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Selon Maurice Hauriou, « pour la police, mérite d’être interdit tout ce qui provoque du

désordre, mérite d’être protégé ou toléré tout ce qui n’en provoque point. Le désordre matériel est
le symptôme qui guide la police comme la fièvre est le symptôme qui guide le médecin ». En ces
mots, Maurice Hauriou considéré comme l’un des pères fondateurs du droit administratif français,
place la police comme le gardien de l’ordre public, en faisant du désordre son ennemi principal.
Nous définissons habituellement l’ordre public comme l’ensemble des règles obligatoires qui
touchent à l’organisation de la Nation, l’économie, la santé, la morale, la paix publique, la sécurité ou
encore aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu. Il vise à l’harmonie de la société en
se basant sur trois composantes classiques que sont : la sécurité, la salubrité et la tranquillité. Ainsi,
la police, gardienne de l’ordre public a recours à la prévention et à la répression. Deux activités bien
distinctes qui permettent de différencier police administrative et police judiciaire. En premier lieu, la
police administrative tend à écarter les divers troubles à l’ordre public par une activité de prévention,
de surveillance, d’adoption d’actes normateurs ou de décisions d’opérations matérielles. Il existe
deux sortes de polices administratives : la police administrative générale et la police administrative
spéciale. Elles se distinguent selon la couverture territoriale, les personnes destinataires et les
activités concernées par la prescription. La police administrative se tient à un travail en amont vis-à-
vis du potentiel trouble à l’ordre public causé, alors que la police judiciaire se place en aval, avec une
activité de répression qui a pour objectif d’identifier, de rechercher et d’arrêter les auteurs
d’infractions. La police administrative se distingue par son objectif préventif, et se résume à une
activité d’intérêt général gérée par une personne publique, c’est donc un service public. L’ordre
public est continuellement en proie à un trouble, néanmoins ces dernières années il fut
particulièrement mis à rude épreuve par diverses crises relatives au terrorisme ou encore à la
situation sanitaire. Alors que l’ordre public est déjà une priorité en temps normal, celui-ci fait l’objet
de toutes les attentions et concentrations en temps de crise. Il apparaît nécessaire dans certains cas
de déclarer un état d’urgence, institué par la loi du 3 avril 1955, afin de tout mettre en place pour son
maintien. Il fut décrété dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 après les attentats de Paris et de
Saint-Denis, ou encore pour la première fois dans un contexte sanitaire et pour deux mois par la loi
du 23 mars 2020. En ces circonstances, la police administrative et sa mission préventive apparaît
comme la clé de voûte du maintien de l’ordre public, et est essentielle au bon ordre de notre société.
Nous tenterons de démontrer que la police administrative est un service public ayant pour
objectif le maintien de l’ordre public en temps normal et d’autant plus en temps de crise, où ses
pouvoirs sont démultipliés à cet effet.
De fait, nous étudierons la police administrative à travers l’objectif qu’elle poursuit soit le
maintien de l’ordre public, dans son organisation, ses moyens, et ses activités (I). Ensuite, il s’agira de
comprendre à quel point, en temps de crise, l’extension des pouvoirs de la police administrative est
essentielle (II).

I. La police administrative comme clé de voûte de l’ordre public

La police administrative peut être définie par l’objectif qu’elle poursuit tant son activité est
dévouée à celui-ci : le maintien de l’ordre public. En effet la police administrative se doit de protéger,
préserver et sauvegarder cet ordre public essentiel à notre société, tout en assurant la protection des
libertés et droits fondamentaux de chaque individus (A). La police administrative apparait ainsi
comme une activité d’intérêt général, assurée par des personnes publiques, titulaires du pouvoir de
police administrative à diverses échelles (B)
A. La finalité des mesures de police administrative : la protection de l’ordre public

