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L’État
« On ne peut pas arriver à une connaissance scientifique convenable
du droit administratif sans prendre appui sur une théorie du droit
et de l’État ».
R. BONNARD
Précis de droit administratif,
3e ÉD., Paris, LGDJ, 1940, p. 21.
Traité de droit administratif
Les lignes qui suivent vont nécessairement revêtir un aspect un peu « décalé » par
rapport aux autres chapitres du présent livre dans la mesure où elles sont de la plume
non pas d’un administrativiste, mais d’un constitutionnaliste. De cette circonstance,
qui pourrait représenter un inconvénient non négligeable à l’heure de la spécialisa-
tion accélérée des savoirs juridiques, peut néanmoins surgir un avantage, celui du
regard toujours un peu neuf apporté par le non-spécialiste sur un domaine cultivé
par des spécialistes qui pourraient en oublier l’originalité à force de l’avoir labouré.
Un tel regard décalé pourrait aussi invoquer la caution de Gaston Jèze, écrivant dans
son grand ouvrage : « La séparation du droit constitutionnel et du droit administratif,
constamment faite en France, est tout à fait factice. Elle ne répond pas aux faits poli-
tiques et sociaux. » (Principes généraux du droit administratif, 3e éd., tome II, Giard,
1930, p. 213, note 1). Certes, aujourd’hui l’enseignement du droit administratif est
très séparé de celui du droit constitutionnel. Mais ne devrait-on pas tenter de réduire
la distance qui s’est instaurée entre les deux ? D’une certaine manière, ce chapitre
entend contribuer à cette opération.
La difficulté est évidemment de savoir comment l’on doit procéder. L’interro-
gation qui a guidé nos brèves réflexions sur ce thème de l’État apparaît comme
rétrospectivement double. On peut se demander d’abord : Que nous enseigne le
droit administratif sur l’État ? Mais on peut se poser aussi la question inverse : Que
nous enseigne la théorie de l’État sur le droit administratif ? Évidemment, les admi-
nistrativistes se préoccupent surtout de la première question, ou plus exactement,
ils entendent décrire l’État du point de vue du droit administratif. Le risque d’une
telle entreprise est de faire varier la vision de l’État dans chaque discipline. N’a-
t-on pas appris depuis quelque temps qu’il existait une conception de l’État selon
le droit européen ? Ce qui risque alors d’être perdu de vue dans cette diffraction
du concept d’État selon chacune des disciplines du droit public, c’est son unité.
C’est pourquoi il faut toujours avoir un peu en vue une certaine théorie de l’État
pour conserver à ce concept son unité qui fait son intérêt. Bref, il s’agit de conci-
lier le plus possible ces deux exigences contradictoires : tenir compte de la spéci-
ficité du droit administratif quand il est confronté à la question de l’État et rendre
justice ici au caractère transversal de l’État qui existe aussi, indépendamment du
droit administratif.
La lecture ici proposée entend mettre l’accent sur le fait que l’État, vu sous l’angle
du droit administratif, se caractérise comme l’État en action. L’État, qui agit, entre
en contact par l’intermédiaire de son Administration avec les individus, les parti-
culiers et les groupements. C’est la différence majeure avec le droit constitutionnel
qui ne touche pas directement tous les individus puisqu’il concerne essentiellement
les rapports entre les gouvernants et les gouvernés, – du moins le droit constitu-
tionnel institutionnel, celui qui ne concerne pas les droits et libertés. En revanche,
le droit administratif régit et organise l’action de l’État dans la société grâce à cet
appareil qu’on appelle l’Administration. Si l’on prend cette action de l’État comme
clé de lecture principale du droit administratif, alors le regard que l’on porte sur la
discipline est modifié. Ce n’est pas le contrôle du juge, le contentieux administratif,
qui doit se situer au premier plan, mais bien plutôt les modalités d’action de l’État
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(c’est-à-dire de l’Administration)1. Cette action peut prendre deux formes très diffé-
rentes : la police et le service public. Autrement dit, le droit administratif porte sur
l’activité juridique de l’État saisie à travers son bras séculier qui est l’Administration.
Un des avantages de prendre pour fil directeur l’État en action, c’est qu’il oblige à
s’interroger sur ses moyens d’agir. C’est ici qu’a lieu la rencontre douloureuse entre le
droit et l’économie par l’intermédiaire de la question centrale du financement de l’ac-
tion de l’État. On sait aujourd’hui que « même en social-démocratie, les États, endettés,
ne peuvent plus assumer seuls leurs missions d’intérêt général »2. Ainsi le droit admi-
nistratif est-il frontalement remis en cause par le simple fait que l’État a perdu de plus
en plus le monopole d’accomplir les missions d’intérêt général et qu’il est contraint,
pour des raisons financières, d’inventer des moyens de « faire faire » par des opéra-
teurs relevant du secteur privé au moyen de différentes formes contractuelles3. La
mode est de ne plus parler de l’État qui « administre », mais de l’État qui « régule »
l’action (sorte d’État postmoderne). Mais si l’État ne s’occupe plus directement de la
« chose publique », il perd alors l’essentiel de sa légitimité à agir.
Comme ce chapitre voudrait surtout inciter le lecteur à comprendre le droit
administratif comme un droit éminemment politique, il ne contient pas tous les
thèmes obligés qui figurent dans les manuels de droit administratif : la personna-
lité juridique de l’État, la décentralisation et la déconcentration, les services minis-
tériels et les services déconcentrés de l’État, la production des sources norma-
tives du droit administratif (le pouvoir réglementaire notamment) qui concerne au
premier chef le Gouvernement. Ainsi, le chapitre sur « Les structures administra-
tives » du manuel de René Chapus commence par une section intitulée « l’État »
(Droit administratif général, tome I, 15e éd., Montchrestien, 2001, p. 201 s.) et le
présent Traité contient des chapitres très précieux sur des thèmes connexes à des
questions ici étudiées (par ex, « L’administration et l’élaboration des normes » :
v. infra, Chapitre V, Titre II de cette Partie, et « Les personnes publiques spécia-
lisées » : v. infra, Chapitre III, Titre II de cette partie). L’étude ici menée voudrait
d’abord mettre en évidence la progressive disparition de l’objet étatique dans la
1. On doit ici être bref sur les raisons pour lesquelles le droit administratif français, à partir de Lafer-
rière, a été bâti à partir du contrôle et non de l’action. V. ici les remarques de P. Gonod (s’appuyant
aussi sur les travaux de P. Legendre et J.-J. Gleizal), « La réforme du droit administratif : bref aperçus du
système juridique français », in M. Ruffert [dir.], The transformation of administrative law in Europe. La
mutation du droit administratif en Europe, Seiller, Munich, 2007, p. 72-73.
2. Entretien avec F. Picard, « Alter Equity », Le Monde du 5 mars 2011.
3. En réalité, quelle que soit l’ingéniosité des nouveaux agencements ou mécanismes juridiques et finan-
ciers (partenariat public privé, par exemple) visant à régler l’action de l’État, le recours à ces diverses tech-
niques est non seulement un artifice juridico-comptable permettant de dissimuler l’accroissement de la
dette de l’État et les collectivités publiques (« Le partenariat public/privé, un cache dette ? », Le Monde du
28 avril 2011) mais aussi le fait que la facture finale de la délégation est acquittée, non plus par les contri-
buables, mais par les usagers. Ce transfert des contribuables aux usagers a une signification précise : les
usagers qui ont le plus besoin des services publics sont les gens modestes et pauvres et donc ce sont eux
qui sont les principales victimes de ces mutations du droit administratif. La doctrine contemporaine garde,
le plus souvent, un silence pudique sur la question de savoir qui paie l’addition, mais on verra en analysant
les écrits de Maurice Hauriou que la doctrine classique était parfaitement consciente des enjeux politiques
et sociaux du droit administratif (v. infra, Section 1, § 2, B)
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Traité de droit administratif
SECTION 1
RÉFLEXIONS SUR « L’OUBLI DE L’ÉTAT »
DANS LA DOCTRINE ADMINISTRATIVISTE
CONTEMPORAINE
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master 1 (4e année) apparaissent comme des cours de droit administratif spécial.
Ce phénomène de balkanisation de la discipline revient à renvoyer à plus tard, et
pour certains étudiants à jamais — on songe aux étudiants qui deviendront priva-
tistes —, l’étude de la fonction publique ou des services publics de sorte que, de
plus en plus souvent, c’est la partie la plus « normative », la plus formelle, et la
moins matérielle du droit administratif, qui est étudié dans le grand cours de droit
administratif. Or s’il y a bien une matière où l’on doit réfléchir sur ce qu’est l’État
pour comprendre les notions qui sont en jeu, ce sont bien le droit de la fonction
publique, le droit des grands services publics ou le droit public économique.
Résumons : le triomphe du positivisme le plus rigoureux, combiné avec une
sorte d’idolâtrie pour la hiérarchie des normes cultivée à l’excès en raison de la
priorité accordée au principe de légalité et de la découverte, plus récente, des prin-
cipes de constitutionnalité et de conventionnalité, a conduit beaucoup de juristes
à communier dans la foi selon laquelle la science du droit administratif ne serait
qu’une pure et simple technologie des normes — certes une technologie haute-
ment sophistiquée qui fait les délices des commentateurs de ce droit désormais
aussi « européanisé ».
Mais comme si ce premier phénomène ne suffisait pas, il en est un second qui
a encore plus d’impact sur l’absence de prise en considération de l’État. C’est la
progressive autonomisation de la discipline par rapport à ce qui apparaît aujourd’hui
comme des sciences auxiliaires du droit administratif. Deux faits convergents ont
accéléré l’Isolierung (courant doctrinal allemand qui à la fin du XIXe siècle, a voulu
« isoler » la science du droit de toute autre considération historique, politique et
philosophique) normatif du droit administratif. Le premier, le plus ancien dans le
temps, est la coupure institutionnelle entre le droit administratif et la science admi-
nistrative. Celle-là était censée vivifier celui-ci en étudiant les acteurs et en rappe-
lant aux étudiants que le contentieux n’était que la « pathologie du droit » pour
reprendre l’expression si parlante de Jean Carbonnier. Mais les deux disciplines
ne sont plus en contact ; l’enseignement du droit administratif est de moins en
moins ouvert aux acteurs, à ceux qui font le droit et à ce qu’on pourrait appeler la
« vie » administrative. De son côté, la science administrative tend à devenir de plus
en plus une sociologie des politiques publiques, voire une « science du gouverne-
ment » (faux nez des politiques publiques) censée réanimer une science politique
française à bout de souffle. On peut craindre qu’une telle évolution de la part de la
sociologie provoque chez les juristes la même réflexion crispée que celle éprouvée
par le constitutionnaliste devant l’évolution de la science politique en une socio-
logie des acteurs dont la caractéristique principale est qu’elle se désintéresse des
institutions politiques. Très rares sont les administrativistes qui mêlent les deux
disciplines ; de ce point de vue, la contribution dans ce Traité de Jacques Caillosse
(supra, Chapitre préliminaire, Titre I de cette Partie) est une heureuse exception.
D’autre part, le droit administratif qui s’intitulait un temps, « droit administratif et
institutions administratives » au même moment où l’on enseignait, parallèlement,
le « droit constitutionnel et institutions politiques », s’est réduit à son enveloppe
purement normative. L’étude des institutions administratives fait l’objet, dans
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certaines universités, d’un cours à part, et dans d’autres, d’un cours plus large sur
les institutions judiciaires et administratives. Les étudiants perdent ici par cet effet
massif de spécialisation la vue d’ensemble du droit administratif. Or, précisément,
l’un des intérêts d’une analyse du droit administratif centrée sur l’État tient juste-
ment qu’elle donne une unité systématique à ce qui, sinon, apparaît comme un
foisonnement de normes.
