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AVANT-PROPOS
Le cours d’histoire des institutions coloniales est une invite faite à l’étudiant de
comprendre de l’intérieur une histoire imposée, vécue et finalement intégrée par les
Africains à leur histoire.
1Guy Cangah et Simon-Pierre Ekanza, La Côte d’Ivoire par les textes. De l’aube de la colonisation à nos jours, Abidjan,
NEA, 1978, p. 13
2
INTRODUCTION GENERALE
En ce qui concerne les nations européennes, le modèle de colonisation est Rome, qui a
soumis les Barbares et a apporté au monde ses lois, son système administratif et ses progrès
technologiques. Cicéron s’était employé à expliquer pourquoi il était juste que les Romains
gouvernent les « Barbares », c’est-à-dire tous les peuples qui n’étaient pas romains : c’était
pour leur bien. Le monde était divisé, disait le philosophe, entre ceux dont la nature est de
commander et ceux dont la nature est d’être voués à la servitude. Rome était le centre de
la civilisation et il était de son devoir d’exporter cette civilisation. Rome avait la capacité
de civiliser les peuples barbares et de les réformer.
2 Simon-Pierre EKANZA, l’Afrique au temps des Blancs (1880-1935), Abidjan, CERAP, 2005, p. 12.
3 Saint-Just inclut dans son Essai de Constitution pour la France l’article stipulant que « le peuple français vote la liberté
du monde ».
4 Bancel (N.), la République coloniale
3
Deux problématiques vont être à l’origine de l’établissement des règles du jeu de la
colonisation des « derniers espaces vierges ». Il s’agit de la question du contrôle du fleuve
Congo et de celle du droit de conquête d’une structure privée :
- Au début des années 1880, le Congo est au cœur de vives tensions entre la France,
le Portugal, l’Allemagne et l’Angleterre. La course aux derniers « espaces vierges » est
lancée. En 1884, le Portugal et l’Angleterre – qui craignent la poussée de la France vers le
Congo – signent un traité stipulant l’attribution au Portugal des deux rives du Congo
jusqu’à Noki. Cet accord déclenche de violentes réactions – hollandaises, françaises,
allemandes – centrées sur la promotion de la « liberté du commerce » mise en péril par le
contrôle portugais des rives du fleuve.
Ces règles et tout le jeu colonial, alors qu’ils instituent, par voie de conséquence, des
relations inégalitaires, contaminent la démocratie et entrainent mépris et abus, le racisme
comme force idéologique ; alors qu’ils trahissent profondément le principe fondateur de
l’universalisme des Lumières, l’égalité des hommes, car ils instituent, de fait, une
exception à ce principe, grâce à l’idéologie de la « mission civilisatrice », permettent aux
colonisateurs d’enfouir toute « mauvaise conscience ».
Ce système nouveau, tel que défini, va évoluer en trois grandes phases dans l’espace qui
nous intéresse ici, l’Afrique occidentale française :
4
- la phase de l’installation et de l’exploitation coloniale. Cette phase marque le
bouleversement profond du monde par l’installation des grandes puissances occidentales
en Amérique, en Afrique et en Asie, - et aussi la création d’un ordre mondial nouveau
fondé sur l’inégalité des races et des cultures - .
Et comme dans toutes les sociétés humaines, les institutions ne peuvent être
parfaitement compréhensibles que si on les ramène aux logiques qui les produisent et les
sous-tendent dans le temps et dans l’espace, nous allons dans la présente étude dont
l’objectif n’est pas de faire le procès en sorcellerie de la colonisation, mais simplement nous
attacher à exposer et à examiner les nouvelles institutions. Mais non sans avoir
préalablement dit ce que nous entendons par « institutions coloniales ». L’expression
« institutions coloniales », en suivant le professeur Légré OKOU, peut se définir à la fois
négativement et positivement. Négativement, il s’agit de préciser ce que ne sont pas les
institutions coloniales. Positivement, il est question d’indiquer leur objet spécifique.
Quant aux institutions postcoloniales, elles en constituent certes dans leur finalité
politique la négation mais en reproduisent dans certains de leurs aspects théoriques et
pratiques les principes fondamentaux. Il s’opère donc entre les institutions coloniales et
postcoloniales, à la fois, une rupture idéologique et dans une certaine mesure, une continuité
pratique.
6 Légré Okou, Cour d’Histoire des institutions coloniales, 2ème année 2009-2010, UFR SJAP, UCA.
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1ERE PARTIE : LES INSTITUTIONS DE LA PERIODE DE L’EXPLORATION
ET DE LA CONQUETE COLONIALES
Les populations africaines ont d’abord été pensées (titre 1.) avant que des missions
d’exploration prennent contact avec elles ; puis, celles-ci cèdent la place à des colonnes
militaires qui, de façon violente ont engendré le dépérissement des valeurs traditionnelles
négro-africaines (titre 2.).
Pour VOLTAIRE, « la race des nègres est une espèce d’hommes différente de la
nôtre, comme la race des épagneuls l’est lévriers (…) (Essai sur les Mœurs, œuvres
complètes, 1785-1789). C’est par là que les nègres sont les esclaves des autres hommes »
(8)Il mettait sur un pied d’égalité les singes, les éléphants et les Noirs dans son Traité de
Métaphysique
Quant à LESCARBOT s’appuyant sur Luc 19 verset 21, il invoque la parabole des
talents dont la colonisation serait le champ d’expression privilégiée.
Il assigne à la colonisation quatre objectifs :
- transférer le surplus de la population ;
- préoccuper les forces contestataires, les humeurs belliqueuses pour les contenir
hors de l’hexagone ;
- l’expansion de la foi chrétienne ;
- et la réalisation des profits économiques (9).
7 Pource paragraphe, voir LEGRE (O. H.), Histoire des institutions coloniales du XVIIIème siècle aux Indépendances,
Cours de 2ème Année de Licence, UFR SJAP, Université de Cocody Abidjan, 2005-2006.
8 Louis Sala MOLINS, Le Code noir ou le calvaire de Canaan, Paris, Puf, 1987, p. 17
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SECTION 2. LES PROMOTEURS DE L’ENGAGEMENT COLONIAL
Autour des hommes politiques, promoteurs de l’engagement colonial, de nombreux
spécialistes posent les bases d’une pensée coloniale oscillant entre politique d’association,
affirmation des principes d’assimilation ou d’adaptabilité aux réalités locales. Parmi les
acteurs de ce débat, on pense bien sûr à Jules Ferry, Joseph Gallieni, Hubert Lyautey,
Georges Clémenceau ou encore Paul Leroy Beaulieu ou Alfred Rambaud. A la veille de la
Grande guerre, de nouveaux auteurs interviennent, comme Jules Harmand ou Maurice
Delafosse. Au cours de l’entre-deux-guerres, une nouvelle génération s’attache à
promouvoir le modèle colonial français, avec des auteurs tels Robert Delavignette, André
Demaison, Albert Sarraut ou Georges Hardy. D’autres s’engagent dans une critique vive
de la colonisation sur les traces de Paul Louis, tels André Gide, Louis Roubaud, Albert
Londres ou encore Andrée Viollis. On entre, après 1945, dans une dernière phase qui
accompagne les décolonisations, caractérisée par d’intenses débats, divisant partisans de la
colonisation, réformistes et opposants – de plus en plus nombreux – au système colonial.
Nous ne les visiterons pas tous. Seuls les premiers nous intéressent dans cette section.
§ 1. Jules Ferry
L’avocat et journaliste Jules François Camille Ferry (1832-1893) est élu député républicain
en 1869. Il est Préfet de la Seine puis maire de Paris en 1870.
Jules Ferry est également celui qui lança la politique coloniale de la France, notamment en
Tunisie et au Tonkin (vietnam).
Reproduisons des extraits de son discours au parlement français du 28 juillet 1885 pour
inviter ses compatriotes à s’engager résolument dans l’aventure coloniale au moyen
d’argumentation fondée sur la définition d’intérêt national, d’intérêt économique et
géographique et d’un sentiment patriotique.
« Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les
races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ... Je répète qu’il y a pour les
races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de
civiliser les races inférieures... »
7
conduits en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar, je dis que cette politique
d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un
instant votre attention : à savoir qu’une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur
la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement. (" Très bien !
Très bien ! " Nombreux applaudissements à gauche et au centre. ) L’ignorez-vous,
messieurs ? Regardez la carte du monde... et dites-moi si ces étapes de l’Indochine, de
Madagascar , de la Tunisie ne sont pas des étapes nécessaires pour la sécurité de notre
navigation ? (Nouvelles marques d’assentiment à gauche et au centre.)[...]
« Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l’écart de toutes
les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure toute
expansion vers l’Afrique ou vers l’Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation,
croyez-le bien, c’est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire ;
c’est descendre du premier rang au troisième et au quatrième.
§ 2. Le parti colonial10.
La progression des idées colonialistes au sein des parlementaires est portée : par la
constitution d’un réel parti colonial, matière grise du discours colonialiste représentant une
catégorie sociale identifiable ; Le « parti colonial » ou le façonneur d’idéologie. C’est « un
comité de notables dirigé par des parlementaires et s’efforçant d’exercer une action
politique. Mais ce parti était original en ce qu’il recrutait dans toutes les familles de pensée
et qu’il n’avait pas d’ambitions électorales. »
10 NENE BI S., Le droit applicable à la colonie de Côte d’Ivoire, RJPEF n°1 Janvier-mars 2007
11L'action politique de Gambetta a été relativement courte. Gambetta osa rompre avec la politique de recueillement,
souhaitant que la France vaincue mais non ruinée puisse reprendre son rang dans le monde. Il fallait selon lui "sortir du
rond autour de la question d'Alsace-Lorraine". Il mit son influence et son prestige au service de l'action coloniale.
8
Bien peu de voix s’élèvent pour condamner les travers et les horreurs de la
colonisation.
§ 3. Les anticolonialistes
Pour eux, l’expansion coloniale d’outre-mer exigeait des frais considérables et n’ouvrait
pour l’avenir aucune perspective réelle de profit. Et puis pour faire face à ces dépenses
considérables, l’Etat sera fatalement conduit à aggraver la fiscalité. Ainsi, lors du débat à la
chambre en juillet 1885, Georges CLEMENCEAU souligna le coût élevé de l’aventure
coloniale en parlant des centaines de millions » à dépenser et des « milliers de Français »
qui y trouveraient la mort. Le député Frédéric PASSY, siégeant à Gauche de la Chambre,
critiqua ces « aventureuses, coûteuses et stériles expéditions ». Il en va de même de Camille
Pelletan qui se permis de railler cette civilisation «qu’on impose à coup de canons» et la
considérait comme une autre forme de barbarie: «Est-ce que ces populations de races
inférieures n’ont pas autant de droit que nous? Est-ce qu’elles ne sont pas maîtresses chez
elles? Est-ce qu’elles vous appellent? Vous allez chez elle contre leur gré, vous les violentez,
mais vous ne les civilisez pas.»
Pour clore ce paragraphe, reprenons à grands traits ce que répondit Clémenceau le
30 juillet 1885 devant le parlement à J. Ferry : « Les races supérieures ont sur les races
inférieures un droit qu'elles exercent et ce droit, par une transformation particulière, est en
même temps un devoir de civilisation. Voilà, en propres termes, la thèse de M. Ferry et l'on
voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant
guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races
supérieures ! Races inférieures ! C'est bientôt dit. Pour ma part, j'en rabats singulièrement
depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait
être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d'une race
inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me
retourner vers un homme et vers une civilisation et de prononcer : homme ou civilisation
inférieure ! […]
« Je ne veux pas juger au fond la thèse qui a été apportée ici et qui n’est autre chose que
la proclamation de la puissance de la force sur le Droit. L’histoire de France depuis la
Révolution est une vivante protestation contre cette unique prétention. C’est le génie
même de la race française que d’avoir généralisé la théorie du droit et de la justice, d’avoir
compris que le problème de la civilisation était d’éliminer la violence des rapports des
hommes entre eux dans une même société et de tendre à éliminer la violence, pour un
avenir que nous ne connaissons pas, des rapports des nations entre elles. [...] Regardez
l’histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence,
tous les crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé
par le vainqueur ! Voilà l’histoire de votre civilisation ! [...] Combien de crimes atroces,
effroyables ont été commis au nom de la justice et de la civilisation. Je ne dis rien des vices
que l’Européen apporte avec lui : de l’alcool, de l’opium qu’il répand, qu’il impose s’il lui
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plaît. Et c’est un pareil système que vous essayez de justifier en France dans la patrie des
droits de l’homme !
Je ne comprends pas que nous n’ayons pas été unanimes ici à nous lever d’un seul
bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il n’y a pas de droit des nations
dites supérieures contre les nations inférieures. Il y a la lutte pour la vie qui est une
nécessité fatale, qu’à mesure que nous nous élevons dans la civilisation nous devons
contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n’essayons pas de revêtir la violence
du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous
préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur
les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la
force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la
négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence, l’hypocrisie. »13
10
Diffuser la civilisation est la raison la plus volontiers avancée pour justifier l’expansion
coloniale. Mais nous traiterons de la mission civilisatrice sans aborder ses figures
rhétoriques.
15Idem, p 96
16 BERENGER FERNAND (LJB), Les peuplades de la Sénégambie, Paris, Ernest Lecoeur, 1879, pp. 361 et 357.
17M. GOUILLEMIR, Voyage dans l’intérieur du royaume du Dahomey, Paris, ed. Arthur Bertrand, 1862, p. 5
18SAVARESE (E), L’ordre colonial et sa légitimation en France métropolitaine, Oublier l’autre, Paris – Montréal,
L’harmattan, 1990, p 197
11
voient dans le climat tropical la source d’infériorités raciales, qui lisent dans le visage des
indigènes, arriération, propension à la paresse ou au crime.
19 M’BOKOLO (E), Afrique noire, Histoire et Civilisation, Tome 2, Paris, EDICEF, p 272
20 Ibidem
21E. SAVARESE, op. Cit, p.164
22 La guerre Franco – allemande a tourné à l’avantage de l’Allemagne. La France a perdu au cours de cette guerre, deux
12
Section 3. L‘intérêt économique. L’intérêt économique a été et demeure le principal
motif de la colonisation. Pour le colonisateur, la colonie est un pays dont il exploite
certaines ressources utiles et même nécessaire à la métropole, à son enrichissement ou au
maintien de son pouvoir politique.
« La politique coloniale est fille de la politique industrielle » disait Jules Ferry.
Pour échapper à la concurrence de plus en plus vive qui se manifestait entre les
puissances, celles-ci élèvent des barrières douanières.
Les années 1873-1896 qui correspondent précisément à l’accélération impérialiste,
constituent une mauvaise conjoncture économique en Europe, avec une tendance très
nette à la stagnation ou à la baisse des prix et des profits industriels, à une rémunération
moindre des capitaux placés et à « l’étroitisation » relative des marchés intérieurs.
Aussi, à la politique du libre échange que pratiquait l’Europe au milieu du XIX è
siècle, succéda, dans le dernier quart du siècle, sauf en Angleterre et au Pays-Bas, un
retour au protectionnisme. BISMARK fit voter en 1879 un tarif producteur qui frappe des
produits admis naguère en franchise : les céréales, le pétrole, le fer. La France institua de
hauts droits de douanes progressivement de 1873 à 1892.
L’Italie et la Russie en firent de même, respectivement en 1887 et en 1891. Tous ces
pays européens eurent recours au protectionniste avec un tel zèle qu’on pourrait parler de
« guerre douanière ».
Au rétrécissement des marchés européens donc, il fallait créer des marchés
privilégiés outre mer par annexion politique des territoires.
Chaque puissance va alors pour augmenter la richesse intérieure, importer le moins
possible à ses voisins tout en développant ses exportations. Ceci explique l’existence des
colonies qui sont conçues pour ne commercer qu’avec la métropole. Elles sont créées pour
ne pas faire de concurrence avec celle-ci. Car, elles n’existent que par la métropole et pour
la métropole. C’est le fameux « pacte colonial », qui implique que la métropole fournisse à
la colonie tout ce dont elle a besoin en échange des produits qu’elle en tire.
Dans la pensée des physiocrates également, la conquête des terres est un facteur de
richesse, car semble-t-il, la terre produit et multiplie alors que le commerce et l’industrie
transforment et transportent la production. Pour eux donc, la colonisation s’implique dans
le processus d’accroissement des richesses pour l’extension des espaces de production
agricole.
Arthur GIRAULT, justifiant aussi la légitimité de l’expansion coloniale renchérit
pour dire qu’il y a un droit de libre communication entre les peuples, et estime qu’aucun
peuple n’a le droit de laisser inexploité ses richesses. Richesses qui selon lui relèvent du
patrimoine de l’humanité et que les peuples civilisés ont le droit de mettre en valeur pour
le progrès et la survie de la civilisation.
13
Avec le triomphe de l’idéologie colonialiste, vient le temps des conquêtes. La
conquête de toute une région exigera de soumettre, en conséquence, l’un après l’autre,
chaque groupe de combattants. Tâche qui n’a pas été toujours aisée. Au cours de la
période de conquête coloniale, on assiste à des résistances militaires contre l’assaut
extérieur.
A. La mission Treich-Laplène
B. La mission Binger
L’objectif de ces missions était de reconfirmer les traités signés durant la période
antérieure. Surtout que des chefs locaux auraient signé d’autres traités avec les Anglais. Il
fallait pour la France de renouer avec les populations.
A. La mission Bidaud
23 G. Brasseur, « Un regard géographique sur l’AOF de 1895 » in AOF :réalités et héritages. Sociétés ouest-africaines, 1895-
1960, p.. 36
24 Guy Cangah et S.-P. Ekanza, p. 63
14
Le but de la mission de Bidaud était de parcourir la côte de Grand Lahou jusqu’au
Cavally, afin de confirmer et au besoin de renouveler les traités passés antérieurement par
les chefs du pays côtier avec la France. Mission réussie.
Reproduisons l’un de ces « traités » pour mieux illustrer nos propos quant à la duplicité
française.
25LEGRE Okou (H.), Cours d’Histoire des Institutions coloniales, 2ème Année de Licence en Droit, Université de Cocody
– Abidjan, 2005-2006.
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CHAPITRE 2. LES CONDITIONS DE LA CONQUETE
Les Troupes coloniales étaient un ensemble d'unités militaires françaises stationnées dans
les colonies et mises sur pied, à l'origine, pour assurer la défense des ports et des possessions
outre-mer autres que l'Afrique du Nord. Composées au début d'unités métropolitaines, la
coloniale désigna rapidement les troupes recrutées dans les colonies. Avant 1870 ce sont les
troupes de marine qui s'intéressent aux colonies et exploitent les ressources de recrutement
indigène, encadrées par une fraction de soldats blancs.
Les troupes coloniales sont officiellement nées en 1900, lorsque les troupes terrestres
dépendant du ministère de la marine (et dénommées troupes de marine) furent transférées
18
à l'autorité du ministère de la guerre. Elles gardent toutefois leur autonomie et leurs
particularités.
Composition :
Les idées d’Angoulvant sont développées dans ses lettres circulaires aux
administrateurs de cercles et chefs de services et dans son ouvrage, La pacification de la
Côte d’Ivoire, Méthodes et résultats ; publié en 1916 aux éditions Larose. Angoulvant se livre
d’abord à une critique en règle de la « conquête pacifique » avant de plaider pour un
changement de méthode qui met l’accent sur l’emploi de la « force tactique ».
19
Pour Agoulvant, « la méthode de pénétration pacifique (prônée par ses prédécesseurs
Binger et Clozel), par telle qu’on la conçoit, par l’extension abusive qu’on en fait, est à la
fois improductive, trompeuse, instable, immorale et indélicate »26
Trompeuse, en ceci que les premiers administrateurs ne rendaient pas compte, selon
Angoulvant, à la métropole de la situation réelle de la colonie quand ils affirmaient que
« la colonie est tranquille » puisque cette méthode a causé beaucoup de perte en vies
humaines.
L’instabilité découle du fait que « ses résultats n’ont d’autre base que la confiance
inspirée par un homme à une catégorie d’indigènes »28. Elle repose donc sur les qualités
personnelles de l’administrateur de sorte que si un autre administrateur qui lui succède n’a
ce pas ces qualités, il peut s’ensuivre un changement regrettable dans les rapports entre ce
dernier et les indigènes au grand dam de la colonie et de la métropole.
Aussi donc, pour Angoulvant, l’utopie vient de la fausse idée que ces administrateurs se
sont faites des populations indigènes auxquelles, il lui semble reconnaître un degré de
civilisation, de culture, de vigilance et surtout de dignité : « il convient d’admettre que des
tribus nègres… ne sauraient davantage accepter de gaieté de cœur l’établissement d’une
autorité étrangère réformatrice, que nous n’accepterions nous-même un joug quelconque
sans révolte ni résistance »30. Aussi, conseille-t-il une approche plus réaliste de la démarche
colonisatrice : « il est donc de toute honnêteté d’envisager les conséquences fatales d’une
extension territoriale en Afrique qui constitue toujours, considérée en soi, abstraction faite
des exigences morales et économiques actuelles et quelle que soit sa forme, une atteinte
portée à la liberté, aux traditions, à l’existence des peuples noirs »31.
26 Angoulvant (G.L.), La pacification de la Côte d’Ivoire, 1908-1915 : méthodes et résultats, Paris, Larose, 1916, 391
pages, p. 20
27 Idem, p. 16
28 Angoulvant, op. cit., p. 23
29 Idem, p.23
30 Idem, p.30
31 Idem, pp30-31.
32 Extrait de la circulaire du 26 novembre 1908.
20
lourdes ; déplacement de communautés villageoises pour les hameaux ou de villages trop
petits pour être surveillés par les troupes françaises33.
Pour mieux conduire cette politique, Angoulvant isole la hostile de celle jugée
soumise en 1908. La 1ère est l’espace où doit s’appliquer la « manière forte », avec
principalement une administration militaire chargée de « réprimer, pacifier, pénétrer,
explorer » toute la zone. La 2nd, sous administration civile se voit appliquer le régime de
l’administration directe. Une région ne passe à l’administration civile que lorsque
l’administration militaire estime en avoir élimé tous les ferments d’hostilité contre la
France et qu’elle la juge digne d’avoir une administration civile normale.
Il faut distinguer entre les résistances aux conquêtes qui s’analysent comme des
réponses immédiates à la pénétration militaire et les révoltes contre les exactions et les
contraintes administratives de la période ultérieure. Les mouvements nationalistes
refusent le présent, oscillent de l’exaltation du passé mythique de grandeur à l’espoir d’un
futur vengeur34. Ces mouvements d’envergure variable, apparaissent comme les derniers
assauts de l’Afrique indépendante. Ce sont tantôt des mouvements organisés, soutenus par
des formations politiques fortement structurées, dirigées par des chefs énergiques, au sens
politique développé, s’appuyant sur des armées régulières. Ce sont tantôt des mouvements
qui, au contraire, n’offrent aucun front commun, apparemment désorganisés et déchirés
par les rivalités.
Les exemples des formations politiques bien organisées, soucieuses de préserver leur
indépendance contre l’envahisseur européen, sont nombreux. En Afrique de l’ouest,
l’entreprise de Mamadou Lamine (1885-1887) et surtout celle de Samory Touré qui tient
tête au colonisateur, de 1870 à 1898, comptent, au cours de cette période, parmi les plus
célèbres. On ne peut pas oublier cependant l’âpre défense opposée au colonisateur
britannique par l’Ashanti ou la lutte héroïque de Béhanzin et de ses fameuses
« amazones » contre la colonne du Général Dodds35.
Mamadou Lamine Dramé (ou Demba Dibassi), né vers 1840 a goundiourou région de
Kayes au Mali, décédé en 1887, est un marabout soninké qui lutta contre la colonisation
33 ibidem
34
J.L. Miège, Expansion européenne et décolonisation de 1870 à nos jours, Paris, 1973, 414p (p. 202)
35Alfred Amédée Dodds, né à Saint-Louis du Sénégal le 6 février 1842 et mort à Paris le 18 juillet 1922, est un général
français. Il est le fils de Henri Dodds (1818-1882), négociant mulâtre et dernier directeur de la Poste à Saint-Louis, et de
Charlotte Billaud (1823-1890), mulâtresse de père français né à La Grenade et de mère issue d'une vieille famille franco-
sénéglaise. Son grand-père, John Dodds (1790-1874), officier anglais, aide-de-camp du dernier Gouverneur anglais à
Saint-Louis, avait épousé une sénégalaise, Sophie Feuilletaine (1797-1866), fille d'un officier puis négociant d'origine
lorraine et d'une femme peule. Entre 1892 et 1894, il mène la conquête du Dahomey sur Béhanzin Ier.
21
française dans la haute vallée du fleuve Sénégal à la fin du XIXe siècle. En juin-juillet
1885 il lance une insurrection islamique au Sénégal. Il attaque le fort de Bakel le
4 avril 1886, mais est vaincu par le roi Moussa Molo allié aux Français. En décembre 1887,
il est vaincu et tué par les Français à la la bataille de Toubacouta à la frontière avec la
Gambie.
§ 2. Samory Touré
Samory Touré est proclamé faama en 1867. Homme de guerre redoutable, Samory
Touré alterne la guerre et la diplomatie, menaçant, flattant et trompant tour à tour tous
ses voisins. Cette stratégie va l'occuper pendant vingt ans, jusqu'au milieu des années
1880. Il élimine ainsi les Bérété, les Cissé, les Kaba de Kankan...
Il a établi des contacts avec l'état Toucouleur, dirigé par les fils d'El Hadj Omar
Tall.
Samory Touré prend soin de conserver la société antérieure à sa conquête, en particulier
les Kafu auxquels il superpose des gouvernements militaires, chargés de lever les hommes
et le tribut.
Les anciennes coutumes sont ainsi maintenues, quoique le conseil du roi, proclamé
alminy en 1884, comporte une proportion significative de musulmans. Quant au personnel
politique, il se recrute en partie seulement dans sa famille : une autre partie est formée
d'hommes choisis par Samory Touré en raison de leur compétence et de leur loyauté. On
peut ainsi décrire cet empire comme un état militaire et marchand. Tout est subordonné
aux besoins de l'armée et de la guerre. Guerre pourvoyeuse d'esclaves et garante de la
sécurité de l'état, commerce fournissant les armes à feu et générateur de profits : les deux
bases qui faisaient la force de l'état vu par Samory Touré.
Mais à la fin des années 1870, quand les Français commencèrent à s'étendre en
Afrique de l'ouest, à partir de l'est du Sénégal avec pour but d'atteindre le haut Nil dans le
Soudan actuel et cherchèrent aussi à progresser vers le sud-est pour atteindre leurs bases
en Côte d'Ivoire, il eut choc violent et frontal avec les armées de Samory.
22
De 1886 à 1889, il accepta de signer plusieurs traités avec les Français et en 1886 il envoya
même son fils Dyaulé Karamogho en France. En 1888-1889, ses états furent ravagés par
la"guerre du refus", menée par les groupes animistes contre l'imposition autoritaire de
l'islam.
Sa propre famille fut tellement déchirée par des querelles fatales entre partisans et
adversaires de la négociation avec la France, que Samory Touré dut trancher dans le vif en
faisant exécuter Dyaulé Karamogho, soupçonné de trahison.
Le vieux combattant, qui négociait une capitulation honorable, espérait sans doute
pouvoir se retirer comme une personne privée. Il fut en réalité déporté au Gabon, dans un
milieu totalement différent du sien, où une pneumonie l'emporta le 2 Juin 1900 à N'Djolé .
Ailleurs, dans le reste de l’Afrique, des itinéraires aussi célèbres sont relevés. Ainsi,
en est-il de Rabah, cet aventurier esclavagiste originaire du Haut Nil, qui crée un Etat
neuf mais puissant, remarquablement organisé, et affronte avec courage, sans en ignorer la
supériorité des moyens, les adversaires français. A l’est de l’Afrique, des royaumes à la fois
guerriers et commerçants, se sont constitués et opposés avec vigueur aux puissances
coloniales : tels Mirambo, le grand trafiquant d’ivoire (1871-1884) sur la route
commreciale Tabora-Ujiji, désigné sous le nom de « Napoléon de l’Afrique noire », ou le
non moins célèbre Msiri du Katanga.
Moins spectaculaire, mais tout aussi coriace à vaincre, a été l’opposition militaire
diffuse des peuples africains regroupés en communautés autonomes dont la dimension
dépasse rarement l’espace ethnique. Cette dernière catégorie de résistance a pu bénéficier
parfois du prestige d’un chef de guerre éminent qui, momentanément, a favorisé l’unité
d’action de tout un groupe ethnique menacé dans sa survie par l’intrusion du colonisateur.
23
que la seconde qui commence en 1891… Plusieurs opérations furent dirigées contre ce
groupe mais la pacification ne sembla pas faire de grands progrès. A plusieurs reprises, des
gens faisant partie de la garnison ou du personnel du poste furent victimes d’assassinats.
Un marabout et un sénégalais trouvèrent la mort chez eux, puis ce fut neuf tirailleurs ou
laptots d’un navire de guerre… Avec la réoccupation, recommence la série d’exploits. C’est
d’abord l’assassinat à Tiaha du jardinier-chef Lelâche qui faisait par interim les fonctions
de chef de poste ; ensuite plusieurs assassinats sur des indigènes puis le meurtre de deux
européens Levoas, patron du « diamant » et Eudes, agent de commerce et enfin d’autres
crimes de moindre importance ».
Mais quel que soit l’acharnement de la résistance, celle-ci n’a guère fait le poids face
à un adversaire mieux armé et décidé. Ainsi, à la résistance armée, définitivement vaincue,
succède la période de l’installation et de l’exploitation coloniale.
Une fois la situation militaire et politique en mains, l’Europe peut, à loisir, se livrer
à l’exploitation économique, autre aspect non moins marquant du phénomène colonial36.
Cette partie s’attache à examiner la période allant du XVIIIème siècle – 1ère moitié
du XXème siècle. Le XVIIIème siècle étant le début de l’aventure réelle française en
Afrique. La seconde borne, clos l’âge d’or du fait colonial. En effet, la seconde guerre
mondiale a montré que les nations colonisatrices étaient des géants aux pieds d’argile,
aussi a-t-elle transformé en profondeur l’édifice colonial : fin des législations et pratiques
d’exception, création de l’union française, ….
36 Idem, p.12
24
apporte avec lui, le colonisateur est nécessairement un novateur, un agent de changement
social. Il vient perturber un ordre établi ou une évolution en cours ; il provoque
l’apparition de besoins et de désirs jusque-là inconnus ; il développe certains services
nécessaires à son entreprise (chemins de fer, réseau routier, système de
télécommunications). Le colonisateur importe un personnel (administrateurs, techniciens)
qui va requérir divers services de la population locale.
La victoire française sur les peuples africains et son corollaire l’appropriation des
terres par l’Administration française vont permettre l’exploitation du pays autrement.
« Puisqu’on ne pouvait plus exporter les bras vers les plantes cultivées en Amérique, on
allait transporter ces plantes pour les cultivées sur le sol africain » (37).
Aussi, l’article 33 de la loi de finances du 13 avril 1900 fixe-t-il les principes des
rapports financiers entre la France et ses colonies, principes qui se résument au régime de
l’autonomie financière : les colonies doivent couvrir par leurs propres ressources toutes
leurs dépenses et toutes les dépenses faites par la métropole sur leur territoire. Un alinéa de
cet article prévoit que des subventions peuvent être accordées aux colonies sur le budget
de la métropole ; mais il faut préciser que cette disposition ne sera jamais mise en vigueur
en AOF ; au contraire, ces colonies vont contribuer au renflouement des caisses de la
métropole. On comprend alors pourquoi l’économie coloniale était fondée sur un système
fiscal injuste, des prestations de travail et de cultures obligatoires.
Les comptoirs sont des établissements qui se sont développés en Asie et en Afrique
occidentale soit sur le littoral, soit sur un cours d’eau approprié à la navigation. Ils
favorisent l’économie de troque, de traite et de diverses activités commerciales.
La création d’un comptoir résultait « d’une négociation juridique, d’un traité entre les
autochtones et le représentant du gouvernement de la métropole ».
37MOLEUR (B.), « La loi coloniale, son idéologie et ses contradictions » in VERDIER et ROCHEGUDE, Systèmes
foncières à la ville et au village, Paris, L’Harmattan, 1986, p 84
25
conquérir territoires soit pour l’extraction des matières soit pour le transfert de ses
populations.
C’est dans l’une ou l’autre perspective que furent créés les comptoirs de Rufisque,
d’Assinie et de Grand-Bassam.
