’erreur commise par un juge sur l’étendue de ses pouvoirs, en raison de la méprise
sur la nature du recours dont il est saisi, constitue un moyen d’ordre public[9].

Dans son avis, le Conseil d’Etat semble encore lier la commission d’une erreur par le juge sur
la nature du recours dont il est saisi à la méconnaissance de son office. En d’autres termes,
l’erreur sur la nature du recours implique a priori une méconnaissance de son office par le juge.

Pourtant, P. Ranquet, dans ses conclusions sur cet avis, suggérait au Conseil d’Etat d’apporter
une réponse innovante à cette question en se fondant sur l’« office effectif » du juge. Ce dernier
proposait en effet « d’apporter une opportune précision à la jurisprudence issue de la décision
[Lipinski du 27 avril 2007], et ce en ajoutant que l’erreur commise par le juge sur la nature du
contentieux doit être censurée d’office si elle a eu une incidence sur les réponses apportées aux
conclusions et moyens dont il était saisi, ou du moins si elle est susceptible d’en avoir eu
une »[10].

Pour P. Ranquet, il s’agirait de censurer d’office l’erreur commise par le juge sur la nature du
recours dont il est saisi, seulement lorsque cette erreur peut avoir des conséquences concrètes
sur l’issue du litige.

Si elle peut heurter les défenseurs de la distinction des recours en contentieux administratif, une
telle proposition repose pourtant sur des arguments indéniables en ce qui concerne la
contestation des décisions à objet pécuniaire.

D’une part, en ce qui concerne les règles qui leur sont applicables, les recours pour excès de
pouvoir et de plein contentieux ont connu au fil du temps un rapprochement. Notamment, alors
que la jurisprudence Lafage était justifiée par la volonté de faire échapper certains litiges à
l’obligation du ministère d’avocat, les recours de plein contentieux soustraits à cette obligation
se sont multipliés, faisant alors perdre à la jurisprudence Lafage une partie de son intérêt[11].

D’autre part, dans le cadre de la contestation d’une décision à objet pécuniaire, la saisine du
juge de l’excès de pouvoir ou du plein contentieux peut avoir la même issue. Comme le relève
P. Ranquet, « l’une comme l’autre voie permet d’examiner l’ensemble des questions de légalité
de la décision de retenue, y compris de légalité externe ; combinée à l’injonction de restituer
les retenues, leur annulation aura le même effet qu’on annule en excès de pouvoir la décision
proprement dite ou la lettre à l’agent concerné assimilée à un titre de perception ».

Sans reprendre clairement les termes de son rapporteur public et en continuant de lier, par
principe, l’erreur sur la nature du contentieux à la méconnaissance de l’étendue de son office
par le juge, le Conseil d’Etat a vraisemblablement souhaité sauver les apparences de la
distinction des recours pour excès de pouvoir et de plein contentieux.

Pour autant, et même si elle y paraît favorable, sa formule ne résout pas clairement la question
de savoir si le juge doit censurer d’office l’erreur sur la nature du contentieux, même si elle n’a
pas pour autant eu pour effet de conduire le juge à méconnaître son office ou qu’elle n’a pas eu
d’incidence sur l’issue du litige…
DOC 2 CE 8 janvier 1982 ALDANA : LE JUGE ADMINISTRATIF ET LE DROIT
D’ASILE

La Cour nationale du droit d’asile, compétente pour connaître des décisions relatives aux
demandes d’asile, est une juridiction administrative spécialisée statuant en premier et dernier
ressort sur les recours formés contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés
et apatrides (OFPRA).

Cette juridiction, placée sous le contrôle de cassation du Conseil d’Etat, a une compétence
nationale.

Elle est une juridiction de plein contentieux comme l’a reconnu le Conseil d’Etat depuis sa
décision Aldana Barrena du 8 janvier 1982.

« Info culture juridique sur droit d’asile »


Un fort mouvement d’européanisation du droit d’asile. A l’origine, l’asile ne relevait
pas de la compétence de l’Union européenne, c’est pourquoi les premières actions
d’Etats européens en la matière ont pris la forme de conventions internationales : tel
est le cas de la convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de
l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats
membres de l’Union européenne. Opérée avec le traité d’Amsterdam (18 juin 1997),
la communautarisation du droit d’asile a ensuite permis l’adoption de nombreuses
normes d’harmonisation, portant notamment sur l’accueil des demandeurs d’asile,
les conditions devant être remplies par ceux-ci pour obtenir le statut de réfugiés ou
sur la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié.

Désormais, le droit d’asile figure à l’article 18 de la Charte des droits


fondamentaux de l’Union européenne. Un nouveau « paquet asile » a, enfin, été
récemment adopté au niveau européen ; composé de deux directives (dites «
qualifications » et « accueil ») et de deux règlements (dits « Dublin » et « Eurodac
»), il impose aux Etats membres d’importantes réformes de leur droit interne, dont la
loi du 29 juillet 2015 est, pour partie, une illustration. Le droit d’asile est mis en
œuvre par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour
nationale du droit d’asile, sous le contrôle du Conseil d’Etat. Etablissement public
créé par la loi du 25 juillet 1952, l’Office français de protection des réfugiés et
apatrides (OFPRA) remplit trois missions. Sa première et principale mission a trait à
l’instruction des demandes de protection internationale qui lui sont soumises. Sa
seconde mission tient à la protection
juridique et administrative qu’il apporte aux réfugiés statutaires, aux apatrides
statutaires et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire. Sa troisième mission le
conduit à rendre un avis au ministre de l’intérieur sur le caractère manifestement
infondé ou non d’une demande d’autorisation d’entrée sur le territoire français au titre
de l’asile. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 29
juillet 2015 et sauf si l'accès de l'étranger au territoire français constitue une menace
grave pour l'ordre public, un avis favorable de l’OFPRA lie le ministre.

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est la juridiction administrative spécialisée


ayant pour mission de statuer sur les recours formés contre les décisions de
l’OFPRA. Créée par la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de
l’immigration, à l’intégration et à l’asile, la Cour a succédé à la Commission des
recours des réfugiés (CRR), laquelle avait été créée par la loi
du 25 juillet 1952. Mais les principes originaux qui gouvernent la composition de la
Cour sont restés les mêmes. Une formation de jugement de la CNDA est en effet
présidée par un magistrat administratif, judiciaire ou financier, en activité ou
honoraire, et comprend deux assesseurs : l’un est nommé par le haut-commissaire
des Nations unies pour les réfugiés, l’autre est une
personnalité qualifiée, nommée par le vice-président du Conseil d'Etat, en raison de
ses compétences dans les domaines juridique ou géopolitique.

Depuis le 1er janvier 2009, la Cour est rattachée, pour sa gestion, au Conseil d’Etat
et un mouvement de professionnalisation poussé a été lancé. Ce mouvement a
encore été renforcé par la loi du 29 juillet 2015, qui a notamment rénové
l’organisation de la cour (regroupement des formations
de jugement en chambres elles-mêmes regroupées en sections). En ce qui concerne
le droit au séjour et les conditions d’accueil des
demandeurs d’asile et des réfugiés, en revanche, l’administration agit non pas sous
le contrôle de la CNDA mais sous celui du juge administratif de droit commun
(tribunal administratif en première instance, cour administrative d’appel en appel).