Recherche savante sur l’État en droit administratif — Si l’on se tourne cette fois
vers la littérature savante, celle qui est censée indiquer les travaux de recherche
qui se font, le constat est identique, voire plus préoccupant encore. Il suffit de se
demander quelle est la dernière thèse qui s’est attaquée au problème de l’État
Sauf erreur de notre part, la plus récente qui traite explicitement de cette ques-
tion est celle de Bertrand Delcros portant sur l’unité de la personnalité juridique
de l’État (LGDJ). Elle date de 1976… Depuis, il n’y a plus une seule thèse consa-
crée à la question de l’État en droit administratif, ce qui reste étonnant quand on
songe à l’inflation du nombre de thèses depuis cette époque. La seule thèse qui se
rapproche un peu de notre sujet est celle de Charlotte Denizeau qui relie la ques-
tion de la désétatisation de la puissance publique à la construction européenne
(L’idée de puissance publique à l’épreuve de la construction européenne, LGDJ, 2004).
Le même constat vaut pour les articles de droit administratif qui éludent la ques-
tion de l’État. Il est frappant de voir que les écrits des grands maîtres de la disci-
pline de l’immédiat après-guerre de Laubadère, Rivero, Vedel (v. Pages de doctrine,
2 tomes, LGDJ, 1981) ou de la génération suivante comme René Chapus et Paul
Amselek ne contiennent pas d’études majeures consacrées à l’État en droit admi-
nistratif. Dans la littérature encore plus récente, on aurait du mal à trouver un
article conséquent et hautement doctrinal sur la question de l’État en droit admi-
nistratif. Cet oubli de l’État est surprenant quand on y songe car pour les lecteurs
familiers des fondateurs de la discipline de droit public, l’État était évidemment
central, déterminant.
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— à l’époque — entre les organes du même État. Dans sa propre doctrine, Duguit
illustre cette thèse par la description qu’il fait de l’acte administratif « acte indivi-
duel et concret qui doit être fait pour la gestion du service » (Les transformations
du droit public, op. cit., p. 163) et s’opposant ainsi à la loi. L’acte administratif crée
des « situations juridiques subjectives » pour reprendre son propre vocabulaire. Or,
si le droit administratif saisit l’État dans sa relation directe avec des tiers, le plus
souvent des administrés, c’est parce que cet État intervient de plus en plus dans
la vie sociale. Duguit ne cesse de répéter que le domaine du droit administratif ne
cesse de s’étendre « en raison de l’accroissement constant de l’activité étatique »
qui, selon lui, est tout simplement, un « fait irrésistible » (ibid.). Mais ce n’est pas
seulement l’extension du domaine d’intervention de l’État que le droit adminis-
tratif reflète, mais aussi les procédures, les voies par lesquelles il agit. Or, de ce
dernier point de vue, c’est moins l’État, en tant que tel, que ses modes d’action
qui méritent d’être examinés par le juriste.
En d’autres termes, ce dont témoigne l’œuvre de Duguit, c’est la reconnais-
sance du fait que, en France, le droit administratif a domestiqué, maîtrisé, l’État.
Duguit n’a de cesse de louer la fin du « système impérialiste » du droit adminis-
tratif en vertu duquel l’acte administratif est essentiellement une manifestation de
l’autorité » (op. cit., p. 145). Sa lutte incessante et obstinée contre l’État-puissance,
c’est-à-dire contre un droit administratif dominé par la marque de l’autorité unila-
térale de l’État, est en même temps une manière de saluer l’évolution libérale de
la jurisprudence du Conseil d’État qui a permis aux administrés d’avoir des droits
à faire valoir contre l’administration. Il peut même déclarer non sans quelque
fierté lors d’un colloque international des sciences administratives ayant eu lieu à
Bruxelles en 1901 que les participants avaient « pu constater qu’aucun autre droit
public moderne ne protégeait l’administré d’une manière aussi complète que le
droit français » et que cela était dû au Conseil d’État, « haute juridiction, (…) admi-
nistrative par son origine et par sa procédure, judiciaire par l’indépendance et l’im-
partialité de ses membres, (qui) a su créer les éléments d’un contentieux essentiel-
lement protecteur de l’administré » (op. cit., p. 180).
On a d’ailleurs un peu trop tendance à résumer l’apport libéral du droit admi-
nistratif à ce contrôle juridictionnel de l’activité administrative. La lecture du
second tome des Études de droit public (L’État, les gouvernants, les agents, op. cit.)
apprend que Duguit a voulu mettre à jour les principes structurants qui établissent
une constitution libérale de l’administration. Sous couvert de parler du principe de
séparation des « gouvernants » (autorités politiques, en fait) et des « agents » (auto-
rités administratives, en fait), il énonce plusieurs éléments fondamentaux d’une
telle constitution qui relèvent tous de ce qu’on appellerait un « art de la sépara-
tion ». Il y a, d’une part, le « principe moderne de la séparation des gouvernants
et des agents » (op. cit., IV, § 1, p. 369) qui a différentes implications favorables
à la garantie des droits des individus, dont l’une, capitale, est la subordination de
l’Administration au Gouvernement et aux autorités politiques, qui interdit aux fonc-
tionnaires et agents publics de s’affranchir de la règle de droit (moyen de prévenir
l’émergence d’une bureaucratie irresponsable), comme le dit expressément Duguit
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qui se réfère à la loi, « règle générale formulée d’une manière abstraite par les
gouvernants » (op. cit., IV, § 1, p. 365). D’un autre côté la seconde règle décou-
lant aussi de la séparation entre gouvernants et agents implique, inversement, que
les « compétences » des « agents » ne doivent pas être exercées par les « gouver-
nants ». Le résultat est donc que le principe de séparation des gouvernants et des
agents aboutit à une répartition organisée entre eux « des fonctions étatiques »
(op. cit., p. 367) qui interdit à toute autorité habilitée de dépasser son domaine de
compétence. Dans la pensée de Duguit, cette distinction est moins organique que
matérielle : les gouvernants agissent dans le « domaine du droit objectif » et les
« agents » dans celui du droit subjectif (op. cit., p. 378).
Il y a, d’autre part, la théorie de la compétence qui, chez Duguit, est pensée
comme « un pouvoir objectif reconnu par la loi à un fonctionnaire déterminé d’ac-
complir régulièrement et efficacement un certain nombre d’actes juridiques déter-
minés » (op. cit., p. 496). La compétence est le moyen pour lui de disqualifier la
notion de droit subjectif et de découvrir une institution de droit objectif qui s’op-
pose à ce que le fonctionnaire se considère comme ayant un droit à être titulaire
de ce pouvoir. Elle est un concept polémique grâce auquel on peut s’opposer à la
conception patrimoniale de l’État. En effet, le fonctionnaire n’est pas propriétaire
de son emploi, et il est censé exercer un pouvoir qui ne lui appartient pas dans
le cadre très réglementé d’une série d’habilitations. La théorie de la compétence
chez Duguit — comme d’ailleurs chez Jèze — apparaît comme une construction
juridique libérale qui vise à ligoter le fonctionnaire dans le respect de la règle
de droit et à dissocier la fonction publique de son titulaire. Bien qu’il critique la
conception de Jellinek, Duguit s’en rapproche par cette dimension fondamentale :
l’État moderne n’est pas un État patrimonial (v. O. Beaud, « Compétence et souve-
raineté », AFDA, La compétence, Paris, Litec, 2008, p. 5-32).
Il ressort de l’ensemble de ces notations que, pour Duguit, comme pour tant de
ses contemporains, la reconstruction du droit administratif, sa refondation si l’on
veut, avait pour principal enjeu la formation d’un État de droit. Comme l’a bien vu
Marcel Waline, dans l’hommage qu’il lui a rendu à sa mort, sa grande idée direc-
trice « n’était autre que celle de la soumission de l’État au droit », ou plus exac-
tement « le problème de la limitation des gouvernants par le Droit » (« Les idées
maîtresses de Duguit et d’Hauriou », L’Année politique française et étrangère, 1929,
tome IV, p. 387). Telle est l’ambition qui anime ses écrits, le souffle qui inspire ces
innombrables pages dans lesquelles il a entendu magnifier les services publics par
opposition à la puissance publique, expression qui lui semblait symboliser terrible-
ment l’ancien droit administratif de la monarchie, ce « système impérialiste » qui
fait de l’État une autorité potentiellement autoritaire et négatrice des droits des
individus. C’est en cela que sa théorie de l’État et du droit est « normative » au
sens où elle est axiologiquement déterminée par un idéal de limitation du pouvoir
par le droit et, appliqué au domaine du droit administratif, un idéal de limitation
du pouvoir administratif par le droit administratif.
De ce qui précède, il ressort que Duguit n’a jamais voulu limiter la question de
l’État au seul domaine de l’organisation administrative. Il étudie l’État aussi bien
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dans sa relation avec la création du droit (et pas seulement du droit administratif)
et il insère l’étude du droit administratif dans un cadre bien plus général qui est
celui de l’ensemble du droit public. Il n’a cessé de penser le droit administratif
comme étant « une partie du droit public ». Ainsi, il part de l’idée que sa compré-
hension n’est possible que si l’on a une correcte perception du « Tout », de l’en-
semble du droit public et c’est justement l’État qui y correspond. C’est pour cette
raison — « systématique » — que le présupposé de toute conception du droit admi-
nistratif réside dans la notion d’État et dans l’idée d’une « unité du droit public »
(v. infra, « La Constitution », Titre II, Chapitre I de cette partie). Avec d’autres argu-
ments, une autre méthode, et une autre sensibilité, l’alter ego de Duguit, Maurice
Hauriou a, lui aussi, entendu rebâtir le droit administratif en se fondant sur une
théorie de l’État.
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S’il y a un livre dans lequel cette union étroite entre droit administratif et théorie
de l’État apparaît, c’est bien le Précis de droit administratif, ce Traité qui a fait sa
réputation. Il y opère un lien systématique entre le droit administratif et l’État par
l’intermédiaire de sa notion de « régime administratif de l’État » (Préface, p. XII,
7e éd., Sirey, 1911). L’introduction de cette notion centrale de « régime adminis-
tratif » est une innovation de la 7e édition, celle qui succède immédiatement à l’écri-
ture du grand livre d’Hauriou sur l’État (Les Principes de droit public, 1re éd., 1910,
rééd. Dalloz, 2010). Elle lui a « permis de rattacher le droit administratif à l’organi-
sation générale de l’État moderne en traitant de la centralisation politique, de l’ad-
ministration et de la fonction administrative, des modifications constitutionnelles
qu’entraîne une administration centralisée, spécialement de l’institution d’une juri-
diction administrative ». (Précis de droit administratif, op. cit., préface, p. XII). Ainsi,
le concept de régime administratif est le pont qui relie le droit administratif à la fois
à l’État et aux forces politiques du pays. C’est ce qui ressort de sa définition : il est
« une certaine manière d’être de l’État qui provient de ce que l’administration est
devenue la principale force dans l’État » (op. cit., p. 1). En France, faut-il ajouter, car
ni l’Angleterre, ni les États-Unis ne connaissent un droit administratif autonome. Le
régime administratif de l’État est donc le concept qui, chez Hauriou, vise à décrire
l’imbrication des deux phénomènes que sont, d’une part, l’autonomie de ce droit
et, d’autre part, l’importance politique et sociale de l’administration dans la marche
de l’État français. Le lecteur d’aujourd’hui est frappé par l’association étroite que le
maître de Toulouse effectue entre le droit administratif et le type particulier d’or-
ganisation administrative qui le sous-tend. Il le dit sans ambages : « notre régime
administratif est lié à notre centralisation » (op. cit., p. 105). Le fait massif par lequel
il commence son manuel n’est autre que l’addition de la centralisation adminis-
trative à la centralisation politique en vertu de laquelle, dans l’organisation fran-
çaise, une forte administration centrale se superpose aux administrations locales
(op. cit., p. 3). Cette centralisation a habitué les Français à être non seulement
gouvernés, mais aussi administrés de sorte qu’ils ont été accoutumés à jouir de
services publics, et cela sur tout le territoire français. Hauriou a compris le lien très
puissant qui reliait la centralisation au sentiment d’égalité des Français, ce que
les meilleurs historiens de l’administration n’ont cessé de rappeler (P. Legendre,
Histoire de l’administration en France de 1750 à nos jours, PUF, 1968, rééd. Trésor
historique de l’État en France. L’administration classique, Fayard, 1992). Les services
publics améliorent la vie des individus et Hauriou de façon fort conséquente fait
l’éloge de l’État administratif. Le régime administratif apporte des services aux indi-
vidus, non seulement des facilités d’action, mais encore « la création de nouveaux
biens et l’élargissement de la vie civile » (op. cit., p. 4).
