Vous êtes sur la page 1sur 64

Le contentieux de l’Administration

en dehors de la juridiction administrative

Par Meïssa DIAKHATE


Agrégé de Droit public
Faculté des Sciences juridiques et politiques
de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Les activités de l’Administration sont si nombreuses


qu’elles sont diversifiées. Dès lors, elles sont soumises, sur
le plan juridique, à des régimes variés. Certains litiges liés
à l’action administrative peuvent être juridictionnels sans,
pour autant, relever de la compétence de la juridiction
administrative.

Les litiges administratifs peuvent, au sens large de


l’expression, relever, soit d’un contentieux juridictionnel
en dehors de la juridiction administrative (I), soit d’un
contentieux proprement non juridictionnel (II).

I. Le contentieux juridictionnel en dehors de la


juridiction administrative

Certains litiges administratifs sont résolus certes dans le


cadre d’un contentieux juridictionnel mais sans
l’intervention de la juridiction administrative1.

Les litiges en question peuvent, selon le cas, être soumis au


juge statuant en matière judiciaire par l’application du droit
privé (1) ou par le contentieux de la déclaration (2) ou, par
ailleurs, être tranchés devant une juridiction arbitrale (3).

1
Olivier Gohin, Florian Poulet, Contentieux administratif, op. cit.,
2017, p. 5.

1
1. L’application du droit privé

La bipolarisation du droit (droit public / droit public) est


modérée par le fait que l’Administration se trouve parfois
dans les liens de droit privé.

1.1. Les contrats de droit privé

En matière contractuelle, l’application des règles de droit


privé semble être le principe, reléguant ainsi au rang
d’exception le contrat administratif. C’est du moins le sens
des dispositions ci-après de l’article premier de la loi n° 65-
51 du 19 juillet 1965 portant Code des Obligations de
l’Administration (COA), modifiée par la loi n° 2006-16 du
30 juin 2006 : « Les personnes morales de droit public
peuvent contracter. Les contrats conclus par les personnes
morales de droit public sont soumis aux règles établies par
le Code des Obligations civiles et commerciales, sauf s’il
s’agit de contrats administratifs ».

1.2. Les agents non fonctionnaires

En droit de la fonction publique, le juge judiciaire, statuant


en matière de droit du travail, est compétent dans les
relations entre les agents non fonctionnaires, une catégorie
d’agent public, et l’Etat, une personne publique.

Le décret n° 74–347 du 12 avril 1974 fixant le régime


spécial applicable aux agents non fonctionnaires de l’Etat
précise, en son article premier, que « le présent décret
s’applique à tous les agents de l’Etat régis par le Code du
Travail ». Sont notamment visés : les agents engagés par
référence à un corps de fonctionnaires, les personnels de
secrétariat et les contractuels.

2
1.3. Les régimes spéciaux de responsabilité

Le régime spécial de responsabilité du fait des membres de


l’enseignement public et celui du fait des dommages causés
par les véhicules administratifs prévoient des actions en
réparation référées, en vertu de l’application du droit privé,
au juge judiciaire.

Il ressort de l’article 146 du COA que « la responsabilité de


l’Etat est subsidiaire à celle des membres de
l’enseignement public, à raison des dommages subis ou
causés par les élèves placés sous leur surveillance. La
réparation ne peut être demandée qu’à l’Etat. Celui-ci
peut intenter une action récursoire contre l’auteur du
dommage, conformément au droit commun ».

Malgré quelques hésitations en première instance et en


appel, la Cour suprême a finalement tranché de la sorte :
« Lorsque la responsabilité de l’Etat est substituée à celle
des membres de l’enseignement public, à raison des
dommages causés par les élèves placés sous leur
surveillance, l’action en responsabilité est intentée
conformément au droit commun, la victime ayant le choix
alors de l’exercer soit au pénal, soit au civil, suivant les
procédures propres à chacune de ces deux juridictions »2.
Dans ce régime de responsabilité, aussi bien pour l’action
récursoire que pour l’action principale, « le juge interprète
le "droit commun" comme étant le droit privé »3.

A propos également de la responsabilité du fait des


dommages causés par les véhicules administratifs, le droit
commun de la responsabilité s’applique à l’action. L’article

2
Arrêt CS, 28 mai 1980, Demba Baïdy Gaye, in RIPAS, n° 9, Janvier-
Mars 1984, p. 37.
3
Demba Sy, Droit administratif, op. cit., p. 386

3
147 du COA en dispose : « Le droit à réparation des
dommages causés par un véhicule ou moyen de transport
utilisé par l’Administration est régi par le droit commun
de la responsabilité et par les règles concernant le fait des
choses et des animaux. L’action est dirigée contre l’auteur
du dommage. La responsabilité de l’Administration est
substituée, à l’égard des tiers, à celle de l’agent agissant à
l’occasion de l’exercice de ses fonctions, sauf l’action
récursoire contre ce dernier ».

Au surplus, la compétence du juge judiciaire statuant en


matière civile ressort des termes de l’article 44-7 de la loi
n° 2000-38 du 29 décembre 2000 modifiant la loi n° 65-60
du 21 juillet 1965 portant Code pénal, lesquels précisent
que « l’Etat répond du dommage ou de la part du dommage
qui est causé à autrui par un condamné et qui résulte
directement de l’application d’une décision comportant
l’obligation d’accomplir un travail au bénéfice de la
société4. L’Etat est subrogé de plein droit dans les droits
de la victime. L’action en responsabilité et l’action
récursoire sont portées devant les tribunaux de l’ordre
judiciaire ».

4
Le travail au bénéfice de la société est un les modes d’aménagement
des peines. C’est une innovation introduite par l’article 44-3 de la loi n°
65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal modifiée par la loi n° 2016-
29 du 08 novembre 2016 : « Lorsqu’une peine d’emprisonnement
inférieure ou égale à six mois est prononcée, la juridiction de jugement
peut lui substituer un travail au bénéfice de la société, non rémunéré,
accompli par le condamné pour une durée de trente heures à trois cents
heures au profit d’une personne morale de droit public ou d’une
association habilitée à mettre en œuvre une telle mesure. Le travail au
bénéfice de la société ne peut être prescrit contre le condamné qui le
refuse ou qui n’est pas présent à l’audience ».

4
1.4. Le droit des affaires

Le législateur de l’Organisation pour l’Harmonisation en


Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a fait le pari
d’incorporer les personnes publiques dans son champ
d’application empreint de règles de privé. Quelques actes
uniformes peuvent, à titre d’exemple, être rappelés.

L’Acte uniforme révisé portant sur le droit commercial


général, adopté le 15 décembre 2010 à Lomé (Bénin) et
entré en vigueur le 16 mai 2011, prévoient que « toutes
sociétés commerciales dans lesquelles un État ou toute
autre personne de droit public est associé […] sont soumis
aux dispositions du présent Acte uniforme »5.

A l’analyse, « la lecture de cet article invite désormais à


avoir une compréhension stricte des entreprises publiques.
La présence de l’Etat ou d’une personne morale de droit
public dans l’une des formes de sociétés commerciales
n’affecte en rien la nature commerciale de la société qui,
pour cela est régie par l’Acte uniforme. Peu importe que
l’Etat soit associé unique ou associé avec d’autres ».

Au surplus, l’Acte uniforme portant organisation des


procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d'exécution, adopté le 10 avril 1998 et entré en vigueur le
10 juillet 1998 prescrit, aux termes de son article 29, que
« l'État est tenu de prêter son concours à l'exécution des
décisions et des autres titres exécutoires. La formule
exécutoire vaut réquisition directe de la force publique. La

5
Gérard Pougoué, Josette Nguebou Toukam, François Anoukaha,
«Commentaire de l’Acte uniforme du 17 avril 1997 relatif au droit des
sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique », in
OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotes, Juriscope
2008, pp. 379-380.

5
carence ou le refus de l'État de prêter son concours engage
sa responsabilité ».

L’évolution s’apprécie aussi dans le domaine de la concur-


rence en pleine expansion au sein des espaces
communautaires ouest africains.

Note de lecture.- L’assujettissement du service public


aux règles concurrentielles

Le droit communautaire UEMOA de la concurrence repose


sur l’égalité de traitement juridique entre les opérateurs
économiques publics et privés partageant l’espace des
échanges ; une volonté inavouée de la part des instances
communautaires de pousser la puissance publique à
extraire, du champ des services publics traditionnels, des
activités qui étaient, jusque-là, assumées par elle. Il en
dérive un recul de l’exorbitance du droit administratif. Le
principe de l’égale concurrence est consacré par l’article 3
du Règlement n° 02/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002
relatif aux pratiques anticoncurrentielles à l'intérieur de
l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine. Cet
article déclare "incompatibles avec le marché commun", «
tous accords entre entreprises, décisions d’associations
d’entreprises et pratiques concertées entre entreprises,
ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser
le jeu de la concurrence à l’intérieur de l’Union. L’égalité
entre entreprises publiques et entreprises privées postule
des conditions de concurrence identiques. Mbissane Ngom
fait remarquer que "dans la mesure où l’objectif visé par
l’Union est celui d’une concurrence non faussée dans le
marché unique, privilégier les entreprises publiques du fait
de leurs liens avec l’Etat serait manifestement contraire à
l’objectif précité. L’interdiction faite aux Etats membres de
remettre en cause l’égalité entre entreprises participe de
cette idée". L’égalité de concurrence prohibe tout procédé

6
visant à remettre en cause le libre jeu de la compétition, à
instituer des pratiques anticoncurrentielles, des ententes ou
des abus de position dominante. Les interventions de la
puissance publique limitant le fonctionnement normal du
marché sont interdites de "plein droit". Il en est ainsi des
aides publiques quelles que soient leur forme, nature et
origine. L’UEMOA exige, pour rendre effective l’égalité de
concurrence, une transparence dans les relations
financières entre l’Etat et ses entreprises publiques.
L’objectif visé est d’obtenir toute information sous formes
d’avantages financiers d’origine interne ou externe
(subvention, exonération fiscale, etc.), susceptible d’être en
contrariété avec les lois du marché. Des exceptions sont
cependant prévues à la soumission du service public au
droit de la concurrence»6.

1.5. Le secteur parapublic

Les situations d’application du droit privé sont multiples et


sont liées tantôt à la nature de l’organe tantôt à la spécificité
de l’activité. Elles sont instituées par voie textuelle ou par
détermination jurisprudentielle et sont censées régir
l’activité ou le statut des agents du service public.

La loi n° 90-07 du 26 juin 1990 relative à l’organisation et


au contrôle des entreprises du secteur parapublic et au
contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant
du concours financier de la puissance publique n’a pas
expressément proposé une définition. Elle s’est simplement
contentée d’en énumérer, ainsi qu’il suit, ses composantes :
« Le secteur parapublic comprend : les établissements

6
Abdou Aziz Daba Kébé, « Le déclin de l’exorbitance du droit
administratif sénégalais sous l’effet du droit communautaire », Afrilex,
Lien : http://afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 11 octobre 2020.

7
publics à caractère industriel et commercial7; les sociétés
nationales8; les sociétés anonymes à participation
publique majoritaire9 ».

Par rapport à l’application des règles de droit privé, la loi


de 1990 donne un certain nombre d’indications. D’abord,
les règles de création, d’organisation et de fonctionnement
des sociétés anonymes à participation publique majoritaire
sont conformes au droit commun des sociétés
commerciales, sous réserve des dispositions particulières
prévues par la présente loi10. Ensuite, à l’exception de leurs
contrats à caractère administratif, les établissements
publics à caractère industriel et commercial sont soumis,
en ce qui concerne leurs contrats, et en général dans leurs
rapports avec les tiers, aux règles de droit privé11. Enfin,
dans des termes plus généraux, l’article 23 alinéa premier
dispose que « le personnel des entreprises du secteur

7
« Les établissements publics à caractère industriel et commercial sont
des personnes morales de droit public spécialisées dotées d’un
patrimoine propre et de l’autonomie financière et ne bénéficiant
d’aucun apport privé à leurs fonds de dotation. Ils peuvent intervenir
notamment en matière industrielle, commerciale, scientifique,
culturelle ou sociale » (Article 3 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990).
8
« Les sociétés nationales sont des sociétés par actions de droit privé
dont le capital est intégralement souscrit par l’État et, le cas échéant,
par d’autres personnes morales de droit public. Dans tous les cas, la
participation directe de l’État est supérieure à 50% du capital social »
(Article 4 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990).
9
« Les Sociétés anonymes à participation publique majoritaire, régies
par le Code des obligations civiles et commerciales, sont des sociétés
dans lesquelles une ou plusieurs personnes publiques possèdent
directement ou indirectement au moins 50% du capital social»
(Article 4 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990).
10
Article 7 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
11
Les règles de passation des marchés conclus par les sociétés
nationales et les sociétés anonymes à participation publique majoritaire
sont fixées par décret. Article 8 alinéa 2 de la loi n° 90-07 du 26 juin
1990 précitée.

8
parapublic, à l’exception des fonctionnaires détachés, est
régi par le Code du travail sous réserve des exceptions
prévues par la loi ».

Lorsqu’un établissent public à caractère industriel et


commercial (EPIC) est en cause, l’application des règles de
droit privé devient le principe. Principalement, les litiges
nés de ses activités sont justiciables devant le juge
judiciaire, à la différence des litiges concernant le
personnel de direction (directeur et comptable s’il a le
statut de comptable public12), et des actes relatifs à
l’organisation du service public13.

