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L’État a-t-il pour but de maintenir l’ordre ?

Point de méthode :
1. Décomposition du sujet :
• Identification des termes
• Identification des présupposés
• Identification des alternatives de réponses possibles
1. Analyse des termes
2. Problématisation
3. Elaboration d’un plan

1. Décomposition

• Identification des termes : Etat, but, ordre et maintien de l’ordre.

Identification des présupposés : 1er, L’Etat existe. Présupposé qui relève de l’évidence
pour nous, citoyens de la République française où un Etat, selon des formes différentes,
existe depuis plus d’un millénaire. Ce présupposé apparaitrait, en revanche, plus exotique
aux membres de tribus amazoniennes ou océaniennes ainsi qu’aux citoyens des anciennes
Cités grecques où les communautés politiques ne sont et n’étaient pas organisées par un
Etat. 2ème, L’ordre doit être maintenu. Derrière ce présupposé, plus signifiant pour nous,
se dissimule une conception très particulière des hommes et de leurs associations en
communautés politiques. Dire que l’ordre doit être maintenu dans un groupe social
suggère que les hommes ne peuvent vivre d'eux-mêmes dans la concorde et qu’il faut faire
violence à la nature humaine, celle d’un homme mauvais par nature, pour que celle-ci soit
possible.

• Identification des alternatives de réponses possibles : oui ou non. Si je réponds oui, l’Etat
a pour but de maintenir l’ordre. Si c’est son but, alors, la manière avec laquelle nous
jugeons son action dépend de ce seul critère : l’ordre et l’efficacité de son action à le
maintenir. Ne risquons-nous pas de cautionner des actes violents de la part de l’Etat au
nom de ce maintien de l’ordre. Si je réponds non, l’Etat n’a pas pour but de maintenir
l’ordre. En ce cas, quel est son but ? Quel rapport existe-t-il aussi entre cette fonction
attribuée à l’Etat et l’ordre ? Entre le oui absolu et le non absolu se trouve un espace, celui
de la nuance. Si je réponds oui mais un oui relatif, l’ordre n’est plus le seul but de l’Etat.
Il est un but parmi d’autres. La question alors est celle de la hiérarchie : est-ce que l’ordre
permet la réalisation des autres buts de l’Etat. Si je réponds un non relatif, l’ordre n’est
pas le but de l’Etat mais il peut contribuer à la réalisation de ses buts.

1. Analyse
Qu’est-ce que l’Etat ? L’Etat est un ensemble cohérent d’institutions (politiques, juridiques,
militaires, administratives, économiques, etc.) qui organisent la vie des hommes en société sur un
territoire donné. Le mot Etat vient du latin status lequel dérive du verbe stare : se tenir debout. Ce
n’est qu’au début du 15ème siècle que le mot Etat, en français, prend un « E » majuscule pour désigner
« l’autorité souveraine qui s’exerce sur l’ensemble d’un peuple et d’un territoire », Dictionnaire
historique de la langue française. On parle alors d’homme d’Etat, d’affaire d’Etat, de coup d’Etat,
etc.
Pour organiser la vie des hommes en société sur un territoire donné, l’Etat exerce un pouvoir.
Ce pouvoir est déjà normatif : élaboration de règles collectives, du droit (lois, décrets, règlements,
etc.). Ce pouvoir est aussi un pouvoir coercitif, de contrainte. Il faut bien que les règles soient
respectées pour qu’elles aient un sens. Il faut donc une autorité qui puisse les faire respecter quitte à
faire montre de violence. L’Etat, selon la fameuse formule de Max Weber dans Le savant et le
politique, « revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique
légitime », Texte 1. Ces pouvoirs normatifs et de contrainte que seul l’Etat est légitime à déployer sur
un territoire donné, c’est ce qu’on appelle la souveraineté. Un Etat souverain (au contraire d’un Etat
failli) est un Etat qui ne connait pas de concurrence à son autorité sur le territoire qu’il administre.
Revenons aux fonctions de l’Etat et donc au sujet. Deux concepts nous permettrons de penser
la question : l’Etat régalien et l’Etat providence. L’Etat est dit régalien lorsqu’il est réduit, dans ses
fonctions, à assurer la protection des frontières et l’ordre à l’intérieur de ces frontières. L’Etat régalien
a en charge l’organisation de la défense du territoire et la conduite d’échanges diplomatiques avec les
puissances étrangères. Il doit aussi, sur le territoire, maintenir l’ordre par voie de police et de justice.
Bref, il assure la souveraineté mentionnée plus haut : l’indépendance du territoire en face des
puissances étrangères et son autorité monopolistique sur le territoire en question. En France, les
ministères régaliens sont les Ministères des Armées, des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la
Justice. L’Etat providence, lui, ne se limite pas seulement aux fonctions régaliennes et intervient
activement dans les domaines économiques et sociaux. Il ne se donne pas seulement pour but de
perpétuer sa propre souveraineté mais entend éduquer, soigner, rendre prospère, etc.

Qu’est-ce que l’ordre et son maintien ? L’ordre, dans un groupe social, c’est l’existence de
règles collectives respectées par chacun de ses membres. Le maintien de l’ordre est ainsi la mise en
œuvre d’une force coercitive (la police par exemple) qui appliquerait une contrainte aux membres du
groupe qui s’autoriseraient à déroger aux dites règles. Qu’est-ce qu’un but ? Quand on parle de but,
ici, on parle de fonction. Quelle fonction l’Etat a-t-il ?

2. Problématisation
L’ordre, en société, nous apparaît d’évidence nécessaire. Sans ordre, un groupe social, une
société tomberait dans le chaos, dans l’anarchie, dans la guerre civile. L’Etat a-t-il pour fonction de
maintenir l’ordre ? Si oui, sommes-nous prêts à tout accepter, jusqu’aux actions les plus violentes, au
nom de ce maintien de l’ordre ? Si non, quelle est la véritable fonction de l’Etat et quel rapport
entretient-elle avec l’ordre ? Autrement dit, l’ordre n’est-il pas une condition sine qua non à la
réalisation de cette fonction?

3. Elaboration du plan (celui de l’exemplier)


I. L’Etat assure la sécurité
Thomas Hobbes (1588-1679) : Du Citoyen (1642) et Léviathan (1651)

• Présentation
Thomas Hobbes est un philosophe anglais qui appartient à un siècle troublé. L’histoire
anglaise est marquée par la rivalité entre le pouvoir royal et celui de l’aristocratie, des barons ; ces
derniers voulant conserver leurs pouvoirs quand le premier entend centraliser l’autorité dans une seule
figure (Cf Magna Carta). Cette querelle n’est pas unique à l’Angleterre. La France connaît une même
tentation à la concentration des pouvoirs dans la figure du roi à laquelle l’aristocratie s’oppose. Ce
sera la Fronde (1648-1653) et son écrasement par Mazarin. En Angleterre, elle prendra la forme de
la Première Révolution (1642-1651) et verra l’arrestation du roi Charles Ier, son jugement, son
exécution et l’abolition de la Monarchie au profit d’un République appelée Commonwealth
d’Angleterre dont Oliver Cromwell sera la tête.
Confronté à ces violences politiques qui succèdent un siècle de violences religieuses (schisme
anglican sous Henri VIII) et étant partisan de l’autorité royale remise en question, Hobbes s’exile en
France, à Paris, où il se donne pour tâche de réfléchir, non pas en journaliste mais en philosophie sur
la question de l’Etat. Cette réflexion produira deux ouvrages majeurs : Du Citoyen, ou les fondements
de la politique et le Léviathan. Le fait politique contemporain de la vie de Hobbes étant la rébellion
contre le roi et donc contre l’autorité de l’Etat sous sa forme monarchique, Hobbes va s’interroger
sur la légitimité de l’Etat à exercer une autorité et donc, si l’Etat est légitime, sur la soumission que
nous lui devons. Pourquoi les hommes doivent-ils obéir au souverain ?