Toutefois, si l’État et le droit administratif sont émancipateurs, c’est parce que
l’administration est devenue publique. Hauriou précise que le fond de l’adminis-
tration, du point de vue matériel, c’est le service rendu aux particuliers. Or, un tel
service peut être assuré aussi bien par une administration féodale (dominée par
le seigneur et effectuée contre redevance) que par une administration privée. Le
progrès réalisé par l’administration publique tient justement à ce que le service
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accordé aux particuliers se fait au nom d’une collectivité, l’État le plus souvent,
pour des raisons publiques, et sans but lucratif (op. cit., p. 7-8). La conséquence
concrète est l’expropriation des puissances privées de l’administration et la fin de
la féodalisation du pouvoir, ce que Hauriou appelle « la patrimonialisation indivi-
duelle des pouvoirs » (op. cit., p. 8). Enfin, cette administration publique a aussi
partie liée à l’État parce qu’elle exerce un pouvoir « à base territoriale », sur le
fondement d’une compétence territoriale et non d’une compétence personnelle.
Par conséquent, le seul fait d’être habitant d’une circonscription territoriale donne
droit à l’accès aux services que fournit l’administration. Autre manière de décrire
ce fait d’importance que Jellinek avait établi : l’État moderne est un « État de
sédentaires », et non de nomades.
Avec son langage propre, parfois difficile à saisir, Maurice Hauriou décrit l’État
moderne comme un « État administratif » qui a pour principale qualité de disso-
cier la puissance publique des pouvoirs privés, d’isoler le service public comme
étant non seulement dirigé ou contrôlé par l’État, mais aussi comme gouverné
par une finalité d’intérêt général, par « des raisons d’utilité publique » (op. cit.,
p. 8). Il y a donc dans la fondation du droit administratif une dimension éminem-
ment politique qui consiste à postuler une autonomie de l’intérêt public, irréduc-
tible à l’addition des intérêts individuels. Bien qu’il se défende à maintes reprises
de vouloir un « régime collectiviste », Hauriou conçoit cependant le droit adminis-
tratif en étroite consonance avec le développement de l’État social qu’il interprète,
positivement, comme une extension des biens (et non des richesses) à tous les
individus. Le droit administratif devient alors, par la voie du régime administratif,
un vecteur de progrès social. L’intervention de l’État améliore la situation des plus
pauvres. Celui-ci apparaît comme un instrument d’émancipation des individus et
de concorde sociale.
Certes, nous dira-t-on, une telle conception de l’État chez Hauriou semble
occulter sa thèse la plus connue, à savoir que le droit administratif français est
un droit d’exception par rapport au droit civil, que c’est un droit fondé sur la
« prérogative » (op. cit., p. 102), que les droits de l’administration sont « d’action
directe ». C’est en cela qu’il se distingue du droit commun (du droit privé). Hauriou
a d’ailleurs une formule récurrente pour expliquer ce point : le droit administratif
se préoccupe plus « de l’exercice du droit que de la jouissance du droit », ce qui est
une autre manière de prétendre que ce droit privilégie les moyens exceptionnels
que l’État a d’imposer sa décision aux particuliers. Il est bien connu des spécia-
listes que la marque de fabrique d’Hauriou est d’avoir reconstruit l’ensemble du
droit administratif sur sa théorie de « la décision exécutoire ». Il le dit en termes
admirables dans sa préface de 1929 à son recueil de jurisprudence où il observe
que « la procédure par voie exécutoire » caractérise les actes de puissance publique
et donc le droit administratif (La jurisprudence administrative, tome I, Préface, op.
cit., p. VIII). Certes ! Mais ce serait une grave erreur que de ne pas voir le lien
entre ce moyen et la fin, entre la puissance publique et le service, « l’œuvre à
réaliser, le but » (F.-P. Bénoît, Le droit administratif français, Dalloz, 1968, p. 82,
n° 117). L’État est certes une puissance publique qui agit avec des moyens hors du
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Traité de droit administratif
administratif1. Selon l’hypothèse que nous proposons ici, les deux principaux
acteurs de ce mouvement d’élision de l’État en droit administratif sont Gaston
Jèze et Marcel Waline, leur travail ayant été poursuivi en ce sens par leur digne
héritier : Georges Vedel.
1. On suppose qu’un manuel de droit administratif, comme tout manuel de droit, se veut aussi une
réflexion sur la discipline enseignée…
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doctrines parce qu’il a essayé d’introduire l’idée des droits publics subjectifs dans
la doctrine française. Mais si l’on ouvre son manuel, on y découvre aussi l’affir-
mation du lien étroit de connexité entre le droit administratif et l’État. Ses propos
sont vigoureux : « Le droit administratif est une des branches du droit public. (…)
Plus encore que toute autre discipline juridique, le droit administratif se rattache
étroitement à la conception théorique du droit et de l’État. Tout exposé du droit
administratif procède nécessairement d’une certaine conception du droit et de
l’État. On ne peut pas arriver à une connaissance scientifique convenable du droit
administratif sans prendre appui sur une théorie du droit et de l’État » (Précis de
droit administratif, 3e éd., Paris, LGDJ, 1940, p. 21). Plus concrètement, selon l’au-
teur, on ne peut pas exposer correctement le droit administratif si l’on n’a pas
« pris partie (sic) (…) sur les idées de théorie de l’État : cela concerne d’une part,
la personnalité juridique et d’autre part, la souveraineté de l’État » (op. cit., p. 40).
Ce qu’il fait encore, même si c’est de manière cursive.
La doctrine administrativiste ne prendra pas la direction voulue par Bonnard,
mais celle de Jèze. Ce dernier recevra un renfort précieux dans sa mission de
« positivation » du droit administratif en la personne de Marcel Waline, un des plus
importants administrativistes français du XXe siècle qui partage avec Hauriou et
Jèze la qualité d’avoir été un remarquable arrêtiste (v. la préface de D. Labetoulle,
Notes d’arrêts de Marcel Waline, Dalloz, tome I, 2001).
18
L’État
nistratif est le droit produit par le Conseil d’État, d’ailleurs en réponse à l’extension
des attributions de l’État (op. cit., p. VII). Non seulement le droit de l’administra-
tion doit être étudié sous l’angle du contentieux, mais dans l’analyse des institu-
tions, des « organes » dit-on, l’élément déterminant n’est plus l’Administration, ni
l’État lato sensu, mais l’organe juridictionnel, à savoir le Conseil d’État.
Un des effets induits par ce changement de perspective est le renversement de
l’ordre des priorités. Désormais, comme on l’apprend en lisant l’introduction géné-
rale du manuel de Marcel Waline, ce n’est plus la question de l’État, qui intéresse
prioritairement les administrativistes, mais celle de l’autonomie du droit admi-
nistratif. Son manuel élémentaire débute par un premier chapitre visant à expli-
quer les « justifications et raisons d’être d’un droit administratif autonome » (op.
cit., p. 1). La grande question ne met plus en scène l’État, mais l’aménagement
interne de l’État : « Pourquoi y a-t-il un droit administratif autonome ? Pourquoi
n’applique-t-on pas le droit civil aux relations des administratifs et des citoyens ? »
(ibid.) Il faut à tout prix justifier la singularité de ce droit qui aurait pu être régi par
le droit commun (le droit civil) alors qu’il est composé de « règles particulières »
portant tant sur l’action de l’administration que sur la responsabilité et les contrats
(op. cit., p. 2). Or, ce qui explique ici la singularité française par rapport à d’autres
nations, et notamment la nation britannique, c’est certes l’existence d’un « régime
administratif », mais en dernière analyse, celui-ci, en tant que régime dérogatoire
au droit commun, n’existe que grâce à la juridiction spécialisée, le Conseil d’État,
qui a produit, historiquement, un droit autonome. Autrement dit, c’est l’existence
en France de deux ordres de juridictions (judiciaire et administratif) qui explique
l’autonomie du droit administratif. Le principe de séparation des deux ordres juri-
dictionnels devient l’alpha et oméga de ce droit. Il l’est même encore plus depuis
qu’on l’a, raffinement suprême, « constitutionnalisé » par la grâce d’une décision
du Conseil constitutionnel (Cons. const. n° 86-224 DC du 23 janv. 1987). Pour
Waline, il est clair que renoncer à ce principe de séparation serait « renoncer à la
juridiction administrative (et ce) serait du même coup renoncer au droit adminis-
tratif » (op. cit., p. 31). Le lien entre la juridiction administrative et le droit admi-
nistratif occupe désormais l’essentiel des considérations « théoriques » des juristes
de droit administratif. On pourrait assez aisément tracer la ligne de cette évolution
qui part de Waline pour aboutir à sa formalisation la plus remarquable qui est celle
du Que sais-je ? si marquant de Prosper Weil.
En outre, la lecture du Manuel révèle que Waline emprunte les pas de Jèze en
excluant l’analyse de l’État de l’examen des personnes morales de droit public.
Quand il évoque les sujets de droit administratif, c’est-à-dire l’organisation adminis-
trative française qui contient les personnes qui vont être soumises « à ses règles » (et
aussi les titulaires de droits et d’obligations résultant de ce droit), il évoque imman-
quablement les personnes morales, au premier rang desquelles figure l’État qualifié
de « principale personne morale de droit public » (Manuel élémentaire de droit admi-
nistratif, n° 399, p. 244). On s’attendrait donc à une description un peu précise
de l’État comme personne morale, mais l’auteur poursuit alors : « mais comme
cette étude fait en grande partie, l’objet des traités de droit constitutionnel, on se
19
Traité de droit administratif
bornera là encore (…) à quelques indications sur les administrations d’État » (ibid.).
Le problème, c’est que, déjà à l’époque où Waline rédigeait son manuel, la science
française du droit constitutionnel, sous l’égide de Joseph Barthélémy, cesse de s’in-
téresser à la théorie de l’État et à la théorie de la personnalité juridique de l’État
(O. Beaud, « Joseph-Barthélémy ou la fin de la doctrine constitutionnelle classique »,
Droits, n° 32, 2000, p. 89-108). Pour employer une métaphore contentieuse, l’État
est victime d’un « conflit négatif » entre les deux disciplines du droit constitutionnel
et du droit administratif. Aucune des deux ne se déclare compétente pour s’en
occuper. L’administrativiste se contente de décrire l’État du point de vue de son
organisation administrative, c’est-à-dire étudier les ministres et les départements
ministériels et également les rapports entre l’État et les autres organes administratifs
en distinguant entre la décentralisation et la déconcentration. Plus personne ne s’oc-
cupe de l’État comme personne publique. Seule l’œuvre de Georges Burdeau dans
la science du droit public continuera à s’intéresser à cette question de l’État comme
institution, mais il le fait dans son Traité de science politique qui est perçu comme un
ouvrage de science politique par ceux qui ne l’ont pas ouvert.
