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Les conditions d’octroi des délais de grâce en droit OHADA. Commentaire sous CCJA, 1 ère Ch.

, Arrêt
No 117/2018 du 31 mai 2018.

https://legiafrica.com/actualite/9753-les-conditions-d---octroi-des-delais-de-grace-en-droit-ohada
(07 juillet 2018)

Serge Christian EKANI

Doctorant à l’Université Laval (Canada)

Sommaire
L’attribution du délai de grâce au débiteur n’est pas automatiquement accordée dès lors que la
mise en balance de la situation du débiteur et les intérêts du créancier le permet. Il faut encore que
le débiteur soit de bonne foi.

Commentaire
Les observateurs de l’évolution de la législation sur l’exécution forcée dans les pays membres de
l’OHADA ont salué la volonté d’humanisation des voies d’exécution (Sylvain Sorel KUATE TAMEGHE, «
Délicatesse, convivialité, humanité… et voies d’exécution », Juridis Périodique n°62, avril-mai-juin-
2005, pp.41; Joséphine Angèle ESSAMA, « Les délais de grâce avec l’entrée en vigueur de l’Acte
uniforme portant voies d’exécution », RASJ, vol. 1, no3, 2003, p. 149; Joseph FOMETEU, “Théorie
générale des voies d’exécution”, dans Paul-Gérard POUGOUÉ (dir.), Encyclopédie du droit OHADA,
Paris, Lamy, 2011, no 55, p.2075; Serge Christian EKANI, Liberté de saisir et exécution forcée dans
l’espace OHADA, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 38 ). Il a été question de sortir de l’ancienne conception
manichéenne opposant le bon ou le malheureux créancier au débiteur récalcitrant et de mauvaise
foi. Mais cette humanisation doit se faire dans une constante recherche d’équilibre des intérêts du
créancier et du débiteur. C’est dans cette optique que l’art. 39 de l’Acte uniforme portant
organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE)
dispose:
“Le débiteur ne peut forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d'une dette, même divisible.
Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, la
juridiction compétente peut, sauf pour les dettes d'aliments et les dettes cambiaires, reporter ou
échelonner le paiement des sommes dues dans la limite d'une année. Elle peut également décider
que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Elle peut en outre subordonner ces mesures à l'accomplissement, par le débiteur, d'actes propres à
faciliter ou à garantir le paiement de la dette.”
L’arrêt commenté pose précisément l’appréciation des conditions d’attribution des délais de grâce.
En l’espèce, s’estimant créancière de M. Bamba SEKOU, la Bank Of Africa Côte d’Ivoire (BOA- CI) va
obtenir une ordonnance d’injonction de payer par devant le Président du TPI d’Abidjan, afin de
procéder à l’exécution forcée. Sur opposition de M. Bamba, le TPI rendra un arrêt constatant la
créance. Le débiteur sollicitera alors l’attribution des délais de grâce, mais sans succès. Il fera appel
de l’ordonnance de refus devant la Cour d’appel qui l’en déboutera. Non satisfait, il formera un
pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême de la République de Côte d’Ivoire qui, en application
de l’article 15 du Traité OHADA, va renvoyer l’affaire devant la CCJA.

M. Bamba reproche en substance à la Cour d’appel d’avoir fait une mauvaise application de l’art. 39
en rejetant sa demande de délais de grâce, alors même que sa situation impécunieuse, comparée à la
bonne santé financière de la créancière imposait une telle mesure.

Le problème juridique qui se pose alors de manière générale est celui des conditions de l’octroi des
délais de grâce par le juge. Plus spécifiquement, il était attendu du juge de la CCJA de décider si la
situation financière précaire du débiteur est une condition suffisante pour lui attribuer des délais de
grâce.

Dans un avis, la CCJA avait déjà eu l’occasion de consolider la force légale des conditions fixées par
l’art. 39 de l’AUPRVE, au regard du législateur national. Elle estimait qu’une législation nationale, ne
pouvait sans risque de violer l’art. 39, déroger à cette disposition, en édictant des conditions
nouvelles, impératives et restrictives pour le bénéfice par le débiteur du délai de grâce (CCJA, Avis n o
002/99/EP du 13 octobre 1999, Rec. De la jur. CCJA, n o spécial, janvier 2003, p.71, Ohadata J-02-02,
Obs. Joseph ISSA-SAYEGH). Le présent arrêt donne alors l’occasion à la CCJA de continuer le
parachèvement de l’application des conditions d’attribution des délais de grâce devant le Juge. Pour
la CCJA, si la mise en balance de la situation impécunieuse du débiteur et des besoins du créancier
peut déterminer le juge à octroyer des délais de grâce, cette condition n’est pas suffisante. Il faudrait
en plus que le débiteur soit de bonne foi. Il s’agit d’un arrêt très important comme nous le verrons
dans la suite de ce commentaire puisque, si la CCJA a déjà eu l’occasion de statuer sur l’exigence de
pondération des intérêts des parties, elle ne s’était pas étendue sur la condition liée à la bonne foi. La
CCJA réitère la nécessaire mise en balance de la situation du débiteur et des intérêts du créancier (I)
tout en insistant davantage sur l’exigence de bonne foi du débiteur (II) comme conditions de
l’attribution du délai de grâce.