En tant que juge du référé-liberté et juge de cassation des décisions rendues par la
CNDA et par le juge administratif de droit commun, le Conseil d’Etat protège
fortement le droit d’asile, qu’il reconnaît comme une liberté fondamentale au sens de
la loi du 30 juin 2000 (JRCE, 12 janvier 2001, Mme H.)

A travers sa jurisprudence, il veille en particulier à ce que :


- les demandeurs d’asile soient admis à séjourner sur le territoire français jusqu’à
ce qu’il soit statué sur leurs demandes
- les droits des demandeurs d’asile soient respectés tout au long de la procédure
d’examen de leurs demandes
- les conditions d’octroi d’une protection internationale soient
pleinement conformes aux exigences de la convention de Genève
- les bénéficiaires du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire bénéficient
d’une protection effective et des droits qui y sont attachés
DOC 4 CE ASS 16 février 2009 Sté ATOM

IMPORTANTE DECISION

l'importante décision ATOM du Conseil d'État du 16 février 2009, le contentieux des sanctions
que l'administration inflige à un administré (et non disciplinaires ou professionnelles) a
basculé dans le champ du recours de pleine juridiction. Cette jurisprudence a,
notamment, été appliquée par la suite au contentieux de retrait de points sur le permis de
conduire.

A la différence du REP où le juge ne peut qu’annuler la décision qui lui est soumise (ou rejeter
la requête), le juge du plein contentieux dispose des pouvoirs plus étendus. Saisi d’une demande
dirigée contre acte administratif, il peut le réformer, le modifier ou y substituer une nouvelle
décision. Le juge du plein contentieux peut aussi condamner l’administration à des dommages
et intérêts (responsabilité contractuelle ou délictuelle de l’administration).

L’un des pouvoirs exorbitants de l’administration se traduit par la capacité dont elle dispose
d’imposer des sanctions. Dans le domaine contractuel, en particulier, ce pouvoir a été élevé au
rang de principe général du droit. Mais, plus largement, elle dispose de cette capacité en
dehors du domaine contractuel, pour punir des administrés récalcitrants. Puisqu’il s’agit d’une
matière pénale, le contrôle du juge est fondamental. L’article 6§1 de la CEDH, pour ne citer
que lui, l’impose. Pendant longtemps, le domaine des sanctions a fait l’objet d’une forme de
recul révérencieux du juge. Mais par deux arrêts l’un de 2009 et l’autre de 2013, le Conseil
d’État a renforcé son contrôle sur les sanctions administratives.

Dans l’arrêt Société Atom, était en cause une sanction infligée par l’administration fiscale
pour avoir perçu des paiements en numéraires au-delà de la limite autorisée par la loi. La
société a contesté cette amende devant le Tribunal, puis la Cour, qui ont tous deux rejeté la
demande. Le Conseil d’État est alors saisi en cassation. Il constate que la Cour a méconnu
l’étendue de ses pouvoirs et censure le raisonnement qu’elle a suivi. L’arrêt de la Cour est
donc annulé et, statuant au fond, le Conseil abaisse le montant de l’amende infligée.

Le bénéfice du plein contentieux pour les administrés


Dans l’arrêt Société Atom, le Conseil pose un considérant très clair : « Considérant
qu'il appartient au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction que
l'administration inflige à un administré, de prendre une décision qui se substitue à
celle de l'administration et, le cas échéant, de faire application d'une loi nouvelle plus
douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à
laquelle il statue ; que, par suite, compte tenu des pouvoirs dont il dispose ainsi pour
contrôler une sanction de cette nature, le juge se prononce sur la contestation dont il
est saisi comme juge de plein contentieux ».

La structure du raisonnement du juge est particulière. À vrai dire, le Conseil d’État


inverse la logique qu’il aurait dû suivre : il évoque d’abord les pouvoirs du juge, avec
le pouvoir de substitution dont jouit le juge de plein contentieux, puis en tire les
conséquences, en particulier pour le cas d’espèce, à savoir la rétroactivité in mitius,
avant d’en conclure que ce régime particulier place le litige en plein contentieux.

En toute logique, il aurait d’abord dû définir le cadre du litige, pour ensuite


seulement, en tirer les conséquences. Le fait qu’il ait ainsi rédigé son considérant
tant à montrer l’importance qu’il attache à la possibilité de substitution, et surtout le
rôle que cet élément joue pour assurer la garantie effective des droits des
administrés. Il est vrai qu’en agissant de la sorte, le Conseil porte un peu plus
atteinte à la séparation des contentieux. Il tend à rendre plus floues les limites entre
l’excès de pouvoir et le plein contentieux.

DOC 5 CE 3 juin 2019 Mme VAINQUEUR

Citons la remarquable phrase de synthèse de M. Jean-Marc Pastor dans le Dalloz actualités

« Le justiciable prime sur l’acte » ( ACCROCHE)

« […] en étendant le plein contentieux subjectif, le juge administratif statue alors directement
sur les droits du requérant […], sans s’intéresser aux « vices propres » de la décision de refus
[…] »

L’apport des 4 arrêts du Conseil d’Etat en date du 3 juin 2019 : extension


du domaine du plein contentieux
Par 4 arrêts rendus le 3 juin 2019, le Conseil d’État a décidé de généraliser le régime des
recours de plein contentieux aux requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits
attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs
privés d’emploi (ce qui reprend les positions du CE antérieures en matière d’indu : CE, 16
décembre 2016, n° 389642).

Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l’administration,
sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d’une personne
en matière d’aide ou d’action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des
travailleurs privés d’emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable,
il appartient donc au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à
sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres
de la décision attaquée, mais d’examiner les droits de l’intéressé, en tenant compte de
l’ensemble des circonstances de fait qui résultent de l’instruction et, notamment, du dossier
qui lui est communiqué en application de l’article R. 772-8 du code de justice
administrative (CJA). Ce point est nettement exposé par l’arrêt n° 423001.

Au vu de ces éléments, il lui appartient d’annuler ou de réformer, s’il y a lieu, cette


décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l’intéressé et en le renvoyant,
au besoin, devant l’administration afin qu’elle procède à cette fixation pour le surplus, sur
la base des motifs de son jugement.

Il en va de même lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant ou ne
faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse d’un indu d’une prestation
ou d’une allocation versée au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur
des travailleurs privés d’emploi. En ce cas, en tant que juge de plein contentieux, le juge
devra notamment examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est susceptible d’être
accordée, en se prononçant lui-même sur la demande au regard des dispositions applicables et
des circonstances de fait dont il est justifié par l’une et l’autre parties à la date de sa propre
décision (voir sur ce point l’arrêt n°415040).

