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Se donner pour objet d’étude le serment dans le sens juridique et constitutionnel n’est
pas chose aisée, loin s’en faut. Il s’agit plutôt d’une tâche littéralement fastidieuse. Cependant,
vu sous l’angle de la littérature du moyen âge, étudier sinon parler du serment c’est aborder
un phénomène humain tout à fait élémentaire et complexe, qui semble être de tous les temps
appartenir à toutes les cultures ; élémentaire parce qu’il semble régir les rapports sociaux de
nombreux peuples, complexe en raison de son apparente universalité, de la diversité des
cultures dans lesquelles il apparait.
1
La diversité des approches possibles du serment est bien représentée dans l’ouvrage le serment, dir. R
VERDIER, paris CNRS Editions, 1991, 2 vols
2
En France sous l’ancien régime, le tiers état désigne les députés aux Etas généraux qui représentent les villes
privilégiées, c’est-à-dire le député et la bourgeoisie. En effet, les provinciaux étaient des assemblées purement
fiscales dont la fonction était de voter l’impôt et d’en décider la répartition entre les différentes
circonscriptions administratives.
3
VERPEAUX (M.), La constitution, DALLOZ, paris, 2008, p.5.
4
Les rédacteurs de la constitution américaine de 1787 ont prévu qu’avant d’entrer en fonction, le président des
Etats- unis d’Amérique prête serment : article 2 section1 de la constitution des Etats –unis d’Amérique.
5
La plupart des Constitutions africaines adoptées après les années 1990 prévoient que le président de la
République doit prêter serment avant son entrée en fonction. Voir à ce sujet article 53 de la Constitution
béninoise du 11 décembre 1990 ; article 37 de la Constitution malienne du 12 janvier 1992 ; article 64 de la
Constitution togolaise du 27 septembre 1992 ; article 70 de la Constitution tchadienne du 31 mars 1996 ; article
36 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 ; article 50 de la Constitution nigérienne du 25 novembre
2010.
1
Toutefois, nonobstant l’intérêt grandissant que les nouveaux constituants attachent à cette
pratique de grande portée et d’extrême importance, force est de constater que le serment n’a
pas véritablement suscité la vraie curiosité attendue des chercheurs 6. Il mérite, par conséquent,
qu’on s’y intéresse afin d’explorer de fond en comble le champ, pourtant fertile, de cette
thématique qui n’a de cesse de se faire place dans le panthéon des problématiques
contemporaines du droit constitutionnel africain. Mais, avant toute analyse au fond, il
convient de se pencher sur les contours riches et variés de ce concept.
2
est appelé faux serment prémédité16. Son auteur commet un grave péché et mérite l’enfer. Le
second serment est dit irréfléchi parce que « c’est ce que l’homme profère inconsciemment
sans cesse dans ses propos »17. Le troisième est le serment solennel ; celui qu’on fait avec
l’intention déterminée d’accomplir ce qu’on jure de faire à l’avenir, tel que : « je jure par
Dieu de faire telle chose »18. Cette conception islamique du serment est à distinguer du
serment de fidélité prévu par les textes de loi carolingienne et les collections canoniques de
l’Eglise19. En effet, les textes normatifs carolingiens 20 et ceux des canonistes proclament que
le serment n’est utilisé que dans des circonstances graves, tel le serment de fidélité des
Anciens de David sacré roi d’Israël, et celui du peuple et des soldats à Joas, petit- fils
d’Athalie21. Il constitue, au moyen âge, l’acte par lequel on prend dieu à témoin de la vérité
d’une parole22 ; sous le régime féodal, c’est un contrat conclu entre le seigneur et son vassal,
c’est-à-dire un contrat solennel qui se noue par l’hommage et se confirme par un serment de
fidélité23. Laïcisé, le serment s’est développé en procédure civile et figure au rang des modes
de preuve en matière civile24.
15
CHEICK MAHAMAN (B.O.), serment en Islam (formes, causes, conséquences en cas de violation) » document
dactylographié, Niamey, décembre 2014, p. 1. Selon lui « l’appellation du serment en Islam est AL- Yamine
dont le pluriel est YAMANE », il est religieux, et se prononce selon la confession du réfractaire, dont seuls les
monothéistes le font devant les livres de leurs confessions ou dans leurs lieux de cultes, Ibid. p. 1.
16
Le prophète (S.B. sur lui) dit : « celui qui sciemment, fait un faut serment pour s’approprier illicitement le
bien d’un autre musulman, verra dieu courroucé le jour où il se présentera devant lui ». Ibid., p. 504.
17
AICHA dit : « le serment irréfléchi est ce que l’homme fait en parlant avec sa famille quand il dit « mais non
par dieu ! » ELDJAZAIRI (A. D.), la voie du musulman (Minhaj Elmoslim), op. cit., p.504
18
Ibid., p. 505.
19
FOURNIER (P.), le Bras (G.)., Histoire des collections canoniques en Occident depuis les fausses décrétales
jusqu’au décret de Gratien, tome 1, Sirey, paris, 1931.
20
IMBERT (J.), « les temps carolingiens (741-891). L’Eglise : la vie des fidèles », in le Bras (G.), GAUDEMET (J.)
(dir), histoire du droit et des institutions de l’Eglise en occident, Cujas, paris, 1996
21
GUADEMENT (J.), « le serment dans le droit canonique médiéval » in VERDIER (R.) (dir) le serment, CNRS,
paris, 1991, p. 63-75.
22
Ibid.
23
LEMESLE (B.), « le serment promis. Le serment judiciaire à partir de quelques documents angevins des XIe et
XIIe siècles », in Crime, Histoire et société/ crime, vol. 2/2002, p. 5-28.
24
BERNABE (B.), « serment judiciaire », in JurisClasseur procédure civile, Fasc. 673, 2011, p. 1-20.
25
AVRIL (P.), GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, PUF, que sais-je ?, paris, 2003, p.112.
26
Ibid.
3
constitutionnelle et/ou aux règles supérieures de droit notamment la Constitution »27. Il
s’ensuit que le serment est, en matière constitutionnelle, différent des serments judiciaire et
religieux : Il demeure essentiellement promissoire, c’est-à-dire qu’il ne porte pas sur le passé
mais pour l’avenir28. Ainsi, le serment politique est un serment promissoire.
Largement présent dans l’antiquité gréco- romaine mais condamné par Jésus dans le
nouveau Testament, l’usage du serment trouve pourtant une légitimité auprès des pères de
l’Eglise, notamment saint augustin dont les textes sont repris par le droit canon. En effet, le
serment en tant que jugement de dieu, s’opposant aux paroles de Jésus Christ, a été condamné
par l’Eglise qui a préféré « l’exégèse casuistique de Saint Augustin, qui relativise l’interdit
en raison de l’échelle de gravité des fautes sur cette base, le droit canonique consacre la
force obligatoire du serment »29.
Dans la cité antique, le serment était considéré comme le garant des institutions et de leur
bon fonctionnement. Il engagerait le récipiendaire à l’égard de l’organisation étatique dont il
devenait membre. En effet, à Athènes, les jeunes qui passaient au rang de citoyens étaient
obligés de prêter un serment qui conditionnait leur intégration à la communauté publique 30.En
Grèce, le serment était aussi un acte essentiel de la vie publique, se présentant à la fois comme
gage de bon fonctionnement, de la stabilité et de la sécurité des institutions. La vie juridique
reposait également sur le serment. En orient, on exigeait même de tous les provinciaux un
serment de dévouement à la place du prince régnant. Cette exigence du système serment va
se perpétuer dans l’Europe nouvelle comme ce sera le cas dans le système monarchique de
l’ancienne France. Tantôt règle d’infrastructure d’Etat et mode d’intégration de l’individu
dans la communauté politique, tantôt simple pratique de politique gouvernementale, le
serment était exigé de tous ; chef de l’Etat, fonctionnaires et magistrats, simples sujets ou
citoyens31. Mais, le cas le plus fréquent est le serment du chef de l’Etat comme on l’observe
27
VILLIERS (M. de), LE DIVELLEC (A.), dictionnaire du droit constitutionnel, 9éme édition Sirey, paris 2013, p.
337.
28
Ibid.
29
JACOB (R.), dictionnaire du Moyen-Age, serment, PUF, paris, p.1327.
30
OLIVIER (S. de), dictionnaire de l’histoire de France, serment, Archives Larousse, paris, Ed. 2005, p. 1
31
CHIAPPINI (Ph), le droit et le sacré, DALLOZ, Sirey, paris, 2006.
4
aux Etats-Unis d’Amérique32, en Allemagne33 ou en Autriche34. Il peut, toutefois, concerner
les membres du gouvernement35, les magistrats36et, plus rarement, les députés37.
Cette brève esquisse historique révèle que le serment est une institution à la lisière du
droit et du sacré38. C’est un des fondements essentiels de l’ordre juridique interne. Il permet à
l’Etat de s’assurer de la fidélité absolue de ces plus hautes autorités aux institutions et de leur
dévouement total à la cause du peuple. Il se rapporte donc aux engagements individuels de ces
autorités vis- à-vis de leur communauté. C’est pour cette raison qu’on trouve nombre de
traces de serment dans les différentes Constitutions. En effet, sans qu’il n’y revête le même
sens, le serment occupe la place éminente qui est la sienne.
Il est à noter que les Constitutions des Etats d’Afrique francophone prévoient, presque
toutes, le serment du chef d’Etat, son texte 39 et les acteurs du rituel : c’est une disposition
constitutionnelle réitérée, reprise sous des formes diverses au gré des contextes et des
changements politiques.40
Ravalé au rang de simple formalité sans valeur pratique tant du point de vue coercitif que
préventif, ou rehaussé au rang d’élément central de la symbolique de régénérescence de la
démocratie en Afrique, le serment du chef de l’Etat a une valeur emblématique indéniable. En
effet, aussi loin que l’on recherche dans l’espace41ou que l’on remonte dans le temps42, la
32
Article 2 de la section 1 de la constitution américaine de 1787.
33
Article 56 de la loi fondamentale de 1949.
34
Article 63 de la constitution Autrichienne.
35
Par exemple, en Italie, les membres du gouvernement prêtent serment devant le chef de l’Etat, tandis qu’en
Allemagne, ils le font devant le Bundestag. Ii en va ainsi en Suisse.
36
Le cas est fréquent pour les magistrats, notamment les juges constitutionnels en Allemagne, en France, etc.
37
Par exemple, en Suisse et au canada, les parlementaires prêtent serment.
38
Ibid.
39
Sauf quelques rares exceptions à l’instar du Cameroun. L’article 7 de la constitution renvoie à la loi pour la
formule du serment et pour les modalités du rituel (constitution du 18 janvier 1996.)
40
Dans les années 1970, sous l’empire du parti unique, de nombreux Etats ont abandonné l’ordre
constitutionnel libéral pour se tourner vers des régimes de retour à l’authenticité (Zaïre, TCHAD, Togo) ou
d’orientation socialiste (Bénin, Congo Brazzaville). Les formules du serment en portaient la marque. Au Congo
Brazzaville, par exemple, l’article 41 de la constitution du 24 juin 1973 prévoyait la formule suivante : « je jure
fidélité au peuple congolais, à la révolution et au parti congolais du travail. Je m’engage, en me guidant des
principes marxistes- léninistes, à défendre les statuts du parti et de la constitution, à consacrer toutes mes
forces au triomphe des idéaux prolétariens du peuple congolais dans le travail, la démocratie et la paix », voir
PAMBOU TCHIVOUNDA (G.), « le serment politique en Afrique noire contemporaine », revue juridique et
politique : indépendance et coopération, 1981, p. 796-810.