Même si les commerçants français sont présents en Afrique de l’ouest depuis 1820 environ,
d’abord à Saint-Louis, ensuite progressivement dans les escales du fleuve Sénégal, ce sont
les nouvelles lois françaises de 1862, sur les sociétés de commerce, qui permettent aux
maisons de commerce de prendre leur forme juridique actuelle : sociétés anonymes ou en
commandite, puis l’évolution des conditions du commerces international qui vont
permettre l’exportation des biens, des capitaux et aussi la prolifération des sociétés
anonymes et la colonisation économique du Sénégal. Le pacte colonial qui assurait le
commerce vers la métropole est aboli en 1880, la liberté du commerce est en plein essor…
La création des banques par la loi du 11 juillet 1851 s’inscrit dans deux finalités
économiques au cours de la période coloniale.
La BAO est créé en 1901 par le comptoir d’escompte à l’image de la Compagnie coloniale
de Madagascar fondée en 1896. Elle est l’héritière de la Banque du Sénégal fondée à Saint-
Louis en 185440 .
La loi du 29 juin 1901 octroyait à la BAO le privilège d’émission en AOF et au Congo. Créé
avec un capital de 1 500 000 francs, le nouvel établissement incorporait l’actif net de la
Banque du Sénégal, évalué à 900 000 francs. La durée du privilège était fixée à 20 ans.
39 Mamadou FALL, « Jacobinisme fiscal et administration des affaires 1900-1945 » in AOF : réalités et héritages. Sociétés
ouest-africaines et ordre colonial, 1895-1960, pp.526-527
40 Après l’abolition de l’esclavage en 1848, une indemnité fut attribuée aux propriétaires d’esclaves. La loi du 30 avril
1849 pose le principe de la création de banques de prêt et d’escompte avec pour capital une partie de cette indemnité. Un
décret du 22 décembre 1853 créa la Banque du Sénégal.
26
remettre à celui-ci 7 000 parts bénéficiaires. Mais hormis l’Etat, on notait parmi les
actionnaires les maisons de commerces et de navigations bordelaises et marseillaises 41 .
Mais au terme de la convention de 1927 qui entra en vigueur le 1er juillet 1929, les pouvoirs
publics devaient avoir au moins trois administrateurs comme représentants au conseil
d’administration de la BAO. Sur les 50 000 actions émises en 1929, 20 000 étaient réservées
aux Gouvernements généraux et 14 000 aux habitants des colonies qui cherchaient
pourtant à souscrire à 26 236 actions. Seules 24 000 actions étaient réservées aux anciens
actionnaires.
Dans l’organisation du crédit, la BAO avait pour principale activité le réescompte des
traites des banques commerciales de la place, telle la BFA et la BCA.
La BFA est fondée en 1904 avec un capital de 50 millions de francs. Elle a des agences au
Sénégal, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Dahomey et au Soudan. Son passif est
essentiellement constitué de dépôt à vue42.
La BCA fut fondée en 1924 avec un capital de 40 000 000 F avec des agences au Sénégal,
en Côte d’Ivoire, au Dahomey et au Soudan.
Ces deux organismes privés soumettaient au réescompte des effets à la BAO. Ainsi la BFA
faisait admettre au réescompte pour environ le tiers du portefeuille de la BAO, mais la
différence de nature entre les Banques privées et l’institut d’émission n’allait pas manquer
de provoquer des disparités dans le système du crédit.
41 Au conseil d’administration de 1923, on note que Paul Boyer, du Comptoir d’escompte, est à la présidence et on
remarque des représentants des maisons Maurel et des Gradis.
42 Pour la structure du passif de la BFA, voir l’Etat des comptes de la BFA, 15 aout 1931.
43 YAYAT D’ALEPE, « La prolifération de marchés du commandant en Côte d’Ivoire », in Annales de l’Université
27
Au plan politique, la création des marchés coloniaux et l’ouverture des routes
commerciales figurent parmi les instructions données aux autorités militaires chargées
d’imposer la paix coloniale (44).
Tout cela explique le recours à la contrainte faute de consentement et de
contribution des habitants. En effet, « pour amener les habitants à venir y (sur les
marchés) écouler les produits une ou deux fois la semaine, il est souvent nécessaire
d’envoyer des représentants dans les villages voisins pour leur enjoindre de se trouver à
date fixe au marché (… ) C’est une obligation pour les habitants de participer à la tenue
du marché du poste et d’y apporter quelque chose à vendre » (45).
Le recours à la violence entretien une prospérité artificielle de ces marchés pendant
les premiers moments.
La violence à l’origine de la création et du fonctionnement de ces marchés explique
l’instabilité de ces derniers qui ne subsistent le plus souvent que grâce à la terreur des
gardes de cercle.
44 Instructions données aux commandants militaires du Haut Sassandra et du pays gouro, juin 1908, annexe n° 3
28
§ 1. Les prestations au profit de l’Administration
Les prestations de travail constituent un complément à l’impôt. Ces prestations
sont obligatoires et sont régies dans les colonies de l’AOF par la circulaire du gouverneur
général du 10 juillet 1891. « Le régime de prestation s’appliquait à l’exécution des travaux
d’intérêt général comportant la construction et l’entretien des routes, des ponts et des
pistes télégraphiques, l’entretien des voies navigables par l’enlèvement de tous les
obstacles pouvant gêner la navigation ; la construction et l’entretien des bâtiments
administratifs ; enfin, l’exécution des travaux intéressant l’hygiène et l’assainissement des
villes et des villages.
En principe, les travaux de prestation devaient être exécutés sur le territoire du
village ou du regroupement de Rameaux auxquels appartenaient les prestataires.
Néanmoins, ceux-ci pouvaient être employés en dehors de ces limites, et dans ce cas ils
bénéficiaient d’une ration journalière en nature et d’une indemnité correspondante s’ils
travaillaient à plus de 10 Km de leur résidence. Les prestations étaient accomplies sous
l’autorité et la surveillance des commandants de cercle ou des chefs de subdivision et
étaient décomptés par journée de présence sur les chantiers de construction ou
d’amélioration des routes » (47).
La rémunération et la durée en étaient fixées localement. Le nombre de journées de
prestations dues par année variait entre 10 et 12 jours.
En décembre 1917, un arrêté du gouverneur général Van VOLLENHOVEN et en
1918, un autre arrêté émanant lui, du gouverneur ANTONETTI modifieront l’arrêté du
gouverneur général PONTY du 25 novembre 1912. Le deuxième arrêté cité disposait entre
autre : « les prestations ne sont plus une sorte d’impôt personnel (…) mais une obligation
aux groupements indigènes, l’aire maximum d’utilisation des prestataires est fixée à 50 km
au lieu de 5 km de 1912 ».
Les prestations en nature étaient fixées non en fonction des possibilités de
prestataires mais en fonction des besoins de l’Administration. De plus, les administrateurs
pouvaient à loisir et en toute quiétude, affecter la main d’œuvre prestataire à toutes les
besognes. Pour ce qui concerne le domaine particulier de la construction et de
l’amélioration des routes, « des abus, parfois graves » furent commis. Aussi, bien souvent,
les commandants de cercles faisaient travailler les prestataires à « plus de 50 Km de leur
village » c’est ainsi qu’à la colonie de Côte d’Ivoire, dans le cercle gouro, après la récolte
des cultures des champs collectifs, les paysans doivent évacuer leurs produits vers Bouaké
et Dimbokro principalement où sont installées les grandes maisons de commerce. Comme il
n’y a pas de moyens de locomotion, cette évacuation se fait par portage, à tête d’homme.
Un rapport d’inspection dit : « En 1923, les exportations ayant atteint 830 tonnes, à
raison de 25 kg par charge et de douze jours de trajet aller et retour pour parcourir les 150
47SEMI Bi (Zan), la politique coloniale des travaux publics en Côte d’Ivoire (1900-1940), in Annales de l’Université
d’Abidjan, 1975, pp 1-359. p 126
29
km que séparent Bouaflé de Dimbokro. Les 28190 prestataires du cercle étaient redevables
de 339.360 journées de portage soit 15 jours de portage chacun, chiffre supérieur aux 12
journées de prestations officiellement dues» (48) .
En témoigne également le rapport du commandant de cercle des Gouro (cité dans
Mission KAIR 1930 – 31 Rapport n° 42) contenant à l’appui d’un mandat de
régularisation, une feuille de salaire pour trente et un prestataires ayant travaillé à plus de
50 Km de leur village à raison de 1.5 francs / tête.
Etaient exemptés des prestations, les personnes âgées de plus de 60 ans et les
enfants de moins de 15 ans ; les militaires et les gardes de cercles ; les anciens militaires ou
anciens gardes de cercle titulaires soit de la médaille militaire soit d’une pension, soit d’une
gratification, soit d’un traitement de la légion d’honneur; les agents indigènes de
l’Administration ; les chefs de canton ou de village ainsi que les membres des tribunaux
indigènes (49); enfin les élèves des écoles officielles ou privées (50)
Etaient autorisés à racheter leurs prestations, les Ivoiriens employés d’une manière
permanente dans les entreprises privées comme commis, boutiquiers, manœuvres,
etc. ; ceux qui étaient employés chez les particuliers comme boys, cuisiniers ; les Africains
des autres territoires de l’AOF n’ayant pas de résidences fixes en Côte d’Ivoire ; enfin les
commerçants africains inscrits sur le rôle des patentes à l’exception de ceux qui payaient la
« patente de traite ». Le taux de rachat des prestations était fixé chaque année par le
Lieutenant-Gouverneur. Les prestations rachetées faisaient l’objet de rôles spéciaux,
établies nominativement et perçues dans les mêmes formes que ceux de l’impôt de
capitation des indigènes.
En définitive, n’échappaient à la prestation en nature que les catégories énumérées
précédemment ainsi que quelques « évolués », car le rachat de la prestation était
autorisé « sur demande des intéressés » (51) . Chaque demande faisait l’objet d’une enquête
rapide et était refusée si le demandeur ne pouvait établir qu’il appartenait à l’une ou
l’autre des catégories prévues ci-dessus. La prestation était alors exigée en nature.
L’analphabétisme de l’immense majorité des Ivoiriens de cette époque, l’ignorance quasi
complète des « évolués » de leurs droits, réduisaient à une infime minorité le nombre de
ceux qui n’étaient pas soumis aux rigueurs des prestations en nature.
§ 2. Les prestations au profit des exploitations privées
Avec la mise en valeur de la colonie qui commence après la pacification, les
exploitants privés en quête d’une main-d’œuvre nombreuse, réclament l’institution du
travail forcé. Beaucoup de facilités leur sont faites par l’Administration coloniale : cession
de terres arrachées aux autochtones, octroi de crédits, etc. Les exploitations agricoles et
48 C. MEILLASSOUX, Anthropologie économique des gouro de Côte d’Ivoire, Paris, Mouton, 1970, p. 299
49 L’arrêté local du 03 juillet 1926 a soumis à la prestation, les agents de l’Administration, les chefs de canton ou de
village et les membres des tribunaux indigènes. JOCI, 1926, p 623
50 L’extension des exemptions aux élèves des écoles privées ne se fit qu’en 1919 selon l’article 7 de l’arrêté local n°965 du
30
forestières européennes se développent rapidement dans tout le territoire ; un nombre
croissant de main-d’œuvre est alors de plus en plus exigé.
Le décret du 22 octobre 1925 portant réglementation du travail indigène en AOF
dans l’exposé de ses motifs dispose que « le développement économique croissant des
colonies du groupe Ouest africain, par la multiplication des entreprises qu’il suscite,
nécessite l’utilisation d’une main-d’œuvre de plus en plus abondante ». Ce décret institue
par ailleurs un système de recrutement par contrat individuel passé entre l’employeur et
l’employé devant une commission de l’Administration coloniale. Ce contrat est donc
volontaire.
Mais « le caractère volontaire du travail contractuel était déjà dissimulé
systématiquement aux Négro-africains : un rapport politique du 2ème trimestre de 1943
recommandait de les laisser dans l’ignorance de ce fait, autrement, peut-on lire, s’ils
savaient qu’il suffit d’être volontaire, on n’en trouverait aucun »(52).
Les indigènes n’avaient donc aucune connaissance de toutes les dispositions que les
employeurs interprétaient à leurs seuls avantages. Aussi, les indigènes ne furent-ils aucune
différence entre les prestations dues à l’Administration et les contrats avec les privés.
Ces prestations s’exécutaient dans des conditions inhumaines. En témoigne « un
rapport d’inspection (non daté) d’un chantier de Katiola (Fournier-Bidoz), où travaillaient
cent Gouro de la subdivision de Zuénoula (…) : 44 des Gouro sont logés dans une case de 3
m sur 19, les manœuvres n’ont rien reçu des nattes et couvertures prévues par le contrat,
en outre leur propre pagne et leur argent leur sont enlevés à l’arrivée par un commis (…) le
repos n’est pas observé, les quantités de nourriture insuffisantes et l’inspecteur relève des
traces de coups sur les travailleurs ; 25 malades soit 10% des effectifs du chantiers sont
soignés par un gamin de 14 ans n’ayant aucune préparation pour cet emploi » (53) .
D’autre part, les rapports entre l’Administration et le secteur privé sont si étroit
que celle-là d’une part se charge souvent elle-même de la fourniture de main-d’œuvre aux
entreprises privées du cercle et même des autres cercles de la Côte d’Ivoire. C’est ainsi que
pendant que certains hommes sont astreints sur place aux travaux d’intérêt public et dans
les exploitations privées du cercle, d’autres sont envoyés dans les autres circonscriptions
principalement à Abidjan, Daloa, Gagnoa, Grand-Bassam, etc. ; d’autre part, dans
certains cas, elle va jusqu’à se substituer à l’employeur privé pour sanctionner et punir les
travailleurs. En témoigne, la circulaire du gouverneur REY qui dispose que « l’employeur
est un chef, il constitue un relais d’autorité accepté par l’administration dans la mesure où
elle recrute en sa faveur. Le manœuvre lui doit respect, obéissance en d’autres termes, une
attitude toujours déférente et la bonne volonté dans l’exécution des ordres reçus ».
53 Idem, p 305
31
On le voit, le régime de la prestation avait requis de la part de la population un
effort immense et épuisant source de mécontentement se traduisant par le comportement
des assujettis : indocilité, insoumission et fuite.
SECTION 4. LES CULTURES OBLIGATOIRES
Pour satisfaire les besoins en produits de la métropole, sont institués des champs
collectifs. Il est demandé aux villages d’exécuter des cultures obligatoires.
L’exécution des travaux dans ces champs s’effectue sous la surveillance des
auxiliaires indigènes de l’Administration, à savoir les chefs, les moniteurs, les aides ; et le
travail doit être accompli à date fixe. Ici encore, on note des abus de la part des
surveillants.
Cette économie coloniale est soutenue par une politique de santé ; une médecine
inséparable de la politique coloniale. Pour montrer ce lien entre économie coloniale et
médecine coloniale, exposons ici un texte de la période coloniale où, dans un manuel de
conseil d’hygiène aux écoliers, on peut lire : «Le Blanc a besoin d’huile de palme et le
palmier ne pousse pas dans son pays froid, Il a besoin de coton, de maïs, etc. si tu meurs,
qui montera au palmier, qui fera de l’huile, qui le portera dans les factoreries ?
L’Administration a besoin d’impôt ; si tes enfants ne vivent pas, qui le payera ? Et c’est
pourquoi elle dépense de l’argent pour faire ses médecins, pour louer des génisses qui
doivent donner le vaccin. Comme tu plantes une graine de maïs pour récolter de nombreux
épis, le gouvernement dépense un peu pour récolter un impôt d’autant plus important
qu’il y aura d’habitants au Dahomey » − Ce texte est aussi très valable pour toutes les
colonies de l’A.O.F.
Un texte clair et limpide : la maximisation des biens est dominée dans les
colonies par la question de la main-d’œuvre. Mais elle est conditionnée par l’assistance
sanitaire aux populations indigènes. L’œuvre médicale doit tenir compte du binôme
capital/travail sans lequel la mise en valeur des colonies est impossible. Ainsi, les
dispensaires et les hôpitaux, les vaccinations et l’hygiène sont intégrés à un système
global de domination. La mise en valeur des colonies n’est pas autre chose dans la mesure
où l’irruption du capitalisme dans l’agriculture africaine, soumet les forces de travail, les
terres et la santé des populations aux contraintes d’une économie de profit. La médecine
est une pièce maîtresse de l’appareil colonial : elle est liée à la perception des impôts et, en
définitive, au progrès de l’agriculture d’exportation. L’œuvre médicale apparaît dans ce
contexte comme n’étant aucunement pas une entreprise humanitaire et caritative. On ne
peut cultiver le coton ou le palmier à huile ou le café, le cacao que si l’on a une santé
irréprochable. Dès lors, il faut préserver les populations indigènes pour le profit du capital
étranger. De plus, l’action sanitaire était soumise à un système de contraintes au même
titre que le forçat.
32
L’AO,F selon le rapport Hubert cité par SEMI Bi Zan, in « politique coloniale
des travaux publics en Côte d’Ivoire » regorge d’abondantes richesses que la nature offre si
généreusement, qui, du fait de la précarité et de la rareté de ses voies d’accès et de
communication, ainsi que de l’insuffisance de ses moyens de transports, naissent, croissent
et meurent sur place. Afin d’éviter ce gaspillage, il faut des voies de communication pour
drainer ces richesses, pénétrer économiquement, commercialement et culturellement,…et
bouleverser les coutumes africaines, mettre fin à la pénurie de mains-d’œuvre et assurer la
circulation des biens. Au total, créer la prospérité et véhiculer la civilisation.
Au total, l’économie coloniale était une économie de traite, une forme inachevée
de l’impérialisme économique. Cette économie de traite consiste à rassembler et à drainer
vers les ports, les produits du pays qui sont exportés bruts. Cette économie se traduit par
l’émergence d’activités de production, de transformation et d’échange : l’agriculture
caractérisée par les plantations de cultures pérennes extensives des européens et le
commerce dominé par les européens et les libano-syriens résument cette économie coloniale
dont le véritable pilier était le système de régulation mis en place pour administrer les
indigènes.
33
territoire où se déploie un moi convaincu de sa supériorité, un moi qui ne concède aucune
limite à son avidité, à sa rapacité54.
34
- Le procédé de l’assimilation amène aux résultats suivants : le régime
législatif est le même pour la colonie que pour la métropole ; toutes les lois métropolitaines
s’appliquent ainsi à la colonie qui députe des représentants au parlement métropolitain,
comme les autres parties du territoire. (Mérignhac, op. cit. pp183-187)
La liberté, le droit au bonheur et à la propriété privée sont des droits naturels, qui
sont antérieurs et supérieurs aux lois positives. Cette antériorité et cette supériorité sont
d’ailleurs inscrites au préambule de la Constitution du 4 novembre 1848, qui insiste sur cet
élément fondateur. Les droits naturels précèdent la constitution du sujet en citoyen. Or,
ces droits naturels ne sont pas reconnus aux peuples non européens. Ces derniers sont
certes dans un état de nature, mais c’est une nature grossière, bestiale et brutale, loin de
l’état de nature décrit par le philosophe du libéralisme, John Locke. Pour ce dernier, l’état
de nature est un état de liberté et d’égalité parfaite entre les hommes. Le rapport de
l’homme à la nature se définit comme travail, et l’homme possède le fruit de son travail.
Le droit de propriété est un droit strictement individuel. En travaillant la terre, j’ajoute
55 M’BOKOLO (E.),op cit. p. 353. / En fait, « l’assimilation (n’a qu’une signification négative ; elle) supprimait ou
ignorait les structures politiques proprement africaines, la culture africaine, pour y substituer les structures coloniales,
l’enseignement colonial ». Jean Suret-Canale, Afrique noire occidentale et centrale, tome 2, l’ère coloniale. Paris, 1971,
637 p.
56 ibidem
35
au bien commun de l’humanité, mais c’est mon travail qui a produit ce surplus et donc il
m’appartient. Pour préserver la propriété mise en danger par leur tendance à la violence,
dit le philosophe John Locke, les hommes se constituent en société, consentant librement à
se lier les uns aux autres par contrat. L’universalité du libéralisme de Locke se réfère au
potentiel de chaque homme à être rationnel. Les droits associés à l’égalité sont accordés à
ceux qui réalisent ce potentiel, et cela exclut habituellement les femmes, les pauvres, les
Juifs, les enfants, les ouvriers, les étrangers, les colonisés.
Le monde non européen n’est pas pour autant le monde de la guerre de tous contre
tous décrit par Hobbes. Pour résumer, Hobbes pose comme condition et comme ressort de
la vie sociale l’obéissance, une obéissance fondée sur le consentement de celui qui obéit.
Dans l’état de nature, la vie des hommes est « solitaire, misérable, cruelle, animale et
brève ». Tout le malheur des hommes vient de ce qu’ils vivent constamment dans la
crainte, la méfiance, et cela même en temps de paix civile. La souveraineté s’établit sur le
consentement de chacun, la loi est un artifice extérieur aux hommes car les hommes ne
sont pas « bons » naturellement, ils ont au contraire « naturellement » la passion du
pouvoir. L’homme de Hobbes n’est pas bon, mais il est capable de discerner quel est son
intérêt et, de là, de constituer et d’accepter une souveraineté. La souveraineté doit être
extérieure aux hommes mais elle est fondée sur le consentement de tous.
En outre, pour les Européens, on ne peut exiger des natifs un consentement au pacte
national, car ils n’ont ni désir de maintenir le bien commun et la propriété, ni ne
comprennent l’obéissance à une loi extérieure. Le consentement de l’indigène ne peut être
sollicité, car il n’est pas un être de raison, le consentement est donc présumé par celui qui
l’impose. Mais nous n’avons pas non plus de pacte social à la Hobbes dans la colonie, car le
natif est incapable de discerner quel est son intérêt.
36
A. La liberté physique.
L’homme quel qu’il soit, doit avoir une individualité et ne pas être la propriété
d’autrui, comme une bête de somme ou une chose. Cependant, le législateur colonial édicte
une réglementation sur le travail et prohibe l’émigration de la main-d’œuvre. Voilà d’un
seul coup deux importantes restrictions à la liberté du travail et aussi à la liberté d’aller et
de venir. Il justifie son attitude par la primauté de ses intérêts bassement matérialistes sur
la vie des indigènes. Pour lui, le devoir de tout Gouvernement étant, en effet, d’assurer la
prospérité économique de ses colonies, il est obligé de prendre des mesures sévères, pour
éviter autant que faire se pourra, les crises provenant du manque de travailleurs ; c’est,
certes une entrave à la liberté, mais une entrave nécessaire, car l’intérêt général doit
toujours prendre le pas sur l’intérêt particulier, surtout lorsque ce dernier met obstacle au
développement progressif d’une société.
Elle touche tellement aux sentiments intimes de l’être, que nulle puissance ne
saurait y apporter d’entraves. Cette liberté a d’ailleurs été formellement consacrée par
l’article 6 de l’acte de Berlin. Pour ce qui est du cas particulier de la liberté des cultes ;
notons simplement qu’elle dérive de la liberté de conscience et ne peut être limitée, que
dans le cas où ses manifestations troublent l’ordre public. Une opposition systématique
aux cérémonies cultuelles des indigènes constituerait un acte absolument impolitique. Et
pourtant, que de violences cultuelles !
Les droits politiques. Cette prérogative est l’apanage exclusif des citoyens ; or, les
indigènes, sauf quelques rares exceptions, n’ont pas cette qualité.
La colonie doit être considérée comme un type particulier de société globale, un type de
système social ayant ses traits propres, tant en ce qui concerne son mode d’organisation
que son évolution culturelle et la psychologie des acteurs membres.
37
SECTION 1. LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES
57 Le ministère de la marine transférant ses responsabilité a ce qui concernait le gouvernement coloniale au ministère des
colonies quant à celui-ci fut créé en 1894 de telle sorte que le corps des fonctionnaires et les administrateurs coloniaux
dépendirent à partir de cette date du ministère des colonies. Il y a lieu de noter également que Plusieurs ministères et
services coloniaux administraient l’empire. En 1914 quand ils eurent acquis les territoires qui devaient le constituer à
quelques changements près ils gouvernèrent leurs possessions d’outre-mer par l’intermédiaire de trois différents
ministères le ministère des colonies le ministère des affaires étrangères et le ministère de l’intérieur. Ces divisions de
l’autorité ne résultaient pas d’un plan prémédité mais avaient été plutôt déterminées par des circonstances historique
particulière porte des protectorats du Maroc et du Tunisie avaient été placé sur l’autorité du ministère parce que la
situation internationale avaient empêché de les déclarer ouvertement des colonies.
Tous les protectorats cependant ne furent pas administré par le ministère des affaire étrangères le Laos et le Cambodge
bien que protectorat, dépendaient du ministère des colonies. L’Algérie, quoi que considéré dès le début comme une
colonie, dépendit d’abord du ministère de la guerre et furent transféré plus tard à celui de l’intérieur ce fut la nombreuse
population qui s’y trouvait établi qui put avec succès poussées à l’intégration de l’Algérie à la France métropolitaine, la
plaçant ici comme les autres départements français sous la responsabilité du ministère de l’intérieur bien que plusieurs
propositions furent faite en vue de d’unifié l’administration et de crée un ministère de la France d’outre mer, l’empire
continua jusqu'à ca désintégration à être administré par trois par trois ministères différents.
38
pratiquement l’intégralité des pouvoirs dans les colonies, aussi bien dans le domaine
législatif que dans le domaine exécutif.
- Une Administration régionale à Dakar. Ainsi jusqu’en 1958, la Côte d’Ivoire a
fait partie d’un ensemble de huit colonies, l’AOF créée en 1895 ( 58) . Cet ensemble est dirigé
par un gouverneur général résident à Dakar au Sénégal et, est dépositaire des pouvoirs de
la République. Il a le monopole de la correspondance avec le ministre des colonies. C’est lui
qui promulguait les lois et les décrets, organisait par arrêté les services et les cadres dont il
assurait le recrutement.
§ 2. L’administration déconcentrée
A. Le cercle
L’organisation du pouvoir local repose sur les cercles qui sont eux – mêmes
fractionnés en subdivisions.
L’AOF comprend outre la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée, la Haute-Volta, le Soudan, le Niger, la Mauritanie, le
58
Dahomey.
39
Le cercle est conçu comme une circonscription territoriale de base qui, sur le plan
politique et économique, forme une entité homogène pour être confié à une autorité
unique. On retient surtout le critère ethnique, linguistique pour sa formation. C’est donc
au niveau des cercles que les populations des colonies sont effectivement administrées.
Le cercle est dirigé par un commandant de cercle, il représente le pouvoir central
dans le cercle. Il est avec ses pairs, les véritables maîtres de l’empire. Il est en contact
direct avec les populations. Du fait de l’éloignement des supérieurs hiérarchiques et du fait
également de l’insuffisance dans l’organisation administrative, son autorité sur les
populations est pratiquement incontrôlée.
Le commandant de cercle bénéficie de larges pouvoirs. Il cumule les pouvoirs exécutif,
judiciaire, financier, technique, moral, etc. Il était officier de police judiciaire, officier
d’état-civil et il était doté de la plupart des attributions du juge de paix. Il pouvait
requérir la force armée sans pouvoir la commander lui-même. Il était en un mot le « roi de
la brousse ». Il avait pour tâche de recenser les administrés, de lever l’impôt,… mettre les
voies de communication en bon état. A cela, s’ajoutaient d’autres travaux, essaie de
cultures, ouverture d’écoles, constructions diverses. Certains des administrateurs de cercles
furent ethnographes, linguistes, historiens ou pratiquèrent d’autres sciences humaines ou
naturelles.
B. La subdivision
Les administrateurs de cercles et les chefs de subdivisions étaient recrutés soit
parmi d’anciens officiers coloniaux, soit parmi des civils qui, à partir de 1912, durent
obligatoirement sortir de l’école coloniale fondée en 1889 et rebaptisée en 1934, Ecole
Nationale de la France d’Outre-mer.
S/§ 2. L’administration indigène
L’administration indigène est constituée par : « les chefs de village relevant d’un
chef de canton et les chefs de villages indépendants assistés d’une « commission
villageoise », les chefs de cantons et les chefs de races assistés d’une « commission
cantonale ». (Article 1er arrêté du 10 octobre 1934, portant constitution de
l’Administration indigène).
A. Le canton
Un troisième niveau de découpage administratif est officialisé au-dessous de la
subdivision de 1932 à 1937 : le canton.
Le canton qui existait avant d’être institutionnalisé à partir de 1930, n’est pas une
entité administrative au sens plein du terme mais, plutôt un échelon intermédiaire
permettant un contact plus rapproché entre la population indigène et les autorités
coloniales.
Il sert ainsi de cadre à toute une série d’action réglementaire : état-civil,
recensement, statistiques économiques diverses, impôts, etc.
40
Sa délimitation repose essentiellement sur des critères ethniques et il peut regrouper
deux ou plusieurs groupes apparentés. Le canton se compose de plusieurs villages coiffés
par une chefferie basée dans l’un des villages.
Le canton a donc normalement à sa tête un « chef de canton », dont la nomination
parmi les représentants de la hiérarchie traditionnelle est agréée par l’Administration et
dont les fonctions essentielles s’exercent dans le domaine de la justice coutumière. Le
village qui abrite la chefferie de canton représente le centre de l’organisation politique et
administrative du canton.
B. La tribu
C. Le village
« Le village représente l’unité administrative indigène. Il comprend l’ensemble de
la population y habitant et tous les terrains qui en dépendent » (article 2, Arrêté du 10
octobre 1934).
On le voit, les français dans cette organisation qui ne tient pas compte de
l’organisation préexistante, « n’auront de cesse de déterminer pragmatiquement les
moyens d’éliminer le pouvoir local considéré comme concurrent ».
A. Le recrutement
1. A l’origine
2. L’école coloniale
L’école coloniale a été créée en 1895, et deviendra l'Ecole Nationale de la France d'outre-
mer en 1934. La finalité de cette école et de ces enseignements est une question
déterminante. Ils sont d'abord des moyens de diffusion des savoirs sur les territoires
occupés par la France : ethnologie, géographie, agriculture, botanique, géologie, langues,
etc. Ensuite, certains enseignements, et particulièrement la formation dispensée à l'école
coloniale proprement dite, aura pour but de former des administrateurs coloniaux, ainsi
que des magistrats coloniaux. Or, un bon administrateur serait celui qui a une sérieuse
connaissance du terrain, et en particulier des indigènes, de leurs mœurs, voire de leur
langue.
59Un colon français décrivait les colonies en 1894 comme : « le refugium peccatorum de tous nos ratés, le dépotoir où
vient aboutir les excréta de notre organisme politique et social». En 1909, Lucien Hubert, qui était un sénateur
favorable à l'administration coloniale, jugea nécessaire de réfuter : « L’odieuse légende qui représente le fonctionnaire
colonial tenant d'une main une bouteille et de l'autre la cravache ». Aussi en 1929, Georges Hardy, directeur de l'École
coloniale, déplorait que lorsqu'un jeune homme partait pour les colonies, ses amis se demandaient : « Quel crime a-t-il
pu commettre? De quel cadavre veut-il s'éloigner? ». Même durant la décade suivante et en dépit des améliorations
sensibles apportées dans le recrutement du corps, l'image négative de la vocation coloniale semblait demeurer. On
pouvait lire, en 1931, dans un article de journal : « Quitter la métropole, aller s'enfoncer dans la brousse africaine ou
indochinoise, signifiait qu'on avait quelque chose à se reprocher. Personne n'arrivait à comprendre pourquoi un
garçon intelligent, actif, poussait l'imprudence jusqu'à mépriser les bonnes, tranquilles et sûres places de
fonctionnaires à trois mille cinq cent francs par an, avec retraite, pour aller vivre sous les tropiques, gagner
quelque pernicieuse fièvre et s'acoquiner avec des gens de couleur.... »
42
à ces derniers un rôle prééminent dans la formation de l'empire, tout en
diminuant l'influence de leurs supérieurs dans la hiérarchie administrative.
Tandis que les administrateurs coloniaux étaient des fonctionnaires civils de l'État
français, responsables devant le gouverneur local, mais recrutés et éventuellement
renvoyés par l'administration centrale à Paris, les agents étaient des fonctionnaires de
la colonie entièrement dépendants de la volonté du gouverneur. Ils constituaient un
corps séparé dans chaque colonie, mais après la création de la Fédération de l'Afrique
occidentale française (AOF), ces fonctionnaires constituèrent un corps à l'intérieur de la
fédération et dont les membres étaient nommés ou destitués par le gouverneur
général.
Si la conquête militaire est une étape vers la mise en valeur du pays, il faut un
contrôle permanent sur la population locale pour réaliser cette mise en valeur qui ne peut
se faire sans sa participation ; car pour mettre en place et faire fonctionner le système
colonial, les blancs ne suffisaient pas : il fallait aussi et surtout des noirs. Tantôt
instruments de légitimation, tantôt courroie de transmission. Une structure administrative
locale se révèle donc très appropriée à l’exercice de cette tâche : la chefferie traditionnelle.
Elle le fait sous la direction et la surveillance de l’autorité française. Elle facilite une
domination efficace au moindre coût. A cette justification de l’existence de la chefferie
coloniale, s’ajoutent les obstacles et difficultés naturelles : voies de communications
embryonnaires.
