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Séance 3 – Le déroulement de la carrière : le détachement et la disponibilité

Exercice des groupes du jeudi : CE, 30 janvier 2015


Objet : L’arrêt rendu par le CE le 30 janvier 2015 illustre l’étendue du pouvoir d’appréciation
de l’administration d’accueil quant à la fin anticipée du détachement.
Faits et procédure : À l’origine de cette affaire, une décision de l’agence pour l’enseignement
français à l’étranger (ci-après AEFE) mettant fin au contrat d’un Professeur titulaire des écoles
en situation de détachement auprès de ladite agence. Afin d’obtenir l’annulation de la décision,
l’intéressé saisit le Tribunal administratif de Nantes qui fit droit à sa demande, en considérant
que la directrice de l’agence a commis une erreur d’appréciation en prononçant la fin anticipée
du détachement. L’AEFE interjeta alors appel de cette décision auprès de la Cour administrative
d’appel de Nantes qui rejeta sa requête. N’étant pas satisfaite de cette position de la cour
administrative d’appel, l’AEFE saisit le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation. Pour
convaincre le Conseil d’État du bien-fondé de sa requête, l’AEFE invoque plusieurs incidents
dans lesquels l’agent en question serait impliqué et estime que la décision de mettre un terme
au détachement a été dès lors prise dans l’intérêt du service.
Question de droit : Le juge administratif suprême était ainsi appelé à répondre à la question de
savoir s’il était possible d’invoquer une simple erreur d’appréciation pour annuler une décision
par laquelle une administration d’accueil s’est séparée de manière anticipée d’un fonctionnaire
en position de détachement.
Réponse et annonce du plan : À cette interrogation, le Conseil d’État répondit par la négative
en considérant que la latitude de l’administration d’accueil de mettre fin à une collaboration
avec un fonctionnaire en position de détachement est assortie d’un large pouvoir d’appréciation
qui ne trouve une limite que dans l’erreur manifeste d’appréciation. À cet égard, le Conseil
d’État qui statuait sur le fond juge que l’AEFE n’a pas commis une erreur manifeste
d’appréciation en mettant fin au détachement. Il en tire la conclusion que cette décision prise
dans l’intérêt du service n’est pas entachée (I). En se prononçant ainsi, le juge administratif
suprême reconnaît à l’administration d’accueil un pouvoir d’appréciation quasi-absolu
relativement à l’interruption anticipée de sa relation avec un fonctionnaire en position de
détachement (II).
I – La régularité de la décision mettant fin au détachement
A – L’erreur manifeste d’appréciation écartée
→ Dans cet arrêt, le Conseil d’État considère que la décision de l’administration d’accueil qui
met fin de manière anticipée au contrat d’un fonctionnaire en position de détachement n’est
entachée que lorsqu’elle procède d’une erreur manifeste d’appréciation. Une simple erreur
d’appréciation n’est donc pas suffisante, contrairement à l’idée portée par l’arrêt de la CAA de
Nantes, reprenant ainsi la décision du TA. Notion très connue en droit administratif général,
l’erreur manifeste d’appréciation est définie comme « l’erreur évidente, invoquée par les
parties et reconnue par le juge, et qui ne fait qui ne fait aucun doute pour un esprit éclairé ».
Au Sénégal, le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation a été introduit par la jurisprudence
Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et État du Sénégal (CE, 1993) par laquelle le