D’une certaine manière, l’œuvre de Waline traduit une radicalisation par rapport
à celle de Jèze. Dans son Avant-Propos de 1936, Marcel Waline se livre à une
profession de foi philosophico-juridique. Il concède que « tout exposé systématique
d’une branche quelconque du droit est nécessairement écrit en partant d’une
certaine conception du droit et de l’attitude du juriste en face du droit établi »
(op. cit., p. IX). S’appuyant explicitement sur l’œuvre de Jèze, il explique que sa
conception du droit est clairement positiviste. Il faut — écrit-il — borner l’office du
juriste de la doctrine à être un « rôle d’interprète, d’exégète et de commentateur »
(ibid.) sans qu’il veuille imposer ses opinions, ses valeurs au droit positif. Mais ce
qui est marquant, c’est moins cette profession de foi positiviste — assez classique
de l’époque — que la disparition, implicite et non justifiée, de la réflexion sur
l’État, cette théorie de l’État comme sorte de présupposé du droit administratif. Ici
la différence est nette entre Waline et Bonnard. On a pu commenter ces propos
en disant, non sans justesse, qu’ils parachevaient « la réduction considérable du
champ réflexif du lieu où se développeront les figures de la doctrine » (J.J. Bien-
venu, « Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine du droit
administratif », Droits, n° 1, 1985 p. 154).
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L’État
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L’État
4. Conclusion
Si les développements ne suffisaient pas à convaincre, on pourrait ajouter une
preuve empirique du fait que la « ligne Jèze Waline-Vedel » a relégué l’État et
doctrine classique dans les oubliettes de l’histoire. Il suffit de lire l’introduction du
Manuel précité de René Chapus pour s’en convaincre. On y apprend que les deux
professeurs auxquels il rend hommage et auquel il emprunte l’essentiel de son
argumentation, sont d’un côté son « maître », Marcel Waline (n° 8, p. 5), et d’un
autre côté, Georges Vedel. Rien de surprenant si l’on y réfléchit bien.
Excursus sur deux dissidents : Charles Eisenmann et Francis-Paul Bénoît — Il serait
exagéré de prétendre que la doctrine a suivi unanimement le courant « jézien »
évoqué plus haut. En effet, il est aux moins deux exceptions. La première est la
figure de Charles Eisenmann, un des auteurs les plus respectés en droit admi-
nistratif, souvent cité mais rarement lu. Quoique pourfendeur du crypto-jusna-
turalisme de Léon Duguit, l’auteur si remarqué des Cours de droit administratif
(LGDJ, 1982, 1983) a une vision de l’État qui se rapproche de celle de Duguit
par le fait qu’elle emprunte deux de ses traits à Émile Durkheim dont on sait le
rôle d’éveilleur qu’il eut pour l’œuvre de Duguit. Le premier trait commun, c’est
l’idée que « loin d’être une menace pour l’individu, le phénomène de croissance
de l’État est une chance pour lui » : tel est le « processus d’individuation de la
société »1. En droit moderne, le développement des libertés individuelles est insé-
parable de l’extension de l’État, de son intrusion, par le droit, dans la vie privée.
Par ailleurs, Eisenmann reprend aussi de Durkheim, cette idée que « l’État doit être
entendu comme une chose concrète, diffuse et complexe à la fois. L’État n’est pas
un concept a priori, une prénotion essentielle, globalisante. L’État, l’Administration,
ce sont d’abord des “hommes”. L’État n’est pas une vision du monde s’appliquant
à des individus, indépendamment d’eux » (N. Chifflot, Le droit administratif de
Charles Eisenmann, Dalloz, 2009). On verra plus loin qu’il a aussi pensé, à la suite
de Kelsen, la plurivocité des termes d’État (v. infra, Section 2).
Quant à Francis-Paul Bénoît, il est un des rares auteurs de la doctrine d’après-
guerre qui entend conceptualiser l’État. Dans son précieux manuel — malheureu-
sement si peu connu —, il considère qu’il existe en réalité « une double person-
nalité de l’État » de sorte que l’État, n’est pas du tout « un » ou « unique » au
regard du droit. Selon qu’on l’analyse du point de vue du droit constitutionnel
ou du point de vue du droit administratif, l’État change de nature. Il est l’État-
Nation quand ses missions correspondent aux « têtes de chapitre du droit consti-
tutionnel » (op. cit., p. 28, n° 32). De telles missions sont, d’une part, « l’émis-
sion des normes juridique primaires — constitution, loi, décret — et (la) concep-
tion et (…) l’action générale touchant aux affaires du pays, tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur (ibid.). À cette description fonctionnelle correspond un ensemble orga-
nique car ces missions sont réalisées par le Parlement et le Gouvernement » (op.
cit., n° 55, p. 43). Par opposition à ce type d’État, il existe l’État-Collectivité dont
1. Léo Hamon, « conclusion du colloque sur Charles Eisenman », in P. Amselek (dir.), La pensée juri-
dique de Charles Eisenmann, Paris, Économica, 1986, p. 413.
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Traité de droit administratif
les missions correspondent aux « têtes de chapitre du droit administratif » (op. cit.,
p. 28, n° 33). De telles missions sont celles de la police et des services publics
(op. cit., n° 33, p. 29) et correspondent à « tout un ensemble de services rendus
aux habitants » (ibid.). Juridiquement, le point déterminant, c’est que cet ensemble
de missions se caractérise par « sa subordination aux normes et aux directives
émanant des autorités de l’État-Nation » (op. cit., n° 33, p. 29). Ce dernier fixe
le cadre des activités administratives à réaliser par l’État-Collectivité. C’est donc
un principe de séparation fonctionnelle entre le Gouvernement et l’Administration
qui expliquerait cette double personnalité de l’État. L’analyse juridique correcte
devrait se traduire par « la dualité des personnalités, cet état du droit positif »
(op. cit., n° 34, p. 29). Il y a donc une tentative intéressante de décrire non seule-
ment les rapports entre le Gouvernement et l’Administration, mais de rapporter
la hiérarchie classique entre ces deux figures en inventant la double personnalité
de l’État. Celui-ci agit sous des masques différents et le droit administratif comme
objet de science ne décrit qu’une facette de l’État : celle de l’État-Collectivité. Ce
dernier terme est mal choisi, mais l’entreprise consistant à vouloir rebâtir le droit
administratif sur une conception matérielle de la fonction administrative mérite
d’être connue et discutée.
Pour conclure sur cette disparition de l’État de la scène du droit administratif, on
ne peut manquer de revenir sur la façon contemporaine de faire du droit adminis-
tratif. Celui-ci est désormais exclusivement étudié selon le prisme du contentieux,
c’est-à-dire selon la jurisprudence du Conseil d’État. Il est donc conçu comme un
droit largement prétorien. La discipline s’est fixée pour objet de décrire et d’ana-
lyser la jurisprudence administrative, celle principalement du Conseil d’État (v. « La
jurisprudence administrative » infra Chapitre VI, Titre II de cette partie). N’était-ce
pas déjà le cas déjà du droit administratif de Maurice Hauriou ? Ce dernier n’avoue-
t-il pas à la fin de sa carrière qu’il a pu refonder la discipline du droit administratif
grâce à sa lecture des arrêts du Conseil d’État et que sa propre conception est la
« conception contentieuse du droit administratif » empruntée à Édouard Lafer-
rière (v. Préface, La jurisprudence administrative, Tome I, op. cit., p. X) ? Ce n’est
donc pas la prépondérance de la vision contentieuse qui explique, à elle seule
cette déshérence de la notion d’État dans la doctrine administrativiste. On ne peut
manquer de s’interroger sur le lien possible entre disparition de l’État comme
thème de réflexion de la doctrine administrativiste et l’apparition concomitante
de ce que Jean-Jacques Bienvenu a appelé « l’idéal juridictionnel » selon lequel « la
doctrine répète a priori et a posteriori et de manière plus ample le scénario intel-
lectuel de l’acte juridictionnel » (op. cit., p. 154). La doctrine n’est plus en mesure
de penser son objet, le droit administratif, sans la béquille des arrêts du Conseil
d’État ; les notes d’arrêts ont de nos jours profondément changé de sens. Elles
n’ont plus rien à voir avec celles d’un arrêtiste comme Hauriou qui prenait le plus
souvent prétexte d’un arrêt pour éprouver sa pensée personnelle, sa théorie de
l’État par exemple, et la confronter avec les données du droit positif. Sans pouvoir
démontrer un lien de causalité entre les deux faits, on ne peut que constater la
concomitance entre le fait que la doctrine se comporte désormais comme large-
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L’État
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Traité de droit administratif
le droit administratif est une sorte de droit décentralisé dans lequel l’État occupe
une place déterminante, mais pas exclusive.
Le contraste entre le discours de la doctrine administrativiste et le discours officiel
de l’État — Plus que d’un oubli de l’État, ne devrait-on pas en partie parler d’une
sorte de dénégation de l’État ? En effet, on ne voudrait pas conclure ces dévelop-
pements sans marquer un certain étonnement devant le décalage saisissant qui
existe entre, d’un côté, le discours de la doctrine administrativiste qui, comme on
l’a vu, est désormais muette sur la question de l’État et, de l’autre, le discours offi-
ciel d’État, celui tenu par les responsables politiques, qui met l’État au centre du
droit administratif. Prenons par exemple, le discours qu’a tenu, devant l’assemblée
générale du Conseil d’État, le Premier ministre (M. Fillon) le 20 septembre 2010.
C’est un texte qui pourrait figurer dans une anthologie de science administrative1.
On y trouve tous les arguments qui font de l’État le pilier de la société française,
du droit administratif, son socle juridique le plus solide, et du Conseil d’État la
clef de voûte de tout l’édifice. Il condense les thèmes les plus récurrents de l’idéo-
logie étatiste qui sous-tend le droit administratif français et qui, malgré toutes les
évolutions récentes demeure sa marque : l’État est le garant de l’intérêt général,
le gardien des libertés il s’exprime, dans le domaine du droit administratif, par la
voix du Conseil d’État qui est à la fois le conseiller juridique de l’État et le créateur
d’une jurisprudence prétorienne qui fait les délices des commentateurs et l’admi-
ration de nombreux juristes étrangers. Même si l’on fait la part des circonstances
et du genre de ce type de discours, il faut bien convenir qu’il a pu être tenu par le
chef du Gouvernement, celui qui dirige aussi l’Administration de l’État.
1. http://www.gouvernement.fr/premier-ministre/discours-du-premier-ministre-a-l-assemblee-generale-
du-conseil-d-etat.
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SECTION 2
FRAGMENTS D’UNE THÉORIE DE L’ÉTAT
APPLIQUÉE AU DROIT ADMINISTRATIF
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Ainsi, par les liens étroits qui lient l’administration centrale aux administrations
décentralisées (territoriales, spéciales ou spécialisées), on peut soutenir que l’en-
semble constitué du réseau État central/collectivités locales correspond à un État
au sens de l’ordre juridique « global » ou « total » dont parle Kelsen, un peu comme
l’on dit, dans un tout autre domaine, que la fédération et les États-membres consti-
tuent un ensemble qu’on appelle la Fédération (O. Beaud, Théorie de la Fédération,
Paris, 2e éd., PUF, 2009, Chapitre 3).
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des idées politiques, 2011) et inciter la doctrine à revisiter la catégorie des fonctions
de l’État (v supra, Section 1). On essaiera, plus modestement, de proposer une
explication, un peu nouvelle, sur la genèse d’un tel changement et de tenter une
évaluation sur un phénomène que l’on peut juger ambivalent.