On le voit, le chef traditionnel est beaucoup plus l’agent local de l’Administration
que le porte parole de la communauté. En témoignent les articles 4, 5 et 6 de l’arrêté du 10
octobre 1934 qui traitent de la rémunération et des attributions du chef du village. On
exige de lui des qualités de fonctionnaires qui n’étaient pas recherchées dans la conception
traditionnelle du chef, et on lui attribue des prérogatives en se fondant sur la notion d’une
propriété collective villageoise qui abouti en fait à une remise en cause de l’équilibre
interne de la collectivité.
Ainsi, au lieu d’être le délégué des différents lignages chargés d’assurer la cohésion
et le bien-être des membres du village, il se voit pourvu de charges qui sont moins en
rapport avec des qualités de sagesse et de conseil que celle d’ordre et de décision (60). Les
chefs traditionnels institués par l’autorité coloniale étaient en effet chargés de la police
générale, de la police rurale, de l’hygiène, de l’entretien des voies de communication et
surtout de la perception des impôts indigènes. Ils étaient également autorités judiciaires.
En somme, ils étaient auxiliaires de l’Administration coloniale, représentants de l’autorité
administrative auprès des populations indigènes.
60 E. LE ROY (sous la direction), le système de répartition des terres, Paris, LAJP, 1973, p. 107.
43
On le voit, ces différentes fonctions que le chef est tenu d’assumer sont conformes
aux nouvelles activités administratives et socioéconomiques introduites par la colonisation
dans le système social négro-africain
Ces multiples activités mettent objectivement le chef du village hors du circuit de
l’autorité traditionnelle puisqu’il était soumis au pouvoir politique français. Il l’était en
tant que créature exécutive d’une autorité qui, pour consolider sa domination ne peut
concevoir l’existence d’une autorité parallèle ; la chefferie se trouve dans l’Etat de
soumission congénitale qu’impose le monopole de la souveraineté française sur la colonie
de Côte d’Ivoire entière. C’est ainsi que le gouverneur DELAVIGNETTE cité par BOGA
Doudou écrivait : « il n’y a pas de colonisation sans politique indigène, il n’y a pas de
politique indigène sans commandement territorial, et il n’y a pas de commandement
territorial sans chefs indigènes » (61).
Les collectivités territoriales sont essentiellement les villes et communes. Mais, il existe
une coïncidence entre ces deux entités.
Les premières villes sont Dakar (fondée en 1862 par Faidherbe), Saint-Louis, Gorée et
Rufisque. Plus tard, différents décrets viendront transformer ces villes en communes.
Ainsi, le décret du 10 août 1872 portant organisation d’institutions municipales au Sénégal
et dépendances et le décret du 12 juin 1880 portant organisation des communes du Sénégal
crées les quatre communes dans cette colonie : Saint-Louis et Gorée le 10 août 1872,
Rufisque en 1880 et Dakar en 1887.
Les premières communes sus-citées sont dites communes de « plein exercice » et s’inspirent
directement du modèle des communes de France.
Par la suite, d’autres communes de plein exercice seront créées par la loi tant au Sénégal
que dans les autres colonies de la fédération. Il faut retenir que ces communes sont dirigées
par un administrateur-maire et une commission municipale et non un conseil municipal
dont les membres sont nommés par le lieutenant-gouverneur. Il faut attendre 1939, pour
les voir être élus.
61BOGA DOUDOU (E.), Souveraineté et développement de la Côte d’Ivoire, thèse pour le doctorat d’Etat, UER de Droit et
Sciences économiques, Université de Nice, Octobre 1981, p. 92.
44
réorganise le régime des communes mixtes en AOF. Ce décret montre clairement la volonté
de décentralisation du colonisateur car, il affirme l’autonomie administrative des
communes mixtes. Celles-ci jouissent de la personnalité civile. Elles sont également
administrées par un administrateur-maire nommé par arrêté du lieutenant-gouverneur.
Cet administrateur-maire peut être suppléé en cas de besoin par un fonctionnaire ou un
membre de la commission municipale dont la formation peut s’effectuer successivement et
suivant le développement de la commune mixte sur trois formes.
- 1er degré : commission municipale dont les membres sont nommés par arrêté du
gouverneur en conseil privé.
- 2ème degré : commission municipale dont les membres sont élus au suffrage restreint.
- 3ème degré : commission municipale dont les membres sont élus au suffrage universel.
Il existe également des communes de moyens exercices qui pouvaient être créées
par arrêté du chef du territoire. Cette commune est obligatoirement divisée en sections
électorales. Peuvent donc être constituées en communes de moyens exercices, les localités
ayant un développement suffisant et disposant de ressources nécessaires à l’équilibre de
leur budget. Ces communes ont la personnalité civile et sont administrées par un
administrateur maire nommé par le chef du territoire et une commission municipale élue
par un collège unique.
Enfin, ont été instituées des communes indigènes par le même décret instituant les
communes mixtes. A ce propos, le Gouverneur M. Merlin écrit : « la création des
communes indigènes est une phase de reconstitution des cadres de la société indigène que
nous avons inconsidérément détruite. Elle tend à restituer leur action au conseil de
notables qui existe encore virtuellement dans la plupart des agglomérations et qui
constituaient avant la conquête française l’organe représentatif des intérêts communs ».
ainsi, ce type de communes sera-t-il dirigé par une commission de notables composée de 5
à 10 membres, désignés par le lieutenant-gouverneur, sur la proposition de
l’administrateur de la circonscription, et choisi parmi les habitants de la localité y résidant
habituellement. Par ailleurs, les attributions de cette commission sont le maintien de la
tranquillité publique, de l’hygiène, la surveillance des marchés, l’établissement des rôles et
la perception des impôts, etc. les commissions de notables des communes indigènes sont
nommées sans limitation de durée. Les communes indigènes n’ont pas la personnalité
juridique.
45
§ 2. Le fonctionnement des collectivités territoriales.
A. Les attributions
B. Le budget
1. Les recettes
46
compte de l’Etat. Il y a également des produits des permis de stationnement sur la voie
publique. Le produit des terrains communaux affectés aux inhumations, des expéditions,
des actes d’administration et des actes de l’état-civil. Le produit des droits de place perçus
dans les halles et marchés, abattoirs, …, du produit des concessions d’eaux et de
l’enlèvement des boues et immondices de la voie publique et de la portion que les lois
accordent aux communes dans les produits des amendes prononcées par les tribunaux de
police correctionnelle et de simple police.
Quant aux recettes extraordinaires, elles se composent du prix des biens légués, des
dons et legs, du produit des emprunts, des taxes et surtaxes et de toutes les dépenses
accidentelles ??????, du produit des coupes extraordinaires de bois.
2. Les dépenses
« Sous l’expression générique droit colonial, nous rangeons l’ensemble des actes légaux
édictés par l’autorité de l’Empire, dans le cadre de la colonisation. La législation coloniale
émane donc de la métropole. Mais elle n’est pas la reproduction du droit métropolitain.
C’est une législation complexe faite de domination et d’adaptation, d’emprunts et de
résistance, de discontinuités ou de continuités et devant régir la colonie dans ses rapports
avec la métropole, mais aussi les personnes entre elles. Elle est hétérogène d’origine
constitutionnelle, législative et réglementaire ; cette hétérogénéité se ramène à deux
ordres : le droit public et le droit privé.
47
Le droit public colonial est la manifestation de la souveraineté française sur la Côte
d’Ivoire. Ce droit se rapproche du droit public métropolitain sans se confondre avec lui.
Quant au droit privé colonial, il régit les personnes vivant sur le territoire de la colonie en
considération de la race, du statut. C’est un droit discriminatoire partagé entre le droit
régissant les européens et assimilés et le droit régissant les indigènes.
Dans les deux cas, nous avons affaire à des instruments juridiques de conquête,
d’exploitation et de transformation progressive des mœurs des peuples. Cependant,
contrairement au code noir, la législation coloniale n’est pas matérialisée par un corpus de
lois, mais elle s’illustre par des textes de diverses natures. Tout cet ensemble normatif
repose sur une ratio legis, obéissant à la fois aux orientations générales du droit
métropolitain et aux conditions spécifiques des colonies où prédominent les coutumes
indigènes. La législation coloniale, traduisant donc le dualisme juridique, est écartelée
entre deux tendances normatives antinomiques, c’est-à-dire une double culture juridique
en interaction obligée :
De prime abord, cette question admet trois solutions en apparence très simples : le peuple
colonisateur peut laisser à ses sujets la législation qu’ils possédaient avant l’occupation ;
62Voir VERNIER DE BYANS (J.), condition juridique et politique des indigènes dans les possessions coloniales, Paris,
Alfred Leclerc, 1906.
48
ou bien édicter un ensemble de dispositions nouvelles ; il peut enfin leur appliquer
purement et simplement les lois en vigueur dans la métropole. Un fait certain c’est que ces
trois systèmes ne sont ni bons, ni mauvais a priori.
* On peut dire toutefois que la théorie consistant à laisser aux indigènes leurs
anciennes lois ou coutumes, à l’avantage de ne pas apporter de perturbation dans leur
organisation sociale et d’éviter, dans une certaine mesure, la crise qui ne manquera jamais
de suivre un changement de gouvernement. Les vaincus s’aperçoivent moins de la perte de
leur indépendance lorsque le vainqueur ne leur impose pas de force, ses institutions et ne
s’attaque pas à des traditions qu’ils révèrent. Ceci est d’autant plus vrai que la loi indigène
se rapproche davantage de la loi religieuse.
Ajoutons qu’il serait tout à fait impolitique de détruire un édifice législatif auquel
les indigènes sont attachés depuis de longues années, et qui, somme toute, a permis à leurs
sociétés de vivre et de se développer. La transition brusque à un nouveau régime
amènerait chez eux une perturbation et une souffrance qui ne pourraient que nuire au
vainqueur ; encore faudrait-il plusieurs générations pour que les nouvelles institutions
soient solidement assises.
Tout en respectant leur arche sainte, le colonisateur se croit obligé, au moins, de les
obliger à ne pas froisser les principes élémentaires de « sa » morale.
*Au lieu de s’en tenir à cette sorte de théorie du laisser-faire, la métropole peut
édicter à l’usage de ses sujets indigènes une législation qui, au moins dans une certaine
mesure, cadrerait avec les institutions locales. Cette manière de procéder paraît, à première
vue, la plus séduisante de toutes. En effet, les lois ainsi faites, pour tel ou tel peuple
indigène, pourront être en rapport direct avec ses besoins, tout en gardant l’empreinte de
l’esprit du peuple colonisateur ; ce système permettra ainsi d’amener insensiblement les
sujets à une conception du droit voisine de celle du colonisateur et de tendre, par le fait
même, vers leur assimilation progressive… Ces avantages sont cependant plus apparents
que réels.
49
*Que penser maintenant du système qui consiste à appliquer purement et
simplement aux indigènes la législation de la métropole ? Incontestablement, cette idée
simpliste satisferait aisément l’apathie naturelle de l’administration dont l’horreur pour les
innovations est bien connue.
En résumé, d’après ce rapide aperçu, chacun des systèmes qui viennent d’être
exposé, maintien des législations indigènes, création d’une législation spéciale, application
de la législation métropolitaine, présente un ensemble de qualités et de défauts parmi
lesquels le talent du législateur consiste justement à faire un choix, la méthode éclectique
étant bien souvent préférable dans la pratique à la mise en œuvre de théories absolues.
« La législation coloniale englobe tous les textes juridiques applicables dans les
colonies aussi bien en droit public qu’en droit privé. Elle se fonde sur une tradition bien
établie et une double culture juridique basée sur l’expression de la volonté individuelle, et
la centralisation du pouvoir.
En effet, le législateur n’innove pas en la matière mais s’inscrit dans une tradition
historique amorcée depuis le XVIIIè en Europe, période au cours de laquelle s’élaborent
des lois applicables dans les colonies. L’un des corpus de lois représentatif de cette époque
fut le code noir.
§ 1. Les constitutions
L’article 27 de la constitution du 14 janvier 1852 (le second Empire) décida, par retour à la
tradition du premier empire, que les colonies et l’Algérie seraient régies par des sénatus-
consultes. Ainsi fut pris le sénatus-consulte du 3 mai 1854 base du régime législatif des
63Mais, l’article 6 de la constitution du 5 fructidor an III (22/8/1795) dispose que « les colonies françaises sont les parties
intégrantes de la République et sont soumises à la même loi constitutionnelle ».
50
colonies françaises. Ce sénatus-consulte distingue deux catégories de colonies64 soumises à
des régimes différents.
Ce statut ne peut en aucun cas constituer un motif pour refuser ou limiter les droits
et libertés attachés à la qualité de citoyen français. (art.82).
On le voit, la France, à partir de 1946, n’a donc plus de colonies en tant que telles
mais se trouve liée à des territoires d’outre-mer (TOM) au sein d’une sorte de fédération -
la Constitution est peu claire sur ce point comme nous le verrons - où elle exerce son
autorité. Ces territoires disposent de représentants à l’Assemblée nationale et leurs
habitants sont désormais des « citoyens » de la République.
Ces récentes évolutions cachaient pourtant une autre réalité : le système colonial
français restait largement figé à ce qu’il était dans l’entre-deux-guerres. D’où les émeutes
que connut l’Afrique noire entre 1947 et 1949, et qui marquent le début de l’inéluctable
marche vers l’indépendance.
64 Les Antilles et la Réunion d’une part, et les autres colonies, d’autre part. Pour les premières, le régime législatif était
celui de la métropole. Pour les secondes, c’est-à-dire « les autres », l’article 18 disposait : « elles seront régies par décret
de l’empereur jusqu’à ce qu’il ait été statué à leur égard par un sénatus-consulte ».
65 Le titre VIII de la Constitution de 1946
51
§ 2. Les règlements
A. Les décrets
Les décrets applicables soit, rendaient exécutoires les dispositions législatives
métropolitaines, soit traitaient des domaines spécifiques des colonies. Dans tous les cas, ces
décrets coloniaux éclairaient le champ d’application des lois à travers les précisions qu’ils
fournissaient sur la forme et le fond de la technique juridique indispensable pour leur
conférer légalité.
B. Les arrêtés
Les arrêtés qui sont également des actes généraux, collectifs ou individuels pris par
une autorité administrative, soit précisent l’application d’une loi, d’un décret, soit
l’attribution d’une autorité.
Les arrêtés abondamment usités par l’Administration coloniale pour traduire
l’orientation des dispositions métropolitaines dans les différents domaines.
Ils y coordonneront les activités socioéconomiques et juridiques ou rappelleront
l’abrogation d’une disposition antérieure.
C. Les circulaires
On appelle circulaire, une instruction adressée par un supérieur hiérarchique au
personnel placé sous son autorité et qui est destinée à guider l’action des fonctionnaires et
agents dans l’application des lois et règlements.
Le ministère des colonies et les gouverneurs y auront recours pour repréciser l’esprit
des dispositions applicables dans les colonies.
Elles interviennent par conséquent pour résoudre un conflit de compétence entre
deux fonctionnaires, éclairer les administrateurs sur les décisions à prendre, enfin, pour
demander aux administrateurs d’observer les faits avec davantage de discernement.
D. Les notes
Les notes coloniales font soit, le point d’une situation soit, des suggestions de
nature à modifier ou à abroger des dispositions antérieures. Elles traduisent des données de
terrain dont la connaissance est indispensable pour résoudre des conflits.
Elles exercent par conséquent une influence indirecte sur les décisions des
administrateurs coloniaux qui faisaient office de magistrats, d’officiers d’état-civil.
Le législateur colonial s’oppose aux droits africains (ensemble des règles sociales
sanctionnées par la puissance publique communautaire dans les sociétés africaines) qu’il
trouve sur place ; droit qu’il désigne par « coutumes africaines » en comparaison bien
entendu avec le droit occidental. Ces droits, avons-nous dit, étaient fondés à la fois sur la
religion et la tradition.
52
SECTION 3. LE DROIT TRADITIONNEL « TAMISE »
Le colonisateur pouvait-il s’accorder avec les lois et conventions dont les fondements et les
finalités étaient en désaccord avec son système normatif d’une part et d’autre part avec les
objectifs économiques, politique et social de la colonisation ?
A partir du mois de juillet 1901, une série de dispositions furent prises pour réprimer les
infractions indigènes. Il en fut ainsi du décret du 7 juillet 1901 applicable à Madagascar
dont les articles ne portent pas explicitement sur les conventions indigènes. Mais ce
processus normatif posait déjà les jalons de l’engrenage répressif dans lequel s’engageait
désormais le législateur colonial.
Ce qui explique l’intervention progressive dans les affaires civiles qui au demeurant se
caractérise par un relâchement, un certain laxisme, puis une reprise violente de la lutte
anti-convention indigène 67».
53
CHAPITRE 2. LE DROIT PRIVE COLONIAL
La question du statut personnel constitue une des matières les plus complexes et les plus
ardues du droit privé. Le statut personnel est la base d’une société quelle qu’elle soit.
A. Les indigènes68
La qualité juridique dérive, en effet, des rapports qui ont été établis entre la France et les
peuplades aborigènes à la suite de la conquête ou par le fait des traités ; elle résulte du
statut personnel que la France a entendu reconnaître aux indigènes en leur octroyant des
droits civils et politiques plus ou moins étendus. Et c’est pourquoi le mot « indigène » qui
ne possède qu’un sens générique, appelle un autre qualificatif en lequel se traduisent les
prérogatives juridiques dont il est assorti et qui en font véritablement un état particulier,
une qualité juridique.
Nous nous appliquerons donc tout d’abord à déterminer la qualité juridique des indigènes
en distinguant : les indigènes citoyens français ; les indigènes sujets français ; les indigènes
protégés français ; les indigènes administrés français ; les étrangers assimilés aux
indigènes ; les métis et enfants nés aux colonies de parents inconnus. Puis nous
rechercherons quels sont les moyens offerts aux indigènes, qui ne le sont pas encore, de
devenir citoyens français. Enfin nous traiterons des personnes morales indigènes.
Parce qu’aucun territoire de l’AOF n’était un protectorat, nous n’aborderons pas ici le cas
des indigènes protégés français.
Lors donc que nous parlerons des indigènes citoyens français, nous entendons seulement
que ces indigènes jouissent dans la colonie des droits civils et politiques accordés dans cette
colonie aux citoyens français d’origine eux-mêmes. Mais, nous ne voulons rien dire de plus.
54
Article premier.- Toute personne née libre ou ayant acquis légalement la liberté jouit, dans
les colonies françaises : 1° des droits civils, 2° des droits politiques, sous les conditions
prescrites par les lois.
Article 2.- Sont abrogées toutes dispositions de lois, édits, déclarations du roi, ordonnances
royales.., et notamment toutes restrictions et exclusions qui avaient été prononcées, quant
à l’exercice des droits civils et des droits politiques, à l’égard des hommes de couleur libres
et des affranchis. »
Ces deux articles qu’on ne saurait séparer l’un de l’autre pour interpréter sainement la loi
du 24 avril 1833 expriment clairement la pensée du législateur de l’époque. On était, à
cette date, tout pénétré de la théorie de l’assimilation à outrance ; et l’on n’était pas loin
de considérer comme contraire à l’humanité et au droit naturel de refuser à des habitants
des colonies ce que l’on appelait le bénéfice des lois françaises. C’est encore d’ailleurs
suivant cette conception que les esclaves affranchis en 1848 (décret du 27 avril 1848)
furent admis sans transition à la jouissance de tous les droits civils et politiques de la
métropole.
En affirmant que les « natifs des quatre communes de plein exercice du Sénégal et leurs
descendants sont et demeurent des citoyens français soumis aux obligations militaires… »,
la loi de 1916 a tenu un langage dont la portée est aussi claire que générale.
Les indigènes des autres colonies qui ont été acquises par la France postérieurement à
1833, ont été, eux, soumis à un statut personnel qui déroge au principe de la jouissance des
droits civils et politiques de citoyen français, et ceci, également, en accord avec la réserve
de l’article premier in fine de la loi de 1833.
On entend par indigènes sujets français les indigènes qui originaires des colonies faisant,
par suite de l’annexion, partie intégrante du territoire français, sont soumis à la
souveraineté directe de la France, mais ne possèdent pas les droits de citoyen français.
De cette définition, résultent deux propositions : Les indignes sujets français sont
français mais ils ne jouissent pas des droits de citoyen français.
a. Ils sont français. Nous avons eu soin de préciser que les indigènes sujets français
devaient être originaires, par eux-mêmes ou leurs ascendants, d’une colonie qui, par suite
de l’annexion, faisait partie intégrante du territoire français. C’est par ce trait, en effet,
55
que les indigènes sujets français se séparent des indigènes des pays placés sous protectorat
ou sous mandat français et des étrangers.
Du fait de l’annexion, ils ont acquis la nationalité française. Cette solution qui résulte de la
règle de droit international en vertu de laquelle l’annexion comporte le changement de
nationalité, se justifie d’autant plus aisément dans notre hypothèse que l’annexion d’une
colonie met toujours fin à l’autonomie des peuples qui vivaient sur le territoire annexé.
Comme le remarque très justement Byans, les indigènes de ce territoire ne peuvent plus
avoir d’autre nationalité que celle de la France, puisque la leur n’existe plus.
b. Ils ne jouissent pas des droits de citoyen français.- D’une part, ils ne jouissent
pas des droits politiques que possèdent les citoyens français dans les colonies. S’ils ont
certaines libertés politiques locales ou certains droits électoraux, ils les tiennent de textes
spéciaux qui les leur ont conférés, mais qui possèdent un caractère exceptionnel et
restreint à la colonie envisagée. D’autre part, ils ne jouissent pas des droits civils accordés
aux citoyens français (européens ou indigènes). Ils possèdent un statut personnel spécial
dont les droits dérivent des lois et coutumes indigènes locales que la France a maintenues
en vigueur lors de l’annexion, sous certaines conditions qui varient d’ailleurs de colonie à
colonie.
Là se trouve la différence essentielle qui sépare les indigènes sujets français des indigènes
citoyens français. Ils ne sont pas citoyens français, ainsi que la loi du 24 avril 1833, par la
généralité de ses tendances assimilatrices, l’aurait commandé ; car le maintien du statut
personnel indigène, proclamé lors de l’annexion, restreint la portée de la loi de 1833 et ceci
en application de la formule finale de l’article de cette loi elle-même « sous les conditions
prescrites par les lois ».
La qualité de sujet français constituant, ainsi que nous venons de l’établir, un statut
juridique particulier est soumise, quant à son acquisition et à sa perte, à des principes
généraux que l’on peut s’efforcer de dégager en raisonnant par analogie avec ceux qui
gouvernent la nationalité.
56
c.1 La qualité de sujet français s’acquiert :
- Par l’annexion de la colonie, en ce qui concerne les indigènes qui étaient les
nationaux du territoire annexé ;
- Par la naissance aux colonies de parents eux-mêmes sujets français, ceci sous
réserve des difficultés de preuve de la filiation provenant de l’imperfection, souvent
constatée, de l’état civil aux colonies.
- Pour la femme, par le mariage avec un sujet français, lorsque la loi ou coutume de
statut personnel dispose en ce sens ;
- Par la naturalisation étrangère. Il faut supposer que l’indigène sujet français veut
acquérir une nationalité étrangère. Ce résultat pouvait être atteint sans autre exigence que
celle de remplir les conditions et formalités requises par la loi étrangère. Mais un décret du
25 novembre 1913, rendu à la suite d’une délibération du Comité consultatif des affaires
indigènes, a entendu « dans l’intérêt même de la bonne administration, dit le rapport,
donner à l’autorité française la possibilité de refuser, le cas échéant, la faveur sollicitée ».
En conséquence, l’article 1er dispose que « dans les possessions françaises autres que
l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, les indigènes sujets (ou protégés) français ne peuvent
perdre cette qualité par l’acquisition d’une nationalité étrangère qu’avec l’autorisation du
Gouvernement français », et ceci sous peine de nullité. L’article 2 ajoute que : « Cette
autorisation est donnée par décret rendu sur la proposition du ministre des Colonies et du
garde des sceaux, ministre de la Justice, après avis du Gouverneur général ou du
Gouverneur de la colonie dont l’indigène est originaire ».
- S’il s’agit d’une femme indigène sujette française, par son mariage avec un
français ou un étranger. S’il s’agit du mariage avec un français, on raisonne a fortiori de
l’article 12 du Code civil. En effet, la femme indigène sujette française n’est pas une
57
étrangère : il n’est point question, pour elle, d’acquérir la nationalité française puisqu’elle
l’a déjà. Il s’agit seulement d’acquérir le statut français. Or, le fait du mariage avec un
français qui fait acquérir à la femme étrangère la nationalité de son mari doit, à plus forte
raison, faire acquérir à la femme sujette française le statut de celui-ci.
Les principales Puissances alliées et associées ayant été investies par le Traité de
Versailles des droits qui appartenaient à l’Allemagne sur ses colonies et à la Turquie sur ses
provinces non turques, l’article 22 du Pacte de la Société des Nations institua le régime des
mandats territoriaux. Trois types furent institués :
Type A : le pays soumis au mandat constitue un véritable Etat, une personne de droit
international public.
Type C : la puissance mandataire administre le pays « sous ses propres lois et comme une
partie intégrante de son territoire ».
Parmi les mandats confiés à la France, au type A répondent les Etats syriens, l’Etat du
Grand Liban et le Gouvernement du Djebel Druse ; leurs habitants sont des nationaux de
ces Etats et ne sont, en aucune façon, sujets de la puissance mandataire. Nous n’avons
donc pas à nous en occuper ici.
Au type B : répondent les mandats que la France a reçus sur le Togo et le Cameroun. Or,
comme, à raison des règles établies par la Société des Nations, les pays placés sous les
mandats de type B et C ne constituent pas des Etats, puisqu’ils ne possèdent pas
d’organisation politique nationale mais sont administrés par une autre puissance, la
question se pose de savoir qu’elle est la qualité des indigènes qui habitent ces territoires.
L’Etat français a été amené à créer une nouvelle catégorie, une nouvelle qualité juridique :
les indigènes « administrés français » en renonçant à assimiler les indigènes des pays sous
mandat aux sujets français, ou aux protégés français.
58
Puis, il fut admis que « les indigènes d’un territoire sous mandat n’acquièrent pas la
nationalité de la Puissance mandataire par suite de la protection dont ils bénéficient ».
Enfin, il fut disposé que les indigènes d’un territoire sous mandat pourront « par acte
individuel de leur volonté, obtenir par naturalisation la nationalité de la puissance
mandataire, conformément aux mesures qu’il serait loisible aux Puissances mandataires
d’édicter à ce sujet dans leur législation ». Cette résolution vise la possibilité, pour les
indigènes administrés, d’acquérir la nationalité française, en exécution de telle disposition
législative qui sera promulguée et sous les conditions jugées opportunes.
- En principe, les étrangers qui se trouvent dans les colonies françaises doivent être
traités de la même manière qu’ils le sont en France : ils y sont privés des droits politiques,
mais ils jouissent des droits civils dans les conditions déterminées par le Code civil, dans ses
articles 11 et 13 à 16, conditions auxquelles il faut souvent, d’ailleurs, ajouter des
prescriptions particulières qui sont spéciales aux colonies, telles que certaines prescriptions
de police et de sûreté, telles aussi que certaines prohibitions ou restrictions édictées en ce
qui concerne l’acquisition des terres.
Cette conception, toutefois, n’est rigoureusement vraie qu’en ce qui concerne les étrangers
de race européenne, de race blanche. Mais en ce qui concerne certains étrangers qui
relèvent d’un Etat limitrophe des colonies de l’AOF et qui, de ce fait possèdent avec les
indigènes de ces colonies une grande affinité de race, de mœurs, d’institutions, de
civilisation en un mot, il a paru au colonisateur de suivre une autre ligne de conduite. Et,
plutôt que de décider que ces étrangers seraient, dans la colonie envisagée, traités comme
des étrangers en France, ils ont été considéré comme des indigènes ; de là, l’expression qui
sert à les caractériser ; « étrangers assimilés aux indigènes ».
-En assimilant certains étrangers aux indigènes, il n’est nullement venu à l’esprit
du législateur colonial que cette assimilation put porter sur la nationalité et les droits
politiques. Les liens de droit public qui unissent les étrangers assimilés au pays dont ils
sont les nationaux ne sont en rien modifiés ou altérés.
59
L’assimilation ne peut jouer que sur le terrain du droit privé ; elle comporte alors
soumission au même statut personnel de droit privé que les indigènes. II y aura donc
assimilation en ce sens que :
- Les crimes et délits commis par les étrangers assimilés sont jugés selon la loi
indigène ;
- Les étrangers assimilés sont, en toute matière, justiciables des mêmes tribunaux
que les indigènes eux-mêmes.
Au point de vue social, tout d’abord, il convient de déterminer quel sort doit être fait
aux métis. Faut-il, prenant en considération « le sang français qui coule dans leurs veines »
leur reconnaître la citoyenneté française ? Faut-il, au contraire, les assimiler aux
indigènes ? Ou bien enfin, vaut-il mieux en faire une catégorie intermédiaire entre les
Français et les indigènes ?
Mais, du point de vue juridique, surgissent ici des difficultés assez graves. Il s’agit de
déterminer par quels modes sera établie la filiation des métis ; auquel des parents ils seront
rattachés suivant l’ordre des reconnaissances, enfin, s’il n’y a pas eu de reconnaissance,
quelle nationalité et quel statut personnel leur seront attribués. Le législateur colonial
avait paru, pendant longtemps, se désintéresser de ces problèmes ; et la jurisprudence
avait dû élaborer un système d’interprétation qui n’était pas toujours sans reproches.
Des auteurs signalaient ces lacunes et ces imperfections ; des Sociétés philanthropiques
s’efforçaient d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la protection et la condition des
métis. Le résultat de ces critiques et de ces interventions se traduisit par quelques décrets
qui ont été promulgués. Par ces décrets ont été heureusement résolues certaines des
questions les plus vivement débattues. Nous étudierons d’abord la condition juridique des
métis reconnus, puis celle des enfants nés de parents inconnus.
Les métis de père indigène et de mère française.- Etant donné que les métis nés d’un père
indigène et d’une mère française sont l’infime exception (il n’est pas à notre connaissance
de décision judiciaire en cette matière), nous nous occuperons exclusivement, dans les
développements qui vont suivre, des métis nés de père français et de mère indigène, sauf à
dire en passant quelques mots des métis de mère française, et sauf à appliquer, toutes les
fois que faire se pourra, des solutions identiques à celles que nous présenterons à propos
des métis nés de père français.
60
L’expression dont nous nous servons dans l’intitulé de ce paragraphe de « métis
reconnus » laisse entendre que nous ne nous occuperons point des enfants métis liés du
mariage d’un Français avec une indigène, des métis légitimes. Ceux-ci, en effet, sont, sans
aucun doute, Français. La solution ne résulte pas seulement de l’article 8, §1 du Code civil
qui déclare « Sont Français... 1° tout individu né d’un Français en France, aux colonies ou
à l’étranger » ; elle est aussi la conséquence de ce fait que la femme indigène qui épouse un
Français devient française ; les deux parents du métis sont donc français : et il est français
lui même sans contestation.
Métis reconnu par un seul des parents. La solution d’après les principes.- En droit pur, la
condition juridique de ce métis est simple: elle résulte de l’article 8, 10 du Code civil, alinéa
2, modifié pour les Colonies autres que la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion, par
l’article let du décret du 7 février 1897, aux termes duquel « l’enfant dont la filiation est
établie pendant la minorité par reconnaissance ou par jugement suit la nationalité de celui
des parents à l’égard duquel la preuve a d’abord été faite ». Dès lors :
S’agissant des enfants nés de parents inconnus aux colonies, le texte auquel il faut se
reporter est l’article 8 du Code civil, déclaré applicable aux colonies, après modification
d’ailleurs, par le décret du 7 février 1897 : « Est français... Tout individu né aux colonies
de parents inconnus ou dont la nationalité est inconnue ».
L’article 8, 2° du Code civil, n’est applicable qu’aux enfants français ou aux enfants d’une
nationalité étrangère assimilés ; il ne peut être invoqué par les enfants indigènes.
Mais, ceci étant, se pose aussitôt la question fondamentale qui fait toute la difficulté du
problème puisqu’il s’agit d’enfants nés de parents inconnus, comment savoir si l’enfant est
ou non indigène, et par conséquent, comment savoir si l’article 8, 2° du Code civil ne lui est
pas ou lui est applicable ?
61
Ou bien, le père a quitté la colonie, et nul ne sait où il est maintenant, ou bien le père de
l’enfant l’a abandonné dès sa naissance et ce dernier a été recueilli et élevé par des
personnes ou associations charitables. Dans tous ces cas, il n’est pas juste de traiter ensuite
l’enfant comme un indigène.