• L’état de nature
Pour répondre à cette question de la légitimité de l’Etat et donc de notre obéissance à son
autorité, Hobbes va commencer par penser la fondation de l’Etat. Pourquoi un Etat existe-t-il ?
Pourquoi a-t-il été fondé ? Pour répondre à ces questions, il va réfléchir à la condition naturelle de
l’homme, à son état de nature.
Cet état de nature n’est pas historique c’est-à-dire que Hobbes n’entend pas faire une histoire
de l’humanité et identifier à tel ou tel moment dans la chronique de notre espèce un moment où nous
aurions été dans cet état. L’état de nature est une fiction théorique, hypothétique, élaborée par Hobbes
pour penser la condition pure de l’homme et ses conséquences : la fondation de l’Etat.
Qu’est-ce que l’état de nature ? L’état de nature nous permet de nous représenter une humanité
et donc des hommes dans une situation particulière : une absence de normes, de lois. Cette fiction de
l’esprit qu’est l’état de nature nous permet de penser la nature humaine car elle nous permet de penser
le comportement des hommes dans une situation où l’homme ne serait ni contraint légalement, ni
contraint moralement. La réflexion sur l’état de nature revient à déchirer le voile de culture qui
structure nos vies pour penser ce que serait notre comportement sans lui. Et c’est pour cela qu’il faut
insister sur son caractère hypothétique. Jamais les hommes n’ont été historiquement dans une telle
situation. Même les hommes préhistoriques étaient engagés dans une série de rapports politiques,
sociaux, économiques, moraux qui organisaient leurs comportements.
Dans cette situation sans norme ni loi, Hobbes pose que « tous ont un droit égal sur toutes
choses, et même les uns sur le corps des autres ». Puisqu’il n’y a aucune limite, l’homme a un droit
naturel à faire ce qu’il veut, quand il veut, où il veut, à qui il veut. Bref, cet état de nature est un état
de rivalité généralisée, un état de « guerre de tous contre tous ». En l’absence de loi, d’un pouvoir
c’est-à-dire d’une contrainte transcendante (qui dépasse chacun des hommes particuliers), l’état de
nature est fratricide. Rien ne peut y limiter le désir humain. Et si je veux tuer, si je veux voler, j’en ai
le droit puisque rien ne m’en empêche.
Cette réflexion sur l’état de nature amène Hobbes a développé une conception négative de
l’homme, une anthropologie qui veut que l’homme soit nécessairement, essentiellement,
premièrement mauvais. Bref, « l’hommes est un loup pour l’homme » écrira Hobbes dans Du Citoyen.
Cette vision d’un homme prédateur sera attaquée par beaucoup de philosophes, notamment par les
philosophes des Lumières français que sont Voltaire, Montesquieu et Rousseau. De son temps,
cependant, Hobbes en défendra la véracité en affirmant qu’il suffit d’observer nos semblables lorsque
les lois s’effondrent et que l’Etat est réduit à l’impuissance pour être convaincu de notre nature
violente. En période de guerre civile, la nature violente des hommes remonte à la surface.
Cette nature violente de l’homme va conduire à l’institution de l’Etat. Pourquoi ? Notre
assujettissement l’Etat va nous préserver de cette violence première, celle de l’état de nature.
L’homme est en, effet tiraillé, par la peur de la mort qui pèse sur lui. Car l’état de nature menace
certes notre propriété mais aussi et surtout notre intégrité physique. C’est notre raison (faculté de
peser les avantages, de calculer nos intérêts et d’anticiper l’avenir) qui va nous amener à nous arracher
à cet état de nature par l’établissement d’un contrat entre les hommes qui établit un Etat souverain.
Cet Etat souverain, par sa transcendance, aura pour charge d’assurer la protection des individus du
corps social contre leurs tendances naturelles.