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Conseil d’État définit l’erreur manifeste d’appréciation comme « une inadaptation apparente et
grave de la décision aux motifs qui l’ont provoquée ». Par ces mots, le juge administratif
Sénégalais reprenait son homologue français qui avait consacré la notion dès son arrêt Lagrange
(CE, 15 février 1961).
→ Le juge administratif suprême semble vouloir dire que l’erreur manifeste d’appréciation
serait établie si la directrice de l’AEFE avait fondé sa décision sur des « faits matériellement
inexacts ». Dit autrement, le Conseil d’État n’a pas cherché à savoir si les faits reprochés au
fonctionnaire en question étaient suffisamment graves pour justifier une telle décision ; il s’est
plutôt limité à constater leur matérialité.
B – L’intérêt du service allégué
→ À la lecture du raisonnement du Conseil d’État, on comprend que la décision de mettre fin
de manière anticipée à une situation de détachement doit se faire exclusivement dans l’intérêt
du service ayant accueilli le fonctionnaire en position de détachement. Il s’agit ici d’éviter tout
détournement de pouvoir. Le détournement de pouvoir consacré pour la première fois en France
par l’arrêt Pariset (CE, 26 novembre 1875) signifie que « l’autorité administrative a usé de ses
pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui ont été conférés ».
→ Au regard des faits graves qui sont reprochés à l’agent en question dans cette affaire, il ne
fait pas de doute que l’intérêt du service dont l’AEFE a la charge exigeait que la directrice de
l’agence prenne la décision d’interrompre le contrat qui le liait au professeur. Le Conseil d’État
relève que le comportement de ce dernier avait entraîné « d’importantes perturbations dans le
fonctionnement de l’établissement et dans la communauté scolaire ».
II – La confirmation du régime juridique de la fin anticipée du détachement
A – Une confirmation de la précarité de la situation de détachement
→ Les textes pertinents posent le principe selon lequel l’administration d’accueil peut à tout
moment mettre fin à la situation de détachement. En d’autres termes, il lui appartient de juger
de l’opportunité de poursuivre ou de rompre la collaboration avec le fonctionnaire en position
de détachement. Le Conseil d’État sénégalais avait rappelé ce principe dans sa jurisprudence
Abdou Fouta Diakhoumpa c/État du Sénégal (CE, 26 avril 1995) par laquelle il indiquait que
le détachement « est essentiellement révocable et qu’il peut y être mis fin, par anticipation
même en l’absence de faute » et que « l’administration […] peut mettre fin au détachement
sans être obligée d’indiquer les motifs ». Cette solution sera reprise par la Cour suprême dans
son arrêt Abdourahmane Kassé c/La Banque Sénégalo-Tunisienne (CS, 12 décembre 2007) en
des termes plus clairs : « l’agent détaché n’est […] assuré d’aucune stabilité dans son emploi
de détachement et l’autorité de nomination peut y mettre fin à tout moment ».
→ L’administration d’accueil dispose donc plus qu’un pouvoir discrétionnaire car il peut
procéder à une appréciation en opportunité. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que l’agent
en situation de détachement commette une faute disciplinaire. D’ailleurs, le Conseil d’État a
précisé dans cette affaire que la décision de la directrice de l’AEFE mettant fin au détachement
« est intervenue dans l’intérêt du service et n’a pas revêtue de caractère disciplinaire ».

