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Rupture du contrat d’un footballeur

professionnel : le rappel de la hiérarchie des


normes au détriment du club
Commentaire de l’arrêt : Chambre Sociale du 29 Novembre 2023
La Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 29 novembre 2023, n°21-19.282, FS-B
) vient de rendre une décision des plus intéressantes dans le domaine de la cessation du contrat
de travail conclu entre un club de football et ses joueurs professionnels. Le contenu de la solution
posée par cette décision pourrait à première vue sembler évident, mais derrière cette apparente
simplicité se cache de redoutables conséquences pour les employeurs de joueurs
professionnels.
En l’espèce, le club de football de Valenciennes avait engagé un joueur professionnel en 2006 au
terme d’un contrat à durée déterminée, renouvelé plusieurs fois. En 2014, le club fut relégué en
Ligue 2. Il décidait alors de faire application des dispositions de la Charte du football
professionnel, et notamment l’article 761 qui permet à l’employeur de proposer à son salarié une
diminution de sa rémunération.
Le Club proposa au joueur une diminution de sa rémunération brute de 50 %, proposition qui fut
refusée, mais qui donna lieu à une contreproposition portant sur une baisse de rémunération de
20 %. Le club prit acte de la décision du joueur et lui notifia la fin de leur relation contractuelle. Le
joueur saisissait les juridictions prud’homales, sans saisir au préalable la Commission juridique
de la Ligue de football professionnel, instituée organe de traitement amiable de certains
différends par l’article 271 de la Charte du football professionnel.
La Cour d’appel de Douai lui donna raison : elle considéra la rupture du contrat de travail non
fondée et condamna le club au paiement d’une somme à titre de dommages-intérêts pour rupture
contractuelle abusive.
Deux questions occupaient alors la Cour de cassation, soulevées par le club dans son pourvoi.
La première, d’ordre procédural, critiquait la recevabilité de l’action intentée par le joueur, avant
même d’avoir saisi la Commission juridique de la Ligue de football professionnel.
La seconde, d’ordre substantiel, visait à faire primer la Charte du football professionnel – qui
fondait la diminution de la rémunération du joueur – sur l’article L. 1243-1 du Code du travail – qui
rappelle qu’un contrat à durée déterminée ne peut être rompu avant son terme qu’en cas de faute
grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, toutes choses
manifestement absentes des faits de l’espèce.
La Cour de cassation rejeta le pourvoi du club tant sur le premier que sur le second moyen qu’il
soulevait.
En premier lieu, et s’agissant de la conciliation qu’auraient dû conduire les parties, à l’initiative du
joueur, avant la saisine du conseil des prud’hommes.
La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir relevé que le contrat avait déjà pris fin au
jour de l’introduction de l’action du joueur. Et pour cause, le club l’avait déjà licencié. Surtout, la
lecture de l’arrêt d’appel révèle qu’en l’espèce, par jugement du 21 novembre 2017, la juridiction
prud’homale avait sursis à statuer dans l’attente d’une tentative de conciliation devant la
Commission juridique de la ligue de football professionnel. Celle-ci avait donc bien été saisie,
mais postérieurement à l’introduction de l’action prud’homale. Quelques mois plus tard, la
Commission juridique de la ligue de football professionnel avait dit que la procédure de
conciliation préalable prévue par les articles 51 et 265 de la Charte du football professionnel ne
pouvait être appliquée au litige, le contrat de travail ayant cessé de produire ses effets le 30 juin
2014.
En outre, la Cour de cassation rappelle que les dispositions de l’article 271 de la Charte du
football professionnel, qui prévoient que tous les litiges entre clubs et joueurs, notamment ceux
relatifs à la durée et aux obligations réciproques qui découlent du contrat, sont de la compétence
de la commission juridique de la Ligue de football professionnel, n’instituent pas une procédure
de conciliation. Celle-ci n’avait donc pas à être menée antérieurement à l’introduction de l’action
prud’homale.
La Cour de cassation déblaie ainsi un potentiel obstacle procédural qui aurait pu se dresser
devant un joueur licencié.
En second lieu, et s’agissant de l’articulation qu’il convenait de retenir entre la Charte et le Code
du travail, la Cour de cassation devait examiner l’argument soulevé par le club, qui visait à faire
admettre que l’article 761 de la Charte instituait une « cause autonome » de rupture du contrat de
travail, qui s’ajoutait à celles prévues à l’article L. 1243-1 du Code du travail. L’argument était
particulièrement astucieux en ce qu’il tentait de faire juger que l’article 1243-1 n’était qu’une règle
de droit commun, à portée générale, tandis que l’article 761 était une règle spéciale complétant la
précédente. Loin d’un conflit de normes, le club entendait les faire jouer de concert.
La Cour de cassation ne l’entendit cependant pas de cette oreille et jugea que, sauf disposition
légale contraire, une convention collective ne peut permettre à un employeur de procéder à la
modification du contrat de travail sans recueillir l’accord exprès du salarié.
Dès lors, et en vertu « des dispositions d’ordre public de l’article L. 1243-1 du Code du travail,
auxquelles ni la charte du football professionnel, qui a valeur de convention collective sectorielle,
ni le contrat de travail ne peuvent déroger dans un sens défavorable au salarié », le contrat de
travail à durée déterminée ne peut être rompu que pour les causes prévues à l’article 1243-1.
La solution est techniquement justifiée, et ce à double titre.
D’abord, au regard de l’adage « la règle spéciale déroge à la règle générale ». Cette formule,
faut-il le rappeler, ne fait pas primer en toute circonstance la règle spéciale sur la règle générale.
Elle n’est qu’une règle d’interprétation à la disposition du juge, qui lui permet de choisir quelle
norme appliquer à une même situation relevant possiblement de plusieurs normes. Il s’agit donc
d’une règle de résolution des conflits de normes. Bien souvent, les plaideurs invoquent la règle
générale en plus de la règle spéciale, lorsque les deux normes poursuivent le même but (i.e : en
matière de lutte contre les déséquilibres significatifs, encore que la jurisprudence de la Cour de
cassation ferme désormais cette voie : Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782). Il y avait de cela dans
le pourvoi formé par le club : l’article 1243-1 et l’article 761, règle générale d’un côté, règle
spéciale de l’autre, peuvent jouer de concert, car elles tendent au même but : règlementer les
causes de rupture du contrat de travail à durée déterminée. Mais c’était occulter la contradiction
qui traverse ces textes : la dérogation de la règle spéciale n’est valable que si elle est possible, et
la Cour nous rappelle qu’il est exclu de déroger à une règle impérative.
C’est ce sur quoi nous souhaiterions, ensuite, insister. L’article L. 2251-1 du Code du travail est
porteur d’une règle cardinale en droit du travail : « une convention ou un accord peut comporter
des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne
peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public ». Autrement dit, il
existe en théorie du droit comme en droit du travail une hiérarchie des normes.
L’article 761 de la Charte, en ce qu’il institue une cause de rupture non prévue par l’article 1243-1
du Code du travail, texte impératif, en constitue une dérogation illicite au regard de la hiérarchie
précitée. Loin d’un concert de normes, la Cour relève un conflit de normes devant se régler au
profit de la puissante d’entre elles, celle issue du Code du travail.
Fondée techniquement, la solution n’en est pas moins redoutable pour la pratique des clubs de
football fondant la cessation de leurs relations de travail sur l’article 761 de la Charte.
Virtuellement, cet article est nul ou, à tout le moins, inefficace lorsqu’il est opposé à un joueur
licencié et expose même les clubs employeurs à un risque financier majeur en cas de rupture
anticipée qui serait jugée illicite.

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