Si l’on suppose que plusieurs indigènes se sont réunis pour constituer une société
commerciale, deux questions, semble-t-il, se posent : cette société constitue-t-elle une
personne morale ? et, dans l’affirmative, quelle est la nationalité ou plus exactement quelle
est la qualité de cette société ?
Si la société a été constituée sous le régime de la loi française, il n’y a-, pas de difficultés : la
société sera personne morale dans les conditions et moyennant l’observation des formalités
que prévoit la loi française.
La faculté de devenir citoyen français pour les indigènes de l’A.O.F., résulte d’un
décret du 25 mai 1912 qui, relativement à sa mise en exécution, a été assorti d’un A.G.G.
du 29 octobre 1912.
Mais, à côté du régime du décret de 1912 qui est celui de droit commun, il existe, en
A.O.F., une réglementation spéciale édictée par le décret du 1er janvier 1918 qui a accordé,
au point de vue de l’accession à la qualité de citoyen français, un traitement de faveur à
62
certains indigènes ayant servi pendant la durée de la Grande Guerre dans les rangs français
et s’y étant distingués.
3° Savoir lire et écrire le français (à moins que d’être décoré de la Légion d’honneur ou de
la médaille militaire, ou d’avoir rendue des services à la France ou à la colonie) ;
5°Avoir fait preuve de dévouement aux intérêts français ou avoir occupé avec mérite,
pendant 10 ans au moins, un emploi dans une entreprise publique ou privée.
Et l’A.G.G. du 29 octobre prévoit et organise les moyens et modes pratiques selon lesquels
la preuve de l’existence de ces diverses conditions sera administrée par l’indigène.
Effets de l’accession à la qualité de citoyen français.- De même que dans les autres
colonies, l’indigène qui acquiert la qualité de citoyen français est désormais régi par les lois
civiles et politiques françaises. Il ne peut plus invoquer les lois et coutumes de son ancien
statut personnel indigène auquel il a dû, ainsi que nous l’avons vu, expressément renoncer.
La jurisprudence a eu déjà occasion de l’affirmer en présence d’une tendance manifestée
par certains indigènes devenus citoyens français à invoquer, suivant les circonstances et
selon les avantages qu’ils y trouvent, tantôt leur statut personnel ancien, tantôt le statut
de citoyen français.
63
D’autre part, l’article 6 du décret de 1912, tout en disposant que l’accession à la qualité de
citoyen français est personnelle à l’indigène qui l’a obtenue, ajoute : « Néanmoins la
femme mariée sous l’empire de la loi française, suit la condition de son mari. Suivent aussi
la condition de leur père, les enfants mineurs (2) issus de cette union et qui auront été
inscrits sur les registres de l’état civil ». Ainsi donc, l’acquisition de la qualité de citoyen
français par la femme et les enfants mineurs suppose que l’état de l’une et des autres sont
établis conformément à la loi française. Relativement à la femme, la nécessité du mariage
sous l’empire de la loi française se justifie par ce fait que l’indigène polygame (situation
très fréquente en A.O.F) ne doit pouvoir conférer la qualité de français qu’il acquiert qu’à
une seule femme, celle avec laquelle il est marié suivant la loi française. Relativement aux
enfants mineurs, la nécessité de leur inscription sur les registres de l’état civil se justifie par
ce fait qu’il ne faut accorder le bénéfice des droits de citoyen français qu’à des enfants dont
la filiation est établie avec certitude.
64
proposition du ministre des Colonies et du ministre de la Justice, dans un délai qui ne peut
excéder six mois (art. 6), sans qu’il soit perçu de droit de sceau ni d’enregistrement (art. 7).
Effet de l’accession à la qualité de citoyen français.- L’indigène requérant n’est pas le seul
à pouvoir bénéficier de l’acquisition des droits attachés à la dualité de citoyen français.
Le décret de 1918 lui permet, en effet, s’il le désire et à condition de le mentionner sur sa
demande, de faire participer à l’accession aux droits de citoyen français « ses femmes et ses
enfants » (art. 3 et’4). Les femmes devront alors ainsi que les enfants âgés de plus de 16
ans, donner leur consentement exprès à la demande faite en leur nom.
Si donc l’indigène entend associer ses femmes à sa demande d’accession aux droits de
citoyen français, il faut bien qu’il sache que l’anéantissement de ses droits conjugaux sera
la rançon de son initiative. Lui et ses femmes, en tant que citoyens français, ne seront que
des concubins.
Et, si l’on admet que les enfants nés avant l’acquisition de la qualité de citoyen français
par les parents peuvent être à la rigueur considérés comme légitimes, puisqu’ils l’étaient
selon le droit indigène, on doit, en revanche, se refuser à reconnaître cette qualité aux
enfants qui naîtront postérieurement, étant donné les règles du droit français dont ils
relèvent désormais, ils sont nés hors .
B. Les coloniaux69
Ce divorce entre le métropolitain et le colonial existe alors sur tous les plans. Plan
psychologique d’abord – et dès le départ – le colonial forme la minorité aventureuse d’un
pays casanier. Plan des intérêts – fatalement les colons outre-mer finissent par se heurter
aux intérêts de ceux qui sont restés en métropole, dès qu’ils veulent défendre ou
65
développer les entreprises qu’ils ont créées. Plan des opinions enfin. Le colonial est au
contact d’un monde nouveau : dès qu’il est aux prises avec lui, il s’aperçoit que les
conceptions, préconisées et reçues de France, ne conviennent plus. S’il a le goût de
l’expérience humaine, il cherchera à comprendre le pays où il se trouve, qui est nouveau et
différent. Il modifiera dès lors ses jugements d’arrivée. De retour en France, il lui sera peu
possible de faire partager son point de vue par son milieu (encore faudrait-il que celui-ci
s’y intéressât). Il s’apercevra qu’il se heurte à des idées périmées ou conventionnelles,
souvent commandées par des systèmes politiques.
Mais il n’en reste pas moins que longtemps le colonial pétri de sa civilisation considérera
l’Afrique à travers la formation qu’il a reçue, en fonction des idées philosophiques de son
époque, de celles qu’il a adoptées et de l’idéal qu’il s’est donné. Il ne peut être entièrement
objectif ; il verra l’Afrique à travers lui-même ; ce n’est que dans les toutes dernières
années qu’on tentera une vision du continent noir, en valeur absolue.
Le législateur colonial transpose ainsi dans les sociétés dominées par l’oralité une
procédure métropolitaine. Ce qui à l’évidence désorganise la société colonisée. L’imprimé
en effet, rentrait dans une stratégie globale du législateur colonial. Il soustrayait l’individu
du poids de la communauté et l’impliquait dans d’autres relations sociales inhérentes à sa
condition d’analphabète. Notons également que ces imprimés engendraient des dépenses.
En plus des frais légaux nécessaires à l’inscription des originaux présentés à
l’affirmation , les parties devraient certainement faire face aux dépenses éventuelles de la
72
70 LEGRE OKOU (H), Les conventions indigènes et la législation coloniale (1893-1946), Abidjan, éd. Neter, 1994,
71 Le contenu de ces formulaires : noms et prénoms ; qualités ; domiciles ; exposition précise des engagements des parties.
(Gonidec, Droit d’outre mer. T 1, De l’empire colonial de la France à la communauté.)
72 Décret du 2 décembre 1906 JOAF
66
L’article 1325 du code civil permet certes aux parties d’établir librement leurs
conventions, mais la remise de copie constitue la preuve littérale et permet aussi à
l’Administration coloniale d’exercer un contrôle en aval sur les modes d’établissement des
conventions. Enfin, donne à l’Administration les moyens non seulement de constater mais
surtout d’apprécier l’identité des comparants.
Cette politique à l’évidence, consistait à éliminer a priori toutes les conventions illégales,
c’est-à-dire contraires aux prescriptions coloniales.
§ 1 - le droit social
C’est ainsi que La loi du 15 décembre 1952 portant code du travail dans les
territoires d’Outre-mer vint consacrer solennellement la liberté de travail. L’avènement de
ce code témoigne de la reconnaissance sans équivoque de cette liberté qui auparavant était
mentionnée par des dispositions isolées ; notamment, la loi du 28 décembre 1910 portant
codification des lois ouvrières et de son décret d’application daté du 12 janvier 1910, la loi
du 26 novembre 1912, sur la réglementation du travail et son décret d’application du 28
novembre 1912 et la loi du 28 mars 1912 relative aux conditions de la législation sur le
travail en A.O.F. cependant, comme nous l’avons noté, cette liberté de travail a été
longtemps niée dans les faits avec la pratique du travail forcé et l’existence du code de
l’indigénat.
67
Côte d’Ivoire. Au mépris de la loi, le SIAMO recrute dans les mêmes conditions que sous le
régime de l’indigénat de la main-d’œuvre servile.73
Le BIT a fait adopter par la Société des Nations une convention du 26/9/1926 relative à
l’esclavage. Par ailleurs après avoir adopté des résolutions tendant à la répression de la
traite, le BIT a entrepris la réglementation du travail forcé qu’il définit comme « tout
travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour
l’exécution duquel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ». Cette définition englobe
la corvée et les diverses prestations physique dont nous parlé plus haut. »75 Ce qui n’était
pas du goût des colons et de la métropole. En témoigne Louis Rolland un doctrinaire
colonialiste76 : « Persuader vaut, imposer ne vaut » a-t-on pu dire. Malheureusement, la
mise en pratique des lois est un impératif tel que dans la mesure où l’éducation est
insuffisante pour l’assurer sans aucune restriction, il faut bien recourir à la sanction »77
La loi du 30 juin 1950 dite loi Lamine Guèye quant à elle, établi le nouveau régime
des soldes et indemnités des fonctionnaires d’Outre mer. Dans son article 6, elle réorganise
la fonction publique en trois groupes :
73OURAGA OBOU (B.), « Le code de l’indigénat et les droits de l’homme dans les colonies françaises d’Afrique
occidentale », in Annales de l’Université d’Abidjan, série A, Droit, tome VIII, 1987 ; pp 101-102
74 ROLLAND Louis, LAMPUE Pierre et Autres, in législation et finances coloniales, Paris, Sirey, 1930, p.380
75 Idem, pp.380-381
76 ibidem
77 BONI (A.), « La mise en pratique des lois dans les nations en voie de développement », in Penant 1963, p. 454.
68
*les cadres supérieurs, c’est-à-dire les fonctionnaires aptes à
servir dans tous les territoires d’un groupe, dépendant du haut commissaire ;
Les africains étaient très rares dans le cadre général, car ils avaient difficilement les
moyens de se présenter aux concours d’accès à ce cadre. Par contre, ils étaient en majorité
dans les cadres supérieurs et formaient la totalité des cadres locaux.
>les agents des cadres généraux : ils sont ordinairement recrutés dans la métropole et sont
nommés par les autorités centrales (chef de l’Etat ou ministre des colonies). Tels sont les
gouverneurs, les agents du cadre général des bureaux des secrétariats généraux, les
trésoriers payeurs coloniaux, les administrateurs des colonies. Les gouverneurs sont
nommés par le chef de l’Etat et régis par le décret du 21/7/1921. Les agents du cadre
général des bureaux des secrétariats généraux sont, eux, nommés par le ministre des
colonies et régis par le décret du 24/11/1912.
Pour les premiers, il n’existe pas de conditions spéciales de nomination. Pour les seconds, il
y a deux sources de recrutement : les brevetés de l’école coloniale et les rédacteurs de
l’administration centrale des colonies peuvent être nommés directement ; les agents des
cadres locaux remplissant certaines conditions d’ancienneté peuvent être nommés à la
suite d’un concours.
Les trésoriers payeurs coloniaux sont nommés par décrets rendus sur la proposition du
ministre des finances, après avis conforme du ministre des colonies. Le recrutement des
administrateurs des colonies est réglé par le décret du 10/7/1920. Les administrateurs
adjoints des colonies sont recrutés parmi plusieurs catégories de personnes : les élèves
administrateurs brevetés de l’école coloniale, ayant fait un stage satisfaisant de un ou de
deux ans dans la colonie.
La situation des fonctionnaires détachés est réglée, de façon générale, par l’article 33 de la
loi du 30/12/1913. Ils ne cessent pas de faire partie des cadres métropolitains ; leur
situation dans l’administration métropolitaine, en principe, n’est pas modifiée.
L’organisation du corps dont ils font partie, étant réglée par les autorités centrales, ne
peut être modifiée par l’autorité locale de la colonie ; le gouverneur est incompétent pour
réglementer leur situation de carrière. Mais en ce qui concerne l’accomplissement de leur
69
tâche, ils sont, pendant la durée de leur détachement, sous l’autorité du gouverneur et du
ministre des colonies.
En dehors de ces textes législatifs, le statut des agents est déterminé par des décrets et
arrêtés locaux, suivant qu’ils font partie des corps constitués par les autorités centrales ou
des cadres locaux organisés par le gouverneur comme c’est le cas des chefs indigènes dits
chefs traditionnels qui sont régis par un arrêté local du 9/10/1934.
Quant aux décrets, retenons ceux du 6 mars 1877 rendant exécutoire l’application
du code pénal dans les colonies ; des 11 mai 1892, 26 juillet 1894 ; 16 décembre 1896
attribuant les pouvoirs répressifs aux administrateurs et chefs de poste.
* infraction flagrante et non flagrante. Ici, il faut retenir cependant que les sources
d’information d’une infraction se présentaient dans deux cas : la clameur et la rumeur
70
publiques (ordonnance du 14 février 1838) et les dénonciations et plaintes (articles 66 et 67
de l’ordonnance du 14 février 1838).
On le voit, le droit pénal colonial par toutes ces prescriptions, lutte contre le
système répressif des sociétés traditionnelles négro-africaines. « En droit traditionnel, le
pénal se ramène essentiellement au crime de sang, c’est-à-dire à tout acte qui atteint l’être
dans sa double nature (matérielle et immatérielle), et au sacrilège, à la violation du temps
et de l’espace du sacré…et ce, pourvu qu’une personne soit directement impliquée ou
métaphysiquement considérée comme telle dans l’acte incriminé »78.
En outre, aucun délai n’est prescrit dans les sociétés traditionnelles en matière pénale. Or
en droit métropolitain, les dispositions seront autres. Ce qui sera source de conflits entre les
deux systèmes juridiques.
§ 1. Définition
Bien que la notion d’ordre public soit ardue à définir selon G. AMADEO qui se fait
le chantre de l’ordre public colonial, le vocabulaire juridique de Gérard Cornu définit
l’ordre public comme « une norme impérative dont les individus ne peuvent s’écarter ni
dans leur comportement, ni dans leur convention (article 6. C.Civ) ; norme qui exprimée
ou non dans une loi, correspond à l’ensemble des exigences fondamentales (sociales,
politiques, etc.) considérées comme essentielles au fonctionnement des services publics, au
maintien de la sécurité ou de la moralité (en ce sens l’ordre public englobe les bonnes
mœurs), à la marche de l’économie (ordre public économique) ou même à la sauvegarde de
certains intérêts primordiaux (ordre public de protection individuelle).
Et pour un pays donné, à un moment donné, l’ordre public est l’Etat social dans
lequel la paix, la tranquillité et la sécurité publique ne sont pas troublées ».
71
§ 2. Caractères
L’ordre public colonial n’est donc pas détachable de l’intérêt colonial qui lui-même
à un caractère mouvant au lieu de reposer sur une permanence humaine, différent
profondément ainsi des autres sortes d’ordre public ; il a un caractère de plasticité et un
caractère empirique. C’est donc à travers la nature et la finalité de l’Etat colonial que la
notion d’ordre public colonial peut se saisir.
En effet, la nature de l’Etat colonial n’est pas différente de celle d’une situation de
guerre non déclarée qui l’amène par l’occupation de territoire acquis par des traités ou la
violence à opposer les indigènes en exploitant leurs contradictions sociologiques. Cela
signifie que la nature de l’Etat colonial se saisit à travers la tension contenue dans ses lois
et règlements, dans ses institutions qui la résument au plan normatif et institutionnel.
§ 3. Finalités
La finalité de l’ordre public colonial est prescrite par la culture politique et
juridique. Elle se ramène à la conquête et à l’acquisition davantage de territoires et de
mains-d’œuvre pour être dans le peloton des peuples civilisateurs. La nation colonisatrice,
a une mission à remplir. C’est dire qu’en déclarant respecter la législation privée indigène,
la métropole n’entend point abdiquer l’obligation qui lui incombe d’assurer et de
maintenir dans la colonie un ordre social et une organisation juridique conforme à sa
mission civilisatrice qui est double : assurer la libération complète de l’individu en
commençant par le commencement, c’est-à-dire la sauvegarde de sa personne ; assurer la
libération complète du territoire en favorisant sa promotion économique et sociale. Cette
mission va être remplie par l’intervention d’une législation d’ordre public.
Ainsi donc, la conjugaison de la nature et la finalité de l’Etat colonial explique
l’ordre colonial qui se caractérise par la restriction des libertés là où et au moment où doit
prévaloir l’autorité coloniale.
Ce que résume le Professeur H. SOLUS « nous entendons par là (la théorie de
l’ordre public) que le statut indigène, dont le respect a été cependant proclamé par la
métropole, ne peut prévaloir lorsqu’elle est en opposition ou en contradiction avec une
règle que la nation colonisatrice considère dans la colonie comme essentielle de l’œuvre de
la colonisation ».
Ainsi, l’ordre public colonial dans ses prescriptions normatives et ses institutions, se
présente comme l’affirmation de la suprématie de la société coloniale sur les sociétés
colonisées et les autochtones ; comme l’interdiction de porter atteinte à l’organisation de
l’Etat colonial et des services publics, tendant ainsi à la sauvegarde des principes
supérieurs de la civilisation occidentale, de la civilisation française.
On retiendra donc que l’ordre public colonial tend à sauvegarder les intérêts
essentiels de l’Etat colonial.
72
SECTION 2. LE REGIME DOUANIER ET FINANCIER
Les colonies sont dotées de la personnalité civile avons-nous écrit ; elles peuvent
posséder des biens et contracter des emprunts, gérer ou concéder l’exploitation des services
d’utilité publique. En AOF, les diverses colonies conservent leur autonomie administrative
et financière sous réserve des droits du gouvernement général. Le budget de la colonie est
préparé par le lieutenant-gouverneur d’après une nomenclature type fixée en recettes et en
dépenses par le ministre des colonies, délibéré en conseil d’administration et approuvé. Le
budget local est alimenté par diverses recettes perçues sur le territoire de la colonie à
l’exception de celles attribuées au budget général de l’AOF ou aux communes.
§ 1. L’impôt
A. l’impôt de capitation
L’arrêté local du 14 mai 1901 a institué un impôt dit « de capitation sur les
indigènes à la côte d’Ivoire »79 aux termes de l’article 1er dudit arrêté, cette contribution
est due par chaque habitant indigène, homme, femme, enfant âgé de plus de 10 ans. Le
paiement de l’impôt devait se faire en monnaie ayant cours légal dans le pays. Toutefois, il
est possible de payer en ivoire, en caoutchouc ou tout autre produit du cru de la colonie,
une mercuriale en fixait la valeur (article 4). Le taux de cette taxe n’est pas uniforme ; elle
varie d’une région à l’autre et d’une année à l’autre. Il était constamment révisé à la
hausse.80
79 Arrêté local du gouverneur CLOZEL établissant un impôt de capitation sur les indigènes à la côte d’ivoire,J.O.C.I., n°
13, 15 juillet 1901, p.1-2.
80 En témoigne, l’arrêté du lieutenant gouverneur RESTE fixant le taux de l’impôt personnel indigène pour l’année
73
B. l’impôt physique
Comme en indique le titre, l’arrêté mettait les européens et les assimilés à l’abri de la
prestation. Mais, le 20 novembre 1930, l’arrêté n°2303 portant fixation du régime des
prestations étendait, aux Européens et assimilés les journées de prestation qui étaient de
dix journées. Mais ces dispositions de 1930 laissaient la possibilité aux uns et aux autres de
racheter leurs journées de prestation. Et c’est l’arrêté n°2302 du même jour qui en fixait le
montant.
La taxe est proportionnelle ou fixe d’après la nature des actes et conventions assujettis.
81 JOAOF n°684.
82 JOCI 1920, pp.113-114.
74
Sont obligatoirement assujettis à la taxe, dans un délai déterminé, en particulier les actes
des notaires, greffiers, huissiers, les actes sous seing privés et même les conventions
verbales ayant pour objet une transmission de propriété, d’usufruit ou de jouissance de
biens immeubles, les effets négociables, les actions et obligations des sociétés, même si les
titres ne sont pas matériellement créés, les quittances, les chèques, les connaissements.
Le paiement des droits est effectué soit par la soumission des actes à la formalité de
l’enregistrement, soit par l’apposition des vignettes spéciales ou par le timbrage à
l’extraordinaire, soit par abonnement ou sur déclaration.83
D. Droits divers.
Les décrets des 23 octobre 1924 et 31 juillet 1927 instituent des droits qui frappent
les permis d’exploration, de recherche et d’exploitation et des redevances et les produits
des mines.
Divers autres arrêtés crées d’autres impôts. Notamment, les arrêtés des
10/11/1925 ;10/02/1903, 11/02/1907, 12/11/1914, 3/7/1926, et 22/8/1927 ; 18/7/1927 ;
25/10/1901 ; 17/1/1916 ; 7/2/1904 ; 19/8/1909 qui instituent respectivement des taxes sur les
armes à feu, redevances afférentes aux opérations du service topographique, droits de
circulation dans la colonie sur les colas, cacao, huiles de palme, caoutchouc et glu, taxes
sur le recrutement des travailleurs indigènes, taxe sur les marchés, produits des permis de
chasse taxe sur les négociants faisant le commerce de certains produits( iroko,acajou, etc.),
recettes du wharf de Grand Bassam84
Notons que les impôts directs sur les indigènes étaient de loin les plus importants. Ils
représentaient environ la moitié des recettes figurant au budget de la colonie en 192885
75
surveillance des administrateurs conformément à l’article 3 de l’arrêté local du gouverneur
Clozel.
L’impôt ainsi perçu à la caisse des agents sous le contrôle des administrateurs et sur
l’état nominatif des villages journellement dans les postes où existe une agence,
mensuellement ou bimensuellement dans les postes où il n’en existe pas.
Pour ce qui est du cas des impôts physiques, il est judicieux de parler du mode
d’acquittement plutôt du mode de paiement.
Enfin, s’agissant des impôts réels et des droits divers, leur paiement est effectué soit
par la soumission des actes à la formalité d’enregistrement, soit par abonnement ou sur
déclaration ou par les taxes fixées sur certaines opérations financières.
Les remises sont des réductions accordées par l’administration fiscale à certains
indigènes privilégiés en raison de leur statut. Ces remises n’excèdent pas 25% du montant
de l’impôt. Elles étaient accordées aux chefs de canton et de village qui avaient assuré
avec sérieux et dynamisme le recouvrement des impôts.
§ 2. Le régime douanier
« Le régime douanier, c’est-à-dire l’ensemble de la réglementation concernant la
politique commerciale, est l’élément essentiel du développement économique d’une
colonie »86.
76
En vertu de la loi du 11/1/1892 complétée par d’autres textes, les colonies étaient divisées
en deux groupes : les colonies et possessions soumises au tarif métropolitain 87 sauf
certaines exceptions d’une part, et d’autre part, les colonies non soumises à ce tarif. Ces
colonies non assimilées se subdivisaient en deux catégories, suivant qu’elles réservaient ou
non un régime préférentiel à la France. Des possessions qui n’accordaient pas aux produits
métropolitains un régime préférentiel se trouvent les établissements de la côte d’Ivoire.
Quelques années plus tard, le régime douanier ivoirien se fixé par une convention
internationale ; celle du 14/6/1898.
L’entrée des marchandises étrangères en zone libre est fortement taxée. Le même
principe de fixation de droits de douane est observé au niveau des produits étrangers
entrant en France. Des droits fiscaux sont perçus dans les territoires soumis à la
convention du 14 juin 1898. Ceux-ci ne sont pas appliqués en zone libre où le service des
douanes assurant la protection consentie aux marchandises nationales joue le double rôle
fiscal et protecteur. La loi du 13 avril 1928 apporte une modification dans le régime et
préside les relations commerciales entre la métropole et les colonies d’Afrique noire
jusqu’en 1954 où les importations dans le territoire bénéficient de la franchise douanière et
les exportations sont exemptées. Mais, les importations des pays étrangers et exportations
vers ces territoires sont frappées de droits de douane.
CHAPITRE 4. L’INDIGENAT
En dehors des infractions prévues par un code pénal et punis par les tribunaux
régulièrement constitués, il existe dans les colonies de l’AOF, un certain nombre de délits
quasi-politiques tout à fait spéciaux à la population indigène et qu’un gouvernement
colonial doit se trouver à même de réprimer par des mesures extrajudiciaires. L’ensemble
de ces dispositions est communément appelé l’indigénat.
87Les nouvelles règles étaient les suivantes. : - Tous les produits devraient circuler en franchise entre la métropole et ses
colonies dans un sens comme dans l’autre, ou entre les diverses colonies ; - Les produits étrangers importés dans les
colonies devraient payer les mêmes droits de douane que s’ils étaient introduits en France
77
Le Code de l'indigénat, créé par le décret du 30 septembre 1887 88 , conférait aux
administrateurs coloniaux des pouvoirs disciplinaires sur tous les indigènes qui n'étaient
pas citoyens français. II avait déjà été appliqué en Algérie dans les années 1840. Les
officiers des bureaux arabes, en vue d'assurer leur autorité, avaient reçu le pouvoir
d'infliger sans jugement des amendes ou de courtes peines de prison pour des délits qui
n'auraient pas été considérés en France comme étant contraires à la loi. La loi de 1887
limite les peines pouvant être infligées aux indigènes à quinze jours de prison et cent
francs d'amende ; ainsi, les délits passibles de sanctions furent, avec le système de
l'indigénat, clairement définis. Par la suite, la liste des délits fut accrue, et, en 1888, en
comportait seize.
78
2) refus de répondre aux convocations de l'administrateur;
3) tirer un coup de fusil pendant une fête à moins de cinq cents mètres de la maison
de l'administrateur;
14) défaut d'exécuter, en cas d'épidémie, les mesures sanitaires ordonnées par
l'administrateur;
§ 2. Les pénalités
79
situation de l’individu interné pour infraction à l’indigénat ressemble en bien des points à
celle du prisonnier de guerre.
° Le séquestre est « la mainmise de l’Etat sur les biens, meubles et immeubles d’un
individu ou d’une collectivité ». C’est une sorte de saisie administrative, dont le but
déguisé est d’amener les indigènes à composition en les prenant par la disette.
° L’amende collective est destinée à réparer les dommages causés par les habitants
d’une tribu, d’un village, ou d’une communauté quelconque ; on a même appliqué cette
pénalité pour punir certains crimes dont il est impossible de découvrir les auteurs, sous
prétexte que le clan, auquel appartenaient les coupables, était solidairement responsable
de leurs actes ; c’est, en effet, un moyen détourné d’amener la dénonciation des criminels.
Ces peines n’ont cependant jamais fait l’objet d’une législation bien spéciale !
L’internement est une mesure exclusivement politique, prévue seulement par des arrêtés
locaux ; en droit strict, elle n’a pas de valeur légale. Le séquestre et l’amende sont, au
contraire, reconnus par divers textes, l’ordonnance du 31 octobre 1845, la loi du 17 février
1864 et celle du 21 juillet 1903.
80
En AOF et en Nouvelle-Calédonie, l’indigénat est plus strictement réglementé qu’en
Algérie ou en Indochine en ce sens que les administrateurs sont investis de pouvoirs
disciplinaires assez étendus.
Au total, l’indigénat nie les droits de l’homme aux colonies où il est appliqué. Cette
négation est liée aux fonctions traditionnelles de la puissance coloniale.
81
e) Les canaux de navigations et leurs chemins de halage, les canaux d’irrigation et de
dessèchement et les aqueducs exécutés dans un but d’utilité publique, ainsi que les
dépendances de ces ouvrages ;
f) Les chemins de fer, les routes et les voies de communication de toute nature et les
dispositifs de protection de ces voies, les conduits d’eau, les conduits d’égouts, les ports et
les rades, les digues maritimes et fluviales, les ouvrages d’éclairage et de balisage, ainsi que
leurs dépendances :
g) Les lignes télégraphiques et téléphoniques et leurs dépendances, ainsi que les aériens des
stations radio électriques, y compris leurs supports, ancrages, lignes d’alimentation,
appareils de couplage ou d’adaptation et leurs dépendances :
h) Les ouvrages déclarés d’utilité publique en vue de l’utilisation des forces hydrauliques
et du transport de l’énergie électrique ;
i) Les ouvrages de fortification des places de guerres ou des postes militaires, ainsi qu’une
zone large de 250 mètres autour de ces ouvrages ;
j) Et généralement les biens de toute nature que le code civil et les lois déclarent non
susceptibles de propriété privée89.
Tel que défini, et en se fondant sur la nature de l’affection, on peut distinguer entre le
domaine public naturel et le domaine public artificiel.
Par cette distinction, l’on veut simplement indiquer que les biens du domaine public
naturel résultent de phénomènes naturels géographiques alors que ceux du domaine public
artificiel sont du fait de l’homme.
Ainsi, le domaine public naturel comprend :
- Le domaine public maritime (les rivages de la mer, le sol et le sous-sol de la mer
territoriale)
- Le domaine public fluvial (fleuves, rivières, lacs, etc.)
- Les eaux souterraines (sources aquifères)
- Et le domaine public aérien et hertzien.
Quant au domaine public artificiel, il est constitué
89 Déclarer que font partie du domaine public tous biens non susceptible de propriété privée est un non sens. Tous les
biens peuvent faire l’objet d’une appropriation privative. Ce qui distingue le domaine public du domaine privé, c’est
l’affectation soit à l’usage de tous, soit à l’usage d’un service public. On doit donc considérer que lorsqu’un bien ne figure
pas dans l’énumération du décret du 29 septembre 1928, il faut se référer à la définition jurisprudentielle pour
déterminer la nature dudit bien.
La définition synthétique comme il ressort de cette critique n’est pas une définition opérationnelle. En effet, elle présente
des difficultés d’interprétation. Cependant, elle a le mérite de faire comprendre que la définition par énumération n’est
pas une définition exhaustive .Ainsi, à défaut de figurer sur la liste les biens composant le domaine public, c’est au juge
qu’il revient de déterminer la nature juridique des biens. Au demeurant on constate que les biens qui sont énumérés dans
le décret sont ceux qui à l’époque coloniale étaient indispensable au colonisateur pour remplir sa mission.
82
-Des ports et rades et leurs dépendances
- Des canaux de navigation
- Des voies et éléments de communication (voies terrestres ouvertes à la
circulation publique et leurs dépendances et accessoires ; les chemins de fer et les gares, les
égouts, les lignes électriques, téléphoniques,..)
Mais, quels sont les liens juridiques qui existent entre l’Etat et ses biens
domaniaux ?
83
Cependant, il admet pour les personnes privées la possibilité d’avoir des droits réels
sur le domaine public. Si ces droits (91) sont antérieurs à 1900.
La doctrine dans la métropole va se mêler de la bataille. Ainsi, d’éminents juristes
contestent à l’Etat un droit de propriété sur son domaine public. Pour eux, l’on n’y
retrouvait pas les éléments caractéristiques du droit de propriété que sont : l’usus, le
fructus et l’abusus. Pour Proudhon et ses disciples, l’Etat n’avait qu’un droit de gage ou
dans le meilleur des cas un pouvoir de politique sur les biens composant le domaine public.
Léon DUGUIT estime quant à lui, qu’il est inutile de recourir à la notion de propriété qui
serait une transposition injustifiée dans le droit public de concept civiliste. Pour lui, l’idée
d’affectation suffit à rendre compte des rapports entre les personnes publiques et les
dépendances domaniale (92).
Ce courant anti propriétariste sera critiqué par ceux qui reconnaissent à l’Etat le
droit de propriété. A la tête de ces derniers, le doyen HAURIOU qui va montrer que les
objections élevées contre l’idée de propriété ne sont pas décisives et qu’à l’inverse, de
nombreux arguments militent en faveur de la reconnaissance du droit de propriété. Ainsi,
selon lui, l’on retrouve les trois caractères du droit de propriété :
L’usus, parce que les dépendances domaniales sont affectées le plus souvent à des
services publics ; même lorsque la dépendance domaniale est affectée au public, ce dernier
ne peut jouir de la dépendance domaniale qu’au travers le service public.
Le fructus, en ce que de plus en plus l’Administration perçoit des redevances pour
l’utilisation du domaine public.
Le domaine public devient ainsi une source de richesse pour la collectivité publique.
L’abusus qui permet d’aliéner.
Cette position doctrinale de Hauriou sera confirmée par la jurisprudence : C.E.
arrêt du 16 juillet 1909 ville de Bari qui reconnaît que les personnes publiques sont
propriétaires de leurs biens du domaine public.
La jurisprudence applique aux personnes publiques, à l’égard de leur domaine
public, les procédures et solutions régissant le droit des propriétés.