41
La source du serment en Afrique serait inspirée par le modèle américain. Aux USA, la constitution oblige le
président élu ou le vice- président en cas de décès, démission ou empêchement définitive du président à
prêter serment de remplir des devoirs constitutionnels.
42
En dépit des influences étrangères, le serment du sujet et le serment du roi étaient en vigueur en Afrique
avant la colonisation. Le serment actuel peut être considéré comme un retour aux sources locales, voir FALL
(I.), « le droit constitutionnel au secours de l’authenticité et de la négritude », Annales Africaines, 1973, p.212
5
notion du serment correspond, de manière générale, à l’affirmation solennelle et codifiée
qu’une personne fait par voie orale en vue d’attester d’un fait, de la sincérité d’une promesse,
de l’engagement de bien remplir les devoirs de sa charge.
D’ailleurs, c’est ce dernier qui correspond au serment du chef de l’Etat, objet de cette présente
étude. Vu sous cet angle, le chef de l’Etat est tenu de faire en sorte que ce qu’il jure se
réalise pour que le serment soi vrai. Le serment du Président de la République est en effet la
souscription par lui d’un certain nombre de prescriptions, de devoirs qui sont des attentes du
peuple vis -à- vis de lui, et donc des exigences : respect de la Constitution, de l’Etat de droit,
préservation de l’intégrité du territoire, défense de la souveraineté nationale, fonctionnement
régulier des institutions, promotion du bien commun, de l’unité nationale.
Par ailleurs, pour circonscrire notre sujet, notre étude ne portera que sur l’Afrique noire
francophone, où presque tous les chefs d’Etat doivent, en vertu des dispositions
constitutionnelles, prêter serment avant leur entrée en fonction dans un contexte où l’option
de démocratisation des systèmes politiques n’a pas fondamentalement modifié la
prépondérance du chef de l’Etat au sein de l’espace politique et institutionnel 43. Il ressort de la
genèse du serment retracé plus haut que l’ordre juridique interne de beaucoup d’Etats s’appuie
sur de multiples serments : judicaire, extrajudiciaire, religieux, assertoires, professionnels et
promissoire ou politiques. Cependant, notre étude sera centrée sur ces derniers, les plus
importants du point de vue de l’ordre juridique car concernant le Président de la République.
Ce sujet n’est pas sans intérêt en ce sens que, le serment prescrit au chef de l’Etat par la
Constitution, tire son fondement de celle-ci, car c’est elle qui l’institue et en détermine le
contenu. Il apparait alors que le chef de l’Etat ne peut commencer à exercer ses fonctions sans
une prestation préalable de serment. Le refus de prêter serment entraine l’impossibilité
d’assurer la fonction, tandis que la troncation ou l’ajout ou plus généralement l’altération de
43
Jean de Bois DE GAUDUSSON souligne qu’en dépit du renouvellement du dispositif juridique régissant le
système politique africain dans les années quatre-vingt-dix, l’institution présidentielle n’en reste pas moins
prépondérante dans l’ensemble des régimes africains.
6
son indivisibilité, soit par omission d’une partie de sa formule 44, soit par l’ajout d’une
quelconque locution45 entraine l’annulation d’un serment prononcé.
Dès lors, la question qui se pose est de savoir : Est-ce que le caractère ou la portée
juridique du serment présidentiel est effectif dans sa mise en œuvre dans les Etats africains
francophones ? En d’autres termes, la question pertinente est de savoir si le caractère juridique
du serment théoriquement observé est absolu dans la pratique.
A vrai dire, de tels reproches n’épargnent ceux qui ont prêté le serment politique ni
ceux qui se sont engagés sur « le livre saint de leur confession » ou devant les « mânes de
leurs ancêtres », d’où l’intérêt d’examiner les formes ou contenus du serment qui diffèrent
d’une Constitution à une autre. Cette analyse permettra d’apprécier concrètement la valeur
juridique du serment de vérifier sa conformité à certains principes et règles à valeur
constitutionnelle, notamment celui lié au caractère laïc de l’Etat prévu par certaines
44
Décision DCC, 96-017 du 5 avril 1996, Annuaire Béninois de Justice Constitutionnelle, 1-2013, p. 280-289.
45
Décision D.C.C. 11-085 du 25 août 2011, ligali et Gandho.
46
BOLLE (S.) Le nouveau régime constitutionnel du bénin. Essai sur la construction d’une démocratie par la
Constitution, Thèse de doctorat, Montpellier 1, 13 décembre 1997, p. 258 et s
7
Constitutions, et de jeter un regard sur le comportement des autorités politiques afin de juger
leur conformité au serment.
8
TITRE I : L’incontestable portée juridique du serment présidentiel
9
Chapitre I : le serment une formalité substantielle
Il est à noter, dans le champ politique, que les constitutions des Etats d’Afrique
francophone prévoient, presque toutes, le serment du chef de l’Etat, son texte 48 et les actes du
rituel : c’est une disposition constitutionnelle réitérée, reprise sous des formes diverses au gré
des contextes et des changements politiques49.
Ravalé au rang de simple formalité sans valeur pratique tant du point de vue coercitif
que préventif, ou rehaussé au rang d’élément central de la symbolique de régénérescence de
la démocratie en Afrique, le serment du chef de l’Etat a une valeur emblématique indéniable.
En effet, en Afrique francophone presque tous les chefs d’Etats doivent, en vertu des
dispositions constitutionnelles, prêter serment avant leur entrée en fonction d’où, Une
condition sine qua non à la prise de fonction présidentielle (section I) dans un contexte où
l’option de la démocratisation des systèmes politique n’a pas modifié la prépondérance du
chef de l’Etat au sein de l’espace politique et institutionnel 50. Aussi loin que l’on recherche
dans l’espace, que dans le temps, la notion de serment correspond, de manière générale, à
l’affirmation solennelle et codifié qu’une personne fait par voie orale en vue d’attester d’un
fait, de la sincérité d’une promesse, de l’engagement de bien remplir les devoirs de sa charge
ce qui donne à voir, Le serment, un rite aux implications pratiques tangibles ( section II).
47
Le serment n’est pas une institution d’origine récente ; on trouve trace dès les époques les plus reculées, voir
Fabre (M.H), le serment politique (Etude constitutionnelle : 1789- 1941), thèse Droit, Aix Marseille, 1941, p. 17
48
Sauf quelques rares exceptions à l’instar du Cameroun. L’article 17 de la constitution renvoie à la loi pour la
formule du serment et pour les modalités du rituel (constitution du 18 janvier 1996).
49
Dans les années 1970, sous l’empire du parti unique, de nombreuses Etats ont abandonné l’ordre
constitutionnel libéral pour se tourner vers des régimes de retour à l’authenticité (Zaïre, Tchad, Togo) ou
d’orientation socialiste (Bénin, Congo Brazzaville). Les formules du serment en portaient la marque.
50
Jean du bois de Guaudisson souligne qu’en dépit du renouvellement du dispositif juridique régissant le
système politique africain dans les années quatre-vingt- dix, l’institution présidentielle n’en reste pas moins
prépondérante dans l’ensemble des régimes politiques africains.
10
cette définition amène à déterminer deux sortes de serment, le serment assertoire qui a trait au
passé, à la confirmation de la vérité d’un fait, d’une parole et le serment promissoire qui se
rapporte à l’avenir, et consiste en l’affirmation d’un engagement. C’est ce dernier qui
correspond au serment du chef de l’Etat car il porte sur les actes qu’il s’engage à accomplir.
Le chef de l’Etat est tenu de faire en sorte que ce qu’il jure se réalise pour que le serment
soit vrai. Le serment du président de la République est en effet la souscription pour lui d’un
certain nombre de prescriptions, de devoirs, qui sont des attentes du peuple vis-à-vis de lui, et
donc des exigences : respect de la constitution, de l’Etat de droit, préservation de l’intégrité du
territoire national, défense de la souveraineté nationale, fonctionnement régulier des
institutions, promotion du bien commun, de l’unité nationale.
Le serment, prescrit au chef de l’Etat par la constitution, tire son fondement de celle-ci
car c’est elle qui l’institue et en détermine le contenu. Il apparait alors que le chef de l’Etat ne
peut commencer à exercer ses fonctions sans une prestation préalable du serment c’est ce qui
nous conduit à voir dans un premier temps, le serment, une obligation constitutionnelle
prescrite (paragraphe 1) , le refus de prêter serment entraine l’impossibilité d’assurer la
fonction, tandis que la troncation ou l’ajout ou plus généralement l’altération de son
indivisibilité, soit par l’ajout d’une quelconque locution 51 entraine l’annulation de se serment,
ce qui nous donne à scruter d’autre part, une obligation constitutionnelle encadrée( paragraphe
II)
51
C.C. bénin, D.C.C. 11-058, 25 aout 2011, ligali et Gandho
52
La politique est de plus en plus saisie par le droit, selon la formule du doyen Favoreau, à propos de la
situation française , voir FAVOREAU (L.), la politique saisie par le droit, alternances, cohabitation, conseil
constitutionnel, Economica, 1988, 153 p. sur la prise de conscience de la dimension structurante du droit en
Afrique ou les débats politiques sont de plus en plus portés sur le terrain du droit et privilégient « l’argument
constitutionnel », la référence aux normes et à la légalité est devenue un passage obligé de légitimé,
GAUDISSON (J. de), « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique de
pouvoir », in Mélanges en L’honneur DE louis Favoreau, Dalloz, 2007, p.611.
11
A) une condition d’entrée en fonction
La prestation de serment est une formalité obligation, préalable à la prise de fonction par
le candidat élu. La méconnaissance totale ou partielle de la formule du serment entache la
prise de fonction d’irrégularité et corrélativement les actes pris au titre des fonctions de
président de la République. Outre cette condition préalable à l’investiture du président de la
République élu, le serment constitue aussi le terme de la fonction de son prédécesseur.
53
Constitution du Rwanda du 4 juin 2003.
54
Constitution de Madagascar du 11 décembre 2001
55
Constitution de l’union des Comores du 23 décembre 2001.
56
Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006.
57
Constitution de la 7)° République du Niger du 12 mars 2013.
58
Constitution du Mali du 25 février 1992.
59
Constitution de la Mauritanie du 20 juillet 1991.
60
Constitution du Togo du 14 octobre 1992.
61
Constitution du Bénin du 11 Décembre 1990.
62
Constitution du Tchad du 31 mars 1996.
63
Constitution du Congo brazzaville du 20 janvier 2002.
64
Constitution du Gabon du 26 mars 1991.
65
Constitution du Burundi du 18 mars 2005.
