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INTRODUCTION GENERALE

Se donner pour objet d’étude le serment dans le sens juridique et constitutionnel n’est
pas chose aisée, loin s’en faut. Il s’agit plutôt d’une tâche littéralement fastidieuse. Cependant,
vu sous l’angle de la littérature du moyen âge, étudier sinon parler du serment c’est aborder
un phénomène humain tout à fait élémentaire et complexe, qui semble être de tous les temps
appartenir à toutes les cultures ; élémentaire parce qu’il semble régir les rapports sociaux de
nombreux peuples, complexe en raison de son apparente universalité, de la diversité des
cultures dans lesquelles il apparait.

Hérité du droit romain, le serment est encore activement présent, à l’aurore du


XXIème siècle. Dans la vie sociale, politique et religieuse des sociétés les plus avancées.
Mais, il est également présent, selon des formes et des modalités variées, dans de nombreuses
cultures africaines et orientales. Il intéresse donc des disciplines aussi diverses que le droit,
l’anthropologie, l’histoire, les sciences religieuses, la linguistique ou la philosophie 1.

L’analyse à mener sur le « serment en droit constitutionnel » commande de s’associer


au professeur Michel Verpeaux pour rappeler le fameux et beau serment du Jeu de Paume
prêté par les députés du tiers état i2. En effet, « le 20 juin 1789, dans la salle du Jeu de Paume
du château de Versailles, les Etats généraux qui venaient de se transformer en Assemblée
nationale le 17 juin précédent, ont juré de ne pas se séparer avant d’avoir donné une
constitution au royaume de France »3. A la vérité, il s’agit là d’un acte d’engagement qui fait
objet de débats et d’une attention particulière en droit constitutionnel au point même d’être
devenu une des garanties majeures du bon fonctionnement des institutions politiques. Cette
idée a, en fait, traversé non seulement l’esprit des pères fondateurs de l’une des plus vieilles
Constitutions du monde4, mais aussi celui des rédacteurs des Constitutions récentes 5 .

1
La diversité des approches possibles du serment est bien représentée dans l’ouvrage le serment, dir. R
VERDIER, paris CNRS Editions, 1991, 2 vols
2
En France sous l’ancien régime, le tiers état désigne les députés aux Etas généraux qui représentent les villes
privilégiées, c’est-à-dire le député et la bourgeoisie. En effet, les provinciaux étaient des assemblées purement
fiscales dont la fonction était de voter l’impôt et d’en décider la répartition entre les différentes
circonscriptions administratives.
3
VERPEAUX (M.), La constitution, DALLOZ, paris, 2008, p.5.
4
Les rédacteurs de la constitution américaine de 1787 ont prévu qu’avant d’entrer en fonction, le président des
Etats- unis d’Amérique prête serment : article 2 section1 de la constitution des Etats –unis d’Amérique.
5
La plupart des Constitutions africaines adoptées après les années 1990 prévoient que le président de la
République doit prêter serment avant son entrée en fonction. Voir à ce sujet article 53 de la Constitution
béninoise du 11 décembre 1990 ; article 37 de la Constitution malienne du 12 janvier 1992 ; article 64 de la
Constitution togolaise du 27 septembre 1992 ; article 70 de la Constitution tchadienne du 31 mars 1996 ; article
36 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 ; article 50 de la Constitution nigérienne du 25 novembre
2010.

1
Toutefois, nonobstant l’intérêt grandissant que les nouveaux constituants attachent à cette
pratique de grande portée et d’extrême importance, force est de constater que le serment n’a
pas véritablement suscité la vraie curiosité attendue des chercheurs 6. Il mérite, par conséquent,
qu’on s’y intéresse afin d’explorer de fond en comble le champ, pourtant fertile, de cette
thématique qui n’a de cesse de se faire place dans le panthéon des problématiques
contemporaines du droit constitutionnel africain. Mais, avant toute analyse au fond, il
convient de se pencher sur les contours riches et variés de ce concept.

D’abord, au sens général, le serment – sacramentum en latin- est une « affirmation


solennelle, orale ou écrite, par laquelle une personne promet de se comporter d’une manière
ou atteste de la véracité d’une déclaration »7. Ainsi, le serment le serment peut prendre trois
formes : Primo, il peut s’agir d’une « promesse avant l’accomplissement de l’acte »8. En ce
sens, le serment est promissoire ou professionnel 9. Secundo, notamment en droit civil 10, le
serment s’entend d’une « affirmation attestant la véracité d’une assertion de son auteur
relative à un fait généralement passé »11. Ce faisant, on parle du serment décisoire ou litis-
decisoire12 du serment de crédulité ou de crédibilité , du serment extrajudiciaire , in litem,
judiciaire , probatoire, purgatoire, supplétoire ou supplétif et même du faux serment.

Tertio, le serment apparait comme une affirmation attestant la véracité de la


déclaration d’un tiers. Il en va ainsi de la vérification du rapport de mer, c’est-à-dire la
formalité se réduisant, dans la pratique des tribunaux de commerce à une attestation, par
quelques membres de l’équipage de la sincérité de la narration du capitaine 13.

Ensuite, sur le plan religieux, le serment en Islam se définit de la manière


suivante : « c’est jurer par un des noms divins ou un des attributs de dieu »14. Autrement dit,
le serment en Islam est « le fait de jurer au nom d’Allah ou de ses attributs pour garantir,
affirmer, témoigner ou confirmer un acte, une action, une intention, une promesse, etc. ».15
Partant de ce postulat, dans la religion musulmane, il y a trois sortes de serments : le premier
6
« Le serment imposé au président en Afrique par des constitutions syncrétique », http://www.laconstitution-
en-afrique.org
7
CORNU (G.) (dir.) Vocabulaire juridique, Quadrige, PUF, paris, 2002, p.948.
8
Ibid.
9
Par exemple, les magistrats, les avocats, les officiers ministériels, les médecins prennent l’engagement
solennel de remplir fidèlement les devoirs de leur charge ou de leur état.
10
BERNABE (B.), « serment juridique », JurisClasseur, Fasc. 673, avril 2001, p. 1-20.
11
CORNU (G.), (dir) Vocabulaire juridique, op cit. p.948.
12
Il s’agit selon CORNU du serment déféré par un plaideur à son adversaire, sur des faits personnels à ce
dernier, afin d’en dépendre la solution du litige et qui, doté de tels effets, constitue à la fois une preuve légale
et un mode de disposition du droit, cf. CORNU (G.), (dir) Vocabulaire juridique, op. cit, p. 948.
13
CORNU (G.) (dir), Vocabulaire juridique, op. Cit. p. 948
14
ELDJAZAIRI (A.D), La voie du musulman (MINHAJ ELMOSLIM) p.503

2
est appelé faux serment prémédité16. Son auteur commet un grave péché et mérite l’enfer. Le
second serment est dit irréfléchi parce que « c’est ce que l’homme profère inconsciemment
sans cesse dans ses propos »17. Le troisième est le serment solennel ; celui qu’on fait avec
l’intention déterminée d’accomplir ce qu’on jure de faire à l’avenir, tel que : « je jure par
Dieu de faire telle chose »18. Cette conception islamique du serment est à distinguer du
serment de fidélité prévu par les textes de loi carolingienne et les collections canoniques de
l’Eglise19. En effet, les textes normatifs carolingiens 20 et ceux des canonistes proclament que
le serment n’est utilisé que dans des circonstances graves, tel le serment de fidélité des
Anciens de David sacré roi d’Israël, et celui du peuple et des soldats à Joas, petit- fils
d’Athalie21. Il constitue, au moyen âge, l’acte par lequel on prend dieu à témoin de la vérité
d’une parole22 ; sous le régime féodal, c’est un contrat conclu entre le seigneur et son vassal,
c’est-à-dire un contrat solennel qui se noue par l’hommage et se confirme par un serment de
fidélité23. Laïcisé, le serment s’est développé en procédure civile et figure au rang des modes
de preuve en matière civile24.

Enfin, en droit constitutionnel, le serment s’entend, d’une part, d’« un engagement


solennel de comportement d’une personne, lors de la prise de fonctions »25. D’autre part le
serment est un simple « engagement de fidélité ou de loyalisme à l’égard d’une autorité
politique »26. Il s’agit dans les deux cas d’une « déclaration ou promesse solennelle orale par
laquelle le titulaire d’un office ou fonction publique, avant d’entrer en fonction, promet et
jure publiquement de se comporter d’une certaine manière, conforme à la moralité

15
CHEICK MAHAMAN (B.O.), serment en Islam (formes, causes, conséquences en cas de violation) » document
dactylographié, Niamey, décembre 2014, p. 1. Selon lui « l’appellation du serment en Islam est AL- Yamine
dont le pluriel est YAMANE », il est religieux, et se prononce selon la confession du réfractaire, dont seuls les
monothéistes le font devant les livres de leurs confessions ou dans leurs lieux de cultes, Ibid. p. 1.
16
Le prophète (S.B. sur lui) dit : « celui qui sciemment, fait un faut serment pour s’approprier illicitement le
bien d’un autre musulman, verra dieu courroucé le jour où il se présentera devant lui ». Ibid., p. 504.
17
AICHA dit : « le serment irréfléchi est ce que l’homme fait en parlant avec sa famille quand il dit « mais non
par dieu ! » ELDJAZAIRI (A. D.), la voie du musulman (Minhaj Elmoslim), op. cit., p.504
18
Ibid., p. 505.
19
FOURNIER (P.), le Bras (G.)., Histoire des collections canoniques en Occident depuis les fausses décrétales
jusqu’au décret de Gratien, tome 1, Sirey, paris, 1931.
20
IMBERT (J.), « les temps carolingiens (741-891). L’Eglise : la vie des fidèles », in le Bras (G.), GAUDEMET (J.)
(dir), histoire du droit et des institutions de l’Eglise en occident, Cujas, paris, 1996
21
GUADEMENT (J.), « le serment dans le droit canonique médiéval » in VERDIER (R.) (dir) le serment, CNRS,
paris, 1991, p. 63-75.
22
Ibid.
23
LEMESLE (B.), « le serment promis. Le serment judiciaire à partir de quelques documents angevins des XIe et
XIIe siècles », in Crime, Histoire et société/ crime, vol. 2/2002, p. 5-28.
24
BERNABE (B.), « serment judiciaire », in JurisClasseur procédure civile, Fasc. 673, 2011, p. 1-20.
25
AVRIL (P.), GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, PUF, que sais-je ?, paris, 2003, p.112.
26
Ibid.

3
constitutionnelle et/ou aux règles supérieures de droit notamment la Constitution »27. Il
s’ensuit que le serment est, en matière constitutionnelle, différent des serments judiciaire et
religieux : Il demeure essentiellement promissoire, c’est-à-dire qu’il ne porte pas sur le passé
mais pour l’avenir28. Ainsi, le serment politique est un serment promissoire.

Largement présent dans l’antiquité gréco- romaine mais condamné par Jésus dans le
nouveau Testament, l’usage du serment trouve pourtant une légitimité auprès des pères de
l’Eglise, notamment saint augustin dont les textes sont repris par le droit canon. En effet, le
serment en tant que jugement de dieu, s’opposant aux paroles de Jésus Christ, a été condamné
par l’Eglise qui a préféré « l’exégèse casuistique de Saint Augustin, qui relativise l’interdit
en raison de l’échelle de gravité des fautes sur cette base, le droit canonique consacre la
force obligatoire du serment »29.

Dans la cité antique, le serment était considéré comme le garant des institutions et de leur
bon fonctionnement. Il engagerait le récipiendaire à l’égard de l’organisation étatique dont il
devenait membre. En effet, à Athènes, les jeunes qui passaient au rang de citoyens étaient
obligés de prêter un serment qui conditionnait leur intégration à la communauté publique 30.En
Grèce, le serment était aussi un acte essentiel de la vie publique, se présentant à la fois comme
gage de bon fonctionnement, de la stabilité et de la sécurité des institutions. La vie juridique
reposait également sur le serment. En orient, on exigeait même de tous les provinciaux un
serment de dévouement à la place du prince régnant. Cette exigence du système serment va
se perpétuer dans l’Europe nouvelle comme ce sera le cas dans le système monarchique de
l’ancienne France. Tantôt règle d’infrastructure d’Etat et mode d’intégration de l’individu
dans la communauté politique, tantôt simple pratique de politique gouvernementale, le
serment était exigé de tous ; chef de l’Etat, fonctionnaires et magistrats, simples sujets ou
citoyens31. Mais, le cas le plus fréquent est le serment du chef de l’Etat comme on l’observe

27
VILLIERS (M. de), LE DIVELLEC (A.), dictionnaire du droit constitutionnel, 9éme édition Sirey, paris 2013, p.
337.
28
Ibid.
29
JACOB (R.), dictionnaire du Moyen-Age, serment, PUF, paris, p.1327.
30
OLIVIER (S. de), dictionnaire de l’histoire de France, serment, Archives Larousse, paris, Ed. 2005, p. 1
31
CHIAPPINI (Ph), le droit et le sacré, DALLOZ, Sirey, paris, 2006.

4
aux Etats-Unis d’Amérique32, en Allemagne33 ou en Autriche34. Il peut, toutefois, concerner
les membres du gouvernement35, les magistrats36et, plus rarement, les députés37.

Cette brève esquisse historique révèle que le serment est une institution à la lisière du
droit et du sacré38. C’est un des fondements essentiels de l’ordre juridique interne. Il permet à
l’Etat de s’assurer de la fidélité absolue de ces plus hautes autorités aux institutions et de leur
dévouement total à la cause du peuple. Il se rapporte donc aux engagements individuels de ces
autorités vis- à-vis de leur communauté. C’est pour cette raison qu’on trouve nombre de
traces de serment dans les différentes Constitutions. En effet, sans qu’il n’y revête le même
sens, le serment occupe la place éminente qui est la sienne.

Il est à noter que les Constitutions des Etats d’Afrique francophone prévoient, presque
toutes, le serment du chef d’Etat, son texte 39 et les acteurs du rituel : c’est une disposition
constitutionnelle réitérée, reprise sous des formes diverses au gré des contextes et des
changements politiques.40

Ravalé au rang de simple formalité sans valeur pratique tant du point de vue coercitif que
préventif, ou rehaussé au rang d’élément central de la symbolique de régénérescence de la
démocratie en Afrique, le serment du chef de l’Etat a une valeur emblématique indéniable. En
effet, aussi loin que l’on recherche dans l’espace41ou que l’on remonte dans le temps42, la
32
Article 2 de la section 1 de la constitution américaine de 1787.
33
Article 56 de la loi fondamentale de 1949.
34
Article 63 de la constitution Autrichienne.
35
Par exemple, en Italie, les membres du gouvernement prêtent serment devant le chef de l’Etat, tandis qu’en
Allemagne, ils le font devant le Bundestag. Ii en va ainsi en Suisse.
36
Le cas est fréquent pour les magistrats, notamment les juges constitutionnels en Allemagne, en France, etc.
37
Par exemple, en Suisse et au canada, les parlementaires prêtent serment.
38
Ibid.
39
Sauf quelques rares exceptions à l’instar du Cameroun. L’article 7 de la constitution renvoie à la loi pour la
formule du serment et pour les modalités du rituel (constitution du 18 janvier 1996.)
40
Dans les années 1970, sous l’empire du parti unique, de nombreux Etats ont abandonné l’ordre
constitutionnel libéral pour se tourner vers des régimes de retour à l’authenticité (Zaïre, TCHAD, Togo) ou
d’orientation socialiste (Bénin, Congo Brazzaville). Les formules du serment en portaient la marque. Au Congo
Brazzaville, par exemple, l’article 41 de la constitution du 24 juin 1973 prévoyait la formule suivante : « je jure
fidélité au peuple congolais, à la révolution et au parti congolais du travail. Je m’engage, en me guidant des
principes marxistes- léninistes, à défendre les statuts du parti et de la constitution, à consacrer toutes mes
forces au triomphe des idéaux prolétariens du peuple congolais dans le travail, la démocratie et la paix », voir
PAMBOU TCHIVOUNDA (G.), « le serment politique en Afrique noire contemporaine », revue juridique et
politique : indépendance et coopération, 1981, p. 796-810.