§ 3. La protection du domaine public
Le domaine public compte tenu de son objet, est protégé en lui-même au regard de
toutes les catégories de personnes.
Le domaine public de l’Etat est protégé civilement et pénalement.
84
A. La protection civile
L’Administration est tenue d’entretenir le domaine public afin qu’il réponde aux
besoins de son affectation.
La protection du domaine public résulte ensuite de l’inaliénabilité et de
l’imprescriptibilité.
Le domaine public est à la disposition de tout le monde ; et pour que ses
dépendances puissent servir à leur destinataire, elles doivent être entretenues par
l’Administration. Mais les dépenses d’entretien peuvent être aussi à la charge de
l’affectataire. Cette obligation d’entretien existe en l’absence même de texte.
S’agissant de l’inaliénabilité, son fondement se trouve d’abord dans la définition
même donnée par le décret du 28 septembre 1928 : « … et généralement les biens de toute
nature que le code civil et les lois déclarent non susceptibles de propriété privée ». (Article
1er, j) ; par la suite, la loi du 8 novembre 1984 portant régime domanial des communes
dispose que le domaine public est inaliénable, imprescriptible et insaisissable.
Si au XIX ème siècle, on a pu justifier l’inaliénabilité par le fait que le domaine
public était la source de revenu de l’Etat, aujourd’hui, l’inaliénabilité vise surtout à
protéger l’affectation c’est-à-dire la destination de bien à l’intérêt général.
Il s’ensuit qu’un bien du domaine public désaffecté peut être aliéné. C’est dire que
la règle de l’inaliénabilité n’a qu’une valeur relative.
Les conséquences principales s’attachant à la règle d’inaliénabilité sont la nullité
des aliénations volontaires ou forcées et l’impossibilité d’avoir des droits réels sur le
domaine public.
Quant à l’imprescriptibilité, elle se présente comme le corollaire de la règle de
l’inaliénabilité. Elle vise à paralyser l’acquisition des biens domaniaux par la prescription
acquisitive. Cette règle a aussi pour conséquence l’irrecevabilité des actions possessoires
des particuliers contre les personnes publiques propriétaires du domaine.
L’action en réparation des dommages causés au domaine public, appelée action
domaniale ne se prescrit jamais, au contraire de l’action pénale qui, elle, se prescrit.
B. La protection pénale
Le domaine public peut être l’objet d’empiétement et de dégradation ;
l’administration dispose de divers moyens pour y faire face. D’abord, elle peut dans les
conditions de droit commun exercer contre l’auteur de ces actes des actions judiciaires
(actions possessoires et action en revendication). Elle peut également exercer une action en
responsabilité civile. A côté de ces procédés, il existe une protection principale qui se
traduit par l’existence d’une police de la conservation assortie de sanctions originales
appelées contraventions de voirie.
85
1. La police de la conservation du domaine public.
On entend par police de la conservation du domaine public, les pouvoirs qui
appartiennent à certaines autorités administratives pour prendre des règlements de police
en vue d’assurer la conservation de certaines dépendances du domaine public. La police de
la conservation du domaine public a donc pour objet de réprimer les faits pouvant
compromettre l’intégrité du domaine public ou nuire à l’usage du domaine public. Cette
police ne s’applique qu’aux biens du domaine public pour lesquels elle a été constituée
(c’est une police spéciale). Mais, cette police n’est pas attachée à la propriété du domaine
public mais plutôt à son affectation. C’est l’affectation seule qui justifie la mise en place
d’un système répressif.
Toutefois, il convient de distinguer la police de la conservation des mesures
administratives destinées à assurer la conservation du domaine public. Les mesures
administratives de conservation du domaine public participent de la régulation de gestion.
Ces mesures de gestion qui sont des actes particuliers ne sont pas assorties au contraire des
mesures de police, de sanction pénale. Le pouvoir de gestion se rattache au droit de
propriété.
De même, il y a lieu de distinguer la police de la conservation du domaine public de
la police générale qui est celle de l’ordre public. Leur champ d’application est différent. En
effet, la police de la conservation ne s’exerce qu’à l’égard des dépendances du domaine
public prévues à cet effet, alors que la police générale s’exerce sur toutes les dépendances
du domaine public et même partout.
La police de la conservation se différencie par ailleurs de la police de l’ordre public
au regard des sanctions applicables. Alors que les violations des règlements de police de
l’ordre public sont des contraventions sanctionnées par défaut de dispositions précises (par
exemple l’article 15 du code pénal), les infractions à la police de la conservation
constituent des contraventions de voirie.
Il en est de même des terres qui, ne faisant pas l'objet d'un titre régulier de propriété ou de
jouissance par application, soit des dispositions du Code civil, soit des décrets du 8 octobre
1925 et du 26 juillet 1932 , sont inexploitées ou inoccupées depuis plus de dix ans. » (article
1er) c’est-à-dire la quasi totalité du domaine colonial.
En 1955, le décret-loi n° 5-580 du 20 mai 1955 portant réorganisation foncière et
domaniale en Afrique occidentale française et en Afrique équatoriale
française93dispose en ses articles 1-3 :
Sous la même réserve, les biens immobiliers domaniaux entretenus au frais du budget de
l'État sont attribués au domaine privé de l'État même s'ils ont été immatriculés au nom
d'une autre collectivité publique.
Par mesure exceptionnelle, il est procédé dès l'entrée en vigueur du présent décret dans les
groupes de territoires susvisés à un inventaire des biens appropriés qui constituent le
domaine privé immobilier des différentes collectivités publiques. Cet inventaire est
effectué, dans chaque territoire, par une commission dont la composition, les attributions
elles conditions de fonctionnement sont fixées par arrêté du ministre de la France d'Outre-
Mer.
87
Les transferts d'immeubles domaniaux nécessités par l'application des dispositions qui
précèdent sont prononcés par arrêté du haut commissaire de la République, après avis du
Chef de territoire intéressé et après délibération des assemblées locales intéressées.
Nul Individu, nulle collectivité ne peut être contraint de céder ces droits si ce n'est pour
cause d'utilité publique et moyennant une juste compensation. Nul ne peut en faire un
usage prohibé par les lois ou par les règlements.
94 Jean – Marie AUBY et Pierre BON, Droit Administratif des biens, Paris, Dalloz, 1995, p 347
88
l’arrêté de cessibilité et une phase judiciaire avec le jugement d’expropriation portant
transfert de propriété.
- L’expropriation pour cause d’utilité économique encore appelée expropriation pour
non mise en valeur répond aux fonctions sociales, de développement assigné à la propriété
foncière.
Par la purge des droits coutumiers
La purge des droits coutumiers est l’opération par laquelle, l’Administration ou la
personne publique dédommage des particuliers ou des communautés villageoises ayant des
droits coutumiers sur un terrain qu’elles entendent s’approprier. Cette purge s’exerce
normalement pour les terrains non immatriculés et précisément au moment de leur
immatriculation ou domanialisation par la puissance publique. Les périphéries urbaines
restent les principaux terrains de l’exercice de l’opération de purge.
Par les confiscations pénales
Par le droit de péremption fiscale
Par la prescription trentenaire.
89
B. l’occupation privative du domaine public
L’utilisation privative du domaine public est fondée sur un acte juridique unilatéral
et un contrat : la permission de voirie et la concession de voirie.
1. La permission de voirie
C’est un acte administratif unilatéral conférant à une personne déterminée le droit
d’occuper privativement une dépendance du domaine public affectée à l’usage de tous. La
permission de voirie peut être assortie de conditions particulières figurant dans un cahier
des charges. La révocation qui peut intervenir à tout moment et pour tout motif d’intérêt
général n’ouvre pas droit à indemnisation. A la fin de l’autorisation, le permissionnaire
doit rendre le domaine public en l’état initial. Si en raison de son caractère précaire et
révocable, le permissionnaire n’a aucun droit au maintien ni au renouvellement de son
autorisation, il n’en reste pas moins vrai qu’il dispose du droit d’utiliser privativement la
dépendance domaniale dans les conditions prévues par la permission de voirie. Tant que
son autorisation n’a pas pris fin, il jouit d’un droit d’occupation paisible qu’il peut
défendre contre les tiers et même contre l’Administration dont il peut engager la
responsabilité si elle permet à un tiers d’occuper la parcelle du domaine faisant l’objet de la
permission. La permission de voirie constitue un titre personnel qui ne peut être cédé ou
transmis qu’avec l’accord de l’Administration.
90
technique des permis et celle des concessions qui apparaît comme une opération à
procédure au travers de laquelle l’Etat octroie sous condition de mise en valeur, des droits
fonciers aux particuliers. Cette opération présente deux caractères : les concessions
provisoires et les concessions définitives.
A. Les permis
Ce sont les permis d’habiter et d’occuper
1. Le permis d’habiter
C’est un mode de mise à la disposition des particuliers du domaine privé de l’Etat,
créé par un arrêté colonial de 1909 complété par les arrêtés du 30 mars 1921 et du 11
octobre 1943.
Il se définit comme une autorisation administrative, donnée à une personne.
Autorisation qui accorde à ce dernier, le droit d’habiter une parcelle du domaine privé. Cette
autorisation était au départ essentiellement destinée aux Africains qui se pressaient dans
les centres urbains. C’est en effet, dans le but d’encourager la fixation de la main-d’œuvre,
que le colonisateur a institué le permis d’habiter qui se voulait une procédure simplifiée et
gratuite par opposition à la concession, trop complexe et trop onéreux pour les indigènes.
Le permis d’habiter ne conférait qu’un droit d’usage à son titulaire. Celui – ci ne paie
aucun loyer, mais doit personnellement habiter la parcelle. Le bénéficiaire n’est soumis à
aucune obligation de mise en valeur et il lui est permis d’élever des constructions de toute
nature à condition de respecter quelques règles d’hygiène et d’alignement.
Le bénéficiaire ne peut ni vendre ni hypothéquer le terrain. Etant accordé institue
personae, il ne peut être céder à un tiers qu’avec l’autorisation de l’Administration. Le
permis d’habiter est un droit personnel. Il est accordé pour une durée indéterminée. Il n’en
est pas ainsi du permis d’occuper.
2. Le permis d’occuper
Il se présente comme une autorisation à durée déterminée, délivrée par
l ‘administration et accordant à un particulier un simple droit d’installation temporaire sur
le domaine privé de l’Etat. Il était surtout pratiqué à l’époque coloniale sur des terrains
censés appartenir à l’Etat mais qui n’ont pas fait l’objet d’immatriculation. Le
permissionnaire n’est autorisé à réaliser que des installations en matériaux provisoires ou
en éléments démontables.
Le bénéficiaire d’un permis d’occuper est astreint à une redevance annuelle. Il ne
lui est en revanche dû aucune indemnité en cas de reprise du terrain.
Le permis d’occuper n’est donc qu’une autorisation précaire et révocable, une sorte
de dégradé du permis d’habiter.
En cas d’immatriculation, l’occupant a un droit de priorité pour l’achat du lot.
91
On le voit, la technique des permis dans la mesure où elle conserve à la puissance
publique, la propriété des sols, contrairement à la concession, présente un intérêt particulier
pour l’Administration en charge de l’aménagement urbain.
B. les concessions
Les concessions qui sont le mode principal de mise à la disposition des particuliers
par l’Etat de son domaine privé, peuvent se définir comme le contrat par lequel la
puissance publique cède à titre onéreux ou gratuit une portion de son domaine privé.
Durant la période coloniale, le système de la concession, singulièrement des terres
« vacantes et sans maîtres » avait pour but de mettre en valeur des terres jusqu’alors
inexploitées, d’implanter en Afrique une agriculture moderne qui donne l’exemple du
progrès aux indigènes. C’est la raison pour laquelle les terres concédées l’étaient tout
d’abord aux européens (96).
Il existe deux types de concession : les provisoires et les définitives
1. La concession provisoire
La concession provisoire ou concession en jouissance est une décision administrative
qui confère à son titulaire un droit réel immobilier, un droit de jouissance personnel. Elle est
hypothécable et est acceptée comme gage par des organismes financiers de prêts
immobiliers.
Comment attribuer ou retirer la concession provisoire ?
a. Attribution
« Des concessions ne peuvent être accordées qu’aux personnes ou sociétés justifiant
qu’elles disposent effectivement des ressources financières qui sont jugées nécessaires pour
garantir la mise en valeur.
Par exception, les demandeurs de concessions de moins de 200 hectares (…)
peuvent être dispensés de ces justifications en ce qui concerne les terrains de faible étendue
susceptibles d’être mis en valeur par un effort individuel ou familial. Il ne peut être
accordé qu’une seule concession de cette nature à un même titulaire » (97).
Ces concessions peuvent être des concessions rurales ou des concessions urbaines. En
ce qui concerne l’AOF, champ de notre étude, ces concessions étaient essentiellement
rurales. Aussi, allons-nous nous appesantir sur ce type de concession.
« Sont désignés sous le nom de concessions rurales, des terrains situées en dehors
des centres urbains et utilisés en principe pour des entreprises agricoles ou industrielles.
92
Les terrains ruraux sont attribués à titre onéreux à des clauses et conditions
spéciales à un cahier des charges annexées à l’arrêté d’octroi. Toutefois des concessions
gratuites peuvent être attribuées » (98).
α La concession provisoire sous réserve du
droit des tiers
Cette concession est réglementée par l’arrêté local n°2164 du 9 juillet 1936. Le
bénéficiaire n’a ni droit de propriété, ni droit réel sur le terrain. La propriété du sol
appartient à l’Etat.
β. La concession provisoire pure et simple
Elle fait suite à la concession provisoire sous réserve du droit des tiers. Les effets de
cette concession sont limités à un droit d’usage pour cinq ans renouvelables. Mais grâce à
l’immatriculation, qui renforce le titre juridique et à la différence des autres concessions, le
bénéficiaire peut s’en prévaloir pour obtenir des prêts hypothécaires. Après un délai de
cinq ans, une concession à titre définitif pourra être faite au bénéficiaire de la concession
provisoire pure et simple à condition qu’il ait mis le terrain en valeur en respectant les
prescriptions du cahier des charges(99).
b. Le retrait
« Si à l’expiration des délais impartis, les concessionnaires n’ont point rempli les
conditions de concession provisoire, celui-ci peut leur être retiré.
Il peut toutefois être accordé aux concessionnaires, dans le cas où les retards
constatés ne leur seraient pas uniquement et absolument imputables, des délais
complémentaires soit pour commencer les travaux, soit pour achever la mise en valeur »
(article 11.A.L n°2164 du 9 juillet 1936)
Dans tous les cas, aucune concession provisoire nouvelle ne pourra être accordée
avant que les concessions antérieurement octroyées n’aient été entièrement mises en
valeur et n’aient fait l’objet d’un titre de propriété ou d’un bail emphytéotique.
Les concessions sont d’abord provisoires. Mais le détenteur provisoire devra
solliciter l’attribution définitive après l’expiration du délai imparti pour la mise en valeur
du terrain.
98 Article 2. A.L n°2164 AG du 9 juillet 1936, réglementant l’aliénation des terrain domaniaux.
99 YAO – N’DRE P. « Décentralisation et développement rural en Côte d’Ivoire », in EDC n° 2, pp 94 – 95
100 A la vérité aucun texte ne fait obligation d’immatriculer les terrains. le décret foncier du 26 juillet 1932 dispose qu’elle
était facultative et ne devenait obligatoire que dans deux cas : le principe de l'immatriculation au nom de l'Etat est un
fait, une exigence de l’administration sans aucun fondement juridique. ( KOBO, p 62 )
93
rempli cette condition, l’Etat, propriétaire de terrain, peut la céder en pleine propriété ou
conclure un contrat de bail emphytéotique (101).
a. L’immatriculation, condition préalable à la
concession définitive
α. Définition et but de l’immatriculation
L’immatriculation qui s’entend de l’action par laquelle la terre est inscrite sur un
registre par un numéro d’identification (numéro complété par des mentions faisant état
des caractéristiques de la terre immatriculée) s’inspire principalement du « torrens act »
intervenu en Australie le 02 juillet 1858.
Elle s’analyse en une garantie de droits réels sur un immeuble. C’est donc un mode
de garantie du droit foncier. « Cette garantie est obtenue au moyen de la publication sur
les livres fonciers, à un compte particulier ouvert pour chaque immeuble, de tous les droits
réels qui s’y rapportent, ainsi que les modifications de ces mêmes droits, ladite publication
étant précédée de la vérification des justifications produites et faisant foi à l’égard des
tiers » (article 2. décret du 26 juillet 1932)
L’immatriculation a donc pour but « d’assurer aux titulaires la garantie des droits
réels qu’ils possèdent sur les immeubles soumis au régime de l’immatriculation… » (article
1er décret du 26 juillet 1932).
On le voit, la procédure d’immatriculation vise à établir des titres écrits destinés à
prouver les droits fonciers et à en déterminer les titulaires.
Au départ, la préoccupation du législateur colonial n’était pas d’organiser la
publicité des droits fonciers détenus par les africains mais plutôt de sécuriser les colons,
parties à des tractations portant sur ces droits fonciers.
Ainsi, aux termes des premières réglementations édictées par l’autorité coloniale,
seuls les biens immobiliers appartenant aux colons et assimilés pouvaient être enregistrés,
ou immatriculés aux livres fonciers et de ce fait être régis par le code civil et les textes
subséquents.
Si l’immatriculation fut introduite en Côte d’Ivoire par deux décrets du 20 juillet
1900, c’est au décret du 24 juillet 1906 portant organisation du régime de la propriété
foncière dans les colonies et territoires relevant du gouvernement général de l’AOF, qu’il
revient d’instituer vraiment le régime des livres fonciers en AOF. Le décret du 26 juillet
1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en AOF qui l’abrogea et la
remplaça, ne comporte pas beaucoup d’innovations.
Pour permettre la publication, les immeubles doivent être en suite d’une procédure
spéciale tendant à provoquer la révélation de tous les droits réels déjà constitués,
préalablement immatriculés sur les livres fonciers.
101Mais avant ces phases, il y a la lettre d’attribution qui est un agrément administratif. Elle ne confère pas de droit à
son titulaire.
94
β. La procédure
La procédure d’immatriculation comporte plusieurs phases :
- La réquisition d’immatriculation
Elle se présente sous la forme d’un dossier déposé entre les mains du conservateur
de la propriété foncière. Dans cette réquisition, le particulier ou l’Etat affirme sa propriété
sur une parcelle de terre et demande au conservateur d’immatriculer la parcelle concédée à
son nom.
Mais, « le défaut de textes d’application locaux aux décrets du 20 mai 1955 et du 10
juillet 1956 empêche toute immatriculation directe de terrain au nom des particuliers. Seul
l’Etat se trouvait donc en mesure de faire immatriculer des terrains en son nom. Plutôt
que de combler ce vide juridique par la prise de textes, l’Administration va interpréter cet
état de fait (le défaut de textes d’application qui précisent les modalités de
l’immatriculation les droits coutumiers) comme signifiant que toute immatriculation
devait s’opérer d’abord au nom de l’Etat. Ce qui revient à dire que l’Etat est propriétaire
de toutes les terres immatriculées, car l’immatriculation a pour effet principal de conférer
le titre de propriété à celui au nom de qui elle est opérée.
- La publicité de la réquisition
Afin de savoir si des tiers n’ont pas de droits à faire valoir sur le terrain dont la
propriété est revendiquée, la demande d’immatriculation doit être portée à la connaissance
du public ; les formalités de publicité de l’avis d’immatriculation sont inscrites au journal
officiel et affichées aux divers lieux publics de la localité concernée.
- Le bornage du terrain
Il consiste en une identification matérielle du terrain et à la reconnaissance de ses
limites. Cette publicité à lieu en présence de tous les intéressés et d’un géomètre assermenté
au service du cadastre.
- L’inventaire des biens
Les tiers disposent d’un délai de trois mois à compter de l’affichage pour faire
connaître leur revendication. Ils peuvent le faire soit par voie de l’opposition, soit par voie
de la demande d’immatriculation.
Par l’opposition, le tiers conteste au demandeur la propriété du terrain objet de la
réquisition d’immatriculation.
Par la demande d’inscription, le tiers ne conteste pas seulement la propriété du
terrain du demandeur, mais cherche plutôt à faire valoir un droit réel sur le terrain
(hypothèque, usufruit, gage).
En l’absence d’opposition en demande d’inscription dans le délai de trois mois, le
conservateur prononce l’immatriculation du terrain.
Dans le cas contraire, l’immatriculation est arrêtée et il appartient au tiers
opposant de la requérir lui-même.
95
- La formalité de l’immatriculation proprement dite
Lorsqu’il n’existe plus d’obstacle à l’immatriculation, le dossier revient entre les mains du
conservateur qui peut alors procéder après les vérifications ultimes à la formalité
d’immatriculation. L’acte qui en découle assure au demandeur la pleine propriété et
s’appelle titre foncier. On se trouve alors au sein des effets de l’immatriculation.
γ. Les effets de l’immatriculation
L’immatriculation opère une purge des droits coutumiers et aussi, confère un droit
définitif. C’est en effet, aux yeux de l’Administration, à partir de l’immatriculation
foncière que la terre obtient une identité juridique, pour dire qu’elle s’ouvre à la vie
juridique.
L’immatriculation aboutit à aborder des droits intangibles et inattaquables ; même
s’il se révélait que l’immatriculation foncière a été obtenue en fraude de droit d’autres
personnes, le titre ne serait pas pour autant annulé. Ceux, dont les droits sont lésés par
l’immatriculation n’ont que l’action en dommages et intérêts pour obtenir réparation du
préjudice subit.
Par ailleurs, immatriculer un terrain au nom de l’Etat, c’est d’abord lui en octroyer
la propriété. Si l’Etat rétrocède sous forme de cession le terrain au particulier qui en a
initié l’immatriculation, les deux actions ne sont pas liées. Rien en effet n’oblige
juridiquement l’Etat à céder à celui-ci, c’est de façon discrétionnaire que l’Etat accorde
des concessions.
b. Le bail emphytéotique
α. Définition
Le bail emphytéotique est un droit réel immobilier conféré par un contrat de longue
durée (18 à 99 ans) conclu entre un particulier qui jouit de l’usage du sol et l’Etat qui en
reste propriétaire.
Les baux emphytéotiques sont également consentis en ville pour des opérations
industrielles nécessitant de gros investissements et en milieu rural pour de grandes
plantations agricoles.
Le bail emphytéotique reste en AOF régit par la loi du 25 juin 1902 relative au bail
emphytéotique et le décret du 26 juillet 1932 portant organisation du régime foncier.
96
Le bail emphytéotique est ainsi un moyen de négociation foncière entre les mains
de l’Etat, surtout dans ses rapports avec les détenteurs coutumiers du sol
En effet, l’Etat peut céder la terre à un autre demandeur. C’est pour éviter la
spéculation sur les terrains qui acquiert une plus grande valeur du fait des équipements de
l’Etat que la reprise par l’Etat du terrain objet du bail emphytéotique constitue un moyen
de négociation.
γ. Les obligations du bénéficiaire du bail
emphytéotique
Le bénéficiaire du bail emphytéotique doit payer à l’Etat une redevance annuelle.
Par ailleurs, il souffre servitude passive et active concernant son bail. Enfin, le bail
emphytéotique oblige à une mise en valeur permanente du sol.
Bien que le bail emphytéotique par sa durée procure une sécurité suffisante aux
investisseurs et aux banquiers, il n’est pas à l’abri d’une expropriation pour cause d’utilité
publique. Le bénéficiaire d’un bail emphytéotique subit en outre un inconvénient majeur,
celui de l’incertitude de voir le renouvellement de son bail.
c. la pleine propriété
Une société désireuse d’acquérir un terrain adresse au gouverneur de la colonie une
requête portant sur un certain nombre d’hectares repérés. Le Ministre chargé du Domaine
fait procéder à une enquête sommaire qui recense les noms des planteurs villageois et la
« valeur » de leurs plantations. La présence de ces planteurs villageois sur les terres
convoitées par la société n’est jamais considérée par l’Administration comme un obstacle à
son attribution. Seulement, l’Administration indemnise (en espèces) les paysans pour les
plantations détruites, selon un tarif fixé en fonction de la nature des cultures. Puis un
arrêté du Ministre chargé du Domaine met une superficie déterminée à la disposition de la
société requérante.
S/§ 2. Les institutions de gestions
Le domaine foncier rural est géré par un ensemble d’institutions et d’organismes
d’appui au développement.
« Quiconque veut obtenir la concession provisoire d’un terrain doit par
l’intermédiaire et sous couvert de l’Administration du cercle de la situation des biens,
adresser au Ministre chargé du Domaine une demande… »Article 3. A.L. n°2164.AG du 9
juillet 1936, réglementant l’aliénation des terrains domaniaux. Ainsi, c’est principalement
au Ministre chargé du domaine, à l’Administration du cercle qu’il revient la gestion du
domaine foncier rural. Il faudra leur adjoindre un technicien, le receveur du domaine.
97
A. Le ministre chargé du domaine
C’est le ministre en charge du domaine qui par arrêté accorde la concession à titre
provisoire au demandeur. Il constate par le biais de son représentant la mise en valeur du
terrain concédé.
B. L’Administrateur de cercle
L’Administrateur du cercle de la situation des biens reçoit des mains du
demandeur, la demande de concession ; dossier qu’il transmet au Ministre avec avis
motivé, après l’avoir publié, mis à la connaissance du public.
L’Administrateur avant la transmission du dossier au Ministre, après enquête sur
les lieux, a qualité pour régler à l’amiable les oppositions, et constater administrativement
l’accord des parties au cas de versement d’indemnité. Le procès verbal de l’accord sera
joint au dossier.
Ainsi constitué, le dossier sera transmis au Ministre qui après expiration du délai de
deux mois, à partir de la première insertion au journal officiel communique le dossier au
receveur des domaines…
Quelle que soit la modalité de mise à dispositions des terrains, le bénéficiaire est
soumis à une exigence constante : LA MISE EN VALEUR.
§ 1. La mise en valeur des terres, conditions de l’utilisation des terres
« Au système d’immatriculation, dont la finalité était de transformer un droit
d’usage en droit de disposition, le législateur désirait ajouter l’obligation de rentabiliser les
tenures. L’introduction d’une conception spécifiquement économique va désormais exercer
une hégémonie sur la philosophie du système juridique traditionnel. Le droit pour le droit
va devenir le droit au service de l’économie » : c’est la notion de mise en valeur.
Cependant, il faut distinguer entre les terres immatriculées et les terres non
immatriculées.
A. le cas des terres immatriculées
Les critères de mise en valeur sont énumérés dans le cahier des charges annexé à
l’arrêté d’octroi. Cette mise en valeur est approuvée rigoureusement par rapport aux
résultats des nouvelles techniques d’exploitation et non par rapport à ceux enregistrés par
les pratiques coutumières.
98
B. Le cas des terres non immatriculées
La mise en valeur est appréciée par rapport aux pratiques suivies dans la région en matière
de jachère.
Malheureusement, ce qui vient d’être dit, n’indique pas les critères d’existence de la
mise en valeur. Ce qui amène à se demander si un simple défrichement est synonyme de
mise en valeur.
Un simple défrichement ne suffit pas à constater la mise en valeur.
Pour l’Administration, la procédure de mise en valeur est synonyme de mise en
culture et cette mise en culture était portée sur au moins les deux tiers de la superficie utile
cultivable.
Le slogan politique «la terre appartient à celui qui l’a mise en valeur » est traduit
par la pratique administrative confortée par la jurisprudence, non par l’octroi du droit de
propriété sensé appartenir à l’Etat, mais par la reconnaissance d’un simple droit d’usage.
C’est ainsi qu’entre l’occupant qui a mis la terre en valeur et celui qui prétend avoir sur la
même parcelle des droits de « propriété coutumière », la préférence est donné au premier.
Les objectifs de développement assignés à la propriété foncière et le souci d’éviter la
thésaurisation des sols ont-ils conduit l’Etat à se doter de mécanismes visant à sanctionner
l’insuffisance ou le défaut de la mise en valeur.
§ 2. Sanction de l’insuffisance ou du défaut de mise en valeur des
terres
Les terres et terrains abandonnés de fait ou insuffisamment mis en valeur sont
l’objet de la lutte entreprise par les pouvoirs publics contre l’absentéisme ou le défaut
d’aménagement.
A. La déclaration de vacance
La déclaration de vacance peut être prononcée ipso facto après un délai lorsque la
superficie en question est restée libre de toute occupation. Le propriétaire, qu’il soit de
droit moderne ou de droit coutumier, ne peut alors invoquer des droits dont il n’a pas su
tirer profit jusqu’ici.
En effet, « la propriété n’est pas un droit (selon Léon DUGUIT). Elle est une
fonction sociale. Le propriétaire, c’est-à-dire le détenteur d’une richesse a, du fait qu’il
détient cette richesse une fonction sociale à remplir ; tant qu’il remplit cette mission, ses
actes de propriétaires sont protégés. S’il ne la remplit pas ou la remplit mal, si par
exemple, il ne cultive pas sa terre (…) l’intervention des gouvernants est légitime pour le
contraindre à remplir ses fonctions sociales », (102) car la propriété aurait dit-on, un double
aspect résultant de sa double mission. Elle serait à la fois une prérogative individuelle
permettant l’épanouissement de la personne humaine et dans le même temps, une fonction
102G.A KOUASSIGAN (citant L. Duguit), « Propriétés foncières et développement. Tendances générales et option négro
– africaine » in le village piégé, cahiers de l’Institut universitaire d’étude et du développement, Genève, 1978, p.271
99
sociale au service de l’ensemble des hommes pour la satisfaction de leurs besoins. Ce
compromis s’oriente dès lors dans deux directions : d’une part vers les restrictions de plus
en plus nombreuses apportées aux prérogatives du propriétaire au profit de l’utilisateur ;
d’autre part vers le renouveau de la propriété collective, soit par la voie de nationalisation
soit par le recours à la notion d’utilité publique (103).
B. La reprise
Par les procédés d’expropriation pour cause d’utilité publique et d’expropriation
pour cause d’utilité économique, l’Etat tient à réintégrer dans le circuit économique, les
terres abandonnées en les attribuant à des particuliers ou à des agences qui s’engagent à les
mettre en valeur. C’est ainsi que le décret du 15 novembre 1935, abrogeant le décret du 25
octobre 1904 sur le domaine, et portant réglementation des terres domaniales dispose en
son article 8 que « L’Administration se réserve le droit de reprendre à toute époque, les
terrains concédés à titre provisoire ou définitif qui seraient nécessaires aux services de
l’Etat ou de la colonie et à l’exécution des travaux publics.
La reprise a lieu aux conditions suivantes :
*si les terrains ne sont pas mis en valeur, l’indemnité ne pourra pas dépasser la
restitution de la partie du prix afférente à la superficie reprise ;
*s’il s’agit de terrains bâtis ou mis en valeur, moyennant une indemnité à fixer à
l’amiable avec le concessionnaire… »
- L’arrêté du 09 juillet 1936 précise que la concession définitive n’est octroyée à un
particulier qu’après constat de mise en valeur du terrain. A défaut de celle-ci, la clause
résolutoire incluse dans l’acte portant concession provisoire est actionnée pour déchoir le
concessionnaire et faire revenir le terrain au domaine de l’Etat.
100
législateur colonial a apporté quelque modification par l’arrêté du 17 juillet 1905 sur la
police des cimetières et des sépultures.
§ 1. le lieu d’établissement des cimetières. Suivant l’article 22 du décret impérial du 23
prairial an XII, « il y aura hors de chacune de ces villes ou bourgs, à la distance de trente-
cinq à quarante mètres au moins de leur enceinte, des terrains spécialement consacrés à
l’inhumation des morts ».
Reprenant partiellement les termes de cette disposition, l’arrêté du 17 juillet de 1905
réglementant à la Côte d’Ivoire, la police des cimetières et sépultures, en son article 2 du
premier point relatif aux sépultures et aux lieux qui y sont consacrés, dispose que par
mesure de sécurité sanitaire publique, les cimetières doivent être tenus à une distance d’au
moins cent mètres des localités où existe un représentant européen de l’administration
ainsi que celle où se trouve une agglomération d’Européens.
Exceptionnellement, l’article 6 du point susvisé dispose : « toute personne pourra être
enterrée sur sa propriété pourvu que cette propriété soit située à cent mètres au moins de
l’enceinte de toute localité habitée par un Européen.
§ 2. Les caractéristiques de la sépulture.