12
Selon la Haute juridiction administrative française, « eu égard au
caractère des fonctions de direction auxquelles le sieur de Robert de
Lafrégeyre a été appelé par arrêté du Gouverneur général de la colonie
de Madagascar, les difficultés soulevées entre la colonie et le
requérant touchant les droits résultant pour ce dernier du contrat qui
le liait à la colonie sont de celles sur lesquelles il appartient à la
juridiction administrative de statuer et que, s’agissant de fonctions
publiques coloniales, le conseil du contentieux administratif de
Madagascar était compétent pour en connaître (Conseil d’Etat, 26
janvier 1923, De Robert Lafrégeyre, Rec. p. 67). Puis, elle a eu à
considérer «qu’il résulte des termes mêmes du décret du 9 août 1947,
qui a modifié le décret du 30 septembre 1944 pris par application de
l’article 5 de l’ordonnance du 30 septembre 1944 portant création à
titre provisoire de l’Agence France-Presse, que cette agence présente
les caractères d’un établissement public industriel et commercial ;
que, par suite, il n’appartient qu’aux tribunaux judiciaires de se
prononcer sur les litiges individuels concernant les agents dudit
établissement à l’exception de celui desdits agents qui est chargé de la
direction de l’ensemble des services de l’établissement, ainsi que du
chef de la comptabilité, lorsque ce dernier possède la qualité de
comptable public » (CE, 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Lebon, p.
158).
13
A titre d’exemple, « … si la Compagnie nationale Air-France,
chargée de l’exploitation de transports aériens, est une société
anonyme c’est-à-dire une personne morale de droit privé, et si, par
suite, il n’appartient qu’aux tribunaux de l’ordre judiciaire de se
prononcer au fond sur les litiges individuels concernant les agents

9
D’autres actes rattachés à la gestion des personnes
publiques relèvent du droit privé et sont du ressort du juge
judiciaire. La jurisprudence du Tribunal des Conflits (TC)
français considère que les contrats relatifs à la gestion des
biens du domaine privé relèvent de cette catégorie. Ainsi a-
t-il jugé que « les litiges concernant la gestion du domaine
privé des collectivités locales relèvent de la compétence des
tribunaux judiciaires »14.

Toutefois, le juge administratif reste en principe compétent


lorsque de telles conventions comportent des clauses
exorbitantes du droit commun ou lorsque, par détermination
de la loi, celles-ci ont un caractère administratif, ou encore
en application de la théorie des actes détachables.

Cependant, ce régime est nuancé en droit sénégalais où la


compétence de la juridiction administrative est actée aux
termes l’article 56 de la loi n° 76-66 du 2 juillet 1976
portant Code du Domaine de l’Etat, modifiée par la loi n°
85-15 du 25 février 1985 abrogeant et remplaçant l’article
5 a) du Code du Domaine de l’Etat. Par la volonté du
législateur, « les actes intéressant le domaine de l'Etat sont
dressés par le service des Domaines. Ces actes sont des
actes administratifs et authentiques »15.

non fonctionnaires de cet établissement, les juridictions


administratives demeurent, en revanche, compétentes pour apprécier,
par voie de question préjudicielle, la légalité des règlements émanant
du Conseil d’administration qui, touchant à l’organisation du service
public, présentent un caractère administratif » (TC, 15 janvier 1968,
Epoux Barbier.
14
TC 24 octobre 1994, Duperray et SCI (Société civile immobilière)
Les Rochettes.
15
Pourtant « En analysant les différentes décisions intervenues dans ce
domaine, on s’aperçoit [que le juge] applique le droit privé chaque fois
que l’action du requérant est fondée sur une disposition du Code des
Obligations civiles et commerciales et le droit administratif lorsqu’une
disposition du Code des Obligations de l’Administration fonde la

10
Dans cette rédaction, aucune distinction n’est pas faite entre
actes du domaine public et actes du domaine privé. La
raison serait que « l’intérêt général occupe une place de
choix dans la gestion du domaine privé comme l’a si bien
montré Charles Lapeyre dans son article consacré à
l’analyse de la loi n° 76-66 en affirmant que "le législateur
sénégalais n’a pas caché que la gestion de ce domaine
était loin de comporter uniquement une finalité
patrimoniale, et qu’elle poursuivait, dans une très large
mesure, des objectifs d’intérêt général ; les références à la
notion d’intérêt général sont fréquentes et démontrent à
l’évidence que rien ne doit être négligé pour assurer la
satisfaction et le respect d’un besoin aussi fondamental"
»16.

1.6. Emprise et voie de fait

La voie de fait et l’emprise irrégulière sont des créations


d’origine jurisprudentielle. Leur régime juridique a subi des
évolutions tendant à la réduction du périmètre de
compétence du juge judiciaire et, subséquemment, d’une
extension de celle du juge administratif.

requête. Cette jurisprudence est marquée par l’incertitude qui pèse sur
le droit applicable et la procédure à suivre. On a l’impression que ce
sont les plaideurs qui déterminent le droit applicable et non le juge ».
Ndèye Madjiguène F. Diagne, Les méthodes et les techniques du juge
en droit administratif sénégalais, Thèse de doctorat d’Etat, Université
Cheikh Anta Diop de Dakar, 1995, p. 91.
16
Mamadou Diangar, Le régime juridique du domaine public de l’Etat
au Sénégal, Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta Diop de Dakar,
2019, note 237, p. 69.

11
a. La voie de fait

La voie de fait17 est assise sur quatre éléments : l’existence


d’une décision ou mesure imputable à un agent de
l’Administration, ou émanant d’un organisme privé gérant
un service public ; ii) la décision ou mesure administrative
doit être matériellement exécutée ; iii) la décision prise par
l’Administration doit porter une atteinte au droit de
propriété, immobilière ou mobilière, ou à une liberté
fondamentale (liberté d’aller et venir, la liberté d’exercer
une activité professionnelle légale ; liberté de presse, liberté
et inviolabilité du domicile) ; iv) l’atteinte au droit de
propriété ou à une liberté fondamentale doit être grave.

Cette gravité peut être provoquée par deux causes : soit un


acte « manifestement insusceptible d’être rattachée à
l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’Adminis-
tration »18, soit une exécution forcée irrégulière d’une
décision même régulière19, lorsque l'Administration n'a
manifestement pas le pouvoir d'y procéder20. Il s’agit, pour

17
Le point de départ de la théorie de la voie de fait est la décision du
TC, 08 avril 1935 Action française Rec. La qualification est inspirée par
le motif que les attributions du préfet de police ne comprenaient pas le
pouvoir de pratiquer, par voie de mesures préventives, la saisie d'un
journal sans qu'il soit justifié que cette saisie ait été indispensable pour
assurer le maintien ou le rétablissement de l'ordre public.
18
CE. Ass. 18 novembre 1949, sieur Carlier, Rec., p. 490. Dans la
décision TC, 12 mai 1997, Préfet de Police de Paris la voie de fait
résulte soit de l'exécution forcée irrégulière d'une décision
administrative « régulière », soit d’une décision « manifestement
insusceptible de se rattacher à un « pouvoir » de l'administration, et non
plus simplement à « l'exercice d'un pouvoir » comme dans l’arrêt
Carlier.
19
TC, 22 novembre 1952, Flavigny, Rec., p. 643 : exécution forcée
irrégulière d’une réquisition régulière.
20
T.C. 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just, Rec., p.
713). Le Tribunal des conflits dut admettre que l'Administration dispose
du privilège de l'exécution d'office, c'est-à-dire que, pour l'exécution

12
la première variété, de la voie de fait par manque de droit
et, pour la seconde variété, de la voie de fait par manque de
procédure21.

En droite ligne de la traditionnelle jurisprudence TC, 08


avril 1935 Action française, le Tribunal des Conflits
systématise les conditions et les règles de compétence de la
voie de fait dans ce considérant : « […] il n'y a voie de fait
justifiant, par exception au principe de séparation des
autorités administratives et judiciaires, la compétence des
juridictions de l'ordre judiciaire, que dans la mesure où
l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans
des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière,
portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une
liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l'un ou
l'autre de ces effets à la condition toutefois que cette

des décisions qu'elle prend, elle peut recourir à des mesures d'exécution
forcée, de nature administrative. L’Administration ne doit pas, en
principe, faire exécuter de force ses propres décisions et qu’elle est
tenue de recourir d’abord à la voie normale des sanctions, dont
l’application présente des garanties pour les intéressés. L'exécution
d’office permet à l'Administration de ne pas rester inerte lorsqu'aucun
texte n'a prévu la sanction appropriée. Mais, ce privilège d’exécution
d’office ne s’applique qu’à titre subsidiaire et est très étroitement
encadré. Plusieurs conditions doivent être réunies pour que
l’administration puisse recourir à l’exécution d’office : i) il ne doit pas
exister d’autre sanction légale; ii) la décision dont l’exécution est
recherchée doit trouver sa source dans un texte de loi précis ; iii)
l’Administration doit s’être heurtée à la résistance de l’intéressé ; iv) la
mesure doit être strictement nécessaire, ce qui signifie que celle-ci ne
doit pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l’obéissance
à la loi. Le privilège de l'exécution d'office est conféré, sous de strictes
conditions, à l'Administration. Mais, il existe deux autres hypothèses où
l'Administration peut légalement recourir à l'exécution forcée de ses
décisions : l'urgence et l'existence d'une loi qui autorise expressément
un tel recours.
21
Maurice Hauriou, Précis de droit administratif, 12e éd., Paris, Dalloz,
2002, pp. 27- 28.

13
dernière décision soit elle-même manifestement
insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à
l'autorité administrative »22.

Justifier l’application du privé à la voie de fait, revient à


admettre que la gravité est telle que l’acte dénaturé perd
son caractère administratif. Même si cette conception n’est
pas unanimement partagée, il reste, au moins, à voir qu’elle
remet foncièrement en cause un droit de propriété ou une
liberté qui sont traditionnellement placés sous la protection
du juge judiciaire23.

La récente jurisprudence fait état d’une conception plus


restrictive des conditions de la voie de fait, excluant qu’une
simple illégalité être ainsi qualifiée. La nouvelle définition
se réfère aux notions d’atteinte d’une liberté individuelle
et d’extinction d’un droit de propriété24, respectivement en
lieu place d'une atteinte grave au droit de propriété ou à
une liberté fondamentale25.

Contrairement au traditionnel régime, il n' y a désormais


voie de fait de la part de l'Administration, justifiant, par
exception au principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires, la compétence des
juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la
cessation ou la réparation, « que dans la mesure où

22
TC, 23 octobre 2000, Boussadar, Rec. n° 3227.
23
Alioune Badara Fall, La responsabilité extracontractuelle de la
puissance publique au Sénégal : essai de transposition des règles de
droit administratif français dans un pays d’Afrique noire francophone,
Thèse de doctorat d’Etat en Droit, Université de Bordeaux I, 1994, pp.
312-321.
24
Par exemple, démolition d’un immeuble ou la destruction du titre de
propriété lui-même.
25
Charles-André Dubreuil, « La voie de fait nouvelle est arrivée ! », La
Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, n° 42,
14 octobre 2013, n°2301.

14
l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans
des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière,
portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à
l'extinction d'un droit de propriété26, soit a pris une
décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté
individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est
manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir
appartenant à l'autorité administrative27 ».

Au Sénégal, les termes du débat n’ont pas la même teneur.


Car, « le régime de la voie de fait ne se traduit pas
seulement par des dérogations aux règles de compétence,
qui en tant que telle est sans intérêt au Sénégal, mais par
l’application de règles de fond particulières, destinées à
sanctionner la mesure administrative »28.

D’ailleurs, une jurisprudence de l’ancienne Cour suprême


fait valoir l’incompétence de la Cour de Cassation, en
raison de la nature administrative du contentieux, ne peut
prospérer, dès lors que le litige soulève une question de voie
de fait qui relève de la compétence du juge judicaire. En
effet, « [...] ayant relevé que la Commune" … a poursuivi
l’expulsion et même entrepris la démolition des lieux
malgré une décision de justice ordonnant la réintégration
de Sar ..." et retenu que "aussi bien la résiliation du bail
que son exécution procèdent d’une chaîne de mesures
manifestement illégales, qui ne peuvent s’analyser que
comme des voies de fait que le juge des référés a
compétence à apprécier", la Cour d’Appel en a exactement
déduit que "… cette illégalité écarte l’application de

26
Les juridictions administratives ont compétence en l’absence de ces
conditions.
27
TC, 17 juin 2013, M. Bergoend c/ Société ERDF Annecy Léman.
28
Alain Bockel, Droit administratif, Dakar-Abidjan, NEAS, 1978, p.
499.

15
l’article 74 du COA et soumet l’Administration au droit
commun" » 29.

b. L’emprise

L’emprise est la dépossession d’un particulier d’une


propriété privée immobilière ou d’un droit réel
immobilier30. Ce qui revient à retenir trois conditions : une
dépossession, même partielle ou temporaire, portée à la
propriété immobilière31 et régulièrement ou
irrégulièrement effectuée. C’est pourquoi, une atteinte à la
propriété mobilière, par exemple, ne constitue pas une
emprise

A la différence de la voie de fait où le juge civil a plénitude


de juridiction, l’emprise connaît un régime de compétence
variable, selon que l’emprise est « régulière ou
irrégulière »32.

Quand l’Administration prend possession d’une propriété


privée en se fondant sur un titre légal, l’emprise est, en
dehors d’une disposition législative contraire, de la
compétence de la juridiction administrative.