La police administrative intervient pour éviter les troubles à l’ordre public afin de maintenir une
certaine discipline sociale. Cet ordre est intrinsèquement lié à la construction de notre État libéral. En
effet, le but n’est pas d’obtenir un ordre totalitaire, mais un ordre indispensable à la garantie des
droits et la sauvegarde des libertés de tous. Selon M. Sauvé, il permet de « protéger les individus
contre eux-mêmes ». In fine, le dessein de la police administrative est de conserver cet ordre public
qui se construit au gré des évolutions de notre société. Il se base selon M. Sauvé, sur un ordre
matériel et extérieur ainsi que sur un ordre abstrait et immatériel. L’ordre matériel et extérieur est
relatif aux composantes dites classiques que sont la tranquillité, la sécurité, et la salubrité. En effet, la
police administrative se doit de protéger le calme des citoyens (mesures contre le tapage nocturne,
la circulation automobile etc.), prévenir le risque d’accidents, de dommages aux personnes et aux
biens (contrôle routier, contrôle d’identité etc.), et de lutter contre les risques de maladies, pollution
de l’eau et des denrées alimentaires (création de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits
de santé ou de l’Institut de veille sanitaire). Jusqu’en 1959 l’ordre public ne se résumait qu’à ses
composantes extérieures et matérielles. Ce n’est qu’avec l’arrêt Société les films Lutetia du Conseil
d’État datant du 18 décembre 1959, que de nouvelles composantes s’ajoutent à la notion d’ordre
public. Dans cet arrêt, le Conseil d’État a admis qu’un maire puisse interdire dans sa commune la
diffusion d’un film susceptible d’entraîner des troubles sérieux en raison de son caractère immoral et
des circonstances locales. Est donc introduit dans la notion d’ordre public, la moralité publique. Il
s’agit d’idées morales communément admises par les citoyens, que la police administrative se doit de
protéger en vue d’éviter les atteintes à la décence et les troubles de conscience de la population.
C’est ensuite avec l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du Conseil d’État du 27 octobre 1995,
qu’une nouvelle fois la notion d’ordre public est complétée. La police administrative se doit, dès lors,
de préserver la dignité humaine, en luttant contre toute forme d’asservissement et de dégradation
susceptible de porter atteinte au respect de la dignité de la personne humaine. Ces différentes
composantes, ajoutées à celles dites classiques, correspondent à ce que M. Sauvé appelle l’ordre
abstrait et immatériel, et permet de faire évoluer la notion d’ordre public au rythme que notre
société.

B. Le pouvoir de police administrative et ses mesures

Le pouvoir de police administrative est détenu par différentes autorités. En France, nous
distinguons les autorités titulaires d’un pouvoir de police administrative générale des autorités
détentrices d’un pouvoir de police administrative spéciale. Cette distinction est essentielle dans la
mesure où les procédures, les autorités investies et les activités concernées sont différentes. Ainsi, le
pouvoir de police administrative est général lorsque l’autorité de police exerce son pouvoir sur un
territoire donné, à destination de toute activité ou de toute personne et ce, en dehors d’un texte
d’habilitation spéciale. La police administrative générale apparaît comme la police administrative de
droit commun. Son pouvoir est exercé par trois autorités suivant l’échelle concernée. Au niveau
national, le Premier ministre est l’autorité qui exerce le pouvoir de police administrative, comme
défini par l’arrêt Labonne du Conseil d’État du 8 août 1919. Au niveau départemental c’est alors le
préfet qui détient ce pouvoir dans le cas de carence du maire où de l’hypothèse d’une menace à
l’ordre public concernant plusieurs communes. Enfin, au niveau local, c’est le maire qui en est
détenteur comme le prévoit l’article L2212-1 du code général des collectivités territoriales. Dans le
cas d’une concurrence entre plusieurs autorités, sur le même territoire et dans le même domaine, il
convient selon l’arrêt Commune de Néris-les-Bains du Conseil d’État datant du 18 avril 1902, que
l’autorité inférieure ne prenne pas une mesure moins sévère, ou contraignante. D’autre part, le
pouvoir de police administrative est spécial lorsqu’il vise des domaines précis, ou des catégories
d’administrés. Ce pouvoir peut être détenu par une pluralité de personnes publiques telles qu’un
maire, un préfet, le premier ministre, un directeur d’établissement public etc. Cet ensemble
d’autorités publiques détentrices du pouvoir de police administrative, assurent le maintien de l’ordre
public au moyen d’actes administratifs unilatéraux nommés les mesures de police administrative.
Ainsi, dans le dessein de préserver l’ordre public, une autorité de police administrative se doit de
prendre des mesures de police qui règlementent, interdisent, autorisent ou refusent d’autoriser,
ordonnent une activité. C’est ainsi que dans l’arrêt Société les films Lutétia du Conseil d’État datant
du 18 décembre 1959, le maire de Nice interdit la projection d’un film dans sa commune.
Néanmoins, les mesures de police sont encadrées, et doivent respecter une certaine proportionnalité
en étant strictement nécessaires, adaptées et proportionnées comme le démontre l’arrêt Benjamin
du Conseil d’État datant du 19 mai 1933. Dans cette situation, la mesure de police était bien trop
excessive face au risque de trouble à l’ordre public. Le Conseil d’État favorise ainsi la liberté de
réunion en lui évitant toute atteinte.