41
La source du serment en Afrique serait inspirée par le modèle américain. Aux USA, la constitution oblige le
président élu ou le vice- président en cas de décès, démission ou empêchement définitive du président à
prêter serment de remplir des devoirs constitutionnels.
42
En dépit des influences étrangères, le serment du sujet et le serment du roi étaient en vigueur en Afrique
avant la colonisation. Le serment actuel peut être considéré comme un retour aux sources locales, voir FALL
(I.), « le droit constitutionnel au secours de l’authenticité et de la négritude », Annales Africaines, 1973, p.212

5
notion du serment correspond, de manière générale, à l’affirmation solennelle et codifiée
qu’une personne fait par voie orale en vue d’attester d’un fait, de la sincérité d’une promesse,
de l’engagement de bien remplir les devoirs de sa charge.

Il résulte de ce panorama définitionnel que le serment est d’essence orale, verbale au


double sens de mot et de parole : le serment est un texte dit, une formule proférée. En outre,
cette définition amène à déterminer deux sortes de serment : le serment assertoire qui a trait
au passé, à la confirmation de la vérité d’un fait, d’une parole et le serment promissoire qui se
rapporte à l’avenir, et consiste en l’affirmation d’un engagement.

D’ailleurs, c’est ce dernier qui correspond au serment du chef de l’Etat, objet de cette présente
étude. Vu sous cet angle, le chef de l’Etat est tenu de faire en sorte que ce qu’il jure se
réalise pour que le serment soi vrai. Le serment du Président de la République est en effet la
souscription par lui d’un certain nombre de prescriptions, de devoirs qui sont des attentes du
peuple vis -à- vis de lui, et donc des exigences : respect de la Constitution, de l’Etat de droit,
préservation de l’intégrité du territoire, défense de la souveraineté nationale, fonctionnement
régulier des institutions, promotion du bien commun, de l’unité nationale.

Par ailleurs, pour circonscrire notre sujet, notre étude ne portera que sur l’Afrique noire
francophone, où presque tous les chefs d’Etat doivent, en vertu des dispositions
constitutionnelles, prêter serment avant leur entrée en fonction dans un contexte où l’option
de démocratisation des systèmes politiques n’a pas fondamentalement modifié la
prépondérance du chef de l’Etat au sein de l’espace politique et institutionnel 43. Il ressort de la
genèse du serment retracé plus haut que l’ordre juridique interne de beaucoup d’Etats s’appuie
sur de multiples serments : judicaire, extrajudiciaire, religieux, assertoires, professionnels et
promissoire ou politiques. Cependant, notre étude sera centrée sur ces derniers, les plus
importants du point de vue de l’ordre juridique car concernant le Président de la République.

Ce sujet n’est pas sans intérêt en ce sens que, le serment prescrit au chef de l’Etat par la
Constitution, tire son fondement de celle-ci, car c’est elle qui l’institue et en détermine le
contenu. Il apparait alors que le chef de l’Etat ne peut commencer à exercer ses fonctions sans
une prestation préalable de serment. Le refus de prêter serment entraine l’impossibilité
d’assurer la fonction, tandis que la troncation ou l’ajout ou plus généralement l’altération de

43
Jean de Bois DE GAUDUSSON souligne qu’en dépit du renouvellement du dispositif juridique régissant le
système politique africain dans les années quatre-vingt-dix, l’institution présidentielle n’en reste pas moins
prépondérante dans l’ensemble des régimes africains.

6
son indivisibilité, soit par omission d’une partie de sa formule 44, soit par l’ajout d’une
quelconque locution45 entraine l’annulation d’un serment prononcé.

Nombreux sont aujourd’hui les Constitutions ayant choisi d’enraciner la construction


de l’Etat de droit et de la démocratie pluraliste sur le respect de la morale publique. Mais,
rares sont celles qui ont consacré le serment en faisant recours, soit aux « vieux fonds
coutumiers »46 soit aux textes religieux sacrés. Ces Constitutions ont fait du serment un
moyen moderne de gouvernement. La violation du serment est aussi une violation de la
Constitution, violer gravement la Constitution, c’est violer fondamentalement le serment.
C’est pourquoi la responsabilité juridique du chef de l’Etat peut être engagée, notamment
lorsque la violation du serment est une incrimination formellement prévue.

Dès lors, la question qui se pose est de savoir : Est-ce que le caractère ou la portée
juridique du serment présidentiel est effectif dans sa mise en œuvre dans les Etats africains
francophones ? En d’autres termes, la question pertinente est de savoir si le caractère juridique
du serment théoriquement observé est absolu dans la pratique.

De telles interrogations surgissent au regard du sort réservé au serment en Afrique,


objets de banalisation et d’accusations de violations de toutes sortes de la part des personnes
qui y sont assujetties. Ainsi, le serment appel solennel au sacré – devient un simple rituel
majeur vidé des mots des paroles et des comportements qui lui donnent toutes ses formes et
tous ses sens. A ce titre, il ne fait aucun doute que l’utilité du serment semble remise en
cause par les risques de parjure et très souvent le refus délibéré des personnalités de
souscrire systématiquement aux termes dans lesquels le serment a été formulé par les
constituants.

A vrai dire, de tels reproches n’épargnent ceux qui ont prêté le serment politique ni
ceux qui se sont engagés sur « le livre saint de leur confession » ou devant les « mânes de
leurs ancêtres », d’où l’intérêt d’examiner les formes ou contenus du serment qui diffèrent
d’une Constitution à une autre. Cette analyse permettra d’apprécier concrètement la valeur
juridique du serment de vérifier sa conformité à certains principes et règles à valeur
constitutionnelle, notamment celui lié au caractère laïc de l’Etat prévu par certaines

44
Décision DCC, 96-017 du 5 avril 1996, Annuaire Béninois de Justice Constitutionnelle, 1-2013, p. 280-289.
45
Décision D.C.C. 11-085 du 25 août 2011, ligali et Gandho.
46
BOLLE (S.) Le nouveau régime constitutionnel du bénin. Essai sur la construction d’une démocratie par la
Constitution, Thèse de doctorat, Montpellier 1, 13 décembre 1997, p. 258 et s

7
Constitutions, et de jeter un regard sur le comportement des autorités politiques afin de juger
leur conformité au serment.

Sous le bénéfice de ces considérations majeures, l’analyse de ce sujet reposera sur


deux axes majeurs. D’une part, il s’agira de mettre en exergue l’incontestable portée juridique
du serment présidentiel (Titre I) avant de relever la relativité de la portée juridique de ce
dernier (Titre II), d’autre part.

8
TITRE I : L’incontestable portée juridique du serment présidentiel

Pratiquement toutes les Constitutions du monde ont prévu un cérémonial


d’investiture du président de la République nouvellement élu et ce cérémonial peut prendre
plusieurs formes dont la plus emblématique est la formalité de prestation de serment. Le
serment qui vient du latin sacramentum signifie rendre sacré et correspond entre autres à
l’engagement solennel de bien remplir les devoirs de sa fonction .Aussi étrange que cela
puisse paraître certains pays même les plus démocratiques ne prévoient pas de cérémonial de
prestation de serment .En France par exemple , alors que de grandioses cérémonies
d’investiture ont lieu à chaque élection présidentielle , le président de la République ne prête
pas serment car la Constitution française ne prévoit pas cette formalité ce qui d’ailleurs fait
réagir à chaque investiture des juristes et des politiques français sur cette incongruité de la loi
fondamentale de ce pays. Une proposition de loi constitutionnelle a même été déposée en
2005 par des sénateurs français à l’effet d’instaurer une prestation de serment pour le
président de la République français mais cette proposition n’a pas été suivie d’effet.

Il est pour le moins hasardeux de comparer le serment du président de la République


au serment prêté par d’autres autorités ou dépositaires d’une charge publique ou privée .Le
serment prêté par ces personnes ( magistrats, assesseurs judiciaires,notaires,huissiers de
justice ,avocats et même membres du Conseil constitutionnel ) est un serment professionnel
alors que le serment du président de la République est un serment politique. La prestation de
serment du président de la République est un engagement solennel et une implication morale
ferme de respecter la Constitution et les institutions de la nation. Prêter serment en jurant sur
le Coran ou la Bible n’est certes pas une garantie suffisante pour que l’investi puisse tenir ses
promesses, mais dans les pays démocratiques où la loi constitutionnelle est respectée et
appliquée à la lettre, le non-respect des engagements pris lors de la prestation de serment peut
conduire à une destitution. Ce qui nous amène à voir la sanction juridictionnelle du serment
chapitre (II). Aussi pour que le président de la République puisse rendre des comptes au cas
où il ne respecte pas ses engagements, il faudrait bien qu’il prête lui-même ce serment et non
pas déléguer cette charge à une autre personne fut-elle le président de la Cour suprême ou du
Conseil constitutionnel, voilà le sens du chapitre (I) le serment une formalité substantielle.
Même dans les Constitutions où la prestation de serment du président de la République est
faite devant une autorité telle le président de la Cour suprême ou le président du Conseil
constitutionnel, le président de la République doit lui-même prononcer le serment.

9
Chapitre I : le serment une formalité substantielle

Le serment est une pratique socioprofessionnelle répandue : le médecin, l’avocat, le


magistrat, le douanier, l’expert-comptable, le sportif de haut niveau à l’ouverture des Jeux
olympique par exemple ou le simple garde-chasse sont soumis à la prestation de serment, le
rite est très ancien47 et l’esprit général quasiment le même : on s’engage à pratiquer l’idéal et à
observer les obligations préconisées par le serment.

Il est à noter, dans le champ politique, que les constitutions des Etats d’Afrique
francophone prévoient, presque toutes, le serment du chef de l’Etat, son texte 48 et les actes du
rituel : c’est une disposition constitutionnelle réitérée, reprise sous des formes diverses au gré
des contextes et des changements politiques49.

Ravalé au rang de simple formalité sans valeur pratique tant du point de vue coercitif
que préventif, ou rehaussé au rang d’élément central de la symbolique de régénérescence de
la démocratie en Afrique, le serment du chef de l’Etat a une valeur emblématique indéniable.

En effet, en Afrique francophone presque tous les chefs d’Etats doivent, en vertu des
dispositions constitutionnelles, prêter serment avant leur entrée en fonction d’où, Une
condition sine qua non à la prise de fonction présidentielle (section I) dans un contexte où
l’option de la démocratisation des systèmes politique n’a pas modifié la prépondérance du
chef de l’Etat au sein de l’espace politique et institutionnel 50. Aussi loin que l’on recherche
dans l’espace, que dans le temps, la notion de serment correspond, de manière générale, à
l’affirmation solennelle et codifié qu’une personne fait par voie orale en vue d’attester d’un
fait, de la sincérité d’une promesse, de l’engagement de bien remplir les devoirs de sa charge
ce qui donne à voir, Le serment, un rite aux implications pratiques tangibles ( section II).

Section I : une condition sine qua non à la prise de fonction présidentielle

Il résulte de la définition si dessus que le serment est d’essence orale, verbale au


double sens de mot et de parole : le serment est un texte dit, une formule proférée. En outre,

47
Le serment n’est pas une institution d’origine récente ; on trouve trace dès les époques les plus reculées, voir
Fabre (M.H), le serment politique (Etude constitutionnelle : 1789- 1941), thèse Droit, Aix Marseille, 1941, p. 17
48
Sauf quelques rares exceptions à l’instar du Cameroun. L’article 17 de la constitution renvoie à la loi pour la
formule du serment et pour les modalités du rituel (constitution du 18 janvier 1996).
49
Dans les années 1970, sous l’empire du parti unique, de nombreuses Etats ont abandonné l’ordre
constitutionnel libéral pour se tourner vers des régimes de retour à l’authenticité (Zaïre, Tchad, Togo) ou
d’orientation socialiste (Bénin, Congo Brazzaville). Les formules du serment en portaient la marque.
50
Jean du bois de Guaudisson souligne qu’en dépit du renouvellement du dispositif juridique régissant le
système politique africain dans les années quatre-vingt- dix, l’institution présidentielle n’en reste pas moins
prépondérante dans l’ensemble des régimes politiques africains.

10
cette définition amène à déterminer deux sortes de serment, le serment assertoire qui a trait au
passé, à la confirmation de la vérité d’un fait, d’une parole et le serment promissoire qui se
rapporte à l’avenir, et consiste en l’affirmation d’un engagement. C’est ce dernier qui
correspond au serment du chef de l’Etat car il porte sur les actes qu’il s’engage à accomplir.
Le chef de l’Etat est tenu de faire en sorte que ce qu’il jure se réalise pour que le serment
soit vrai. Le serment du président de la République est en effet la souscription pour lui d’un
certain nombre de prescriptions, de devoirs, qui sont des attentes du peuple vis-à-vis de lui, et
donc des exigences : respect de la constitution, de l’Etat de droit, préservation de l’intégrité du
territoire national, défense de la souveraineté nationale, fonctionnement régulier des
institutions, promotion du bien commun, de l’unité nationale.

Le serment, prescrit au chef de l’Etat par la constitution, tire son fondement de celle-ci
car c’est elle qui l’institue et en détermine le contenu. Il apparait alors que le chef de l’Etat ne
peut commencer à exercer ses fonctions sans une prestation préalable du serment c’est ce qui
nous conduit à voir dans un premier temps, le serment, une obligation constitutionnelle
prescrite (paragraphe 1) , le refus de prêter serment entraine l’impossibilité d’assurer la
fonction, tandis que la troncation ou l’ajout ou plus généralement l’altération de son
indivisibilité, soit par l’ajout d’une quelconque locution 51 entraine l’annulation de se serment,
ce qui nous donne à scruter d’autre part, une obligation constitutionnelle encadrée( paragraphe
II)

Paragraphe I : le serment une obligation constitutionnelle prescrite

Le serment constitutionnel du chef de l’Etat est l’une des illustrations de


l’encadrement juridique sans cesse plus marqué des phénomènes politiques 52. Cette emprise
du droit se vérifie par l’institution et la détermination du contenu du serment par la
constitution, qui fait du serment une formalité obligation préalable à la prise de fonction par le
chef de l’Etat élu. Ce qui traduit par une condition d’entrée en fonction (A), mais aussi le chef
de l’Etat ne peut prendre des actes dans ce sans pour autant que le serment ne soit reconnu
valable d’où, une condition d’exercice du pouvoir (B)

51
C.C. bénin, D.C.C. 11-058, 25 aout 2011, ligali et Gandho
52
La politique est de plus en plus saisie par le droit, selon la formule du doyen Favoreau, à propos de la
situation française , voir FAVOREAU (L.), la politique saisie par le droit, alternances, cohabitation, conseil
constitutionnel, Economica, 1988, 153 p. sur la prise de conscience de la dimension structurante du droit en
Afrique ou les débats politiques sont de plus en plus portés sur le terrain du droit et privilégient « l’argument
constitutionnel », la référence aux normes et à la légalité est devenue un passage obligé de légitimé,
GAUDISSON (J. de), « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique de
pouvoir », in Mélanges en L’honneur DE louis Favoreau, Dalloz, 2007, p.611.