34
L’État
suspectant « des chaînes d’intérêts interférents » (J.-B. Auby, RFDA 2010. 932). La
question primordiale est donc simple : pourquoi cette soudaine défiance à l’égard
de l’administration classique ?
Sans prétendre à l’exhaustivité, on voudrait ici souligner un fait majeur — passé
sous silence par la doctrine administrativiste (sauf exceptions) — qui est la politisa-
tion de la haute fonction publique1. Ce fait peut jeter néanmoins une lumière sur la
naissance et le succès de la formule des AAI. La France avait la chance d’être dotée
d’une haute fonction publique impartiale qui, à l’instar du Civil Service anglais,
restait à l’abri des soubresauts politiques. D’une certaine manière, la Ve République
a profondément modifié ce point. Dans un premier temps, la V e gaulliste, qui est
en partie une « République des fonctionnaires », a vu apparaître des ministres tech-
niciens, non parlementaires, qui étaient souvent des anciens hauts fonctionnaires.
Ce changement a commencé à brouiller la frontière entre l’administration et le poli-
tique. Mais la véritable rupture a eu lieu en 1981 avec la grande alternance lorsque
la gauche arrive au pouvoir après vingt ans de domination exclusive de la droite,
ce qui a conduit à un inévitable renforcement de la politisation de l’administration,
corollaire de la présidentialisation du régime constitutionnel. Un tel phénomène a
été amplifié par la série d’alternances politiques qui a eu lieu entre 1981 et 2002.
Alors que les cabinets ministériels ont pris une importance encore plus grande, les
nominations aux grandes directions des administrations centrales ont été de plus
en plus politiques, en raison notamment de la pression exercée par les partis poli-
tiques (que le général de Gaulle avait voulu en vain mettre à l’écart de son système
institutionnel). On a commencé à parler d’un « spoils system à la française » qui
n’existait pas auparavant et à mettre en doute l’impartialité de la fonction publique.
N’est-ce pas ce phénomène que Jean Rivero, observait en 1988 : « Peut-être ont-ils
[législateur et gouvernements] perçu que la dépendance à l’égard des partis, des
attitudes politiciennes sont mal ressenties par l’ensemble de l’opinion et peuvent
risquer d’aller à l’encontre de l’État de droit » (op. cit., p. 310) ? Le rapport avec
le développement des AAI est évident. Certes, la première AAI concerne l’auto-
rité protégeant les données informatiques et contrôlant les fichiers (la CNIL, loi du
6 janvier 1978), mais le secteur de prédilection de ces AAI a été celui de l’audiovi-
suel. Il fallait sortir de l’ère gaulliste où l’ORTF était la voix de la France. La grande
alternance s’est soldée du point de vue institutionnel par la naissance de la Haute
Autorité de l’Audiovisuel qui, après maintes péripéties, est devenue le Conseil supé-
rieur de l’audiovisuel. La composition de l’institution était le point clé et on a voulu
rétablir dans ces instances une sorte de pluralisme politique qui semblait mis à mal
par la politisation, affichée ou rampante, de la fonction publique. Les AAI sont alors
apparues comme un Sésame institutionnel.
Résumons : en créant des autorités administratives indépendantes, on a voulu
remettre des institutions impartiales dans le système administratif français. Pour-
quoi a-t-on fait « compliqué » alors qu’on faisait « simple » auparavant ? Comme
1. Une autre hypothèse mériterait d’être creusée : la perte de centralité du ministère et du ministre
dans le fonctionnement de l’Administration française.
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Traité de droit administratif
les autorités politiques ont cessé de croire à l’efficacité de l’État administratif clas-
sique et à l’impartialité de la fonction publique, elles ont promu la mystérieuse
notion de « régulation » aux contours si flous, et confié la gestion de ces affaires à
des « dilettantes » du point de vue administratif, mais censés être indépendants. Il
resterait à vérifier empiriquement si ce pari a été entièrement gagné et si les AAI
gèrent de façon plus neutre et impartiale des affaires sensibles que ne le faisaient
jadis soit l’administration ministérielle soit le juge administratif1. Certaines affaires
récentes en matière de régulation économique laissent penser que la réponse
n’est pas forcément positive (voir l’affaire de l’EADS et de l’AMF judicieusement
rappelée par J.-L. Autin, « Une rationalisation impossible ? Le devenir des autorités
administratives indépendantes », RFDA 2010. 878).
1. Il manque des monographies scientifiques sur les AAI. Il n’y en aura probablement pas tant on
connaît la tradition du secret dans l’Administration française. Dommage !
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L’État
sable d’autorités sur lesquelles il n’a pas ou, du moins, n’a que peu de pouvoirs ? Il
semble, en effet, paradoxal que la responsabilité du gouvernement soit complète,
alors que son contrôle est partiel. » (Q. Epron, op. cit.). Laissant ici de côté une
récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui a attiré l’atten-
tion de la doctrine française (CJUE, 9 mars 2010, Commission c/ Allemagne, aff.
C-518/07 ; v. J. Ziller, « Les autorités administratives indépendantes entre droit
interne et droit de l’Union européenne », RFDA 2010. 5 et Q. Epron, op. cit.), on
voudrait ici se concentrer sur le droit interne.
Les AAI ont été fondées sur l’idée qu’il fallait donner une « compétence propre »
(v. sur ce point et l’articulation avec l’art. 20 Const., P. Wachsmann, « Sur l’indé-
pendance des autorités administratives d’État », in Mélanges Autin, à paraître) à
des corps collectifs dont on a dit qu’ils devaient être indépendants du pouvoir
politique. Il est alors difficile de prétendre que le Gouvernement peut être déclaré
responsable de décisions sur lesquelles il n’a aucune prise directe. Dès lors, on voit
mal comment une véritable responsabilité politique peut actuellement être mise en
œuvre en cas de dysfonctionnement de ces institutions. Certains rapports critiques
des assemblées parlementaires (Sénat, 2007, AN rapport Dosière et Vanneste,
2010 ; v. Epron op. cit.) témoignent à leur manière de l’inquiétude des parlemen-
taires de voir l’action d’un segment de l’exécutif échapper, de facto, à leur contrôle.
On ne peut pas ignorer la contradiction qui gît au fondement de cette institution :
les AAI ont du pouvoir, mais leurs membres sont, en réalité, irresponsables. Or, ici
comme ailleurs, il est malsain de voir se développer des poches d’irresponsabilité.
En outre et surtout, une institution dont la légitimité repose sur la seule « crédibi-
lité personnelle de leurs membres » (P. Sabourin cité par G. Timsit, op. cit., p. 316)
est fragile. Une telle crédibilité n’est pas si certaine en raison du mode de nomi-
nation discrétionnaire qui peut prêter à discussion. En effet, la multiplication des
personnes nommées à ces postes « indépendants » renforce considérablement le
« pouvoir de patronage » (M. Hauriou) des hommes politiques et accroît le clienté-
lisme. Or, un « client » n’est pas forcément un administrateur compétent et impar-
tial. Il peut être un ancien élu politique auquel on accorde désormais un poste
pour le récompenser des services passés ou le caser après une défaite électorale.
Il peut être un ami, ou un favori, etc. Enfin, le grand perdant de cette évolution
est le citoyen contribuable : le pouvoir de clientèle coûte cher à la collectivité. Le
Parlement n’a pas manqué de s’inquiéter des excès budgétivores de certaines AAI.
Cette prétendue impartialité est désormais acquise à un prix élevé, en raison de la
vieille coutume française selon laquelle on surajoute toujours des institutions aux
autres, sans songer à supprimer les anciennes.
À un moment où une certaine reprise en main autoritaire de certains secteurs
(audiovisuel, Défenseur des droits) par l’Exécutif se fait jour, il est probablement
maladroit de trop jeter le discrédit ou la suspicion à l’égard des AAI d’autant plus
que les spécialistes de la question s’accordent à reconnaître qu’elles ont connu
des « réussites incontestables » (J.-L. Autin, RFDA 2010, op. cit.). Mais le devoir de
lucidité conduit à affirmer que le changement des modes d’action de l’État que
ces autorités reflètent n’est pas sans poser certains problèmes pour la gestion
37
Traité de droit administratif
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L’État
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Traité de droit administratif
professionnels », mais qui ne doit pas être dénaturé. Le Conseil d’État veille à ce
que ses limitations en empêchent « un usage abusif ou contraire aux nécessités de
l’ordre public ». Il n’y a d’ailleurs pas de véritable conciliation en l’espèce puisque
le Conseil d’État considère que la grève envisagée, si elle était reconnue, « porterait
une atteinte grave à l’ordre public ». C’est bien, in concreto, l’interdiction, c’est-à-
dire le principe de continuité des services publics, qui prévaut sur le droit de grève
En réalité, derrières ces expressions classiques (« nécessités de l’ordre public »
ou « continuité des services publics »), ce qui est ici en jeu, c’est la défense de l’État
contre un usage du droit de grève des fonctionnaires jugé abusif par le Gouver-
nement (qualification validée par le Conseil d’État). Certes, le mot d’État n’appa-
raît pas une seule fois dans l’arrêt, mais il suffit de lire les conclusions Gazier et la
note de Marcel Waline pour prendre conscience de la forte « densité étatique » de
cette affaire, pour comprendre donc que l’État « sature » littéralement cette déci-
sion. Le commissaire du Gouvernement écarte les deux solutions extrêmes : d’une
part, celle défendue par les syndicats de fonctionnaires qui défendent un droit
de grève sans aucune limitation (droit absolu et non relatif), et, d’autre part, celle
diamétralement opposée de l’illicéité par principe d’un tel droit de grève accordé
aux fonctionnaires (qui était l’état du droit positif avant la guerre). La solution
intermédiaire proposée par M. Gazier, retenue par la décision, s’inspire de l’avis
du Conseil d’État rendu le 12 juin 1948 qui interprète la disposition en cause du
Préambule de la Constitution dans le sens du balancement (vu plus haut), à cette
différence près que la sauvegarde ici envisagée est celle « des intérêts essentiels de
la nation » (cité par Gazier, concl., Dalloz, Notes d’arrêts, op. cit., p. 669).
Le mot « nation », qui a disparu dans la décision juridictionnelle, nous met ainsi
sur la voie de l’État car comme on le sait, la nation, en droit public français, est
souvent employée pour décrire l’État. Il apparaît à la lecture des conclusions que
la défense de l’État est au cœur de l’argumentation du commissaire du gouverne-
ment. Le plus intéressant dans cette décision tient à cette minoration des consi-
dérations juridiques « ordinaires », comme l’avoue M. Gazier avec une franchise
inhabituelle dans ses conclusions : « Ce sont des considérations moins juridiques,
mais plus pressantes, encore que beaucoup plus difficiles à peser, qui vont dicter
notre choix » (op. cit., p. 668). Lesquelles sont-elles ? Il ne s’agit rien de moins que
l’urgence qui est ici accouplée à la nécessité de défendre l’ordre public, l’ensemble
étant avancé pour rejeter la prétention des syndicats de fonctionnaires. Face à
cette revendication d’un droit absolu de grève, le commissaire du gouvernement
use d’un langage d’une parfaite clarté : « il n’est pas possible à l’État de l’accepter.