12
dispose que « le mandat du président de la république débute le jour de sa prestation de
serment » ; à Madagascar selon le terme de l’article 48 « le mandat présidentiel commence à
partir du jour de la prestation de serment » ; en Algérie66, le président de la République «
entre en fonction aussitôt après la prestation » (article 75). Des dispositions formulées dans le
même esprit sont présentes dans les constitutions du Congo Brazzaville (article 68), du
Cameroun (article 7), du Gabon (article 11), du Sénégal 67 (article 37), de la cote d’ivoire 68. Le
serment est ainsi non seulement une condition préalable, obligatoire de la prise de fonction du
président de la République élu mais aussi le point de départ formel de la prise de fonction 69 et
de l’exercice du pouvoir.
13
que le président de la République n’a pas prêté serment, il ne peut pas entrer en fonction, ce
qui en conséquence rend le serment obligatoire . Sur ce point tout le monde est d’accord, le
président de la République doit prêter serment sinon pourquoi prévoir une disposition
constitutionnelle en la matière. Le problème qui se pose et qui divise les protagonistes est la
procédure de prestation de serment et ce sur deux points :
Il est constant que l’omission décelée à temps par Mohamed Camara doit être réparée non
pas si le Président de la République le souhaite ou pour une simple convenance personnelle, il
doit reprendre la prestation de serment pour que le serment soit valable. C’est une obligation
constitutionnelle ! Evitons de créer la confusion et de tromper nos dirigeants. Il n’appartient
pas au Président de la République de vouloir ou pas, il doit reprendre la prestation de serment
en tant que bon démocrate respectueux des lois.
Toutes ces considérations décrites plus haut produisent des effets juridiques probants
autant sur la sur la fonction que sur que sur les actes posés à ce titre. La volonté de conférer
une normativité certaine au serment est conforté aussi par le constituant au moins de la
publicité et de la solennité qu’il attache à la prestation. La solennité résulte, pour partie, du
lieu choisi pour la prestation, des témoins devant lesquels le serment est prêté, de l’organe
70
Voir contribution de MAMADOU DRAME, magistrat guinéen sur le site guineejuristes.com visité le 19 janvier
2020 à 21h sur la prestation de serment du président KONDE.
14
désigné pour recevoir le serment, ainsi que le geste du jureur tout cela atteste de la forme du
serment (A) mais aussi du cadre du serment (B).
A) La forme du serment
La main gauche posée sur le coran ou sur la constitution, la main droite levée vers le drapeau
national sans oublier le port de grands insignes.
Les rares exemples de serment reçu par un organe politique sont ceux notamment du
Cameroun avec l’assemblée nationale (article 7), et de la Tunisie avec l’Assemblée des
représentants du peuple73
Voilà ce que nous pouvions dire sur la forme du serment qu’en est-il du cadre proprement dit
B) Le cadre du serment
Précédé d’une innovation religieuse ou conclu parfois par celle-ci, le serment prêté par les
chefs d’Etats s’articulent principalement autour du respect de la constitution, de la défense de
71
Constitution du Burkina Faso du 2 juin 1991.
72
AU Rwanda la cour suprême, la plus haute juridiction du pays exerce également les fonctions de contrôle de
la constitutionnalité des lois, des traités et accords internationaux (articles 144 et 145).
73
Constitution de la République tunisienne du 27 janvier 2014. Cependant, le Gabon ne désigne pas
formellement l’organe chargé de recevoir le serment. L’article 12 de la constitution dispose simplement que le
président de la République prête solennellement serment « en présence du parlement, de la cour
constitutionnelle, la main gauche posée sur la constitution, la main droite levée devant le drapeau national » il
en est de même en Algérie ou « le président de la République prête serment devant le peuple et en présence
de toutes les hautes instances de la nation » (article 76).
15
l’intégrité du territoire et de la souveraineté nationale, de la préservation e l’Etat de droit et de
l’intérêt général, de la promotion de l’intégrité régionale. Autant d’engagements envers le
peuple et à l’égard de soi-même qui recoupent en fait les attentes même des citoyens. Ils
correspondent d’ailleurs, le plus souvent aux missions qui sont constitutionnellement dévolues
au chef de l’Etat.
Au Sénégal, par exemple, le serment est ainsi formulé : « devant Dieu et devant la
nation Sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de président de la République du
Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la
constitutions et des lois, de consacrer toutes mes forces à défende les institutions
constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne ménager aucun
effort pour la réalisation de l’unité nationale » ( article 37 de la constitution) . L’économie
générale du serment au Bénin procède de la même logique. L’article 53 de la constitution
prévoit la formule suivante : « Devant Dieu, les Mânes des ancêtres, la nation et devant le
peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté. Nous…, président de la République, jurons
solennellement :
Les serments des chefs de l’Etats en côte d’ivoire (article 39), Burkina Faso ( article 44)
, Gabon ( article 12) , en République démocratique du Congo ( article 74), au Tchad ( article
70) , au Mali ( article 37), au Niger ( article 39), au Congo Brazzaville (article 69), au Togo
( article ( article 64) présentent à quelques variante près, un contenu quasi similaire.
Outre ces prescriptions qui constituent le substrat minimum des serments en Afrique,
certains d’entre eux contiennent des invocations religieuses 74 même si leurs constitutions
déclarent laïcs ces Etats.
74
A l’exception du serment burkinabais ( article 44), burundais ( article 106), congolais Brazzaville ( article 69),
gabonais ( article 12 ), guinéen( article 31), ivoirien ( article 39), tchadien ( article 70).
16
Le président de la République prête serment « devant Dieu, et le peuple malien », au
Mali (article 37) « devant Dieu et les mânes des ancêtres, la Nation et le peuple… », Au bénin
‘ article 53), « devant Dieu et la nation au République démocratique du Congo (article 74),
« devant Dieu et devant le peuple nigérien … », au Niger (article 39), devant Dieu et le peuple
togolais » au Togo (article 64). Ces références religieuses coexistent donc avec la
proclamation par la constitution du caractère laïc de l’Etat. L’article 3 de la constitution du
Bénin « est une et indivisible, laïque et démocratique ». Il en va de même de la République
démocratique du Congo qui qualifie la République d’ « Etat laïc » (article 1ér) ou du Togo, ou
la constitution dispose que la République.. Est un Etat de droit, laïc, démocratique et social »
(article 1er)
Il arrive que la couleur locale s’invite dans le contenu du serment rédigé ou prété en
langue véhiculaire ; c’est le cas, par exemple, du malagasy à Madagascar ( article 48) ou
comores ( article 13).
Quelle que soit la formulation du serment retenue par le constituant, l’indivisibilité de son
contenu s’impose dans son intégralité au chef de l’Etat, et que le serment est un rite aux
implications pratiques tangibles
75
« je jure par Dieu tout-puissant de préserver l’indépendance de la Tunisie et son intégrité territoriale, le
respecter da Constitution et sa législation, de veiller sur ses intérêts et de lui être loyal » (article 76)
17
Dans la première hypothèse, les serments engagent politiquement les personnalités qui
manifestent aux yeux de tous les citoyens la très haute valeur sacrale du serment. Leur dignité
institutionnelle confère une solennité à l’instant de la promesse. Dans la seconde hypothèse, il
s’agit d’une chose spirituelle transformée en outil politique. Le serment est un acte sacré et les
conditions de son accomplissement le font échapper à la banalité du quotidien pour en faire
un outil dont l’intensité mystérieuse rejaillit sur les autorités à travers le toucher aux
écritures. Il en résulte que le serment est un phénomène culturel, c’est-à-dire au sacré en vue
d’accomplir un acte de fidélité vis à vis d’une société. En outre, le serment implique une
obligation pour les personnes qui en sont assujetties. Celles-ci doivent adopter une conduite
conforme aux intérêts supérieurs de l’Etat. Cette obligation nait du sacré et peut être créée par
la parole, l’écriture. Elle se traduit par des expressions sacramentelles et institutionnelles ou la
parole est solennelle, mais aussi essentielle pour la réalisation effective de l’engagement de
l’impétrant à l’égard de la collectivité publique.
Le serment a pour principal objectif de rappeler aux impétrants, dans un cadre très
solennel, qu’ils sont liés à des obligations constitutionnelles, morales et éthiques, d’où la
juridicité de l’engagement moral (paragraphe I), autrement dit, le serment fixe un cadre
juridique et éthique aux agissements et comportements de ceux qui doivent s’y soumettre. Il a
pour fonction de marquer le passage du statut de citoyen ordinaire à celui d’un responsable
engagé vis-à-vis de l’Etat, d’où les effets de la contractualisation (paragraphe II).
76
Par exemple, l’article 51 de la constitution nigérienne du 25 novembre 2010 prévoit qu’après la cérémonie
d’investiture et dans un délai de quarante-huit (48) heures, le président de la cour constitutionnelle reçoit la
déclaration écrite sur l’honneur des biens du président de la république. Cette déclaration fait l’objet d’une
mise à jour annuelle et à la cessation des fonctions. La déclaration initiale et les mises à jour sont publiées au
journal
18
aujourd’hui un problème majeur. En effet, cet acte renforce sa légitimité et conditionne son
éventuelle responsabilité politique d’où l’officialisation de la contractualisation (B)
L’engagement politique qui se traduit par l’élection du chef de l’Etat peut retrouver tout
son sens par la promesse solennelle d’être au service du bien commun. Promesse faite aux
citoyens qu’il est appelé à représenter, à gouverner, promesse également faite à l’égard de lui-
même.
En effet, l’existence d’un pacte entre la nation et le chef de l’Etat est l’un des éléments
constitutifs de la République qui se renouvelle à chaque élection et qui fonde la légitimité du
chef de l’Etat. Ce lien est malheureusement de plus en plus affecté, ce qui entame la confiance
des citoyens dans leur chef d’Etat. Le serment prêté entend participer, à certains égards, au
rétablissement public de ce lien de confiance.
La confiance qu’entend instaurer le serment est nécessairement une confiance liante. C’est
un pacte qui instaure une relation de dépendance réciproque. Le serment implique une
réciprocité entre la confiance donnée par la nation et l’obligation de réalisation de la parole
donnée par le chef de l’Etat. Cette confiance s’inscrit dans une dialectique de l’échange de la
parole donnée et la réalisation attendue des promesses.
19
cette confiance. »77.A la lumière de tout ce qui précède, il apparait clairement que le serment
que le serment fait naitre un contrat moral entre le chef de l’Etat et son peuple qu’en est-il de
l’officialisation.
B) L’officialisation de la contractualisation
L’un des remèdes aux déviances et aux dérapages politico-juridiques qui menacent la
démocratie en Afrique est la vertu politique78. Celle –ci, en l’espèce, est le substrat de la
confiance qui se noue entre le chef de l’Etat et la nation à travers la prestation de serment.
L’exigence d’exemplarité et d’intégrité, par exemple, participe de cette nécessité de vertu
politique. En outre, si on exige la vertu, c’est au sens où l’on attend de ceux qui sont placés à
des fonctions de représentation qu’ils mettent en accord leurs discours et leurs actes,
s’appliquent à eux- mêmes la rigueur des lois, soient justes et tournés vers l’intérêt commun.
Dans l’esprit des lois, Montesquieu identifie trois espèces de gouvernement dont il dégage
les principes de fonctionnement : la vertu pour la République, l’honneur pour la monarchie, la
crainte pour le despotisme.79
77
SIEYES (J.E.), quelques idées de constitution applicables à la ville de paris, Versailles, Baudouin, juillet 1789,
p.3-4.
78
AHANHANZO GLELE (M.), allocution, rencontre sur « les pratiques constitutionnelles et politiques en Afrique :
les dynamiques récentes ».