• Le contrat
Comment l’Etat est-il fondé et quelles sont ses caractéristiques ? Texte 2. Thème : L’Etat.
Thèse : L’Etat est fondé pour assurer la protection des frontières contre les menaces extérieures et
l’ordre à l’intérieur de ces frontières. Il est le produit d’une convention (contrat) entre les hommes
qui abandonnent leurs droits naturels au profit d’un tiers (un homme, une assemblée). Puisque
l’abandon dans l’institution est consenti (« j’autorise » ligne 12), chaque acte de l’Etat institué est
l’acte de chacun des membres de la société. L’Etat est légitime à appliquer des contraintes parce que
je l’y autorise. Et la transcendance de son pouvoir (« ce dieu mortel » ligne 16), la terreur qu’il inspire
permet de transformer la multitude en peuple. Enjeu : L’enjeu pour Hobbes est celui de la légitimé de
l’autorité étatique. Pourquoi l’Etat est-il légitime à exercer une autorité donc un pouvoir de contrainte ?
Mouvements : Ligne 1 à 14 : La fonction de l’Etat et sa nature contractuelle. Ligne 14 à 26 :
L’établissement d’une autorité transcendante permet une métamorphose de la multitude en un peuple.
Pourquoi s’incliner devant l’Etat ? Pour l’ordre et la sécurité. L’ordre consenti par tous dans
l’institution de l’Etat garantit la sécurité de chacun. Les hommes ne seront convaincus de la nécessité
de l’obéissance à l’Etat que s’il assure l’exercice du bien public, que s’il travaille pour le bien de ceux
qu’il commande. Quel est ce bien public ? La protection des frontières, l’ordre public. L’Etat n’exerce
pas une domination mais une autorité légitime. Il fait ce que l’on attend de lui et ce pour quoi on l’a
fondé. Pour Hobbes, l’Etat existe pour d’une part pour assurer la sécurité et d’autre part en tant que
représentant des chacun. Qu’est-ce que représenter selon Hobbes ? C’est personnifier, prendre la
placer, jouer le rôle de quelqu’un et donc défendre ses intérêts.
L’association de cette fonction protectrice et de cette nature représentative s’organise par la
théorie du contrat qui crée l’Etat. Pour Hobbes, l’Etat est une « personne artificielle », une œuvre de
l’art humain créée par ce contrat. Et cette origine purement humaine fonde la nécessité de l’obéissance
et sa légitimité. Pourquoi ? Parce que nous faisons le souverain, quel qu’il soit, qu’il s’agisse d’un
monarque, d’une assemblée, d’une démocratie ou d’une aristocratie. Comme nous faisons le
souverain, obéir au souverain c’est en fait obéir à nous-même. L’Etat émane des hommes. Les
hommes peuvent et doivent lui obéir puisqu’il les représente. Attention ! Le fait que la souveraineté
de l’Etat soit le fait de l’art humain n’implique pas que le peuple soit souverain. Une fois l’Etat institué,
la souveraineté ne peut pas être reprise par le peuple. Plus que ça, le peuple n’existe pas avant la
fondation de l’Etat et donc de la souveraineté. La souveraineté se constitue à l’extérieur du peuple.
Thomas Hobbes ne pense pas la supériorité d’une forme de gouvernement sur l’autre même si sa
préférence personnelle va vers la monarchie absolue. Sa théorie se veut celle de l’essence du pouvoir
de l’Etat en général et non d’une forme particulière de gouvernement. Le Léviathan est une théorie
pure du pouvoir.
Comment s’organise et se fonde l’obéissance à l’Etat ? Le propre de la convention, du contrat
qui fonde l’Etat hobbesien est d’être passé entre chacun au profit d’un tiers : le souverain (quelle que
soit sa forme). Il est un contrat entre tous les hommes sauf un qui se fait au profit de ce tiers-exclu.
« C’est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j’autorise cet homme ou cette
assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition
que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière ». Il ne s’agit pas
d’un contrat d’association car le contrat ne crée pas seulement le lien social, il instaure un Etat comme
autre que les hommes. Il ne s’agit pas non plus d’un pacte de soumission parce que le contrat n’est
pas passé entre les hommes et un souverain mais entre les hommes eux-mêmes.
Pourquoi se désister de ses droits naturels au profit d’un tiers ? Pour répondre à l’angoisse que
fait peser sur nous cette violence première. Pour Hobbes, seul une instance extérieure et transcendante
peut garantir que chacun cède son droit naturel et contraindre à cette cession si nécessaire. L’Etat est
un pouvoir commun qui tient les hommes en respect et dirige leurs actions en vue de l’avantage
commun. Il est celui qui lève la rivalité entre les hommes en créant la convergence des volontés.
Qu’est-ce qui fait le caractère antagoniste de l’état de nature, c’est certes le droit naturel mais aussi
et surtout les volontés divergentes de chacun des membres de cette multitude. L’Etat, en représentant
chacun des membres du groupe social absorbes non seulement le droit naturel des individus mais
aussi leurs volontés divergentes pour synthétiser une volonté générale et ainsi orienter leurs actions.
Ainsi, selon Hobbes, l’Etat n’est pas extérieur aux contractant, les contractants se retrouvent
réunis en lui. Ils sont réunifiés en une personne collective, en un organisme cohérent. Le contrat se
fait au profit de l’Etat mais ce dernier métamorphose les hommes en corps d’Etat, la multitude en
peuple. Hobbes développe, tout au long du Léviathan, une métaphore organiciste qui présente l’Etat
comme un corps. Le Souverain en serait l’âme quand le peuple en serait le corps. L’Etat est un
« homme géant » qui en tant qu’Etat contient tous les individus comme autant d’atomes ou de cellules
réunis en un tout gouverné par l’âme souveraine. Les droits naturels que les hommes perdent dans le
contrat et qui font leurs forces, ils les retrouvent objectivés, incarnés en la personne artificielle de
l’Etat. La multitude des individus rivaux s’est transformée en un peuple unifié derrière la figure du
souverain qui les oriente vers la réalisation de la volonté générale qu’il synthétise. On passe de
l’anarchie vitale à l’ordre public.
Hobbes insiste sur la transcendance de ce pouvoir par rapport aux individus et au peuple lui-
même c’est-à-dire sur la toute-puissance de l’Etat en face des membres du corps social. Ce pouvoir
est composé par le peuple et par ses membres puisque ce sont ses membres qui ont abandonné leurs
violences premières respectives au profit de l’Etat. Mais cet Etat les domine de toute sa hauteur. « Car
en vertu de cette autorité qu’il a reçue de chaque individu de la République, l’emploi lui est conféré
d’un tel pouvoir et d’une telle force, que l’effroi qu’ils inspirent lui permet de modeler les volontés
de tous, en vue de la paix à l’intérieur et de l’aide mutuelle contre les ennemis de l’extérieur ». En ce
sens, on peut parler, pour le Léviathan, d’un Etat totalitaire car il contraint les hommes mais pénètre
aussi et surtout les esprits.
L’obéissance procède de la puissance qui réside dans le souverain et de la crainte que ce
dernier inspire. Nous obéissons donc, en tant qu’organes du corps de l’Etat, à la puissance de l’Etat,
qui est la puissance collective, du fait que nous sommes devant lui sans aucune force à faire valoir
ayant abandonné notre violence première et nos volontés particulières. Cette transcendance prend un
tour religieux. Hobbes parle de « dieu mortel » et ça n’est pas pour rien qu’il utilise le nom d’une
créature biblique pour le qualifier : le Léviathan. Il s’agit là encore de signifier la toute-puissance de
cette institution fondée par contrat. Il ira jusqu’à parler d’une République chrétienne et envisager la
fusion dans la personne du roi des pouvoirs temporel (: ceux de l’administration de la vie mondaine
des hommes) et du pouvoir spirituel qui a en charge l’éternité de l’âme et son salut. Bien sûr, il
s’agirait d’une usurpation car Dieu ne se réduit pas à au Léviathan mais cette usurpation serait, selon
Hobbes légitime. Pourquoi ? Parce qu’elle assure et renforce la transcendance donc la toute-puissance
du pouvoir de l’Etat. Parce que, aussi, en assimilant le pouvoir spirituel au pouvoir temporel, il
protège ce dernier d’un concurrent. Le chef de l’Etat étant le chef de l’Eglise, il n’est plus menacé,
dans son autorité, par un pape ou un patriarche. Voilà pourquoi Hobbes est partisan du régime
monarchiste. Plus particulièrement, il défend une monarchie absolue de droit divin où le roi serait
considéré comme le vicaire de Dieu sur Terre. Il est, en ce sens, grandement influencé par l’exemple
français de son temps.

• Les problèmes
Mais alors, n’y a-t-il pas, dans cette obéissance une soumission au plus fort, bref, une
application de la loi du plus fort tant redoutée dans l’état de nature et tant critiquée par Rousseau par
exemple ? Non parce que l’Etat représente ses membres et parce qu’il est légitime parce que cette
représentation est consentie dans le contrat. Chacun autorise l’agent de l’Etat (roi, assemblée) à
décider et à agir pour lui. En tant que mandataire, cet agent porte nos intérêts, veille sur eux et peut,
de droit, exiger de nous ce qu’il faut faire pour le bien de nos intérêts synthétisés en intérêt général.
« Par cette institution d’un République, chaque particulier est l’auteur de tout ce que fait le souverain ;
en conséquence, celui qui se plaint d’un tort commis par le souverain se plaint de ce dont il est lui-
même l’auteur : il ne doit donc accuser de tort commis nul autre que lui-même ».
Une autre objection possible serait celle de la mauvaise représentation. Qu’un souverain nous
représente, certes, mais il pourrait arriver qu’il nous représente mal c’est-à-dire que dans la synthèse
des intérêts particuliers en un intérêt général, il prenne davantage compte des intérêts de certains et
moins de ceux d’autres. Hobbes admet l’objection. Un souverain peut privilégier à l’intérêt collectif,
général de la « personne artificielle » un intérêt particulier de la « personne naturelle » (les deux corps
du roi). Cela ne suffit pourtant pas à légitimer la désobéissance ou la rébellion. Les calamités
engendrées par la transgression des lois promulguées par le souverain surpasseraient de loin le bien-
fondé des protestations émises. C’est soit le Léviathan, soit l’état de nature.