Ce serait là signer sa démission. Le Gouvernement seul, et non pas les syndicats,
organismes privés qu’ignore la Constitution, est responsable devant les représen-
tants de la Nation de la bonne marche des services publics. Admettre sans restric-
tion la grève des fonctionnaires, ce serait ouvrir des parenthèses dans la vie consti-
tutionnelle et, comme on l’a dit, consacrer officiellement la notion d’un État à
éclipses. Une telle solution est radicalement contraire aux principes les plus fonda-
mentaux de notre droit public. Vous ne sauriez vous arrêter (ibid.). La formule
« d’un État à éclipses » a eu du succès et d’ailleurs à juste titre car elle montrait
40
L’État
bien l’absurdité d’un État qui ne serait plus soumis à la règle de la continuité, dont
l’une des applications est la règle de continuité des services publics. Mais ce qui
est le plus important dans cette argumentation est le fait que la seule autorité qui
est habilitée à représenter l’État est le Gouvernement, et non pas les syndicats.
L’unité de l’État, c’est l’unité de sa représentation, comme l’avait bien vu Hobbes.
Par ailleurs, Marcel Waline a tout à fait raison de voir dans cet arrêt une sorte
de prolongement du fameux arrêt Heyriès sur les circonstances exceptionnelles
qui ont légitimé cette sorte d’aberration juridique par laquelle un décret peut se
substituer à la loi, tordant le principe de légalité au profit de l’urgente nécessité.
En raison du « péril national » engendré par ces grèves à répétition fomentées par
le parti communiste, et au cours desquelles note Waline, une partie de la force
publique faisait cause commune avec les émeutiers, il fallait donc admettre la
« légitime défense de l’État » comme l’a écrit Hauriou dans sa note sous l’arrêt
Heyriès. Mais Waline est encore plus explicite dans sa note sous l’arrêt Dehaene.
Il observe : « On dira qu’il y a là un principe bien dangereux, faisant prévaloir
la raison d’État sur la légalité. Toutefois, réfléchissons-y : toute la légalité tombe-
rait d’un seul coup si l’État disparaissait. Et l’État est dans la conjoncture présente,
menacé de disparition, tout au moins l’État tel que nous le connaissons, c’est-à-
dire l’État national. Et la grève générale, spécialement celle des services publics,
est précisément l’une des armes les plus redoutables des ennemis de l’État. »
(op. cit., p. 664). Ainsi, l’État apparaît tout bonnement comme ce qu’il est : la
condition d’existence de la légalité. Ce système normatif, extrêmement sophis-
tiqué, de la légalité risque de s’effondrer si l’État est divisé, rongé par la guerre
civile. Waline y fait allusion quand il parle de « l’État national » et des « ennemis de
l’État » (qui sont les communistes à l’époque). On retrouve le langage du décision-
nisme : Waline fait du Carl Schmitt sans le savoir, Schmitt étant ce juriste allemand
sulfureux qui a défini la souveraineté comme la décision prise pour instaurer l’état
d’exception (Théologie politique, 1922, traduction française, Gallimard, 1988).
Mais Marcel Waline va encore plus loin dans son raisonnement. Cette préémi-
nence de la défense des intérêts de l’État par rapport aux droits et libertés serait
justement l’un des traits caractéristiques du droit administratif. Plus exactement,
le Conseil d’État en tant que gardien de l’État serait moins soumis que les juridic-
tions judiciaires au respect de « la stricte application des déductions juridiques ».
Waline emprunte, presque naturellement, le langage d’Hauriou et des membres
du Conseil d’État pour justifier cette entorse aux principes juridiques : « si les
procès de droit administratif devaient être jugés selon exactement les mêmes
méthodes et les mêmes habitudes de raisonnement que les procès civils, il n’y
aurait pas besoin de juridictions administratives. Ce qui distingue fondamentale-
ment le droit administratif du droit privé, c’est qu’y intervient à chaque instant, de
façon plus ou moins apparente, mais toujours au moins comme en filigrane, l’idée
de la primauté de l’intérêt public, ou tout au moins des intérêts publics primor-
diaux, comme disait l’arrêt Marc du 3 juin 1908. » (op. cit., p. 664). Comment
peut-on mieux énoncer cette défense de l’État, ou plus exactement cette dépen-
dance du droit administratif par rapport à l’État ? Cette prééminence de l’intérêt
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Traité de droit administratif
public est toujours latente, prête à être « révélée » par l’événement, par la circons-
tance extraordinaire, ou l’urgence, qui vient bousculer la légalité et qui vient super-
poser à cette légalité ordinaire, cette « légalité supérieure » (« superlégalité » dira
Hauriou, Note sous l’arrêt Heyriès), bouleversant complètement la hiérarchie des
normes). L’État — ou si l’on veut sa légitime défense pour être précis — surgit
ainsi, en deus ex machina, sollicité par les juristes de droit public qui ne raisonnent
pas comme les juristes de droit privé. Ceux-ci sont attachés à la lettre du texte, à
leur Code civil et font des délices de l’exégèse des articles et alinéas du Code. Ils
soupçonnent parfois le droit administratif d’être une sorte de raison d’État mise
en forme par le Conseil d’État. Mais il est rare que les privatistes aient à trancher
le problème juridique posé par une grève générale décidée par un parti politique
qui veut dresser les fonctionnaires, une partie d’entre eux qui lui sont inféodés,
contre l’État lui-même…
Bref, l’arrêt Dehaene permet de faire comprendre que le droit administratif a
partie liée avec l’État, qu’il est même intimement mêlé à sa défense en tant que
l’État est le gardien de l’ordre public. Même si le langage du droit recourt à des
périphrases telles que « la sauvegarde de l’intérêt général » ou « atteinte grave à
l’ordre public », nécessités de l’ordre public » (arrêt Dehaene) ou « intérêts essen-
tiels de la nation » (v. l’avis précédent du Conseil d’État) ou encore « prééminence
de l’intérêt public » (Waline), c’est toujours de l’État qu’on parle. De cet État qui,
quand il est menacé par ses « ennemis », reconquiert ipso facto le droit de défendre
son existence, y compris en tordant la légalité, entorse que le Conseil d’État « régu-
larise », si l’on veut, en invoquant des principes supérieurs qu’il qualifie au gré des
circonstances. Le droit administratif enseigne alors le lien profond qui unit le droit
public moderne à cette finalité qui est le salut public considéré prioritairement
comme la défense de l’ordre public. Pour qu’il y ait du droit, il faut un État, et non
pas un état de nature. Bien que le lien puisse paraître ténu avec l’arrêt Dehaene, il
existe, mais il est simplement voilé par ce processus d’euphémisation du langage,
décrit plus haut, en vertu duquel on n’ose plus mettre derrière des formules appa-
remment neutres (ordre public, salut public), le visage de l’État comme pouvoir
souverain.
Si l’on devait conclure sur ce point, il faudrait souligner la logique de la souve-
raineté qui est sous-jacente à cette idée selon laquelle l’État est le gardien de
l’ordre public. Un moyen d’exprimer cette logique est de réfléchir à la fameuse
formule de Max Weber selon laquelle la puissance publique doit toujours être en
mesure d’exproprier « les puissances privées indépendantes » (Le savant et le poli-
tique, traduction française, Paris, Plon, 1959, p. 107). Selon Weber, l’État moderne
apparaît comme le produit d’un procès qui a vu un certain type de communauté
(consacrée comme la communauté politique par excellence) monopoliser l’exer-
cice de la contrainte légitime au détriment de diverses « communautés de droit »
(Rechtsgemeinschaften), puissances féodales, ordres, Églises, villes, etc… Celles-ci
assuraient jadis à leurs membres la garantie de droits particuliers qui étaient des
privilèges, au sens de droits statutaires. En d’autres termes, l’État moderne a mis
fin à une sorte de pluralisme anarchique puisque ces multiples « communautés de
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L’État
43
Traité de droit administratif
(CE, sect., 27 févr. 2004, Popin, GAJA, n° 113, p. 858) dans lequel le Conseil d’État
use sans détour du langage de la souveraineté de l’État. La requérante, professeur
des universités, a été l’objet d’une sanction disciplinaire prononcée en première
instance par le conseil disciplinaire de son université, mais elle a été ensuite
relevée de cette sanction en appel devant la juridiction nationale. Elle se retourne
alors contre son Université qui l’a sanctionnée en lui demandant le versement de
dommages-intérêts. Toutefois, le Conseil d’État rejette sa demande en responsabi-
lité au motif qu’elle est mal dirigée car elle aurait dû se tourner vers l’État qui est
déclaré seul responsable de l’exercice de la fonction juridictionnelle par les juridic-
tions administratives, que celles-ci soient spécialisées ou non. La solution est d’au-
tant plus originale que l’Université a la personnalité juridique depuis la loi Faure
de 1968 et qu’il paraît a priori normal que l’auteur de la sanction disciplinaire,
l’Université, soit sanctionné si sa décision est annulée en appel. Mais à l’encontre
de cette considération organique, qui repose sur l’existence de deux personnalités
morales distinctes (l’Université et l’État), le Conseil d’État se fonde sur une consi-
dération relative aux fonctions de l’État. « Parce que « la justice est rendue de façon
indivisible, au nom de l’État », seul l’État doit répondre « à l’égard des justiciables
des dommages pouvant résulter pour eux de l’exercice de la fonction juridiction-
nelle assurée sous le contrôle du Conseil d’État, par les juridictions administra-
tives ». La décentralisation fonctionnelle par services en vertu de laquelle l’Univer-
sité est autonome ne peut pas remettre en cause le noyau de la souveraineté de
l’État qui réside dans la trilogie fonctionnelle : la fonction législative, la fonction
exécutive et la fonction juridictionnelle. La théorie des droits régaliens est donc
modernisée au profit de la théorie des fonctions juridiques de l’État. Ces fonctions
étatiques ne sont jamais attribuées complètement aux autorités décentralisées ;
elles leur sont seulement concédées, sous réserve de la souveraineté de l’État. On
croirait en partie relire du Jean Bodin qui répète à longueur de pages que la souve-
raineté du Roi ne se « communique » pas aux magistrats. Dans ses conclusions,
Rémy Schwartz justifie ainsi une telle monopolisation de la justice aux mains de
l’État : « notre histoire juridique et politique — écrit-il — a fait de la justice, quel
que soit son organe chargé de la rendre, l’expression de la volonté du peuple,
dans le cadre de l’exercice de la souveraineté nationale par nature indivisible (…).
La République française ne connaît qu’un peuple, qu’une souveraineté et qu’une
justice » (cité in GAJA, p. 860).
Au-delà ce discours qui, à l’image de beaucoup d’autres, confond un peu vite
peuple avec État et république avec État, il faut bien saisir le point nodal de l’ar-
gumentation : la justice, et il faut prendre ce mot dans son sens matériel (et non
organique), c’est-à-dire la fonction juridictionnelle consistant à trancher des litiges
avec l’autorité de l’État, appartient exclusivement à l’État. Depuis la Révolution, on
ajoute que la justice est rendue au nom du peuple français, mais cela n’a pas de
portée juridique réelle ; il s’agit seulement d’un argument de légitimité. Du point
de vue de la théorie de l’État, l’argument central réside dans cette affirmation sans
nuances de l’unicité de la justice. Autrement dit, si l’exercice de la justice « universi-
taire » est attribué aux universités, le pouvoir de rendre la justice en soi appartient
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L’État
en propre à l’État et à lui seul. Mais l’État unitaire concentre aussi les deux autres
fonctions juridiques (législation, exécution). Ainsi, selon le sens donné à l’indivisi-
bilité de la souveraineté, les trois fonctions hautement régaliennes sont détenues
par l’État et par lui seul, et il ne peut pas en « déléguer » l’exercice à des tiers, ou
si l’on veut, il ne peut en déléguer l’exercice que sous la réserve qu’il conserve
le droit de reprendre le contrôle sur cette fonction déléguée (ici aux juridictions
administratives spécialisées qui agissent sous le contrôle de la justice administra-
tive). C’est à ce titre qu’il est jugé responsable de son mauvais fonctionnement,
même si cette fonction a été exercée par une personne tierce à qui l’État a confié
cette fonction. On pourrait dire aussi que l’État stricto sensu est responsable des
fautes commises par ses « démembrements » (par l’État lato sensu).