79
MONTESQUIEU, de l’esprit des lois, (1748), livre troisième.
80
Ibid., livre quatrième, chapitre V.
20
En effet, parce que le serment est d’abord un engagement verbal, chacun s’accorde à
reconnaitre une valeur morale au respect de la parole donnée et à voir en celui qui respecte ces
engagements un homme de parole. La parole seule engage et oblige à respecter ses
engagements. Il s’agit d’une exigence forte dans l’Afrique traditionnelle, notamment pour
ceux qui avaient la charge de représentation.
Dans ce contexte, que vaut alors un dirigeant si l’on ne peut si fier à ses engagements ? Et
surtout, que vaut le chef de l’Etat, garant des institutions qui ne respectent pas ses
engagements, et de surcroit son serment constitutionnel ? D’où l’idée de mettre le curseur sur
les effets de la contractualisation
En effet toute les obligations énoncées dans le texte sacramental ont une égale valeur car
elles sont réputés ne pouvoir être hiérarchisées entre elles. On sait que le respect de la parole
donnée est une donnée essentielle des cultures traditionnelles africaines dans lesquelles la
valeur de l’homme s’apprécie à l’aune de sa parole. Amadou Hampathé Ba restitue d’ailleurs
en ces termes cette valeur fondamentale : « la parole donnée était sacrée chez les bonnes gens
comme chez les mauvais. Elle valait plus que l’or et que l’argent, plus que la vie même de
celui qui la donnait »81. Le serment, qui est une parole donnée, y est donc revêtu d’une
sacralité qu’atteste l’étymologie latine du mot serment, sacramentum ; d’où l’obligation de
respecter de serment (A) son inviolabilité et donc la contrainte morale de le respecter
scrupuleusement et de l’appliquer puisque son auteur est tenu de rendre compte de son
serment ce qui nous donne à voir (B) l’obligation de rendre compte
En principe toutes les obligations énoncées dans le texte sacramental ont une égale valeur
car elles sont réputées ne pouvoir être hiérarchisées entre elles, de telle sorte qu’elles doivent
faire l’objet d’une conciliation permanente dans le respect de la constitution. L’ensemble des
règles constitutionnelles constitutives du serment ont pleine valeur juridique. Mais celle-ci est
renforcée par le caractère du serment. La valeur varie selon qu’il s’agit d’un serment sous la
81
Ba (A.H.) contes initiatiques peuls, Stock 1994
21
forme d’une déclaration solennelle faite sur une base religieuse ou d’une simple affirmation
solennelle, sans référence à une divinité quelconque.
Considéré sous la première forme, le serment a une portée en fonction de son contenu et de
la référence à une divinité, comme c’est le cas au bénin, au Niger, en Algérie et en
Mauritanie. En ce qui concerne la référence à une divinité, c’est la thèse de la vertu dissuasive
du serment qui est privilégiée. Pour les trois derniers pays c’est la référence à « Dieu » (Allah
l’unique) et « aux Mânes des ancêtres » pour le premier qui confère le caractère
transcendantal au serment et lui donne, par la même toute sa force. Ainsi, l’autorité soumise
au serment fait la promesse de respecter sa fonction et ses engagements parce qu’elle sait que
son parjure sera immanquablement et imparablement sanctionné par la divinité 82. Pour les
tenants du discours religieux, le serment confessionnel est un « acte d’une extrême gravité.
C’est un acte grave en ce sens que le chef de L’Etat, à travers le serment, se lie spirituellement
et physiquement au respect des engagements qu’il a pris envers le peuple donc la portée de
l’engagement en islam dépasse de loin le cadre des promesses formelles des campagnes
électorales. Dans ce cas, le président est forcé pour ainsi dire de respecter totalement ses
engagements contenus dans son serment »83. Cette thèse est partagée par des philosophes, des
anthropologues et des historiens du droit qui soutiennent que le serment confessionnel
implique pour celui qui le prononce un engagement sous le regard d’une divinité. Pour eux, la
crédibilité de la promesse solennelle résulte de la présence de ce fameux tiers divin aux côtés
du jureur84. En effet, « par le serment, c’est encore vers Dieu qu’il le jureur s’élève ; c’est dieu
principe de vérité, qu’il invoque en témoignage de la sienne. C’est la vengeance d’un dieu
infaillible qu’il appelle sur son parjure. Le serment participe donc de cette croyance divine si
profondément enracinée dans l’homme parce qu’elle lui est indispensable à tout instant »85. Ce
caractère transcendantal de la force du serment a été confirmé par la cour de cassation
française en ces termes : « attendu que le serment décisoire ou déféré , aux termes de l’article
1357 du code civil, a un caractère essentiellement religieux puisque celui qui le prête prend
dieu à témoin de la sincérité de son affirmation ; que la vérité garantie contre le parjure réside
dans la conscience de l’homme et non dans des solennités accessoires qui n’ajoutent aucune
82
SAUVAGEOT (F.), « le serment des hautes autorités étatiques : une institution à développer ? », op .cit p. 204
83
MOUMINI (S), « islam et laïcité : le paysage nigérien », in HOLDER (G.), SOW (M) (dir.), l’Afrique des laïcités et
pouvoirs au sud du Sahara, op cit., p. 207-208
84
SAUVAGEOT (F.), « le serment des hautes autorités étatiques : une institution à développer ? », op. cit., p.
204.
85
LAPLANE (O.de), du serment en droit civil et en droit criminel, thèse pour le doctorat, soutenue le 4
décembre 1862, p. 6.
22
force réelle à l’acte solennel du serment ; »86. Mais celui-ci revêt à la fois une valeur morale et
juridique. D’autre part, il renforce l’engagement moral des personnes qui y sont assujetties et,
d’autre part, il joue un rôle dissuasif dans le respect de la constitution et des institutions
qu’elle met en place. Cela montre que l’impétrant est dans l’obligation de rendre compte
Facteur structurant de la confiance entre l’élu et les citoyens, le pouvoir de surveillance, qui
a pour conséquence de mettre à l’épreuve la réputation et la bonne foi du chef de l’Etat au
regard de ses engagements, participe à l’expression de la défiance citoyenne vis-à-vis des
pouvoirs publics ou encore la formule de pierre Rosanvallon, à la « contre-démocratie »87.
86
Cour de cassation, 3 mars 1846, D.P., 1846,I p.103 et cité par LOCHAK (D.), le droit et les juifs en France
depuis la révolution, Dalloz , paris, E. Thunot et cie
87
L’auteur appréhende deux moments de la vie des démocraties : les mécanismes d’institution de la confiance
et l’expression de la défiance. La défiance démocratique s’exprime et s’organise par trois modalités
principales : les pouvoirs de surveillance, les formes d’empêchement, les mises à l’épreuve du jugement.
L’auteur précise que cette contre-démocratie n’est pas le contraire de la démocratie, c’est plutôt la forme de
23
L’Afrique est aussi, désormais, un champ d’expérimentation de ces contre-pouvoirs
sociaux informels, de cette expression de défiance citoyenne à travers des mouvements
citoyens, véritables sentinelles de la démocratie de « Yen a marre » au Sénégal, du « balai
citoyen » au Burkina Faso88. En effet, face à l’absence de contre- pouvoirs institués résultant
soit de la confusion des pouvoirs soit de l’alignement des pouvoirs, les mouvements citoyens
imposent certaines limites aux autorités gouvernantes en émergeant dans le jeu politique
comme contre-pouvoirs non constitutionnel plus effectivité et, ce faisant, conforterait la
confiance qui devrait se nouer entre le chef et la nation. A la lumière de tout ce qui précédé, il
apparait clairement que le serment est un acte un instaure la primauté du droit et les valeurs
sacrales , mais aussi depuis les années 90 on voit que la tendance est à la judiciarisation
Depuis les premiers présidents, ceux des années 1960 à 1990, la prestation de serment
du président de la République élu n’intéresse pas seulement le pouvoir exécutif. En dehors de
la qualité89, de la capacité90 ou du consentement non vicié du jureur, elle n’est régulière
qu’une fois l’institution, chargée de réceptionner le serment, est présente. Si, en la matière, la
Cour suprême, l’Assemblée nationale et le Comité central du parti unique furent, dans les
démocratie qui conforte l’autre : ROSANVALLON (P.), la contre démocratie. La politique de l’âge de la défiance,
2006, p. 15.
88
Outre ces deux mouvements citoyens qui ont une notoriété au- delà des frontières de leurs pays , d’autres
commencent à se faire un nom à l’instar de « croisade du Niger » organisation des droits de l’homme et de la
promotion de la démocratie qui milite pour une plus grande transparence des négociations sur l’uranium avec
AREVA, du collectif « Filimbi » (coup de filet en Swahili ) en république démocratique DU Congo qui milite
contre un troisième mandat de joseph Kabila en 2016 , du « mouvement ca suffit comme ça » au Gabon qui
revendique davantage de transparence dans le processus électoral « trop c’est trop au Tchad qui se donne
pour mission, entre autres, de veiller au respect des droits humains.
89
« Titre auquel une personne figure dans un acte juridique ou dans un procès (…) » (G. CORNU, Vocabulaire
juridique, Paris, PUF, 11è éd., 2016, p.838). Dans le cadre du serment présidentiel, le jureur doit avoir la qualité
de président de la République élu. C’est pourquoi, faute de cette qualité, le serment écrit d’A. Ouattara fut
considéré comme nul (Avis n°CI-2010-A-035/22-12/CC/SG du 22 décembre 2010 relatif à la prestation de
serment par écrit de Monsieur Alassane OUATTARA et les actes qui en découlent). De façon exceptionnelle,
dans les cas de vacance du pouvoir, le jureur à la qualité de président non élu mais constitutionnellement
désigné.
90
« L’aptitude à acquérir un droit et de l’exercer reconnu en principe à tout un individu » (G. CORNU, op. cit.,
p.148). Cette condition de régularité de la prestation de serment est réglée lors du dépôt des candidatures.
24
années 60 à 90, les véritables « intronisateurs » du président élu 91, depuis la « vague de la
démocratisation »92 , la réception du serment du président de la République élu a été, dans la
majorité des pays africains francophones, confiée aux juridictions constitutionnelles. En la
matière, on sent aujourd’hui leur prééminence et leur prépondérance. Contrairement aux, le
juge de la constitution est devenu le carrefour et le gardien de cette règle de dévolution du
pouvoir présidentiel. Partant, il n’est pas seulement le juge du contrôle de constitutionnalité
des lois et des traités ainsi que de la proclamation définitive des résultats de l’élection
présidentielle Usa93, mais aussi le « juge-intronisateur » du président élu. Au Congo
Brazzaville, au Burundi, au Niger, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Tchad d’avant 2018, en
RDC, au Sénégal, au Burkina-Faso, en Centrafrique, au Togo, en Guinée, à Madagascar, seul
91
A titre illustratif, la Cour suprême reçut le serment au Togo (art.23 de la constitution du 5 mai 1963), au
Congo-Brazzaville (art.16 de l’Acte fondamental du 26 avril 1977), au Gabon (art. 13 des constitutions de 1979,
de 1981 et de 1983), au Tchad (art. 75 de la constitution de 1989), au Sénégal (art. 31 de la constitution de
1963). L’Assemblée nationale reçut le serment au Congo-Brazzaville (art. 26 de la constitution du 8 décembre
1963, art. 41 et 42 de la constitution du 24 juin 1973),au Burkina Faso(art. 16 de la constitution du 13 décembre
1977), au Burundi (art. 30 de la constitution de 1981) ,au Gabon (art. 9 de la constitution de 1960, art. 11 des
constitutions de 1963, de 1967, de 1968 , de 1969 et de 1972, art. 10 de la constitution de 1975, art. 13 des
constitutions de 1979, de 1981 et de 1983), en Guinée (art. 48 de la constitution du 14 mai 1982). Enfin, le
Comité centrale du parti unique reçut le serment au Congo-Brazzaville (art. 41 de la Constitution du 31
décembre1969), au Burundi (art. 30 de la constitution de 1981, art. 24 de la constitution de 1974), au Gabon
(art. 13 des constitutions de 1979, de 1981 et de 1983).