11
A) une condition d’entrée en fonction

En Afrique francophone à l’instar d’autres Etats dans le monde, le candidat élu


président de la république n’exerce pas immédiatement ses fonctions. Son entrée en fonction
est marquée par une cérémonie d’investiture au cours de laquelle la prestation du serment
joue un rôle essentiel. Celle –ci est instituée par la constitution qui en fait une condition
préalable, obligatoire et substantielle de la prise de fonction du candidat élu. Le candidat ne
peut s’affranchir de cette exigence constitutionnelle sans entacher d’une grave irrégularité
son entrée en fonction et les actes qu’il pourrait par la suite être amené à édicter

La prestation de serment est une formalité obligation, préalable à la prise de fonction par
le candidat élu. La méconnaissance totale ou partielle de la formule du serment entache la
prise de fonction d’irrégularité et corrélativement les actes pris au titre des fonctions de
président de la République. Outre cette condition préalable à l’investiture du président de la
République élu, le serment constitue aussi le terme de la fonction de son prédécesseur.

En effet, les dispositions constitutionnelles expriment généralement la condition


préalable du serment avant la prise de fonction par les formulations simple du genre : « avant
d’entrer en fonction le président de la République prête serment ….. » au Rwanda53( article
104) à Madagascar54 ( article 48), aux Comores55( article 13), en République démocratique du
Congo56( article 74) , au Niger 57 ( article 50), au Mali58( article 37), en République islamique
de Mauritanie59 ( article 29 nouveau), au Togo60 ( article 64), au Bénin61( article 53), au
Tchad62 ( article 70) . D’autres variantes se rencontrent au Congo 63 (article 69), et au Gabon
64
(article 12), ou en lieu et place de « avant son entrée en fonction », le président de la
République prête solennellement le serment …. » .

La date de la prestation a un effet direct sur le début de la prise de fonction. Certaines


constitutions le rappellent formellement. Ainsi au Burundi65, l’article 103 de la constitution

53
Constitution du Rwanda du 4 juin 2003.
54
Constitution de Madagascar du 11 décembre 2001
55
Constitution de l’union des Comores du 23 décembre 2001.
56
Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006.
57
Constitution de la 7)° République du Niger du 12 mars 2013.
58
Constitution du Mali du 25 février 1992.
59
Constitution de la Mauritanie du 20 juillet 1991.
60
Constitution du Togo du 14 octobre 1992.
61
Constitution du Bénin du 11 Décembre 1990.
62
Constitution du Tchad du 31 mars 1996.
63
Constitution du Congo brazzaville du 20 janvier 2002.
64
Constitution du Gabon du 26 mars 1991.
65
Constitution du Burundi du 18 mars 2005.

12
dispose que « le mandat du président de la république débute le jour de sa prestation de
serment » ; à Madagascar selon le terme de l’article 48 « le mandat présidentiel commence à
partir du jour de la prestation de serment » ; en Algérie66, le président de la République «
entre en fonction aussitôt après la prestation » (article 75). Des dispositions formulées dans le
même esprit sont présentes dans les constitutions du Congo Brazzaville (article 68), du
Cameroun (article 7), du Gabon (article 11), du Sénégal 67 (article 37), de la cote d’ivoire 68. Le
serment est ainsi non seulement une condition préalable, obligatoire de la prise de fonction du
président de la République élu mais aussi le point de départ formel de la prise de fonction 69 et
de l’exercice du pouvoir.

B) Une condition d’exercice du pouvoir

la question de la prestation de serment du président de la République élu lors de son


investiture a fait réagir contradictoirement des hommes de loi et des constitutionnalistes .Pour
Farouk Ksentini par exemple , avocat et ancien président de la Commission nationale des
droits de l’homme , le président de la République élu n’est pas obligé de prononcer
l’intégralité du texte de la prestation de serment.Par contre pour la constitutionnaliste Fatiha
Benabou ,le président de la République doit prêter serment en application de l’article 90 de la
Constitution. Qu’en est-il,exactement de cette formalité constitutionnelle ?Formalité
obligatoire ou formalité facultative ?

En Algérie la disposition qui évoque la prestation de serment du président de la République


lors de son investiture est l’article 89 de la Constitution : « Le président de la République
prête serment devant le peuple et en présence de toutes les hautes instances de la Nation, dans
la semaine qui suit son élection. Il entre en fonction aussitôt après sa prestation de
serment. ».L’article 90 de la même Constitution indique les termes de ce serment. L’article 89
de la Constitution peut être interpréter de deux manières. On peut considérer que du moment
que le texte ne contient pas le terme « doit » ou toute autre expression impérative, la
prestation de serment n’est pas une formalité obligatoire. Mais si on considère que le
deuxième alinéa du même article 89 dispose que le président de la République « entre en
fonction aussitôt après sa prestation de serment » on pourrait en déduire à contrario que tant
66
Constitution de la République algérienne démocratique et populaire du 8 décembre 1996.
67
Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001.
68
Constitution de la République de la cote d’ivoire du 12 Aout 2000.
69
En ce sens, FALL (M.I.), le pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme des Etats d’Afrique, L’Harmattan 2008,
p. 97

13
que le président de la République n’a pas prêté serment, il ne peut pas entrer en fonction, ce
qui en conséquence rend le serment obligatoire . Sur ce point tout le monde est d’accord, le
président de la République doit prêter serment sinon pourquoi prévoir une disposition
constitutionnelle en la matière. Le problème qui se pose et qui divise les protagonistes est la
procédure de prestation de serment et ce sur deux points :

Selon (Ibrahima Sory Makanéra)70 : « Le Président, s’il le souhaite, peut reprendre sa


prestation de serment pour une simple question de convenance personnelle comme le
président BARACK OBAMA qui avait repris son serment sans qu’il y soit obligé par qui que
ce soit. Mais, nous ne voyons aucune obligation légale qui l’exige »

Il est constant que l’omission décelée à temps par Mohamed Camara doit être réparée non
pas si le Président de la République le souhaite ou pour une simple convenance personnelle, il
doit reprendre la prestation de serment pour que le serment soit valable. C’est une obligation
constitutionnelle ! Evitons de créer la confusion et de tromper nos dirigeants. Il n’appartient
pas au Président de la République de vouloir ou pas, il doit reprendre la prestation de serment
en tant que bon démocrate respectueux des lois.

Le vœu du constituant guinéen n’est pas de renvoyer la teneur de l’article 35 dans


d’autres articles de la Constitution mais en son sein lui-même, c’est pour cette raison qu’il a
indiqué clairement le contenu de la formule du serment. Le texte du serment prévu par
l’article 35 de la Constitution est une formule sacramentelle indivisible qui ne peut ou ne doit,
en aucune façon, subir une quelconque modification. Il ne doit y avoir ni ajout ni retrait d’un
seul mot. Le serment doit être prononcé dans toute son intégralité. S’il manque un seul mot, il
doit être déclaré non conforme à la Constitution et la prestation de serment reprise. A la
lumière de tout ce qui précède il apparait clairement que le serment est une obligation
constitutionnelle prescrite, mais également une obligation constitutionnelle encadrée.

Paragraphe 2 : une obligation constitutionnelle encadrée

Toutes ces considérations décrites plus haut produisent des effets juridiques probants
autant sur la sur la fonction que sur que sur les actes posés à ce titre. La volonté de conférer
une normativité certaine au serment est conforté aussi par le constituant au moins de la
publicité et de la solennité qu’il attache à la prestation. La solennité résulte, pour partie, du
lieu choisi pour la prestation, des témoins devant lesquels le serment est prêté, de l’organe

70
Voir contribution de MAMADOU DRAME, magistrat guinéen sur le site guineejuristes.com visité le 19 janvier
2020 à 21h sur la prestation de serment du président KONDE.

14
désigné pour recevoir le serment, ainsi que le geste du jureur tout cela atteste de la forme du
serment (A) mais aussi du cadre du serment (B).

A) La forme du serment

La main gauche posée sur le coran ou sur la constitution, la main droite levée vers le drapeau
national sans oublier le port de grands insignes.

Les témoins sont généralement les représentants du peuple à travers l’Assemblée


nationale et le Sénat, les grands corps de L’Etat. Un cran supplémentaire est franchi lorsque
le serment fait référence à la divinité et/ou aux mânes des ancêtres. Le serment revêt alors
une dimension sacrée. C’est la parole du chef de l’Etat ayant prêté serment qui l’expose
comme jureur devant lui, à la punition de Dieu pris en témoin.

L’organe chargé de recueillir le serment est généralement un organe juridictionnel et


très rarement un organe politique. L’organe juridictionnel peut être soit la juridiction
constitutionnelle , comme le Sénégal ( article 31), au Niger ( article 50) , au Bénin ( article
53), cote d’ivoire ( article 39 ), au Burkina Faso 71 ( article 44), au Togo ( article 64), en
République démocratique du Congo ( article 74 ) au Congo Brazzaville ( article 69), au
Burundi ( article 106), à Madagascar ( article 48), au Tchad ( article 70) soit la cour suprême à
l’instar du Mali ( article 37), du Rwanda72 ( article 104).

Les rares exemples de serment reçu par un organe politique sont ceux notamment du
Cameroun avec l’assemblée nationale (article 7), et de la Tunisie avec l’Assemblée des
représentants du peuple73

Voilà ce que nous pouvions dire sur la forme du serment qu’en est-il du cadre proprement dit

B) Le cadre du serment

Précédé d’une innovation religieuse ou conclu parfois par celle-ci, le serment prêté par les
chefs d’Etats s’articulent principalement autour du respect de la constitution, de la défense de
71
Constitution du Burkina Faso du 2 juin 1991.
72
AU Rwanda la cour suprême, la plus haute juridiction du pays exerce également les fonctions de contrôle de
la constitutionnalité des lois, des traités et accords internationaux (articles 144 et 145).
73
Constitution de la République tunisienne du 27 janvier 2014. Cependant, le Gabon ne désigne pas
formellement l’organe chargé de recevoir le serment. L’article 12 de la constitution dispose simplement que le
président de la République prête solennellement serment « en présence du parlement, de la cour
constitutionnelle, la main gauche posée sur la constitution, la main droite levée devant le drapeau national » il
en est de même en Algérie ou « le président de la République prête serment devant le peuple et en présence
de toutes les hautes instances de la nation » (article 76).

15
l’intégrité du territoire et de la souveraineté nationale, de la préservation e l’Etat de droit et de
l’intérêt général, de la promotion de l’intégrité régionale. Autant d’engagements envers le
peuple et à l’égard de soi-même qui recoupent en fait les attentes même des citoyens. Ils
correspondent d’ailleurs, le plus souvent aux missions qui sont constitutionnellement dévolues
au chef de l’Etat.

Au Sénégal, par exemple, le serment est ainsi formulé : « devant Dieu et devant la
nation Sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de président de la République du
Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la
constitutions et des lois, de consacrer toutes mes forces à défende les institutions
constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne ménager aucun
effort pour la réalisation de l’unité nationale » ( article 37 de la constitution) . L’économie
générale du serment au Bénin procède de la même logique. L’article 53 de la constitution
prévoit la formule suivante : « Devant Dieu, les Mânes des ancêtres, la nation et devant le
peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté. Nous…, président de la République, jurons
solennellement :

 De respecter et défendre la constitution que le peuple béninois s’est librement donné


 De remplir loyalement les hautes fonctions que la nation nous a librement donnée ;
 De ne nous laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la
personne humaine, de consacrer toutes nos forces à la recherche et à la promotion du
bien commun, de la paix et de l’unité nationale ;
 De préserver l’intégrité du territoire national ;
 De nous conduire partout en fidèle et loyal serviteur du peuple » (article 53).

Les serments des chefs de l’Etats en côte d’ivoire (article 39), Burkina Faso ( article 44)
, Gabon ( article 12) , en République démocratique du Congo ( article 74), au Tchad ( article
70) , au Mali ( article 37), au Niger ( article 39), au Congo Brazzaville (article 69), au Togo
( article ( article 64) présentent à quelques variante près, un contenu quasi similaire.

Outre ces prescriptions qui constituent le substrat minimum des serments en Afrique,
certains d’entre eux contiennent des invocations religieuses 74 même si leurs constitutions
déclarent laïcs ces Etats.

74
A l’exception du serment burkinabais ( article 44), burundais ( article 106), congolais Brazzaville ( article 69),
gabonais ( article 12 ), guinéen( article 31), ivoirien ( article 39), tchadien ( article 70).

16
Le président de la République prête serment « devant Dieu, et le peuple malien », au
Mali (article 37) « devant Dieu et les mânes des ancêtres, la Nation et le peuple… », Au bénin
‘ article 53), « devant Dieu et la nation au République démocratique du Congo (article 74),
« devant Dieu et devant le peuple nigérien … », au Niger (article 39), devant Dieu et le peuple
togolais » au Togo (article 64). Ces références religieuses coexistent donc avec la
proclamation par la constitution du caractère laïc de l’Etat. L’article 3 de la constitution du
Bénin « est une et indivisible, laïque et démocratique ». Il en va de même de la République
démocratique du Congo qui qualifie la République d’ « Etat laïc » (article 1ér) ou du Togo, ou
la constitution dispose que la République.. Est un Etat de droit, laïc, démocratique et social »
(article 1er)

Le Niger, en revanche, n’entretient pas de paradoxe de la référence religieuse avec la


proclamation du caractère laïc de l’Etat ; il affirme simplement que l’Etat du Niger est « une
République indépendante et souveraine (article premier). En Tunisie, la référence religieuse
dans le serment75 est conforme à l’affirmation selon laquelle l’islam est la réligion de l’Etat :
« la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa réligion » article 1er

La forme littérale contribue parfois à inscrire le contenu du serment dans le registre


soutenu avec l’emploi du « nous » de majesté, circonstancié et plus solennel que le « je » du
discours courant. Nous, président de la République » est une formule utilisée au Niger, au
Bénin, au Tchad, au Togo.

Il arrive que la couleur locale s’invite dans le contenu du serment rédigé ou prété en
langue véhiculaire ; c’est le cas, par exemple, du malagasy à Madagascar ( article 48) ou
comores ( article 13).

Quelle que soit la formulation du serment retenue par le constituant, l’indivisibilité de son
contenu s’impose dans son intégralité au chef de l’Etat, et que le serment est un rite aux
implications pratiques tangibles

Section II : le serment un rite aux implications pratiques tangibles

75
« je jure par Dieu tout-puissant de préserver l’indépendance de la Tunisie et son intégrité territoriale, le
respecter da Constitution et sa législation, de veiller sur ses intérêts et de lui être loyal » (article 76)

17
Dans la première hypothèse, les serments engagent politiquement les personnalités qui
manifestent aux yeux de tous les citoyens la très haute valeur sacrale du serment. Leur dignité
institutionnelle confère une solennité à l’instant de la promesse. Dans la seconde hypothèse, il
s’agit d’une chose spirituelle transformée en outil politique. Le serment est un acte sacré et les
conditions de son accomplissement le font échapper à la banalité du quotidien pour en faire
un outil dont l’intensité mystérieuse rejaillit sur les autorités à travers le toucher aux
écritures. Il en résulte que le serment est un phénomène culturel, c’est-à-dire au sacré en vue
d’accomplir un acte de fidélité vis à vis d’une société. En outre, le serment implique une
obligation pour les personnes qui en sont assujetties. Celles-ci doivent adopter une conduite
conforme aux intérêts supérieurs de l’Etat. Cette obligation nait du sacré et peut être créée par
la parole, l’écriture. Elle se traduit par des expressions sacramentelles et institutionnelles ou la
parole est solennelle, mais aussi essentielle pour la réalisation effective de l’engagement de
l’impétrant à l’égard de la collectivité publique.

