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RECHERCHE SUR L’INDÉLÉGABILITÉ DE LA POLICE ADMINISTRATIVE : QUAND LE

CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’ÉCARTE DU CONSEIL D’ÉTAT

Olivier Renaudier

La question des liens entre les juges constitutionnel et administratifs est au cœur des réflexions
contemporaines sur le droit public. Ces dernières années, celle-ci a été renouvelée dans la mesure où
le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État se sont saisis d’objets communs, parmi lesquels la police
administrative. Sur ce sujet, il convient de formuler trois observations liminaires.

1) Place du droit constitutionnel dans celui de la police administrative :

- La police administrative ne relève pas que du droit administratif, plusieurs décisions du Conseil
constitutionnel portant sur des dispositions législatives relatives à la police administrative, par
exemple celles sur les états d’urgence terroriste ou sanitaire, ont permis d’édifier un régime
constitutionnel de la police administrative.

- La police administrative, telle qu’elle est exercée par les autorités administratives est
subsidiaire :

 vis-à-vis des libertés : « la liberté est la règle, la restriction de police, l’exception »


 Vis-à-vis du législateur : le législateur est l’autorité par principe compétente pour restreindre
l’exercice des « libertés publiques » notamment en créant des polices administratives
spéciales.
 Il reste à la police générale le soin de pourvoir aux situations qui ne sont pas envisagées par le
législateur.
 Police légitime = principe et police fondée sur notre implicite d’habilitation de l’ordre public =
exception
 Les deux sont régit par le droit constit

2) Distinction entre police admin et SP

- L’action publique se divise en deux grand branches :

• La police administrative : réglemente l’activité des particuliers dans le but de prévenir


d’éventuels troubles à l’ordre public
• Le service public : par le biais duquel sont accordées aux particuliers des prestations
correspondant à la satisfaction des besoins d’intérêt général.

- La police admin ‘n'est pas considéré comme une activité de SP car elle n’a pas d’usager mais
des « bénéficiaires indirectes »
- Elle est considérée aussi comme indélégable
 Ce que ce terme signifie, c’est que le pouvoir de police administrative est indisponible : un acte
unilatéral ou un contrat ne saurait déléguer celui-ci à une autre personne, que celle-ci soit
publique ou privée.
3) La question de l’indélégabilité de la police administrative

- Ce sujet fait l’objet d’un important renouveau :


 Renouveau jurisprudentiel : dans une décision du 15 octobre 2021, Société Air France, le
Conseil constitutionnel a affirmé que « l’interdiction de déléguer à des personnes privées des
compétences de police administrative (...) est un principe inhérent à l’identité constitutionnelle
de France
 Renouveau politique : pour faire face à un besoin croissant de sécurité, combiné à une
raréfaction des ressources publiques, l’on a accordé une place de plus en plus importante aux
personnes privées dans le champ de la sécurité intérieure.

Ces trois observations ayant été formulées, il convient de s’interroger sur la manière dont le Conseil
constitutionnel et le Conseil d’État appréhendent l’indélégabilité de la police administrative. Après
avoir été longtemps sur la même longueur d’ondes, les deux Conseils semblent aujourd’hui diverger.
Le Conseil constitutionnel s’est éloigné de la position du Conseil d’État. Cet éloignement porte sur deux
points : le fondement (I) et le champ (II) de l’indélégabilité.

I. Le fondement de l’indélégabilité

• La position du CE :

Cette règle ne figure ni dans la Constitution, ni dans une loi. Elle n’en est pas moins constamment
réaffirmée par le Conseil d’État: dans sa décision d’assemblée Commune de Castelnaudary, celui-ci
souligne que « le service de la police rurale, par sa nature, ne saurait être confié qu’à des agents placés
sous l’autorité directe de l’administration»; dans une décision plus récente, il est précisé en des termes
identiques que « le service de la police du stationnement, par sa nature, ne saurait être confié qu’à des
agents placés sous l’autorité directe du maire »
 L'autorité administrative ne peut pas déléguer une mission de police administrative à une
personne privée
 Selon Teissier, la police relèverait par essence d’un noyau irréductible de fonctions attachées à
la souveraineté de l’État. Déléguer l’une ou l’autre de ces fonctions essentielles, ce serait porter
atteinte à la souveraineté de l’État : c’est donc impossible.