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B – Une confirmation du pouvoir de l’autorité de nomination pour rompre le détachement
→ Lorsque l’administration d’accueil estime qu’il n’est plus opportun, pour une raison ou pour
une autre, de maintenir le lien du détachement, elle peut y mettre un terme de manière anticipée.
Cette décision s’impose non seulement au fonctionnaire en position de détachement, mais aussi
à son administration d’origine. Il faut préciser que la décision de mettre fin au détachement est
du ressort de l’administration d’origine. Elle est prononcée à la demande soit de l’administration
d’accueil, soit du fonctionnaire en position de détachement et celle-ci ne peut pas refuser une
telle demande. Il s’agit donc d’une compétence liée.
→ Dans cette affaire, le Conseil d’État a introduit quelque part un flou quant à la compétence
de mettre fin au détachement de manière anticipée. Dans un premier temps, il a considéré que
« l’administration qui accueille un fonctionnaire en position de détachement peut à tout
moment, dans l'intérêt du service, remettre celui-ci à la disposition de son corps d'origine ».
Ce passage montre clairement que l’administration d’accueil ne met pas fin au détachement,
elle remet plutôt le fonctionnaire à son administration d’origine. Mais plus loin dans son
raisonnement, le Conseil d’État mentionne que « la directrice de l’agence […] ne s’est pas
livrée à une appréciation manifestement erronée en mettant fin au détachement de M. B. ».
Une certaine doctrine avait compris à travers cette mention que la décision d’interrompre la
situation de détachement relevait de l’administration d’accueil et non de l’administration
d’origine, c’est-à-dire de l’autorité de nomination. Un an plus tard, le Conseil d’État mit fin à
cette ambiguïté en apportant une précision de taille : « l'administration d'origine, en tant
qu'autorité investie du pouvoir de nomination, est seule compétente pour mettre fin au
détachement avant le terme fixé. Saisie d'une demande en ce sens du fonctionnaire intéressé ou
de l'administration ou de l'organisme d'accueil, elle est tenue d'y faire droit » (CE, 21 octobre
2016, Région Auvergne).
→ Cette position est aussi celle de la Cour suprême sénégalaise exprimée notamment dans
l’arrêt Mapathé Djiba (CS, 25 juin 2015). Dans cette affaire, le juge administratif avait annulé
pour incompétence une décision du directeur général de l’Agence nationale pour la relance des
activités économiques et sociales en Casamance (ANRAC) mettant fin au détachement d’un
fonctionnaire placé auprès de ladite agence ; un tel pouvoir relève en effet de la compétence de
l’autorité de nomination qui était en l’espèce le Président de la République.

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Exercice pour les groupes du vendredi : CAA Nancy, 16 février 2006, France Telecom c/
Chabanne
Objet : L’arrêt rendu par la CAA de Nancy en date du 16 février 2006 illustre l’inexistence pour
le fonctionnaire du droit de choisir son lieu d’affectation pour sa réintégration à la suite d’une
mise en disponibilité.
Faits et procédure : En l’espèce, une fonctionnaire en poste au service des télécommunications
de Strasbourg avait bénéficié d’une mise en disponibilité pour suivre son époux qui avait été
affecté dans un autre département. Alors que la période de disponibilité avait excédé trois
années, elle avait sollicité par la suite une affectation à Bourges ou dans le département du Cher
pour sa réintégration. Une demande qui lui sera refusée malgré son insistance, une proposition
de réintégration sur un emploi à Strasbourg lui a cependant été faite ; ses responsables
hiérarchiques – le directeur régional des télécommunications d'Orléans et le directeur de la
Poste du Cher – lui ayant signifié dans deux décisions l’impossibilité de procéder à sa
réintégration immédiate dans les conditions qu’elle le voulait.
Afin de contester ces décisions, la fonctionnaire saisit France Telecom d’un recours gracieux
qui rejeta sa requête. Elle traduit alors le dossier devant le Tribunal administratif de Strasbourg
afin d’obtenir l’annulation desdites décisions et la condamnation de France Telecom à lui versé
une indemnité en réparation du préjudice qu’elle aurait subi du fait du retard de sa réintégration.
Le TA fera droit à ses prétentions en ordonnant la reconstitution de sa carrière à compter du 27
mars 1995 et en condamnant France Telecom à lui versé, à titre de réparation, la somme de
600 000 Frs. France Telecom décide de contester la décision du TA devant la CAA de Nancy.
Question de droit : La question qui se posait à la CAA de Nancy dans cette affaire était de savoir
si un fonctionnaire en disponibilité pouvait, pour sa réintégration, prétendre à la priorité sur un
lieu d’affection de son choix.
Réponse et annonce du plan : Dans son arrêt, le juge administratif d’appel répond par la négative
en considérant que le fonctionnaire en disponibilité ne peut prétendre, pour sa réintégration, au
choix de son lieu d’affectation. Il retient ainsi l’absence de faute imputable à l’administration
quant à la non-réintégration de la fonctionnaire en question (I). À travers son raisonnement, la
CAA de Nancy rappelle les règles qui s’appliquent en matière de réintégration à la suite d’une
mise en disponibilité (II).
II – La légalité du refus de réintégration
A – L’inexistence du droit de choisir son lieu d’affectation
→ Le Conseil d’État commence par rappeler dans son raisonnement que « la réintégration d’un
fonctionnaire mis en disponibilité […] est de droit ». Il en résulte que la fonctionnaire pouvait
utilement solliciter une affectation à l’issue de la disponibilité. C’est dire que la disponibilité,
même accordée à la demande du fonctionnaire, ne peut être une occasion pour l’administration
de pousser celui-ci vers la sortie. La réintégration est de droit et l’administration est tenue de le
rendre effectif.
→ En revanche, le droit du fonctionnaire d’être réintégré n’implique pas le droit de choisir son
lieu d’affectation à la suite de la disponibilité. Sur ce point, le juge administratif suprême a été
on ne peut plus clair : « le fonctionnaire en disponibilité qui demande sa réintégration ne peut
prétendre au choix de son lieu d’affectation ». Dans cette affaire, la fonctionnaire avait demandé