En temps normal, l’objectif principal de la police administrative est de conserver et préserver


l’ordre public. Celui-ci peut être en proie à de nombreux troubles qui peuvent se traduire par une
réelle crise, ainsi la police administrative se trouve dans la nécessité du renforcement de ses pouvoirs
et se doit de sauvegarder l’ordre public en dépit parfois de d’autres aspects.

II. Une extension exceptionnelle des pouvoirs de police administrative en temps de


crise

En temps de crise, la priorité à l’ordre public est renforcée, afin de protéger les citoyens mais
aussi l’État. L’organisation habituelle de la police administrative est ainsi révisée afin de gagner en
efficacité et répondre à l’urgence de la situation (A), et les mesures prises revêtent une plus grande
intensité, proportionnelle au risque de trouble à l’ordre public causé, en dépit parfois de principes,
libertés, et droit fondamentaux (B).

A. Une nouvelle organisation favorable à la centralisation des pouvoirs

La portée du pouvoir de police administrative est encadrée par des lois et des règlements ainsi
que par la juridiction administrative. L’activité de police est soumise au respect du principe de
légalité, doit poursuivre le but assigné, l’ordre public, et ne doit pas prendre de décisions trop
drastiques, dans lequel cas la juridiction administrative pourrait en jugeant le principe de
proportionnalité bafoué, annuler la décision. Par conséquent, les mesures de police ne peuvent
excéder le cadre légal seulement dans des circonstances exceptionnelles, mais à circonstances
exceptionnelles, mesures exceptionnelles. En effet, en temps de crise les pouvoirs de police
administrative sont étendus afin de faire face plus aisément au trouble. Ainsi, le pouvoir de police se
voit élargi dans le cas de la proclamation de l’état de siège ou de l’état d’urgence. L’état de siège est
prévu par l’article 36 de la Constitution, et suit le régime prescrit par la loi du 9 août 1849 limitant sa
proclamation et ne la rendant possible qu’en cas de péril imminent pour la sécurité intérieure ou
extérieure du pays et de ses citoyens. Ce sont les circonstances dans lesquelles les pouvoirs de police
administratives sont le plus étendus. Un transfert de pouvoir des autorités civiles vers les autorités
militaires s’opère, afin de tenter d’assurer la sécurité des civils et des biens, de préserver l’ordre
public. Les pouvoirs de polices sont tellement étendus, que certaines mesures prises en temps
normal seraient illégales et prohibées comme des perquisitions à toute heure, des contrôles
constants des identités, l’interdiction de réunion etc. Par ailleurs, l’état d’urgence prévu par la loi du
3 avril 1955 « peut être déclaré (…) soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre
public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité
publique ». Il élargit aussi les pouvoirs de police administrative mais de manière plus mesurée car
seuls les pouvoirs du ministre de l’Intérieur ou du préfet sont concernés. L’activité de la police
administrative dépend donc sensiblement de la situation du pays, quant à sa sécurité, son bon ordre.
En effet, elle diffère drastiquement en temps de crise ou en temps de paix comme le démontre
l’arrêt Dames Dol et Laurent rendu par le Conseil d’État le 28 février 1919. En l’espèce trois arrêtés
préfectoraux ont été adoptés afin d’interdire l’accès aux femmes aux bars et cafés. Dans ces
circonstances de guerre l’objectif était de protéger les intérêts supérieurs de la défense nationale en
période de conflit armé de grande ampleur, ces mesures étant édictées en 1916 durant la Première
Guerre mondiale. In fine, la présence d’une circonstance exceptionnelle permet aux autorités
titulaires des prérogatives de police administrative d’adopter des mesures qui, en temps de normal,
auraient été déclarées illégales par le juge administratif. De manière générale, la police
administrative transforme ses activités et ses moyens suivant les circonstances auxquelles elle est
confrontée. Ainsi, c’est toute une organisation, une institution, un mode de fonctionnement qui est
révisé avec une forte tendance à la centralisation des pouvoirs et des décisions.