Cela s’applique aussi pour les cas de refus de prise en charge d’un jeune majeur par l’ASE .
En pareil cas, le juge va donc apprécier s’il lui appartient d’annuler, s’il y a lieu, cette
décision en accueillant lui-même la demande de l’intéressé s’il apparaît, à la date à laquelle il
statue, eu égard à la marge d’appréciation dont dispose le président du conseil départemental
dans leur mise en oeuvre, qu’un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance
des dispositions du code de l’action sociale et des familles (CASF) relatives à la protection de
l’enfance et en renvoyant l’intéressé devant l’administration afin qu’elle précise les modalités
de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement.

Le Conseil d’Etat l’a aussi appliqué aux recours portant sur une demande de carte de
stationnement pour personnes handicapées ou de carte mobilité inclusion mention
stationnement pour personnes handicapées.

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LE RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR (REP)

DOC 6 CE ASS 17 FEV 1950 Dame LAMOTTE ( La décision OMG !!!!)

Principe selon lequel toute décision administrative peut faire l'objet d'un recours pour excès
de pouvoir

Faits et contexte juridique

La loi du 17 août 1940 avait donné aux préfets le pouvoir de concéder à des tiers les
exploitations abandonnées ou incultes depuis plus de deux ans aux fins de mise en culture
immédiate. C'est en application de cette loi que, par deux fois sans compter un arrêté de
réquisition, les terres de la dame Lamotte avaient fait l'objet d'un arrêté préfectoral de
concession. Le Conseil d'État avait annulé à chaque fois ces décisions. Par un arrêté du 10
août 1944, le préfet de l'Ain avait de nouveau concédé les terres en cause. Mais une loi du 23
mai 1943, dont le but manifeste était de contourner la résistance des juges à l'application de la
loi de 1940, avait prévu que l'octroi de la concession ne pouvait "faire l'objet d'aucun recours
administratif ou judiciaire". Sur le fondement de cette disposition, le juge administratif aurait
dû déclarer le quatrième recours de la dame Lamotte irrecevable.

Le sens et la portée de la décision

Le Conseil d'État ne retint pas cette solution en estimant qu'il existe un principe général du
droit selon lequel toute décision administrative peut faire l'objet, même sans texte, d'un
recours pour excès de pouvoir et que la disposition de la loi du 23 mai 1943, faute de l'avoir
précisé expressément, n'avait pas pu avoir pour effet d'exclure ce recours. Le même
raisonnement prévaut s'agissant du droit au recours en cassation (CE, 7 février 1947,
d'Aillières, n°79128).

En application de cette jurisprudence, confirmée à plusieurs reprises, le pouvoir


réglementaire ne peut jamais interdire le recours pour excès de pouvoir contre les
décisions qu'il prend. Certes, en principe, le législateur, s'il le précisait, pourrait
interdire le recours pour excès de pouvoir contre certaines décisions. Mais, dans le
contexte normatif actuel, une telle disposition se heurterait sans doute aux stipulations du
droit international relatives aux droits des individus à exercer un recours effectif contre les
décisions administratives. La Cour de justice des communautés européennes (devenue
Cour de justice de l’Union européenne) en a fait un principe général du droit
communautaire (CJUE, 15 mai 1986, Johnston, n°222/84) et l'article 13 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales prévoit le droit à un recours effectif pour toute personne dont les droits
et libertés reconnus dans la Convention auraient été méconnus. Elle serait également et
surtout contraire aux normes et principes de valeur constitutionnelle puisque, dans une
décision du 21 janvier 1994 (n°93-335 DC), confirmée par une décision du 9 avril 1996
(n°96-373 DC), le Conseil constitutionnel a rattaché le droit des individus à un recours
effectif devant une juridiction en cas d'atteintes substantielles à leurs droits à l'article 16 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui fait partie du bloc de constitutionnalité.

DOC 7 - CE ASS 19 juillet 2019 Assoc des américains accidentels

Saisi d’une demande d’annulation du refus d’abroger un acte réglementaire, à quelle date le
juge doit-il se placer pour juger des règles à appliquer ?

Le principe à retenir pour l’essentiel est : e, lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation du
refus d’abroger un acte réglementaire, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité
de l’acte réglementaire dont l’abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date
de sa décision.

Assemblée a détaillé son raisonnement et les conséquences qu’il convient d’en tirer.

 l’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus d’abroger un acte


réglementaire illégal réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en
vertu des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative (CJA),
pour l’autorité compétente, de procéder à l’abrogation de cet acte afin que cessent
les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l’ordre juridique.
 Il s’ensuit que :
o dans l’hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l’illégalité de
l’acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l’excès de
pouvoir ne saurait annuler le refus de l’abroger. Ce qui est fort logique (il n’y a
plus lieu à annuler le refus).
o A l’inverse, si, à la date à laquelle il statue, l’acte réglementaire est devenu
illégal en raison d’un changement de circonstances, il appartient au juge
d’annuler ce refus d’abroger pour contraindre l’autorité compétente de
procéder à son abrogation.
 S’agissant des règles relatives à la détermination de l’autorité compétente pour édicter
un acte réglementaire, leur changement ne saurait avoir pour effet de rendre illégal un
acte qui avait été pris par une autorité qui avait compétence pour ce faire à la date de
son édiction. Un tel changement a, en revanche, pour effet de faire cesser l’illégalité
dont était entaché un règlement édicté par une autorité incompétente dans le cas où ce
changement a conduit, à la date à laquelle le juge statue, à investir cette autorité de la
compétence pour ce faire.

CE 28 février 2020 STASSEN ( + CALVIN) : Bande de tricheurs !!!!

Le Conseil d’État rejette les recours de Mme Calvin et de M. Stassen contre les mesures de
suspension provisoire prononcées à leur encontre par la présidente de l’Agence française de
lutte contre le dopage (AFLD).

Clémence Calvin, athlète de courses de fond, et Hendre Stassen, joueur professionnel de


rugby, ont été suspendus, à titre provisoire, par la présidente de l’AFLD de l’ensemble de
leurs activités sportives. Mme Calvin a été suspendue, en avril 2019, pour s’être soustraite à
un contrôle antidopage, et M. Stassen en juillet 2019 pour avoir été contrôlé positif à des
substances interdites.

Ils ont demandé au Conseil d’État d’annuler ces mesures.

Dans les décisions de ce jour, le Conseil d’État précise d’abord la façon dont le juge doit
traiter de telles demandes. Il lui revient non seulement de vérifier que la suspension était
justifiée lorsqu’elle a été prononcée par l’AFLD, mais aussi de s’assurer qu’à la date à
laquelle le juge rend sa décision, l’évolution des circonstances (nouveaux résultats
d’analyse, prolongement excessif de la mesure) ne justifie pas qu’il soit mis fin à la
suspension.

Dans ces deux affaires, les requérants soutenaient notamment que les dispositions du code du
sport qui permettent à la présidente de l’AFLD de prononcer de telles mesures de suspension
provisoires dans l’attente de la décision de la commission des sanctions, méconnaissaient le
droit au travail dès lors que les suspensions n’étaient pas limitées dans le temps.
Le Conseil d’État juge que la mesure de suspension ne revêt pas, contrairement à ce qui était
affirmé, un caractère immuable. En effet, le président de l’AFLD est tenu de lever la
suspension dans l’hypothèse où celle-ci se prolonge au-delà d’un délai raisonnable sans que la
commission des sanctions ne se soit prononcée ou s’il apparaît, notamment au regard
d’éléments nouveaux apportés par le sportif, que la mesure conservatoire n’est plus justifiée.