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sa réintégration à Bourges ou dans le département du Cher alors qu’elle exerçait à Strasbourg
avant la mise en disponibilité. Le Conseil d’État juge que l’administration n’a pas commis de
faute en refusant de donner une suite favorable à sa demande.
B – L’existence d’une proposition de réintégration
→ Sur une longue durée (1991-1997), l’administration avait refusé la demande de réintégration
de la fonctionnaire à un emploi sur les lieux souhaités (Bourges et le département du Cher).
Pour autant, il convient de noter avec le Conseil d’État qu’une proposition de réintégration sur
un emploi à Strasbourg, son lieu d’exercice avant la disponibilité, a été faite à l’intéressée dans
la même période.
→ Selon le Conseil d’État, en déclinant cette proposition de réintégration, la fonctionnaire ne
pouvait plus prétendre que son droit à la réintégration n’a pas été respecté par l’administration.
En effet, alors même que la période de disponibilité avait excédé trois années, celle-ci était
parvenue à lui trouver un poste à Strasbourg.
II – Une application du régime juridique relatif à la réintégration après une mise en disponibilité
A – Un régime juridique selon la durée de la disponibilité
→ Les droits du fonctionnaire et les obligations de l’administration en matière de réintégration
à la suite d’une disponibilité sont, dans une certaine mesure, fonction de la durée celle-ci. On
peut constater que plus la période de disponibilité est longue, moins l’administration a des
contraintes quant à la réintégration.
→ En l’espèce, la disponibilité a été accordée sur demande du fonctionnaire. Elle ne pouvait
donc pas excéder trois années, avec une possibilité de la renouveler une fois pour la même durée
(au Sénégal, article 80 du Statut général des fonctionnaires). Aussi, la « réintégration est de
droit à l’une des trois premières vacances si la durée de la disponibilité n’a pas excédé trois
années » (au Sénégal, article 84 du Statut général des fonctionnaires). Dans cette affaire, la
fonctionnaire ne pouvait pas en principe bénéficier de cette priorité sur les trois premières
vacances car sa disponibilité avait duré plus de trois années.
B – Un régime juridique selon le lieu d’affectation souhaité
→ Comme cela a été rappelé plus haut, le fonctionnaire en disponibilité ne peut prétendre au
choix de son lieu d’affectation. Il peut seulement émettre des souhaits à ce sujet, mais il ne peut
être fait obligation à l’administration de les réaliser. Elle est seulement tenue de lui proposer un
emploi de son grade, quelle qu’en soit la localisation.
→ Cette solution se comprend aisément ; en effet, les exigences du service public requièrent
que l’administration dispose d’une pleine latitude quant à l’organisation de ses services. Cela
implique, entre autres, qu’elle puisse juger de l’opportunité du lieu d’affectation d’un agent mis
en disponibilité.

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