92
S. HUNTINGTON, La troisième Vague. La démocratisation de la fin XXI siècle, Nouvelle Horizon, 1991,
University of Oklahoma Press.
93
Congo-Brazzaville (art. 72 et 176 de la constitution), Bénin (art. art. 49 de la constitution), Côte d’Ivoire (art.
94 de la constitution de 2000). A ce sujet, K. SOMALI, « Les élections présidentielles devant le juge
constitutionnel. Etude de cas des Etats d’Afrique noire francophone », in RDP, n°5, 2013, pp.1291-ss
25
le juge constitutionnel est chargé de recevoir le serment du président de la République élu 94
d’où l’idée de parler de la tendance à la juridictionnalisation du serment (SECTION I).
94
Congo-Brazzaville (art. 72 de la constitution de 1992, art. 69 de la constitution de 2002 et art. 77 de la
constitution de 2015) ; Niger (art. 39, 42, 50 respectivement des constitutions de la 5è, 6è et 7è République) ;
Bénin (art. 53 alinéa 2) ; Côte d’Ivoire (art. 58 de la constitution de 2016 et 39 de la constitution de 2000) ;
Tchad (art. 70 de la Constitution de 1996) ; RDC (art. 74 de la constitution de 2006) ; Sénégal (art. 37 de la
constitution de 2001) ; Burkina-Faso (art. 44 de la constitution de 1997) ; Centrafrique (art. 38 de la constitution
de 2016) ; Togo (art. 64 de la constitution de 1992) ; Guinée (art. 35 de la constitution de 2010) ; Madagascar
(art. 48 de la constitution de 2010). Au Gabon, le constituant (art. 12 de la constitution de 1991) n’a pas précisé
si c’est le parlement ou la cour constitutionnelle qui est « l’intronisateur ». Il se borne à affirmer que : « Lors de
son entrée en fonction, le Président de la République prête solennellement le serment… devant le Parlement et
la Cour Constitutionnelle… ». Le problème est tranché dans la pratique de la prestation de serment. Car, celle-ci
montre bien que le véritable « intronisateur » est le juge constitutionnel (B. E. DAVOLK, « Gabon : Investiture et
prestation de serment d'Ali Bongo pour un deuxième mandat », [vidéo en ligne]
https://www.youtube.com/watch?v=CZjKsWUYN5g (visionnée le 20 juillet 2018). Dans cette vidéo, on voit la
présidente de la cour constitutionnelle, Madame Marie-Madeleine Mborantsuo, prendre acte du serment du
président élu, Ali BONGO. Toutefois, la prestation de serment du président élu devant le juge constitutionnel
n’est pas seulement une recette du renouveau démocratique des années 1990. Au zaïre de Mobutu, l’article 56
de la constitution du 1er août 1964 dispose que : « Avant d'entrer en fonction le Président de la République
prête, devant le président de la Cour constitutionnelle (…) le serment suivant (…) » (voir aussi l’article 22 de la
constitution du 24 juin 1967). Au Congo-Brazzaville, le conseil constitutionnel, créé par la loi constitutionnelle
du 23 août 1984, avait aussi la mission de recevoir le serment du président élu (G. MVOULA ALEKA, L’évolution
constitutionnel et politique du Congo depuis 1979. Essai sur le présidentialisme monopartisan d’assemblée,
Thèse de droit public, Université de CAEN, 1989, p.90). L’expansion actuelle du juge constitutionnel n’a pas
totalement évincée la cour suprême et le parlement. II y a encore une minorité de pays qui font de la cour
suprême une institution chargée d’introniser le président élu : le Tchad (art. 75 de la constitution de 2018), le
Rwanda (art. 102 de la constitution), le Niger (art. 40 constitution de la 4è République) et le Mali (art. 37 de la
constitution de 1992). En Afrique, il y a aussi ceux qui font encore du parlement une institution chargée de
réceptionner le serment du président élu : Cameroun (art. 7 de la constitution de 1996), Egypte (art. 144 de la
constitution de 2014), Cap-Vert (art.137), Tunisie (art.76 de la constitution 2014).
95
DCC 96-017 du 05 avril 1996, recours en inconstitutionnalité du serment prêté par le président élu le 04 avril
1996; DCC 06-162 du 19 Octobre 2006 ; DCC 96-020 du 25 avril 1996 ; Décision DCC 96-058 du 29 août 1996 ;
Décision DCC 16-088 du 16 juin 2016, contrôle de conformité du serment prêté le 06 avril 2016 par le président
de la République élu, M. Patrice Athanase Guillaume TALON) ; Décision DCC 11-058 du 25 aout 2011, recours
en inconstitutionnalité du serment prêté par le Président de la République, Yayi BONI, le 06 avril 2011 ;
Décision DCC 96-058 du 29 aout 1996, recours en inconstitutionnalité du serment prêté par le président élu le
04 avril et le 06 avril 1996 ; Décision EP 16-032 du 16 juin 2016, contrôle de conformité de la décision du
Conseil des ministres… du 26 mars 2016 relative à la passation de charge entre les présidents sortant et entrant
avant la cérémonie de prestation de serment- (application de l’article 53 de la Constitution) ; avis n°CI-2010-
A035/22-12/CC/SG du 22 décembre 2010 relatif à la prestation de serment par écrit de monsieur OUATTARA
Alassane et les actes qui en découlent.
26
dans la réception du serment du président de la République élu, ce qui nous pousse à parler de
la sanction de la violation du serment ( section II)
96
E. H. MBODJ, Thèse précitée, p.285
97
Le cas, en partie bien-sûr, du serment écrit d’Alassane OUATTARA.
98
La réception du serment, par le juge constitutionnel, s’effectue toujours en présence d’un certain nombre
d’institutions, ce sont les témoins. Dans ce sens, l’article 77, alinéa 3, de la constitution du Congo-Brazzaville
dispose que : « Le serment est reçu par la Cour constitutionnelle, en audience publique et solennelle, en
présence de l’Assemblée nationale, du Sénat et de la Cour suprême ».
27
A. Le contrôle du respect de la verbalité de la prestation
Un serment peut être prêté oralement ou par écrit 99. Mais, dans le constitutionnalisme
africain, la prestation de serment, parle président élu, se fait oralement. En quoi il doit être
oralement prêté ? Ni les constitutions, ni les lois et règlements consacrent expressément une
telle forme de prestation de serment. Le caractère oral de la prestation de serment présidentiel
se justifie par la solennité de la cérémonie : une cérémonie publique, en présence des
institutions de la République et des invités divers. Dès lors, la prestation par écrit du serment
du président de la République élu est ainsi implicitement rejetée par les constituants africains.
Un président de la République élu ne pourrait prêter serment par écrit ; le fera -t-il, sa
prestation de serment sera considérée comme irrégulière pour non-respect de la forme verbale
de prestation. C’est pourquoi, dans son intervention, le juge constitutionnel africain doit
contrôler la forme verbale de la prestation de serment. Lorsque celle-ci n’est pas respectée, il
doit déclarer inconstitutionnel le serment prêté.
En Côte d’Ivoire, le conseil constitutionnel avait rejeté, en 2010, non seulement pour
défaut de qualité du jureur1007, le serment prêté par écrit d’Alassane OUATTARA. Saisit par
le président de la République juridiquement élu, Laurent GBAGBO, afin d’interpréter la
constitutionnalité de se serment prêté par écrit à l’hôtel du Golf 101, le juge constitutionnel
ivoirien déclara inconstitutionnelle ladite prestation de serment. Dans son avis n°CI-2010-
A035/22-12/CC/SG du 22 décembre 2010, après avoir reconnu la conformité de la requête
déposée102, il a considéré que : « Qu’il (Alassane OUATTARA) a adressé au Conseil
99
Par exemple, au Congo-Brazzaville, l’article 6 du statut de la magistrature dispose que : « Tout magistrat, lors
de sa nomination à son premier poste et avant d’entrer en fonction, prête le serment en ces termes…En cas de
nécessité, ces serments peuvent être prêtés par écrit ».
100
A. OUATTARA n’a pas été déclaré élu par l’institution habilitée à proclamer les résultats définitifs, le conseil
constitutionnel (Avis n°CI-2010-A-035/22-12/CC/SG du 22 décembre 2010 relatif à la prestation de serment par
écrit de Monsieur Alassane OUATTARA et les actes qui en découlent). On avait donc, deux présidents de la
République : un président de fait, Alassane OUATTARA (provisoirement déclarée, au deuxième tour, élu par la
commission électorale) et un autre président de droit, Laurent GBAGBO-juridiquement et définitivement
déclaré élu, au deuxième tour, par le conseil constitutionnel (Décision n° CI-2010-EP-34/03-12/CC/SG portant
proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010). Dans une ambiance de
contestation de cette victoire définitive de Laurent GBAGBO, Alassane OUATTARA, s’est, avec la bénédiction
des rebelles du nord du pays et de la communauté internationale, autoproclamé président de la République élu
de Côte d’Ivoire. En conséquence, il prêta serment du président de la République par écrit. A partir de
l’arrestation militaire du président Laurent GBAGBO, par un virement jurisprudentiel, le juge constitutionnel
proclama, pour une même élection, définitivement M. Alassane OUATTRA (Décision
n°CI-2011-EP-036/04/CC/SG du 04 mai 2011 portant proclamation de Monsieur Alassane OUATTARA en qualité
de Président de la République de Côte d’Ivoire). A ce sujet, S. DOUMBIA, op. cit. pp.1-24.
101
Cet Hôtel fut le quartier général du président autoproclamé, Alassane OUATTARA.
102
« Considérant que si l’avis du Conseil constitutionnel peut être sollicité par le Président de la République dans
des cas énumérés par la Constitution, il n’en demeure pas moins que, chargé, comme le prévoit l’article 34 de la
Constitution, de veiller au respect de la Constitution et des engagements internationaux, le Président de la
République puisse, à ce titre, consulter le Conseil constitutionnel, organe régulateur du fonctionnement des
28
constitutionnel un courrier en date du 04 décembre 2010, dans lequel il informe celui-ci de la
prétendue prestation (…), [par écrit,] » du serment d’entrée en fonction. Le juge ivoirien
ajoute en considérant que : « …qu’il résulte de ce qui précède que Monsieur OUATTARA
Alassane ne peut prétendre avoir été élu, encore moins avoir prêté serment ». Car, « …la
prestation de serment par écrit dont il se prévaut n’est pas prévue par la constitution
ivoirienne ; Qu’il échet, dès lors, de dire que la prétendue prestation de serment par écrit de
monsieur Ouattara Alassane, est nulle et de nul effets » 103. Il ressort de ces raisonnements du
juge constitutionnel ivoirien un rejet catégorique de la prestation par écrit du serment
présidentiel. C’est pourquoi, ce juge constitutionnel qualifie la prestation, par écrit de
serment, d’Alassane OUATTARA de « prétendu prestation ».