Par ailleurs, le Conseil d’État juge que les faits à l’origine des deux décisions sont établis et
que les suspensions, prises au terme de procédures régulières, sont justifiées. Il estime en
outre, conformément à la démarche rappelée plus haut, que les nouveaux éléments apportés
par M. Stassen depuis le prononcé de la suspension ne sont pas de nature à justifier qu’il y
soit mis fin.

BONUS !!! CE, Sect., 19 novembre 2021, Association Elena et autres,


n°437141 et 437142 (A) qui rassemble les infos sur CE STASEN Et assoc
américains accidentels

Dans cette jurisprudence, le Conseil d’Etat valide la possibilité de saisir le juge de l’excès de
pouvoir de conclusions subsidiaires à fin d’abrogation de l’acte en cas de changement de
circonstances de fait ou de droit postérieur à l’acte.
Introduction.

A chaque décision du Conseil d’État sur l’office du juge de l’excès de pouvoir, il est commun
d’en revenir à la prédiction de Maurice Hauriou dans sa note sous l’arrêt Boussuge de 1912.

Ne dérogeons pas à la règle :

ACCROCHE Le recours pour excès de pouvoir, écrivait le doyen toulousain, est « comme
cette étoile temporaire des Gémeaux, que nous voyons dans le ciel, et dont l’exaltation
lumineuse a peut-être disparu déjà depuis des centaines d’années, tellement elle est loin de
nous. Nous l’admirons encore, et il n’est déjà plus, ou, du moins, il n’est plus qu’une pièce de
musée, un objet d’art délicat, une merveille de l’archéologie juridique ».

Il faut dire qu’au début du XXème siècle, l’admission de la tierce opposition dans le
contentieux de l’annulation avait de quoi surprendre : elle semblait vouloir dire que le recours
pour excès de pouvoir n’était plus un « procès fait à un acte » dont la noblesse s’épuisait dans
une stricte objectivité.

Plus d’un siècle plus tard, le recours pour excès de pouvoir est toujours là. Mais il a bien
changé : systématisation du pouvoir d’injonction, substitution de base légale ou de motifs,
modulation dans les temps de ses effets… Sans doute a-t-il appris des rudes leçons du Huron
de Rivero. Une forteresse, parmi d’autres, semblait pourtant résister à ce mouvement profond
qui prend corps autour de l’idée selon laquelle derrière l’acte attaqué, il y a des administrés :
le juge de l’excès de pouvoir plaçait toujours son office au moment de l’édiction de l’acte
contesté, sans considération aucune pour les circonstances postérieures. Ainsi, les
changements de circonstances de fait ou de droit affectant potentiellement l’acte ne
concernaient pas le juge et tout moyen en ce sens était inopérant. Dans pareil cas, il
revenait à l’administré de demander à l’administration d’abroger l’acte devenu illégal à
la suite de telles circonstances : tel est le sens de la jurisprudence Despujol de 1930
concernant les actes règlementaires.

Mais dans la décision ici commentée, qui portait sur la contestation par l’association ELENA
et d’autres de la liste des pays sûrs dressée par l’OFPRA, la Section du contentieux du
Conseil d’État a largement fissuré le mur d’enceinte de cette forteresse en jugeant,
conformément aux conclusions de la rapporteur publique Sophie Roussel, que :

« Lorsqu’il est saisi de conclusions tendant à l’annulation d’un acte réglementaire, le juge de
l’excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte à la date de son édiction. S’il le juge
illégal, il en prononce l’annulation.

Ainsi saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, le juge peut également l’être, à titre
subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif
d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à
son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu’un acte
règlementaire est susceptible de porter à l’ordre juridique. Il statue alors prioritairement
sur les conclusions à fin d’annulation.

Dans l’hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et où l’acte
n’aurait pas été abrogé par l’autorité compétente depuis l’introduction de la requête, il
appartient au juge, dès lors que l’acte continue de produire des effets, de se prononcer sur
les conclusions subsidiaires. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des
circonstances prévalant à la date de sa décision ».

Une telle évolution, si elle peut sembler majeure, n’en était pas moins attendue (I).

On la notera cependant pour le moment incomplète, car excluant les actes individuels et les
décisions d’espèce, avant d’en voir les conséquences pratiques (II).

I - Une évolution attendue.

Cela fait bien longtemps que le juge de l’excès de pouvoir n’est plus sourd aux sirènes du
temps qui passe : la jurisprudence Association AC ! est là pour le rappeler. Mais, si l’on
considère plus particulièrement la question du moment auquel le juge se place pour statuer, la
métamorphose est plus récente. C’est ainsi que dans une décision remarquée Association des
américains accidentels du 19 juillet 2019, le Conseil d’État avait estimé qu’il revenait au juge
de l’excès de pouvoir - au nom de « l’effet utile » de ses décisions -, saisi d’un recours en
annulation contre une décision de refus d’abroger un acte devenu illégal à la suite de
circonstances de fait ou de droit postérieures à son édiction, de se placer à la date à laquelle il
statuait pour trancher le litige. Une telle posture a prospéré dans le contentieux des décisions
de refus : on se souviendra par exemple de la retentissante jurisprudence Commune de
Grande-Synthe. Une telle évolution était précisément justifiée par le fait que la légalité
débattue dans un tel contentieux est, précisément, une « légalité pour l’avenir », comme le
souligne bien Sophie Roussel dans ses conclusions.

En ce qui concerne le contentieux des actes positifs, le mouvement était jusqu’à présent
cantonné au contentieux des mesures de suspension prononcées par l’Agence française de
lutte contre le dopage. Dans une décision Stassen du 28 février 2020, les 7ème et 2ème
chambres réunies avaient en effet jugé, à l’invitation du rapporteur public Guillaume Odinet
que « lorsqu’il est saisi d’un recours tendant à l’annulation d’une mesure de suspension
provisoire, prise à titre conservatoire sur le fondement de l’article L232-23-4 du Code du
sport, le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité de cette décision à la date de son
édiction et, s’il la juge illégale, en prononce l’annulation. Eu égard à l’effet utile d’un tel
recours, il appartient en outre au juge de l’excès de pouvoir, saisi de conclusions en ce sens,
d’apprécier la légalité de la décision à la date où il statue et, s’il juge qu’elle est devenue
illégale, d’en prononcer l’abrogation ». Si les motifs de l’arrêt Stassen n’étaient pas rédigés
dans ces termes généraux qui font les grands arrêts de principe, il demeure qu’ils laissaient
entrevoir Elena.