Élargissons maintenant le propos. Si l’on veut comprendre le sens de cette
unicité de la justice et de cette indivisibilité de la puissance de l’État, dont la fonc-
tion juridictionnelle est un des éléments, il faut savoir ce qu’est l’État unitaire,
dont la France est un des meilleurs exemples. Georges Burdeau en a donné une
parfaite définition, mais en lui donnant un autre nom : « L’État centralisé est celui
dans lequel aucune des collectivités composantes, qu’elles soient de caractère
géographique, sociologique, professionnel, religieux ou autre, ne peut faire valoir
un droit propre à l’établissement des règles qui la concernent » (G. Burdeau, Traité
de science politique, tome II, L’État, p. 373). C’est donc l’État qui dénie à tout grou-
pement humain le droit à une sorte d’auto-gouvernement et qui revendique avoir
le monopole d’interpréter le bien public. On peut emprunter à Maurice Hauriou
ce qui est probablement la meilleure description juridique de l’État unitaire qui
se caractérise par « la centralisation politique qui, en fait, conduit à l’unité du
droit ou de la loi dans le pays (unité de législation) » (Précis de droit adminis-
tratif, 11e éd., op. cit.). L’unité du droit suppose donc aussi bien l’unité de la loi
que l’unité de la justice. Ainsi, la décentralisation est toujours possible du point
de vue de l’administration car la décentralisation administrative respecte l’unité
de la loi. En revanche, elle est impossible du point de vue politique : les autorités
décentralisées, soit territoriales, soit fonctionnelles, n’ont ni pouvoir législatif, ni
pouvoir juridictionnel.
On ne manquera pas de souligner l’assimilation entre l’unicité de la justice et
l’unicité de la législation, véritables piliers de l’État unitaire qui entend conserver,
malgré tout, un monopole de la production du droit. Alors que la révision consti-
tutionnelle de 2003 a constitutionnalisé le principe de libre administration des
collectivités locales, elle n’a pas rompu avec ce principe de l’unité de législation.
La timide exception que l’article 72 al. 4 ouvre en leur permettant de « déroger,
à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions légis-
latives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences » est très
bien encadrée. Il faut un texte législatif ou réglementaire qui les habilite expres-
sément à entreprendre cette action dérogatoire et cette innovation ne doit pas
porter atteinte aux droits et libertés garantis par le droit national. Comme l’a dit
un commentateur avisé, « pas question naturellement, qu’il existe un Code civil
breton, un Code pénal alsacien, ni horresco referens un Code général des impôts
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Traité de droit administratif
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L’État
gation de mieux assurer la salubrité publique (CE 15 juill. 1902, Marc et chambre
de copropriétaires, concl. Teissier, Hauriou, Jurisprudence administrative tome II,
p. 563 s.). C’est aujourd’hui de plus en plus le cas pour la police de la tranquil-
lité publique (v. pour l’exemple de la réglementation des nomades, des gens du
voyage, Nathalie Wolff, La tranquillité publique et les polices administratives, thèse,
Paris I, 2008, n° 514 s.) ou pour d’autres polices spéciales (environnement). La
supériorité de l’État sur les collectivités locales est ici éclatante. Ce n’est pas la
jurisprudence, mais la loi qui apparaît comme le révélateur d’une telle domination
étatique. Si cet exemple pouvait inciter les administrativistes à étudier de nouveau
la loi, cette source de droit trop méconnue, et si éclairante pour comprendre ce
qu’est un État unitaire, il n’aurait pas été pris en vain.
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Traité de droit administratif
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L’État
Vichy a, indépendamment du IIIe Reich (v. infra, B), organisé la déportation des
juifs, et pour laquelle il peut appeler l’État en garantie. La question juridique-
ment délicate était celle de savoir si l’on pouvait imputer à l’État français les fautes
commises par le régime de Vichy. Délicate parce que l’on estimait qu’une certaine
jurisprudence antérieure du Conseil d’État avait répondu par la négative. Dans un
arrêt souvent cité de 1952 (CE, ass., 4 janv. 1952, Époux Giraud, Lebon 14), celui-
ci avait jugé qu’une assignation à résidence prononcée par un préfet sur le fonde-
ment d’une loi déclarée nulle en application de l’ordonnance de 1944 ne pouvait
ouvrir droit à indemnité « en l’absence d’un texte législatif déterminant les condi-
tions dans lesquelles les victimes de tels actes pourraient prétendre à réparation ».
Depuis lors, on semblait interpréter l’ordonnance de 1944 comme ayant eu pour
effet, sinon pour objet, de rendre l’État irresponsable pour les actes arbitraires
commis par Vichy (tant qu’il n’y avait pas de texte spécifique prévoyant l’indem-
nisation). Plus exactement, le Conseil d’État considérait que les dommages causés
par Vichy ne pouvaient être réparés qu’en vertu du droit spécial de la responsa-
bilité pour dommages de guerres (loi de 1946) — droit très restrictif car il faut
une loi expresse pour déroger au principe d’irresponsabilité de l’État — et que la
responsabilité de droit commun ne leur était pas applicable.
Dès lors, pour arriver à déclarer responsable l’État pour la faute de service
liée à l’organisation de la déportation des juifs en France, la Haute juridiction,
dans l’arrêt Papon, a dû surmonter cette jurisprudence restée énigmatique pour
la doctrine. Elle y est parvenue en donnant une autre interprétation de l’ordon-
nance précitée du 9 août 1944, jugeant que ses dispositions prévoyant la nullité
de certains actes de Vichy, ne « sauraient avoir pour effet de créer un régime d’ir-
responsabilité de la puissance publique à raison des faits ou agissements commis
par l’administration française dans l’application de ces actes, entre le 16 juin 1940
et le rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ». En
d’autres termes, loin d’infirmer l’idée classique selon laquelle l’illégalité peut être
constitutive d’une faute, l’ordonnance de 1944 ne ferait que la confirmer. Au lieu
d’exclure la responsabilité de la puissance publique, la nullité des actes l’appelle ou
l’implique en raison de sa gravité. C’est cette évidence — curieusement méconnue
en 1952… — que le Conseil d’État rappelle, et qu’il répétera sept ans plus tard,
encore plus fermement (Hoffman Glemane), renforçant le sentiment éprouvé par
Waline selon lequel l’arrêt Époux Giraud était un cas « inexplicable d’irresponsabi-
lité » (in Note d’arrêts, tome II, op. cit., n° 215).
Mais l’intérêt de l’arrêt, pour ce chapitre, se situe plutôt du côté de l’impu-
tabilité de la faute et des faits à l’État. La réponse fournie par l’arrêt Papon ne
souffre d’aucun doute : le Conseil d’État reconnaît que « la faute de service
analysée ci-dessus engage (…) la responsabilité de l’État » de sorte que ce dernier
devra contribuer à prendre à sa charge une partie (la moitié en fait) du montant
des condamnations civiles imposées à M. Papon. Pour autant, la responsabilité
de l’État n’allait pas de soi pour deux raisons. La première tenait à la nature du
Gouvernement de Vichy et la seconde à l’importance du rôle de la puissance occu-
pante dans la déportation.
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L’État
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Traité de droit administratif
(F. Melleray, « Après les arrêts Pelletier et Papon » AJDA 2002. 838). Comme l’a
rappelé le commissaire du gouvernement, « en droit et en fait, il n’existe pas
moins une continuité entre ces différentes périodes de l’histoire de notre pays.
La République a conservé à son service les agents qui avaient servi Vichy, à l’ex-
ception de ceux, bien sûr, qui ont fait l’objet de mesures d’épuration. Elle s’est
appuyée sur les mêmes structures, notamment au niveau territorial. Elle a même
repris à son compte une large partie du corpus normatif élaboré par le Gouverne-
ment de Vichy après avoir, il est vrai, constaté la nullité des actes contraires aux
principes fondamentaux qui la fondent. (…) Au nom même de cette continuité,
nous pensons que l’État républicain ne peut échapper à l’héritage de Vichy. Il est
tenu d’assumer toutes les conséquences de l’action présente et passée de ses
services, même lorsque ces services, agissant sous la tutelle d’autorités illégitimes,
ont commis de graves illégalités. » (RFDA 2002. 590). Toutefois, on observera que
ni Mme Boissard, ni le Conseil d’État, n’ont usé du mot d’État pour qualifier le
régime de Vichy. Ici encore, les périphrases comme « les services » ou « l’admi-
nistration française » servent à désigner tout autant qu’à masquer la présence de
l’État. On notera également que le commissaire du gouvernement oppose « l’État
républicain » à Vichy, mais constate néanmoins que la continuité les relie puisque
le second ne peut se débarrasser de l’encombrant héritage du premier. On notera
enfin que c’est seulement de façon implicite que le Conseil d’État reconnaît l’im-
putabilité à l’État de la V e République des faits et agissements du régime de Vichy.
En déclarant que les actions commises par Vichy « engage(nt) la responsabilité de
l’État », il a donc implicitement, mais nécessairement, admis la continuité de l’État
et donc rejeté la thèse de la discontinuité.
Si l’arrêt Papon, rendu conformément aux conclusions, tranche ainsi cette
question, il a néanmoins complètement esquivé le problème de fond posé par
une possible imputation à l’État français des « actes de l’autorité de fait se disant
“gouvernement de l’État français” ». D’abord, en éludant l’expression de « conti-
nuité de l’État » alors que cette notion pouvait clairement expliquer que l’État
apparaît comme étant à la fois l’auteur de l’acte ou du fait dommageable et le
débiteur de l’obligation. Pour réduire l’effet produit par le décalage temporel (exis-
tence de deux acteurs, Vichy et la V e République), il faut en passer par le détour de
l’artifice juridique et traiter l’État comme une institution ou comme une personne
juridique, de sorte qu’il jouit de la durée et de la permanence (v. infra). Ensuite et
surtout, davantage que le silence sur la continuité de l’État, c’est l’impasse faite,
dans les conclusions, sur la véritable raison de cette continuité, qui surprend.
Pourquoi l’État républicain doit-il recevoir en héritage — si l’on peut dire — les
« dettes » de Vichy ? La raison est d’ordre constitutionnel, et non administratif. En
effet, derrière cette affaire de la continuité de l’État gît la distinction entre forme
de gouvernement et forme d’État. Cela ressort quelque peu du commentaire des
grands arrêts où l’on apprend que l’arrêt Papon « empêche d’admettre l’irrespon-
sabilité au prétexte de la succession des régimes politiques » (GAJA, n°1, p. 840),
et que la thèse gaullo-mitterrandienne de la discontinuité ignore « l’unité et la
continuité de l’État, quelles que soient les variations de son organisation » (GAJA,
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L’État
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Traité de droit administratif
raison pour laquelle la formule d’un « État républicain » employée par le commis-
saire du Gouvernement, dans les conclusions sur l’arrêt Papon, est très maladroite.
