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Ohadata D-08-14

DE LA SUSPENSION DES POURSUITES INDIVIDUELLES DANS LA


PROCEDURE DE REGLEMENT PREVENTIF DE L’OHADA : le sort de
la caution
(Notes à propos de l’Ordonnance N° 135/08 du 06 mars 2008 portant suspension des
poursuites individuelles, rendu par le Président du Tribunal de Commerce de Bamako)

Me Bérenger Yves MEUKE


Docteur en droit des affaires
Avocat au Barreau de Lyon

Le règlement préventif, tel qu’il est prévu à l’article 2 de l’Acte Uniforme de


l’OHADA, relatif aux Procédures Collectives, est une procédure destinée à
éviter la cessation des paiements ou la cessation d’activité d’une entreprise et
à permettre l’apurement de son passif au moyen d’un concordat préventif.

Cette procédure qui a été largement influencée par le droit français des
entreprises en difficulté pourrait être rapprochée de la procédure de
sauvegarde du droit français issue de la dernière réforme de 2005, en ce
qu’elles tendent aux mêmes fins.

Le législateur de l’OHADA a, donc dans cette perspective, donné au Président


de la juridiction concernée, un pouvoir lui permettant d’éviter la cessation des
paiements du débiteur et de favoriser l’apurement de son passif.

Ce pouvoir consiste en la possibilité pour le Président de la juridiction


concernée, d’ordonner la suspension des poursuites individuelles dès
l’ouverture du règlement préventif tel qu’il ressort de l’article 8 de l’Acte
Uniforme précité.

Une telle décision s’accompagne nécessairement de conséquences directes sur


la situation de l’entreprise qui a demandé le bénéfice de la procédure (le
débiteur principal), des créanciers et des cautions.

Sur la situation de l’entreprise en difficulté et des créanciers, cette décision


suspend durant toute la procédure, l’ensemble des poursuites individuelles
tendant à obtenir le paiement des créances spécifiquement désignées par le
débiteur principal et nées antérieurement à la décision prononçant cette
suspension.

Si la situation du débiteur principal et des créanciers ne semble pas poser de


difficultés, demeure le sort de la caution.

La caution peut-elle, en sa qualité, bénéficier des effets de la suspension


des poursuites individuelles ordonnée en faveur du débiteur ?

Au regard des dispositions de l’article 5 de l’Acte Uniforme précité, il est dit


que seul le débiteur principal peut solliciter de la juridiction compétente,
l’ouverture à son profit d’un règlement préventif.

1
Il en découle que la suspension des poursuites ordonnée, ne bénéficie qu’au
débiteur principal, la caution ne pouvant nullement s’en prévaloir.

Par conséquent, rien n’empêche que la caution soit immédiatement poursuivie


pour l’ensemble de la créance, nonobstant la suspension des poursuites
individuelles.

Curieusement, une ordonnance portant suspension des poursuites


individuelles rendue en date du 6 mars 2008 par le Président du Tribunal de
Commerce de Bamako indique que : la « suspension concerne aussi bien les
voies d’exécution, les mesures conservatoires que l’exécution, la mise en œuvre
et la réalisation de toutes les garanties consenties au profit … (du débiteur
principal) »

Dans une telle situation, dès avant la formation du concordat préventif,


aucune garantie apportée par la caution ne peut être réalisée pour assurer le
remboursement des crédits octroyés au débiteur principal.

En l’espèce, une banque avait octroyé des crédits à une société pour lui
permettre de faire face à ses activités. L’ensemble de ces crédits avait été
garantie par l’un des dirigeants de la société qui s’était porté caution et avait
donné en hypothèque plusieurs de ses biens immobiliers.

Traversant une situation financière difficile et craignant une cessation des


paiements, cette société a demandé au Président du Tribunal de Commerce de
Bamako, le bénéfice d’une suspension des poursuites individuelles devant
permettre la mise en place d’un concordat préventif.