Alassane OUATTARA se prétendait ainsi à tort qu’il a prêté serment. Car, le constituant
ivoirien de 2000 n’avait pas prévu la prestation par écrit du serment du président de la
République élu. En plus, cette prestation de serment a été envoyée, par courriel, au conseil
constitutionnel. Elle ne pouvait être qu’irrégulière. Partant, il y a eu non-respect de la forme
verbale de la prestation de serment. Car, l’article 39 de la constitution ivoirienne de 2000
dispose que : « (…) Dans les quarante-huit heures de la proclamation définitive des résultats,
le Président de la République élu prête serment devant le Conseil constitutionnel réuni en
audience solennelle ». Nulle part, le constituant prévoit la prestation, par écrit, du serment
ainsi que l’envoie, par courriel, au juge constitutionnel dudit serment.
pouvoirs publics, sur le point de savoir si une situation donnée est de nature à violer la Constitution; Considérant
que la demande d’avis a été régulièrement introduite ; Qu’il convient de la recevoir ».
103
Avis n°CI-2010-A-035/22-12/CC/SG du 2 2décembre 2010 précité.
104
S. BOLLE, « Au nom du peuple », [en ligne]http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-au-nom-
dupeuple-73344123.html(consulté le 31 juillet 2018).
105
Décision n°CI-2011-EP-036/04/CC/SG du 04 mai 2011 portant proclamation de Monsieur Alassane
OUATTARA en qualité de Président de la République de Côte d’Ivoire.
106
Etude du serment du président de la République.
29
prestation. Ainsi, « …l’intervention de techniciens du droit permet de garantir le respect des
formalités instituées par le constituant107». Il s’agit, selon El Hadj MBODJ, de « renforcer la
légalité constitutionnelle de régimes encore instables108». Toutefois, l’intervention du juge
constitutionnel a aussi pour objet le contrôle du respect de l’intégrité de la teneur de la
formule du serment.
107
E. H. MBODJ, Thèse précitée, p.284.
108
Ibid., p.283.
109
F. SAUVAGEOT, op. Cit. p.227.
110
7Dans ce sens, B. BOUMAKANI, op. cit., p.51 ; M. ALIOUNE, « La portée juridique du serment du président de
la République», [en ligne] http://guineejuristes.com/la-portee-juridique-du-serment-du-president-de-
larepublique/(consulté le 2 septembre 2018).
30
constitutionnel, dans le cadre de son pouvoir d’interprétation créative 111de la constitution, a
comblé ledit vide juridique en institutionnalisant ainsi l’exigence de la prononciation
conforme de la formule du serment. Partant, la troncation de la formule du serment est, dans
le constitutionnalisme africain, constitutive de violation de la constitution.
111
P. WAFEU TOKO, « Le juge qui crée le droit est-il un juge qui gouverne ? », in Les cahiers du droit, n°1, 2013,
pp.145-174.
112
Décision DCC 96-017 du 5 avril 1996, cour constitutionnelle du Bénin.
113
Ibid.
114
Décision DCC 96-058 du 29 août 1996, recours en inconstitutionnalité du serment prêté par le président élu
le 04 avril et le 06 avril 1996.
31
le pronom personnel « nos » en prononçant « Devant Dieu, les mânes de nos ancêtres… » au
lieu de « Devant Dieu, les mânes des ancêtres ». Saisie d’une requête, le 06 avril 2016, par le
citoyen Irénée ADJE, la cour constitutionnelle béninoise, dans sa décision, a considéré que :
« la substitution du pronom personnel « nos » à l’adjectif « des » dans la formule du serment
telle que libellée à l’article 53 de la Constitution n’entache en rien la substance même, c’est à
dire, l’essentiel de ce serment, contrairement à la situation produite en 1996 où le président
de la République Mathieu KEREKOU a nettement et sans détours omis le membre de phrase
« les Mânes des Ancêtres », modifiant ainsi de façon substantielle la formule du serment ; que
dès lors, le serment prêté par le président de la République élu, Monsieur Patrice Athanase
Guillaume TALON, le 06 avril 2016, ne saurait être considéré comme non conforme à la
Constitution »115. On constate que, selon le juge constitutionnel béninois, pour que la
modification de la formule du serment soit déclarée non-conforme à la constitution, il faut que
le président de la République élu ait dénaturé substantiellement la formule consacrée du
serment. Cette prestation de serment a fait l’objet d’une autre décision du juge constitutionnel.
En effet, le conseil des ministres, dans un communiqué, avait prévu une rencontre, avant
prestation de serment, entre les présidents élu et sortant. Saisit pour contrôler la conformité
d’une telle rencontre, non prévue par la constitution116, le juge constitutionnel avait considéré
qu’il n’y pas eu de violation de la constitution mais simplement la mise en œuvre d’une
tradition républicaine117, instaurée depuis la Conférence des forces vives de la
Nation118.Visiblement, il n’y avait pas ici violation de l’article 53 de la constitution, donc du
serment. Car, cette rencontre n’à rien avoir avec la prestation de serment.
115
Décision DCC 16-088 du 16 juin 2016, cour constitutionnelle du Bénin.
116
Pour le requérant, cette rencontre est« une exigence complémentaire non prévue par la Constitution…et qui,
en la matière, viole l'article 53 de la Constitution… et l'article 4 de la décision de proclamation des résultats
définitifs de l’élection présidentielle de mars 2016… »( Décision EP 16-032 du 16 juin 2016, contrôle de
conformité de la décision du Conseil des ministres du 26 mars 2016 relative à la passation de charge entre les
présidents sortant et entrant avant la cérémonie de prestation de serment(Application de l’article 53 de la
Constitution).
117
V. SAINT-JAMES, « La tradition républicaine » dans la jurisprudence de droit public », in RDP, n°5, 2015,
pp.1307-1326.
118
Décision EP 16-032 du 16 juin 2016, précitée.
119
Décision DCC 11-058 du 25 août 2011.
32
locution ‘’fin de citation’’ à l'article 53 de la Constitution et s'analyse en une violation
manifeste de l'article 53 de la Constitution, pour la cour constitutionnelle il n’y pas eu
violation de la constitution120.
En Guinée, le président élu, Alpha CONDE avait aussi dénaturé la teneur de la formule du
serment en oubliant de prononcer, le 14 décembre 2015, « Et de faire respecter la constitution
». Au nom du rôle du juge constitutionnel de contrôler le respect de l’intégrité de la teneur du
serment, le secrétaire général de la cour constitutionnelle, Cheik Fantamady Condé, avait
déclaré, dans un média local, que : « Le président guinéen Alpha Condé doit de nouveau
prêter serment devant les membres de la cour constitutionnelle, pour avoir oublié une partie
dudit serment le 14 décembre » 121. Au Mali, le président élu, Ibrahim Boubacar KEITA avait
aussi, le 4 septembre 2013, omis de prononcer « respecter et faire respecter la constitution et
la loi »122. Toutefois, la mal prononciation de la formule sacramentelle n’est pas le propre de
l’Afrique. Aux USA, le président OBAMA, induit en erreur par le juge John ROBERTS en
2009, avait aussi omis de prononcer certains mots de la formule du serment123.
33
Enfin, le contrôle par le juge constitutionnel du respect de l’intégrité et de l’indivisibilité
de la formule du serment véhicule une certaine idée de sacralisation et de garantie du serment
présidentiel. Il concourt à la construction de l’Etat de droit par le développement de la culture
du respect de la constitution. C’est aussi une affirmation de l’autorité de la constitution par le
juge de la Constitution. Ce pouvoir créateur du juge constitutionnel 125 protège ainsi la
constitution contre les velléités de nature à rendre la teneur du serment présidentiel comme
une simple clause festive. Heureusement que les irrégularités de la prestation de serment sont
sanctionnées et sanctionnables. Toutefois ce contrôle exercé par le juge constitutionnel en la
matière est trop limité d’où l’idée de parler dans le second paragraphe de l’emphase du
contrôle
Pouvoir politique »126. C’est pourquoi, en cas d’irrégularité, la prestation de serment doit être
reprise. Considérée comme une forme de sanction, la reprise de la prestation de serment n’est
pas prévue par les constitutions, les lois et règlements de la République. Car, ni le constituant
originaire, ni le constituant dérivé n’ont prévu, en cas d’une prestation initiale ratée,
125
A. ESSONO OVONO, Théorie de l'interprétation et pouvoir créateur du juge constitutionnel français, Thèse
de doctorat en droit public, Université de Toulouse 1, 2000.
126
E. H. MBODJ, Thèse précitée, p.300.
34
l’exigence d’une seconde prestation de serment. Cette exigence s’apparente en une sorte de
constitutionnalisation prétorienne, c’est-à-dire une consécration jurisprudentielle.
En Guinée, le président élu, Alpha CONDE avait aussi repris, le 21 décembre 2015, sa
prestation de serment pour avoir omis de prononcer « Et de faire respecter la constitution ».
Contrairement au Bénin, en Guinée, le président élu avait repris sa prestation de serment, non
sur injonction du juge constitutionnel, mais à cause de la controverse doctrinale soulevée par
la tribune juridique de Mohamed CAMARA. Deux thèses se sont opposées. Pour la première,
en oubliant « et de faire respecter la constitution », il y a violation de la constitution.
Défendue par M. CAMARA, cette thèse fut rejetée par la deuxième qui soutient la non-reprise
de la prestation de serment. Pour cette dernière, la cour avait déjà pris acte de la mauvaise
prestation de serment, donc elle a ainsi validé la prestation avec cette omission. Dès lors,
l’autorité absolue des arrêts de la cour constitutionnelle doit s’imposer. Aussi, l’élu peut ou ne
pas prononcer « et faire respecter la constitution », car cette obligation est déjà inscrite dans
l’article 45 de de la constitution qui proclame le président comme le garant de la
constitution128. Après avoir déclaré que « Le président guinéen Alpha CONDE doit de
nouveau prêter serment devant les membres de la cour constitutionnelle, pour avoir oublié
une partie dudit serment le 14 décembre » 129, le juge constitutionnel guinéen a aussi considéré
que l’omission de « et de faire respecter la constitution » n’était pas une cause de nullité de la
première prestation du serment. Pour le président de la cour constitutionnelle guinéenne, la
deuxième cérémonie n’était pas une prestation de serment mais simplement une cérémonie
d’installation de l’élu130. Or, l’on constate que la cour constitutionnelle a accepté deux
prestations de serment131. Partant, il est clair que la première prestation fut irrégulière. Aux
USA, le Président élu, Barack OBAMA, avait été contraint, « par précaution132» et de son
127
Arrêt précité.
128
M. AL-HASSAN, op. Cit. M. A. DRAME, op. cit.
129
Y. GAO et G. CUI, op. cit.
130
M. AL-HASSAN, op. cit.
131
Ibid.