En cas aussi d’emprise irrégulière, renvoyant à une


dépossession, sans titre régulier, d’une propriété privée
immobilière par l’Administration, le juge administratif a
compétence pour statuer sur le recours en annulation
d’une décision administrative portant atteinte à la propriété

29
CS 17 juillet 2007, Commune de Dakar c/ Mamadou Issa Sarr in
Lien : https://juricaf.org, consulté le 13 octobre 2020.
30
Le droit de propriété lui-même ou des droits portant sur des servitudes
(par exemple, un droit de passage ou une servitude de vue).
31
.
32
Alioune Badara Fall, La responsabilité extracontractuelle de la
puissance publique au Sénégal, op. cit., p. 322.

16
privée et, le cas échant, pour prononcer des injonctions à
l’encontre de l’Administration33. Toutefois, le juge
judiciaire se charge, dans cette circonstance, de la
réparation des préjudices résultant de l’emprise
irrégulière34.

Mais, la jurisprudence TC, 9 décembre 2013 Epoux


Panizzon a revu la théorie de l’emprise irrégulière, en
considérant que « […] dans le cas d’une décision
administrative portant atteinte à la propriété privée, le
juge administratif, compétent pour statuer sur le recours
en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour
adresser des injonctions à l’administration, l’est
également pour connaître de conclusions tendant à la
réparation des conséquences dommageables de cette
décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour
effet l’extinction du droit de propriété35 ».

Lorsqu’il ne s’agit que d’une simple atteinte, donc d’une


absence de dépossession pouvant causer l’extinction d’un
droit de propriété, le juge administratif peut prononcer
l’annulation d’une emprise irrégulière, adresser une
injonction afin d’y mettre fin mais, également, réparer le
préjudice.

Corrélativement, cette jurisprudence rend compétent le juge


judiciaire pour la réparation des conséquences d’une
mesure administrative irrégulière ; mais dont
l’irrégularité, qui éteint le droit de propriété d’une

33
Jean-François Lachaume et al., Droit administratif. Les grandes
décisions de la jurisprudence, 17e éd., Paris, PUF, 2017, p. 646.
34
TC, 17 mars 1949, Soc. Hôtel du Vieux-Beffroi, n° 01077 ; TC, 17
mars 1949, Société Rivoli Sébastopol, n° 01086.
35
Cette jurisprudence fait écho à la nouvelle théorie de la voie de fait
(Bergoend). Jean-François Lachaume et al., Droit administratif. Les
grandes décisions de la jurisprudence, op. cit., pp. 647-648.

17
personne privée sur un bien immobilier, a été constatée par
le juge administratif36. C’est en cas seulement de
dépossession définitive que juge judiciaire a compétence
pour se prononcer sur l'indemnisation.

c. L’avenir en question

La voie de fait suppose que l’atteinte à la propriété ou à une


liberté des individus par l’Administration soit revêtue d’une
particulière gravité. Sa finalité est, en priorité, de faire
cesser une atteinte.

En ce qui concerne l’emprise irrégulière, qui est limitée à


la propriété immobilière, il n’est pas exigé une irrégularité
aussi grave que la voie de fait. Elle a une fonction
réparatrice (indemnisation)37.

La frontière entre ces deux notions n’est plus étanche à la


suite au resserrement des conditions de la voie de fait.
Maintenant, on en arrive à une combinaison des
jurisprudences Bergoend et Panizzon. L’emprise
irrégulière qui va jusqu’à la dépossession définitive
(extinction du droit de propriété) s’assimile à la voie de fait
et l’on se trouve naturellement dans le cas de la compétence
du juge judiciaire38. En fin de compte, on peut conclure, à

36
Didier Truchet, Droit administratif, 6e éd., Parsi, PUF, 2016, p. 100.
37
Georges Vedel, Droit administratif, 5e éd., Paris, PUF, 1973, p. 134.
38
Néanmoins, cette jurisprudence est finalement assouplie par le
Conseil d’Etat français estimant, en particulier, « que le droit à
l'indemnisation des conséquences dommageables d'une emprise
irrégulière d'un ouvrage public n'est pas subordonné au caractère
définitif de la privation de propriété ». En l’espèce, la plantation en
partie sur la parcelle des plaignants du mur de clôture d’un groupe
scolaire, si elle porte atteinte au libre exercice de leur droit de propriété,
n'a pas pour effet de les en déposséder définitivement. Malgré tout, ils
ont droit à réparation.

18
une extension du champ de compétence du juge
administratif dans les deux cas.

Au demeurant, il y a lieu de s’interroger sur l’avenir de la


voie de fait. La procédure de référé-liberté serait un moyen
d’action censé faire cesser, plus efficacement, les atteintes
graves aux libertés fondamentales. Théoriquement, la
procédure prévue à l’article 85 de la loi organique sur la
Cour suprême, permet au juge des référés d’ordonner toutes
mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté
fondamentale à laquelle une personne morale de droit
public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion
d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses
pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le
requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui
nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit
heures.

2. Le contentieux de la déclaration

Le cadre du contentieux de la déclaration recouvre les


recours en interprétation ou en appréciation de la légalité et
les renvois préjudiciels devant la juridiction
constitutionnelle ou les cours de justice communautaire.

2.1. L’interprétation et l’appréciation de la légalité

Le contentieux de la déclaration consiste, ici, à demander


au juge, par rapport à un acte administratif, de clarifier le
sens (recours en interprétation) ou de se prononcer sur la
légalité (recours en appréciation).

CE, 15 avril 2016, M. et Mme A., n° 384890, Inédit au Rec.

19
a. Position du problème

Le contrôle de la légalité des actes administratifs est


normalement une compétence de la juridiction
administrative. C’est pourquoi, le sens ou la conformité
d’un acte administratif ne devrait constituer une question
préjudicielle à transmettre à la juridiction administrative.

Cependant, les raisons d’une bonne justice ont sans doute


prévalu en la matière, avec des solutions variables.

b. La simplicité de la solution sénégalaise

En droit du contentieux sénégalais, la compétence du juge


judiciaire dans le contentieux né de l’activité administrative
se manifeste en matière d’interprétation et d’appréciation
de la légalité des actes administratifs.

En l’absence de la dualité de juridiction au Sénégal, la


légalité des actes administratifs ne créé pas une question
préjudicielle dont une juridiction administrative est
obligatoirement tenue de connaître. Le modèle de l’unité de
juridiction est incompatible avec les questions
préjudicielles de légalité soulevées devant les juridictions
du fond. La légalité est, dans ce contexte, une question
préalable devant toutes les juridictions39.

Cette compétence, déjà consacrée dans l’article 4 de


l’ordonnance n° 60-56 du 14 novembre 1960 fixant
l’organisation judiciaire dans la République du Sénégal,
est reprise à l’article 8 de la loi n° 2014-26 du 03 novembre
2014 abrogeant et remplaçant la loi n° 84-19 du 02 février
1984 fixant l’organisation judiciaire, modifiée par loi
n° 2017-23 du 28 juin 2017 : « Les juridictions ont, au
39
Biram Sène, « Le traitement de l’exception d’illégalité en droit
sénégalais », La Balance, n° 1, Janvier-juin 2017, p. 85.

20
cours des instances dont elles sont saisies, compétence pour
interpréter et apprécier la légalité des décisions des
diverses autorités administratives », « lorsque de cet
examen de la légalité dépend la solution du litige »40.

En somme, l’interprétation et l’appréciation de la légalité


sont, au Sénégal, des contrôles aux caractères incidents et
déconcentrés, et exercées par voie d’exception.

Il en est ainsi dans cette jurisprudence de la CS, 05 juillet


1961, Waly Sarr c/ Commune de Saint-Louis qui considère :
« Il résulte des dispositions de l’article 4 de l’ordonnance
n° 60-56 du 14 novembre 1960, et de l’article 2 du décret
n° 60-390 du 10 novembre 1960, qu’à compter de l’entrée
en vigueur de la réforme judiciaire opérée par ladite
loi et ledit décret, c’est au tribunal de première instance,
juge de droit commun de l’ensemble du contentieux
administratif, et sous réserve des compétences
d’attributions de la Cour suprême, au nombre desquels ne
figure pas le recours en appréciation de validité, qu’il
appartient désormais de se prononcer sur ledit recours, que
par suite c’est par une inexacte application de la loi que le
Président du Conseil du Contentieux administratif par
son ordonnance susvisée de dessaisissement a prescrit la
transmission du dossier à la Cour suprême, qui est
incompétente pour en connaitre en premier ressort »41.
Cette règle demeure valable dans les matières adminis-
trative, civile ou pénale42.

40
Articles 13 et 19 alinéa 3 du décret n° 2015-1145 du 03 août 2015
fixant la composition et la compétence des cours d’appel, des tribunaux
de grande instance et des tribunaux d’instance.
41
Jacques-Mariel Nzouankeu, Les grandes décisions de la
jurisprudence administrative sénégalaise. T. 1 : Contentieux général de
la légalité, 3e éd., RIPAS, 1993, p. 50.
42
Par exemple, en matière pénale, il est jugé que « l’exception
d’illégalité est une procédure visant à faire apprécier par le juge pénal

21
L’exception d’illégalité est un moyen permettant d’exciper
de l’illégalité d’une décision administrative devenue
définitive (c’est-à-dire insusceptible de faire l’objet d’un
recours contentieux), pour obtenir l’annulation d’une autre
décision qui en découle. Précisément, elle consiste à
écarter, à l'occasion d'un litige, l'application d'un acte
réglementaire illégal. Par ce moyen, la partie à l'instance
(défenseur) fait valoir l'illégalité de l'acte administratif sur
le fondement duquel a été pris l'acte dont elle demande
l'annulation.

Note de lecture.- L’exception d’illégalité43

« a) Le contrôle par voie d’exception ne peut être exercé


qu’à l’occasion d’un litige relevant au principal de la
compétence de la juridiction saisie, qu’il s’agisse d’un
litige entre un particulier et l’Administration ou entre deux
particuliers ; dans ce dernier cas, l’Etat n’est pas à être mis
en cause.

b) La juridiction saisie n’a pas les pouvoirs d’investigation


appartenant à la deuxième section de la Cour suprême :
elle statue au vu des pièces communiquées par les parties.

« c) Elle ne peut en aucun cas annuler un acte administratif


illégal, ni même s’opposer à son exécution ; elle se borne à
constater son illégalité et, par voie de conséquence, à
écarter son application dans le litige qui lui est soumis.

la légalité d’une loi ou d’un règlement servant de fondement à la


poursuite ou invoqué comme moyen de défense. Cette exception
suppose cependant l’existence d’une norme supérieur dont la violation
est alléguée ». CA Dakar, n° 172 du 05 février 2013, Ministère public
et Viviane Mendy c/ Sidy Bodian (cité par Pape Assane Touré, La
réforme de la composition et de la compétence des juridictions du
Sénégal, commentée et annotée, Dakar, Abis, 2017, p. 281.
43

22
Cette décision n’a d’effet qu’entre les parties et l’acte
déclaré reste en vigueur.
Il faut admettre cependant que le fait d’écarter
l’application d’un acte administratif à une espèce
particulière revient, dans certains cas, à paralyser
directement et totalement l’exécution de la décision
administrative, lorsque celle-ci est individuelle et ne
concerne pas la ou les parties en cause. On peut se
demander si, dans ce cas, le tribunal judiciaire peut statuer
sans "immiscer dans l’activité de l’Administration" ou en
d’autres termes, si l’article 4 de l’ordonnance du 14
novembre 1960 a abrogé la loi des 16-24 août 1790 et le
décret du 16 fructidor an III, interdisant précisément une
telle immixtion »44.

En France, l’arrêt CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj vient


limiter le délai, jusque-là permanent, pour soulever une
exception d’illégalité, se rapportant plus précisément à une
décision administrative à caractère individuel45. En
substance, affirme-t-il, « … que toutefois que le principe de
sécurité juridique, qui implique que ne puissent être
remises en cause sans condition de délai des situations
consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que
puisse être contestée indéfiniment une décision
administrative individuelle qui a été notifiée à son
destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle
notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu'en une telle
hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer
l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence
de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne
permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés
44
Jean-Claude Gautron, Michel Rougevin-Baville, Droit public du
Sénégal,
Paris, A. Pedone, 1977, pp. 341.
45
CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n° 387763, Rec.

23
par le Code de Justice administrative, le destinataire de la
décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà
d'un délai raisonnable ; qu'en règle générale et sauf
circonstances particulières dont se prévaudrait le
requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de
recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des
délais particuliers, excéder un an à compter de la date à
laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la
date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance ».

c. La complexité de la solution française

En matière de légalité des actes administratifs, le juge


administratif doit en principe, être compétent. Devant le
juge judiciaire, les questions relatives à la légalité devraient
faire l’objet de renvois préjudiciels.

Mais, ce principe connaît des exceptions, du reste variables


en fonction des pouvoirs du juge (interprétation ou
appréciation) et de la nature de l’acte administratif
(individuel ou réglementaire) en cause.

- Le recours en interprétation

Le principe dégagé par la solution jurisprudentielle à cet


effet est que la compétence du juge civil est admise pour
interpréter les actes administratifs réglementaires, de
caractère général comme la loi. Mais, l’interprétation d’un
acte administratif individuel doit faire l’objet d’une
question préjudicielle devant le juge administratif.

Ce sont là les termes de la décision TC, 16 juin 1923,


Septfonds : « Que s’il l’arrêté] constitue un acte
administratif en raison du caractère des organes dont il
émane et si dès lors, à ce titre, il appartient à la juridiction
administrative seule d'en contrôler la légalité, il participe

24
également du caractère de l'acte législatif, puisqu'il
contient des dispositions d'ordre général et réglementaire,
et qu'à ce dernier titre, les tribunaux judiciaires chargés
de l'appliquer sont compétents pour en fixer le sens, s'il se
présente une difficulté d'interprétation au cours d'un
litige dont ils sont compétemment saisis »46. Ainsi, le juge
judicaire ne peut ni apprécier la légalité des actes
administratifs à caractère réglementaire, ni interpréter
une décision administrative individuelle.