Une remarque avant d’envisager les conséquences pratiques : le lecteur attentif aura noté que
les motifs de la décision ici commentée ne traitent que des actes règlementaires, à l’exclusion
donc de tous les autres actes unilatéraux. Bien sûr, le Conseil d’État n’était ici saisi que d’un
acte règlementaire, mais on aurait pu imaginer qu’il opte pour une formulation plus générale,
incluant les actes non règlementaires. L’hypothèse est d’ailleurs envisagée par Sophie Roussel
dans ses conclusions. La rapporteure publique estime qu’une telle solution pourrait être
transposée aux actes non règlementaires, mais invite la Section à procéder « par touches
successives » et à garder pour des contentieux ultérieurs la question de l’applicabilité d’Elena
au recours contre des décisions individuelles ou d’espèce.

II - Conséquences pratiques.

Plusieurs conséquences contentieuses à cette décision, pas nécessairement traitées clairement


dans les motifs de la décision, mais qui ressortent plus clairement des conclusions de Sophie
Roussel :

Recevabilité. Il faut bien souligner, tant les conséquences sont importantes, que la
jurisprudence Elena n’ouvre pas de nouveaux moyens en excès de pouvoir, fondés sur les
changements de circonstances de fait ou de droit. Elle permet de formuler des conclusions
en abrogation subsidiaires à des conclusions principales en annulation. Dès lors, la
recevabilité de telles conclusions est subordonnée à la recevabilité des conclusions
principales. Elles ne sauraient, par ailleurs, être formulées à titre principal. Bref, toutes les
règles de recevabilité des conclusions subsidiaires s’appliquent.

Moyens invocables. Une question fondamentale doit être ici réglée. On sait qu’en excès de
pouvoir, les moyens sont cristallisés une fois le délai de contentieux échu, conformément à la
jurisprudence Intercopie. Néanmoins, une telle règle serait proprement inadaptée à des
conclusions en abrogation du fait de circonstances de fait ou de droit nouvelles, précisément
du fait de la possibilité que de telles circonstances n’interviennent après l’échéance du délai
de recours. Dès lors, les moyens au soutien de ces conclusions - qui se résumeront
nécessairement à l’exposé des circonstances nouvelles et à une confrontation de celles-ci à
l’acte contesté - pourront être invoqués jusqu’à la clôture de l’instruction et même pour la
première fois en appel.

Conséquences. De telles conclusions ne pourront prospérer, faute d’objet, si l’acte est


annulé ou si, avant que le juge ne se prononce, l’administration a elle-même abrogé l’acte.
Mais si tel n’est pas le cas et que les conclusions sont fondées, le juge pourra abroger l’acte. Il
faut cependant noter que la Section du contentieux a bien pris le soin de préciser qu’il était
loisible au juge administratif, « eu égard à l’objet de l’acte et à sa portée, aux conditions de
son élaboration ainsi qu’aux intérêts en présence », de décider que l’abrogation ne sera
effective qu’à une date ultérieure, qu’il fixe. On aura reconnu la transposition de la
jurisprudence Association AC !

Finalement, là où l’on peut penser qu’il s’agit d’un énième coup de canif au recours pour
excès de pouvoir, il semble plutôt, en témoignent les conclusions de Sophie Roussel, que
ce monument du contentieux administratif s’en trouve renforcé par l’acceptation que les
règles qui le régissent ne soient pas immuables, mais tout entières tournées vers la
finalité du REP telle qu’exprimée par l’arrêt Dame Lamotte : « assurer, conformément
aux principes généraux du droit, le respect de la légalité », lequel peut emprunter bien des
chemins.

CE ASS 13 juillet 2017 CZABAJ et CEDH 9 nov 2023+ CE 8 mars 2024+CE 11 mars

Nouvelle décision du 11 mars 2024 : le Czabaj est toujours vivant…


retranché derrière les colonnes de Buren du Conseil d’Etat

Czabaj ! Czabaj outragé (par la CEDH en 2023) ! Czabaj cassé (le 8 mars 2024) ! Czabaj
martyrisé ! Mais Czabaj libéré (de nouveau par le Conseil d’Etat le 11 mars 2024).

Enfin… libéré disons le vite. Car c’est retranché derrière les colonnes de Buren du Conseil
d’Etat, interdit de séjour ailleurs, que Czabaj vit, désormais, cloîtré. Mais avec, ce 11 mars
2024, un régime précisé en termes de délais de recours quand dans la vie d’une procédure,
une décision de la CADA a passé.

Après la Czabaffe, Czaback (c). : )

Prenons-un à un les éléments de cette répétition lexicale :

 Czabaj !
Rappel pour les publicistes débutants : en vertu de la jurisprudence du même nom, les
actes individuels non notifiés ou mal notifiés ne peuvent-il plus être attaqués
indéfiniment (un délai — indicatif — d’un an pour engager un recours étant alors
appliqué par le juge mais avec des modulations au cas par cas, à compter du moment
où le requérant au su que cet acte avait été adopté, et ce au nom d’un principe de
sécurité juridique par ailleurs très en forme ces temps-ci).
CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n°387763
 Czabaj outragé (par la CEDH en 2023) !
La CEDH a en effet estimé que c’était bien gentil, comme l’a fait le Conseil d’Etat en
2016, contre les termes clairs du Code de justice administrative, d’imposer ce délai
indicatif d’un an comme étant un maximum.. mais qu’au nom de ce même principe,
faute pour ce revirement de jurisprudence d’avoir eu des signes avant-coureur, au
minimum faut-il que les requérants antérieurs ou juste postérieurs à cette décision de
2016 ne se voient pas appliquer cette règle qu’ils ne pouvaient prévoir.
CEDH, 9 novembre 2023, Legros, n° 72173/17
 Czabaj cassé (le 8 mars 2024) !
Car la cour de cassation a estimé le 8 mars dernier qu’il ne convenait pas au monde
judiciaire de se voir importer cet étrange produit contra legem qu’est l’arrêt Czabaj
Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560 et n° 21-21.230 [2 esp.], au Bull.
 Czabaj martyrisé (par de nombreux commentateurs) !

Bon là voir mon résumé ici :c’est l’histoire d’un produit que le Conseil d’Etat a
concocté tout seul dans son coin alors que, pour le juge administratif, le bonheur
aurait pu résulter d’un simple coup de fil (une demande de modification de l’article
réglementaire du CJA eût suffi…). Puis voici qu’on découvre que ce produit inventé
sur-mesure s’exporte mal. Très mal. Faut dire que maltraiter à ce point le principe
de sécurité juridique (du point de vue du requérant) au nom du principe de sécurité
juridique (du point de vue de l’administration), c’était un peu fort de café.Il y a
quelques mois, c’était la CEDH qui n’en voulait pas (en tous cas pas sans délai de
prévenance). Maintenant, c’est la Cour de cassation qui refuse ce produit. Czabaj va
donc bien rester, au moins à court terme, un produit domestique, réservé au marché
intérieur qui est celui du juge administratif français. Et encore sans être applicable
aux affaires en cours avant cette décision… Mais dès que l’on ira sur les brisées du
juge judiciaire, adieu la décision Czabaj et ses commodités pour les
administrations.