132
C. JAMET, op. cit.
35
propre gré, à huit clos, de prêter à nouveau le serment sans la Bible, le 21 janvier 2009 133. Au
Mali, le président élu, Ibrahim Boubacar KEITA, n’a pas repris la prestation 134. Cette non
reprise peut se justifier par deux éléments : le faible encrage du juge constitutionnel malien
face au pouvoir présidentiel et le peu d’intérêt qu’au jureur de respecter l’Etat de droit.
Dans le cas béninois, la décision (la reprise de la prestation par le président élu, M.
KEREKOU) du juge constitutionnel est une régularisation de la prestation initiale du serment.
Cette régularisation vise plusieurs objectifs. Le premier objectif qu’elle poursuit est le souci
d’éviter la dénaturation de la formule du serment. Dès lors, la reprise de la prestation de
serment conforte ainsi l’autorité souhaitée du serment présidentiel. Elle inculque dans la
conscience collective l’idée selon laquelle la constitution n’est pas comme toutes les règles
étatiques, et la formule du serment présidentiel relève du sacré constitutionnel. De ce fait, elle
doit être respectée dans sa lettre et dans son esprit. Le deuxième objectif poursuivit,
essentiellement politique, est l’évitement des critiques relatives à la violation de la
constitution. C’est à cause de la peur de ces critiques éventuelles que le président élu, Barack
OBAMA, avait, volontiers, accepté de reprendre la prestation de serment. Dès lors, la reprise
de la prestation de serment protège, non seulement la constitution, mais aussi le président élu
à l’égard de ses détracteurs. Troisièmement, la reprise de la prestation de serment est une
marque d’affirmation pratique de l’autorité du juge constitutionnel. Au fait, c’est une
affirmation de l’autorité du juge constitutionnel vis-à-vis du pouvoir politique. Car, ces «
décisions … ne sont susceptibles d’aucun recours »135 . Au Bénin, en imposant la reprise de la
133
Lire, à ce sujet, C. JAMET, op. cit. ; S. BOLLE, « Second serment du président : un air de déjà vu », op. cit.
134
MALIJET, « Quand IBK omet la Constitution dans sa prestation de serment ... », op. cit.
135
D. E. ADOUKI, « Contribution à l’étude de l’autorité des décisions du juge constitutionnel en Afrique », in
RFDC, 2013/3 (n° 95), juillet, pp.611 – 638 ; T. ONDO, « L’autorité des décisions des juridictions
constitutionnelles en Afrique noire francophone », in RJP, n°4,2012, pp.453-480.
36
prestation de serment, le juge constitutionnel n’a su qu’élever la constitution au rang des
objets sacrés du constitutionnalisme. Souvent traité comme un appendice du pouvoir exécutif,
le juge constitutionnel en imposant une reprise de la prestation de serment confirme, par-là,
son autorité comme un contrepoids du président de la République. Partant, il bénéficie de
l’estime et du respect des politiques à son égard. Ce qui n’a pas manqué de pousser certains
auteurs de se demander si « La cour constitutionnelle du bénin en fait-elle trop ? » 136. Par
conséquent, il faut des juges audacieux, comme celui du Bénin, avec ses propres techniques,
pour affirmer, face au politique, que la constitution est la loi suprême. Et doit être respectée
dans son esprit et dans sa lettre. En effet, ce juge constitutionnel a juste profité de l’occasion
en imposant son autorité afin qu’il ne soit plus juge des années 1960, c’est-à-dire un juge à la
merci des politiques. Dès lors, la prononciation conforme de la formule du serment est érigée
en véritable condition de régularité de la prestation de serment.
Enfin, cette sanction est encore limitée. Car, son application dépend de l’interprétation ou
de l’appréciation que fait le juge de l’omission de certains membres de phrase du serment. Le
juge peut penser que la troncation n’est pas de nature à dénaturer la formule du serment.
Alors, l’élu ne peut reprendre sa prestation de serment. C’est le cas de ce qui s’est passe au
Bénin en 2016 avec la prestation de serment du président élu, Patrice TALON 137. Pour le juge
constitutionnel béninois, le jureur n’a pas substantiellement tronqué ou dénaturé la formule du
serment. Alors, il n’y aura pas de seconde prestation de serment comme cela fut le cas en
1996. Néanmoins, lorsque l’élu refuse de prêter à nouveau le serment, en principe, il s’en suit
une seconde sanction : la non-installation.
37
« Si, un mois après l'invitation du Corps législatif, le roi n'a pas prêté ce serment, ou si, après
l'avoir prêté, il le rétracte, il sera censé avoir abdiqué la royauté ». A travers cette
disposition, l’on constate qu’en France la sanction de non exercice du pouvoir royale, en cas
de non prestation de serment, fut explicitement consacrée.
Dans le constitutionnalisme africain, la non-prestation de serment est égale àla non prise
en charge du pouvoir présidentiel. Cette sanction n’est pas explicitement consacrée. Pour
saisir le fondement de cette sanction, il faut examiner l’intransigeance des constituants vis-à-
vis de la prestation de serment du président de la République élu. En effet, si les constituants
affirment qu’« Avant d'entrer en fonction, le Président élu prête …le serment suivant… », il
faut considérer que le non-respect de cette injonction est le fondement de la sanction de non
exercice du pouvoir présidentiel. Ainsi, en imposant une prestation obligatoire de serment au
président de la République élu, les constituants imposent implicitement, en cas de non
prestation régulière de serment, la sanction de non exercice du pouvoir. Dès lors, le président
de la République qui, par omission ou volontiers, n’a pas prêté à nouveau le serment ne
saurait être considéré comme installé. Dans ce sens, étudiant le serment du président de la
République, en rapport avec le serment dans les royaumes du Sénégal, le Doyen Ibrahima
FALL écrit : «(…) aussi longtemps que le président élu n’aura pas prêté [régulièrement]
serment, il ne saurait être réputé installer dans ses fonctions(…) » 138. Dans cette même
dynamique, M. Stéphane BOLLE affirme que : « dans une hypothèse d’école où elle
refuserait expressément de jurer ou s’abstiendrait de [prêter serment], la personnalité choisie
par le suffrage universel ne pourrait régulièrement exercer les prérogatives présidentielles
»139. Un président de la République élu qui commet « l’infraction » de « non prestation
régulière de serment » rentre dans le bateau des violeurs de la constitution.
Toutefois, cette sanction donne au serment présidentiel une autre fonction, une autre finalité :
le triage, la sélection des élus présidentiels. L’application de la sanction de non exercice du
pouvoir présidentiel est à l’origine d’un système de sélection, par le serment, des gouvernants.
Une telle sélection est telle juridique et légitime ? Un président élu par le peuple, pour n’avoir
pas prêté régulièrement serment, peut-il être écarté du pouvoir ? Du point de vue juridique, la
question ne se pose pas. Mais, politiquement, ce n’est pas légitime. Car, on aura l’impression
qu’on déni la souveraineté du peuple en limitant ainsi le droit du souverain primaire à choisir
ses gouvernants. C’est pourquoi, l’histoire constitutionnelle de l’Afrique ne nous donne pas
138
I. FALL, « Le droit constitutionnel… », Op. Cit. p.214 ; B. BOUMAKANI, « Le serment constitutionnel… », op.
cit. p.51.
139
S. BOLLE, Thèse précitée, pp.258- ss.
38
des antécédents relatifs à l’application, en cas de prestation non régulière de serment, de la
sanction de « non exercice du pouvoir présidentiel ».
140
G. PAMBOU TCHIVOUNDA, op. Cit, p.807.
141
Ibid
39
étaient remplacées. Cet exemple prouve à suffisance que la non-prestation de serment est
sanctionnée par le non exercice du pouvoir.
142
L. FAVOREU(Dir) et al. Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 7è éd., 2004, p.593. C. YATALA NSOMWE NTABWE,
op. cit., pp.3-ss.
143
Ibid.
40
fonction de la décision de la Cour constitutionnelle constatant le décès ou l’empêchement
définitif du Président de la République élu. Le Président de la République en exercice reste en
Toutefois, il y a aussi des inconvénients. Le principal est lié aux dépenses étatiques et aux
candidats à l’élection présidentielle. De ce fait, il est possible que, l’Etat et les candidats,
ayant déjà dépensé à la première élection, ne puissent être animés d’un engouement à
144
On trouve une pareille disposition au Sénégal (art. 36 de la constitution de 2001), en Guinée (art. 34 de la
constitution de 2010) et au Gabon (art. 11a alinéa 5 de la constitution de 1991).
145
En réalité, il n’existe pas dans les constitutions des Etats africains une sorte de vacance de la présidence de
la République élu. Car, cette dernière n’est pas un siège.
146
J. ROBERT, « Les situations d’urgence en droit constitutionnel », in RIDC, Vol. 42 n°2, Avril-juin 1990, p.752.
147
S. BOLLE, Thèse précitée, p.265.
148
Au Bénin, le retard (le 4 au lieu du 1er avril) de la prestation de serment de Nicéphore SOGLO en 1991, pour
cause de maladie, ne sauraient être source de vacance du pouvoir. Mais, c’est une source d’empêchement
provisoire du jureur.
41
organiser des nouvelles élections. L’abstention sera au rendez-vous ; car, on aura une faible
participation. Le rôle du juge constitutionnel dans la prestation de serment ainsi analysé, il
convient maintenant d’étudier les sanctions à la violation du contenu du serment.
Le chef de l’Etat est ainsi lié constitutionnellement par son serment, dont la violation
expose ses actes à l’annulation par inconstitutionnalité.
42
La réponse à ces questions ne peut s’appréhender qu’en replaçant le débat dans la vision
globale du statut juridictionnel du chef de l’Etat et, plus spécifiquement de son statut pénal.
L’accroissement considérable en droit et en fait des pouvoirs des chefs d’Etat aurait
conduit logiquement à leur mise en cause lorsque les engagements sont trahis, la constitution
violée. Les solutions consacrées à cet égard sont généralement présentées comme marginales
quand elles ne sont pas simplement considérées comme illusoires. En effet, pris sous l’angle
autant de la responsabilité politique que de la responsabilité pénale, le principe de
l’irresponsabilité prévaut lorsqu’il s’agit de la mise en cause du chef de l’Etat. En ce qui
concerne la responsabilité politique, celle-ci est totale, excepté lorsque le chef de l’Etat décide
de son propre gré d’engager sa responsabilité devant le peuple.
Cependant, une nouvelle tendance voit le jour, et qui fait appel à la violation du serment,
comme incrimination susceptible d’être invoquée à l’encontre du chef de l’Etat.
L’incrimination de la violation du serment peut être soit incluse dans celle de la « haute
trahison » lorsque cette dernière est définie de façon large, soit faire l’objet d’une infraction
spécifique coexistant avec la « haute trahison ».
43
fonctions…. ». la définition e la haute trahison est fournie par l’article 3 de la loi du 10 aout
1999 portant loi organique de la haute cour de justice qui y inclut la violation du serment : il y
a haute trahison lorsque le président de la république a violé son serment, est reconnu auteur,
co-auteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits de l’homme, de cession
d’une partie du territoire national ou d’actes attentatoires au maintien d’un environnement
sain, satisfaisant, durable et favorable au développement »
44
président de la république jouit d’une immunité totale. respondere , tiré du latin, c’est obliger
les gouvernants, dont le premier d’entre eux, à savoir le président à ne jamais se considérer
propriétaire du pouvoir, mais à rendre compte au peuple à travers les institutions de la
République, mises en place par le peuple souverain au travers de la constitution.