• La position du C.constit :

Conseil constitutionnel opère une distinction entre :


 Les activités ne pouvant être déléguées sur le fondement d’un texte, principalement l’alinéa 9
du Préambule de la Constitution de 1946,
 Les activités ne pouvant être déléguées au regard de leur nature
 Il prend le soin de préciser le sens à donner à cette référence à la « nature ». Ainsi, par exemple,
dans une décision de 2002, il évoque, à propos du service public pénitentiaire, des « tâches
inhérentes à l’exercice par l’État de ses missions de souveraineté » ; dans une autre décision,
de 2003, il affirme, à propos du financement d’équipements publics, l’impossibilité de «
déléguer à une personne privée l’exercice d’une mission de souveraineté »

- Décision du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la


sécurité intérieure. Dans cette décision, le Conseil censure une disposition législative
permettant aux maires de déléguer à des personnes privées le visionnage et l’exploitation des
images captées par des caméras de vidéo- protection installées sur le territoire communal.
- Il a en effet estimé que cette disposition permettait de confier à des personnes privées la
surveillance générale de la voie publique et, ainsi, de leur déléguer des compétences de police
administrative générale.
 Fondement sur lequel celui-ci est assis, à savoir l’article 12 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, aux termes duquel « la garantie des droits de l’homme et du citoyen
nécessite une force publique (...) »
 L’autorité publique titulaire d’un pouvoir de police ne saurait le déléguer à une personne
privée dans la mesure où il perdrait alors ce caractère « public », considéré comme essentiel
aux yeux des rédacteurs de la Déclaration.

➢ Le Conseil d’État ignore superbement cette décision du Conseil constitutionnel de 2011 et


continue de faire référence à la nature de la police administrative pour justifier son
indélégabilité. Mieux encore, le Conseil d’État a pu affirmer, dans une décision Syndicat
national des inspecteurs de l’action sanitaire et sociale (SNIASS), que « ni l’article 12 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ni aucun autre principe
constitutionnel (...) n’exigent que les missions de police administrative soient confiées à des
personnes publiques ».

Divergentes sur le fondement de l’indélégabilité de la police administrative, les jurisprudences du


Conseil d’État et du Conseil constitutionnel le sont égale- ment s’agissant de son champ d’application.

II. Le champ de l’indélégablité

A) La restriction du champ opéré par le Conseil constitutionnel

- Décision du 15 octobre 2021, Société Air France, le Conseil constitutionnel a opéré une
restriction importante du champ de l’indélégabilité de la police administrative.
- Conseil d’État, considère de manière constante que le champ d’application de l’indélégabilité
de la police administrative est le plus large possible :
 Toutes les branches de la police administrative sont concernées par la prohibition de la
délégation.
 L’indélégabilité concerne aussi bien la police administrative générale que les polices
administratives spéciales.
 L’indélégabilité est relative aussi bien à la police administrative étatique qu’à la police
administrative municipale.
 Le seul débat existant à propos du champ de l’indélégabilité porte sur les prestations
matérielles de police. En effet, le Conseil d’État reconnaît la légalité de la délégation lorsqu’elle
concerne, non pas la mise en œuvre du pouvoir de police, mais le développement d’activités
matérielles ou de tâches purement techniques. Ainsi, il a été jugé que la surveillance de
bâtiments publics ou encore le remorquage des véhicules en panne sur l’autoroute pouvaient
légalement être délégués à des personnes privées.

- Conseil constitutionnel, il a, dans un premier temps, mis ses pas dans ceux du Conseil d’État et
considéré que l’indélégabilité de la police administrative était totale, c’est-à-dire couvrant
toutes les dimensions de celle-ci : on peut en ce sens citer les décisions LOPPSI 2, à propos de
la police municipale, et Loi sur la sécurité globale, relative à la police administrative spéciale
des manifestations sportives, récréatives ou culturelles. Dans un second temps, avec sa
décision Société Air France du 15 octobre 2021, il a semblé changer de position. En effet, dans
celle-ci, il a affirmé qu’il résulte de l’article 12 de la Déclaration de 1789 « l’interdiction de
déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale
inhérentes à l’exercice de la force publique nécessaire à la garantie des droits ».
 L’interdiction de la délégation apparaît limitée à la police administrative générale, voire aux
seules compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force
publique.
 Les polices administratives spéciales semblent donc exclues du champ d’application du principe
inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ainsi créé.

B) Les difficultés suscitées par la position du Conseil constitutionnel

- La décision Société Air France est « ambigüe » :

 Difficulté est relative à l’affirmation, selon laquelle il résulte de l’article 12 de la Déclaration de


1789 l’interdiction de déléguer à des personnes privées des « compétences de police
administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique nécessaire à la garantie des
droits ».
 Deux types de compétences de police relèvent de l’exercice de la force publique et doivent
demeurer un monopole public : d’un côté, les actes de contrainte ; de l’autre, les activités de
surveillance.
 Dès lors, on peut considérer que seules ces deux compétences sont « inhérentes à l’exercice
de la force publique nécessaire à la garantie des droits », et donc indélégables à des personnes
privées.

- Le Conseil constitutionnel s’est largement approprié une matière dont il n’était pas le juge «
naturel », la police administrative. D’un côté, cette appropriation s’est accélérée et intensifiée
ces dernières années. De l’autre, elle s’est opérée en prenant un certain nombre de libertés
par rapport à la jurisprudence du Conseil d’État sur le sujet.

 Relier cette décision à French Data Network.

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