La compétence du juge civil est alors écartée pour


interpréter l’acte administratif individuel, à moins qu’il
ne soit, à titre d’exception, parfaitement clair,

Par contre, il n’y a pas de difficulté, relativement à


l’interprétation, pour le juge judiciaire statuant en matière
pénale. Sans réserve, il est reconnu au juge répressif une
compétence pour interpréter les règlements adminis-
tratifs47 ou les actes administratif individuels48.

• Le recours en appréciation de la légalité

Le recours en appréciation de légalité a pour finalité


d’obtenir non pas l'annulation d'un acte administratif, mais
la simple déclaration de son illégalité. La déclaration
d’illégalité n’annule pas l’acte ; seulement, celui-ci voit son
application écartée dans le cadre du litige soulevé.

Fonction plus affirmée que la précédente, la jurisprudence


sur l’appréciation de la légalité des actes administratifs
s’analyse selon qu’il s’agit de considérer la juridiction
civile ou la juridiction répressive.

46
TC, 16 juin 1923, Septfonds c/ Chemins de fer du Midi, Rec., p. 498.
47
TC, 5 juillet 1951, Avranches et Desmarets, Rec., p. 638.
48
Article 111-5 du nouveau Code pénal.

25
Devant le juge civil

Devant la juridiction statuant en matière civile,


l’appréciation de la légalité d’un acte réglementaire est,
par principe, une question préjudicielle. Exercé à l'occasion
d'une instance, le recours en appréciation de la légalité
contraint le juge judiciaire de surseoir à statuer et de
renvoyer la question de l’illégalité au juge administratif qui
doit se prononcer.

Au fil de l’évolution jurisprudentielle, des réaménagements


sont apportés à ce principe. Par exception, le juge civil peut,
eu égard à la jurisprudence TC, 30 octobre 1947,
Barinstein, apprécier la légalité d’un acte individuel
lorsqu’est en cause un acte réglementaire portant atteinte
à la liberté individuelle ou au droit de propriété (voie de
fait)49.

Il s’en est suivi la décision TC, 17 octobre 2011, SCEA du


Chéneau qui renforce le pouvoir reconnu au juge
judiciaire pour l'appréciation d'actes administratifs, tant
en raison de l’exigence d’une bonne administration de la
justice que du respect des principes généraux qui
gouvernement le fonctionnement des juridictions50. Le juge

49
« … si, en règle générale, les tribunaux de l'ordre judiciaire ne
peuvent, sauf dans certains cas déterminés, se prononcer sur la légalité
des actes administratifs, même ayant le caractère réglementaire, ils
sont, par exception à ce principe, compétents pour apprécier la validité
des dispositions sus-rappelées du décret du 16 janv. 1947 à raison de
la nature des mesures prévues par lesdites dispositions et de l'atteinte
grave qu'elles portent à l'inviolabilité du domicile privé, et par suite,
à la liberté individuelle, ainsi qu'au respect dû au droit de propriété ».
TC, 30 octobre 1947, Barinstein, Rec., p. 511.
50
L’exception est faite à la règle selon laquelle les tribunaux de l’ordre
judiciaire statuant en matière civile, lorsqu’ils sont saisis d’une
contestation sérieuse portant sur la légalité d’un acte administratif,
doivent surseoir à statuer jusqu’à ce que la question préjudicielle de la

26
civil peut désormais opérer un contrôle de
de légalité de l’acte administratif « lorsqu’il apparait
manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la
contestation peut être accueillie par le juge saisi au
principal ». Au titre de cette jurisprudence, il a le pouvoir
d’écarter l’application d’un acte administratif lorsque son
illégalité est manifeste. En d’autres termes, l’appréciation
de la légalité de l’acte administratif ne pourra se faire que
si une jurisprudence constante a établi auparavant
l’illégalité de l’acte51.

En outre, s’agissant du cas particulier du droit de l’Union


européenne, dont le respect constitue une obligation, le juge
national chargé d’appliquer les dispositions du droit de
l’Union a l’obligation, selon toujours la jurisprudence
SCEA du chéneau, d’en assurer le plein effet en laissant au
besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition
contraire. A cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté
d’interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour
de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu’il s’estime en état
de le faire, appliquer le droit de l’Union, sans être tenu de
saisir au préalable la juridiction administrative d’une
question préjudicielle, dans le cas où serait en cause

légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative.


Désormais, il en va en effet autrement lorsqu’il apparaît
manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation
peut être accueillie par le juge saisi au principal. Voir TC, 17 octobre
2011 SCEA du Chéneau, n° C3828.
51
Dans la même veine, l’arrêt C. Cass., 1 re civ., 8 janv. 2020 rappelle
aussi qu’il résulte du principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires, de la loi des 16-24 août 1790 ainsi que du
décret du 16 fructidor an III que « hors les matières réservées par
nature à l’autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires,
les tribunaux de l’ordre judiciaire statuant en matière civile ne
peuvent porter une appréciation sur la légalité d’un acte administratif,
sauf lorsqu’il apparaît, au vu d’une jurisprudence établie, que cette
illégalité est manifeste ».

27
devant lui, à titre incident, la conformité d’un acte
administratif au droit de l’Union européenne.

Devant le juge pénal

En matière répressive, les difficultés liées à détermination


de la juridiction compétente pour l’appréciation de la
légalité sont aplanies. Les jalons de la compétence du juge
pénal aussi bien d’interprétation que d’appréciation de la
légalité sont posés dans la jurisprudence avant d’être
couronnée dans le nouveau Code pénal.

La décision TC, 5 juillet 1951 Avranches et Desmarets


introduit le considérant selon lequel « il résulte de la nature
de la mission assignée au juge pénal que celui-ci a, en
principe, plénitude de juridiction sur tous les points d’où
dépend l’application ou la non-application des peines ;
qu’il lui appartient, à cet effet, non seulement
d’interpréter, outre les lois, les règlements administratifs,
mais encore d’apprécier la légalité de ceux-ci, qu’ils
servent de fondement à la poursuite ou qu’ils soient
invoqués comme moyen de défense ; que la compétence de
la juridiction pénale ne connait de limite, en ce domaine,
que quant à l’appréciation de la légalité des actes
administratifs non réglementaires, cette appréciation étant,
sauf dans le cas de prescription législative contraire,
réservée à la juridiction administrative en vertu de la
séparation des pouvoirs ».

Cela étant, le juge pénal ne devrait pas être en mesure de


procéder à l’appréciation de la légalité des actes
individuels. Mais, le doute est levé à ce sujet au regard du
nouveau Code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1996, dont
l’article 111-5 prescrit, de façon générale, que « les
juridictions pénales sont compétences pour interpréter et
apprécier la légalité des actes administratifs tant

28
individuels que réglementaires "lorsque de cet examen
dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis"»52.

2.2. L’exception d’inconstitutionnalité

Le contrôle de validité d’une loi par rapport à la


Constitution échappe aux tribunaux statuant en matière
civile, commerciale, sociale, commerciale, pénale ou
administrative (tribunal d’instance, tribunal de grande
instance, cour d’appel et Cour suprême).

C’est une compétence que la Constitution du Sénégal


énumère parmi les attributions réservées au Conseil
constitutionnel. Ce dernier exerçant le monopole du
contrôle de constitutionnalité des lois, le renvoi est
seulement envisageable si une loi en vigueur est contestée
à l’occasion d’un procès administratif.

Le recours en exception d’inconstitutionnalité est ainsi


qualifié parce que l’exception soulevée par l’une des parties
ne peut être tranchée par la juridiction saisie de l’affaire;
celle-ci se contente de transmettre le recours au Conseil
constitutionnel, seule juridiction compétente pour contrôler
la conformité de la « loi » à la « Constitution ». Ce faisant,
la compétence de déclarer inconstitutionnelle une loi
constitue une question préjudicielle devant les autres
juridictions.

Introduite en droit sénégalais en 1992, l’exception


d’inconstitutionnalité est mise en œuvre après l’entrée en
vigueur de la loi. C’est un contrôle a posteriori destiné à
vérifier la conformité de la loi à la Constitution. Grâce à
l’intervention du Conseil constitutionnel par cette voie, les

52
Jacqueline Morand-Deviller, Pierre Bourdon, Florian Poulet, Droit
administratif, 15 éd., Paris, LGDJ, 2019, p. 451.

29
citoyens pourront obtenir l’application de toutes garanties
fondamentales reconnues par la Constitution, même
lorsqu’une loi paraîtra s’opposer à l’application de ces
garanties53.

L’exception d’inconstitutionnalité ne peut prospérer qu’à


l’occasion d’un litige devant la Cour suprême et, depuis
2016, devant une cour d’appel54.

Ainsi qu’il transparaît dans la loi constitutionnelle n° 2016-


10 du 05 avril 2016, le Constituant sénégalais a décidé
d’approcher l’invocation de l’exception
d’inconstitutionnalité à la cour d’appel. Jusqu’à cette date,
des faiblesses étaient recensées en termes de faiblesse du
volume des affaires présentées à la Cour suprême et de
l’étroitesse de la voie initiale (niveau élevé de la Cour
suprême. Evidemment, « c’est pour pallier ces
insuffisances notées dans la mise en œuvre de cette voie de
droit, de cette arme de défense pour le justiciable que
l’option est faite de permettre à celui-ci de pouvoir

53
Exposé des motifs de la loi n° 92-22 du 30 mai 1992 portant révision
de la Constitution (JORS n° 5401 du 06 avril 1991, p. 107).
54
La carte judiciaire, tracée à l’article 25 du décret de 2015 fixant la
composition et la compétence des cours d’appel, des tribunaux de
grande instance (TGI) et des tribunaux d’instance (TI), répartit le
territoire national en cinq ressorts : le ressort de la Cour d’Appel de
Dakar (TGI de Dakar, TGI de Pikine-Guédiawaye et, en attente d’ins-
tallation, le TGI de Rufisque) ; le ressort de la Cour d’Appel de Saint-
Louis (TGI de Saint-Louis, TGI de Matam, TGI de Louga) ; le ressort
de la Cour d’Appel de Kaolack (TGI de Kaolack, TGI de Fatick, TGI
de Kédougou, et en attente d’installation, TGI de Kaffrine) ; le ressort
de la Cour d’Appel de Ziguinchor (TGI de Ziguinchor, TGI de Kolda
et TGI de Sédhiou) ; le ressort de la Cour d’Appel de Thiès (TGI de
Thiès, TGI de Diourbel, TGI de Mbour, et en attente d’installation, TGI
de Mbacké et TGI de Tivaouane) ; le ressort de la Cour d’Appel de
Tambacounda (en attente d’installation, ses compétences sont provi-
soirement dévolues à la Cour d’Appel de Kaolack) ».

30
désormais soulever l’exception d’inconstitutionnalité
devant la cour d’appel »55.

Mais avant la saisine du Conseil constitutionnel, la


juridiction saisissante a l’obligation de procéder au filtrage
du recours, en se prononçant sur sa compétence à trancher
le litige ainsi que sur la recevabilité du recours porté devant
lui56. Une telle procédure, non purgée des fins de non-
recevoir, ne peut être soumise à l’examen du Conseil
Constitutionnel57.

Cette situation s’est présentée dans l’affaire concernant la


loi relative au statut du personnel des Douanes. La situation
s’est présentée dans l’affaire concernant la loi relative au
statut du personnel des Douanes. Par arrêt n° 42 du 26 juillet
2012, Ndiaga Soumaré c/ Etat du Sénégal58., la Chambre
administrative de la Cour suprême, considérant que la
solution du litige est subordonnée à l’appréciation par le
Conseil constitutionnel de la conformité à la Constitution
de l’article 8 de la loi n° 69-64 du 30 octobre 1969 relative
au statut du personnel des Douanes, fondement de la
décision, conclut « qu’il y a lieu en conséquence de saisir
le Conseil constitutionnel de l’exception d’inconstitu-
tionnalité et de surseoir à statuer sur la requête en
annulation … »59.
55
Ismaïla Madior Fall, La réforme constitutionnelle du 20 mars 2016
au Sénégal. La révision consolidante record, L’Harmattan-Sénégal,
2017, p. 128.
56
El Hadji Omar Diop, La justice constitutionnelle au Sénégal,
CREDILA/OVIPA, 2013, p. 193.
57
Décision n°2/C/ 2012 en date du 6 décembre 2012.
58
Cour suprême, Bulletin des Arrêts, n° 4-5, pp. 238-239.
59
Le rappel est constant dans la jurisprudence. Entre autres exemples,
arrêt n° 8 du 14 février 2013 de la Chambre administrative de la Cour
suprême ; celle-ci qui , statuant en matière d’excès de pouvoir a, d’une
part, saisi le Conseil constitutionnel d’une exception
d’inconstitutionnalité visant l’article 8 de la loi n° 69-34 du 30 octobre

31
Il s’y ajoute que « la procédure devant le Conseil constitu-
tionnel n’est pas contradictoire. Toutefois, le Conseil cons-
titutionnel, saisi conformément à l’article 74 de la Cons-
titution et en cas d’exception d’inconstitutionnalité, trans-
met pour information les recours au Président de la Répu-
blique et au Président de l’Assemblée nationale. Ces der-
niers peuvent produire, par un mémoire écrit, leurs obser-
vations devant le Conseil constitutionnel »60.