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VOUS VOULEZ ALLER PLUS LOIN ? CA SE PASSE EN DESSOUS

Faisons le point sur un naufrage qui a commencé par l’enfumage « Czabaj » et qui va
devoir se finir en opération débourbage, pour ne pas dire de déminage.

Czabaj, la naissance (au nom d’un principe de sécurité


juridique en grande forme)
Entre la défense de la légalité des actes (et donc la sanction des actes illégaux) et la sécurité
juridique (et donc la non sanction des actes illégaux au delà d’un certain délai), l’équilibre ne
cesse, depuis quelques années, de progresser en défaveur de la légalité des actes.

Bref, nous vivons en des temps où prévaut le principe de la sécurité juridique. Bref, celui de
la tranquillité pour les auteurs d’actes administratifs illégaux passé un certain délai.

A la base, on avait un texte de la partie réglementaire du Code de justice administrative qui


posait que faute de notification en bonne et due forme des voies et délais de recours, pour
les actes individuels, c’était sans condition de délai que pouvait agir un requérant.

Plutôt que de demander au pouvoir réglementaire de modifier ce texte (le bonheur


juridique pouvant être aussi simple qu’un coup de fil…), il a plu au Conseil d’Etat de se
simplifier la tâche en posant que cette règle devait être contre-balancée par un principe de
sécurité juridique conduisant donc à ce fameux délai indicatif d’un an au delà duquel le
requérant ne peut plus agir.

Ainsi les actes individuels non notifiés ou mal notifiés ne peuvent-il plus être attaqués
indéfiniment (un délai — indicatif — d’un an pour engager un recours étant alors appliqué
par le juge mais

Ce mouvement n’est pas isolé.

 certains vices (de procédure et de forme) donnent lieu à moins d’annulation que de
par le passé depuis l’arrêt Danthony. Voir :
o CE Ass., 23 décembre 2011, Danthony, n°335033
o https://blog.landot-avocats.net/?s=danthony.
o pour un point général : Jurisprudence Danthony : 11 ans… et quel bilan ?
[VIDEO]
 et nous pourrions détailler des évolutions analogues, en matière :
o d’autorisations environnementales. Pour un exemple frappant, voir :
 CE, 27 septembre 2018, n° 420119,
o de liens entre illégalité du PLU et du Permis de construire ou d’affichage des
permis. Voir par exemple :
 CE, 9 novembre 2018, SCI Valmore, req., n° 409872
 Même mal affiché, un permis de construire ne peut pas être contesté
n’importe quand
o ou de marchés publics. Voir par exemple :
 CE 3 octobre 2008, Smirgeomes, n° 305420 ;
 CE Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802.
 CAA Bordeaux, 23/06/2016, 14BX02263
 etc.
 Voir nos très nombreux articles de blogs et vidéos à ces sujets…

Dès lors, pour emprunter une formule vue sur twitter, brillamment concoctée (avec un brin
d’excès certes) par un confrère (#Grégory @sisyphe1801), la « sécurité juridique n’a plus de
limite »…. disons qu’elle en a de moins en moins. D’autant que la jurisprudence Czabaj, pour
ne s’en tenir qu’à elle, a connu depuis lors une croissance impressionnante.

II. Czabaj, la croissance (avec fort peu de freins, et des


extensions encore cet été 2023)
Cette jurisprudence a été étendue :

 à l’exception d’illégalité d’une décision individuelle. Voir :


o CE, 27 février 2019, M. A. c/ ministre de l’action et des comptes publics, n°
418950
o Le Conseil d’État étend la jurisprudence Czabaj à l’exception d’illégalité d’une
décision individuelle.
 et plus largement aux exceptions d’illégalité. Voir :
o CAA Nancy 18 janvier 2018, M. J., n° 17NC00817
o « La sécurité juridique n’a plus de limite » … ou en tous cas elle en a de moins
en moins (extension de la jurisprudence Czabaj aux exceptions d’illégalité)
o … exception d’illégalités également rabotées dans leur possible portée par
deux arrêts du 18 mai 2018 (Les moyens tirés de vices de forme ou de
procédure dont serait entaché un acte réglementaire doivent-ils être jugés
inopérants dans le contentieux du refus de l’abroger et lors de sa contestation
par la voie de l’exception d’illégalité ? Le CE répond par la négative par deux
arrêts qui forment un revirement de jurisprudence très notable, au profit du
principe de sécurité juridique et au détriment du principe de légalité). Voir :
 Conseil d’État, 18 mai 2018, n° 411045 411045
 Conseil d’État, 18 mai 2018, n° 411583
 https://blog.landot-avocats.net/2018/05/18/le-conseil-detat-rabote-la-
possibilite-de-soulever-une-exception-dillegalite/
 plus largement, cette série ayant été complétée par d’autres décisions
rognant les exceptions d’illégalités, voici une vidéo que j’ai faite en
2023 à ce sujet : https://youtu.be/9Jn25D5QTDk
 aux titres exécutoires. Voir :
o CE, 9 mars 2018, Communauté d’agglomération du pays ajaccien, req.
n° 401386
o Quel délai de recours contentieux contre un titre exécutoire ?

 aux décisions implicites de rejet :


o « La sécurité juridique n’a plus de limite » … (encore une extension de la
jurisprudence Czabaj… aux décisions implicites de rejet cette fois)
 aux décisions d’espèce (voir « La sécurité juridique n’a plus de limite » … (encore
une extension de la jurisprudence Czabaj… aux décisions d’espèce cette fois) : CE, 25
septembre 2020, n°430945 )
 aux rejets implicites de recours gracieux (Extension de la jurisprudence Czabaj… au
rejet implicite d’un recours gracieux cette fois (mais avec une application souple de la
date où il y a eu connaissance de la décision) :CE, 12 octobre 2020, n° 429185 )
 voir aussi :
o Une question préjudicielle… ne peut servir à contourner la jurisprudence
CZABAJ (Conseil d’État, 2ème – 7ème chambres réunies, 29/11/2019, 429248
; Voir auparavant : CE, Assemblée, 13 juillet 2016, M., n° 387763, rec. p. 340
; CE, 19 mai 2000, Mutuelle de la RTAP, n° 208545, rec. T. pp. 858-906 et
CE, 29 novembre 2019, Procureur de la République de Marseille c/ M. M…,
n° 429248, à publier aux tables du rec.)
o quel est le délai de prescription en cas d’erreur dans le bulletin de paye d’un
agent public ? (CE, 10 juillet 2020, n° 430769)
o voir cependant : Le principe de sécurité juridique a une limite : le contentieux
indemnitaire (Czabaj : le retour de balancier) : CE, 17 juin 2019, n° 413097

NB en cas de fraude, des solutions subtiles s’imposent. Voir :


 Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 05/02/2018, 407149
 Acte créateur de droits obtenu par fraude : quel recours pour les tiers, une fois passé
les délais de recours contentieux ?
 voir aussi :
o Les tiers ne peuvent contester indéfiniment une décision administrative
individuelle qui a fait l’objet d’une mesure de publicité à leur égard… même
en cas de fraude (TA Versailles, 15 février 2017, n°1402665)
o Importante décision sur la conciliation entre la procédure fiscale et la
jurisprudence Czabaj (CE, 21 octobre 2020, n° 443327).