Du point de vue de l’État, il n’y a pas de différence de nature entre un État républi-
cain et un État non-républicain ou antirépublicain. Les deux sont des États, même
si, du point de vue politique et constitutionnel, la différence est cruciale entre la
République et la dictature. Même si le sens commun peut être choqué par le fait
qu’une République doit payer les dettes d’une dictature ou se voir transmettre
ses obligations, la continuité de l’État l’impose. Et si celle-ci l’impose, c’est pour
permettre de réparer les préjudices causés aux victimes qui, elles, n’ont pas eu
le choix, et ne peuvent pas faire autrement que s’adresser au régime politique
succédant au régime les ayant opprimées. Ce qui vaut pour Vichy valait aussi
au XIXe siècle quand la république succédait à la monarchie, et vice versa. Il est
donc erroné, selon nous, de reprocher au Conseil d’État d’avoir, dans l’arrêt Papon,
« (banalisé) tous les régimes et fait comme si plus aucune différence ne séparait un
régime dictatorial d’un régime démocratique » (M. Verpeaux, op. cit., p. 525). Il ne
pouvait pas faire autrement dès lors qu’il admettait la responsabilité de l’État. Ce
qu’on peut lui reprocher, en revanche, c’est de l’avoir fait si tard et d’avoir donné
l’impression d’emboîter le pas à l’opinion dominante et à la déclaration politique
du président de la République de 1995 (en ce sens, Melleray, op. cit.).
Bref, le fait d’identifier les gouvernants à l’État ou bien la forme de gouverne-
ment à l’État, constitue une grave régression dans la pensée et la technique juri-
diques. Léon Duguit a consacré un livre entier à distinguer l’État des gouvernants,
non sans de bonnes raisons (L’État, les gouvernants, les agents, tome II des Études
de droit public). En d’autres termes, il faut comprendre que c’est un progrès dans
la science constitutionnelle que d’avoir admis que l’État demeure tandis que les
formes de gouvernement passent, changent, et se transforment. On n’entrera pas
dans la discussion détaillée de savoir comment l’on doit expliquer cette continuité
de l’État. La doctrine traditionnelle et dominante le fait en recourant à la personna-
lité juridique de l’État. Celui-ci aurait non seulement des droits et obligations, mais
en outre, il serait en tant que personne collective, personne morale, différente de
ses membres, aussi bien du gouvernement que des gouvernants, et jouirait alors
d’une permanence (L. Michoud, La théorie de la personnalité morale. Son appli-
cation au droit français, tome I, 1906, rééd. LGDJ, 1998, p. 50, note 1 ; R. Carré
de Malberg, Contribution, tome I, p. 11 s.). En d’autres termes, l’intérêt de traiter
l’État comme une personne juridique, qui jouit du privilège de la durée, réside
justement dans le fait qu’on peut imputer à un être abstrait, « l’État », des actes
commis par un régime politique ayant disparu ou ayant changé. Malgré les révolu-
tions et les changements de gouvernement, l’État continue à exister et il n’est pas
affecté par les changements constitutionnels, « continuant à posséder une organi-
sation unifiante » (R. Carré de Malberg, Contribution, tome II, Sirey, 1922, p. 498,
note 11). Cette explication en termes de personnalité morale de l’État a été judi-
cieusement prolongée, dans la doctrine constitutionnelle, par l’œuvre de Georges
Burdeau qui préfère recourir à la notion d’institution et de « pouvoir institutionna-
lisé » qui succède au « pouvoir individualisé ». Il a notamment plaidé avec talent
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Traité de droit administratif
(op. cit., n° 213, p. 259). C’est ce danger qu’ont su éviter la Cour d’assises de
Bordeaux et le Conseil d’État en isolant la faute de M. Papon (son « zèle » intem-
pestif si l’on peut dire) de la faute de l’État. L’autre observation est qu’il existe une
doctrine minoritaire qui refuse d’expliquer la continuité de l’État par la person-
nalité juridique ou par l’institutionnalisation, soit parce que cette doctrine dénie
toute validité à ce qu’elle considère comme un mythe, celui de la personnalité
juridique de l’État (Duguit), soit parce qu’elle estime qu’elle est infondée à expli-
quer la discontinuité constitutionnelle (G. Liet-Veaux, La continuité du droit interne :
essai d’une théorie juridique des révolutions, Sirey, 1943, n° 83 s, p. 121 s.). Ces
derniers arguments ne nous semblent pas convaincants pour la seule et bonne
raison qu’on n’a toujours pas trouvé une explication plus satisfaisante que l’insti-
tutionnalisation du pouvoir pour expliquer la continuité de l’État. Du point de vue
de la technique juridique, la théorie de la personnalité juridique appliquée à l’État
(et donc adaptée) a une valeur explicative (rendre compte du droit positif) qui n’a
pas été dépassée.
Enfin, notre présentation pourrait prêter le flanc à l’objection selon laquelle la
thèse à l’origine strictement gaulliste serait plus radicale que la manière dont on
l’a exposée. Elle revient à soutenir que le régime de Vichy n’était pas un État et
qu’on ne peut pas parler, logiquement, de continuité de l’État si l’on passe d’un
non-État (Vichy est une « autorité de fait ») à un État. Il nous semble que le point
central de la thèse gaulliste réside justement dans la négation de la souveraineté
de Vichy, et donc dans celle de son caractère étatique. Comme la souveraineté est
le critérium de l’État, Vichy, en raison même de sa subordination à l’État nazi, au
IIIe Reich, ne peut être qualifié d’État. N’est-ce pas ce que le général de Gaulle a
prétendu dès sa conférence de Brazzaville (20 oct. 1940) en affirmant : « Il n’existe
plus de gouvernement proprement français. En effet, l’organisme sis à Vichy et
qui prétend porter ce nom est inconstitutionnel et soumis à l’envahisseur. Dans
son état de servitude, cet organisme ne peut être, et n’est en effet, qu’un instru-
ment utilisé par les ennemis de la France contre l’honneur et l’intérêt du pays »
(Bull. officiel de la France libre, 20 janv. 1941, cité par J Laferrière, op. cit., note
1, p. 863). Le texte le plus clair est la déclaration organique complétant le mani-
feste du 27 octobre 1940 où le général de Gaulle déclare : « Considérant que
tout le territoire de la France métropolitaine est sous le contrôle direct ou indirect
de l’ennemi ; qu’en conséquence, l’organisme dit “Gouvernement de Vichy” qui
prétend remplacer le Gouvernement de la République, ne jouit pas de cette pléni-
tude de liberté qui est indispensable à l’exercice intégral du pouvoir ». L’usurpation
provient bien de ce que Vichy, n’étant plus souverain (il a perdu cette « plénitude
de liberté »), obéit à « l’ennemi » étranger, à l’Allemagne nazie. C’est pour cela que
c’est un gouvernement d’usurpation et que les gouvernants sont des usurpateurs
auxquels on pourra d’ailleurs appliquer un droit d’exception.
Mais cette thèse de la non-existence de l’État de Vichy a rarement convaincu la
doctrine. Pour se limiter au droit public interne, on dira d’abord qu’une telle thèse
est d’un irréalisme excessif. Si Vichy n’était pas un État, comment pourrait-on
expliquer la présence, parmi des centaines d’autres documents d’archives produits
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L’État
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Papon applique. L’État français est responsable des actes délictuels commis par
l’État sous Vichy.
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dence classique selon laquelle on ne peut pas imputer à l’État national des faits
relevant de l’action d’un État étranger (v. les concl. Boissard).
Voilà pourquoi le Conseil d’État prend bien soin de distinguer d’un côté, « la
déportation entre 1942 et 1944 des personnes d’origine juive arrêtées puis inter-
nées en Gironde (…) [qui] a été organisée à la demande et sous l’autorité des
forces d’occupation allemandes », et d’un autre côté, les « actes ou agissements de
l’administration française (…) qui ne résultaient pas directement d’une contrainte de
l’occupant ». Or, la liste de ces derniers actes auxquels le gouvernement de Vichy
et Papon ont participé n’est pas mince. Il s’agit, selon l’arrêt, des faits suivants :
« la mise en place du camp d’internement de Mérignac et le pouvoir donné au
préfet, dès octobre 1940, d’y interner les ressortissants étrangers « de race juive »,
l’existence même d’un service des questions juives au sein de la préfecture, chargé
notamment d’établir et de tenir à jour un fichier recensant les personnes « de race
juive » ou de confession israélite, l’ordre donné aux forces de police de prêter
leur concours aux opérations d’arrestation et d’internement des personnes figu-
rant dans ce fichier et aux responsables administratifs d’apporter leur assistance à
l’organisation des convois vers Drancy ».
C’est parce qu’il y a eu cette autonomie de l’administration française que la
responsabilité de Vichy et par là même la responsabilité de l’État français peuvent
être recherchées dans la jurisprudence Papon/ Hoffman-Glemane. Il fallait affirmer la
conduite autonome de Vichy pour lui imputer les fautes, et non pas au IIIe Reich, et
donc pour affirmer la responsabilité de l’État français. C’est la raison pour laquelle,
dans l’arrêt Papon, le Conseil d’État distingue au sein de la contrainte globale
que faisait peser l’État allemand sur Vichy deux cas différents. D’un côté, il y a la
contrainte directe et immédiate en vertu de laquelle le régime de Vichy ne peut
être déclaré responsable des torts causés aux victimes. D’un autre côté, il y a une
contrainte seulement « indirecte », ce qui ouvre une sphère dans laquelle le régime
de Vichy avait une certaine autonomie, une marge de manœuvre, grâce à laquelle
il a pu prendre des décisions impliquant sa responsabilité. Cette démonstration,
faite dans l’arrêt Papon, est reprise dans l’avis contentieux de 2009 où il est claire-
ment indiqué que « ces préjudices de toute nature » subis par les juifs sous le régime
de Vichy ont été « causés par les actions de l’État qui ont concouru à la déporta-
tion ». On ne peut donc pas imputer à une autorité du IIIe Reich la responsabilité
unique de la déportation car l’État français, ici représenté par Vichy, a apporté son
« concours ». Dans ses conclusions sur l’avis Hoffman-Glemane, le commissaire du
gouvernement, M. Lénica, souligne ce point de façon très nette en observant que la
« faute de l’État (…), c’est bien d’avoir organisé, en l’absence de contrainte directe
de l’occupant, les opérations qui ont constitué le prélude nécessaire à la déportation.
C’est bien d’avoir sciemment retourné la marche du service contre une fraction de
la population » (RFDA 2009. 317).
Ces développements visaient à démontrer qu’il manquait, dans l’arrêt Papon et
l’avis contentieux Hoffman-Glemane, un adjectif : « la faute de service engage la
responsabilité de l’État » signifie « la responsabilité de l’État français ». Le second
apport de cette jurisprudence réside donc dans l’affirmation selon laquelle la
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Traité de droit administratif
déportation des juifs n’était pas uniquement imputable à l’État allemand : elle
pouvait désormais l’être à l’État français. Bref, la règle de non-imputabilité pour
des faits d’origine étrangère (v. supra) ne pouvait être invoquée comme moyen
de défense. D’une certaine manière, la jurisprudence récente traduit la prise de
conscience par les juristes de la découverte faite par les historiens, au premier
rang desquels Robert Paxton, selon laquelle Vichy n’a pas seulement « collaboré »
avec Hitler, mais qu’il est même allé parfois au-delà des attentes de la puissance
occupante. Elle montre aussi, in concreto, qu’il est des cas où il est très difficile de
séparer artificiellement le droit administratif et le droit constitutionnel et que l’in-
vocation d’une théorie générale de l’État peut éclairer le cas en question en légi-
timant la solution d’une indemnisation des victimes par l’État français. Quoi qu’il
leur en coûte, les responsables politiques doivent non pas « assumer » les fautes
de leurs prédécesseurs, mais faire endosser à la collectivité étatique qu’ils repré-
sentent cette dette car c’est le seul moyen de réparer le tort infligé à des victimes
par un régime dictatorial.
Ces quelques exemples sont loin d’épuiser la matière de la relation riche entre
l’État et le droit administratif. Ils ont été pris seulement en vue d’illustrer la thèse
selon laquelle celui-ci peut utilement éclairer celui-là et vice-versa. Si ce chapitre
pouvait convaincre le lecteur de la validité de cette double leçon, il n’aurait pas
été écrit pour rien.
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