C’est au vu de la décision rendue par le Conseil constitutio-


nnel que la Cour suprême ou une cour d’appel sera fondée
à écarter, en cas d’inconstitutionnalité, l’application de la
loi ou de la disposition contestée dans le cadre du litige dont
il est saisi.

Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir d’annulation


de la loi déjà promulguée. C’est pourquoi, il se limite à une
déclaration d’inconstitutionnalité du texte, en entier, ou,
partiellement, d’une ou de quelques dispositions de la loi.

La loi est simplement privée d’effet ; elle reste en vigueur


dans l’ordre juridique jusqu’à ce qu’elle soit abrogée, dans
les mêmes formes qu’elle a été adoptée, par l’Assemblée
nationale qui en était l’auteur. Ce contrôle a une portée
défensive. Statuant inter partes, le juge constitutionnel rend
une décision revêtue de l’autorité relative de la chose
jugée ; en d’autres termes elle ne vaut que pour les parties
au différend (inter partes).

1969 relative au statut du personnel et, d’autre part, décidé de surseoir


à statuer sur le recours en annulation pour excès de pouvoir contre la
décision infligeant à Pape Djigdiam Diop, Inspecteur des Douanes, 30
jours d’arrêt de rigueur pour participation à une réunion publique en
rapport avec des activités de nature syndicale, prise de position
susceptible de jeter le discrédit sur les institutions.
60
Article 14.alinéa 1er de la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016
relative au Conseil constitutionnel.

32
Son pendant, à des nuances près, est la question prioritaire
de constitutionnelle (QPC) introduite en France à la suite
de la révision constitutionnelle du 23 juin 2008 (article 61-
1 de la Constitution) en ces termes : « Lorsque, à l’occasion
d’une instance en cours devant une juridiction, il est
soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi
du Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation qui se
prononce dans un délai déterminé ».

En comparaison, les deux sont des renvois préjudiciels dont


les similitudes sont frappantes : un contrôle de
constitutionnalité a posteriori, une loi contestée à l'occasion
d'une instance en cours devant une juridiction, un renvoi
juridictionnel (par un juge et non les parties au procès)
devant le Conseil constitutionnel.

Cependant, la QPC comporte une nuance particulière par


rapport à l’exception d’inconstitutionnalité : elle peut être
soulevée contre toute loi, devant quasiment toutes les
juridictions et par tout justiciable.

Tout bien considéré, il va s’en dire que l’objectif de ces


deux institutions est double : l’un, c’est le renforcement de
la protection des droits et libertés fondamentales des
justiciables, l’autre, c’est le développement du contentieux
objectif.

2.3. Les renvois en droit communautaire

Le droit communautaire créé des obligations pour les Etats


et, à certaines conditions pour les particuliers, des droits
directement invocables devant les juridictions nationales.
Ainsi, comme les autres juges nationaux, le juge de
l’Administration est appelé à exercer son rôle de "juge de

33
droit commun d’application du droit de communautaire
qu’il doit regarder comme un "ordre juridique intégré" à
l’ordre juridique national61. Bref, le juge national est juge
communautaire62.

Sous cet angle, il s’est révélé nécessaire d’instituer un


mécanisme juridictionnel au service d’une application
uniforme de la législation communautaire. Le renvoi
préjudiciel satisfait à cette préoccupation, en créant les
conditions d’une maîtrise des risques d’interprétation
discordante et d’application accommodée des normes
communautaires.

61
La reconnaissance, en France, de la primauté du droit communautaire
sur les lois nationales soit une affirmation de la jurisprudence
administrative du Conseil d’Etat (CE, Ass., 20 octobre Nicolo). De cette
jurisprudence, le juge administratif français a accepté de contrôler la
compatibilité d'une loi, même postérieure, avec les stipulations d'un
traité, en application de l'article 55 de la Constitution. Mais encore, le
même Conseil a finalement uniformisé les règles régissant de l’effet
direct des directives. Depuis l’arrêt, CE, Ass, 30 octobre 2009 Mme
Perreux). Par un retour sur sa jurisprudence antérieure (CE, 22
décembre 1978, 22 décembre 1978, Ministre de l’intérieur c/ Cohn-
Bendit Ministre de l’intérieur c/ Cohn-Bendit), Les particuliers peuvent
désormais se prévaloir, à l’appui d’un recours directement dirigé contre
un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et
inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat français n’a pas pris,
dans les délais impartis, les mesures de transposition nécessaires.
Conseil d’Etat, Le juge administratif et le droit de l’Union européenne
(dossier thématique,) 23 septembre 2015.
62
Laurent Sermet, « Le contentieux préjudiciel ; les cours
communautaires et le juge administratif africains. Regards sur une
justice dialogique », in Demba Sy, Alioune Badara Fall (dir.), Les
nouvelles tendances du droit administratif en Afrique, (Troisième s
rencontres de Dakar), PUT 1 Capitole, 2018, p. 144.

34
Le renvoi préjudiciel, qui procède du contentieux de la
déclaration63, est une procédure par laquelle une juridiction
nationale pose à une Cour de Justice communautaire une
question portant sur le sens ou l’appréciation de la légalité
d’une norme communautaire, dans un litige dont elle est
saisie64. Ces lignes de définition se traduisent en renvoi
préjudiciel pour interprétation et en renvoi préjudiciel
pour appréciation de validité.

Le renvoi préjudiciel pour interprétation se rapporte aux


cas où une juridiction nationale saisie d’un litige dans
lequel se pose une question d’interprétation du droit
communautaire peuvent ou doivent saisir la Cour de Justice
communautaire aux fins d’interprétation65.

Le renvoi préjudiciel pour appréciation de validité donne


aux juridictions nationales d’interroger la Cour de justice
communautaire sur le point de savoir si une disposition du
droit communautaire dérivé applicable dans un litige est
conforme aux règles hiérarchiquement supérieures.
Adéquatement, « il y a là un rôle centralisateur exercé par
les juridictions communautaires qui ont la prérogative de
confirmer ou d’infirmer la validité de l’acte sans avoir à
l’annuler »66.

Au sein de l’Union monétaire ouest africaine (UEMOA) :


la Cour de Justice statue à titre préjudicionnel sur

63
Alioune Sall, La justice de l’intégration. Réflexions sur les
institutions judiciaires de la CEDEA et de l’UEMOA, 2e éd.,
L’Harmattan, 2018, p. 247.
64
Claude Blumann, Louis Dubouis, cités par Saïdou Nourou Tall, Droit
du contentieux international africain. Jurisprudences et théorie
générale des différends africains¸ 2018, L’Harmattan-Sénégal, p. 231.
65
Saïdou Nourou Tall, Droit des organisations internationales
africaines, L’Harmatttan-Sénégal, 2015, p. 191.
66
Saïdou Nourou Tall, ibid., p. 197.

35
l'interprétation du Traité de l'Union, sur la légalité et
l'interprétation des actes pris par les organes de l'Union,
sur la légalité et l'interprétation des statuts des organismes
créés par un acte du Conseil, quand une juridiction
nationale ou une autorité à fonction juridictionnelle est
appelée à en connaître à l'occasion d'un litige. Les
juridictions nationales statuant en dernier ressort sont
tenues de saisir la Cour de Justice. La saisine de la Cour
de Justice par les autres juridictions nationales ou les
autorités à fonction juridictionnelle est facultative »67.

« Les interprétations formulées par la Cour de Justice


dans le cadre de la procédure de recours préjudicionnel
s'imposent à toutes les autorités administratives et
juridictionnelles dans l'ensemble des Etats membres.
L'inobservation de ces interprétations peut donner lieu à un
recours en manquement »68.

Le renvoi préjudiciel a un point d’application en


contentieux administratif sénégalais. En effet, c’est dans
cette perspective que se situe l’arrêt du 12 janvier
2005 Compagnie Air France c/ Syndicat des Agents de
Voyage et de Tourisme du Sénégal rendu sur une question
préjudicielle posée par le Conseil d’Etat du Sénégal dans
son arrêt du 25 septembre 2003. En l’espèce, il décide de «
saisir la Cour de Justice de l’UEMOA pour la désignation
de la juridiction compétente (Commission de l’UEMOA ou
structures nationales de la concurrence) pour statuer sur le
recours introduit le 17 février 2003 et tendant à faire casser
et annuler la décision de la Commission nationale de la
Concurrence du Sénégal en date du 27 décembre 2002 ».

67
Article 12 du Protocole additionnel n°1 relatif aux Organes de
contrôle de l'UEMOA.
68
Article 13 Protocole additionnel n°1 relatif aux Organes de contrôle
de l'UEMOA.

36
La Cour de Justice estime qu’il résulte de l’examen de ces
différents textes que le Conseil d’Etat ne peut demander à
la Cour de céans qu’ « une interprétation des dispositions
de droit communautaire, ou qu’une appréciation de
validité » ; que la question à elle posée peut s’entendre
comme « une demande d’interprétation des dispositions de
la Directive n°02/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002, en
son article 7-2 concernant les affaires en instance
d’instruction ou de décision. La compétence que le Traité
de l’UEMOA attribue à la Cour de Justice dans le cadre de
la procédure de renvoi est expressément celle de statuer
à «titre préjudiciel »69.

En droit de la CEDEAO, la logique préjudicielle fonctionne


de manière symétrique: « Peuvent saisir la Cour : f) les
juridictions nationales ou les parties concernées, lorsque
la Cour doit statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation
du Traité, des Protocoles et Règlements ; les juridictions
nationales peuvent décider elles-mêmes, ou à la demande
d’une des parties au différend, de porter la question
devant la Cour de Justice de la Communauté pour
interprétation »70. Littéralement, le protocole additionnel

69
Ainsi la Cour de Justice de l’UEMOA juge-t-elle, en officiant de la
sorte, qu’il ne lui appartient pas de désigner une quelconque juridiction
pour statuer sur le recours tendant à faire annuler la décision de la
Commission nationale de la Concurrence du Sénégal du 27 décembre
2002. En l’espèce, la décision de la Commission nationale de la
Concurrence du Sénégal étant intervenue et ayant fait l’objet d’un
recours avant l’entrée en vigueur du Règlement n°02/2002/C M du 23
mai 2002, les instances de l’UEMOA ne peuvent statuer sur cette
affaire.
70
Article 10 du protocole additionnel A/SP.1/01/05 portant
amendement du préambule, des articles 1er, 2, 9, 22 et 30 du protocole
A/AS1/7/91 relatif à la Cour de Justice de la Communauté, ainsi que de
l’article 4 paragraphe 1 de la version anglaise dudit protocole ;
Abdoulaye Dièye, « La Cour de Justice de la Communauté- CEDEAO

37
A/SP.1/01/05 portant amendement du préambule relatif à la
Cour de Justice de la CEDEA n’évoque que le renvoi
préjudiciel pour interprétation71.

Il reste à préciser que le renvoi préjudiciel est différent de


la demande d’avis sous l’angle d’une saisine consultative
qui, bien entendu, est elle aussi un dispositif collaboratif72.
Le renvoi préjudiciel est une procédure contentieuse qui lie
les deux juges. On serait tenté de dire que, par le renvoi
préjudiciel, le juge communautaire tient le juge national en
l’état.

Pour le reste, les juridictions nationales françaises se sont


attribuées le pouvoir d’interprétation des textes
communautaires et de ne procéder à un renvoi qu’en cas
de difficulté sérieuse73, soit une norme communautaire
dont interprétation ne pose pas de difficulté réelle au juge
national au nom de la théorie de l’acte clair 74.

Dans un jugement récent, la Cour de justice de l’Union


européenne (CJUE) constate « qu'il incombait au Conseil
d'État, en tant que juridiction dont les décisions ne sont pas
susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel de
droit interne, d'interroger la Cour sur le fondement de
l'article 267, troisième alinéa, TFUE afin d'écarter le

et les juridictions nationales des Etats membres : quelles relations ?,


Nouvelles Annales africaines, n° 1, 2007, pp. 191-192.
71
Saïdou Nourou Tall, Droit des organisations internationales
africaines, op.cit., p. 198.
72
Mamadou Yaya Diallo, « La fonction consultative des juridictions
communautaires en Afrique : les exemples de la Cour de Justice de
l’UEMOA et de la Cour de Justice et d’Arbitrage », in Annales
africaines, n° spécial, Janvier 2019, pp. 335-366.
73
CE, Ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et a.,
Rec, p. 55.
74
CE, 19 juin 1964, Société des pétroles Shell-Berre et autres, AJDA,
1964, II, p. 443.

38
risque d'une interprétation erronée du droit de
l'Union »75. Cette jurisprudence ouvre une perspective de
sanction des juges suprêmes nationaux pour défaut de
renvoi préjudiciel, à la suite d’un manquement constitué
par le refus du Conseil d’Etat de déférer à son obligation
de renvoi.

En définitive, un dialogue des juges s’instaure en


s’appuyant sur les renvois préjudiciels en vue d’aboutir à
une interprétation et une application uniformes du droit
communautaire. D’ailleurs, c’est par une éclairante plume
que la Cour de Justice de l’UEMOA met l’accent sur
l’intérêt juridique du renvoi préjudiciel. A cet effet, elle
énonce que « nonobstant la compétence de principe
reconnue aux juridictions nationales, il paraît évident que
laisser le contrôle de l’application et de l’interprétation
des textes communautaires aux juridictions nationales
comporterait un risque d’interprétation divergente ; le
mécanisme du renvoi préjudiciel a été pensé pour permettre
à la juridiction communautaire d’assurer sa fonction
d’interprétation objective du droit de l’Union ainsi que de
la validité des actes institutionnels ; qu’il appartient dès
lors au juge interne, de faire application du droit du droit
ainsi interprété et apprécié dans la solution du litige dont
il est saisi »76.