A noter : le pli recommandé, même non retiré, fait courir le délai indicatif d’un an de la
jurisprudence Czabaj (CAA Nantes, 4 mars 2022, n° 21NT01507 ; voir ici cette décision et
notre article).

Cependant, le juge tient compte aussi du comportement de l’administration à ce stade. Voir :

Citons quelques évolutions récentes de cette jurisprudence :

 Les contentieux « Tarn-et-Garonne » se sont « Czabajisés »


En effet, le Conseil d’Etat a, par deux décisions du 19 juillet 2023 (Société
Seateamaviation, n° 465308, aux tables du rec. ; voir aussi n° 465309 du même jour),
précisé le cadre d’application de la jurisprudence Czabaj aux contentieux Tarn-et-
Garonne voire aux litiges régis par la jurisprudence Tropic… ce qui mettait fin à
quelques divergences entre CAA. Traduit en bon français, cela veut dire que pour ces
contentieux contractuels, le délai de recours est de deux mois « à compter de
l’accomplissement des mesures de publicité appropriées » (ce que le juge apprécie
parfois avec souplesse) MAIS que faute de ces mesures, s’applique un délai de
recours indicatif d’un an.

o
 cet été, par un important avis contentieux, à publier en intégrale au recueil, le Conseil
d’Etat a posé que l’on peut avoir double ration de Czabaj (Conseil d’État, avis ctx,
12 juillet 2023; n° 474865, au recueil Lebon ; voir ici cet avis et notre article) :
o que le délai d’un an est bien interrompu par un recours administratif,
gracieux ou hiérarchique… avec même un possible départ d’un nouveau
délai indicatif d’un an si à l’issue dudit recours se trouve de nouveau une
décision non notifiée ou mal notifiée en termes de voies et délais de recours
(mais bon là cela fait un bis repetita un peu honteux pour l’administration )
o que la demande d’AJ interrompt également ce délai de la jurisprudence
Czabaj.
 cet été toujours, le Conseil d’Etat a eu à répondre à une autre question : que se passe-t-
il si ensuite ledit requérant se trompe, lui aussi, et saisit, à tort le juge judiciaire ? Le
délai indicatif d’un an est-il interrompu par la saisine, erronée, de ce juge ?
La réponse de la Haute Assemblée à cette question est que le délai d’un an s’apprécie
avec pour date de fin la saisine du juge judiciaire… à charge pour le requérant de
saisir le juge administratif dans les deux mois à compter de la date où le juge judiciaire
s’est irrévocablement déclaré incompétent)
Voir ici cette décision et notre article : Conseil d’État, 5 juillet 2023, n° 465478, aux
tables du recueil Lebon
III. Czabaj, la discordance (avec une censure non du
principe, mais de son application immédiate. Ce qui
d’ailleurs ne manque pas de sel à plusieurs titres)
Mais voici que l’arrêt CZABAJ est, ensuite, écorné, en novembre 2023, d’un petit tour à
Strasbourg.

Devant la CEDH, en effet, des requêtes avaient été déposées relatives à l’application
immédiate en cours de procédures du revirement de jurisprudence relatif aux délais de recours
opéré par le Conseil d’État dans un arrêt du 13 juillet 2016. En application de cette
jurisprudence, les recours en annulation introduits par les requérants ont été jugés tardifs soit
par le tribunal administratif alors que la requête avait été enregistrée avant le 13 juillet 2016,
soit par la cour administrative d’appel.

Les requérants se plaignent sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention. La requérante no4


invoque les articles 6 et 13 de la Convention : toutefois les griefs relatifs au droit d’accès à la
justice sont à examiner sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention dans la mesure où il est
applicable plutôt que sous celui de l’article 13 (voir notamment, Kudłac. Pologne [GC],
no 30210/96, § 146, CEDH 2000 XI).

Le requérant no 1 soutient également sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 de la


Convention qu’il avait une espérance légitime d’obtenir la jouissance effective de son bien et
que l’application en cours d’instance de la jurisprudence du Conseil d’État a porté atteinte à
son droit au respect de ses biens.

Les deux questions étaient donc in fine et après légère requalification :

1. Est-il contraire à la CEDH (Convention européenne des droits de l’homme) que l’on
méconnaisse ainsi le droit écrit. Dans l’affirmative, une telle violation relèverait-elle
de ce que peut censurer la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH ; institution
siégeant à Strasbourg et dépendant du Conseil de l’Europe) ?
2. Surtout, n’aurait-il pas fallu n’appliquer ce revirement de jurisprudence qu’aux cas
futurs (bref, appliquer une sorte de « jurisprudence AC! CE, Ass., 11 mai 2004,
Association AC! , n° 255886, rec. p. 197, GAJA 23e éd. 101) ?

La CEDH a répondu NON à la première question (validation de la possibilité de


manière prétorienne de changer le droit au nom d’un PGD comme en l’espèce via la
décision Czabaj, conduisant à méconnaitre un article réglementaire du CJA… excusez
du peu).

La Cour considère que la définition, par voie prétorienne, d’une nouvelle condition de
recevabilité, fondée sur des motifs justifiant l’évolution de jurisprudence ayant conduit à
la création d’un « délai raisonnable » de recours, ne porte pas, alors même qu’elle est
susceptible d’affecter la substance du droit de recours, une atteinte excessive au droit
d’accès à un tribunal tel que protégé par l’article 6 § 1 de la Convention.
Et elle a répondu OUI à la seconde. OUI il aurait fallu des signaux, des informations
pour que cela ne s’applique pas sans transition aux litiges en cours, même les plus
récents.

L’application immédiate aux instances en cours de cette nouvelle règle de délai de


recours contentieux, qui était pour les requérants à la fois imprévisible, dans son
principe, et imparable, en pratique, a restreint leur droit d’accès à un tribunal à un
point tel que l’essence même de ce droit s’en est trouvée altérée. Il y a donc eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention. En ce qui concerne la requête n° 72173/17, du fait de
la violation de l’article 6 § 1 de la Convention dont le requérant a été victime, la Cour
estime que le juste équilibre requis par l’article 1 du Protocole n° 1 a été rompu et qu’il
y a eu, en conséquence, violation de cet article.