Le serment a pour principal objectif de rappeler aux impétrants, dans un cadre très
solennel, qu’ils sont liés à des obligations constitutionnelles, morales et éthiques, d’où la
juridicité de l’engagement moral (paragraphe I), autrement dit, le serment fixe un cadre
juridique et éthique aux agissements et comportements de ceux qui doivent s’y soumettre. Il a
pour fonction de marquer le passage du statut de citoyen ordinaire à celui d’un responsable
engagé vis-à-vis de l’Etat, d’où les effets de la contractualisation (paragraphe II).

Paragraphe I : la juridicité de l’engagement moral

Nombreuses sont aujourd’hui les constitutions ayant choisi d’enraciner la construction de


l’Etat de droit et de la démocratie pluraliste sur le respect de la morale publique 76. Promesse
solennelle de fidélité et de dévouement, le serment constitutionnel entend nouer un lien fort
entre le chef de l’Etat et la nation. Ce lien contribue à conforter la confiance réciproque entre
l’élu et la nation, ce qui nous amène à voir, l’entérinement tacite du contrat entre le chef et le
peuple (A) dans un contexte ou l’érosion de la confiance dans les représentants est

76
Par exemple, l’article 51 de la constitution nigérienne du 25 novembre 2010 prévoit qu’après la cérémonie
d’investiture et dans un délai de quarante-huit (48) heures, le président de la cour constitutionnelle reçoit la
déclaration écrite sur l’honneur des biens du président de la république. Cette déclaration fait l’objet d’une
mise à jour annuelle et à la cessation des fonctions. La déclaration initiale et les mises à jour sont publiées au
journal

18
aujourd’hui un problème majeur. En effet, cet acte renforce sa légitimité et conditionne son
éventuelle responsabilité politique d’où l’officialisation de la contractualisation (B)

A) L’entérinement tacite du contrat entre le chef de l’Etat et le peuple

L’engagement politique qui se traduit par l’élection du chef de l’Etat peut retrouver tout
son sens par la promesse solennelle d’être au service du bien commun. Promesse faite aux
citoyens qu’il est appelé à représenter, à gouverner, promesse également faite à l’égard de lui-
même.

En effet, l’existence d’un pacte entre la nation et le chef de l’Etat est l’un des éléments
constitutifs de la République qui se renouvelle à chaque élection et qui fonde la légitimité du
chef de l’Etat. Ce lien est malheureusement de plus en plus affecté, ce qui entame la confiance
des citoyens dans leur chef d’Etat. Le serment prêté entend participer, à certains égards, au
rétablissement public de ce lien de confiance.

En effet, le serment constitutionnel, promesse solennelle de fidélité et de dévouement, lien


voulu indéfectible entre la nation et le chef de l’Etat, est non seulement de nature à rappeler
publiquement les grands principes fondateurs de la République et les valeurs cardinales de la
morale publique, mais aussi à restaurer la confiance et le respect réciproque.

La confiance qu’entend instaurer le serment est nécessairement une confiance liante. C’est
un pacte qui instaure une relation de dépendance réciproque. Le serment implique une
réciprocité entre la confiance donnée par la nation et l’obligation de réalisation de la parole
donnée par le chef de l’Etat. Cette confiance s’inscrit dans une dialectique de l’échange de la
parole donnée et la réalisation attendue des promesses.

En souscrivant à la promesse solennelle du chef de l’Etat d’être au service du bien commun,


la nation place en lui sa confiance et attend de lui, en retour, sa garantie, son appui, le respect
de la parole donnée. La confiance est ainsi le socle de l’effectivité du serment. Mais cette
confiance donnée suppose une contrepartie car le serment évoque une sorte de contrat moral
entre la nation et le chef de l’Etat son représentant. A ce propos, E.J. Sieyès … met en lumière
le lien de représentation et la confiance témoignée au représentant en ces termes : « les
peuples ont à la vérité toute influence sur les représentants ; nul ne peut obtenir cette qualité,
s’il n’a pas la confiance de ses commettants ; nul ne peut conserver cette qualité, en perdant

19
cette confiance. »77.A la lumière de tout ce qui précède, il apparait clairement que le serment
que le serment fait naitre un contrat moral entre le chef de l’Etat et son peuple qu’en est-il de
l’officialisation.

B) L’officialisation de la contractualisation

La confiance n’apparait pas à la raison juridique mais à la croyance partagée en la


légitimité des gouvernants. Ainsi, si le serment a pour soubassement la confiance, son
existence comme son effectivité dépendent, pour une part essentielle, de la culture
démocratique qui imprègne les rapports politiques. Au premier rang de celle-ci figurent la
vertu politique et le respect de la parole donnée. Sans ces valeurs fondamentales, le serment
n’a qu’une valeur esthétique, du fait qu’il est dénué de tout ancrage social.

L’un des remèdes aux déviances et aux dérapages politico-juridiques qui menacent la
démocratie en Afrique est la vertu politique78. Celle –ci, en l’espèce, est le substrat de la
confiance qui se noue entre le chef de l’Etat et la nation à travers la prestation de serment.
L’exigence d’exemplarité et d’intégrité, par exemple, participe de cette nécessité de vertu
politique. En outre, si on exige la vertu, c’est au sens où l’on attend de ceux qui sont placés à
des fonctions de représentation qu’ils mettent en accord leurs discours et leurs actes,
s’appliquent à eux- mêmes la rigueur des lois, soient justes et tournés vers l’intérêt commun.

Dans l’esprit des lois, Montesquieu identifie trois espèces de gouvernement dont il dégage
les principes de fonctionnement : la vertu pour la République, l’honneur pour la monarchie, la
crainte pour le despotisme.79

Indissolublement liée à la République, la vertu politique, écrit Montesquieu, est


« renoncement à soi-même », « amour des lois et de la patrie », ce qui demande « une
préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre » et entraine « toutes les vertus
particulières »80.cette exigence de vertu politique est le gage du respect du serment prêté par le
chef de l’Etat, tout comme l’est une autre valeur fondamentale, le respect de la parole donnée.

77
SIEYES (J.E.), quelques idées de constitution applicables à la ville de paris, Versailles, Baudouin, juillet 1789,
p.3-4.
78
AHANHANZO GLELE (M.), allocution, rencontre sur « les pratiques constitutionnelles et politiques en Afrique :
les dynamiques récentes ».
79
MONTESQUIEU, de l’esprit des lois, (1748), livre troisième.
80
Ibid., livre quatrième, chapitre V.

20
En effet, parce que le serment est d’abord un engagement verbal, chacun s’accorde à
reconnaitre une valeur morale au respect de la parole donnée et à voir en celui qui respecte ces
engagements un homme de parole. La parole seule engage et oblige à respecter ses
engagements. Il s’agit d’une exigence forte dans l’Afrique traditionnelle, notamment pour
ceux qui avaient la charge de représentation.

Dans ce contexte, que vaut alors un dirigeant si l’on ne peut si fier à ses engagements ? Et
surtout, que vaut le chef de l’Etat, garant des institutions qui ne respectent pas ses
engagements, et de surcroit son serment constitutionnel ? D’où l’idée de mettre le curseur sur
les effets de la contractualisation

Paragraphe II : les effets de la contractualisation

En effet toute les obligations énoncées dans le texte sacramental ont une égale valeur car
elles sont réputés ne pouvoir être hiérarchisées entre elles. On sait que le respect de la parole
donnée est une donnée essentielle des cultures traditionnelles africaines dans lesquelles la
valeur de l’homme s’apprécie à l’aune de sa parole. Amadou Hampathé Ba restitue d’ailleurs
en ces termes cette valeur fondamentale : « la parole donnée était sacrée chez les bonnes gens
comme chez les mauvais. Elle valait plus que l’or et que l’argent, plus que la vie même de
celui qui la donnait »81. Le serment, qui est une parole donnée, y est donc revêtu d’une
sacralité qu’atteste l’étymologie latine du mot serment, sacramentum ; d’où l’obligation de
respecter de serment (A) son inviolabilité et donc la contrainte morale de le respecter
scrupuleusement et de l’appliquer puisque son auteur est tenu de rendre compte de son
serment ce qui nous donne à voir (B) l’obligation de rendre compte

A : l’obligation de respecter le serment

En principe toutes les obligations énoncées dans le texte sacramental ont une égale valeur
car elles sont réputées ne pouvoir être hiérarchisées entre elles, de telle sorte qu’elles doivent
faire l’objet d’une conciliation permanente dans le respect de la constitution. L’ensemble des
règles constitutionnelles constitutives du serment ont pleine valeur juridique. Mais celle-ci est
renforcée par le caractère du serment. La valeur varie selon qu’il s’agit d’un serment sous la

81
Ba (A.H.) contes initiatiques peuls, Stock 1994

21
forme d’une déclaration solennelle faite sur une base religieuse ou d’une simple affirmation
solennelle, sans référence à une divinité quelconque.

Considéré sous la première forme, le serment a une portée en fonction de son contenu et de
la référence à une divinité, comme c’est le cas au bénin, au Niger, en Algérie et en
Mauritanie. En ce qui concerne la référence à une divinité, c’est la thèse de la vertu dissuasive
du serment qui est privilégiée. Pour les trois derniers pays c’est la référence à « Dieu » (Allah
l’unique) et « aux Mânes des ancêtres » pour le premier qui confère le caractère
transcendantal au serment et lui donne, par la même toute sa force. Ainsi, l’autorité soumise
au serment fait la promesse de respecter sa fonction et ses engagements parce qu’elle sait que
son parjure sera immanquablement et imparablement sanctionné par la divinité 82. Pour les
tenants du discours religieux, le serment confessionnel est un « acte d’une extrême gravité.
C’est un acte grave en ce sens que le chef de L’Etat, à travers le serment, se lie spirituellement
et physiquement au respect des engagements qu’il a pris envers le peuple donc la portée de
l’engagement en islam dépasse de loin le cadre des promesses formelles des campagnes
électorales. Dans ce cas, le président est forcé pour ainsi dire de respecter totalement ses
engagements contenus dans son serment »83. Cette thèse est partagée par des philosophes, des
anthropologues et des historiens du droit qui soutiennent que le serment confessionnel
implique pour celui qui le prononce un engagement sous le regard d’une divinité. Pour eux, la
crédibilité de la promesse solennelle résulte de la présence de ce fameux tiers divin aux côtés
du jureur84. En effet, « par le serment, c’est encore vers Dieu qu’il le jureur s’élève ; c’est dieu
principe de vérité, qu’il invoque en témoignage de la sienne. C’est la vengeance d’un dieu
infaillible qu’il appelle sur son parjure. Le serment participe donc de cette croyance divine si
profondément enracinée dans l’homme parce qu’elle lui est indispensable à tout instant »85. Ce
caractère transcendantal de la force du serment a été confirmé par la cour de cassation
française en ces termes : « attendu que le serment décisoire ou déféré , aux termes de l’article
1357 du code civil, a un caractère essentiellement religieux puisque celui qui le prête prend
dieu à témoin de la sincérité de son affirmation ; que la vérité garantie contre le parjure réside
dans la conscience de l’homme et non dans des solennités accessoires qui n’ajoutent aucune

82
SAUVAGEOT (F.), « le serment des hautes autorités étatiques : une institution à développer ? », op .cit p. 204
83
MOUMINI (S), « islam et laïcité : le paysage nigérien », in HOLDER (G.), SOW (M) (dir.), l’Afrique des laïcités et
pouvoirs au sud du Sahara, op cit., p. 207-208
84
SAUVAGEOT (F.), « le serment des hautes autorités étatiques : une institution à développer ? », op. cit., p.
204.
85
LAPLANE (O.de), du serment en droit civil et en droit criminel, thèse pour le doctorat, soutenue le 4
décembre 1862, p. 6.

22
force réelle à l’acte solennel du serment ; »86. Mais celui-ci revêt à la fois une valeur morale et
juridique. D’autre part, il renforce l’engagement moral des personnes qui y sont assujetties et,
d’autre part, il joue un rôle dissuasif dans le respect de la constitution et des institutions
qu’elle met en place. Cela montre que l’impétrant est dans l’obligation de rendre compte

B l’obligation de rendre compte

Le serment est un engagement pour l’avenir, sa matérialisation exige un contrôle


permanent et continu de la part des citoyens qui ont placé leur confiance dans le chef de
l’Etat, pour s’assurer de la fidélité à ses promesses et du respect de sa parole donnée. Sa non-
réélection au terme de son mandat, en cas de violation du serment, ne constitue pas un
contrôle suffisant et efficient. La détention par les citoyens d’un pouvoir périodique d’élection
gagnerait à être doublée d’une prolongation de ses effets par une surveillance permanente par
eux, à travers laquelle, la société exerce des formes de pression sur les gouvernants,
dessinant, ce faisant, l’équivalent d’un magistère parallèle et informel. Cela suppose
notamment le respect de la transparence de la vie publique. Outre l’exigence d’élections
libres et égales, mais aussi régulières, les citoyens devraient exercer cette surveillance eux-
mêmes directement grâce à cette transparence et à l’existence de médias libres de toutes
pression publique ou privée. Au terme de cette surveillance, les citoyens doivent pouvoir
exprimer librement leur mécontentement, en usant notamment de la liberté d’expression,
d’association, de réunion, de manifestation et de la grève, par exemple

La presse , l’opposition et la société civile, dans bon nombre de pays francophones


d’Afrique, jouent ce rôle de veilleur en stigmatisant des conduites ou des décisions faisant fi
de la morale publique, des actes en contradiction avec la parole politique et les engagements
solennellement pris, le déficit démocratique du à une violation répétée de la constitution.