*Du droit colonial, on peut écrire, in fine, qu’il est un droit sans Principe à
condition d’ajouter aussitôt qu’il obéit néanmoins à un principe souterrain et constant
dont les effets sont partout visibles : être au service d’une politique où le « premier
devoir » du conquérant est « de maintenir sa domination et d’en assurer la durée : tout ce
101
qui peut avoir pour effet de la consolider et de la garantir est bon, tout ce qui peut
l’affaiblir et la compromettre est mauvais. Tel est l’aphorisme fondamental qui doit guider
toute la conduite du dominateur et en régler les limites » affirme Jules Harmand dans un
ouvrage majeur publié en 1910. Telles sont aussi les fonctions des institutions et de la
législation coloniales. Parce ce qu’il est un droit sans Principe, le droit colonial est aussi un
droit « instrumentalisé » et « dégradé » car il est ravalé au rang de pur moyen mis au service
d’une fin précise : assurer la domination de la République impériale sur les populations
d’outre-mer. A cause de cela aussi, il est un droit anti-démocratique dont la fonction n’est
pas de libérer et de rendre égaux ceux qu’il vise, conformément aux principes du jus
naturalis subjectif et moderne, mais d’assujettir et de discriminer les autochtones en les
plaçant au plus bas de la hiérarchie politique, sociale et juridique érigée dans l’empire.
Les officiers publics et ministériels désignent différentes personnes qui bien que
n’étant pas investies de la fonction de trancher les litiges participent dans l’exercice de leur
profession au fonctionnement quotidien du service public de la justice.
§ 1. Les huissiers.
102
Sauf les exceptions résultant de la législation en AOF, les huissiers sont chargés de
toutes les citations, assignations, procès-verbaux de constat, notifications, significations
judiciaires et extrajudiciaires, ainsi que tous actes ou exploits nécessaires à l’exécution
forcés des actes publics et des ordonnances de justice, jugements et arrêts. Ils ont en outre,
le monopole des ventes mobilières après saisies (article 11).
Les huissiers titulaires de charges sont nommés par le gouverneur général, sur la
proposition du chef du service judiciaire (article 2 § 1). Pour être nommé titulaire d’une
charge d’huissier, il faut : être français, âgé de 25 ans accomplis, ou avoir obtenu du
gouverneur général une dispense qui ne pourra être accordée qu’aux candidats d’au moins
21 ans (article 5).
Tout huissier titulaire d’une charge doit, avant d’entrer en fonction et pour être admis au
serment professionnel justifier du versement à la caisse des dépôts et consignations d’une
somme de 2OOO francs à titre de cautionnement.
Par ailleurs, l’article 10 dispose que « les huissiers titulaires ne peuvent s’absenter de la
colonie, sans un congé accordé par le gouverneur général qui en fixe la durée sur la
proposition du chef du service judiciaire. Aucun congé ne pourra dépasser une année.
Après ce temps et sauf empêchement de force majeure ou toute autre excuse légitime,
l’huissier sera considéré comme démissionnaire ». Et l’article 1er (de l’arrêté n°3267 du 11
septembre 1943) complétant cet article 10, « l’huissier titulaire d’une charge est remplacé
pendant son absence en congé régulier ou pour toute autre raison par le cler assermenté
attaché à son étude et justifiant, au moyen de certificats, d’un stage consécutif de deux
années dans une étude d’huissier ».
Les fonctionnaires huissiers versaient la moitié de leur trésor puisqu’ils étaient déjà payés
par l’Etat.
Les huissiers ad hoc sont désignés parmi les agents civils et militaires de l’Administration,
par l’autorité administrative du lieu (commandant de cercle ou chef de subdivision,
administrateur-maire). Ils sont désignés par l’autorité judiciaire en cas d’absence ou
d’empêchement, momentanés de l’huissier établi au siège de la juridiction.
103
D. Les huissiers près les tribunaux musulmans
Il est institué auprès de chaque tribunal musulman, un huissier, chargé sous l’autorité et le
contrôle du cadi, de la police des audiences et de l’exécution des décisions rendues en
matière musulmane. Ces huissiers sont nommés par le gouverneur général, après avis des
gouverneurs des colonies intéressées, sur la proposition du chef du service judiciaire. Les
fonctions d’huissier peuvent être confiées soit aux fonctionnaires détachés auprès des
juridictions musulmanes, soit à tout autre fonctionnaire.
Le premier texte qui organise la profession fut le décret du 30 novembre 1931 qui
s’applique sur tout le territoire de l’AOF. L’article 9 des dispositions nouvelles remplaçant
les décrets abrogés du 22mars 1924 et 16 mai 1928 réorganisant la justice indigène dispose
que : « il est interdit aux huissiers de faire un acte quelconque de leur ministère à la
requête d’un indigène non justiciable des tribunaux français contre un autre indigène
relevant également des juridictions indigènes, sans avoir été mis en possession préalable de
la copie dûment certifiée, de la convention établie conformément aux dispositions du
décret du 2mai 1906, spécifiquement que les deux intéressés ont consenti à porter leur
différend dont il est question devant les tribunaux français »
§ 2. Les notaires.
La profession est organisée par le décret du 13octobre 1934 relatif au statut des notaires
en AOF. Suivant les termes de ce décret, les notaires sont des fonctionnaires publics
institués pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent
faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique ; ils sont
chargés d’assurer la date de ces actes et contrats, d’en conserver le dépôt et d’en délivrer
des grosses et expéditions.
Les notaires sont tenus de prêter leur ministère lorsqu’ils en sont requis.
Cependant, il y a lieu de noter que les fonctions de notaires sont incompatibles avec celles
de membre de la cour d’appel et des tribunaux de première instance, avocat, avocat
défenseur, huissier, commissaire-priseur, préposé à la recette des contributions directes ou
indirectes, fonctionnaire, à un titre quelconque des diverses administrations publiques,
sauf en ce qui concerne les greffiers dans les cas prévus aux articles 8 et 93 du décret du 13
octobre 1934 et les administrateurs des colonies dans les cas prévus à l’article8. Les
greffiers, les administrateurs des colonies investis de la fonction notariale n’exercent que
dans l’étendue du ressort de la juridiction ou de la circonscription à laquelle ils sont
affectés.
§ 3. Les commissaires-priseurs
En AOF le ministère des commissaires-priseurs est exercé par des titulaires de charges, par
des greffiers des tribunaux, par des commissaires-priseurs ad hoc.
104
Les commissaires-priseurs sont chargés de procéder aux estimations et aux ventes
volontaires et publiques de meubles et effets mobiliers, aux ventes volontaires après décès
ou faillites, aux ventes volontaires de navires, bâtiments de mer ou de rivières.
Tout commissaire-priseur titulaire d’une charge doit, avant d’entrer en fonctions et pour
être admis au serment professionnel, justifier du versement à la caisse des dépôts et
consignations d’une somme de 5000 francs, à titre de cautionnement.
Les greffiers des tribunaux de première instance et des justices de paix à compétence
étendue qui remplissent les fonctions de commissaires-priseurs perçoivent les mêmes
droits, émoluments et indemnités que ceux alloués par le tarif des commissaires-priseurs.
Toutefois, il est prélevé, sur les remises qui leur sont allouées par le tarif, une retenue de
moitié u profit du budget qui supporte leurs soldes.
Les greffiers des tribunaux de première instance et des justices de paix à compétence
étendue, appelés à remplir les fonctions de commissaire-priseur, sont dispensés du
cautionnement.
§ 1. Les greffiers
Le statut des greffiers du ressort de la cour d’appel de l’AOF est fixé par un décret du 25
mai 1937. Les greffiers sont des assistants du juge dans les différentes juridictions ; et,
l’article 55 des dispositions nouvelles réorganisant la justice indigène déclare que : « le
greffier est compétent sur toute l’étendue du territoire ou de la justice de paix à
compétence étendue ».
Les greffiers du ressort de la cour d’appel de l’AOF sont recrutés par voie de concours.
105
§ 2. Les avocats
Les avocats exercent leur compétence dans les tribunaux de droit commun et dans
les tribunaux indigènes.
La mise en œuvre des règles relatives à la discipline des avocats est confiée au
procureur général près la cour d’appel, chef du service judiciaire de la colonie ou du
territoire.
Avant tout, il convient de rappeler la définition de « l’indigène ». Celui pour qui est
organisée la justice coloniale. « Sont indigènes et justiciables des tribunaux indigènes, les
individus originaires des possessions étrangères comprises entre ces territoires qui n’ont
pas dans leurs pays d’origines, le statut de nationaux européens » (décret du 16 août
1912).
Ces autochtones étaient considérés comme gouvernés par des coutumes locales qui
constituaient leur « statut civil ou personnel particulier ». Ils devaient en conséquence
porter les litiges les opposant, y compris les litiges commerciaux, devant les juridictions
dites de droit local.
106
§ 1. L’organisation de la justice indigène
La création des tribunaux indigènes remonte au début du XXème siècle. C’est par le
décret du 10 novembre 1903 que le législateur colonial institue les tribunaux indigènes.
C’est dire que de par ce texte « la justice est rendue sur toute l’étendue du territoire de
l’AOF, aux indigènes par les tribunaux indigènes » (article 1er).
Par la suite, plusieurs textes sont venus apporter des retouches à l’organisation de
la justice indigène notamment les décrets du 03 décembre 1931 promulgué le 20 janvier
1932 et du 26 juillet 1944. Cette organisation est hiérarchisée et se présente par ordre de
degré croissant comme suit :
A. Le tribunal du village.
Composé des notables du village et présidé par le chef du village, ce tribunal est
investi du pouvoir de conciliation en matière civile et commerciale et d’un pouvoir
répressif en matière de simple police.
B. Les tribunaux de canton.
Ces tribunaux sont institués au chef-lieu de canton. Ils étaient créés par arrêtés du
Gouverneur Général. Ces arrêtés fixaient la composition, le fonctionnement, le ressort et
dans une large mesure, la compétence d’attribution de ces tribunaux qui avaient pour
finalité d’alléger la charge des tribunaux de subdivision.
La composition de ces tribunaux : chef de canton assisté de deux notables donc
tous des indigènes, faisait que le pouvoir exécutif s’y méfiait.
Le tribunal de canton connaît des affaires civiles, commerciales et correctionnelles,
et ce, en premier ressort.
C. Les tribunaux de subdivision
Ces tribunaux avaient une compétence générale en premier ressort pour tout ce qui
concernait la famille et l’état des personnes. En matière d’obligation et de successions, ils
n’étaient compétents que si l’intérêt de l’affaire était inférieur à 50.000 francs.
Les tribunaux de subdivision encore appelés tribunaux de premier degré étaient
présidés par des administrateurs (chefs de subdivision, adjoints aux commandants de
cercle ou fonctionnaires désignés par le Gouverneur). Ces tribunaux comportaient en outre
deux assesseurs de statut personnel coutumier.
D. Le tribunal de cercle.
Situé au chef-lieu de chaque cercle, le tribunal de cercle ou tribunal de 2è degré est
présidé par le chef de cercle (ou adjoint au commandant de cercle ou fonctionnaire désigné
par le Gouverneur). Ce tribunal comportait en outre deux assesseurs de statut personnel
coutumier choisi parmi les notables et nommés par le Gouverneur.
Le tribunal de cercle était compétent en matière civile, commerciale et
correctionnelle et en appel de tous les jugements rendus par les tribunaux de cantons et de
subdivisions de son ressort.
Ainsi le tribunal de cercle encore appelé tribunal de 2è degré avait une double
compétence : compétence en premier ressort et compétence en appel.
107
En premier ressort, il connaissait toutes les affaires dont l’intérêt appréciable en
argent, était supérieur à 50 000 francs CFA, en dernier ressort, les affaires dont l’intérêt
appréciable en argent était inférieur à 15 000 francs CFA
E. Le tribunal colonial de droit local
Devenu en 1954 le tribunal supérieur de droit local. C’est un tribunal spécial créé
pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues en premier ressort par les
tribunaux de cercles ( ou de second degré), il siégeait au chef-lieu de chaque territoire.
Il est composé d’un magistrat (on remarquera que c’est à ce seul stade qu’apparaît
un magistrat dans l’ordre des juridictions de droit coutumier) président du tribunal ou le
juge de paix à compétence étendue du chef-lieu du territoire, de deux administrateurs et de
deux notables de statut personnel coutumier.
Si les assesseurs coutumiers garantissent de l’observation de la coutume, et le
président du caractère juridique de la décision, on peut se demander et l’on se demande
quelle sûreté supplémentaire la présence de deux représentants du pouvoir exécutif,
puisque le rôle traditionnel du ministère public représenté à l’audience (article 55 du décret
du 3 décembre 1931) est de soutenir dans ses conclusions le point de vue de
l’Administration.
F. La chambre d’homologation
Elle est instituée au chef-lieu de la cour d’appel et statute sur l’homologation des
jugements des tribunaux de cercles prononçant des peines supérieures à cinq ans
d’emprisonnement.
108
G. La chambre d’annulation de l’AOF - Togo
C’est elle qui coiffait les juridictions de droit local. Elle comprenait sept membres :
trois magistrats, membres de la cours d’appel, deux fonctionnaires nommés par le
Gouverneur général et deux assesseurs de statut personnel coutumier choisi par le
président de la cour d’annulation sur une liste de douze notables dressée par le gouverneur
général.
Le pourvoir en annulation ne pouvait être formé que pour incompétence ou pour
violation de la loi. Il était ouvert aux parties et au procureur.
La même critique formulée pour la composition du tribunal local de droit vaut
également pour la chambre d’annulation de la cour d’appel.
La principale caractéristique de la composition des tribunaux de droit local en
Afrique noire, est la confusion des pouvoirs entre le chef de l’Administration et le juge. La
conséquence de ce rôle judiciaire de l’exécutif est le contrôle administratif sur l’exercice de
la justice civile et sur l’exécution des sentences selon leur opportunité.
Comme leur nom l’indique, les compétences des tribunaux indigènes ne devaient
pas s’étendre au-delà des affaires indigènes. En témoigne l’article 75 du décret du 10
novembre 1903 qui dispose : « la justice indigène appliquera en toute matière des
coutumes locales en tout ce qu’elles n’ont pas de contraire aux principes de la civilisation
française. Dans le cas où les châtiments corporelles seraient prévus, il leur sera substitué
l’emprisonnement ».
La compétence « ratione personae » de ces juridictions s’étend aux seules personnes
qui n’ont pas renoncé à leur statut local. « Ratione materiae », la compétence des
tribunaux de droit local est la coutume des parties et en cas de conflit, la coutume de la
femme dans les affaires familiales, la coutume du défunt dans les matières de successions,
la coutume du donateur en matière de donation, la coutume du lieu de conclusion du
contrat, et dans les autres cas, la coutume du défendeur104.
Notons que cette énumération prévue à l’article 6 du décret du 3 décembre 1931
portant organisation de la justice de droit local en AOF est arbitraire notamment en
matière familiale, où la coutume de l’époux domine dans la plupart des cas.
On le voit, ce ne sont pas tous les droits africains préexistants à la colonisation qui
seront retenus ; mais seulement, ceux qui sont passés par la tamise de la licéité coloniale.
Ainsi, seront écartés au profit du droit métropolitain (et de la justice française) la plupart
des modes de preuve de droit traditionnel ; tels les modes de preuve par l’épreuve du corps
et les rites juratoires. Il en sera de même de certaines peines traditionnelles : le
bannissement est remplacé par la peine d’emprisonnement à perpétuité.
104 Cependant, le champ de compétence des tribunaux indigènes ne préjudicie pas les attributions spéciales en matière de
l’indigénat. Une circulaire datant du 20 Avril 1904 relative à l’application du décret du 10 Novembre 1903 donne des
précisions en ce sens.
109
Le législateur colonial va même pousser loin son incursion dans le système
judiciaire indigène. Ainsi, par l’effet du décret du 30 avril 1946 portant réorganisation de
la justice indigène en AOF 105 , il va supprimer le système répressif indigène pour la
remplacer par la loi pénale française. Or les institutions d’un peuple sont en parfaite
relation avec son organisation politique et son état social. C’est donc au mépris du principe
selon lequel « les lois doivent être tellement propre au peuple pour lequel elles ont été
faites que c’est un grand hasard si celles d’une nation peuvent être relative au physique du
pays, au climat, à la qualité du terrain, à la situation où à sa grandeur, au genre de vie du
peuple (…), elles doivent se rapporter à la religion des habitants, à leur inclination, à leur
richesse, à leur nombre, à leur commerce, à leur mœurs, à leurs manières… ». Bref, la
règle de droit a un caractère social.
« La justice indigène demeure l’histoire d’une double volonté : celle du déni et celle
de la reconnaissance. La première est celle qui conduit le colonisateur, désormais en terre
conquise, à faire table rase de l’existant, c’est-à-dire de la justice traditionnelle, et à
imposer sa loi et son sens de la justice. La seconde correspond à l’échec de cette politique,
lequel ouvre sur une phase de reconnaissance et de réhabilitation des pratiques judiciaires
endogènes ».
105 Avant ce décret du 30 avril 1946, ce sont donc les coutumes locales sous réserve de leur conformité avec la civilisation
française qui sont principalement appliquées par le « juge indigène ». Ce respect relatif des coutumes locales outre leur
licéité coloniale s’explique par trois situations :
Il fallait éviter le vide juridique, l’infériorisation de l’indigène justifiait le maintien des coutumes locales. Car
appliquer le droit métropolitain aux indigènes était les faire égaux du « blanc ».
Le législateur colonial n’est donc pas guidé principalement par le souci du respect des traditions ; mais par des
problèmes de pénurie de personnel, des questions économiques. Il s’installe par conséquent dans « la gestion de la
pénurie ».
110
- Le décret du 30 avril 1946 étendant aux territoires d’outre – mer l’application du
code pénal métropolitain et expurgeant le texte de 1931 de toutes les dispositions pénales
- Le décret du 20 août 1946
- Le décret du 09 novembre 1946
Les tribunaux de droit français, malgré les prescriptions organiques n’ont pas
connu jusqu’en 1946 de bouleversement fondamental dans leurs champs de compétence
territoriale.
Les juridictions pénales qui ont acquis plus d’importance depuis que le décret du 30 avril
1946 supprimait toute compétence pénale à la justice indigène. On peut citer entre autres :
b. La Cour d’assises créée par le décret du 22 juillet 1939 qui existe dans
chaque territoire sauf en Mauritanie dont le ressort est rattaché à celui de Dakar.
La cour d’assises est une juridiction criminelle. Elle est présidée par un haut magistrat et
comporte un jury non professionnel.
Elles comprennent les justices de paix à compétence étendue, les tribunaux de première
instance et la cour d’appel.
a. La cour d’appel juge en appel les jugements rendus en premier ressort par
le tribunal de première instance. La cour d’appel, recevait en appel, les affaires dont le
montant au principal était supérieur à 45 000 francs.
111
La justice d’appel était collégiale : la cour siégeait avec un président et deux
conseillers.
Avec un juge unique dont les pouvoirs étaient considérables puisqu’il réunissait entre les
mains ceux du président du tribunal de première instance, ceux du procureur de la
République et ceux du juge d’instruction. La distinction entre ces trois fonctions n’était
respectée que dans les villes, pratiquement dans les chefs lieu du territoire où il existait un
tribunal de première instance.
c. les tribunaux musulmans dans ces cas la présence d’un cadi est nécessaire.
C’est l’article 7 du décret du 03 décembre 1931 qui organise cette option : « les
citoyens de statut personnel particulier peuvent, d’un commun accord, en matière civile et
commerciale, bénéficier de la juridiction française. En ce cas, il leur est fait application des
usages et coutumes les régissant, à moins que les parties n’aient déclaré dans un acte
qu’elles entendaient placer leurs conventions sous l’empire de la loi française, auquel cas
cette loi est applicable ».
Ce qui revient à dire que les plaideurs de statut personnel coutumier pouvaient
soumettre leurs litiges à la connaissance de la juridiction de droit commun. Cette option
n’était pratiquement ouverte qu’en matière contractuelle, et à la condition que l’accord
des parties ait été constaté par le chef de la circonscription administrative. Mais la
jurisprudence assimila la comparution volontaire des parties à l’acte exigé par l’article 7
dès lors que l’exception d’incompétence n’était pas soulevée in limine litis. Ajoutons tout
de suite que l’option symétrique n’était pas accordée aux plaideurs de statut personnel
européen.
§ 2.L’application de la loi française en dehors de toute option
Trois cas justifient le recours aux tribunaux français et aux lois françaises
113
*Lorsqu’un français, un européen ou un assimilé est partie au procès.
*Lorsque les lois et coutumes indigènes sont silencieuses, lacunaires ou contraires
aux principes de civilisation française.
*Lorsque l’ordre public colonial est intéressé
Mais aujourd'hui, la prison est dénoncée des points de vue humanitaire et juridique.
Pourtant, elle est une réalité immuable, quels que soient les responsables politiques.
106En effet, « Les juridictions ancestrales furent rapidement remplacées par de nouvelles juridictions – comme nous
venons de l’exposer – où les administrateurs des colonies, puis ceux de la France d’outre-mer eurent une place
prépondérante qui leur permet de diriger et de contrôler le fonctionnement de toute la justice de droit indigène qui prit la
dénomination de droit local à partir de 1954 ».
Ce chapitre est un article que nous avons publié à la RJPEF n°3, 2007, sous le nom Nainayby Botthy.
107
1Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 2007 p. 647
2 P. Cannat cité par YAO Kouakou E. , La justice pénale des mineurs en France et en Côte d'Ivoire, Thèse de Doctorat,
Faculté de Droit, Université de Montpellier 1, 2001, p 257
114
Nous constatons en outre qu'aucun pays au monde n'a éliminé la prison de son dispositif
répressif et que toutes les sociétés ont le droit et le devoir de se protéger des individus
dangereux qui violent gravement leurs lois.
Cependant, à l'origine, la prison n'était qu'un lieu de détention très provisoire où les
personnes attendaient soit d'être jugées, soit d’être exécutées ou mutilées. C'était une
espèce de garderie qui ne posait que des problèmes de sécurité, d'hygiène et de survie des
prisonniers. Très vite, la privation de liberté devient une peine avec la naissance du code
pénal français de 1791. La prison châtiment va ainsi couvrir tout le 19ème siècle et une
partie du 20ème siècle. Elle a pour objectif, la neutralisation des délinquants. Elle cherche
ainsi à les empêcher de nuire pendant un certain temps en les maintenant derrière les
barreaux, et à rassurer les honnêtes gens, satisfaits de savoir à l'ombre des individus qui
troublent leur quiétude ; (cherche) en outre, à punir les méchants, et principalement à
dissuader les éventuels Imitateurs »².
On le voit, la prison est une institution récente, un instrument des Etats modernes pour la
mise en pratique de sanctions pénales, découlant des orientations et des capacités des
sociétés actuelles dans la gestion d'une complexité sociale consolidée, produisant en même
temps des individus et des groupes sociaux déviants. Ce lieu de détention pour l'A.O.F,
constitue une des innovations majeures y introduites par l'ordre colonial qui se met en
place à partir du 19eme siècle. En témoigne, son appellation dans le Manding: «kaso»,
déformation du mot français « cachot ». Il existait certes en Afrique noire traditionnelle
des modes d'enfermement mais, ceux-ci se distinguaient de la prison telle qu'exportée et
organisée par les colonisateurs. La période antérieure à l'époque coloniale en effet a été
marquée par des systèmes d'isolement singuliers.
Ainsi, «chez les Akan par exemple, lorsqu'un délit vient à être commis, la famille du
coupable (...) est aussitôt saisie par la victime ou la famille de celle-ci. Là, se met en place
un processus de négociation qui conduira à la réparation du préjudice et au pardon. Les
sanctions les plus sévères sont : l'isolement, le bannissement ou la mise à mort.
En pays gouro et en pays guéré, l'individu reconnu coupable, outre les sanctions ayant
cours en pays akan, pouvait subir le supplice physique ou le lynchage public ou encore la
réduction en captivité ou la vente aux négriers. Tout cela s'opère sous le sceau de la légalité
traditionnelle.
C'est à ces modes de sanction des comportements qualifiés infractions et jugés par les
colonisateurs de sauvages, qu'est venue se substituer la prison. En effet, «la privation de
liberté apparut (...) comme la peine idéale, car elle donnait satisfaction tout à la fois à ceux
qui s'élevaient contre le caractère inhumain des châtiments corporels en usage à l'époque et
ceux qui, tout en préconisant une grande fermeté dans la répression, estimaient que la
peine ne devait pas avoir seulement pour effet de punir, mais qu'elle devait également
115
présenter quelque utilité pour la société »3, d'une part, et d'autre part, parce que le
colonisateur est venu perturber un ordre, « son premier soin est d'assurer sa conquête et de
rétablir l'ordre »4. On s'est également rendu compte que le colonisateur, réduit à ses
propres forces, était incapable de mener à bonne fin la tâche qu'il avait entreprise, sans le
secours de la main-d'œuvre indigène, seule utilisable dans des pays où le climat interdit
aux Européens le travail manuel. Donc, plus de massacre, ni d'extermination comme aux
premières heures de la conquête5. Cela passait donc par la mise en place entre autre d'un
système juridique colonial dans lequel de nombreuses pratiques indigènes sont considérées
comme barbares et donc peu conciliables avec les civilisations européennes. C'est pourquoi,
les pays comme la Côte d'Ivoire que la France a annexés6 vont subir le dictat du
colonisateur français ; puisque, la colonisation est une œuvre très profonde qui doit porter
non seulement sur le territoire et sur le sol, mais aussi sur les hommes, sur leurs tendances
et leur esprit. Le colonisateur va ainsi être conduit à construire avons-nous noté, un
système juridique et judiciaire qui capte l'indigène.
3Roger SCHMELCK et Georges PICCA, Pénologie et droit pénitentiaire, Paris, Editions CUJAS, 1967, pp. 16-17
4J. Vernier de Byans, condition juridique et politique des indigènes dans les possessions coloniales, Paris, Alfred Leclerc,
1906, p.229.
5 Idem, p. 7-8
6 Voir NENE BI (B. S.)Le droit applicable dans la colonie de Côte d'Ivoire in RJPEF n° 1, 2007.
7 J. Vemier de Byans, op.cit., p. 153.
8 Voir décret du 30 septembre 1887 relatif à la répression par voie disciplinaire, des indigènes du Sénégal et dépendances
(dont fait partie la Colonie de Côte d'Ivoire) non citoyens français (tous les indigènes originaires de la colonie de Côte
d'Ivoire étaient non citoyens français). Voir également, l'arrêté local du 7 septembre 1900 déterminant les pouvoirs
répressifs des administrateurs à l'égard des indigènes. Journal officiel de la Côte d'Ivoire, pp3-4
116
La prison constitue, un univers social singulièrement englobant. Ses limites matérielles
tracent aussi un cadre de vie temporaire spécifique, doté d'une relative autonomie, et un
cadre de relations sociales aux dynamiques propres.
Aussi, quel était le visage de la prison ? Quels étaient ses traits spécifiques ? Dans les
développements ci-après, nous montrerons en quoi la prison est un instrument de politique
coloniale, en insistant notamment sur ses missions, son cadre légal et son fonctionnement.
Nous détaillerons ensuite les conditions de détention dans les maisons d'arrêt, qui le plus
souvent nient les droits humains les plus élémentaires.
Lorsque la France s'installe à la colonie de Côte d'Ivoire, son premier soin est d'établir un
ordre nouveau. Elle se trouve dans la nécessité dès le début de l'occupation, de réprimer les
crimes et délits. Or la tâche d'établir un ordre et de le maintenir est un attribut de la
souveraineté. Aussi, l'institution pénitentiaire procède-t-elle de l'idée que la prison n'est
pas qu'un simple moyen de la politique, mais un élément constitutif de sa structure, qu'elle
participe de la définition de ses fins et qu'elle n'est pas dénuée de sens. Il ne s'agit donc pas
ici de se demander uniquement ce que fait la prison, mais aussi de tenter de dire ce qu'elle
est. L'hypothèse première consiste à penser que l'analyse de la prison permet de
comprendre l'Etat colonial par ses rapports à la société colonisée. Une première fonction de
l'emprisonnement est de discipliner le salariat et de le forcer à accepter l'emploi précaire et
désocialisé. Une seconde fonction, qui est très importante également, qui est proprement
politique, et qui renvoie à l'enfermement d'autorité est de réaffirmer la légitimité de l'Etat
colonial et compenser le déficit de légitimité dont souffrent les colons européens, justement
du fait qu'ils organisent l'exploitation économique, politique et sociale de la colonie. C'est
parce qu'elle se voue à la protection et à la légitimation de la société coloniale qu'elle se
charge du maintien de l'ordre. La prison permet de comprendre que l'ordre social visé par
l'Etat colonial n'a pas pour objectif l'harmonie sociale préexistante. La prison est là pour
pacifier le pays et discipliner les colonisés.
Tout se passe comme si la prison était devenue un instrument de maîtrise sociale là où les
structures ordinaires sont en échec. Elle reste dans une optique de maîtrise des
indésirables, pauvres et rebelles de la société coloniale. Aussi, son organisation vise-t-elle
un contrôle du prisonnier par une surveillance visible de tous les instants. Le but de
l'institution consiste à discipliner les détenus pour "fabriquer" des individus utiles et
dociles, à intégrer, « dresser » les masses de colonisés et rassurer les colons qui sont en très
petit nombre dans la colonie9.
9 Le climat tropical n'est pas favorable à l'établissement de ressortissants européens en grand nombre dans les colonies
d'Afrique. D'ailleurs, ceux qui désiraient s'établir en Afrique étaient invités à subir un test physique.
117
A. Une institution disciplinaire
La punition doit avoir une fonction première de châtiment, mais d'une manière
indispensable et complémentaire, une fonction d'éducation ou de rééducation, de
correction, dans le but de rendre meilleur d’insérer dans la société coloniale.
1 - Correction et éducation
Lorsqu'un acte est commis ou tenté et qu'il viole ou est susceptible de violer l'ordre
colonial, il importe que ce fait attire l'attention des autorités publiques. Celles-ci
marquent, par des moyens appropriés et efficaces, l'importance qu'elles attachent à ce que
leurs prescriptions soient respectées et que de nouvelles infractions soient évitées. «La mise
en œuvre de la privation de liberté, que celle-ci soit envisagée à titre préventif ou en vue de
l'exécution d'une peine, suppose une infrastructure matérielle, la prison.»10.
En prison, la discipline est de mise. C'est pourquoi, « tous les cris et chants, toute réunion
en groupes bruyants, tous actes individuels de nature à troubler le bon ordre sont interdits
aux détenus » (art. 20 a de l'arrêté de 1916). Et encore, « l'appel des détenus aura lieu le
matin au réveil et le soir après le repas, au moment de la fermeture ».
Les surveillants doivent en outre, s'assurer fréquemment de leur présence, soit dans les
locaux de la prison, soit sur les travaux ou chantiers où les condamnés doivent être l'objet
d'une stricte surveillance ». (Art. 27 de l'arrêté de 1916 précité). Et pour tous les détenus
récalcitrants et rebelles aux règlements intérieurs des prisons se verront infligés des peines
disciplinaires (art. 33 de l'arrêté de 1916 précité). Ce traitement du condamné a pour fin
son amendement et sa resocialisation11.
10 Idem, p. 147
11 P.V. de la réunion du 22 juillet 1919 de la commission de surveillance de la prison de Bassam. Point 4°
12Circulaire ROBERDEAU du 14 septembre 1900 au sujet des pouvoirs répressifs des administrateurs et chefs de poste
en matière de police judiciaire et de l'indigénat. JOCI du 15 septembre 1900, p. 6
13 ibidem
14 Dictionnaire, Le Littré, p. 1934
118
2 - Une obligation de travailler
L'article 1er de l'arrêté du 22 janvier 1927 : «le travail est obligatoire dans les prisons de
l'Afrique occidentale française pour tous les condamnés de droit commun, pour les
condamnés des conseils de guerre qui purgent leur peine dans les prisons administratives et
pour les indigènes punis disciplinairement. Il est facultatif pour les accusés et prévenus
ainsi que pour les condamnés pour dettes... ». A la vérité, il était tout aussi obligatoire
pour ces derniers (accusés, prévenus et condamnés pour dettes). Le travail effectué par les
Européens et Assimilés était seul payé mais, sous payé : 2 francs 5016. Par un autre arrêté,
celui n°2798 AG du 2 novembre 1931 portant autorisation de cession de main-d'œuvre
pénale aux communes mixtes de Grand Bassam et d'Abidjan, des cessions de main-
d'œuvre sont consenties par la colonie au profit des communes de Grand Bassam et
d'Abidjan pour leur travaux d'édilité.
L'article 3 du même arrêté dispose : «en dehors des corvées du service des prisons, le travail
des détenus peut consister : a) en des travaux d'atelier à l'intérieur des locaux de détention.
b) en des travaux à l'extérieur, soit sur des chantiers publics, soit par cession de main-
d'œuvre à des exploitations privées...»17 ;
On le voit, l'introduction du travail dans les prisons obéissait à deux impératifs : il devait
être à la fois élément d'équilibre budgétaire - de sorte que l'entretien du détenu coûte le
moins cher possible au contribuable - et instrument d'éducation, de correction des détenus.
Par le travail, le délinquant payait en prison une dette à la société coloniale tout entière
que son comportement avait lésée et contribuait au progrès de l'économie coloniale par
l'ouverture des voies de communication et d'exploitation des crus du pays.