I. La mise en balance de la situation du débiteur et des intérêts du créancier

Pour exercer sa faculté d’accorder des délais de grâce, le juge doit d’abord procéder à la pondération
de la situation du débiteur et des intérêts du créancier.
Le juge vérifiera si le débiteur est malheureux, c’est-à-dire s’il éprouve des difficultés économiques
intrinsèques (TGI Ouagadougou, no 027, 29-1-2003 : B.A. c./ BUMIGEB, Ohadata J-04-335) ou
extrinsèques comme des faibles revenus imputables à un environnement national de crise
généralisé, et ayant des répercussions sur sa capacité à faire face à ses obligations (TPI Daloa, n o 26,
du 7-9-2005: la Coopérative COPAVA c./ Sté ZAMACOM; Le Juris-Ohada n o 4/2006, p.33, Ohadata J-
07-31). Il en est de même de celui qui est dans l’incapacité de faire face à ses engagements dans le
délai de 48 heures qui lui est imparti (TPI Dschang, ord. réf. n o 08/ORD, 13-11-2003 : T. G. c/
Compagnie financière de l’estuaire, Société Coopérative d’Épargne et de Crédit représentée par son
agence de Dschang, Ohadata J-05-108), ou encore qui éprouve des difficultés consécutives à la
liquidation judiciaire de son entreprise (TPI Lomé, ch, civ. & com., n o 2915/09, du 6-9-2009: K. A. c./
A.-F. V., obs. Issa-Sayegh, Ohadata J-11-07).

A contrario, le juge refusera d’accorder des délais de grâce si le débiteur ne rapporte pas de
justification, ni de preuve à l’appui de sa demande (CCJA, n o25, du 15-7-2004 suscité; CA
Ougadougou, Ch. Com., no 139, du 19-10-2007: Fadoul technibois c./ SONABHY, Ohadata J-10-220;
TPI Bafoussam no 84/Civ., du 16-06-2006: S.C.B. c./ First Trust Savings and Loan, Ohadata J-07-61), ou
s’il n’apporte aucun élément de nature a étayer la “morosité du climat des affaires” qu’il invoque à
l’appui de sa prétention ( TGI de la Mifi (Cameroun), n o 17/Civ., du 18-5-2010: BICEC c./ Ets. T.J.P.,
Ohadata J-12-10; TGI Bobo-Dioulasso, Ord. réf. n o 62, du 16-5-2003: S.H. c./ D.S.M., Ohadata J-04-
153).

Après avoir vérifié qu’il est susceptible d’accorder les délais de grâce au débiteur au vu de sa
situation, le juge doit se rassurer, par des éléments probants, qu’une telle décision ne sera pas de
nature à mettre le créancier dans une situation difficile ou à le ruiner. Ainsi, selon la CCJA, viole l’art.
39 de l’AUPSRVE, la Cour d’appel qui accorde les délais de grâce sans faire état, ni tenir compte de la
situation de la créancière, se limitant à indiquer que c’est pour permettre à celle-ci de percevoir
régulièrement sa créance qu’elle réduit le montant mensuel. De surcroit, l’échelonnement des
paiements qui était proposé en l’espèce allait au-delà de la limite d’un an imposée par l’Acte
uniforme (CCJA, no 35, du 2-6-2005: K.M. c./ 1 o/ Sté HYJAZY SAMIH et HASSAN dite INDUSCHIMIE; 2 o/
SOCIÉTÉ GÉNÉRLE de BANQUES en CÔTE D’IVOIRE dite SGBCI, Rec. De jur. de la CCJA, n o 5, jan.-juin
2005, vol. 2, p. 52; Le Juris-Ohada, n o 4/2005, juil.-sept. 2005, p. 8; Ohadata J-06-14; voir le
commentaire de Sylvain Sorel KUATÉ TAMEGHÉ dans Paul-Gérard POUGOUÉ et Sylvain Sorel KUATE
TAMEGHE (dir.), Les grandes décisions de la cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA, Paris,
L’Harmattan, 2010, p. 569). Dans le même sens, une Cour d’appel a censuré une décision attribuant
les délais de grâce compte tenu de l’état de santé du débiteur et de sa situation de retraité, sans faire
référence aux besoins du créancier disposant d’un titre exécutoire (CA Abidjan, no 920, du 28-10-
2005: SOCIÉTÉ HESNAULT France SA c./ D.S., Ohadata J-09-195). Partant, un délai de 6 mois a été
accordé, sur aval exprès du créancier, laissant ainsi constater par un tribunal que les besoins du
créancier n’étaient pas urgents et énormes (TPI Mbouda (Cameroun), Ord. réf. n o 07, du 7-9-2004:
Sté CAPLABAM c./ T.M., Me D.R.L., Ohadata J-07-54).