Facteur structurant de la confiance entre l’élu et les citoyens, le pouvoir de surveillance, qui
a pour conséquence de mettre à l’épreuve la réputation et la bonne foi du chef de l’Etat au
regard de ses engagements, participe à l’expression de la défiance citoyenne vis-à-vis des
pouvoirs publics ou encore la formule de pierre Rosanvallon, à la « contre-démocratie »87.
86
Cour de cassation, 3 mars 1846, D.P., 1846,I p.103 et cité par LOCHAK (D.), le droit et les juifs en France
depuis la révolution, Dalloz , paris, E. Thunot et cie
87
L’auteur appréhende deux moments de la vie des démocraties : les mécanismes d’institution de la confiance
et l’expression de la défiance. La défiance démocratique s’exprime et s’organise par trois modalités
principales : les pouvoirs de surveillance, les formes d’empêchement, les mises à l’épreuve du jugement.
L’auteur précise que cette contre-démocratie n’est pas le contraire de la démocratie, c’est plutôt la forme de

23
L’Afrique est aussi, désormais, un champ d’expérimentation de ces contre-pouvoirs
sociaux informels, de cette expression de défiance citoyenne à travers des mouvements
citoyens, véritables sentinelles de la démocratie de « Yen a marre » au Sénégal, du « balai
citoyen » au Burkina Faso88. En effet, face à l’absence de contre- pouvoirs institués résultant
soit de la confusion des pouvoirs soit de l’alignement des pouvoirs, les mouvements citoyens
imposent certaines limites aux autorités gouvernantes en émergeant dans le jeu politique
comme contre-pouvoirs non constitutionnel plus effectivité et, ce faisant, conforterait la
confiance qui devrait se nouer entre le chef et la nation. A la lumière de tout ce qui précédé, il
apparait clairement que le serment est un acte un instaure la primauté du droit et les valeurs
sacrales , mais aussi depuis les années 90 on voit que la tendance est à la judiciarisation

Chapitre II : la sanction juridictionnelle protégée

Depuis les premiers présidents, ceux des années 1960 à 1990, la prestation de serment
du président de la République élu n’intéresse pas seulement le pouvoir exécutif. En dehors de
la qualité89, de la capacité90 ou du consentement non vicié du jureur, elle n’est régulière
qu’une fois l’institution, chargée de réceptionner le serment, est présente. Si, en la matière, la
Cour suprême, l’Assemblée nationale et le Comité central du parti unique furent, dans les

démocratie qui conforte l’autre : ROSANVALLON (P.), la contre démocratie. La politique de l’âge de la défiance,
2006, p. 15.
88
Outre ces deux mouvements citoyens qui ont une notoriété au- delà des frontières de leurs pays , d’autres
commencent à se faire un nom à l’instar de « croisade du Niger » organisation des droits de l’homme et de la
promotion de la démocratie qui milite pour une plus grande transparence des négociations sur l’uranium avec
AREVA, du collectif « Filimbi » (coup de filet en Swahili ) en république démocratique DU Congo qui milite
contre un troisième mandat de joseph Kabila en 2016 , du « mouvement ca suffit comme ça » au Gabon qui
revendique davantage de transparence dans le processus électoral « trop c’est trop au Tchad qui se donne
pour mission, entre autres, de veiller au respect des droits humains.
89
« Titre auquel une personne figure dans un acte juridique ou dans un procès (…) » (G. CORNU, Vocabulaire
juridique, Paris, PUF, 11è éd., 2016, p.838). Dans le cadre du serment présidentiel, le jureur doit avoir la qualité
de président de la République élu. C’est pourquoi, faute de cette qualité, le serment écrit d’A. Ouattara fut
considéré comme nul (Avis n°CI-2010-A-035/22-12/CC/SG du 22 décembre 2010 relatif à la prestation de
serment par écrit de Monsieur Alassane OUATTARA et les actes qui en découlent). De façon exceptionnelle,
dans les cas de vacance du pouvoir, le jureur à la qualité de président non élu mais constitutionnellement
désigné.
90
« L’aptitude à acquérir un droit et de l’exercer reconnu en principe à tout un individu » (G. CORNU, op. cit.,
p.148). Cette condition de régularité de la prestation de serment est réglée lors du dépôt des candidatures.

24
années 60 à 90, les véritables « intronisateurs » du président élu 91, depuis la « vague de la
démocratisation »92 , la réception du serment du président de la République élu a été, dans la
majorité des pays africains francophones, confiée aux juridictions constitutionnelles. En la
matière, on sent aujourd’hui leur prééminence et leur prépondérance. Contrairement aux, le
juge de la constitution est devenu le carrefour et le gardien de cette règle de dévolution du
pouvoir présidentiel. Partant, il n’est pas seulement le juge du contrôle de constitutionnalité
des lois et des traités ainsi que de la proclamation définitive des résultats de l’élection
présidentielle Usa93, mais aussi le « juge-intronisateur » du président élu. Au Congo
Brazzaville, au Burundi, au Niger, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Tchad d’avant 2018, en
RDC, au Sénégal, au Burkina-Faso, en Centrafrique, au Togo, en Guinée, à Madagascar, seul

91
A titre illustratif, la Cour suprême reçut le serment au Togo (art.23 de la constitution du 5 mai 1963), au
Congo-Brazzaville (art.16 de l’Acte fondamental du 26 avril 1977), au Gabon (art. 13 des constitutions de 1979,
de 1981 et de 1983), au Tchad (art. 75 de la constitution de 1989), au Sénégal (art. 31 de la constitution de
1963). L’Assemblée nationale reçut le serment au Congo-Brazzaville (art. 26 de la constitution du 8 décembre
1963, art. 41 et 42 de la constitution du 24 juin 1973),au Burkina Faso(art. 16 de la constitution du 13 décembre
1977), au Burundi (art. 30 de la constitution de 1981) ,au Gabon (art. 9 de la constitution de 1960, art. 11 des
constitutions de 1963, de 1967, de 1968 , de 1969 et de 1972, art. 10 de la constitution de 1975, art. 13 des
constitutions de 1979, de 1981 et de 1983), en Guinée (art. 48 de la constitution du 14 mai 1982). Enfin, le
Comité centrale du parti unique reçut le serment au Congo-Brazzaville (art. 41 de la Constitution du 31
décembre1969), au Burundi (art. 30 de la constitution de 1981, art. 24 de la constitution de 1974), au Gabon
(art. 13 des constitutions de 1979, de 1981 et de 1983).
92
S. HUNTINGTON, La troisième Vague. La démocratisation de la fin XXI siècle, Nouvelle Horizon, 1991,
University of Oklahoma Press.
93
Congo-Brazzaville (art. 72 et 176 de la constitution), Bénin (art. art. 49 de la constitution), Côte d’Ivoire (art.
94 de la constitution de 2000). A ce sujet, K. SOMALI, « Les élections présidentielles devant le juge
constitutionnel. Etude de cas des Etats d’Afrique noire francophone », in RDP, n°5, 2013, pp.1291-ss

25
le juge constitutionnel est chargé de recevoir le serment du président de la République élu 94
d’où l’idée de parler de la tendance à la juridictionnalisation du serment (SECTION I).

Toutefois, cet engouement du droit constitutionnel africain à attribuer, depuis la cadence


démocratique des années 1990, aux juridictions constitutionnelles la mission de recevoir le
serment du président élu et la multiplicité des prestations de serment réalisées devant ce juge.
C’est ainsi qu’en la matière, seules quelques décisions du juge constitutionnel béninois et un
avis du juge constitutionnel ivoirien pourront nous renseigner sur l’utilité du rôle du juge
constitutionnel à recevoir le serment du président élu 95 il est intéressant de jauger l’importance
et la juridicité procédurale de l’intervention, de plus en plus, du juge constitutionnel africain

94
Congo-Brazzaville (art. 72 de la constitution de 1992, art. 69 de la constitution de 2002 et art. 77 de la
constitution de 2015) ; Niger (art. 39, 42, 50 respectivement des constitutions de la 5è, 6è et 7è République) ;
Bénin (art. 53 alinéa 2) ; Côte d’Ivoire (art. 58 de la constitution de 2016 et 39 de la constitution de 2000) ;
Tchad (art. 70 de la Constitution de 1996) ; RDC (art. 74 de la constitution de 2006) ; Sénégal (art. 37 de la
constitution de 2001) ; Burkina-Faso (art. 44 de la constitution de 1997) ; Centrafrique (art. 38 de la constitution
de 2016) ; Togo (art. 64 de la constitution de 1992) ; Guinée (art. 35 de la constitution de 2010) ; Madagascar
(art. 48 de la constitution de 2010). Au Gabon, le constituant (art. 12 de la constitution de 1991) n’a pas précisé
si c’est le parlement ou la cour constitutionnelle qui est « l’intronisateur ». Il se borne à affirmer que : « Lors de
son entrée en fonction, le Président de la République prête solennellement le serment… devant le Parlement et
la Cour Constitutionnelle… ». Le problème est tranché dans la pratique de la prestation de serment. Car, celle-ci
montre bien que le véritable « intronisateur » est le juge constitutionnel (B. E. DAVOLK, « Gabon : Investiture et
prestation de serment d'Ali Bongo pour un deuxième mandat », [vidéo en ligne]
https://www.youtube.com/watch?v=CZjKsWUYN5g (visionnée le 20 juillet 2018). Dans cette vidéo, on voit la
présidente de la cour constitutionnelle, Madame Marie-Madeleine Mborantsuo, prendre acte du serment du
président élu, Ali BONGO. Toutefois, la prestation de serment du président élu devant le juge constitutionnel
n’est pas seulement une recette du renouveau démocratique des années 1990. Au zaïre de Mobutu, l’article 56
de la constitution du 1er août 1964 dispose que : « Avant d'entrer en fonction le Président de la République
prête, devant le président de la Cour constitutionnelle (…) le serment suivant (…) » (voir aussi l’article 22 de la
constitution du 24 juin 1967). Au Congo-Brazzaville, le conseil constitutionnel, créé par la loi constitutionnelle
du 23 août 1984, avait aussi la mission de recevoir le serment du président élu (G. MVOULA ALEKA, L’évolution
constitutionnel et politique du Congo depuis 1979. Essai sur le présidentialisme monopartisan d’assemblée,
Thèse de droit public, Université de CAEN, 1989, p.90). L’expansion actuelle du juge constitutionnel n’a pas
totalement évincée la cour suprême et le parlement. II y a encore une minorité de pays qui font de la cour
suprême une institution chargée d’introniser le président élu : le Tchad (art. 75 de la constitution de 2018), le
Rwanda (art. 102 de la constitution), le Niger (art. 40 constitution de la 4è République) et le Mali (art. 37 de la
constitution de 1992). En Afrique, il y a aussi ceux qui font encore du parlement une institution chargée de
réceptionner le serment du président élu : Cameroun (art. 7 de la constitution de 1996), Egypte (art. 144 de la
constitution de 2014), Cap-Vert (art.137), Tunisie (art.76 de la constitution 2014).
95
DCC 96-017 du 05 avril 1996, recours en inconstitutionnalité du serment prêté par le président élu le 04 avril
1996; DCC 06-162 du 19 Octobre 2006 ; DCC 96-020 du 25 avril 1996 ; Décision DCC 96-058 du 29 août 1996 ;
Décision DCC 16-088 du 16 juin 2016, contrôle de conformité du serment prêté le 06 avril 2016 par le président
de la République élu, M. Patrice Athanase Guillaume TALON) ; Décision DCC 11-058 du 25 aout 2011, recours
en inconstitutionnalité du serment prêté par le Président de la République, Yayi BONI, le 06 avril 2011 ;
Décision DCC 96-058 du 29 aout 1996, recours en inconstitutionnalité du serment prêté par le président élu le
04 avril et le 06 avril 1996 ; Décision EP 16-032 du 16 juin 2016, contrôle de conformité de la décision du
Conseil des ministres… du 26 mars 2016 relative à la passation de charge entre les présidents sortant et entrant
avant la cérémonie de prestation de serment- (application de l’article 53 de la Constitution) ; avis n°CI-2010-
A035/22-12/CC/SG du 22 décembre 2010 relatif à la prestation de serment par écrit de monsieur OUATTARA
Alassane et les actes qui en découlent.

26
dans la réception du serment du président de la République élu, ce qui nous pousse à parler de
la sanction de la violation du serment ( section II)

Section I : la tendance à la juridictionnalisation du serment

Maintenant, il est intéressant de jauger l’importance et la juridicité procédurale de


l’intervention, de plus en plus, du juge constitutionnel africain dans la réception du serment
du président de la République élu. Ainsi, pourquoi assistons-nous, depuis les années 1990 à
nos jours, à un engouement des constituants africains à transférer la compétence de recevoir le
serment du président élu, jadis reconnue aux Cour suprêmes et parlement, vers le juge
constitutionnel. En effet, l’analyse du droit constitutionnel africain, notamment des Etats
d’Afrique noire francophone, permet de comprendre que l’attribution au juge constitutionnel
la mission de recevoir le serment du président élu s’est fait à dessein. Dès lors, le juge
constitutionnel parmi ces pouvoirs, il lui est reconnu le contrôle juridictionnel tenant à la
forme du serment (paragraphe I) il n’est pas sans intérêt de mettre le curseur sur l’emphase
du contrôle (le caractère mesuré du contrôle) (paragraphe II).

Paragraphe I : le contrôle juridictionnel tenant à la forme du serment

Epreuve de la dévolution du pouvoir présidentiel, la prestation de serment, pour sa


validité, impose le respect d’un certain nombre de règles : les conditions de forme et de fond.
L’implication du juge constitutionnel, en la matière, est destinée à « veiller simplement à ce
que la volonté du constituant soit bien respectée dans le processus d’investiture d’un nouveau
Chef »96.En premier lieu, le juge constitutionnel africain identifie le véritable élu du peuple.
Son erreur sur la qualité du jureur peut soulever une crise politique 97. En deuxième lieu, il
vérifie la présence des témoins agrées au sein de l’audience solennelle 98. Ainsi, la garantie de
la cérémonie de la prestation de serment s’inscrit dans la logique du contrôle de régularité de
la forme verbale de la prestation (A) et du contrôle du respect de l’intégrité de la teneur du
serment (B).

96
E. H. MBODJ, Thèse précitée, p.285
97
Le cas, en partie bien-sûr, du serment écrit d’Alassane OUATTARA.
98
La réception du serment, par le juge constitutionnel, s’effectue toujours en présence d’un certain nombre
d’institutions, ce sont les témoins. Dans ce sens, l’article 77, alinéa 3, de la constitution du Congo-Brazzaville
dispose que : « Le serment est reçu par la Cour constitutionnelle, en audience publique et solennelle, en
présence de l’Assemblée nationale, du Sénat et de la Cour suprême ».

27
A. Le contrôle du respect de la verbalité de la prestation

Un serment peut être prêté oralement ou par écrit 99. Mais, dans le constitutionnalisme
africain, la prestation de serment, parle président élu, se fait oralement. En quoi il doit être
oralement prêté ? Ni les constitutions, ni les lois et règlements consacrent expressément une
telle forme de prestation de serment. Le caractère oral de la prestation de serment présidentiel
se justifie par la solennité de la cérémonie : une cérémonie publique, en présence des
institutions de la République et des invités divers. Dès lors, la prestation par écrit du serment
du président de la République élu est ainsi implicitement rejetée par les constituants africains.
Un président de la République élu ne pourrait prêter serment par écrit ; le fera -t-il, sa
prestation de serment sera considérée comme irrégulière pour non-respect de la forme verbale
de prestation. C’est pourquoi, dans son intervention, le juge constitutionnel africain doit
contrôler la forme verbale de la prestation de serment. Lorsque celle-ci n’est pas respectée, il
doit déclarer inconstitutionnel le serment prêté.