• Conclusion
L’Etat a-t-il pour but de maintenir l’ordre ? Pour Hobbes oui. L’homme est nécessairement
mauvais et sans Etat transcendant toutes les forces et volontés individuelles, toute communauté
humaine sombrerait dans la guerre civile où referait surface la violence première identifiée par une
réflexion théorique sur l’Etat de nature. C’est donc sa fonction. Cet ordre est malgré tout consenti car
l’Etat hobbesien est le produit d’une convention entre les hommes qui contractualisent pour se
protéger de l’angoisse qui pèse sur eux : celle d’un surgissement de la violence première en cas de
guerre civile et qui fondent, par leur consentement une institution représentative capable, en absorbant
la violence première ainsi que les volontés individuelles, de synthétiser un intérêt général et donc de
faire d’une multitude un peuple cohérent.
II. L’Etat œuvre pour la liberté
Baruch Spinoza (1632-1677) : Traité théologico-politique (1670)

Présentation
Le Traité théologico-politique et Les principes de la philosophie de Descartes sont les seuls
textes avoir été publiés du vivant de Spinoza. Ces publications se sont faites d’une manière anonyme.
Le reste de son œuvre, l’Ethique principalement, sera publiée de manière posthume par ses amis.
Pourquoi une telle précaution ?
Précaution vis-à-vis d’un contexte politique et religieux déjà. Spinoza est issu d’une famille
juive séfarade c’est-à-dire d’une famille juive portugaise qui, sous les pressions de l’Inquisition
ibérique, s’est convertie au christianisme. Chez la plupart des juifs séfarade, cette conversion n’est
qu’une façade pour échapper, autant que possible, aux persécutions. Ils continuent, ainsi, à pratiquer
leurs cultes en secret. Dans ce contexte de persécutions politiques et religieuses, les juifs séfarades
ont été nombreux à s’exiler pour s’installer, notamment, aux Provinces-Unies (les actuels Pays Bas).
Il y règne alors une plus grande tolérance religieuse. Malgré cette tolérance relative, les juifs séfarades
y subissent un mépris général. Mépris déjà de la part des membres des autres communautés
religieuses : ceux de l’Eglise catholique romaine et ceux des Eglises réformées. C’est,
malheureusement, le lot des juifs en Europe au 17ème siècle. Mépris, aussi et surtout, provenant des
juifs eux-mêmes, des juifs néerlandais. Les juifs néerlandais accusaient les juifs séfarades d’avoir
consenti à abjurer leurs croyances pour échapper aux persécutions de l’Inquisition.
A ce mépris général affligeant sa communauté, se rajoute, aussi, une détestation ciblant la
personne même de Spinoza. Spinoza n’a pas beaucoup publié certes mais il s’est beaucoup exprimé
au cours de sa vie. Et ses prises de position lui ont attiré les foudres de la population d’Amsterdam.
Il finit par être excommunié (herem) de la communauté juive d’Amsterdam. Il subit aussi un attentat
et est poignardé en pleine rue. Il en vient à s’exiler dans son exile pour s’installer à la Haye où il vit
le reste de sa vie en artisan (à tailler et à polir des lentilles pour lunettes et microscopes).
Pourquoi est-il si détesté ? Parce qu’il fréquente, déjà, les cercles libertins d’Amsterdam. Au
17ème siècle, est considéré comme libertin donc comme athée tout individu qui n’accepte pas la
conception de Dieu proposée par les dogmes d’une Eglise constituée. La conception qu’il a de Dieu
est en effet une conception originale. Elle identifie Dieu à la Nature. Il refuse ainsi les conceptions
anthropomorphiques de Dieu que l’on retrouve dans les trois religions du Livre qui accordent à Dieu
des intentions, des sentiments, etc. Plus encore, il affirme que les textes religieux ne sont pas des
textes saints qui relèvent d’une révélation mais des textes historiquement situés que l’on ne peut
comprendre que grâce à un travail d’exégèse. Ainsi, il dira qu’il faut, pour comprendre l’Ancien
testament, étudier le contexte historique, politique et social du temps où a été rédigé le texte et que
pour bien le comprendre, il faut maîtrise la langue dans lequel il a été écrit, l’ancien hébreux. Enfin,
il affirmera que ces textes religieux sont saisis comme des prétextes par des pouvoirs temporels et/ou
spirituels pour assoir et affirmer leurs autorités. Spinoza, comme Hobbes pense une fusion du pouvoir
temporel donc une utilisation, par le pouvoir temporel de ressorts religieux pour légitimer son autorité
et son action. Au contraire de Hobbes cependant, Spinoza ne juge pas légitime une telle association.
Plus, il la critiquera. Et face à ces Etats qui mêlent le politique et le théologique, qui contraignent les
individus jusque dans l’intimité de leurs pensées et de leurs convictions pour mieux assurer leurs
pouvoirs, Spinoza va essayer de penser une société où la philosophie autrement dit la liberté de
possible est possible.