3. La justice arbitrale

Il est utile, a priori, de lever l’équivoque qui entoure


habituellement l’arbitrage. Même si le sens commun a
tendance à le ranger dans les voies alternatives de règlement

75
Cour de justice de l'Union européenne, 4 octobre 2018, Commission
c/ France, aff. C-416/17, AJDA 2018, p. 1933.
76
Arrêt 005/2020 du 08 juillet 2020, La Commission de l’UEMOA
contre la Décision n° 19-287 du 22/08/2019 de la Cour
constitutionnelle du Bénin, p. 9.

39
des litiges administratifs, il n’en demeure pas moins un
mode juridictionnel.

2.1. La notion d’arbitrage

A la différence des modes alternatifs de règlement des


conflits (conciliation, transaction, médiation) l’arbitrage est
un mode proprement juridictionnel de règlement des litiges.

Par une convention (compromis) ou des stipulations


conventionnelles (clauses compromissoires), l’ensemble
des parties à un litige peuvent décider de s’en remettre à une
juridiction constituée (tierce personne ou instance) pour
régler leur différend par une sentence arbitrale ayant force
obligatoire, en écartant la juridiction normalement
compétente.

La sentence arbitrale est une décision juridictionnelle


revêtue de l’autorité de chose jugée. Cependant, elle n’est
pas dotée de la force exécutoire si bien que les parties
doivent saisir le juge administratif d’une demande tendant
à l’exequatur de la sentence77.

2.2. L’arbitrabilité des personnes publiques

L’interdiction de principe de l’arbitrage a


traditionnellement prévalu, en droit français, pour toutes les
personnes publiques à un litige. Cependant, l’hostilité va
subir une première inflexion avec les législations
dérogatoires et une seconde inflexion avec les progrès
jurisprudentiels78.

77
Alice Minet, Les indispensables du contentieux administratif, Paris,
Ellipses, 2019, p. 23.
78
Les termes du débat sont exposés dans les arrêts TC, 17 mai
2010 Institut national de la Santé et de la Recherche médicale

40
En Afrique, le nouvel Acte uniforme relatif au droit de
l’arbitrage, adopté le 23 novembre 2017 à Conakry
(Guinée) et entré en vigueur le 15 mars 2018, en
substitution au texte initial du 11 mars 1999, conforte
l’élargissement du périmètre de l’arbitrage aux personnes
publiques. Son article 2 pose le principe suivant : « Toute
personne physique ou morale peut recourir à l'arbitrage
sur les droits dont elle a la libre disposition. Les Etats, les
autres collectivités publiques territoriales, les
établissements publics et toute autre personne morale de
droit public peuvent également être parties à un arbitrage,
quelle que soit la nature juridique du contrat, sans pouvoir
invoquer leur propre droit pour contester l'arbitrabilité
d'un différend, leur capacité à compromettre ou la validité
de la convention d'arbitrage ».

Dans un contexte de rayonnement du droit communautaire


en Afrique, la doctrine s’est saisie de la question du
contournement de l’office du juge administratif que justifié
la possibilité offerte aux personnes publiques de recourir à
l’arbitrage. Evidemment, il est pensé qu’avec la
consécration du droit de recours général des personnes
publiques à l’arbitrage, le droit communautaire érode
progressivement le caractère exorbitant du droit
administratif, non sans le rapprocher du droit civil79.

L’écho est sensible en droit interne, l’arbitrage est rendu


possible dans certains textes. C’est notamment le cas du
décret n° 2014-1212 du 22 septembre 2014 portant Code
des Marchés publics dont l’article 139 alinéa 3 dispose :

(INSERM), n° C3754; CE Ass., 9 novembre 2016, Société Fosmax


LNG, n° 388806.
79
Abdou Aziz Daba Kébé, « Le déclin de l’exorbitance du droit
administratif sénégalais sous l’effet du droit communautaire, Afirilex,
lien : http://afrilex.u-bordeaux4.fr, 2015, consulté le 20 octobre 2020,
p. 7.

41
« Les litiges peuvent également être soumis à un "tribunal
arbitral" dans les conditions prévues par l’Acte uniforme
de l’OHADA relatif à l’Arbitrage, les parties peuvent
insérer une clause compromissoire dans les conditions
prévues par le cahier des charges ».

La ressemblance est parfaite avec les dispositions de


l’article 37 de la loi n° 2014 09 du 20 février 2014 relative
aux contrats de partenariat public privé, modifiée par la loi
n° 2015-03 du 12 février 2015 : « Les litiges liés à
"l’exécution" ou à "l’interprétation des contrats de
partenariat" sont de la compétence des tribunaux
judiciaires sénégalais ou des instances arbitrales, à défaut
de règlement amiable. L’arbitrage est mené conformément
aux stipulations de la clause d’arbitrage contenue dans le
contrat de partenariat ».

II. Le contentieux administratif non


juridictionnel

Le contentieux administratif non juridictionnel intègre les


modes de règlement des litiges administratifs par le biais de
procédures non contentieuses. Il en est ainsi des procédés
alternatifs de résolution de litiges permettant d’éviter les
coûts et la longueur inhérents au procès administratif. Ce
sont des modalités de prévention des contentieux et
d’amélioration des relations entre l’administration et les
administrés.

Il peut s’agir de procédés préalables ou alternatifs à la voie


contentieuse.

Sous cette rubrique, on peut examiner les recours


administratifs (1), la médiation (2), la transaction (3) et la
conciliation (4).

42
1. Les recours administratifs

Les recours administratifs participent de la procédure


administrative non contentieuse. Ils peuvent être utilisés
pour demander à l’Administration de réexaminer sa
décision. Cela en fait une réelle alternative à l’action
contentieuse réputée parfois longue et incertaine.

D’ailleurs, le Conseil d’Etat français considère que le


ministre dispose d’un pouvoir distinct des tribunaux
(contrôle de légalité sur recours pour excès de pouvoir), à
savoir le contrôle hiérarchique qui, érigé en principe
général de droit, peut porter même sur l’opportunité de la
décision de l’autorité administrative subordonnée80.

Parmi les recours administratifs, certains restent facultatifs


alors que d’autres demeurent obligatoires.

1.1. Les recours administratifs facultatifs

Le recours administratif facultatif a l’avantage


d’encourager un règlement amiable des litiges. Il permet à
l’autorité administrative concernée de procéder, de son gré,
à la réformation, au retrait ou à l’abrogation d’une décision
à la demande de son destinataire.

80
« Cons. que la décision prise à cet égard par l’inspecteur du travail
reste soumise, à défaut de dispositions contraires de la loi et
conformément aux principes généraux du droit public, au contrôle
hiérarchique ; que l’exercice, par le ministre, d’un tel contrôle, qui
peut porter même sur l’opportunité du licenciement, dès lors que la
décision de l’inspecteur du travail n’a pas créé de droits au profit des
délégués intéressés du personnel, est seul de nature à donner à tous
les intérêts en présence les garanties indispensables, le Conseil d’Etat
sur recours pour excès de pouvoir ne pouvant exercer en la matière,
ainsi qu’il a été dit ci-dessus, qu’un contrôle de légalité ». CE Sect. 30
juin 1950, Sieur Quéralt, Rec. p. 413.

43
Les recours administratifs sont reconnus à un administré qui
est destinataire d’une décision administrative ou à son
représentant dûment mandaté.

Les recours facultatifs sont gracieux ou hiérarchique.


L’article 74 alinéa 4 de la loi organique de 2017 sur la Cour
suprême le précise : « (…) avant d’attaquer une décision
administrative, les intéressés peuvent présenter, dans le
délai du recours pour excès de pouvoir, un recours
administratif hiérarchique ou gracieux tendant à faire
rapporter ladite décision ».

Le recours gracieux est dirigé vers l’autorité administrative


ayant pris l’acte administratif ou étant à l’origine de l’action
administrative81.

Pour le recours hiérarchique, la demande est adressée au


supérieur hiérarchique de l’auteur de la décision. Il a les
mêmes effets que le recours gracieux, à savoir permettre à
l’Administration de prévenir un contentieux et de repousser
les délais de saisine contentieuse à compter de la réponse,
explicite ou implicite, donnée par l’Administration.

Quant au recours de tutelle, il consiste à saisir l’autorité


administrative compétente, généralement un ministre, pour
exercer un pouvoir de surveillance sur l’auteur de l’acte
litigieux, à savoir l’exécutif local (maire de commune ou
président de Conseil départemental) ou le directeur d’un
service décentralisé (établissement public ou structures
assimilées). Mais avec l’allégement de la tutelle et le
renforcement de l’autonomie des collectivités territoriales
ou services décentralisés, les pouvoirs du représentant de

81
Agathe Van Lang, Genévrière Gondouin, Véronique Inserguet-
Brissert, Dictionnaire de droit administratif, Paris, Sirey, 2015, p. 390.

44
l’Etat ou du ministre de tutelle s’orientent plus vers le
contrôle de légalité.

Quoi qu’il en soit, lorsqu’ils sont introduits dans le délai


imparti à un recours contentieux, les recours administratifs
facultatifs ont pour effet d’interrompre le cours de ce délai.

Dans la loi n° 2012-31 du 31 décembre 2012 portant Code


général des Impôts (CGI), modifiée, des dispositions
relatives aux recours administratifs facultatifs sont
aménagées :

Article 706.- Recours gracieux :


« Sous réserve des dispositions du décret portant
Règlement général sur la Comptabilité publique et
interdictions légales, le contribuable qui reconnaît le bien-
fondé d’une imposition établie en son nom peut introduire
une "demande de remise gracieuse" en matière d’impôts
sur le revenu pour cause d’indigence ou de gêne. […] le
Chef du service d’assiette compétent" notifie sa décision au
contribuable dans le délai de deux (02) mois à compter de
la réception de la demande. Le défaut de réponse dans le
délai susvisé équivaut à un rejet de la demande du
contribuable ».

Article 707.- Le recours hiérarchique suite à un contrôle


fiscal :
« I. Le contribuable qui conteste le bien-fondé d’une
imposition établie82 à la suite d’un contrôle fiscal, peut
saisir d’un "recours hiérarchique" le "Ministre chargé des
Finances"[…]. Le recours prévu au présent article n’est
pas recevable lorsque le contribuable : 1. a manifesté son

82
Tel que la contestation de la base d’imposition : sur le bénéfice pour
l’impôt sur les sociétés, le revenu au titre des salaires, le revenu au titre
des loyers (impôts sur le revenu foncier).

45
acception des montants qui lui sont réclamés au cours de la
procédure de rappel de droit83 ; 2 ; a saisi, préalablement
audit recours, le tribunal ».

Le recours administratif préalable facilite le règlement


amiable du contentieux de recouvrement. C’est la raison
pour laquelle, dans beaucoup de décisions - et certainement
par référence à la procédure en matière de recours de pleine
juridiction - le juge sénégalais rejette la requête du
requérant pour non accomplissement de la formalité du
recours préalable84.

1.2. Les recours administratifs obligatoires

Le recours administratif obligatoire peut avoir deux


portées : soit de provoquer une décision préalable pour lier
le contentieux, soit de respecter une procédure
administrative préalable obligatoire à l’introduction du
recours juridictionnel. C’est un recours précontentieux.

a. La décision préalable

Dans le cas de la règle de la décision préalable, le requérant


ne peut saisir la juridiction que par voie de recours formé
contre une décision85. La réponse expresse ou implicite
donnée à un recours administratif a la nature de décision
administrative susceptible d’être attaquée devant le juge.

Cette demande administrative préalable n’est pas exigée s’il


s’agit d’un recours pour excès de pouvoir tendant à

83
La notification de redressement et la taxation d’office (en cas
d’absence de souscription de déclaration, par exemple).
84
Abdou Aziz Daba Kébé, La répartition des compétences entre la loi
et le règlement en droit fiscal sénégalais, Université Cheikh Anta Diop
de Dakar, Thèse de doctorat de droit public, 2012, p. 134.
85
Article R 421-1 du CJA.

46
contester la légalité d’un acte administratif. Le recours étant
formé contre un acte administratif, la règle de la décision
préalable est remplie d’elle-même. Donc, le recours
administratif préalable est, en principe, facultatif pour le
recours pour excès de pouvoir : « le requérant n’est pas
tenu de former au préalable un recours administratif contre
un acte administratif dont il conteste la légalité, il peut
saisir directement le juge de l’excès de pouvoir ; il a
seulement la possibilité de le faire »86.

Lorsque la requête tend à défendre un droit subjectif ou à


réclamer la réparation d’un dommage subi du fait de
l’Administration, elle n'est recevable qu'après l'intervention
de la décision prise par l'Administration sur une demande
préalablement formée devant elle. La juridiction ne pourra
être saisie que sur la base de sa réponse défavorable.