En Côte d’Ivoire, le conseil constitutionnel avait rejeté, en 2010, non seulement pour
défaut de qualité du jureur1007, le serment prêté par écrit d’Alassane OUATTARA. Saisit par
le président de la République juridiquement élu, Laurent GBAGBO, afin d’interpréter la
constitutionnalité de se serment prêté par écrit à l’hôtel du Golf 101, le juge constitutionnel
ivoirien déclara inconstitutionnelle ladite prestation de serment. Dans son avis n°CI-2010-
A035/22-12/CC/SG du 22 décembre 2010, après avoir reconnu la conformité de la requête
déposée102, il a considéré que : « Qu’il (Alassane OUATTARA) a adressé au Conseil
99
Par exemple, au Congo-Brazzaville, l’article 6 du statut de la magistrature dispose que : « Tout magistrat, lors
de sa nomination à son premier poste et avant d’entrer en fonction, prête le serment en ces termes…En cas de
nécessité, ces serments peuvent être prêtés par écrit ».
100
A. OUATTARA n’a pas été déclaré élu par l’institution habilitée à proclamer les résultats définitifs, le conseil
constitutionnel (Avis n°CI-2010-A-035/22-12/CC/SG du 22 décembre 2010 relatif à la prestation de serment par
écrit de Monsieur Alassane OUATTARA et les actes qui en découlent). On avait donc, deux présidents de la
République : un président de fait, Alassane OUATTARA (provisoirement déclarée, au deuxième tour, élu par la
commission électorale) et un autre président de droit, Laurent GBAGBO-juridiquement et définitivement
déclaré élu, au deuxième tour, par le conseil constitutionnel (Décision n° CI-2010-EP-34/03-12/CC/SG portant
proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010). Dans une ambiance de
contestation de cette victoire définitive de Laurent GBAGBO, Alassane OUATTARA, s’est, avec la bénédiction
des rebelles du nord du pays et de la communauté internationale, autoproclamé président de la République élu
de Côte d’Ivoire. En conséquence, il prêta serment du président de la République par écrit. A partir de
l’arrestation militaire du président Laurent GBAGBO, par un virement jurisprudentiel, le juge constitutionnel
proclama, pour une même élection, définitivement M. Alassane OUATTRA (Décision
n°CI-2011-EP-036/04/CC/SG du 04 mai 2011 portant proclamation de Monsieur Alassane OUATTARA en qualité
de Président de la République de Côte d’Ivoire). A ce sujet, S. DOUMBIA, op. cit. pp.1-24.
101
Cet Hôtel fut le quartier général du président autoproclamé, Alassane OUATTARA.
102
« Considérant que si l’avis du Conseil constitutionnel peut être sollicité par le Président de la République dans
des cas énumérés par la Constitution, il n’en demeure pas moins que, chargé, comme le prévoit l’article 34 de la
Constitution, de veiller au respect de la Constitution et des engagements internationaux, le Président de la
République puisse, à ce titre, consulter le Conseil constitutionnel, organe régulateur du fonctionnement des

28
constitutionnel un courrier en date du 04 décembre 2010, dans lequel il informe celui-ci de la
prétendue prestation (…), [par écrit,] » du serment d’entrée en fonction. Le juge ivoirien
ajoute en considérant que : « …qu’il résulte de ce qui précède que Monsieur OUATTARA
Alassane ne peut prétendre avoir été élu, encore moins avoir prêté serment ». Car, « …la
prestation de serment par écrit dont il se prévaut n’est pas prévue par la constitution
ivoirienne ; Qu’il échet, dès lors, de dire que la prétendue prestation de serment par écrit de
monsieur Ouattara Alassane, est nulle et de nul effets » 103. Il ressort de ces raisonnements du
juge constitutionnel ivoirien un rejet catégorique de la prestation par écrit du serment
présidentiel. C’est pourquoi, ce juge constitutionnel qualifie la prestation, par écrit de
serment, d’Alassane OUATTARA de « prétendu prestation ».

Alassane OUATTARA se prétendait ainsi à tort qu’il a prêté serment. Car, le constituant
ivoirien de 2000 n’avait pas prévu la prestation par écrit du serment du président de la
République élu. En plus, cette prestation de serment a été envoyée, par courriel, au conseil
constitutionnel. Elle ne pouvait être qu’irrégulière. Partant, il y a eu non-respect de la forme
verbale de la prestation de serment. Car, l’article 39 de la constitution ivoirienne de 2000
dispose que : « (…) Dans les quarante-huit heures de la proclamation définitive des résultats,
le Président de la République élu prête serment devant le Conseil constitutionnel réuni en
audience solennelle ». Nulle part, le constituant prévoit la prestation, par écrit, du serment
ainsi que l’envoie, par courriel, au juge constitutionnel dudit serment.

Bien qu’après l’arrestation du président Laurent GBAGBO, le juge constitutionnel ivoirien


a pu se « déjuge[r1041 » en proclamant, pour une même élection présidentielle, encore
Alassane OUATTARA, il n’avait pas validé ce serment prêté par écrit dans la mesure où il
demanda, dans la décision invalidant la proclamation de L. GBAGBO, à A. OUATTARA de
prêter officiellement le serment105.

Enfin, le juge constitutionnel ivoirien pose ainsi, jurisprudentiellement, un principe


106
fondamental dans la théorie du « sermentalisme » présidentiel en Afrique : la validité de la
prestation du serment présidentiel repose également sur le respect de la forme verbale de

pouvoirs publics, sur le point de savoir si une situation donnée est de nature à violer la Constitution; Considérant
que la demande d’avis a été régulièrement introduite ; Qu’il convient de la recevoir ».
103
Avis n°CI-2010-A-035/22-12/CC/SG du 2 2décembre 2010 précité.
104
S. BOLLE, « Au nom du peuple », [en ligne]http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-au-nom-
dupeuple-73344123.html(consulté le 31 juillet 2018).
105
Décision n°CI-2011-EP-036/04/CC/SG du 04 mai 2011 portant proclamation de Monsieur Alassane
OUATTARA en qualité de Président de la République de Côte d’Ivoire.
106
Etude du serment du président de la République.

29
prestation. Ainsi, « …l’intervention de techniciens du droit permet de garantir le respect des
formalités instituées par le constituant107». Il s’agit, selon El Hadj MBODJ, de « renforcer la
légalité constitutionnelle de régimes encore instables108». Toutefois, l’intervention du juge
constitutionnel a aussi pour objet le contrôle du respect de l’intégrité de la teneur de la
formule du serment.

B. Le contrôle du respect de l’intégrité de la teneur du serment

Etudiant le serment des hautes autorités en France, F. SAUVAGEAOT écrit : « La


recherche de la meilleure effectivité de la vertu rassurante attribuée au serment plaide en
faveur de la verbalisation par le jureur de l’intégrité du contenu du serment. Cette
verbalisation manifeste en effet de manière particulièrement explicite la connaissance par le
jureur les obligations de sa charge » 109 . Le contenu de la formule du serment est un tout ;
c’est un seul paragraphe. Le jureur ne peut, en prononçant la formule, ni ajouter, ni retirer,
quelques membres de phrase de la formule du serment. Il est ainsi interdit au jureur de
dénaturer, tronquer110ou modifier les obligations contenues dans le texte du serment.
Matériellement, tous les membres de phrase du serment du président de la République doivent
être prononcés par le président élu. Puisqu’ils ont tous la même valeur et représentent tous le
serment. C’est là le respect de l’indivisibilité et de l’intégralité de la formule sacramentelle.
Toute prononciation non-conforme de la formule du serment est aussi constitutive
d’irrégularité de la prestation de serment.

Mais, quel est le fondement constitutionnel de la condition relative à la prononciation


conforme de la formule du serment ? A notre connaissance, aucune constitution n’a prévu une
telle condition. Il faut plutôt voir dans l’irruption de ladite condition une main
jurisprudentielle, c’est-à-dire l’empreinte du juge constitutionnel africain. Les constituants
africains, tout au moins ceux objet de cette recherche, n’ont pas songé qu’un jour un président
élu, pendant la prestation de serment, en audience solennelle, pourrait omettre ou refuser de
prononcer un membre de phrase contenu dans la formule. Devant ce vide juridique, le juge

107
E. H. MBODJ, Thèse précitée, p.284.
108
Ibid., p.283.
109
F. SAUVAGEOT, op. Cit. p.227.
110
7Dans ce sens, B. BOUMAKANI, op. cit., p.51 ; M. ALIOUNE, « La portée juridique du serment du président de
la République», [en ligne] http://guineejuristes.com/la-portee-juridique-du-serment-du-president-de-
larepublique/(consulté le 2 septembre 2018).

30
constitutionnel, dans le cadre de son pouvoir d’interprétation créative 111de la constitution, a
comblé ledit vide juridique en institutionnalisant ainsi l’exigence de la prononciation
conforme de la formule du serment. Partant, la troncation de la formule du serment est, dans
le constitutionnalisme africain, constitutive de violation de la constitution.

L’oubli, le refus de prononcer un membre de phrase du serment dénature


automatiquement la teneur de la formule consacrée. C’est pourquoi, l’intervention du juge
constitutionnel africain, dans la prestation de serment, vise également l’exercice du contrôle
du respect de l’intégrité et de l’indivisibilité du contenu du serment. Au Bénin, Mathieu
KEREKOU avait, en rapport avec ses convictions d’homme chrétien, omis de prononcer le
membre de phrase du serment, notamment « les Mânes des Ancêtres » (art. 53 de la
constitution). Après avoir rappelé au président élu, Mathieu KEREKOU, que la prononciation
conforme de la formule du serment est une condition de validité de la prestation de serment et
qu’il est le juge du contrôle du respect de l’intégrité de la teneur du serment, le juge
constitutionnel béninois avait considéré que: « le texte du serment, tel que fixé par la
constitution, est une formule sacramentelle indivisible ; qu’il ne saurait donc subir une
quelconque modification et doit être prononcé dans son intégralité » 112. Dès lors, « Est déclaré
non conforme à la constitution, le serment prêté le 04 avril 1996 à Porto-Novo par le
Président de la République [élu] »113 . Cette prestation de serment a connu une autre décision
du juge constitutionnel béninois. Au fait, le refus du président élu, M. KEREKOU, de porter
la médaille de Grand Maitre a conduit un autre citoyen béninois à saisir le juge
constitutionnel. Toutefois, la cour constitutionnelle a considéré que : « Aucune disposition
constitutionnelle ne fait obligation au président de la République [élu] de porter la médaille
de Grand Maitre ; que le fait de ne l’avoir pas portée ne viole pas la constitution » 114. En
vrai, la médaille de Grand Maitre n’a aucun rapport avec l’article 53 de la constitution, donc
avec le serment. Le citoyen s’est ainsi trompé.

Ce même juge constitutionnel béninois a aussi, en 2016, contrôlé le respect de l’intégrité


et de l’indivisibilité de la formule du serment prononcée par le président élu, Patrice TALON.
En l’espèce, la prestation de serment du président élu, Patrice TALON, avait été déférée
devant le gardien de la constitution parce que le jureur avait remplacé l’adjectif « des » par

111
P. WAFEU TOKO, « Le juge qui crée le droit est-il un juge qui gouverne ? », in Les cahiers du droit, n°1, 2013,
pp.145-174.
112
Décision DCC 96-017 du 5 avril 1996, cour constitutionnelle du Bénin.
113
Ibid.
114
Décision DCC 96-058 du 29 août 1996, recours en inconstitutionnalité du serment prêté par le président élu
le 04 avril et le 06 avril 1996.

31
le pronom personnel « nos » en prononçant « Devant Dieu, les mânes de nos ancêtres… » au
lieu de « Devant Dieu, les mânes des ancêtres ». Saisie d’une requête, le 06 avril 2016, par le
citoyen Irénée ADJE, la cour constitutionnelle béninoise, dans sa décision, a considéré que :
« la substitution du pronom personnel « nos » à l’adjectif « des » dans la formule du serment
telle que libellée à l’article 53 de la Constitution n’entache en rien la substance même, c’est à
dire, l’essentiel de ce serment, contrairement à la situation produite en 1996 où le président
de la République Mathieu KEREKOU a nettement et sans détours omis le membre de phrase
« les Mânes des Ancêtres », modifiant ainsi de façon substantielle la formule du serment ; que
dès lors, le serment prêté par le président de la République élu, Monsieur Patrice Athanase
Guillaume TALON, le 06 avril 2016, ne saurait être considéré comme non conforme à la
Constitution »115. On constate que, selon le juge constitutionnel béninois, pour que la
modification de la formule du serment soit déclarée non-conforme à la constitution, il faut que
le président de la République élu ait dénaturé substantiellement la formule consacrée du
serment. Cette prestation de serment a fait l’objet d’une autre décision du juge constitutionnel.
En effet, le conseil des ministres, dans un communiqué, avait prévu une rencontre, avant
prestation de serment, entre les présidents élu et sortant. Saisit pour contrôler la conformité
d’une telle rencontre, non prévue par la constitution116, le juge constitutionnel avait considéré
qu’il n’y pas eu de violation de la constitution mais simplement la mise en œuvre d’une
tradition républicaine117, instaurée depuis la Conférence des forces vives de la
Nation118.Visiblement, il n’y avait pas ici violation de l’article 53 de la constitution, donc du
serment. Car, cette rencontre n’à rien avoir avec la prestation de serment.

Le juge constitutionnel béninois a aussi contrôlé le respect de l’intégrité du serment prêté,


le 06 avril 2011, au stade Charles de Gaulle de Porto-Novo, par le président élu, YAYI Boni
Thomas. En l’espèce, le jureur avait terminé la lecture de la formule du serment prévu à
l'article 53 de la Constitution par la locution « fin de citation »119. Si pour le requérant, le fait
que le jureur ait terminé son serment par la locution « fin de citation » constitue un ajout de la

115
Décision DCC 16-088 du 16 juin 2016, cour constitutionnelle du Bénin.
116
Pour le requérant, cette rencontre est« une exigence complémentaire non prévue par la Constitution…et qui,
en la matière, viole l'article 53 de la Constitution… et l'article 4 de la décision de proclamation des résultats
définitifs de l’élection présidentielle de mars 2016… »( Décision EP 16-032 du 16 juin 2016, contrôle de
conformité de la décision du Conseil des ministres du 26 mars 2016 relative à la passation de charge entre les
présidents sortant et entrant avant la cérémonie de prestation de serment(Application de l’article 53 de la
Constitution).
117
V. SAINT-JAMES, « La tradition républicaine » dans la jurisprudence de droit public », in RDP, n°5, 2015,
pp.1307-1326.
118
Décision EP 16-032 du 16 juin 2016, précitée.
119
Décision DCC 11-058 du 25 août 2011.

32
locution ‘’fin de citation’’ à l'article 53 de la Constitution et s'analyse en une violation
manifeste de l'article 53 de la Constitution, pour la cour constitutionnelle il n’y pas eu
violation de la constitution120.

En Guinée, le président élu, Alpha CONDE avait aussi dénaturé la teneur de la formule du
serment en oubliant de prononcer, le 14 décembre 2015, « Et de faire respecter la constitution
». Au nom du rôle du juge constitutionnel de contrôler le respect de l’intégrité de la teneur du
serment, le secrétaire général de la cour constitutionnelle, Cheik Fantamady Condé, avait
déclaré, dans un média local, que : « Le président guinéen Alpha Condé doit de nouveau
prêter serment devant les membres de la cour constitutionnelle, pour avoir oublié une partie
dudit serment le 14 décembre » 121. Au Mali, le président élu, Ibrahim Boubacar KEITA avait
aussi, le 4 septembre 2013, omis de prononcer « respecter et faire respecter la constitution et
la loi »122. Toutefois, la mal prononciation de la formule sacramentelle n’est pas le propre de
l’Afrique. Aux USA, le président OBAMA, induit en erreur par le juge John ROBERTS en
2009, avait aussi omis de prononcer certains mots de la formule du serment123.