La conception de l’Etat spinoziste


Pour penser l’Etat, Spinoza va, comme Hobbes, penser l’état de nature et le contrat qui nous
en tirera, qui nous permettra d’en sortir pour fonder un état social. L’état de nature, pour Spinoza, est
un état où l’homme n’a pour seule limite la limite de sa puissante physique. « Chacun juge de ce qui
est bon, de ce qui est mauvais, et songe à son utilité selon son propre naturel, et se venge et s’efforce
de conserver ce qu’il aime et de détruire ce qu’il hait ». Mais cet état n’est guère propice à la
conservation de la vie. Certes, l’individu, à l’état de nature, est indépendant c’est-à-dire qu’il a sa
volonté propre et un corps qui lui permet de réaliser, autant que possible, dans les limites de sa
puissance physique cette volonté. Mais comme chaque homme est dans ce même état, l’état de nature
est un état de concurrence et de solitude dans lequel il faut mener un incessant combat pour la survie.
Et comme toute l’attention dont est capable l’homme est concentrée sur la préservation de soi, sur la
survie, l’homme a l’état de nature ne peut guère se développer intellectuellement, il ne trouve pas le
temps, le ressource pour développer son esprit, sa raison, son intelligence. Bref, l’état de nature est
un état de misère physique et intellectuelle. C’est contre cet état de nature que va être institué l’Etat.
Et l’état social que rend possible l’Etat est une façon d’échapper à la misère de cet état de nature, à
cette vie grossière, à cette misère première.
Texte 3. Thème : L’Etat. Thèse : La fin de l’Etat, son but, est la liberté. L’Etat, en assurant la
sécurité (protection contre la violence exercée contre lui par des individus du même groupe) et la
sûreté (garanti contre l’arbitraire de l’Etat lui-même ce qui laisse entendre que l’Etat se limite lui-
même dans ses action) des individus du groupe social dont il a la charge rend possible la liberté. La
sécurité et la sureté sont des conditions sine qua non pour l’apparition et le développement de la
liberté. Qu’est-ce que la sécurité ? C’est le fait, pour un individu appartement à un groupe social
d’être protégé contre la violence qui pourrait être exercée contre lui par un autre individu appartenant
au même groupe. Qu’est-ce que la sûreté ? C’est le fait, pour un individu d’être garanti contre
l’arbitraire du souverain donc de l’Etat. Quand on parle de sûreté on laisse entendre que le souverain
est soit en capacité de se limiter lui-même soit que le souverain est contraint, par une constitution,
dans ses prérogatives. Le souverain chez Spinoza n’est donc pas absolu comme chez Hobbes. C’est
donc la sécurité et la sûreté bien comprises qui permettent la liberté. Mais de quelle liberté parlons-
nous ici ? Par liberté, on entend ici la liberté de pensée et donc la liberté de conscience. La Enjeux :
Dans le contexte politique et religieux de son temps, Spinoza pense un Etat dont le but est la liberté
de penser dans la liberté de conscience. L’Etat que pense Spinoza est un Etat qui permet la philosophie
quand lui et ses proches ont été persécutés par l’Etat. Cette liberté de penser, il faut tout de même
l’interroger à côté de ses conditions sine qua non que sont la sécurité et la sûreté. En quoi la liberté
de penser et donc, par exemple la liberté de contester telle ou telle décision du souverain, ne vient-
elle pas saper le consentement à l’autorité du souverain en question et donc à mettre en cause sa à
assurer la sécurité. Une autre question que l’on pourrait se poser est celle de l’organisation de l’Etat.
Quelle forme l’Etat doit-il prendre pour que ce dernier ne sombre pas dans une tentation despotique.
Mouvements : De la ligne 1 à 5 où Spinoza oppose sa conception d’un Etat libérateur (« libérer
l’individu de la crainte » par la sécurité ligne 3 et 4) à celle d’un Etat dominateur (« faire qu’il
appartienne à un autre » ligne 3). Ligne 5 à 10 où Spinoza oppose la conception d’un citoyen qui
obéis aveuglement (« automate » ligne 6 et 7) et sa conception d’un citoyen qui use librement de sa
raison, assuré qu’il est de sa sûreté face à l’Etat.
Le but de l’Etat est donc, en assurant la sécurité des personnes de leur permettre de développer
à la foi leur raison et leur liberté. Spinoza soutient une conception contractualiste de l’Etat : chacun
renonce à l’exercice de son indépendance naturelle et accepte de se soumettre à des lois communes
en échange de quoi il bénéficie des avantages issus de l’unions des forces de tous : la sécurité. L’Etat
fait la loi et borne ainsi les puissances de chacun. Il détermine aussi le Bien et le Mal et met fin, ainsi,
aux divergences individuelles propres à l’état de nature. L’insécurité naturelle est conjurée en ordre
public. Dans cet ordre public, l’individu qui n’est plus menacé dans sa chair peut alors se développer
intellectuellement bref développer son esprit, sa raison. L’état social, dans la mesure où il permet le
développement de la raison prolonge, en fait, l’état de nature. Pourquoi ? Parce que la raison est le
propre de l’homme selon Spinoza, ce qui fait sa spécificité. La raison est naturelle pour l’homme. Et
donc, la constitution de l’Etat a sur l’homme un effet remarquable : il force les hommes à agir
extérieurement comme si la raison les guidait et il aménage la vie sociale de telle sorte qu’il permet
le développement de celle-ci en chacun.
Cependant, une question se pose. Comment penser l’articulation entre la liberté individuelle
de penser et donc de contester, en raison, les décisions d’un souverain et la capacité de l’Etat à assurer
la sécurité. Cette question nous vient directement de Hobbes. Un Etat, pour assurer la sécurité peut-
il être limité dans son emprise et garantir la liberté de penser ? Pour Hobbes, seul un Etat absolu, tout-
puissant, totalitaire est en capacité de maintenir l’ordre. Et si la réponse de Hobbes nous apparaît
radicale, la question, malgré tout se pose. La liberté de penser sape-t-elle le consentement des
individus à l’autorité de l’Etat et donc sa capacité à maintenir l’ordre. Pour Spinoza, non. Plus,
Spinoza dira que la liberté de penser, bien loin de saper le consentement des citoyens à l’autorité de
l’Etat, le renforce.
Pour expliquer cela, il faut bien identifier la liberté dont il parle. Il s’agit, comme nous l’avons
dit face au texte de la liberté de pensée, de la libre raison, bref, de la philosophie. Dans la liberté de
penser figure la liberté de conscience : celle de croire en tel en tel Dieu ou celle de ne pas croire du
tout. Commençons donc, d’un point de vue pratique, par cette dernière. Assurer la liberté de
conscience, pour Spinoza, loin de créer des troubles politico-religieux, assure plutôt la concorde.
Pourquoi ? C’est parce qu’un Etat particulier, l’Etat portugais, n’a pas assuré la liberté de conscience
de ses parents que ces derniers ont été persécutés et finalement forcés de s’exiler. C’est parce qu’un
Etat, l’Etat d’Amsterdam, n’a pas voulu protéger sa liberté de conscience que Spinoza lui-même a été
persécuté toute sa vie et qu’il a dû s’exiler dans son exile et se réfugier à la Haye. Au-delà de la
personne de Spinoza, c’est parce que des Etats ne garantissent pas la liberté de conscience que
l’Europe du 16ème et du 17ème siècle a connu des guerres de religions (Saint Barthélemy en France en
1572). Au contraire, pour Spinoza, si l’Etat garantissait la liberté de conscience, les individus ne se
sentiraient pas obliger de prendre les armes pour leurs droits à pratiquer un culte qui correspond à des
croyances relevant de l’intimité. De quelle liberté de conscience parle-t-on ici ?
D’une manière générale, il y a deux façons d’assurer la liberté de conscience. La première est
la position maximale, celle que nous connaissons en France depuis 1905 sous le nom de laïcité, c’est
le sécularisme. Le sécularisme consiste à séparer strictement le pouvoir temporel du pouvoir spirituel
et ainsi protéger le premier contre les tentatives d’interventions et d’influences du dernier. Le
sécularisme est formalisé dans une loi, mieux, dans une constitution. Les Eglises organisées n’ont pas
leur place dans la prise de décision politique. Un sécularisme conciliant veut que les Eglises puissent
participer aux débats mais que les décisions qui font suite ne relèvent que du souverain. Un
sécularisme plus radical veut que les convictions religieuses ne relèvent que de l’intimité et qu’ils
n’ont pas àdéborder dans la sphère publique. La seconde position est bien plus minimale et ne consiste
qu’en une tolérance religieuse. La tolérance religieuse peut être formalisée dans une loi, un décret, un
édit, elle peut aussi être informelle et relever de l’organisation spontanée d’une société. C’est le cas
par exemple des sociétés où diverses communautés religieuses sont d’égales forces (le Kerala en Inde
par exemple). Qu’est-ce que la tolérance religieuse ? Tolérer c’est accepter ou plutôt supporter
quelque chose même si ce quelque chose nous irrite. La tolérance religieuse, c’est donc supporter le
droit qu’a un individu à croire en tel ou tel Dieu ou même à ne pas croire du tout même si cette
position nous apparaît condamnable. L’un des premiers théoriciens de la tolérance religieuse en
philosophie moderne, alors que Descartes et Pascal entendaient toujours faire l’apologie des dogmes
de l’Eglise catholique romaine, fut John Locke (1632-1704) dans sa Lettre sur la tolérance (1689).
Ces deux manières de réaliser la liberté de conscience ne sont bien-sûr pas exclusives. De quelle
liberté de conscience parle Spinoza ? Principalement de la tolérance religieuse même si sa critique
des Etat où se mêlent pouvoir temporel et pouvoir spirituel, où le pouvoir temporel absorbe le pouvoir
spirituel pour mieux assoir son autorité, nous laisse entendre qu’il envisage un Etat séculier.
D’une manière plus générale, « les hommes sont ainsi faits qu’ils ne supportent rien de plus
malaisément que de voir leurs opinions qu’ils croient vraies tenues pour criminelles ». Cela vaut pour
les croyances religieuses bien-sûr mais aussi pour les opinions morales, politiques, etc. Spinoza part
d’un constat très simple. Il est impossible, pour l’Etat d’empêcher les individus qui composent la
société qu’il organise, de penser. Les individus sont singuliers, ils ont leurs aspirations propres, ils
ont leurs pensées propres convictions philosophiques, leurs propres croyances religieuses. Cela ne se
peut changer ! L’ambition totalitaire d’un Etat-Léviathan qui absorberait les volontés particulières
pour synthétiser une volonté générale est une fiction de l’esprit. L’Etat ne peut écraser les pensées
singulières des hommes. Si, malgré tout, il s’employait à cela, il s’exposerait à la défiance. Un Etat
qui imposerait telle ou telle conviction développerait chez ses citoyens une distance entre leurs
pensées particulières intérieure et cette pensée générale imposée de l’extérieur. Le citoyen en question
aurait une parole publique qui ne coïnciderait pas avec sa conviction intime. Cette parole publique ne
serait ainsi qu’une ruse pour ne pas s’attirer les foudres de l’Etat quand dans l’intimité de sa
conscience mais aussi dans l’intimité de son foyer, sa conviction, orienterait sa vie. Un Etat qui
s’attacherait à contraindre les hommes pour qu’ils pensent de telle ou telle manière produirait des
citoyens rusés qui mettraient tout en œuvre pour échapper à son autorité. Bref, l’absence de liberté de
pensée amène nécessairement à l’insécurité de la guerre civile.
Pour comprendre pourquoi la liberté de pensée, elle, ne menace pas la sécurité mais, plutôt la
renforce, il faut comprendre le lien que Spinoza établit entre la liberté de penser et la liberté
d’exprimer cette pensée. Revenons à la fondation de l’Etat dans cette fiction qu’est l’état de nature.
Nous abandonnons, pour fonder l’Etat, notre droit à faire ce que nous voulons selon notre fantaisie
grâce à la force physique dont nous disposons. L’Etat que nous fondons est le seul à pouvoir décréter.
Les volontés particulières sont tellement diverses que si un Etat n’existaient pas, aucune paix ne serait
possible ; ces volontés particulières seraient toujours en concurrence et nous amèneraient dans un état
de guerre permanent de tous contre tous. Mais quand nous quittons cet état de nature pour l’état social,
nous n’abandonnons pas notre volonté singulière. Comme nous le disons plus haut, il est impossible
de renoncer à notre liberté de penser. Nous n’abandonnons que notre capacité à agir selon nos propres
décrets, selon notre propre volonté. Nous n’abandonnons pas, donc, notre capacité à raisonner, à juger,
etc. Il faut donc penser le rapport entre l’Etat qui est le seul à pouvoir décréter et la raison individuelle
qui peut juger et se prononcer sur les arrêts de l’Etat. En quoi cette capacité ne sape-t-elle pas
l’autorité de l’Etat ? C’est l’articulation précautionneuse entre liberté de penser liberté d’expression
de cette pensée qui permet à Spinoza de dépasser cette apparente contradiction. Un homme, selon
Spinoza, est légitime à penser et à juger l’action du souverain tant qu’il reste dans les limites de la
parole pacifique et de l’enseignement. Le meilleur des citoyens, selon lui, est celui qui critique le
souverain en raison dans l’espace public mais aussi et surtout celui qui fait connaître ses critiques au
souverain. Le souverain juge alors du caractère raisonnable de la critique et amende son action en
fonction. Au contraire, la liberté de pensée ne doit pas justifier l’émeute, la rébellion, l’insurrection.
Le souverain reste le seul légitime à décréter. Remettre en cause son autorité, c’est risquer la guerre
civile.
Ainsi, se dégage une conception du souverain très particulière. Il assure la sécurité et la sureté
des citoyens. Il est donc un souverain limité dans ses prétentions car il ne peut agir arbitrairement. Il
est aussi et surtout un souverain raisonnable qui prend en considération les opinions des citoyens et
oriente son action en fonction de celles-ci. En retour, cette considération augmente le consentement
des citoyens à l’autorité du souverain. Spinoza est le premier philosophe moderne à penser un Etat
démocratique où coexistent un espace public de débat pacifiés et un souverain raisonnable et modéré.