B. Un ordre public favorisé face aux libertés et droits fondamentaux

La police administrative se doit de tout mettre en place afin d’assurer la sauvegarde de l’ordre
public. En temps normal elle doit concilier cette mission avec la préservation des libertés et droits
fondamentaux garantis par le préambule de la Constitution faisant référence à la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789, le préambule de la Constitution de 1946, et la
Charte de l’environnement. Nombreuses libertés sont consacrées comme : le droit à la vie, à la
sûreté, à l’intégrité et à la liberté ; le droit à la liberté de conscience et de religion ; le droit à la liberté
de réunion et d’association ; le respect de la dignité humaine ; le respect de la vie privée. En réalité,
ordre public et libertés fondamentales ne vont pas l’un sans l’autre car dans la vision de M. Sauvé,
l’ordre public se veut « l’abri même » de celles-ci. Cependant, en temps de crises, les circonstances
exceptionnelles redéfinissent les priorités de la police administrative. En effet, l’ordre public devient
une priorité nationale, et est essentiel à préserver, au détriment parfois des libertés et des droits des
individus. Dans le cas de l’état d’urgence sanitaire instauré pour la première fois par la loi du 23 mars
2020 afin de faire face à la pandémie de coronavirus, nombre de mesures de police ont porté
atteinte à des libertés fondamentales. Par une ordonnance en date du 13 juin 2020, le juge des
référés du Conseil d’État suspend l’interdiction générale et absolue des manifestations sur la voie
publique. La liberté de réunion et d’association est ainsi bafouée, mais cette mesure se veut
nécessaire et proportionnelle face à l’urgence sanitaire. D’autres mesures induites par l’état
d’urgence, sont contraires à la sauvegarde des libertés comme l’obligation d’un confinement à
domicile, de nombreuses réquisitions, l’interdictions des rassemblements, limiter la liberté de
circulation etc. D’autre part, le pouvoir des autorités n’est pas illimité même en temps de crise.
Persiste un contrôle indispensable afin de garantir la proportionnalité des mesures face à l’urgence et
au trouble à l’ordre public causé, et aussi la cohérence des politiques nationales. Les libertés
fondamentales peuvent, dans une certaine mesure, être bafouées, mais ce n’est pas automatique et
sans limites. Nous pouvons le voir dans le cas de l’arrêt du Conseil d’État de la Commune de Sceaux
datant du 17 avril 2020. Le maire de Sceaux a tenté de rendre obligatoire le port du masque sur sa
commune alors que qu’il n’était plus obligatoire à l’échelle nationale. Le Conseil d’État a jugé cette
décision infondée, et non proportionnelle à l’urgence de la situation. De plus elle représentait une
incohérence face à la politique nationale. Il a ainsi suspendu la décision du maire.

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