Du point de vue linguistique ou de la forme, ces omissions dénaturent quand-même le


contenu de la formule du serment. Car, contrairement à ce qu’affirme Makanera
ALHASSAN, « jurer de respecter la constitution » ne renvoie pas implicitement à « Et faire
respecter la constitution »124. La présence de la conjonction de coordination « Et » constitue
une séparation de deux idées ou propositions. Ainsi donc, si « respecter la constitution », c’est
à l’égard de soi-même, par contre, « et faire respecter la constitution », c’est à l’égard
d’autrui. Au fait, le président élu accepte de respecter lui-même la constitution, et en même
temps, il accepte de défendre la constitution contre autrui. Il y a bien deux choses
diamétralement opposées.
120
« Considérant qu’il découle de cette disposition que l’article 53 comporte entre guillemets la formule complète
du serment ; que cette formule, communiquée au Président élu par le Président de la Cour Constitutionnelle, a
été intégralement prononcée par le Président de la République ; qu’il n’y a eu ni ajout ni retrait ; que dire après
la prestation du serment « Fin de citation » ne saurait constituer ni altération de la formule du serment ni
restriction d’aucune sorte à l’égard du contenu du serment ».
121
Y. GAO et G. CUI, « Guinée : le président guinéen Alpha Condé doit de nouveau prêter serment », [en ligne]
http://french.peopledaily.com.cn/Afrique/n/2015/1217/c96852-8991714.html(consulté le 1 août 2019).
122
9MALIJET, « Quand IBK omet la constitution dans sa prestation de serment », [en ligne]
http://malijet.com/a_la_une_du_mali/81497-prestation-de-serment-%3A-la-bourde-r%C3%A9publicained
%E2%80%99ibk-%3F.html(consulté le 17 novembre 2019).
123
C. JAMET, « Obama prête serment…une seconde fois », http://www.lefigaro.fr/elections-
americaines2008/2009/01/22/01017-20090122ARTFIG00334-obama-prete-serment-une-deuxieme-
fois-.php(consulté le 3 août 2018) ; S. BOLLE, « Second serment du président : un air de déjà vu », http://la-
constitution-enafrique.org/article-27080222.html (consulté le 8 décembre 2019).
124
M. AL-HASSAN, « Guinée : La prestation de serment du Président de la République biaiserait-t- elle le droit ?
», http://leguepard.net/2015/12/26/guinee-la-prestation-de-serment-du-president-de-la-republique-
biaiserait-telle-le-droit/;

33
Enfin, le contrôle par le juge constitutionnel du respect de l’intégrité et de l’indivisibilité
de la formule du serment véhicule une certaine idée de sacralisation et de garantie du serment
présidentiel. Il concourt à la construction de l’Etat de droit par le développement de la culture
du respect de la constitution. C’est aussi une affirmation de l’autorité de la constitution par le
juge de la Constitution. Ce pouvoir créateur du juge constitutionnel 125 protège ainsi la
constitution contre les velléités de nature à rendre la teneur du serment présidentiel comme
une simple clause festive. Heureusement que les irrégularités de la prestation de serment sont
sanctionnées et sanctionnables. Toutefois ce contrôle exercé par le juge constitutionnel en la
matière est trop limité d’où l’idée de parler dans le second paragraphe de l’emphase du
contrôle

Paragraphe II : l’emphase du contrôle (le caractère mesuré du contrôle)

En Guinée, l’article 39, alinéa 2, de la loi organique L/2011/06/CNT portant organisation


et fonctionnement de la Cour constitutionnelle dispose que : « La Cour statue en composition
collégiale normale de neuf membres en confirmation ou invalidation (…) de réception du
serment du Président de la République ». A l’aune de cette disposition, l’intervention du juge
constitutionnel africain est encore salutaire. Car, elle permet au juge de la constitution de
sanctionner les irrégularités liées à la prestation de serment. Mais, quel type de sanctions, le
juge constitutionnel africain peut-il infliger ? A l’observation du constitutionnalisme africain,
il peut, en cas d’irrégularités, infliger deux formes de sanction : la reprise de la prestation de
serment (A) et la non-installation définitive de l’élu (B).

A. La reprise de la séance de prestation du serment

Etudiant la prestation de serment, E. H. MBODJ écrit : « les formalités qui entourent


[ladite cérémonie, si elles sont respectées] garantissent la régularité ainsi que la légitimité du

Pouvoir politique »126. C’est pourquoi, en cas d’irrégularité, la prestation de serment doit être
reprise. Considérée comme une forme de sanction, la reprise de la prestation de serment n’est
pas prévue par les constitutions, les lois et règlements de la République. Car, ni le constituant
originaire, ni le constituant dérivé n’ont prévu, en cas d’une prestation initiale ratée,
125
A. ESSONO OVONO, Théorie de l'interprétation et pouvoir créateur du juge constitutionnel français, Thèse
de doctorat en droit public, Université de Toulouse 1, 2000.
126
E. H. MBODJ, Thèse précitée, p.300.

34
l’exigence d’une seconde prestation de serment. Cette exigence s’apparente en une sorte de
constitutionnalisation prétorienne, c’est-à-dire une consécration jurisprudentielle.

Au Bénin, le juge constitutionnel somma, en 1996, le président élu, Mathieu KEREKOU,


de reprendre sa prestation de serment au motif que ce dernier avait omis de prononcer « les
Mânes des Ancêtres »127. Cette intransigeance du juge constitutionnel béninois pose ainsi, en
Afrique, le fondement des secondes prestations de serment, c’est-à-dire de la sanction de la
reprise de la prestation de serment.

En Guinée, le président élu, Alpha CONDE avait aussi repris, le 21 décembre 2015, sa
prestation de serment pour avoir omis de prononcer « Et de faire respecter la constitution ».
Contrairement au Bénin, en Guinée, le président élu avait repris sa prestation de serment, non
sur injonction du juge constitutionnel, mais à cause de la controverse doctrinale soulevée par
la tribune juridique de Mohamed CAMARA. Deux thèses se sont opposées. Pour la première,
en oubliant « et de faire respecter la constitution », il y a violation de la constitution.
Défendue par M. CAMARA, cette thèse fut rejetée par la deuxième qui soutient la non-reprise
de la prestation de serment. Pour cette dernière, la cour avait déjà pris acte de la mauvaise
prestation de serment, donc elle a ainsi validé la prestation avec cette omission. Dès lors,
l’autorité absolue des arrêts de la cour constitutionnelle doit s’imposer. Aussi, l’élu peut ou ne
pas prononcer « et faire respecter la constitution », car cette obligation est déjà inscrite dans
l’article 45 de de la constitution qui proclame le président comme le garant de la
constitution128. Après avoir déclaré que « Le président guinéen Alpha CONDE doit de
nouveau prêter serment devant les membres de la cour constitutionnelle, pour avoir oublié
une partie dudit serment le 14 décembre » 129, le juge constitutionnel guinéen a aussi considéré
que l’omission de « et de faire respecter la constitution » n’était pas une cause de nullité de la
première prestation du serment. Pour le président de la cour constitutionnelle guinéenne, la
deuxième cérémonie n’était pas une prestation de serment mais simplement une cérémonie
d’installation de l’élu130. Or, l’on constate que la cour constitutionnelle a accepté deux
prestations de serment131. Partant, il est clair que la première prestation fut irrégulière. Aux
USA, le Président élu, Barack OBAMA, avait été contraint, « par précaution132» et de son

127
Arrêt précité.
128
M. AL-HASSAN, op. Cit. M. A. DRAME, op. cit.
129
Y. GAO et G. CUI, op. cit.
130
M. AL-HASSAN, op. cit.
131
Ibid.
132
C. JAMET, op. cit.

35
propre gré, à huit clos, de prêter à nouveau le serment sans la Bible, le 21 janvier 2009 133. Au
Mali, le président élu, Ibrahim Boubacar KEITA, n’a pas repris la prestation 134. Cette non
reprise peut se justifier par deux éléments : le faible encrage du juge constitutionnel malien
face au pouvoir présidentiel et le peu d’intérêt qu’au jureur de respecter l’Etat de droit.

Quelle est la portée juridique et politique de la reprise de la prestation de serment ? Ces


omissions de membres de phrase de la formule du serment sont-elles juridiquement ou
légitimement de nature à justifier l’invalidation d’une prestation de serment ? A cause de
l’omission substantielle ou non, la reprise de la prestation de serment est ainsi la preuve que le
respect de la formule du serment du président de la République est une condition substantielle
d’entrée en fonction. L’exigence d’une seconde prestation de serment doit être considérée
comme une affirmation de l’autorité de la constitution et du juge constitutionnel. Car depuis
l’évincement du constitutionnalisme négro-africain, l’objectif des nations africaines est la
proclamation de l’Etat de droit fondé sur la suprématie de la constitution et l’indépendance du
juge.

Dans le cas béninois, la décision (la reprise de la prestation par le président élu, M.
KEREKOU) du juge constitutionnel est une régularisation de la prestation initiale du serment.
Cette régularisation vise plusieurs objectifs. Le premier objectif qu’elle poursuit est le souci
d’éviter la dénaturation de la formule du serment. Dès lors, la reprise de la prestation de
serment conforte ainsi l’autorité souhaitée du serment présidentiel. Elle inculque dans la
conscience collective l’idée selon laquelle la constitution n’est pas comme toutes les règles
étatiques, et la formule du serment présidentiel relève du sacré constitutionnel. De ce fait, elle
doit être respectée dans sa lettre et dans son esprit. Le deuxième objectif poursuivit,
essentiellement politique, est l’évitement des critiques relatives à la violation de la
constitution. C’est à cause de la peur de ces critiques éventuelles que le président élu, Barack
OBAMA, avait, volontiers, accepté de reprendre la prestation de serment. Dès lors, la reprise
de la prestation de serment protège, non seulement la constitution, mais aussi le président élu
à l’égard de ses détracteurs. Troisièmement, la reprise de la prestation de serment est une
marque d’affirmation pratique de l’autorité du juge constitutionnel. Au fait, c’est une
affirmation de l’autorité du juge constitutionnel vis-à-vis du pouvoir politique. Car, ces «
décisions … ne sont susceptibles d’aucun recours »135 . Au Bénin, en imposant la reprise de la
133
Lire, à ce sujet, C. JAMET, op. cit. ; S. BOLLE, « Second serment du président : un air de déjà vu », op. cit.
134
MALIJET, « Quand IBK omet la Constitution dans sa prestation de serment ... », op. cit.
135
D. E. ADOUKI, « Contribution à l’étude de l’autorité des décisions du juge constitutionnel en Afrique », in
RFDC, 2013/3 (n° 95), juillet, pp.611 – 638 ; T. ONDO, « L’autorité des décisions des juridictions
constitutionnelles en Afrique noire francophone », in RJP, n°4,2012, pp.453-480.

36
prestation de serment, le juge constitutionnel n’a su qu’élever la constitution au rang des
objets sacrés du constitutionnalisme. Souvent traité comme un appendice du pouvoir exécutif,
le juge constitutionnel en imposant une reprise de la prestation de serment confirme, par-là,
son autorité comme un contrepoids du président de la République. Partant, il bénéficie de
l’estime et du respect des politiques à son égard. Ce qui n’a pas manqué de pousser certains
auteurs de se demander si « La cour constitutionnelle du bénin en fait-elle trop ? » 136. Par
conséquent, il faut des juges audacieux, comme celui du Bénin, avec ses propres techniques,
pour affirmer, face au politique, que la constitution est la loi suprême. Et doit être respectée
dans son esprit et dans sa lettre. En effet, ce juge constitutionnel a juste profité de l’occasion
en imposant son autorité afin qu’il ne soit plus juge des années 1960, c’est-à-dire un juge à la
merci des politiques. Dès lors, la prononciation conforme de la formule du serment est érigée
en véritable condition de régularité de la prestation de serment.

Enfin, cette sanction est encore limitée. Car, son application dépend de l’interprétation ou
de l’appréciation que fait le juge de l’omission de certains membres de phrase du serment. Le
juge peut penser que la troncation n’est pas de nature à dénaturer la formule du serment.
Alors, l’élu ne peut reprendre sa prestation de serment. C’est le cas de ce qui s’est passe au
Bénin en 2016 avec la prestation de serment du président élu, Patrice TALON 137. Pour le juge
constitutionnel béninois, le jureur n’a pas substantiellement tronqué ou dénaturé la formule du
serment. Alors, il n’y aura pas de seconde prestation de serment comme cela fut le cas en
1996. Néanmoins, lorsque l’élu refuse de prêter à nouveau le serment, en principe, il s’en suit
une seconde sanction : la non-installation.

B. L’impossibilité d’exercer le pouvoir

Que fera le juge constitutionnel africain au cas où le président de la République élu


refuserait de prêter de nouveau le serment ? Le non prestation régulière de serment
s’apparente en une violation de la constitution. Il peut avoir deux sens : dans le premier cas, le
président de la République élu omet de prêter serment comme l’exige la constitution et dans le
deuxième cas, il refuse volontiers de prêter serment. Sans être juridiquement consacré, le
refus ou l’omission de prêter serment n’est pas impuni. La prestation de serment étant une
impérative, son irrespect est sanctionné par la non prise en charge du pouvoir présidentiel. En
France, la constitution du 3 septembre 1791(chapitre II, section première, art. 5) dispose que :
136
D. GNAMOU, « La cour constitutionnelle du Bénin en fait-elle trop ? », in Mélanges en l’honneur de Maurice
AHANHANZO-GLEGLE, La constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? , Paris,
L’harmattan, 2014, pp.687-715.
137
Décision DCC 16-088 du 16 juin 2016, précitée.

37
« Si, un mois après l'invitation du Corps législatif, le roi n'a pas prêté ce serment, ou si, après
l'avoir prêté, il le rétracte, il sera censé avoir abdiqué la royauté ». A travers cette
disposition, l’on constate qu’en France la sanction de non exercice du pouvoir royale, en cas
de non prestation de serment, fut explicitement consacrée.

Dans le constitutionnalisme africain, la non-prestation de serment est égale àla non prise
en charge du pouvoir présidentiel. Cette sanction n’est pas explicitement consacrée. Pour
saisir le fondement de cette sanction, il faut examiner l’intransigeance des constituants vis-à-
vis de la prestation de serment du président de la République élu. En effet, si les constituants
affirment qu’« Avant d'entrer en fonction, le Président élu prête …le serment suivant… », il
faut considérer que le non-respect de cette injonction est le fondement de la sanction de non
exercice du pouvoir présidentiel. Ainsi, en imposant une prestation obligatoire de serment au
président de la République élu, les constituants imposent implicitement, en cas de non
prestation régulière de serment, la sanction de non exercice du pouvoir. Dès lors, le président
de la République qui, par omission ou volontiers, n’a pas prêté à nouveau le serment ne
saurait être considéré comme installé. Dans ce sens, étudiant le serment du président de la
République, en rapport avec le serment dans les royaumes du Sénégal, le Doyen Ibrahima
FALL écrit : «(…) aussi longtemps que le président élu n’aura pas prêté [régulièrement]
serment, il ne saurait être réputé installer dans ses fonctions(…) » 138. Dans cette même
dynamique, M. Stéphane BOLLE affirme que : « dans une hypothèse d’école où elle
refuserait expressément de jurer ou s’abstiendrait de [prêter serment], la personnalité choisie
par le suffrage universel ne pourrait régulièrement exercer les prérogatives présidentielles
»139. Un président de la République élu qui commet « l’infraction » de « non prestation
régulière de serment » rentre dans le bateau des violeurs de la constitution.

Toutefois, cette sanction donne au serment présidentiel une autre fonction, une autre finalité :
le triage, la sélection des élus présidentiels. L’application de la sanction de non exercice du
pouvoir présidentiel est à l’origine d’un système de sélection, par le serment, des gouvernants.
Une telle sélection est telle juridique et légitime ? Un président élu par le peuple, pour n’avoir
pas prêté régulièrement serment, peut-il être écarté du pouvoir ? Du point de vue juridique, la
question ne se pose pas. Mais, politiquement, ce n’est pas légitime. Car, on aura l’impression
qu’on déni la souveraineté du peuple en limitant ainsi le droit du souverain primaire à choisir
ses gouvernants. C’est pourquoi, l’histoire constitutionnelle de l’Afrique ne nous donne pas
138
I. FALL, « Le droit constitutionnel… », Op. Cit. p.214 ; B. BOUMAKANI, « Le serment constitutionnel… », op.
cit. p.51.
139
S. BOLLE, Thèse précitée, pp.258- ss.

38
des antécédents relatifs à l’application, en cas de prestation non régulière de serment, de la
sanction de « non exercice du pouvoir présidentiel ».