• Problème de la dérive
Cependant, une question se pose. Comment s’assurer que l’Etat et donc le souverain aura bien
à cœur de rendre possible la liberté de pensée d’une manière pérenne et que ce dernier, selon les
circonstances, ne sombrera pas dans l’arbitraire, bref, la tyrannie ? Car c’est tout de même une
tendance que l’on remarque à travers l’histoire de l’humanité, l’homme disposant d’un pouvoir, tout
empreint de bons sentiments qu’il soit, finit souvent par en devenir ivre. Montesquieu (1689-1755)
écrira dans De l’Esprit des lois (1748) : « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser et va
jusqu’à ce qu’il trouvé des limites ».
Dans De l’Esprit des lois, Montesquieu identifie trois pouvoirs au sein même du souverain.
Le premier est la puissance législative. Le deuxième est la puissance exécutrice « des choses qui
dépendent du droit des gens » autrement dit la puissance de l’Etat. Le troisième est la puissance
exécutrice « des choses qui dépendent du droit civil » autrement dit la puissance de juger. La
puissance législative est celle qui fait les lois, les amende, les abroge. Elle encadre la vie des citoyens
mais aussi les prérogatives de l’Etat lui-même. La puissance de l’Etat est celle qui assure la paix et
mène la guerre lorsque celle-ci est nécessaire. Pour ce faire, elle entretient des rapports diplomatiques
avec les puissances étrangères en envoyant et en recevant des ambassades. Elle assure la protection
des frontières du territoire national et la sécurité à l’intérieur de ces frontières. La puissance de juger
a pour fonction de punir les crimes et de juger les différents entre les particuliers eux-mêmes mais
aussi entre les particuliers et l’Etat.
La liberté politique, pour un citoyen, est d’être assuré de sa sécurité (travail de la puissance
de l’Etat) et de sa sûreté (travail des puissance législatives et judiciaires). Il s’agit, selon Montesquieu
d’une « tranquillité d’esprit ». Le citoyen ne craint ni ses concitoyens ni l’Etat. Une telle liberté n’est
possible que si les trois puissances du souverain sont distinctes en trois pouvoirs particuliers qui
agissent de concert et s’équilibrent les uns les autres dans un système cohérent de pouvoirs et de
contre-pouvoirs. L’Etat doit être scindé en plusieurs parties lesquelles agissent comme des poids et
contre-poids à l’endroit des autres parties. C’est à ce prix, celui d’un souverain modéré par lui-même,
que l’Etat ne tombera pas entre les mains d’un tyran et qu’une liberté politique (liberté de penser,
d’expression, d’association, etc.) pérenne est possible.

• Conclusion
L’Etat a-t-il pour but de maintenir l’ordre ? La fin de l’Etat est, selon Spinoza, la liberté bien
comprise c’est-à-dire la liberté de penser et de s’exprimer dans les limites de la paix civile. Il reste
que pour que cette liberté soit possible, l’Etat doit assurer la sécurité et la sûreté. Ce sont les conditions
sine qua non qui rendent possible la liberté. La liberté n’est pas décrétée par l’Etat. L’Etat ne fait que
créer les conditions favorables pour son développement. Cette liberté, une fois développée, ne fera
qu’accroître le consentement des citoyens à l’autorité de l’Etat car les citoyens, assuré par l’Etat de
leur sûreté pourront présenter leurs critiques au souverain lequel les considérera et amendera son
action s’il les juge raisonnables.
III. L’Etat institue la liberté et l’égalité
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : Du contrat social (1762)