Ainsi, la pondération de la situation du débiteur et des intérêts du créancier invite le juge à ne faire
jouer la clémence au profit du premier qu’autant que les intérêts du second ne sont pas mis en péril.
De sorte que si les deux sont en situation de précarité, “le débiteur devrait être sacrifié” (S. S. KUATÉ
TAMEGHÉ, Les grandes décisions…, op.cit., p. 573). Dans le cas d’espèce, le débiteur rapporte au
soutien de sa demande d’une part, sa situation financière difficile, et d’autre part, les bénéfices
excédentaires réalisés par le créancier. Ce faisant, l’opération de mise en balance effectuée par les
juges semble ne pas s’opposer à l’octroi des délais de grâce et l’arrêt ne s’y étend pas outre mesure.
Elle n’appelle pas non plus de commentaire particulier, si ce n’est de dire que cette exigence de
considération de la situation des deux parties est bien celle de l’art. 39 al. 2 suscité.

Cependant outre la vérification de cette exigence légale, les juridictions s’attardent sur l’exigence de
bonne foi du débiteur. Partant, l’arrêt de la CCJA en commentaire insiste sur le fait qu’il ne suffit pas,
pour accorder des délais de grâce, que le débiteur soit dans une situation d’impécuniosité avérée et
que les intérêts du créancier ne s’y opposent pas. Il faut en sus que le premier soit de bonne foi.

II. La vérification de la bonne foi du débiteur

L’analyse des tendances jurisprudentielles en matière des délais de grâce révèle une application
restrictive de la bonne foi. Elle consiste en la preuve d’actes positifs, de la part du débiteur, marquant
sa volonté malgré ses difficultés, de s’acquitter de sa dette. C’est le cas d’un débiteur qui a effectué
en trois mois, des versements de 6 700 000 Fcfa ramenant le solde de sa créance à 9 616 484 Fcfa, en
plus du fait que l’échelonnement de la dette ne compromettait pas la situation du créancier ( TPI
Cotonou, 1ère civ., Ord. réf. no 66/03, du 17-7-2003: Sté E.C.A. c./ ECOBANK BÉNIN- SA, Ohadata J-10-
11). Il en est de même de celui qui s’est acquitté de la moitié de la créance restant due ( CA Abidjan,
no 127, du 16-2-2007: SOGEPIE c./ K.K.G., Ohadata J-09-187) ou d’un débiteur qui a proposé un
règlement partiel de 700 000 Fcfa sur une dette totale de 2 600 000 Fcfa, face à un créancier qui
refusait de lui accorder un moratoire amiable et dont les intérêts ne s’y opposaient pas ( TPI
Cotonou, 1ère civ., Ord. réf. no 115/02-ICCIV, RG no 55/02, du 6-6-2002: A.A. c./ A.K., Ohadata J-10-10).
Est également de bonne foi le débiteur de dommages et intérêts pour licenciements abusifs qui
reconnaît sa dette, et que le refus d’échelonner la dette exposerait à une cessation de paiement ( TPI
Cotonou, 1ère civ., Ord. réf. no 214, du 7-11-2002: Sté FAGHOHOUN et Fils c./ A.N. et 3 autres,
Ohadata J-05-307).
La mauvaise foi s’interprète quant à elle par un faisceau d’actes positifs et négatifs. En l’espèce, pour
retenir l’absence de bonne foi, le juge rappelle d’une part l’ancienneté de la dette en cause qui
remonte à plus de 10 ans. Un tel argument a également été retenu dans des affaires dans lesquelles
la dette était vieille de 17 ans (TGI de la Mifi (Cameroun), n o 20/Civ., du 1er -6-2010: K.D. c./ T.S.,
Y.M.G., Ohadata J-12-11), de 16 ans (TGI de la Mifi (Cameroun), n o 34/Civ., du 17-1-2006: M.J. c./
S.A., Ohadata J-12-09), ou encore de 15 ans (CA Niamey, n o 98, du 17-4-2006: Y.M. c./ Banque
Commerciale du Niger, Ohadata J-10-229 ) et dans lesquelles malgré des délais librement fixés, le
débiteur n’avait pas tenu les engagements pris pour s’en acquitter. D’autre part, la CCJA relève dans
l’affaire qui retient notre attention que le débiteur n’a fait aucune offre au créancier pour s’acquitter
de sa dette ou pour en obtenir un aménagement.