15 Même les punis disciplinaires sont employés à des corvées et des travaux d'utilité publique (art. 47 de l'arrêté de 1916).
18Cet arrêté en réalité modifie en augmentant le temps de travail tel que défini et organisé par l'article 11 de l'arrêté de
1896.
119
Par le biais de la prison, l'Etat colonial tirait profit de la «criminalité » indigène.
La prison dans son dispositif sécuritaire, est d'abord la transcription matérielle et légale de
la « lutte » ou de la « guerre » contre les ennemis de l'ordre public de l'intérieur, c'est-à-dire
contre les délinquants. La prison, en effet, par de multiples aspects, est un véritable
dispositif guerrier. L'objectif premier, implicite aussi bien qu'explicite de tout gestionnaire
d'une prison, est d'assurer la sécurité de la société extérieure, en prévenant les évasions et
aussi en assurant le maintien de l'ordre à l'intérieur, notamment en prévenant les é meutes
ou autres formes d'explosions de désordres. Neutraliser les délinquants, les maintenir au
quotidien désarmés, est la tâche essentielle des personnels de surveillance et de leur
hiérarchie. En cela, l'objectif de défense sociale et celui de sûreté dominent, prenant le pas
sur toute autre considération ou objectif20. En témoignent, la circulaire RÔBERDEAU du
14 septembre 1900 précitée qui stipule: «ils (les détenus indigènes) seront enfermés dans un
logement sûr, d'où ils ne pourront s'échapper, car... l'emploi des cordes est rigoureusement
interdit pour les garder. » et l'article 12 de l'arrêté de 1916 qui, lui, impose au régisseur de
la prison de s'assurer « chaque soir, que les détenus n'ont point avec eux des objets
prohibés tels que couteaux, outils, allumettes, cordes, enfin tout ce qui pourrait favoriser
leur évasion ». Il fera en outre, au moins une ronde par nuit pour s'assurer de leur
tranquillité.
La prison en cela, emprunte à l'armée certains traits de son organisation. Elle emploie la
plupart des moyens guerriers. Ainsi, la structure hiérarchique est de type paramilitaire.
Cette structure ne doit pas être assimilée simplement à un moyen de gestion des ressources
humaines et de sanction des surveillants (bien que cela puisse être une de ses
conséquences). Elle est d'abord une structure d'intervention et de contrôle de la prison, liée
à la mission sécuritaire de celle-ci. La structure hiérarchique des prisons est avant tout une
structure de contrôle des crises ; comme telle, elle doit permettre de mobiliser le plus
rapidement possible l'ensemble de l'organisation et ses agents en cas d'incident. Elle exige
dans ce but, la disponibilité, la mobilité, la discipline individuelle et collective des agents
d'exécution, la centralisation de l'autorité et de l'information.
20CHANTRAINE (Gilles), «Prison et regard sociologie (mai 2004). Pour un décentrage de l'analyse critique» sur http://
champpenal.revues.org/index.html, vol 1 (2004) Champpenal. 6/12/2006.
120
C - L'organisation des prisons de la colonie
La première organisation des prisons se fait trois ans après l’érection de la Côte
d'Ivoire en colonie autonome23 c'est-à-dire en 1896 ; précisément par le moyen de l'arrêté
du gouverneur de la Côte d'Ivoire daté du 6 mai 189624. En 1916, l'arrêté local n°347 A du
27 mai courant va prendre le relais pour réorganiser le service de la prison de Grand-
Bassam et des prisons de la colonie. Mais il faudra attendre 1951 par le biais de l'arrêté
local n° 134 A.P.B, pour que soit arrêté définitivement l'organisation des prisons de la
colonie25.
1 - l'espace carcéral
L'arrêté de 1896 n'organise pas l'espace carcéral. Il se contente de décrire les obligations du
régisseur et les travaux auxquels sont astreints les prisonniers. Ceci s'explique par le fait
que la colonie n'est pas encore «pacifiée» et «les divers arrêtés et circulaires pris depuis
1896 pour régler le fonctionnement des geôles de la Côte d'Ivoire, sont en effet incomplets ;
plusieurs dispositions qu'ils édictent sont inapplicables ou caduques»26. Il faut attendre
1916, date de l'achèvement de la conquête du pays, pour voir une première organisation
véritable des prisons de la colonie, singulièrement celle de Grand-Bassam.
Aussi, aux termes de l'article 1er dudit arrêté : « la prison de Grand-Bassam sert de
maison d'arrêt et de maison de justice. Aucune maison centrale n'existant dans la colonie,
elle reçoit toutes les catégories de détenus, aussi bien les prévenus et accusés, que les
individus condamnés par les tribunaux de répression civils et militaires ». Les militaires
non exclus purgent leur peine dans un local séparé des autres. Les Européens sont détenus
dans des locaux sépares des indigènes. Dans chaque catégorie, les détenus des deux sexes
22 Voir arrêté local du 7 septembre 1900 déterminant les pouvoirs répressifs des administrateurs à l'égard des indigènes,
JOCI du 15/09/1900 p. 3-4 ; voir également les annexes 3 et 5.
23 C'est en effet un décret du 10 mars 1893 qui crée la colonie autonome de Côte d'Ivoire.
24 A cette date, il n'y avait à proprement parler qu'une seule prison en Côte d'Ivoire. Celle de Grand Bassam. Car la
France officielle se trouvait seulement sur la côte Est de la colonie. Tout l'intérieur du territoire étant inconnu, terra
incognita.
25 Cet arrêté restera en vigueur jusqu'en 1969, date à laquelle la République de Côte d'Ivoire va se doter d'un texte en la
matière, et ce par le biais du décret n°69-189 du 14 mai 1969 portant réglementation des établissements pénitentiaires et
fixant les modalités d'exécution des peines privatives de liberté.
26 Rapport du gouverneur en conseil d'administration de la colonie, non daté.
121
seront séparés. Ce qui n'était pas le cas précédemment comme en témoigne la circulaire du
gouverneur Clozel du 15 mars 1907 ; dans laquelle il déplore l'inexistence de locaux pour
les femmes et les chefs indigènes qui se trouvent ainsi incarcérés dans les locaux communs.
Les punis disciplinaires n'étant pas des condamnés de droit commun, purgent leur punition
dans des locaux spéciaux. Exceptionnellement, ils sont reçus dans les prisons ordinaires ;
mais séjournent alors dans une partie de la prison séparée par une barrière ou par un mur
des locaux affectés aux autres détenus (art 47 de 1 ' arrêté de 1916).
Quant aux prisons de l'intérieur, les dispositions de l’arrêté de 1916 leur sont étendues
dans la mesure du possible. En d'autres termes, le soin est laissé aux administrateurs des
cercles de choisir le moment qu'ils jugeront bon pour appliquer l'arrêté.
- les maisons d'arrêt et de justice dans chaque centre où fonctionne un tribunal de première
instance ou une justice de paix à compétence étendue ;
Aux termes de l'article 4 dudit arrêté, chaque prison « comprend deux quartiers distincts :
l'un, pour les détenus de statut civil africain et l'autre, pour les détenus de statut civil
français et assimilés.
Chaque quartier est lui-même divisé en sous quartiers pour les hommes et pour les
femmes, de telle sorte qu'il ne puisse y avoir aucune communication entre eux ». On le
voit, il n'y a rien de prévu pour les mineurs condamnés.
A l'intérieur de chacun des sous quartiers, les prisonniers sont séparés, dans la mesure où le
permettent les locaux et le nombre des surveillants, suivant leur catégorie. En pratique, les
locaux sont si exigus pour le nombre pléthorique de détenus et le nombre de surveillants
étant .partout insuffisant, que les détenus de statut civil africain, se trouvent placés sous
le régime de l'emprisonnement en commun.
En sus, dans chaque prison, il existe des cellules destinées à recevoir les détenus punis pour
faute contre la discipline de la prison.
a. Le régisseur
Jusqu'en 1951, c'est le commissaire de police de Grand-Bassam qui joue le rôle de régisseur
de la prison de Grand-Bassam. (Art. 1er arrêté de 1896 et art. 2 arrêté de 1916). Dans les
27 Avec l'arrêté de 1916, le nombre de registres passe de deux à quatre. En sus des deux dont il est fait mention ci-dessus,
les deux autres registres sont réservés l'un pour la contrainte par corps, l'autre, pour les ordonnances de prise de corps
123
prisons de l'intérieur, ce rôle est joué par un agent désigné par l'Administrateur du cercle.
(Art. 45 arrêté de 1916). Avec l'arrêté de 1951, dans les prisons de première et quatrième
catégories, le régisseur est nommé par le chef du territoire et placé sous l'autorité et le
contrôle du commandant de cercle.
Les gardiens de prisons sont des gardes de cercle distraits momentanément du peloton qui,
dans chaque circonscription est mis à la disposition des Administrateurs. Les gardiens et
les gardiennes28 veillent à la bonne exécution des ordres qui leurs sont donnés. Ils rendent
comptent sans délai de toute infraction aux règlements et aux ordres reçus. (Art. 9 de
l'arrêté de 1951). Ces gardiens sont nommés par l'autorité administrative (Art. 606 du Code
d'instruction criminelle).
Les gardiens des maisons d'arrêt, des maisons de justice et des prisons seront tenus d'avoir
un registre. Ce registre sera signé et paraphé à toutes les pages, par le juge d'instruction
pour les maisons d'arrêt ; par 1e Président de la Cour d'assises, ou en son absence par 1e
Président du Tribunal de première instance, pour les maisons de justice, et par «le
Gouverneur» pour les prisons de peines. (Art.607 du Code d'instruction criminelle). «Le
registre ci-dessus mentionné contiendra également, en marge de l'acte de remise, la date de
la sortie du prisonnier, ainsi que l'ordonnance, l'arrêt ou le jugement en vertu duquel elle
aura lieu» (Art. 610 Code d'instruction criminelle).
L'art. 609 du Code d'instruction criminelle dispose: «Nul gardien ne pourra, à peine d'être
poursuivi et puni comme coupable de détention arbitraire, recevoir ni retenir aucune
personne qu'en vertu soit d'un mandat de dépôt, soit d'un mandat d'arrêt décerné selon les
formes prescrites par la loi, soit d'une ordonnance de renvoi devant une Cour d'assises, d'un
décret d'accusation, ou d'un arrêt ou jugement de condamnation à une peine afflictive ou à
un emprisonnement, et sans que la transcription en ait été faite sur son registre. »29
Dans les prisons importantes, il existe un gardien chef chargé, sous l'autorité du régisseur
de la prison, d'assurer la garde des détenus, le maintien du bon ordre et de la discipline,
l'exécution du service de propreté dans toutes les parties de l'établissement et de diriger
tous les détails du service de la prison. « Les agents de la surveillance, quel que soit leur
grade, sont responsables des évasions imputables à leur négligence, sans préjudice des
poursuites dont ils pourraient être passibles par application des articles 237 et suivants du
code pénal.» (Arrêté de 1951). Il existe en outre dans ces prisons, un greffier spécialement
chargé sous les ordres du régisseur de la prison, de la comptabilité, de la tenue des registres
d'écrou et des écritures de toute nature se rapportant à l'administration de la prison. A
28A défaut de gardienne, toute autre femme agréée par l'administration et en particulier la femme du gardien, peut y
suppléer (art. 9 in fine).
124
défaut de greffier, un commis, désigné par décision du chef du territoire est chargé de ces
attributions.
Les visites et contrôles par les autorités des établissements pénitentiaires ont été
expressément prévus par les textes. On constate que les autorités chargées d'effectuer les
visites et les contrôles sont nombreuses. Ce sont précisément :
° Le juge d'instruction
° Le procureur général qui a la surveillance des prisons et tient la main à ce que personne
n'y soit détenu illégalement (art. 605 in fine du code d'instruction criminelle)30
° Le Gouverneur
Quant à l'arrêté de 1951 en son article 122, il dispose : « la commission se réunit au moins
une fois par semestre sur la convocation de son président et le plus souvent si celui-ci le
juge nécessaire... »
On le voit, la mission de ces autorités est assez limitée dans le temps. En effet, suivant
l'art.611 Code d'instruction criminelle, « le juge d'instruction est tenu de visiter au moins
une fois par mois, les personnes retenues dans la maison d'arrêt de l'arrondissement. Une
fois au moins dans le cours de la session de la Cour d'assises, le président de cette Cour est
tenu de visiter les personnes retenues dans la maison de justice. Le Gouverneur est tenu de
visiter, au moins une fois par an, toutes les maisons de justice et prisons, et tous les
prisonniers de la colonie ».
La mention « au moins... » offre une occasion aux magistrats de consacrer peu de temps à
l'exécution des peines d'emprisonnement qu'ils prononcent. Cette expression peut
parfaitement s'interpréter de la façon suivante : «plusieurs visites sont recommandées,
mais une seule peut suffire ». Or la logique veut que les contrôles soient réguliers pour
permettre aux pouvoirs publics de s'assurer de la mise en œuvre des directives qu'ils ont
eux-mêmes élaborées.
30cf., circulaire du procureur général à MM. les Procureurs de la République du ressort sur les visites périodiques des
prisons par les Chefs de Parquet., du 14 janvier 1939 in CPP p. 201-202.
125
Alors que les prisons sont soumises en théorie à une série de contrôles, dans les faits, les
inspections inspectent peu, les commissions de surveillance ne surveillent pas grand-chose
et font des rapports souvent complaisant31 comme en témoignent les rapports des 16
octobre 1918 et 22 juillet 1919 contredits par les diagnostics des médecins chefs
d'ambulance32 et des observations du procureur de la république datées du 18 juillet 1918.
Les magistrats du parquet répugnent le plus souvent à se rendre en prison et ceux qui y
envoient les prévenus n'y mettent que rarement les pieds. Le contrôle extérieur sur le
monde clos des prisons apparaît donc singulièrement inefficace.
Ces négligences sont autant de facteurs qui contribuent à la dégradation des conditions de
détention et, par voie de conséquence, du cadre de travail de toutes les personnes
intervenant en prison.
31La complaisance des rapports de la commission de surveillance ne devrait pas surprendre vu sa composition. Elle est
composée en effet, suivant l'article 1er de l'arrêté n°348A du 27 mai 1916 portant institution d'une commission de
surveillance près la prison de Bassam (la principale prison) : « du Secrétaire général de la colonie ou son délégué,
Président ; du procureur de la République ; du médecin de Grand-Bassam ; de l'agent du service des travaux publics à
Grand-Bassam ; du commissaire de police de Grand-Bassam, Secrétaire avec voix consultative. » JOCI 1916, pp. 316-
317. Voir également arrêté du 1951 article 120. JOCI 1951 p.343.
32 II s'agit des rapports des médecins chefs d'ambulance du 27 novembre 1917, du 6 août 1919. à cela, on peut citer la
circulaire du lieutenant gouverneur datée du 19 juillet 1910.
126
étaient exclus »37. Ceci explique pourquoi la population carcérale est essentiellement
indigène
- les prévenus et accusés, les condamnés de droit commun âgés de plus de seize ans;
- les prévenus et les condamnés militaires ;
- les marins punis en exécution du code disciplinaire et pénal de la marine marchande;
- les condamnés politiques;
- les relégués et les condamnés aux travaux forcés;
- les contraignables par corps (qui au regard de l'article 1er de l'arrêté réglementant la
contrainte par corps, sont les indigènes justiciables des tribunaux indigènes);
- les transférés de passage dans la circonscription ;
- les mineurs détenus par mesure de correction.
En aucun cas, un aliéné ne peut être mis en prison ».
La population incarcérée est largement masculine et issue des classes indigènes populaires.
En effet, les prisons de l'intérieur du pays (situation géographique par rapport à Grand-
Bassam la capitale qui se trouve sur le littoral), contiennent essentiellement les détenus de
la juridiction indigène et de l'indigénat»38 puisque l'indigénat a pour but de réprimer,
rapidement, au moment même où elles se commettent, si possible, sans être arrêté par des
détails toujours longs de procédure, une série d'infractions spéciales dont les indigènes se
rendent fréquemment coupables. L'indigénat ne s'applique qu'aux indigènes ne bénéficiant
pas d'un statut métropolitain et il permet de ne réprimer que les infractions
limitativement énumérées, soit par arrêté du Gouverneur général de l'AOF du 14
septembre 1907, soit aux arrêtés du Gouverneur ayant prévu ce mode spécial de
répression. A ces textes, on pourrait ajouter le décret Millerand du 29 mars 1923 portant
répression du vagabondage en Afrique occidentale française et promulgué par arrêté du 28
avril 1923.
Mais que d'abus ! Les indigènes sont souvent abusivement incarcérés ; tel est le cas dans
diverses affaires rapportées par le parquet général de la Cour d'appel de Dakar en réponse
aux états et rapports concernant le fonctionnement de la justice indigène dans la colonie
de Côte d'Ivoire au cours du 1er trimestre 1912, notamment l'incarcération jusqu'à
37 KOUASSIGAN (G. A.), Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en Afrique noire
francophone, (préface de P. Bonnel), Paris, édition A. Pedone, 1974, p. 59.
127
restitution de toutes les armes recelées. « Le décret ne me semble pas prévoir cette...
sanction » écrit le procureur LEGENDRE.
Si bien que le gouverneur Angoulvant s'est senti obliger d'écrire dans une circulaire que «
tous les paragraphes de ces arrêtés doivent être compris dans leur sens restrictif et il ne
vous (administrateurs) est pas permis, par extension abusive du texte, d'étendre votre
compétence et de punir par exemple, les coups et blessures, les vols simples, etc. »39 En
plus « quelques erreurs ont été relevées encore et elles paraissent provenir d'une
compréhension inexacte du régime disciplinaire de l'indigénat. Certain en effet, (...)
englobant les pouvoirs disciplinaires dans le terme générique de Justice indigène, les
confondent avec le droit de répression qui appartient aux tribunaux indigènes de par le
décret du 10 novembre 1903. Des applications illégales ou abusives découlent de cette
fâcheuse confusion. Confusions rendues possibles par le fait que les administrateurs étaient
également juges. » C'est pourquoi, «je désire, afin de me rendre bien compte de la façon
dont vous comprenez et faites usage de vos pouvoirs disciplinaires, que vous me donniez,
pour chaque infraction réprimée, un compte rendu plus détaillé que le laconique relevé que
vous m'adressiez jusqu'à ce jours... »
On le voit, l'indigénisation des prisons a été favorisée par le régime de l'indigénat car les
hommes se débarrassent avec peine des préjugés que créent l'atavisme et l'éducation40.
Les femmes sont peu nombreuses en prison. Malgré leur faible nombre, elles n'échappent
pas à la surpopulation. Deux principaux motifs expliquent la présence de ces femmes en
prison : les infractions à la législation sur les traites des enfants et les crimes de sang. Très
souvent, elles y sont en tant que «complices» ; elles ont refusé de parler pour couvrir leur
mari, leur compagnon.
Il est impossible dans l'état actuel des recherches, d'établir des séries statistiques
cohérentes et continues sur la population carcérale de la colonie de Côte d'Ivoire et partant
de l'AOF; en revanche, les préoccupations aux divers échelons de l'Administration, telles
qu'elles se reflètent dans les rapports périodiques où les enquêtes disponibles, rendent
compte des problèmes rencontrés par l'Administration par le fait du nombre élevé de
détenus dans les différents lieux d'incarcération.
Ce qui apparaît moins dans ces rapports, ce sont les traumatismes vécus par les
populations exposées à ces sanctions privatives de libertés, régies par le bon vouloir du
détenteur de l'autorité publique tant au niveau local que central.
39 Circulaire n°258 BIS sur l'exercice des pouvoirs disciplinaires, JOCI 1912, p. 432
128
d'homme. Albert Sarraut, ancien ministre des colonies ne disait-il pas : « ne rusons pas, ne
trichons pas. A quoi bon farder la vérité ? La colonisation, au début, n'a pas été un acte de
civilisation, une volonté de civilisation. Elle est un acte de force, de force intéressée»41.
Cette réalité est vécue avec plus de traumatisme à l'intérieur des prisons qui sont en fait
des sphères de non droit.
Si bien que les populations Akan (Baoulé et Agni) et Gouro appellent la prison
respectivement : bisoa (bi =exécrât, merde ; soa = maison, hutte) et bookon (boo =
exécrât, merde ; kon = maison, case, habitat) ; c'est-à-dire lieu de défécation.
On le voit, la vie du détenu est une vie « privée » au sens propre, une vie doublement
privée. La prison est massivement un lieu de déshumanisation, de dépravation morale et
de désocialisation.
La prison est un «état d'exception», au sein duquel les individus sont privés de droits
fondamentaux (négation totale du condamné : de son corps et de son esprit). Puisque dit-
on : « Une pénalité n'est efficace que si elle fait subir au condamné une humiliation morale
41 Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Françoise Vergés, la colonisation française, Toulouse, éditions Milan, 2007, p. 14
129
et une certaine souffrance physique ».42 La détention entraîne une modification des repères
spatio-temporels (lieu de l'incarcération, temps de la peine).
Les conditions de vie dans les prisons sont très dures, voire inhumaines pour les indigènes.
En théorie, l'incarcération ne doit porter atteinte qu'à la liberté d'aller et de venir. En
pratique, la peine de prison pèse sur de nombreux droits fondamentaux (expressions, vie
de famille, vie cultuelle, droits civiques, intimité, dignité, etc.).
La privation d'air, de soleil, de lumière, d'espace, le confinement entre quatre murs étroits,
la promenade sous des grillages, la promiscuité avec des compagnons non désirés dans des
conditions sanitaires humiliantes. Ce sont là des preuves physiques qui agressent le corps,
le détériorent lentement. Telles sont les conditions dans lesquelles vivent les prisonniers de
la colonie.
Les chefs indigènes jusqu'en 1907 sont emprisonnés dans les mêmes geôles et astreints à
des corvées, au travail général. «Cette manière de faire, écrit le gouverneur Clozel, est de
nature à diminuer encore le peu de prestige dont ils jouissent, alors qu'au contraire,
continue-t-il, vous (Administrateurs des cercles et chefs de postes) devez faire tous vos
efforts pour augmenter leur autorité, leur considération, en les traitant avec les égards
qu'exige leur situation, les services que nous en attendons, en un mot selon les règles
évidentes et logiques d'une politique indigène bien entendue»43. Ainsi, pour le gouverneur
Clozel, « la peine de prison ne doit être infligée aux chefs qu'en dernier ressort et lorsque
vous avez employé les autres moyens de coercition ».
De même, les femmes ne sont pas séparées des hommes dans certaines prisons (circulaire
du 22 octobre 1925), les enfants de moins de quatre ans sont avec leur mère enfermés dans
ces lieux exécrables.
Suivant l'article 21 de l'arrêté de 1951, «les femmes enceintes seront placées pendant les
deux derniers mois de leur grossesse, dans un local séparé où elles resteront pendant le
premier mois qui suivra l'accouchement.» Or, nous avons noté que les locaux étaient en
nombre insuffisant, aussi, ces femmes n'étaient elles pas séparées. Par ailleurs, «même
après le sevrage, les enfants pourront être laissés, jusqu'à l'âge de trois ans, aux soins de
leur mère.» Quant à l'article 6 in fine de l'arrêté de 1916, il dispose que «les enfants au
dessous de quatre ans peuvent être laissés aux soins de leur mère». Ces enfants perdent
ainsi les trois premières années les plus importantes de leur existence dans un milieu
malsain, dans un bookon.
130
Les indigènes sont particulièrement victimes de mauvais traitements et de persécutions
des surveillants. Des violences sont commises pendant les interrogatoires policiers et en
détention préventive. Ils sont battus et insultés. Une pression psychologique est exercée
pendant cette période, notamment en utilisant les familles des accusés à des fins
d'intimidation et de menaces44. Les violences exercées contre les détenus par les
surveillants sont un phénomène courant. Du coup, la prison est devenue le lieu de
manifestations de la désespérance.
En 1911, des plaintes s'élèvent pour dire que la nourriture servie aux prisonniers est
insuffisante comme le rapporte le Procureur Général près la Cour d’appel de l’AOF dans sa
lettre adressée à Monsieur l'Administrateur du cercle de Bassam45. Ce à quoi répond ce
dernier pour dire que « les plaintes dont il s'agit, sont le fait de deux ou trois personnes 46
qui d'ailleurs semble-t-il, se plaignent à tort. Car, écrit l'administrateur, vu l'état de santé
des détenus, on est en droit de dire que la nourriture est saine et abondante. Et qu'il n'est
pas nécessaire d'augmenter le taux de la ration journalière.»47 En novembre 1913,
l'administrateur du cercle du Baoulé Nord sollicite48 et obtient49 une augmentation du prix
de la ration alimentaire. Alors que la tendance était partout, suivant la circulaire du
gouverneur de la colonie n°19 C du 21 janvier 1910, à la réduction du taux de la ration des
détenus. Et même, à la recherche d'économie comme ce fut le cas en 1915 dans le cercle des
Gouro qui, sur une somme de 766890 F allouée (ration 0,30 F), n'a dépensé que 473700 F 50.
Alors que les détenus souffrent de mal nutrition comme en témoigne la lettre du procureur
de la République du 18 juillet 1919 et celle du médecin chef de l'ambulance du 6 août de la
même année.
On note également qu'il y a un traitement différencié entre les détenus indigènes et les
détenus d'origine européenne ou assimilés. Témoin, article 59 de l'arrêté de 1951 qui
dispose que « le régime alimentaire est différent selon, d'une part, les catégories de détenus
(...), et selon, d'autre part, le genre d'alimentation habituel des détenus. »
Alors que le premier arrêté (celui de 1896) ne fait pas de distinction en matière alimentaire
entre les prisonniers (article 13), même si la catégorie des européens n'est pas soumise aux
44 Voir à titre d'exemple, l'histoire du résistant gouro Bambou in récit du répertoire du chansonnier gouro Kouaï Bi
Bbolia de Bohikouïfla s/p Gohitafla ; NENE BI B. S., la Terre et les Institutions traditionnelles africaines. Le cas des Gouro
de Côte d'Ivoire. Thèse de Doctorat en Droit, UFR SJAP, Université de Cocody Abidjan, 2005, p. 579.
45 Lettre n° 1228 du28 mars 1911 du procureur général à monsieur l'administrateur de Bassam.
131
corvées. Aussi, alors que pour les indigènes, le taux de la ration est revu à la baisse, pour
les européens, ce taux est revu à la hausse. Témoin, l'arrêté local n°934 du 6 décembre 1917
qui dispose en son article 1er «le montant de l'indemnité quotidienne représentative de
vivres déterminée au quatrième alinéa, in fine, de l'article 7 de l'arrêté (...) du 27 mai 1916
est porté de deux francs cinquante centimes à trois francs 25 pour les européens et
assimilés détenus à la prison de Grand-Bassam ». Malgré tout, indigènes et Européens
sont mal nourris51 . Les plantations créées autour des prisons pour nourrir les prisonniers»
ne parviennent pas à satisfaire les besoins de ces derniers : cas de béribéri signalé à la
prison de Grand-Bassam par le médecin chef de l'ambulance de la prison52. En sus, les
prisonniers mangent de façon irrégulière. Certaines fois, pas du tout53.
Bien que la nourriture soit insuffisante et irrégulière54, les détenus sont employés à des
tâches très dures sur les chantiers et dans des conditions déplorables. Ils sont employés au
mépris de la loi « pour assurer des services d'ordre particulier, et remplir quelquefois
l'office de domestiques de certains fonctionnaires »55.
54En sus, l'article 33 de l'arrêté de 1916 aggrave la situation de certains détenus notamment en privant les indisciplinés
de « la demi ration pendant trois jours au plus dans la même semaine »
55 Circulaire n°93 du gouverneur général du 1er octobre 1911 interdisant l'emploi des prisonniers autrement qu'à des
services publics. Voir aussi circulaire du gouverneur de la Côte d'Ivoire n° 324 du 15 octobre 1911 sur le même sujet.
56 Robert, p. 149
132
propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre
proportionné à l'effectif des détenus. De même, l'article 23 de l'Arrêté de 1916, invite le
brigadier-chef à s'enquérir des détenus malades qui devront être conduits à l'infirmerie
ambulance. Mais ces règles n'étaient pas pour la plupart respectées dans les prisons de la
colonie. Aussi, le procès verbal de la réunion de la commission de surveillance de la prison
de Bassam dans sa séance du 22 juillet 1919, note que les pompes ne fonctionnent pas, que
les murs intérieurs sont délabrés, les prisonniers n'ont aucun habillement, qu'il n'y a aucun
matériel de couchage. Le règlement sanitaire est foulé au pied.
Le manque d'hygiène étant source de maladie, les poux et la gale sont répandus. Etant
donné l'absence totale de protections périodiques, les femmes détenues en sont réduites à
utiliser des morceaux de leurs vêtements lors de leurs menstruations. Elles ne peuvent
laver leur linge qu'une fois par semaine indépendamment de leur cycle menstruel.
Des détenus sont obligés de sécher leurs vêtements encore humides en les portant sur eux.
133
B. La perte de l'identité
Le mode de vie en prison va donc confronter le détenu aux limites de son corps. Tout
d'abord la cellule qu'il va partager avec plusieurs autres détenus qu'il n'a pas choisis. Il va
vivre avec eux. Son comportement, ses gestes sont l'objet de surveillance. Rares sont les
moments d'intimité. Les détenus en effet, vivent ensemble, aussi bien de jour que de nuit.
Il y a une grande promiscuité. Nombre de détenus ont témoigné de leur vécu corporel pour
évoquer l'incarcération : la perte de sens, la sensation de vertiges dans les premiers jours
traduisant la perte des repères. Et la crainte omniprésente que la prison les envahit, prend
leur corps : que son odeur les imprègne par exemple, en un mot, la prison est oppressante.
On le voit, un détenu est quelqu'un qui a tout perdu : sa liberté, son identité, sa place dans
la société, ses amis, ses proches, jusqu'à ses habitudes alimentaires.
L'emprisonnement est pour l'indigène un événement marquant qui peut avoir une
incidence négative sur le cours de sa vie. Les effets pervers de l'incarcération ont été mis en
59Aux termes de l'article 13 de l'arrêté du 27 mai 1916, cette fouille se fait à l'entrée dans la prison et à leur retour chaque
fois qu'ils sortiront de l'établissement. Ils pourront également être fouillés pendant le cours de leur détention, aussi
souvent que le régisseur le jugera nécessaire. Les femmes ne pourront être fouillées que par des personnes de leur sexe.
134
évidence à maintes occasions, dans les rapports du médecin près la prison et le procureur
de la République.
La prison dans toutes ses formes a fini par révéler son incapacité à apaiser la
souffrance des « patients » que la société lui confie. Dès lors, le traitement des délinquants
par le système pénitentiaire conduit à la destruction des communautés indigènes.
Les familles sont profondément meurtries par l'éloignement de leur proche détenu. Elles
sont condamnées à organiser leur vie autour du milieu carcéral. Ces familles ne vivent plus,
mais survivent. Le plus douloureux, c'est qu'elles sont étiquetées comme de mauvaises
gens et par la même occasion éclatent et sont réduites aussi bien au niveau de la
production des biens que de la reproduction du groupe.
Le détenu ne peut participer aux rites d'initiation, de réalisation de soi dans sa société
d'origine. Il brise par son absence à ces moments de communion avec les dieux et la
société, une chaîne vieille de toute éternité.
Les femmes ne peuvent, selon la tradition, se purifier et renouveler leur force vitale, faute
de participer aux rites de purification menstruelle pendant leur incarcération. Aussi, sont
elles psychologiquement diminuées.
135
Les juges traditionnels sont hors jeu puisque l'enfermement tel que présenté par le système
colonial est différent de celui pratiqué autrefois. Ce qui détruit totalement le système
judiciaire ancien puisque les modes ancestraux de traitement de déviances et des litiges
sont abandonnés au profit de ceux du colonisateur.
Au total, les populations indigènes vivaient la prison comme un cauchemar. C'est la raison
pour laquelle elles ont évité la prison, vécue comme une déchéance sociale suprême. De là,
la fuite en cas d'actes répréhensibles ou le recours à des solutions de type ésotérique,
imaginaire, surnaturel. Bref, la prison était pour elles un autre monde, un monde à part.
Retenons pour finir que la prison déstructure le détenu et le vide de l'intérieur. En prison,
le détenu perd le goût de tout, même du contact, parce qu'il se trouve désincarné n'étant
pas en communion avec les siens.
La prison n'est pas un lieu normal de vie et de travail. Elle est le lieu de tous les dangers,
elle accentue l'appauvrissement de ses usagers. C'est une institution particulièrement
contraignante. La vie en prison n'est pas seulement une privation de liberté; elle impose la
privation des biens et des services, la perte d'autonomie, la privation de relations
hétérosexuelles et la perte de sécurité.
Les prisons ont servi et servent encore presque partout de réservoir de main-d'œuvre à
l'administration publique (construction de chemin de fer, travaux d'entretien et de culture,
etc.) ou aux entrepreneurs privés (plantations, petites industries).