Le Président de la juridiction concerné a fait droit à cette demande.

Cependant, il a étendu par la même occasion sa décision suspendant les


poursuites individuelles à l’exécution, la mise en œuvre et la réalisation de
toutes les garanties consenties au profit de la société en difficulté.

En décidant ainsi, le Président de la juridiction concernée protège la caution


en lui permettant de bénéficier (hors tout support juridique) de l’ordonnance
de suspension des poursuites individuelles.

Il nous semble important de rappeler que, s’il est impératif d’éviter la cessation
des paiements du débiteur principal et de permettre l’apurement de son passif,
toutes décisions qui viendraient à remettre en cause le fondement des
garanties et la protection qu’offre les sûretés, ne pourraient être que source
d’insécurité juridique dans un contexte africain déjà largement décrié par les
investisseurs et les opérateurs économiques.

Le Président de la juridiction concernée a cru pouvoir, au nom de la


sauvegarde et du renflouement de l’entreprise en difficulté, faire échapper la
caution de ses obligations, mais c’était sans compter avec la procédure de
l’appel nullité.

2
En effet, même si d’après les dispositions de l’article 22 de l’Acte Uniforme
précité, la décision de suspension des poursuites individuelles, prise par le
Président du Tribunal de Commerce de Bamako n’est susceptible d’aucune
voie de recours, une jurisprudence française constante et bien établie permet
de faire un appel nullité pour suppléer le caractère limitatif des voies de
recours prévues par la loi1.

En interdisant ainsi l’exécution, la mise en œuvre et la réalisation de toutes les


garanties consenties au profit du débiteur principal, le Président du Tribunal
de Commerce de Bamako a largement outrepassé ses attributions telles
qu’elles ressortent des articles 5, 6, 7, 8 et 9 de l’Acte Uniforme de l’OHADA,
relatif aux Procédures Collectives.

Les dispositions de l’article 22 n’excluraient donc pas le jeu de l’appel nullité


selon le droit processuel en cas d’excès de pouvoir du Président de la
juridiction compétente.

D’ailleurs, il y a lieu de préciser que les dispositions de l’alinéa 3 de l’article


18 de l’Acte Uniforme précité excluent expressément la caution du débiteur,
du bénéfice du concordat préventif en ces termes, « les cautions et coobligés du
débiteur ne peuvent se prévaloir des délais et remises du concordat préventif ».

Le législateur de l’OHADA n’a jamais voulu faire bénéficier à la caution les


mesures destinées au renflouement du débiteur principal.

Il faut alors comprendre que dans l’hypothèse d’une procédure d’exécution


forcée, la caution n’a pas la possibilité d’évoquer les avantages consentis au
débiteur principal par les créanciers dans le cadre du concordat préventif.

La suspension des poursuites individuelles dans le règlement préventif de


l’OHADA devrait donc être sans effet sur la situation de la caution personnelle
du débiteur principal, sauf à ce que, comme en l’espèce, le Président de la
juridiction compétente étende la décision de suspension des poursuites à la
réalisation de toutes les garanties consenties au profit du débiteur principal.

Banquiers et autres organismes prêteurs, prenez garde lors de l’octroi de


crédit aux entreprises, car désormais, il vous sera impossible de réaliser votre
garantie en cas de règlement préventif même avec une caution personnelle du
dirigeant social.

En revanche, un appel nullité serait toujours envisageable.

Dans de telles conditions, on est néanmoins en droit de se poser la question


de savoir si les sûretés protègent encore les intérêts des créanciers.

1
Vr Cass. Com 12 mai 1992 ; Dalloz 1992, Jur. P 345 note G. BOLARD / Cass. Com, 2 mai 2001 ; Bull n° 83, N° 98-
11-329 / Cass. Com, 27 mai 2003, n° 891 FS-P
Vr aussi P. CAGNOLI, « Essai d’analyse processuelle du droit des entreprises en difficulté » ; LGDJ 2002, n° 501
et suivants.

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