Par ailleurs, les recours administratifs sont aussi possibles


dans le cadre du déféré provoqué. En s’inspirant des
mécanismes généraux du contentieux administratif , la loi
n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des
Collectivités territoriales (CGCT) dispose : « Sans
préjudice du recours direct dont elle dispose, si une
personne physique ou morale est lésée par un acte

86
Alain Bockel, Droit administratif, op. cit., p. 432.

47
mentionné aux articles 24387 et 24488 du présent Code, elle
peut, dans le délai de deux (02) mois à compter de la date
à laquelle l'acte est devenu exécutoire, demander au
représentant de l'Etat concerné de mettre en œuvre la
procédure d'annulation prévue aux articles 246 et 247 ci-
dessus. Pour les actes mentionnés à l'article 243 du présent
Code, cette demande ne peut avoir pour effet de prolonger

87
Les actes pris par les collectivités territoriales sont transmis au
représentant de l'Etat auprès, du département ou de la commune, lequel
en délivre aussitôt accusé de réception. La preuve de la réception des
actes par le représentant de l'Etat peut être apportée par tout moyen.
L'accusé de réception qui est immédiatement délivré peut être utilisé
comme preuve. Pour les actes ci-dessous énumérés, le représentant de
l'Etat dispose d'un délai de quinze (15) jours pour en demander une
seconde lecture. Cette demande revêt un caractère suspensif, aussi bien
pour le caractère exécutoire de l'acte que pour tout délai de procédure
contentieuse. Sont concernés par ces dispositions les actes suivants : i)
les délibérations des conseils ou les décisions prises par délégation des
conseils ; ii) les actes à caractère réglementaire pris par les collectivités
territoriales dans tous les domaines qui relèvent de leur compétence en
application de la loi ; iii) les conventions relatives aux marchés ainsi
que les conventions de concession ou d'affermage de services publics
locaux à caractère industriel ou commercial ; iv) les décisions
individuelles relatives à la nomination, à l'avancement de grade ou
d'échelon d'agents des collectivités territoriales; v) les décisions
individuelles relatives aux sanctions soumises à l'avis du conseil de
discipline et au licenciement d'agents des collectivités territoriales. Ces
actes sont exécutoires de plein droit, quinze (15) jours après la
délivrance de l'accusé de réception, sauf demande de seconde lecture de
la part du représentant de l'Etat, et après leur publication ou leur
notification aux intéressés. Ce délai de quinze (15) jours peut être réduit
par le représentant de l'Etat à la demande du président du conseil
départemental ou du maire (article 243 du CGCT).
88
Les décisions réglementaires et individuelles prises par le président
du conseil départemental ou le maire dans l'exercice de leurs pouvoirs
de police, les actes de gestion quotidienne pris au nom des collectivités
territoriales autres que ceux mentionnés à l'article 243 ci-dessus sont
exécutoires de plein droit dès qu'il est procédé à leur publication ou à
leur notification aux intéressés, après transmission au représentant de
l'Etat (article 245 du CGCT).

48
le délai de recours contentieux dont dispose le représentant
de l'Etat en application de l'article 246 du présent code.
Lorsque la demande d'annulation concerne un acte
mentionné à l'article 244 du présent Code, le représentant
de l'Etat peut déférer l'acte en cause devant la Cour
suprême dans les deux (02) mois suivant sa saisine par la
personne physique ou morale lésée. Lorsque la demande
d'annulation concerne un acte mentionné à l'article 245 du
présent Code, au cours du délai d'approbation du
représentant de l'Etat, celui-ci traite cette demande selon
la procédure du recours gracieux. Si la décision est
devenue exécutoire, seul le recours direct est possible.
Ces actes déférés ne sont pas susceptibles de
recours hiérarchique ».

b. Le recours administratif préalable obligatoire

En cas de recours administratif obligatoire préalable


l’individu, souhaitant contester une décision administrative
qui lui est défavorable, est tenu de former un recours devant
l'autorité administrative préalablement à la saisine du
juge89. Sans l’exercice d’un recours administratif préalable
obligatoire, le requérant est interdit d’accès au juge (rejet
pour irrecevabilité). Conséquemment, « les décisions
obtenues à la suite de l’introduction d’un recours
administratif peuvent à leur tour être contestées devant des
autorités juridictionnelles par l’exercice d’un recours
juridictionnel »90. La sanction en cas de défaut d’exercice

89
En France, le recours administratif préalable obligatoire (RAPO)
s'applique notamment dans les domaines suivants : contentieux fiscal
(par exemple, assiette de l'impôt), accès aux documents administratifs ;
accès aux professions réglementées (exemple : Ordre des médecins),
fonction publique militaire (recours devant la commission de recours
des militaires), contentieux des étrangers (par exemple, refus de visas).
90
Nicolas Kada, Martial Mathieu, Dictionnaire d’administration
publique, PUG, 2014, p. 411.

49
du recours administratif préalable obligatoire est
l’irrecevabilité du recours.

En recours pour excès de pouvoir, le recours administratif


préalable obligatoire est l’exception. Le cas se présente
dans quelques situations prévues par des textes.

L’article L. 216 alinéa 1er et 2 de la loi n° 97-17 du 1er


décembre 1997 portant Code du Travail, modifiée, dispose :
« La décision de l’Inspecteur du Travail et de la Sécurité
sociale accordant ou refusant l’autorisation de
licenciement du délégué du personnel, a un caractère
définitif. Le licenciement qui serait prononcé par
l’employeur sans que l’autorisation préalable de
l’Inspecteur ait été demandée, ou malgré le refus opposé
par l’Inspecteur, est nul et de nul effet. La décision de
l’Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale accordant
ou refusant l’autorisation de licenciement d’un délégué du
personnel n’est susceptible d’aucun recours "autre que le
recours hiérarchique" devant le Ministre chargé du
Travail. Les parties disposent d’un délai de 15 jours pour
déférer au Ministre la décision de l’Inspecteur du Travail
et de la Sécurité sociale. "La décision du Ministre est
susceptible du recours juridictionnel en excès de pouvoir
devant [la chambre administrative de la Cour suprême]
dans les délais, formes et conditions prévus par la
procédure en vigueur ».

L’article 89 du décret n° 2014-1212 du 22 septembre 2014


portant Code des Marchés publics : « Tout candidat à une
procédure d’attribution d’un marché doit "préalablement à
tout recours contentieux", saisir la personne responsable
du marché d’un "recours gracieux" par une notification
écrite indiquant les références de la procédure de passation

50
du marché et exposant les motifs de sa réclamation par une
lettre recommandée avec accusé de réception ou déposé
contre récépissé. Ce recours peut porter sur la décision
d’attribuer ou de ne pas attribuer le marché, les conditions
de publication des avis, les règles relatives à la
participation des candidats et aux capacités et garanties
exigées, le mode de passation et la procédure de sélection
retenue, la conformité des documents d’appel d’offres à la
réglementation, les spécifications techniques retenues, les
critères d’évaluation. Il doit invoquer une violation
caractérisée de la réglementation des marchés publics. Il
doit être exercé dans un délai de cinq (05) jours francs et
ouvrés à compter de la publication de l’avis d’attribution
provisoire du marché, de l’avis d’appel à concurrence ou
de la communication du dossier d’appel à la concurrence ».

L’article 90 du décret n° 2014-1212 du 22 septembre 2014


portant Code des Marchés publics : « En l’absence de suite
favorable de son recours gracieux le requérant dispose de
trois (3) jours ouvrables à compter de la réception de la
réponse de l'autorité contractante ou de l'expiration du
délai de cinq (5) jours mentionné à l'article précédent pour
présenter "un recours au Comité de Règlement des
Différends en matière de passation des marchés publics",
placé auprès de l'organe chargé de la Régulation des
Marchés publics. La saisine du Comité de Règlement des
différends se fait par notification écrite. Le recours n’est
recevable que s’il invoque une violation caractérisée de la
réglementation des marchés publics et est accompagné de
la pièce attestant du paiement d’une consignation dont le
montant est fixé par arrêté du Ministre chargé des
Finances ».

Le nouveau Code sénégalais des Marchés publics fait ainsi


preuve d’innovation, en rendant obligatoire la saisine de la
personne responsable des marchés préalablement à tout

51
recours contentieux. En vérité, les articles 89 et 90 du Code
des Marchés publics rendent obligatoires deux types de
recours administratif préalable ; il s’agit du recours devant
la personne responsable des marchés et du recours devant
le Comité de Règlement des Différends de l’Autorité de
Régulation des Marchés publics (ARMP). Ces deux
recours précédent la saisine du juge de l’excès de
pouvoir : « En effet, bien que le CMP ne consacre pas
l’existence d’un REP contre les décisions du CRD, force est
de constater que dans la pratique plusieurs recours de ce
type ont été introduits devant la chambre administrative de
la Cour suprême. Face à cette situation, d’autres
fondements à ce REP contre les décisions de l’ARMP
doivent être cherchés. A ce sujet, il faut rappeler que
l’ARMP est une autorité administrative habilitée à prendre
des décisions administratives unilatérales pouvant faire
grief à l’une des parties à la contestation. C’est pourquoi,
il a été admis que ses décisions qui ne sont ni des actes
juridictionnels ni des actes législatifs soient susceptibles de
REP à l’initiative de la partie qui estime que le droit n’a
pas été bien dit par le régulateur »91.

D’autres indices accentuent davantage l’administrativité du


recours devant le CRD : le rattachement de l’ARMP,
autorité administrative indépendante au Secrétariat général
de la Présidence de la République par le décret n° 2020-968
du 20 avril modifiant le décret n° 2019-910 du 15 mai 2019
portant répartition des services de l'État et du contrôle des
établissements publics, des sociétés nationales et des
sociétés à participation publique entre la présidence de la
République, le Secrétariat général du Gouvernement et les

91
Adama Issoufou, Les mutations du droit des marchés publics au
Niger et au Sénégal : contribution à l’étude de l’encadrement juridique
d’une catégorie de dépense publique, Thèse de doctorat, Université
Cheikh Anta Diop, 2015, pp. 379-380.

52
ministères ; et l’organisation et le fonctionnement de
l’ARMP par le décret n° 2007-546 du 25 avril 2007 portant
de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP).

En outre, le recours administratif préalable est obligatoire


en contentieux de pleine juridiction. Aux termes de
l’article 729 du décret n° 54-572 du 30 juillet 1964 portant
Code de Procédure civile CPC, « toute action en justice doit
être précédé d’une demande adressée à l’autorité
administrative désignée pour recevoir l’assignation aux
termes de l’article 39. Le silence gardé plus de quatre mois
par l’autorité vaut décision de rejet. L’assignation doit, à
peine d’irrecevabilité, être service dans le délai de deux
mois qui suit, soit l’avis donné de la décision de
l’Administration, soit l’expiration d’un délai de quatre mois
valant décision implicite de rejet ».

Par ailleurs, la règle de décision préalable subit une


inflexion notamment dans le domaine des référés en raison
de l’urgence92.

De plus, l’obligation de motivation pèse sur une décision de


rejet d’un recours administratif préalable obligatoire.

Enfin, force est de constater que la présentation d’un


recours gracieux ou hiérarchique ne conserve pas le délai
imparti pour exercer le recours administratif préalable
obligatoire non plus que le délai de recours contentieux93.

92
Il s’y ajoute qu’en droit français, les contentieux afférents aux travaux
publics échappaient à la règle pour des raisons essentiellement
historiques.
93
Article L. 412-4 du Code des relations entre le public et
l’Administration. Annoté et commenté, Paris, Dalloz, 2018.

53
c. La décision attaquable

La décision attaquable devant le juge de l’Administration


en cas de recours administratif est fonction de trois
situations.

i) Lorsque le recours administratif préalable facultatif


confirme la décision administrative initiale, le recours
contentieux est formé contre l’une, l’autre ou les deux
décisions administratives. C’est le choix de ce
considérant : « …lorsqu'une décision administrative prise
illégalement donne lieu à un recours administratif ne
constituant pas un préalable obligatoire à l'exercice d'un
recours contentieux et que l'autorité saisie de ce recours
prend légalement une décision expresse par laquelle elle
maintient la mesure contestée, la décision initiale ne se
trouve pas régularisée ; que la décision prise sur le recours
administratif a seulement pour effet de permettre
l'application de la mesure à compter de la date à laquelle
cette décision entre en vigueur »94.

ii) Dans le cas d’un recours administratif préalable


facultatif infirmant la décision administrative initiale, le
recours contentieux ne pourra être formé qu’à l’encontre
de la décision prise sur le recours administratif.

iii) S’il y a un recours administratif obligatoire, la décision


prise sur recours administratif se substitue à la décision
administrative initiale et un recours contentieux pourra
donc être formé contre la nouvelle décision administrative.
Cela se lit dans le considérant suivant : « … le requérant
qui entend contester cette dernière décision peut invoquer
devant le juge, jusqu'à la clôture de l'instruction, tout
moyen de droit nouveau, alors même qu'il n'aurait pas été

94
CE français, 11 février 2015, Centre hospitalier d'Auch, n° 369110.

54
invoqué à l'appui du recours administratif contre la
décision initiale, dès lors que ces moyens sont relatifs au
même litige que celui dont avait été saisie l'autorité
administrative »95.

Quel est le sort des vices affectant la décision initiale ?


Auparavant, le procédé de substitution interdisait au
requérant d’invoquer devant le juge des vices propres de la
décision initiale. C’est un arrêt du Conseil d’Etat de 2005
qui anéantit "l’inopérance" : « Considérant en revanche,
que le requérant est recevable à contester la décision du 17
juin 2004 ; qu’eu égard à la circonstance qu’il a critiqué
dans son recours administratif aussi bien la légalité externe
que la légalité interne de la décision initiale, il lui est en
tout état de cause loisible d’invoquer devant le juge tout
moyen tiré de l’illégalité de la décision finale de refus
d’inscription au tableau d’avancement »96.

Désormais, sauf lorsque la procédure sur recours est en tout


point de vue identique à celle prévue pour la décision
initiale, le requérant est autorisé à invoquer la violation
d’une règle de procédure au stade de la décision finale97.

Note de lecture.- Les effets juridiques des recours


administratifs

L’introduction d’un recours administratif entraîne


essentiellement deux effets juridiques. Le premier, c’est
l’obligation pour l’autorité administrative d’examiner la
demande. Le deuxième, c’est la prorogation du délai du
recours contentieux lorsque certaines conditions sont
remplies.