Cela était sans doute une implication du fameux « omni potestas a deo » de SAINT Paul,
qui a longtemps été le paradigme explicatif de l’origine du pouvoir, et par suite de sa
sacralisation153, dans un monde ou la théocratie catholique dominait les sociétés politiques.
Mais, l’avènement de la République, marqué de façon tragique par la décapitation du roi en
150
AVRIL, (P) et GICQUEL, (J.), droit parlementaire, 2004 ; FOILLARD (ph.), droit constitutionnel et institutions
politiques, paradigme, 2006, p. 273 et s.
151
Les Etats-Unis constituent le modèle du régime présidentiel. Lire VALLET (E.) (dir), la présidente des Etas –
unis, presse de l’université du Québec, 2008
152
Article 13 de la loi du 16-24 aout de l’an 1790 en France
153
KAMTO (M.), le pouvoir et droit en Afrique, essai sur les fondements du constitutionnalisme dans mes Etats
d’Afrique, paris, LGDJ, 1987, 546p.
45
1789 en France et le succès de la notion de la chose publique 154, est venu remettre au gout du
jour un débat que le constitutionnalisme ne peut étudier jusqu’aujourd’hui à savoir celui de la
responsabilité du président de la République.
En effet, la rationalité qui est fondamentalement iconoclaste 155 ne peut se résoudre à une telle
déification du détenteur du pouvoir, dans un monde gouverné par la raison et ou l’autorité la
plus légitime est désormais celle qui est de type légal des régimes autoritaires aux régimes
démocratique, réalisant ainsi le dépassement d’un schéma normatif, formé par des principes et
des normes anciens et sa substitution par un autre schéma démocratique en ce sens qu’il se
départit du régime autoritaire pour valoriser davantage l’Etat de droit156.
Dans son sens actif, le serment crée un lien de confiance entre le chef de l’Etat et la nation.
Dans un sens passif, le serment expose son auteur à une menace qui se réalisera en cas de
parjure. La faiblesse de l'État de droit en Afrique, corrélée à l'hyper présidentialisme existant
154
Voir KAMTO (M.), « la chose publique », conférence donnée aux étudiants de droit public en avril 2004.
155
Voir TOWA(M.), essai sur la philosophie africaine, Editions Clé, 1986
156
Voir Max WEBER, Economy and society, An Outline of interpretative sociology, guenter Roth, Claus Wittch,
New York, bedminister Press, 1968
157
CONAC (G.), « quelques réflexions sur le nouveau constitutionnalisme africain », acte du symposuim
international sur la démocratie organisé par l’Organisation internationale de la Francophonie à Bamako et
disponible sur WWW.démocratie.francophonie.org. P.28.
158
Voir NGELE ABADA (M.), Etat de droit et démocratie, contribution à l’évolution politique et constitutionnelle
du Cameroun, thèse de droit public, tome1 , l’université de paris 1- Panthéon Sorbonne, janvier 1995.
46
dans de très nombreux États nous amène souvent à avoir l'impression d'une impunité totale à
l'égard des dirigeants sur le continent. Néanmoins, au-delà des impressions et des apparences,
il serait intéressant de s'interroger sur l'existence de mécanismes institutionnels, sociaux ou
politiques permettant de lutter contre ce problème d'impunité. Il faut dans un premier temps,
s’interroger sur la destitution du chef de l’Etat (A) Avant de voir dans un second temps le
rejet de la requête pour la plupart du temps (B)
47
Constitution. Seulement, dans ce cas, seule la violation aboutissant à la violation de l'État de
droit démocratique, la sûreté de l'État ou le bon fonctionnement des institutions est
incriminée. On pourra estimer que l'État de droit démocratique est violé lorsqu'un opposant
est empêché de se présenter aux élections, car celui-ci fait peur au pouvoir en place.
L'auteur précédemment cité reprend une observation intéressante selon laquelle « il est
admis en fait et en doctrine que la seule forme de responsabilité présidentielle qui vaille est,
ainsi que le souligne Claude Emeri 160, celle qui se joue devant le corps électoral à l'occasion
de consultations électorales (nationales) ou référendaires 161 ». La menace de la sanction
politique serait donc la seule à dissuader le président de la République de frauder la
Constitution ? Ce qui est sûr, c'est que la sanction politique n'est pas la seule à pouvoir être
mise en jeu. Les sanctions non juridiques sont de diverses natures, légales ou illégales ; elles
ont de réels impacts sur le renversement du régime en place en commençant par le président
qui est à sa tête mais force est de constater que sa mise en œuvre est difficile du fait d’un
possible rejet de la requête
B. Le rejet de la requête
159
Ismaïla Madior Fall, le pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme des Etats d’Afrique, Paris, L’Harmattan,
2008, p. 179.
160
Claude Emeri, « de l’irresponsabilité présidentielle », in Pouvoirs n°41, « le Président », 1987, p 139.
161
Ismaila Madior Fall , le pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme des Etats d’Afrique, op. cit, p.179.
48
Dans certains Etats où la responsabilité politique exceptionnelle du Chef de l’Etat est
prévue par les textes162, les Hautes Cours de Justice censées mettre en œuvre cette
responsabilité sont généralement inféodées au pouvoir politique. Elles constituent à cet égard
un simple maquillage démocratique. La Haute Cour de Justice est une juridiction politique
dans tous les sens. Il s’agit d’une juridiction politique d’abord du fait de la qualité de ses
principaux justiciables, le Chef de l’Etat, les membres du gouvernement et dans certains cas,
les parlementaires qui sont tous des hommes politiques ; il s’agit ensuite d’une juridiction
politique du fait que les infractions qu’elle est appelée à connaître peuvent être aisément
qualifiées de politiques ; elle est enfin de nature politique du fait de sa procédure 163 et de sa
composition particulière qui intègrent des hommes politiques dont les parlementaires. Les
Chefs d’Etats africains ont en effet beaucoup joué sur la composition et la procédure pour
maintenir ces juridictions spécifiques sous leur domination.
En ce qui concerne la composition, les premières Constitutions ont opté en grande partie
pour une composition politique à dominance parlementaire164, alors que les nouvelles
Constitutions préfèrent généralement une composition mixte. Toutefois, cela n’enlève en rien
le caractère hautement politique de la composition de ces juridictions. On note en effet une
forte prédominance d’hommes politiques165 et la plupart des magistrats élus ou nommés n’ont
leur salut que grâce au Chef de l’Etat à qui ils jurent fidélité.
La procédure devant la Haute Cour de Justice a aussi fortement été politisée. Elle est prévue
sommairement par certaines Constitutions qui renvoient à une loi organique qui fixe en plus
l’organisation, la composition et les conditions de saisine 166. Paradoxalement, c’est sous le
parti unique que les législateurs africains ont élaboré le plus de lois organiques, sans doute
162
Voir l’article 127, alinéas 1 et 2 de la Constitution togolaise.
163
Pour la procédure, voir, Ahmed TIDJANI BA, « L’Exécutif dans les démocraties pluralistes africaines.
L’exemple des Etats francophones de l’Afrique de l’Ouest », Revue burkinabé de Droit, n° 35, 1er semestre
1999, pp. 25-26. 53 Voir l’article 62 alinéa 1 de la Constitution gabonaise de 1961. Au Togo, voir le Titre IX de la
Constitution du 5 mai 1963.
164
Voir l’article 62 alinéa 1 de la Constitution gabonaise de 1961. Au Togo, voir le Titre IX de la Constitution du
5 mai 1963.
165
Ainsi, selon l’article 79 nouveau issu de la révision constitutionnelle gabonaise de 2018, « La Haute Cour de
Justice est composée de vingt et un (21) membres dont six (6) désignés en son sein par l’Assemblée Nationale,
six (6) désignés en son sein par le Sénat et des neuf (9) membres de la Cour Constitutionnelle ». L’ancienne
Constitution tchadienne de 1996 révisée en 2004 ainsi que la loi organique de 2000 prévoient aussi une
composition mixte de la Haute Cour de Justice à dominance parlementaire : dix députés, deux membres du
Conseil constitutionnel et trois membres de la Cour suprême (article 173 de la Constitution). La Haute Cour de
Justice togolaise instituée par la Constitution de 1992 est aussi composée de la même façon : trois magistrats,
plus précisément le Président et les Présidents de chambres (judiciaire et administrative) de la Cour suprême et
quatre députés élus par l’Assemblée nationale (articles 123 et 126 de la Constitution togolaise).
166
Voir respectivement les articles 126 alinéa 3, 135 alinéa 3, et 80 nouveau des Constitutions togolaise,
béninoise et gabonaise.
49
parce que leur effectivité pratique était douteuse. Depuis le processus de démocratisation, les
lois organiques sont une denrée rare167. En général, la procédure comprend au moins deux
phases, une phase parlementaire ou la mise en accusation et une phase judiciaire ; et c’est
justement la phase de mise en accusation sans laquelle aucune poursuite n’est possible qui
reste très problématique. En effet, presque tous les textes régissant les Hautes Cours de Justice
confèrent au Parlement l’initiative de la mise en accusation du Chef de l’Etat et des membres
du gouvernement168. Elle se fait sous forme d’une proposition de résolution qui est examinée
selon la procédure établie. Cette résolution doit généralement être adoptée à une très large
majorité169, le plus souvent difficile à dégager compte tenu du fait que les Parlements sont soit
« monocolores », soit dominés par la majorité présidentielle. Dans une telle situation, le
déclenchement de la procédure contre le Chef de l’Etat et son gouvernement reste largement
hypothétique. La phase de mise en accusation a fortement été rationalisée de telle sorte que
dans la pratique, il devient quasiment impossible de mettre en cause la responsabilité du Chef
de l’Etat et de ses ministres.
167
Télesphore ONDO, La responsabilité introuvable du Chef d’Etat africain …, op. cit., p. 242.
168
Lallé Elisabeth KANGAMBEGA, Les procédures pénales dérogatoires au droit commun. Etude comparée de
droit français et de quelques droits d’Afrique noire francophone (Burkina, Côte d’Ivoire, Niger, Togo), Thèse,
Droit privé et Sciences criminelles, Université de Poitiers, 1997, pp. 568-570.
169
Ainsi, selon l’article 129 alinéa 2 de la Constitution togolaise, « La décision de poursuivre ainsi que la mise en
accusation du Président de la République et des membres du Gouvernement sont votées à la majorité des
quatre cinquième (4/5) des membres de chacune des deux Assemblées composant le Parlement, selon la
procédure prévue par une loi organique ». Au Bénin, au terme de l’article 137 alinéa 2, la décision de poursuites
puis la mise en accusation du Président de la République et des membres du Gouvernement sont votées à la
majorité des deux tiers des députés composant l'Assemblée nationale. En RDC, l’article 166 alinéas 1 et 2
dispose que « La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du
Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement ... La décision de poursuite
ainsi que la mise en accusation des membres du Gouvernement sont votées à la majorité absolue des membres
composant l’Assemblée nationale … ».
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