L’arrêt de la CCJA vient donc consolider l’exigence de bonne foi qui est certes constante dans la
jurisprudence des juridictions nationales, mais qui ne ressort pas expressément de la lettre de l’art.
39 de l’AUPSRVE. Il faut saluer cette construction prétorienne qui fait du droit OHADA un droit
vivant. Elle participe ainsi de la préservation de l’équilibre des parties à l’exécution forcée, en veillant
à ce que le débiteur n’use pas de manœuvres soit pour faire croire à sa situation financière difficile,
soit pour se soustraire de ses obligations ou de fragiliser, voire ruiner les intérêts du créancier. Les
juridictions nationales refusent de ce fait d’accorder des délais à un débiteur qui a posé des actes
frauduleux visant à en retarder le paiement de sa dette ou à s’y soustraire (TPI Lomé, Ch. civ. & Com.,
du 4-6-2010: G.Y.P. et A.K.F c./ A.A., Ohadata J-11-110; CA Ouagadougou, Ch. com., n o 01, du 6-2-
2009: BOA-BF c./ Sté Eau de Roche, Ohadata J-12-165) ou à en minorer le montant( TPI 1 ère classe,
Lomé, Ch. Civ. & Com., no 1958/09, du 3-7-2009: R.W. c./ N.A.A., Ohadata J-11-16).

Le présent arrêt vient alors consolider une exigence jurisprudentielle pertinente et opportune.
Toutefois, au regard de la valeur pédagogique des arrêts de la CCJA, et même si l’attribution des
délais de grâce relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et du juge de l’art. 49 de
l’AUPSRVE (CA Bouaké, ch. civ. & com., n o 117, du 18-7-2001: B. C./ B et J., Ohadata J-03-200; CA
Bouaké, ch. civ. & com., no 89, du 13-6-2001: M.K.C. c./ CFAO- CI., Le Juris-Ohada, CNDJ, n o 2/2002,
avr.-juin 2002, p.46, Ohadata J-02-104) , on aurait souhaité que l’arrêt commenté soit moins avare en
motivation pour caractériser la mauvaise foi du débiteur (pour l’obligation de motivation des juges
du fond malgré leur pouvoir souverain dans l’application de l’art. 39 de l’AUPSRVE, voir S.S. KUATÉ
TAMEGHÉ, dans Les grandes décisions…, op.cit., p.574) . Il retient d’une part la durée de la dette qui
remonte à 10 ans, sans préciser depuis combien de temps elle était échue. Il n’indique pas non plus
si, pendant cette durée, le débiteur a été en situation de payer, au moins en partie sa créance, et s’en
est pourtant dérobé. Ou encore si le créancier lui a proposé des mesures qui n’ont pas été suivies. Ou
mieux encore, si le débiteur a fait usage de manœuvres dans le but de se dérober de sa dette. À titre
indicatif, le juge aurait pu utilement motiver sa décision en se basant sur les éléments de procédures.
Ces derniers révèlent que le débiteur a fait opposition à l’injonction de payer du président du TPI
d’Abidjan. L’arrêt ne précise cependant pas si cette opposition visait à contester en totalité ou en
partie le montant de l’ordonnance d’injonction de payer, encore moins si le tribunal a, ou non
confirmé le montant réclamé. Cette précision aurait permis d’apporter un élément supplémentaire
de nature à montrer que le débiteur reconnaissait ou non en tout ou partie sa créance, et par
ricochet était de bonne ou de mauvaise foi. En effet, il est de principe constant de présumer la bonne
foi. Partant, les décisions de refus des délais de grâce devraient être motivées par des éléments
portant à convaincre que le débiteur n’a pas fourni d’effort sérieux pour s’acquitter de sa créance. En
limitant leur analyse à l’absence de proposition d’aménagement ou à la durée de la dette, les juges
ne caractérisent pas à suffisance la mauvaise foi du débiteur. Sans cet effort de motivation, le risque
est de retomber dans la conception passéiste des voies d’exécution dans laquelle le débiteur était
présumé de mauvaise foi.

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