L’ambition de Rousseau et son développement polémique


Rousseau, dans Du contrat social, se pose trois questions imbriquées. Pourquoi les hommes
sont-ils rassemblés en sociétés ? Pourquoi ces sociétés sont-elles organisées par un Etat ? Qu’est-ce
qui fait la légitimité de l’autorité de l’Etat ? Pour répondre ces questions, Rousseau va s’engager dans
une réflexion polémique. Il va déjà, à l’occasion des quatre premiers chapitre de son ouvrage, laisser
place aux conceptions classiques des fondements de la légitimité de l’Etat pour les critiquer et en
venir à proposer la sienne.
Les deux premiers chapitres du Livre I de Du contrat social sont consacrés à l’étude puis à la
critique d’une position classique en philosophie politique, celle qui veut que l’autorité de l’Etat serait
fondée en nature. L’argument est le suivant : si l’on retrouve une hiérarchie très marquée dans le
monde animal, pourquoi une telle hiérarchie n’existerait-elle pas dans les groupes humains ? Cette
position peut apparaître naïve mais elle a fait florès dans les traités de philosophie politique qui
entendaient légitimer les régimes monarchiques. Ces traités convoquaient l’exemple de la ruche ou
de la fourmilière pour justifier le régime monarchique. Or, à bien y réfléchir, il n’y a qu’une seule
autorité naturelle légitime chez les hommes : celle des parents sur les enfants. Et cette autorité n’est
pas durable, elle n’est que provisoire. Pourquoi les enfants sont-ils soumis à l’autorité de leurs parents ?
Parce qu’ils ne pourraient pas survivre sans eux. Pourquoi les parents exercent bien volontiers cette
autorité ? Parce qu’ils sont mus par un sentiment naturel : l’amour filial. Mais dès lors que l’enfant
atteint un âge qui lui permet de subvenir à ses besoins, cette autorité naturelle disparaît. L’autorité
elle-même ne disparaît pas mais son caractère naturel disparait. Et si j’obéis toujours à mes parents
c’est parce que je le veux bien. Cette autorité bascule dans la convention et donc dans le consentement.
Il n’est donc pas possible, selon Rousseau de penser une autorité légitime et naturelle sauf à considérer
cette exception. Et dans cette recherche que mène Rousseau d’une autorité légitime et surtout durable
dans sa légitimité, la nature n’est pas satisfaisante.
Les deux chapitres suivants sont consacrés à la présentation et la critique d’une autre position
classique dans l’histoire de la philosophie, celle d’une autorité légitime fondée sur la violence. La
violence a beaucoup pour elle ; elle est simple et indiscutable. Un individu violent, tant qu’il ne se
verra pas opposer une force contraire, imposera sa loi. La violence, la force, c’est donc la loi du plus
fort. Or, « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître ». Il arrivera toujours qu’un
individu s’élève, plus fort que le plus fort pour contester son autorité. L’autorité fondée sur la violence
est instable. Plus, l’autorité fondée sur la violence est une autorité à laquelle on obéit par nécessité et
non par devoir. Obéir au plus fort, c’est prudemment éviter de se voir violenter. Un pouvoir qui
trouverait son origine dans la force peut certes me contraindre à la soumission mais il ne peut pas
m’obliger à le reconnaitre comme autorité légitime. Et sitôt que je pourrai désobéir impunément, je
pourrai désobéir légitimement. C’est la différence entre le pouvoir et l’autorité. Le pouvoir est une
simple puissance de contraindre. L’autorité est un pouvoir moral plus que physique qui produit du
droit en face en face duquel nous avons un devoir d’obéissance.

L’anthropologie rousseauiste
Le cinquième et surtout le sixième chapitres sont consacrés à la convention, au contrat.
Rousseau est un contractualiste. Pour lui, l’autorité légitime d’un Etat vient nécessairement d’un
contrat. Ce contrat est passé entre les hommes. Et parce qu’il est volontaire, librement consenti, il
fonde une autorité légitime et durable. Avant d’en venir à la spécificité du contrat rousseauiste, il faut
déjà se demander pourquoi les hommes en viennent à contractualiser. Les hommes ont besoin d’un
Etat pour échapper à la guerre de tous contre tous. Mais cette guerre de tous contre tous n’est pas le
lot des hommes à l’état de nature comme chez Hobbes ou Spinoza mais celui des hommes à l’état
social, déjà rassemblés en groupe sociaux.
A la différence de Hobbes et de Spinoza, Rousseau ne pense pas un état de nature antagoniste.
A la différence de Hobbes et de Spinoza, Rousseau ne pense pas un homme à l’état de nature mauvais
et querelleur. L’homme, a l’état de nature n’est ni bon ni mauvais, il est amoral. Pour se représenter
l’homme a l’état de nature, il faut se représenter un animal solitaire, sans intelligence et peureux mu
par une seule aspiration : survivre. Survivre non pas contre les autres hommes qui pourraient
l’agresser voire le tuer mais survivre dans la nature. L’homme a l’état de nature a certes une liberté
naturelle mais il ne l’exerce pas contre les autres hommes parce qu’il ne les côtoie pas étant peureux.
L’état de nature, comme pour Hobbes et Spinoza, est chez Rousseau une fiction de l’esprit. L’homme
n’a probablement jamais été dans un tel état. Il n’empêche qu’il permet de penser ce qu’est la nature
de l’homme et en proposant une anthropologie positive de l’homme, Rousseau critique les positions
classiques en philosophie qui fondent l’autorité en nature ou sur la violence. Hobbes notamment fonde
toute sa conception de l’Etat sur son anthropologie négative.
C’est l’association des hommes à l’état de nature dans un état social, dans une communauté
humaine qui va les corrompre. Cette corruption va créer une situation de guerre de tous contre tous
dont il ne sera possible de sortir qu’en fondant par contrat l’Etat et en faisant ainsi basculer l’homme
de l’état social à l’état civil. Pourquoi l’état social est-il corrupteur ? Parce que les hommes à l’état
social vont développer leurs capacités (intelligence, etc.) mais aussi constater leurs imperfections. Ils
vont commencer à se comparer aux autres membres du groupe social auquel ils appartiennent et
constater qu’ils ont plus que certains et surtout moins que d’autres. Cette comparaison va les amener
à développer une convoitise, une jalousie à l’endroit de leurs congénères. Bref, l’amour de soi qui les
motivait dans l’état de nature laisse place à un amour propre délétère ferment de conflits.