95
CE, 21 mars 2007, M. A, n° 284586.
96
CE, 18 novembre 2005 Houlbreque, Rec., p. 513.
97
Camille Broyelle, Contentieux administratif, 6e éd., Paris, LGDJ,
2018-2019, pp. 126-127.

55
Paragraphe 1. L’examen de la demande de l’autorité
administrative

Traditionnellement, il n’existait pas d’obligation pour


l’Administration de répondre à un recours administratif et,
lorsqu’elle répondrait, elle n’était pas tenue de se fonder
sur des motifs d’ordre juridique.

Ce principe de base a connu quelques dérogations qui


correspondent à des hypothèses d’obligation pour
l’Administration de se prononcer dans certains cas.

C’est ainsi que la jurisprudence fait obligation au supérieur


hiérarchique d’examiner les demandes administratives.
Son refus est qualité d’incompétence négative (Conseil
d’Etat, 30 juin 1950 Quéralt, op. cit.). Mais le décret
français du 28 novembre 1983 prévoit d’autres exceptions.

Il faut signaler que, lorsque l’autorité administrative


examine la demande, elle peut se prononcer en opportunité.

Paragraphe 2. La prorogation du délai du recours


contentieux

Recours administratif et recours contentieux sont en


principe indépendants. Cela signifie qu’un administré peut
utiliser l’une ou l’autre de ces deux voies. Mais lorsque le
juge est saisi, la réponse de l’autorité administrative reste
sans effet sur celle du juge, sauf lorsque l’Administration
rapporte la décision litigieuse. Dans ce cas, en effet, le juge
rendra une décision de non-lieu à statuer.

Mais lorsque le juge rend sa décision avant que l’autorité


administrative ne se prononce, cette dernière ne peut plus
entrer en contradiction avec l’autorité de la chose jugée.
L’exercice d’un recours administratif proroge le délai du

56
recours contentieux s’il est lui-même intenté dans le délai
de deux mois. La prorogation ne peut jouer qu’une seule
fois. Voir CE, 27 octobre 1993, Sidy Mohamed Diop, bull.,
n° 1, p. 15.

Le recours administratif peut également servir de préalable


et de complément au recours contentieux dans deux cas :

- la première hypothèse, c’est lorsqu’il s’agit de respecter


la règle de la décision préalable. Selon cette règle, le juge
ne peut intervenir que sur un litige. Or, le litige ne peut que
le résultat d’une décision. Le particulier devra donc
provoquer cette décision par un recours administratif avant
de saisir le juge ;

- la deuxième hypothèse, c’est lorsqu’il s’agit de respecter


la règle du recours administratif préalable. Dans certains
cas, le particulier peut adresser un recours à l’autorité
administrative malgré l’existence d’une décision
administrative préalable. Dans d’autres hypothèses, ce
recours administratif constitue une condition de
recevabilité du recours contentieux. Il présente pour le
particulier une possibilité d’arrangement qui pourrait
éviter les inconvénients d’un procès. Le recours
administratif offre alors une occasion de conciliation
[…]98.

2. Les autres modes non juridictionnels

Les autres modes non juridictionnels de règlement des


différends favorisent l’éloignement du spectre contentieux
et offrent une démarche concertée de règlement des litiges
administratifs. Sont classés dans ce registre, la conciliation,
la médiation et la transaction.

98
Demba Sy, Droit administratif, op. cit., pp. 103-104.

57
2.1. La transaction

La transaction en matière administrative facilite un


règlement rapide et amiable des différends. Elle favorise
une gestion économe des deniers publics, tout en permettant
une indemnisation rapide des parties.

En tant que mode non juridictionnel de règlement de litige


(conclu avant, en cours ou en dehors de tout litige), la
transaction est conclue au moyen de concessions
réciproques équilibrées, à l’amiable entre l’administré et
l’administration directement, sans l’intervention d’un tiers
conciliateur, afin de définir une solution acceptée par les
deux parties et susceptible de vider ou d’éviter le
contentieux. La transaction ne doit ni avoir un objet illicite
ni constituer une libéralité.

Au Sénégal, l’Agent judiciaire de l’Etat est chargé, pour


rappel, du règlement de toutes les affaires contentieuses
où l’Etat est partie et de la représentation de l’Etat dans
les instances judiciaires.

Toute action portée devant les tribunaux et tendant à faire


déclarer l’Etat créancier ou débiteur pour des causes
étrangères à l’impôt et au domaine doit, sauf exception
prévue par un texte spécial, être intenté à peine de nullité
par ou contre l’Agent judiciaire de l’Etat.

Plus particulièrement, celui qui est chargé d’exercer les


poursuites pour le recouvrement des créances de l’Etat
étrangères à l’impôt et au domaine et, dans ce cas, peut
émettre des titres de perception ayant force exécutoire. Il a
également pour mission de sauvegarder les droits de l’Etat
dans tous les domaines où les textes en vigueur n’ont pas
conféré ces prérogatives à d’autres services.

58
A ce titre, l’alinéa 3 de l’article 3 du décret n° 70-1216 du
07 novembre 1970 portant création d’un Agent judiciaire de
l’Etat et fixant ses attributions indique expressément
qu’« après consultation des administrations compétentes,
[l’Agent judiciaire de l’Etat] peut proposer à la partie
adverse toute transaction utile ; la transaction n’aura
d’effet qu’après approbation par le Ministre chargé des
Finances »99.

Y a-t-il un encadrement élastique ou restrictif des pouvoirs


de l’Agent judiciaire de l’Etat dans la fixation des montants
impliqués par la transaction ?

En tout cas, la précaution est de rigueur dans la législation


française qui n’a pas entendu abandonner la fixation du
montant à la discrétion de l’autorité administrative chargée
de la transaction. La règle de droit est que lorsqu'une
administration de l'Etat souhaite transiger, le principe du
recours à la transaction et le montant de celle-ci peuvent
être préalablement soumis à l'avis d'un comité dont la
composition est précisée par décret en Conseil d'Etat. L'avis
du comité est obligatoire lorsque le montant en cause
dépasse un seuil précisé par le même décret100.

2.2. La conciliation et la médiation

La différence entre la médiation et la conciliation est ténue


et tiendrait dans le rôle du tiers conciliateur qui, dépourvu
d’un pouvoir d’initiative, se cantonne à la recherche d’un
terrain d’entente alors que le médiateur, censé être plus
actif, est habilité à proposer une solution. A la différence

99
Pour les collectivités territoriales, voir notamment les articles 126,
171 et 225 de la loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code
général des Collectivités territoriales.
100
Article L. 423 alinéa premier CRPA.

59
de l’arbitre, le tiers conciliateur n’a pas de pouvoir de
décision.

Article 138 points 1, 2 et 6 du décret n° 2014-1212 du 22


septembre 2014 portant Code des Marchés publics :
« L’autorité contractante ou le titulaire du marché puissent
recourir au Comité de règlement des Différends placé
auprès de l’organe chargé de la régulation des marchés
publics pour une conciliation comme de "règlement
amiable en cas de différends" relatifs à l’exécution des
marchés publics.
Dans les cas visés à l’alinéa 1 ci-dessus, le Comité de
règlement des Différends a pour mission de rechercher les
éléments de droit ou de fait, en vue de proposer un
"règlement amiable et équitable" aux différends qui lui sont
soumis.
Dans un délai quinze (15) jours à compter de la saisine, le
Comité de règlement des Différends établit "un procès-
verbal de conciliation" motivé consacrant, le cas échéant,
l’accord des parties ».

Tout comme, le Code général des Impôts comporte, aux


termes de l’article 704, un mécanisme de
conciliation qualifiée pour connaître des désaccords entre le
contribuable et l’Administration portant sur des questions
de fait relatives à des rappels de droit initiés à la suite de
contrôle sur place, dénommé "Commission paritaire de
Conciliation".

Peuvent notamment être déférés à la Commission, « les


litiges relatifs aux cas suivants : 1. appréciation du
caractère excessif ou non du taux d’amortissement
pratiqué ; 2. si des réparations ont ou non pour effet de
prolonger, de manière notable, la durée d’utilisation de
bien amortissables ; 3. Appréciation du caractère normal
ou non d’un acte de gestion ; 4. appréciation du caractère

60
probant ou non d’une comptabilité ; 5. détermination du
chiffre d’affaires réalisé par une entreprise ; 6. valeur
probante du mode de comptabilisation des travaux en
cours. La Commission compétente est celle du principal
établissement de l’entreprise, ou du siège social s’il s’agit
d’une société ».

Ce mécanisme de conciliation a pour effets la suspension


de la procédure de rappel de droits ou de recouvrement. Il
est apaisant eu égard à l’exorbitance des moyens au service
du recouvrement de l’impôt et à la facture psychologique
considérable de la dette fiscale.

Un régime de droit commun est institué par le décret n°


2014-1653 du 24 décembre 2014 relatif à la médiation et à
la conciliation101. Aux termes de l’article 3 alinéas premier
et dernier du décret de 2014, « tout différend peut faire
l’objet d’une médiation ou d’une conciliation
extrajudiciaires ou judiciaires. Sauf dispositions
contraires, les personnes morales de droit public peuvent
être parties à une médiation ou conciliation ».

D’une part les parties peuvent recourir volontairement à la


médiation ou à la conciliation extrajudiciaire, ad hoc ou
institutionnelle, pour mettre fin à tout ou partie d’un
différend né ou à naître.

D’autre part, en tout état du contentieux judicaire, et ainsi


qu’en référé, le juge déjà saisi d’un litige peut, à la
demande conjointe des parties ou de sa propre initiative,
mais avec l’accord de celles-ci, ordonner une médiation ou
une conciliation pour tout ou partie du litige qui oppose les
parties.

101
JORS n° 6827 bis, du 13 décembre 2014,

61
L’accord de médiation ou de conciliation acquiert force
obligatoire, soit par son dépôt, d’un commun accord entre
les parties, au rang des minutes d’un notaire, soit par son
homologation par le juge compétent.

En droit français, la consécration de procédés de règlement


amiable des litiges et de la possibilité générale d’y avoir
recours est d’une limpidité satisfaisante dans le CRPA. Aux
termes de l’article L. 421-1 de ce Code, « Il peut être
recouru à une procédure de conciliation ou de médiation
en vue d’un règlement amiable d’un différend avec
l’Administration, avant qu’une procédure juridictionnelle
ne soit, en cas d’échec, engagée ou menée à son terme ».

En outre, la médiation et la conciliation dans un cadre


juridictionnel sont confirmées devant les tribunaux
administratifs et les cours administratives d'appel102.
Devant le Conseil d’Etat, c’est une nouvelle attribution de
même titre que ses attributions consultatives et
contentieuses103.

En outre, la loi sénégalaise n° 99-04 du 29 janvier 1999


abrogeant et remplaçant la loi 91-14 du 11 février 1992
institue un Médiateur de la République, autorité
indépendante, qui reçoit, dans les conditions fixées par la
loi, les réclamations concernant le fonctionnement des
administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, des
établissements publics et de tout autre organisme investi
d’une mission de service public. Il est, en outre, investi
d’une mission générale de contribution à l’amélioration de

102
Article L 213-1 à 213-10 CJA.
« Lorsque le Conseil d’Etat est saisi d’un litige en premier et dernier
103

ressort, il peut, après avoir obtenu l’accord des parties, ordonner une
médiation pour tenter de parvenir à un accord entre celles-ci selon les
modalités prévues au Chapitre III du Titre 1 er du Livre II ». Article L.
144-1 CJA.

62
l’environnement institutionnel et économique de
l’entreprise, notamment dans ses relations avec les
administrations publiques ou les organismes investis d’une
mission de service public.

Par ses recommandations, le Médiateur de la République


incite les services publics à rechercher l’esprit des lois dans
l’application des textes, notamment en cas de conflits avec
les citoyens, et à accepter de prendre en compte l’équité
dans leurs relations avec les citoyens, d’une manière
compatible avec le respect des législations et règlements en
vigueur. Il contribue, par les propositions de simplification
administrative ou de réforme qu’il formule, à la
modernisation des services publics.

Toute personne physique ou morale, qui estime, à


l’occasion d’une affaire la concernant, qu’un organe visé à
l’article premier n’a pas fonctionné conformément à la
mission de service public qu’il doit assurer, peut, par
réclamation écrite, porter l’affaire à la connaissance du
Médiateur de la République.

Le Président de la République peut également soumettre au


Médiateur de la République toute réclamation de même
nature dont il aura été saisi. La réclamation est recevable
sans conditions de délai, mais elle ne peut être examinée
que si le réclamant apporte la preuve qu’il a préalablement
accompli des démarches nécessaires pour permettre au
service intéressé d’examiner ses griefs.

S’il l’estime utile, le Médiateur de la République peut


également entreprendre, de sa propre initiative toute
démarche entrant dans le cadre de sa mission. Il en tient le
Président de la République informé.

63
La réclamation, au sens de la présente loi, ou la démarche
entreprise de sa propre initiative par le Médiateur de la
République n’interrompt pas les délais de recours,
notamment devant les juridictions compétentes.

Mais la saisine de celles-ci ne fait pas obstacle à


l’intervention du Médiateur de la République pour régler à
l’amiable le différend.

Le Médiateur de la République ne peut intervenir dans une


procédure engagée devant une juridiction, ni remettre en
cause le bien-fondé d’une décision juridictionnelle. Mais, le
respect des décisions ayant acquis l’autorité de la chose
jugée n’interdit pas au Médiateur de la République de
demander à la collectivité ou à l’organisme bénéficiaire de
renoncer à tout ou partie de ses droits en cas d’iniquité.

64

Vous aimerez peut-être aussi