La prison coloniale est scandaleuse. Et si elle l'est, c'est parce que les droits les plus
élémentaires – se laver, se soigner, communiquer avec sa famille, reprendre espoir et se
préparer à trouver une place dans la cité - y sont refusés, du moins à la majorité des
détenus ; singulièrement aux indigènes.
La prison coloniale est scandaleuse parce qu'elle démontre que la société coloniale est
hypocrite comme l'a noté A. Sarraut : «ne rusons pas, ne trichons pas. A quoi bon farder la
vérité? la colonisation (...) n'a pas été un acte de civilisation ».
136
Mais en dépit des critiques dont elle fait l'objet, la prison continue de jouer un rôle
déterminant dans la Côte d'Ivoire post coloniale en ce sens qu'elle apparaît comme
l'institution officielle de redressement des délinquants. Ce choix s'explique par le fait que
l'indépendance de la Côte d'Ivoire ne parait pas se traduire par une remise en cause
fondamentale de l'ordre colonial. Car l'organisation administrative et politique de la Côte
d'Ivoire s'inspire du modèle du colonisateur qui avait institué un ordre juridique conforme
à sa philosophie et à ses objectifs61. Malgré l'exaltation de la liberté retrouvée, la tendance
s'était nettement dégagée en faveur du « statut quo ante » avec ses problèmes et ses
solutions.
L'Etat ivoirien post colonial se présente en effet comme une variante de l'Etat colonial. En
témoigne Houphouët Boigny, 1er Président de la République de Côte d'Ivoire lorsqu'il
s'écrit : « c'est pour la première fois dans le monde que librement, sans contrainte,
volontairement des peuples autrefois colonisés renoncent à leur indépendance absolue et
veulent s'intégrer dans une communauté franco-africaine »62
CONCLUSION
Dans toutes les colonies, et au-delà de particularités liées au statut spécifique mais
minoritaire de certains « indigènes », s’élèvent une « double législation », un « double
gouvernement », une double administration » et une double justice où « chacun » à « ses
juges », où « chacun » à « ses lois. » Comme l’expose le professeur Maunier dans le cours de
droit qu’il a élaboré en 1938 pour les étudiants de la faculté de Paris, tel est donc le
principe de ségrégation qui préside à l’organisation des institutions coloniales, qu’elles
soient politiques, administratives ou judiciaires. Toutes reposent sur des discriminations
raciales juridiquement sanctionnées et publiquement revendiquées qui structurent deux
ordres distincts : celui des Européens et celui des autochtones ; le premier dominant bien
sûr le second.
De 1919 à 1939, aucune réforme coloniale d’envergure n’est réalisée malgré les appels
incessants à la « mise en valeur » ou les pressions de la Société des Nations contre le travail
forcé (système institué dans les colonies des puissances européennes, où les colonisés
étaient tenus de travailler sans aucune rémunération et sous la contrainte, sans devenir
pour autant des esclaves). En 1937, le front populaire met sur pied une commission
d’enquête, dirigée par Henri Guernut, alors président de la LDH, chargée d’établir un
panorama de la situation de l’empire. Nonobstant des conclusions accablantes sur les
137
conditions d’existence des indigènes, le front populaire renonce finalement à réformer la
politique coloniale108.
Il en résulte une importante conséquence. Les points de contacts finissent par devenir des
points de soudure entre les deux sous-systèmes. Par les rapports socialisants que le
colonisateur entretient avec les colonisés dans le gouvernement, l'école, le travail, les églises, le
sous-système colonisateur s'attache le sous-système colonisé, le transforme partiellement, sans
l'intégrer totalement.
Il n'est donc pas étonnant qu'on observe dans la société colonisée des phénomènes de
repliement sur elle-même tout autant que de dépendance. Nous entendons par phénomènes
de repliement diverses formes implicites de refus du système colonial, soit par un retour à des
valeurs ou à des institutions traditionnelles, soit par la fuite hors des réalités immédiates.
L’un des traits caractéristiques de la situation coloniale est la dépendance politique. Cela
signifie que toutes les décisions politiques importantes concernant le pays colonisé sont prises
par le gouvernement métropolitain, qui maintient dans la colonie ses propres
administrateurs chargés d'exécuter ou de faire exécuter les décisions et de transmettre les
renseignements nécessaires. Lorsque la colonie bénéficie d'un gouvernement local (conseil,
108 Idem p. 19
138
assemblée législative), celui-ci ne peut prendre que des décisions limitées et n'a pour le reste
que le pouvoir de soumettre des recommandations ou des vœux.
Des éléments de transformation ont toujours existé, ils sont mêmes consubstantiels
au fait colonial. Mais, il faut attendre la seconde moitié du XXème siècle pour les voir
mûrir et avec l’adjuvant d’éléments nouveaux faire accélérer le processus de
transformation. Ces facteurs déterminants sont à la fois d’ordre interne (chapitre 2) et
d’ordre externe (chapitre 1.)
Déjà, le 25 septembre 1926, la société des nations adoptait une convention préconisant
notamment la répression de l’esclavage. Cette convention faisait référence au travail forcé sans
le condamner vraiment car, il pouvait « être exigé pour des fins publiques ». En 1930, le bureau
international du travail adoptait une convention visant à supprimer le travail forcé « sous
toutes ses formes dans les plus brefs délais possible ».
Les différentes abolitions de l’esclavage ne sont que des étapes dans l’interdiction de
considérer un homme comme une marchandise ou un outil, à titre provisoire ou définitif. Le
couronnement du processus est l’interdiction du travail forcé.
Mais, c’est surtout le second conflit mondial et ses prolongements qui vont être déterminant
dans la transformation de l’espace colonial. En effet, la seconde guerre qui s’achève va être
décisive dans la nouvelle orientation que prend l’humanité. Avec elle, les relations
internationales épousent une configuration nouvelle. De nouveaux rapports se dessinent. D’une
part, la puissance coloniale va connaître – en attendant de renaître - , une descente aux enfers.
109Pierre-François Gonidec, “l’AOF, amorce d’un Etat fédéral?”, in AOF : réalités et héritages. Sociétés ouest-africaines et
ordre colonial, 1895-1960, p.30
139
Vaincue et divisée contre elle-même, elle se révèle aux yeux des colonisés – naguère craintifs et
admirateurs à la fois – comme un peuple vulnérable lui aussi. D’autre part, les colonisés qui ont
bien des raisons de se rebeller se sentent galvanisés devant la décadence de l’oppresseur. Leur
audace s’attise d’autant plus qu’ils ont défendu, au péril de leur vie, la métropole attaquée. A
cela, s’ajoute l’émergence, la projection sur la scène internationale de deux nouveaux maîtres
qui ont ceci de particulier qu’ils sont essentiellement anticolonialistes : l’U.R.S.S. et les
U.S.A.
Cette redistribution des cartes avise la France que si elle veut restaurer sa puissance,
son image, elle doit changer de visage. La stabilité coloniale en dépend. Pour rassurer donc les
puissances anticoloniales et l’O.N.U. qui vient de naître, pour endiguer le nationalisme
inquiétant des colonisés, le pays de De Gaulle organise la Conférence de Brazzaville, puis
échafaude des constructions politico-juridiques. Dans cet ordre, la représentation politique
des colonies et la liberté de création des partis politiques sont instituées.
On peut considérer la société colonisée comme étant située à la périphérie d'un cercle dont
la société colonisatrice métropolitaine serait le centre.
La colonie souffre à la fois d'être éloignée du centre et d'en être dépendante. Eloignée du
centre, elle ne bénéficie pas de l'activité, de l'énergie, de l'élan que celui-ci recèle; elle est aussi
toujours en retard sur celui-ci. Par ailleurs, elle dépend du centre métropolitain via le
gouvernorat général d'une manière trop exclusive et totale. C'est du centre que lui viennent
les initiatives, les impulsions, et les décisions. Mais c'est surtout sur le plan économique que
cette dépendance est marquée et grave ; l'économie coloniale est entièrement édifiée et
orientée selon les besoins, les intérêts et l'évolution de la métropole et au bénéfice de celle-ci.
C'est ce qu'Albert Meister a appelé « le carcan du pacte colonial ».
La société colonisée est donc un type de société qui est privée des ressorts et du dynamisme
internes nécessaires à son développement autonome. Elle existe trop exclusivement par et
pour le centre lointain auquel elle est rattachée.
140
La société colonisée est également déséquilibrée à plusieurs autres égards. Ainsi, une mince
couche instruite y côtoie une population largement analphabète.
Tout en inhibant les motivations dynamiques des personnalités, le système colonial produit
aussi des frustrations; il développe des désirs, des aspirations; il provoque une hostilité latente.
Ces états psychiques peuvent finir par déclencher une volonté d'action individuelle et
collective, dirigée à la fois contre le colonisateur et vers la réalisation d'objectifs plus ou moins
précis.
Les élites sont les personnes et les groupes qui participent à la définition d'une idéologie; ce
sont encore ceux qui la diffusent, qui en sont les porte-parole ou les représentants en quelque
sorte attitrés comme Léopold S. Senghor, Sékou Touré, Houphouët Boigny.
Cette élite est généralement constituée par un groupe que le colonisateur pouvait définir
comme «évolué ». Elle se recrute parmi les intellectuels, ou du moins ceux qui ont fait des
études avancées (parfois même dans la métropole), parmi les cadres de l'administration
publique, chez les étudiants, au sein des professions libérales, quelquefois chez certains chefs
traditionnels.
Paradoxalement, ce sont les groupes et catégories qui ont Bénéficié du système colonial et
sur lesquels le colonisateur Comptait s'appuyer, qui fournissent les principaux éléments de
l'élite qui dirige le mouvement de décolonisation.
141
§ 3. Les associations et refuges110
Est de celles-là le Comité Indigène du Cercle de l’IndéniéIl dénonce en 1937 les tares
du système colonial et propose des réformes : «...oui la Côte d’Ivoire ne peut avoir son
représentant légitime que par le choix de son peuple... Le code de l’indigénat a besoin d’une
réforme urgente »113. Il s’en prend ensuite aux Sociétés de Prévoyance Indigène tout en les
tournant en dérision : « les nommer " sociétés des commandants de cercles " vaudrait mieux
encore. Messieurs les commandants de cercle emploient le crédit de la Société de prévoyance
indigène pour construire les routes… Quand ils reçoivent des crédits pour effectuer un travail
quelconque la moitié de la somme reste dans leur poche »114.
110 Maizan KRA, les partis politiques ivoiriens de 1946 à 1960, mémoire de DEA, UFR SJAP, UCA 2010
111 S.P. Ekanza, Le messianisme en Côte d’Ivoire au début du siècle. Une tentative de réponse nationaliste à l’état de
situation coloniale, in A.U.A., Série I, Histoire, Tome 3, p.55.
112 Idem, p. 103.
113 ANS –AOF , 2g37-5 : Rapport politique 1937.
114 ANS-AOF, 2g37-5 : Rapport politique 1937. Créées en A.O.F par un décret du 29 juin 1910, ces sociétés étaient des
organismes de prévoyance, de secours et de prêts mutuels agricoles. « Mais elles furent détournées de leurs buts et devinrent
un système d’escroquerie de la masse paysanne ». Confère J.N. Loucou, Le multipartisme en Côte d’Ivoire, op. cit., p. 44.
142
stipule l’article 2 de ses statuts, « de défendre les intérêts légitimes intéressant le bien-être et
l’évolution du pays tout entier » 115.
Ainsi qu’on peut le voir, ces associations constituent « des regroupement avant-
gardistes des futurs partis politiques »116.
C’est ainsi que De Gaulle déclarait : « Nous lisons de temps à autre que cette guerre
doit se terminer parce qu’on appelle un affranchissement des peuples coloniaux. Dans la
grande France coloniale, il n’y a ni peuple à affranchir ni discriminations raciales à abolir.
Il y a des populations qui se sentent françaises et qui veulent prendre et à qui la France
veut donner une part de plus en plus large dans la vie et les institutions démocratiques de
la communauté françaises. Il y a des populations que nous entendons conduire, étape par
étape, à la personnalité, pour les plus mûres aux franchises politiques mais qui n’entendent
connaître d’autre indépendance que l’indépendance de la France ».
§ 2. L’Union française
115 Ibidem.
116 K. B. Yao, La décolonisation de la Côte d’Ivoire (1930-1960), Thèse de 3ème cycle, Histoire, Université de Cocody-
Abidjan, 2000, p. 100.
117 Le titre VIII de la Constitution de 1946
143
citoyen ».(art.80). Et dispose que les citoyens qui n'ont pas le statut civil français
conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé. Ce statut personnel ne
peut en aucun cas constituer un motif pour refuser ou limiter les droits et libertés attachés
à la qualité de citoyen français. (art.82).
Ces récentes évolutions cachaient pourtant une autre réalité : le système colonial français
restait largement figé à ce qu’il était dans l’entre-deux-guerres. D’où les émeutes que
connut l’Afrique noire entre 1947 et 1949, et qui marquent le début de l’inéluctable
marche vers l’indépendance.
La loi cadre ne résulte pas d'une volonté délibérée du pouvoir colonial français de
faire des concessions aux leaders politiques africains. Elle est la réponse ultime à la difficile
situation que connaît la France dans le contrôle de son domaine colonial. Après la (1ère)
guerre d'Algérie qui devient de plus en plus intensive et à laquelle la métropole ne trouve
pas encore de solution salutaire pour elle, l'U.P.C. (Union des Populations du Cameroun)
engage la lutte armée au Cameroun à partir de 1955. Après la perte du Vietnam en mai
1954, l'empire colonial français subit de sérieuses secousses en Afrique. Pour sauver cette
"Afrique française", avec esprit lucide, M. Gaston Deferre déclare qu'il faut vite agir : "En
agissant vite, nous ne serons pas à la remorque des évènements. Il existe actuellement
outre-mer un malaise, déclare le député de Marseille, et il importe de le dissiper par, une
action efficace pour rétablir un climat de confiance". Il est encore plus explicite devant le
Parlement. "La gravité et l'urgence des questions d'Afrique du Nord ne doivent pas nous
faire commettre la faute d'attendre pour définir une politique en Afrique Noire, à
Madagascar. Ne laissons pas s'accréditer l'idée inexacte que notre Parlement ne s'occupe
des peuples d'Outre mer que quand le sang coule. Prouvons que nous savons agir
autrement que sous la conduite des évènements".
Les principales dispositions des réformes de la loi cadre touchent trois domaines :
144
électorales et n'étant dans aucun cas d'incapacité prévu par la loi (art.10). L’article 12
complète les dispositions de l’article précédent en abrogeant le système de deux collèges.
Le décret n° 57-459 du 4 avril 1957 institue le conseil de gouvernement qui comprend six à
douze membres élus par l'assemblée territoriale parmi ses membres ou en dehors de ses
membres. Il est présidé par le gouvernement de la colonie secondé par le premier de la liste
des élus. Il fonctionne en permanence. Il délibère sur tous les actes concernant la gestion
des affaires du territoire.
145
En effet le changement de la politique coloniale française n’est pas à rechercher dans des
intentions morales des gouvernants mais dans la recomposition du contexte politique
national et international de l’après-guerre obligeant les autorités françaises à donner une
autre forme à la présence coloniale et à son administration.
La création de ses assemblées locales rendait urgente celle des Grands conseils.
La loi instituant les Grands conseils fut discutée en première lecture à l’Assemblée
nationale française le 30 juillet 1947. Après son adoption par l’assemblée nationale, la loi
vint le 11 août 1947 devant le conseil de la république. Venue en seconde lecture à
l’Assemblée nationale, le 12 août 1947, la loi fut adoptée définitivement le même jour.
Cf pour tout le chapitre, Joseph-Roger BENOIST, « le grand conseil de l’AOF, ébauche de parlement fédéral » in
119
AOF : réalités et héritages. Sociétés ouest-africaines et ordre colonial, 1895-1960, pp. 74-75
146
CHAPITRE 2. L’EMERGENCE D’UN SALARIAT ET D’UN SYNDICALISME MILITANT
SECTION 1. LE SALARIAT
Introduit dans les territoires plus précisément dans les colonies africaines par les colons, le
salariat est un fait nouveau pour les indigènes. La naissance du salariat aux colonies
résulte de la suppression du travail forcé.
Dans la première moitié du 20ème siècle, la question sociale en AOF est restée dominée par
le régime du travail forcé, reflet de l’interventionnisme de l’Etat colonial dans le processus
de mobilisation de la main-d’œuvre indigène. En effet, la réquisition de main-d’œuvre a
été la 1ère mesure coercitive à laquelle l’Administration coloniale a eu recours devant la
rareté ou l’insuffisance de la main-d’œuvre indigène. Pourtant, la législation coloniale s’est
montrée fort laconique sur les questions malgré l’ancienneté de la pratique en AOF. La
main-d’œuvre réquisitionnée est diversement utilisée. Jusqu’en 1919, le recours à la main
d’œuvre par voie de force est de mise. Générateur d’abus, de brimades et d’injustices, le
travail forcé a fait naître diverses réactions. A partir de 1936, la résistance des travailleurs
prend une allure plus massive (multiplication des réclamations auprès des commandants
de cercle d’origine, portant sur l’alimentation, l’organisation du travail, l’attitude de
l’encadrement ou les salaires).
147
C'est le décret du 11 mars 1937, modifié le 12 juillet 1939 qui étendit le bénéfice de la
liberté syndicale aux « indigènes » sujets français de l'ex-A.O.F. Ce décret stipulait que
pour pouvoir se syndiquer, il fallait être titulaire du Certificat d'études primaires.
II fallut attendre la Conférence de Brazzaville en 1944 pour que le décret du 7 aout 1944,
reconnaisse certains droits aux syndicats professionnels et leur impose certaines règles,
relatives à leur composition et à l'obligation pour les dirigeants syndicaux d'être titulaires
du Certificat d'études primaires. De plus, chaque année, les syndicats devaient
communiquer leur bilan financier au procureur de la République.
Le Code du Travail du 15 décembre 1952, a levé depuis, ces deux restrictions.
Après la grève héroïque menée par les cheminots du Dakar – Niger, l’influence des
syndicats n’a cessé de croître parallèlement au nombre de salariés (…). Ces différentes
données ont été à la base d’une présence remarquée des syndicats sur la scène politique
coloniale120.
La loi lamine Gueye a proclamé citoyens français, tous les ressortissants d’outre-
mer. Par cette loi, le droit de vote était étendu à tous les indigènes et colons d’outre-mer
quel que soit leur sexe. Il fallait néanmoins avoir 21 ans révolus, être chef de famille ou
de ménage ; être mère de deux enfants vivants ou bien morts pour la cause française ;
être titulaire d’une pension civile ou militaire. Voir également loi du 21 avril 1944.
Pour être éligible, il fallait avoir 25 ans accomplis en vertu de l’article 6 de la loi
organique du 30 novembre 1875 sur l’élection de députés. Les soldats, les marins de
carrière, les fonctionnaires rétribués par l’Etat ne pouvaient se présenter à une élection.
Les ministres, les ambassadeurs, les préfets de police, les présidents des tribunaux ne
pouvaient être éligibles dans les circonscriptions où ils exercent leur fonction. Ces
exceptions étaient prévues par l’article 8 de cette même loi.
148
§ 1. Les organes chargés de l’organisation des élections et du
contentieux électoral
- le conseil supérieur des colonies puis le conseil d’administration colonial qui avait la
charge de l’organisation des élections.
Dans les colonies, les conseils coloniaux étaient compétents en matière de réclamations
électorales. Les requérants déposaient au secrétariat du conseil du contentieux, à peine
de nullité, l’exposé des faits et l’indication des moyens. Le délai du recours est de deux
ans dès la proclamation des résultats des élections.
On a les élections dans les ordres professionnels, les élections syndicales d’une part, et
d’autre part, les élections à l’assemblée constituante nationale française, les élections à
l’assemblée territoriale et municipale dans les colonies. Ce sont ces dernières qui feront
l’objet d’un bref regard.
La 1ère assemblée constituante française débuta en 1946 avec l’extension du droit de vote
et de représentation aux citoyens des colonies françaises. Aussi, les citoyens des outre-
mer avaient-ils le droit d’élire leurs représentants à cette assemblée, néanmoins, la
représentation des populations ultramarines autochtones était inégalitaire, ce, du fait du
principe du double collège. Ce n’est qu’en 1956 que la loi n°56-619 du 23 juin 1956 dite
loi Gaston Defferre va établir l’égalité de suffrage entre tous les citoyens avec l’abandon
du double collège.
149
Il faut tout de même noter que l’assemblée constituante n’exista que pendant deux
« législatures ». En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, elle fut représentée au cours de ces
deux législatures par Houphouët Boigny121.
Le scrutin était majoritaire à deux tours. Avec des spécificités : pour être élu au 1er tour,
il fallait soit avoir la majorité absolue, soit être 1er avec un nombre des suffrages égal au
moins au quart des électeurs inscrits. Et au 2ème tour, la majorité simple suffisait. En cas
d’égalité, le plus âgé l’emportait.
Pour le territoire de la Côte d’Ivoire, les premières élections eurent lieu en 1957. Les
premières élections municipales en Côte d’Ivoire se sont déroulées en octobre 1955
conférant à Grand Bassam le statut de commune de plein exercice ayant un conseil
municipal et un maire élu. Quant à Abidjan, elle fut érigée en commune de plein exercice
par l’effet du décret du 18 novembre 1956 avec un conseil municipal de 37 membres. Le
premier maire d’Abidjan fut Houphouët Boigny.
121Lors de la 1ère élection à l’assemblée constituante française, le candidat Houphouët Boigny, au 1 er tour, devança son
adversaire de plus de mille voix sur 31 081 suffrages exprimés. A la seconde assemblée constituante, il fut élu plus
facilement avec 21 099 voix sur 31 788 suffrages exprimés.
150
SECTION 2. LES PARTIS POLITIQUES122
La naissance des partis politiques africains sous la colonisation, on le sait, n’est pas le fruit
du hasard. Car ceux-là ont été engendrés par celle-ci. Mais, ainsi proposés ou imposés, ils
vont se poser en s’opposant au fait colonial. On aboutit alors sinon à un parricide, à tout le
moins à un lien dialectique entre les partis et la colonisation.
En disant que les partis sont les fils de la colonisation, on peut se demander
d’emblée s’ils sont le terme d’une grossesse désirée ou plutôt indésirée du colonisateur. A ce
sujet, l’analyse révèle qu’ils sont le résultat du nationalisme du colonisé que le colonisateur
a produit par ses injustices et tenté d’endiguer par souci stratégique. Il en résulte que deux
mouvements, l’un négatif, l’autre positif ont conjugué leur élan dans l’avènement du
phénomène partisan. L’élément négatif est constitué par la réaction –le refus- du colonisé
aux abus du colonisateur. Quant à l’élément positif, il est donné par l’action directe de ce
dernier.
122 Voir Maizan KRA, op. cit. // Le Lexique des sciences sociales donne à lire qu’un parti est un « groupe plus ou
moins organisé de citoyens, supposés partager la même doctrine et luttant pour la conquête du pouvoir ». Cette proposition est
sensiblement la même que celle du Dictionnaire de science politique qui conçoit le parti comme « une organisation
réunissant des personnes ayant les mêmes convictions en vue de conquérir ou de garder le pouvoir ». Quant à la définition
donnée par La Palombara et Weimer, elle semble être plus élaborée, faisant ressortir quatre critères sans lesquels aucune
organisation ne pourrait être qualifiée de parti. Le premier de ces critères veut que le parti soit une organisation durable,
c’est-à-dire dont l’espérance de vie est supérieure à celle de ses dirigeants. Le second le conçoit comme une organisation
nationale bien implantée localement et dont les échelons locaux entretiennent des rapports réguliers avec l’échelon
national. Le troisième, lui, définit le parti comme une organisation dont les dirigeants ont la volonté manifeste et
effective d’exercer directement le pouvoir, seul ou en association avec d’autres. Le dernier critère invite le parti à
rechercher un soutien populaire notamment par les élections.
On le voit, le critère du désir de conquête du pouvoir est un invariant dans les différentes définitions. C’est
justement ce qui a motivé la disqualification, par certains auteurs, de ces organisations. Ainsi Laurent Gbagbo ne
reconnaît pas de parti politique avant l’indépendance tandis que Jean Noël Loucou n’accorde cet honneur qu’au seul
Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-PDCI. Mais, l’embarras se trouve ailleurs que la volonté qui, aujourd’hui comme
hier, s’avère difficile à établir. La difficulté réside dans le cadre original –l’hétéronomie –créé par le fait colonial. Dans
ce cadre, en effet, quel pouvoir faut-il aspirer à exercer pour pouvoir être consacré parti politique en ayant à l’esprit que
la colonie n’avait pas de vie politique autonome ? Le pouvoir administratif local ? Le pouvoir législatif métropolitain ?
Le pouvoir exécutif métropolitain ? Dans tous ces cas de figure, la réponse peut paraître problématique, surtout que les
groupements disqualifiés par les auteurs précités ont, à un moment ou à un autre, participé à l’exercice de l’un ou l’autre
de ces pouvoirs en passant par les élections. C’est pourquoi, il faut recourir, outre les données factuelles, à des
considérations formelles et présumer que toute organisation déclarée ou reconnue comme parti à l’époque l’est vraiment.
Nous nous référerons à la déclaration formelle faite à l’autorité et au besoin aux statuts des organisations intéressées
voire aux attitudes de leurs dirigeants.
151
les partis politiques dans un cadre légal et le vent semi-libéral de 1946 vient consacrer ce
choix.
Enfin, par le truchement d’un décret du 11 avril 1946, la liberté de réunion est
consacrée dans toute la France d’Outre-mer. Dans la colonie ivoirienne, cette liberté est
importante pour les partis. Sans celle-là, ceux-ci ne peuvent valablement déployer leurs
activités. La liberté de réunion est donc un accessoire nécessaire de la liberté d’association,
l’accessoire suivant toujours le principal.
Par ailleurs la liberté de presse n’est pas négligeable pour les partis. Etendue par le
décret du 27 septembre 1946 aux colonies, elle permet aux institutions partisanes de faire
circuler leurs idées. La presse, en effet, est un excellent outil de propagande. D’ailleurs les
partis ne s’y sont pas trompés. Ils en disposeront.
Les partis politiques, ainsi que cela a été dit, apparaissent sur la scène coloniale à
partir de 1946. Une quinzaine d’années après, le fait colonial disparaît. Est-ce là une
simple coïncidence ? Certes, la colonisation portait dès le début les germes de sa propre
destruction. Et l’une de ces germes, et non pas des moindres, est le nationalisme125 des
colonisés. Ce dernier, dira un auteur, « qui a commencé dès les débuts de la pénétration
coloniale ne s’arrêtera jamais. Comme tout mouvement, il a ses moments de flux et de
reflux et s’exprimera sous diverses formes à la lumière des circonstances historiques »126.
Mais, il reste que ce sont essentiellement les institutions partisanes, qui prendront en
charge la lutte anticolonialiste plus haut niveau. Désormais, aucune revendication, qu’elle
soit politique, économique, sociale ou culturelle, ne s’inscrit véritablement en dehors d’un
cadre partisan.
Toutefois, comment évaluer la part –la juste part –des partis dans l’effondrement
du système colonial ?
123 Décret n° 46-277 du 20 février 1946 portant suppression de l’indigénat. Confère J.O.-A.O.F. no 2212 du 23 mars 1946,
p. 334-335.
124 J.O.-A.O.F no 222 du samedi 25 mai 1946. P. 691.
125 Le nationalisme est une « doctrine et (une) action politique des individus qui cherchent à réaliser l’indépendance de
leur nation en la libérant de la domination étrangère ». Confère Lexique des termes juridiques,13ème édition, Paris, Dalloz,
2001, p. 373.
126 K.T. R. Zakpa, Le RDA et l’éveil des masses africaines à la conscience politique (1920-1958), Mémoire de D.E.S.
152
§ 2. L’action des partis politiques pour l’émancipation
Phénomène d’acculturation, les partis politiques sont amenés à agir dans un milieu
foncièrement différent de leur berceau occidental. De là, procède la première complexité de
la lutte des partis qui doivent s’adapter à leur environnement.
Une deuxième difficulté provient de la pluralité des partis, ceux-ci étant alors
amenés à se concurrencer sur le terrain de la lutte anticolonialiste avec le risque de se
neutraliser127. Les joutes électorales parce qu’elles mettent en compétition les différents
partis, présentent un aspect de cette situation.
Mais la colonie n’est pas le seul champ d’action des partis. Ils doivent par ailleurs
agir en métropole et même dans les autres colonies françaises. En tout cas, le système
colonial français, par essence, les y invite. Il en résulte une multiplicité de fronts de
combat. Ceci constitue la troisième complication.
Les forces partisanes ont à lutter sur deux fronts à la fois. D’une part, elles doivent
contribuer à obtenir les réformes fondamentales. D’autre part, il leur revient de requérir
l’application, sur le terrain, de ces réformes, tant les résistances locales sont tenaces. Le
premier front se situe en dehors de la colonie tandis que le second s’y trouve.
Dans la lointaine métropole, les réalités et les aspirations coloniales –qui doivent en
principe sous-tendre toute politique coloniale – ont peu de chance d’être cernées dans leur
juste valeur. Or, c’est en ce haut lieu justement que se dessinent les grandes orientations
quant à l’avenir des colonies. Une intervention –sur les plans idéologique et juridique – des
partis devient, par voie de conséquence, indispensable, ce d’autant plus que les forces
réactionnaires y sont actives.
153
Dans les colonies françaises, surtout celles de l’Afrique noire, sont concernées par le même
grand problème de leur temps. Il en résulte que leurs différentes forces ne peuvent
s’ignorer totalement et, une influence réciproque est inévitable. On peut citer à cet effet, le
front R.D.A.
La lutte à l’intérieur de chaque colonie est encore très décisive, puisque c’est une lutte de
terrain.
Et, « les plus généreuses lois votées par le parlement, les plus beaux décrets pris à Paris
sont comme des messagers. Ils partent de France joyeux, plein de vie, arrivent alités à
Dakar ou Brazzaville, tombent malades dans les chefs-lieux des colonies, pour mourir dans
les cercles ou subdivision et être enterrés dans des caisses dites « dossiers en instance »
prévus pour leur inhumation»128.Cette image du président du P.D.C.I. en dit long sur le
rôle de contre-pouvoir qui incombe aux partis en présence du pouvoir du colonialisme
local. En effet, Le colonialisme local est représenté essentiellement par les colons,
commerçants ou planteurs, qui, par leurs activités même, possèdent une toute puissance
économique. Ils puisent dans leurs ressources économiques la force leur assurant un
pouvoir politique très agissant. Et par ce mécanisme, ils s’assurent le soutien voire la
subordination de l’administration coloniale ; cette dernière représentant le second élément
du colonialisme local. A ce sujet, un auteur fait remarquer que l’administration coloniale
est au service des planteurs, des exploitants forestiers et des commerçants blancs, c’est-à-
dire ceux qui ont les moyens de faire ou défaire les carrières des fonctionnaires coloniaux,
d’enrichir un gouverneur compréhensif, de jeter sur la paille un administrateur qui ne fait
pas leur volonté. Ils sont, dit-il, «les vrais et seuls maitres sur place et ils ont à Paris de
puissants agents qui font trembler les ministères »129. Quand un tel pouvoir est mis au
service de la réaction et du racisme dans la colonie, alors, pour les partis africains
anticolonialistes, ce n’est pas de la sinécure !
La tâche des partis, ces institutions importées, ne sera pas aisée. La mobilisation de
moyens communicationnels, humains et financiers adaptés devient alors pour eux un
enjeu essentiel.
128 F. Houphouët-Boigny, in Documents de l’Assemblée Constituante (élue le 2 juin 1946), séance du 30 mars 1946), séance
du 30 mars 1946, p.783.
129 R.-P. Anouma, op. cit., p. 45.
130 Rapport Damas, Tome 1, op. cit., p.105.
154
Malgré tout, la lutte reste essentiellement réformiste.
CONCLUSION GENERALE
La colonisation n'est pas un phénomène nouveau ou récent; elle remonte aux âges les plus
anciens de l'histoire connue. Les grands empires jalonnent et dominent l'histoire de
l'humanité. Mais il y a une différence essentielle entre les empires anciens et les empires
modernes : les empires anciens furent presque tous détruits par des forces extérieures assez
puissantes pour les briser et les démembrer. Ce n'est que dans les empires modernes qu'on a
assisté à un mouvement général de décolonisation provenant de l’intérieur, amorcé et mené
victorieusement par les pays colonisés eux-mêmes.
Mais pour l’Afrique « aofienne », la société qui émerge du processus de décolonisation est une
réalité complexe, généralement très mouvante, instable, déséquilibrée et par conséquent plus
divisée qu'unie, souvent troublée de révoltes et de renversements de pouvoir, Telle est du
moins l'observation que l'on peut faire depuis 1960 date des indépendances africaines.
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