• Le contrat social et la volonté générale


Texte 4. Thème : Le contrat d’association. Thèse : 1) Le contrat social rousseauiste s’effectue
pour échapper aux menaces qui pèsent sur la conservation de nos vies individuelles. C’est donc la
raison qui nous pousse à contractualiser. 2) Il consiste en l’abandon, pour chacun des participants au
contrat, de sa puissance naturelle (force et liberté). L’homme qui contractualise s’aliène à la volonté
générale c’est-à-dire que c’est la volonté générale qui en vient à diriger ses actions. Cette volonté
générale n’est pas extérieure aux membres du corps social comme chez Hobbes. Elle n’est pas
synthétisée par un souverain tiers-exclu. Cette volonté générale est décentralisée, elle émane du
peuple et se retrouve dans chacun des membres du corps social. 3) Cet acte d’association crée un
« corps moral et collectif » cohérent là où, auparavant, il n’y avait qu’intérêts particuliers. Enjeu :
Rousseau pense le contrat et la volonté générale qui en découle comme moyen d’échapper aux
divisions de l’état social. La volonté générale est la seule forme d’autorité légitime et durable à ses
yeux. Elle est donc souveraine. Quelle place pour le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ?
Mouvements : Ligne 1 à 8, les causes du contrat. Ligne 9 à 20, le contenu du contrat. Ligne 21 à 28,
les conséquences du contrat.
Qu’est-ce que la souveraineté ? C’est l’autorité suprême de l’Etat. C’est le pacte social qui
donne naissance à la souveraineté. Avant le contrat, acte par lequel un peuple devient peuple, il n’y a
pas de souveraineté. La source de la souveraineté est dans le peuple parce que c’est chacun des
membres du peuple qui contractualise pour faire advenir la volonté générale. C’est aussi le peuple
qui exerce cette souveraineté. Rousseau est le premier philosophe de l’histoire à penser la
souveraineté populaire. Il ne pense pas une délégation de cette souveraineté. Le peuple est (dès qu’il
contractualise et se range sous l’autorité de la volonté générale) et restera souverain. La souveraineté
c’est tout simplement l’exercice de la volonté du corps politique, c’est-à-dire la volonté générale
dirigeant la force publique.
Qu’est-ce que la volonté générale ? La volonté générale se distingue déjà de la volonté
particulière. La volonté particulière vise un intérêt particulier, privé. La volonté générale se distingue
aussi de la volonté de tous. La volonté de tous n’est qu’une agrégation des volontés particulières.
Cette agrégation permet d’identifier l’intérêt du plus grand nombre. La volonté générale, elle, ne se
définit pas par l’addition des volontés individuelles des citoyens, elle transcende une telle addition et
« ne regarde qu’à l’intérêt commun ». Et, il est parfois nécessaire d’aller contre l’intérêt du plus grand
nombre pour le bien commun.
La volonté générale correspond en fait à la raison dans son application politique. Elle
ressemble beaucoup à ce que dit Kant de la raison pratique dans la Critique de la raison pratique. Par
conséquent, la volonté de chacun peut être générale. Chaque individu dispose nécessairement une
volonté particulière qui côtoie la volonté générale qu’il a comme citoyen. Si l’individu écoute sa
raison, il ne peut vouloir que le bien commun et donc agir selon les recommandations de la volonté
générale. Il agirait alors en citoyen. Quel est ce bien commun dont il est question ? La conservation
de tous et le bien-être de chacun. Pratiquement, un individu, pour agir en citoyen, doit considérer,
pour prendre ses décisions, non pas son intérêt particulier mais bien l’intérêt général qu’il peut
identifier, en toute autonomie, grâce à l’usage de sa raison. Rousseau est le philosophe des Lumières
le plus lu par les révolutionnaires français (quand les révolutionnaires américains lisaient davantage
Locke et Montesquieu) et sa pensée a infusé dans l’idée même que l’on se fait de la démocratie dans
notre pays. Lorsque l’on se représente l’acte de voter en France, on se représente un citoyen qui est
capable de mettre de côté son intérêt particulier pour exprimer l’intérêt général.
La traduction de la volonté générale, son expression est la loi. L’article 6 de la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, en cela, est une reprise de Rousseau : « La loi est
l’expression de la volonté générale ». La volonté générale ne statue que sur du général. La loi est
donc elle-même générale c’est-à-dire qu’elle vise toujours l’intérêt de toute la communauté politique
et non pas celui d’un groupe d’individus. La loi est bonne et juste. Puisqu’elle est générale, elle ne
peut pas être mauvaise et injuste. Elle s’applique à tous les citoyens sans distinction de fortune et de
rang. Tous les citoyens sont égaux devant les décisions de la volonté générale. L’égalité est le premier
avantage d’un contrat social. Elle est aussi juste et bonne parce qu’elle est le produit de la volonté
générale : chacun prend part à son élaboration. Parce que la loi exprime la volonté générale donc la
souveraineté du peuple, la loi est aussi révocable. La loi est une obligation que le peuple se donne à
lui-même. Cette loi, il peut la révoquer quand il ne la juge plus bonne. « Un peuple est toujours maître
de changer ses lois, même les meilleurs ».
La vertu principale de la loi est qu’elle permet aux hommes d’être libres tout en vivant en
société. En obéissant aux lois, on n’obéit pas à une règle imposée de l’extérieur mais on obéit à soi-
même c’est-à-dire aux préceptes de la raison. Obéir à la loi, c’est obéir à la volonté générale et, en
même temps, c’est n’obéir à personne. Obéir à la loi, ne détruit pas la liberté mais est, au contraire,
un moyen d’être libre. La liberté civile ne peut exister que dans le cadre de la loi. Sans loi, pas de
liberté (civile). La liberté naturelle que l’on a abandonné dans le contrat nous est rendue sous la forme
de cette liberté civile. Rousseau écrira : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». La
liberté dont il parle dans cette phrase, c’est la liberté naturelle ; celle de l’état de nature. Les fers dont
il est question, c’est l’amour propre et donc la volonté particulière qui amène l’homme de l’état social
à convoiter ce que son voisin détient et qu’il n’a pas. C’est le rôle du contrat social de rétablir l’homme
dans sa liberté et de briser ses fers en faisant advenir la volonté générale qui se substituera à la volonté
particulière.
Ce contrat social, aucun homme d’aucun pays n’y a jamais souscrit. Rousseau n’entend pas
décrire un acte réel historiquement situé. Il énonce ce que sont les exigences théoriques pour un bon
fonctionnement de l’Etat (à comprendre sans son sens le plus large : un peuple rassemblé et orienté
par la volonté générale). Un Etat ne peut bien fonctionner que lorsqu’il est légitime. La seule
légitimité durable est celle qui est issue d’un contrat : la volonté générale. Un Etat, pour bien
fonctionner, doit aussi être efficace à organiser la vie de ses citoyens. La question de l’efficacité va
nous permettre de penser la place de l’Etat en un sens plus restreint : celui de l’institution composée,
pour parler comme Montesquieu, d’un pouvoir législatif, d’un pouvoir exécutif, d’un pouvoir
judicaire et de leurs administrations respectives.
Quelle place donc pour l’Etat en tant qu’institution. ? Si la volonté générale peut être identifiée
par le simple usage de la raison, les hommes ne pourraient-ils pas s’autogouverner ? Quelle place, en
ce cas, pour le législateur, le pouvoir exécutif et judicaire ? Deux raisons vont amener Rousseau à
leur dégager une place : l’écart entre l’intérêt général et les intérêts particuliers et la question de la
maturité des citoyens. Les citoyens peuvent ne pas être assez matures pour identifier, en toute
autonomie, les préceptes de la volonté générale. Le pourraient-ils qu’ils pourraient se laisser tenter
par leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.
Le législateur, déjà. Le législateur a pour rôle de guider le peuple vers l’identification de la
volonté générale, de lui indiquer quelle décision il doit prendre. En effet, si « la volonté générale est
toujours droite, (…) le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé ». Le peuple et chacun des
citoyens qui le compose, peut ne pas être assez mature pour pouvoir exercer son jugement et
l’identifier. Il faut que le peuple apprenne à connaître le bien commun et à ne pas le confondre avec
les intérêts particuliers. Le législateur, en proposant des lois aux citoyens, les éduque. Il les élève au
niveau de l’intérêt général. Le législateur est ainsi pédagogue. Pour cela, il doit connaître les hommes
sans avoir leurs défauts. Il doit connaître leurs passions sans les éprouver. Il doit connaître la nature
humaine pervertie sans la posséder. Bref, le législateur est un être exceptionnel. Le portrait que nous
en fait Rousseau nous amène à douter de l’existence même d’une telle personne et par conséquence
nous amène à douter de la possibilité d’une loi comme expression de la volonté générale. Rousseau
écrira : « Il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes ». Si de tels dieux-législateurs
n’existent pas, les hommes ne seraient-ils pas condamnés à ne faire qu’approcher asymptotiquement
la volonté générale sans jamais l’atteindre définitivement ? Quoi qu’il en soit, ce législateur, s’il existe,
ne possède aucune autorité pour imposer ses lois. Le législateur se contente de proposer des lois.
C’est au souverain, c’est à diure au peuple, de les ratifier.
Le gouvernement, maintenant. Rousseau distingue très précisément le gouvernement et la
souveraineté. Le pouvoir souverain appartient à la volonté générale donc au peuple. Le peuple
promulgue les lois qui sont des règles générales. Pour appliquer ces règles générales aux cas
particuliers, il faut un gouvernement qui chez Rousseau rassemble les pouvoirs exécutifs et judicaires.
Le gouvernement n’est qu’un corps de magistrats subordonnés au souverain. Il n’en est que serviteur.
Il est chargé d’appliquer les lois aux cas particuliers ; de descendre du général au particulier. Il n’y a
donc pas de séparation des pouvoirs comme chez Montesquieu. Le gouvernement est complètement
subordonné au pouvoir législatif c’est-à-dire à la volonté générale c’est-à-dire au peuple souverain.
Il n’y a pas entre eux d’équilibre permettant une limitation réciproque des pouvoir. Au contraire, le
pouvoir du souverain, pour Rousseau, est absolu et ne peut être limité par le gouvernement.

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