Ce qui d’ailleurs ne manque pas de sel à plusieurs titres) puisque :

 dans ces questions de délais raisonnables, il est amusant de voir le temps mis à ce que
tout ceci aboutisse à un état du droit un peu stabilisé
 c’est au nom de la sécurité juridique (du point de vue de la légalité des actes, du droit
à avoir confiance dans le droit applicable, en quelque sorte) que cette décision Czabaj
a été prise. Mais c’est, via le droit à un procès équitable de l’article 6 § 1, de la
CEDH… que cette jurisprudence Czabaj a été prise. Avec même si la CEDH ne le
formule pas ainsi, une règle de base : on ne change pas les règles du jeu en pleine
partie !
Bref, la sécurité juridique a justifié l’arrêt Czabaj, mais c’est la sécurité juridique
qui conduit à censurer son application immédiate.
 c’est d’ailleurs en droit interne le Conseil d’Etat qui ces temps-ci s’est fait le chantre
de ce droit, toujours au nom de la sécurité juridique, à ce que les citoyens n’aient pas
de changement de règles sans délai suffisant pour s’adapter à ces nouvelles règles du
jeu :
o Ainsi que le rappellent les articles L. 221-5 et L. 221-6 du code des relations
entre le public et l’administration (CRPA), il incombe à l’autorité investie du
pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les
mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle. Il
en va ainsi en particulier lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne,
au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux
intérêts publics ou privés en cause.
Ces principes, posés par le CRPA, résultent d’une jurisprudence désormais
constante et, même, exigeante (CE, Assemblée, 24 mars 2006, Société KPMG
et autres, n° 288460, rec. p. 154 ; CE, Section, 13 décembre 2006, Mme , n°
287845, rec. p. 540).
o le juge s’autorise lui-même à imposer, transitoirement, de telles transitions
juridiques au delà de ce qui était prévu ou avec plus d’étapes que prévu (y
compris si cela résulte de décisions de Justice et/ou de difficultés identifiées en
cours de mise en oeuvre : CE, 30 décembre 2021, n°434004 et autres, à
mentionner aux tables du recueil Lebon ;voir ici notre article).
o c’est au nom de ce principe par exemple qu’en 2022 le Conseil d’Etat avait
censuré l’application précipitée de la réforme de la procédure civile… en
précisant qu’un délai indicatif de 3 mois eût été nécessaire (ce qui est un indice
pour d’autre réformes)… et en semant, alors, le trouble dans le monde des
civilistes (Conseil d’État, 22 septembre 2022, n° 436939, à mentionner aux
tables du recueil Lebon ; voir ici cette décision et notre article)
o par deux décisions assez différentes, le Conseil d’Etat a appliqué ce principe
juridique en matière de réformes éducatives (4 février 2022, n° 457051
457052, d’une part, et n° 448017, d’autre part, à mentionner aux tables du
recueil Lebon dans les deux cas).

IV. Czabaj, les contentieux anciens, morts-vivants, en


résurgence (avec un mode d’emploi à sécuriser
différemment selon les cas)
D’un point de vue opérationnel:

 pour les contentieux à venir, cette décision de la CEDH ne changeait rien. La décision Czabaj est
validée dans son principe, ce n’est que son application trop rapide sans signes avant coureurs qui
est censurée.
 Pour les contentieux passés, elle peut fortement influer, mais non sans quelques moyens de
défense pour l’administration :
o sur les affaires engagées par un requérant peu de temps après la décision de l’arrêt
CZABAJ et qui seraient encore pendantes, ou encore susceptibles de recours devant la
CEDH… l’irrecevabilité soulevée par l’administration et acceptée (ou susceptible de
l’être pour les affaires non encore jugées) par le juge, pour tardiveté, risque d’être
censurée
o pour les affaires en cours mais postérieures de plusieurs mois ou années par rapport à la
date de lecture de la décision Czabaj… l’administration en défense pourra s’appuyer sur
certaines formulations de la CEDH elle-même afin de rejeter pour tardif les recours de
requérants qui par exemple en 2017 ou 2018, ne pouvaient plus prétendre être légitimes à
ignorer « cette nouvelle règle du jeu »).

Avec en tous cas un effet « rebond », « rejeu »… résurgence pour d’anciens contentieux. Comme à la fin
de ces films à suspens où revient une source de frayeur que l’on croyait enterrée. Bref, pour certains
litiges, ce sera le retour de morts-vivants juridiques. La CEDH aurait du lire sa nouvelle décision le jour
d’Halloween. Pour faire raccord.

V. Czabaj, côté judiciaire, la déchéance


L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, ce 8 mars 2024, a refusé d’aligner sa
jurisprudence sur celle, audacieuse, un brin contra legem (« contra reglementem » osera-t-on
latiniser pour de faux)… du Conseil d’Etat.

Elle estime, à rebours du Palais Royal, donc, que si une personne n’est pas régulièrement
informée des recours dont elle dispose pour contester “un titre exécutoire” sur lequel se fonde
l’État pour lui réclamer de l’argent, elle n’est pas contrainte de former son recours dans le
délai d’un an.

Elle avait, sur ce point, deux affaires à juger. Dans l’une, une commune avait réclamé à une
société le paiement d’une taxe locale. La commune a notifié trois titres exécutoires à cette
société. La Cour d’appel avait accepté d’importer le délai, raisonnable, d’un an dans sa
jurisprudence judiciaire au diapason du Conseil d’Etat.

Dans la seconde affaire, une communauté d’agglomération avait réclamé à une société le
paiement de factures d’eau. Elle a notifié deux titres exécutoires à cette société, qui les a
contestés devant le juge judiciaire. Cette Cour d’appel, elle, avait refusé d’utiliser Czabaj, et
elle avait donc accepté la recevabilité du recours de la société, dépassant pourtant le délai
d’un an, contre ces titres exécutoires ayant des voies et des délais de recours non ou mal
notifiés.

Il est à rappeler que :

 l’article R. 421-5 du code de justice administrative prévoit que les délais de recours
contre une décision administrative (individuelle en réalité ; les actes réglementaires
n’ayant pas à être notifiés) ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été
mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision…. article
donc, nullifié en quelque sorte par Czabaj (combiné avec un PGD diront les
défenseurs de Czabaj ; ce que je ne puis qu’être.. étant moi-même avocat de
collectivités publiques !).
 l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales prévoit que le débiteur
d’une créance d’une collectivité locale dispose d’un délai de deux mois pour contester
celle-ci devant la juridiction compétente, à compter de la notification de ce titre.
… ce qui veut dire pour la Cour de cassation que ce délai ne court que s’il y a
notification en bonne et due forme.

La Cour de cassation, se fondant sur ces dispositions, et refusant, donc, de les combiner avec
un principe général du droit de sécurité juridique du point de vue la norme juridique en cause
et de l’administration… a posé de son côté comme étant un principe que le délai pour
engager une action en justice contre une décision quelle qu’elle soit (civile ou
administrative) ne peut commencer à courir que si deux informations ont été régulièrement
notifiées à l’intéressé – les voies de recours dont il dispose et le délai qui lui est accordé
pour agir.

Devant le juge judiciaire, la contestation d’un titre exécutoire passé le délai d’un an
reste donc acceptable (si les voies et délais de recours ont été non ou mal notifiés) car ce
même juge tient compte de règles de prescription qui, en tout état de cause, imposent
une limite dans le temps à l’exercice des voies de recours… .

Par exemple, précise la Cour de cassation, dans son communiqué, s’agissant des créances de
l’Etat, celles-ci ne pourront plus être réclamées à l’issue d’un délai de quatre ans.

Voici ces décisions :Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560, au Bull. Cass. plén., 8 mars
2024, n° 21-21.230, au Bull.

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