A notre connaissance, aucun président de la République élu, dans le constitutionnalisme


africain, ne s’est vu refuser l’exercice du pouvoir présidentiel parce qu’il n’a pas prêté à
nouveau (régulièrement) le serment d’entrée en fonction. De même, on ne trouve pas un tel
antécédent dans le constitutionnalisme européen. En d’autres termes, l’impérativité de la
prestation de serment a toujours était respectée par les chefs d’Etat élus. Mais, pourquoi ce
respect unanime, universel de l’obligation de prêter régulièrement serment ? Pourquoi il n’y
jamais eu, à notre connaissance, malgré des siècles de pratique de la prestation de serment,
des cas de refus de prêter serment et partant d’application de la sanction de non exercice du
pouvoir présidentiel ? L’absence d’antécédents peut se justifier par plusieurs éléments.
D’abord, lorsqu’un citoyen se porte candidat à une élection présidentielle, on sous-entend
qu’il sait qu’une fois l’élection gagnée, il doit prêter régulièrement serment ; en toute
connaissance de cause, il sait qu’il est tenu de respecter la constitution. Par conséquent, il est
tenu de respecter son électorat. Ensuite, l’absence de précédents peut se justifier aussi par
l’opportunisme. Ayant dépensé de l’argent pour battre compagne, le président de la
République élu prête serment et entre en fonction pour récupérer, à travers ses émoluments
présidentiels, les dépenses électorales engagées. Dans cette dynamique, G. PAMBOU
TCHIVOUNDA écrit : « le fait que la nomination [ou l’admission] à ces postes
[présidentiels] correspond à une promotion sociale qui arrive jusqu’à supplanter les
convictions politiques et religieuses. L’intérêt domine toute velléité d’éthique » 140. Le
président élu « prêtera tous les serments qui lui sont demandés…pour satisfaire l’une des plus
fortes tendances de la nature humaine : l’ambition »141. C’est pourquoi, bien qu’interdit par
Jésus Christ (Mathieu 5, verset 34), certains président élus, d’obédience chrétienne bien-sûr,
acceptent quand même de prêter le serment confessionnel. Au Bénin, le président élu,
Mathieu KEREKOU, avait ainsi mis de côté ses convictions d’homme chrétien en prononçant
« les mânes des ancêtres ».

Si au niveau de la présidence de la République, à notre connaissance, il n’y a pas eu de


précédents, il convient de noter qu’il en existe au niveau des membres du gouvernement. Au
Tchad, deux ministres nommés, d’obédience chrétienne, faute de ne pas avoir prêté un
serment confessionnel valide, n’avaient pas pu exercer leurs fonctions. Séance tenante, elles

140
G. PAMBOU TCHIVOUNDA, op. Cit, p.807.
141
Ibid

39
étaient remplacées. Cet exemple prouve à suffisance que la non-prestation de serment est
sanctionnée par le non exercice du pouvoir.

Cependant, quelles peuvent être les conséquences juridique et politique en cas


d’application d’une telle sanction ? Que dit le droit lorsqu’un président de la République élu a
été frappé par la sanction de non exercice du pouvoir présidentiel ? Sera-t-on dans le cadre de
la vacance du pouvoir ou de l’empêchement définitif du président de la République élu ?
Qu’adviendra le pouvoir ? A qui devrait-il revenir ? Le droit constitutionnel africain, à notre
connaissance, ne nous donne pas explicitement, une réponse ni à la première, ni aux dernières
questions. Pour comprendre si on sera dans les cas de vacance du pouvoir ou d’empêchement
définitif du président de la République, définissons d’abord ces notions. La vacance de la
présidence de la République peut être définie comme l’irruption d’un évènement qui laisse
vacant le fauteuil présidentiel142. Elle intervient le plus souvent dans les circonstances de
démission et de décès du président de la République en place. Si l’on s’en tient à cette
définition, l’application de la sanction de non exercice ne saurait, en principe, conduire à la
vacance de la présidence de la République. Car, le président élu n’est pas encore président de
la République afin qu’il y ait constatation de son décès ou de sa démission. S’agissant de
l’empêchement définitif du président de la République, il est considéré comme l’irruption
d’un évènement qui empêche définitivement le président de la République d’exercer le
pouvoir présidentiel. Il intervient dans les cas de maladie, de disparition 143. L’application de la
sanction de non exercice du pouvoir présidentiel ne peut n’en plus s’apparenter ici à un
empêchement définitif du président de la République. Car, le président élu n’est pas encore
président de la République. Que faire alors dans ces conditions ?

L’application, dans le constitutionnalisme africain, de la sanction de non exercice du


pouvoir présidentiel peut être à l’origine de deux situations : l’empêchement définitif et la
démission du président de la République élu. C’est, sans nul doute, dans ces deux cas que l’on
se trouve. En la matière, le droit constitutionnel du Congo-Brazzaville en donne une réponse.
L’article 74 de la constitution congolaise de 2015 fourni une solution en disposant que : « En
cas de décès ou d’empêchement définitif du Président de la République élu avant son entrée
en fonction, il est procédé à de nouvelles élections dans un délai de quarante-cinq (45) à
quatre-vingt-dix (90) jours à compter de la notification au Président de la République en

142
L. FAVOREU(Dir) et al. Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 7è éd., 2004, p.593. C. YATALA NSOMWE NTABWE,
op. cit., pp.3-ss.
143
Ibid.

40
fonction de la décision de la Cour constitutionnelle constatant le décès ou l’empêchement
définitif du Président de la République élu. Le Président de la République en exercice reste en

Fonction jusqu’à la prestation de serment du nouveau Président de la République élu » 144. On


peut dénicher dans cette disposition la vacance de la présidence de la République élu 145 et
l’empêchement définitif du président de la République élu. La situation de non exercice du
pouvoir présidentiel, pour non prestation de serment, s’apparente mieux à un empêchement
définitif du président élu. Ainsi donc, la non-prestation de serment doit être considérée
comme la démission, le renoncement, bref l’empêchement définitif du président de la
République élu avant son entrée en fonction. Cet empêchement devrait être constaté par
l’organe « intronisateur » qui est, dans le cas congolais, le juge constitutionnel. Enfin, la
solution retenue (l’organisation des nouvelles élections et le maintien en fonction du président
en exercice) est la bonne. Premièrement, on ne saurait, en cas d’empêchement définitif du
président élu, remplacer ce dernier par le président déclaré deuxième. Car, s’il était deuxième
à l’élection présidentielle, c’est parce qu’il n’a pas reçu l’assentiment majoritaire du peuple.
Du point de vue de la légitimité, il est illégitime. Alors, on ne saurait imposer au peuple
quelqu’un qu’il a désavoué. Il faut reprendre l’élection afin que le souverain primaire décide
de nouveau. Il doit reconnaitre et réapprécier au mieux les projets de sociétés. Le deuxième
avantage de la solution retenue est lié au maintien du président en exercice. Cela permet
d’assurer la continuité de l’Etat, par conséquent, d’éviter l’instabilité de la nation. La vacance
ou l’empêchement créé les « situations d’urgence »146 Contrairement à ce qu’affirme Stéphane
BOLLE147, le refus de prêter serment ainsi que le retard 148 de la prestation de serment ne
sauraient être source de vacance du pouvoir. Mais une source d’empêchement définitif du
président élu. Car, pour qu’il y ait vacance du pouvoir, il doit d’abord y avoir une prestation
régulière de serment consacrant le président élu président de la République.

Toutefois, il y a aussi des inconvénients. Le principal est lié aux dépenses étatiques et aux
candidats à l’élection présidentielle. De ce fait, il est possible que, l’Etat et les candidats,
ayant déjà dépensé à la première élection, ne puissent être animés d’un engouement à

144
On trouve une pareille disposition au Sénégal (art. 36 de la constitution de 2001), en Guinée (art. 34 de la
constitution de 2010) et au Gabon (art. 11a alinéa 5 de la constitution de 1991).
145
En réalité, il n’existe pas dans les constitutions des Etats africains une sorte de vacance de la présidence de
la République élu. Car, cette dernière n’est pas un siège.
146
J. ROBERT, « Les situations d’urgence en droit constitutionnel », in RIDC, Vol. 42 n°2, Avril-juin 1990, p.752.
147
S. BOLLE, Thèse précitée, p.265.
148
Au Bénin, le retard (le 4 au lieu du 1er avril) de la prestation de serment de Nicéphore SOGLO en 1991, pour
cause de maladie, ne sauraient être source de vacance du pouvoir. Mais, c’est une source d’empêchement
provisoire du jureur.

41
organiser des nouvelles élections. L’abstention sera au rendez-vous ; car, on aura une faible
participation. Le rôle du juge constitutionnel dans la prestation de serment ainsi analysé, il
convient maintenant d’étudier les sanctions à la violation du contenu du serment.

Section II : la sanction de la violation du contenu du serment

L’institution du serment et la fixation de son contenu sont formellement prévues par la


constitution. De ce fait, les normes qui instituent et fixent le contenu du serment sont des
normes de référence de constitutionnalité qui sont avant tout des normes de valeur
constitutionnelle et qui peuvent couvrir également des normes extérieures à la constitution
mais auxquelles celle-ci renvoie. Dès lors, le chef de l’Etat doit agir conformément à ces
normes sans quoi les actes posés ou les actions menées par lui sont susceptibles d’être
frappés d’inconstitutionnalité. En outre la violation du serment et corrélativement de la
constitution expose le chef de l’Etat à la mise en cause de sa responsabilité, d’où la mise en
jeu de la responsabilité pour parjure (paragraphe I) avant de voir dans un second temps

Les effets de la mise en jeu de la responsabilité pour parjure (paragraphe II)

Paragraphe I : la mise en jeu de la responsabilité pour parjure

Le chef de l’Etat est ainsi lié constitutionnellement par son serment, dont la violation
expose ses actes à l’annulation par inconstitutionnalité.

Ce même grief peut permettre d’engager la responsabilité juridique du chef de l’Etat. Ce


qui nous amène à scruter la mise en cause de la responsabilité du chef de l’Etat (A), avant de
voir dans un second temps les effets de la mise en cause de la responsabilité (B)

A. Les conditions de mise en cause de la responsabilité du chef de l’Etat

Le contenu du serment révèle à la fois la nature et la diversité des engagements souscrits


par le chef de l’Etat à l’égard de la nation au moment de son entrée en fonction. La pratique,
en revanche, montre nombre de violation du serment et des engagements pris. Qu’advient-il
alors dans ces conditions des faits résultant du serment trahi ? Sont-ils susceptibles d’entrainer
la mise en cause du chef de l’Etat ?

42
La réponse à ces questions ne peut s’appréhender qu’en replaçant le débat dans la vision
globale du statut juridictionnel du chef de l’Etat et, plus spécifiquement de son statut pénal.

L’accroissement considérable en droit et en fait des pouvoirs des chefs d’Etat aurait
conduit logiquement à leur mise en cause lorsque les engagements sont trahis, la constitution
violée. Les solutions consacrées à cet égard sont généralement présentées comme marginales
quand elles ne sont pas simplement considérées comme illusoires. En effet, pris sous l’angle
autant de la responsabilité politique que de la responsabilité pénale, le principe de
l’irresponsabilité prévaut lorsqu’il s’agit de la mise en cause du chef de l’Etat. En ce qui
concerne la responsabilité politique, celle-ci est totale, excepté lorsque le chef de l’Etat décide
de son propre gré d’engager sa responsabilité devant le peuple.

La logique de l’irresponsabilité du chef de l’Etat prévaut également en matière de


responsabilité pénale. Le principe est posé dans les constitutions Africaines pour les actes
accomplis par le chef de l’Etat dans l’exercice de ces fonctions, à l’exception de quelques
hypothèses comme celle de la « haute trahison », incrimination susceptible de mettre en
cause sa responsabilité149.

Cependant, une nouvelle tendance voit le jour, et qui fait appel à la violation du serment,
comme incrimination susceptible d’être invoquée à l’encontre du chef de l’Etat.
L’incrimination de la violation du serment peut être soit incluse dans celle de la « haute
trahison » lorsque cette dernière est définie de façon large, soit faire l’objet d’une infraction
spécifique coexistant avec la « haute trahison ».

L’inclusion de la violation du serment dans la « haute trahison » est illustrée au bénin. En


vertu e l’article 136 de la constitution, « la haute cour de justice est compétente pour juger le
président de la république et les membres du gouvernement à raison des faits qualifiés de
haute trahison, d’infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs
149
Présentée comme une notion aux contours flous, un « fossile constitutionnel », la haute trahison est une
notion plus politique que juridique. Son obsolescence a conduit, en France, dans la voie tracée par le rapport
Pierre Avril sur le statut pénal du président de la république (2002), à la remplacer par la notion de
manquement aux devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice du mandat (article 68 nouveau de la
constitution issu de la loi constitutionnelle du 23 février 2007). Voir, Avril pierre « statut pénal du chef de
l’Etat », R.D.P 2002 ? P. 1873 ? SAUVE (J.M.), introduction 2e journée d’étude du groupe de droit
constitutionnel de la société de législation comparée », in la responsabilité du chef de l’Etat, société de
législation comparée 2009, p.9.en Afrique, la doctrine appelle à une forme audacieuse et pragmatique du statut
juridictionnel des gouvernants. Au titre du contenu de la réforme, il est proposé que des incriminations qui
fondent la responsabilité pénale des gouvernants soient mieux précisé d’autant que l’essentiel, c’est-à-dire la
définition de haute trahison, du complot contre la sureté de l’Etat ainsi que la détermination de la sanction
applicable, reste généralement absent des textes, sinon confus et difficile d’application ; voir en ce sens, AIVO
(F.J), « la responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes politiques africaines d’influence françaises »
AFRILEX , janvier 2010,p. 32.

43
fonctions…. ». la définition e la haute trahison est fournie par l’article 3 de la loi du 10 aout
1999 portant loi organique de la haute cour de justice qui y inclut la violation du serment : il y
a haute trahison lorsque le président de la république a violé son serment, est reconnu auteur,
co-auteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits de l’homme, de cession
d’une partie du territoire national ou d’actes attentatoires au maintien d’un environnement
sain, satisfaisant, durable et favorable au développement »

Procédant de la même démarche qu’au bénin, la constitution du Niger précise que la


violation du serment est un acte de haute trahison : « il y a haute trahison, lorsque le président
de la république viole son serment, refuse d’obtempérer à un arrêt de la cour
constitutionnelle, est reconnu auteur, co-auteur ou complice de violations graves et
caractérisées des droits humains, de cession fraudeuse d’une partie du territoire national, de
compromission des intérêts nationaux en matière de gestion des ressources naturelles et de
sous-sol et d’introduction de déchets toxiques sur le territoire national »

En revanche, au Gabon, la violation du serment est une incrimination spécifique et qui


coexiste avec la haute trahison. L’article 78 de la constitution dispose à cet effet que la haute
cour de justice « juge le président de la république en cas de violation du serment ou de haute
trahison ».

La violation du serment constitutionnel figure désormais formellement parmi les exceptions


au principe de l’irresponsabilité du chef de l’Etat pour les actes accomplis en cette qualité.
Restant néanmoins des questions sur les modalités de la responsabilité du chef de l’Etat.
Quelle sera la procédure de mise en œuvre ? Qui pourra prendre décision ? Quels sont les
recours envisageables ? Quels sont les sanctions ? Autant d’interrogations qui donnent la
mesure du chemin restant à parcourir mais qui n’occultent en rien l’avancée vers la réduction
de l’irresponsabilité qui vient conforter l’incrimination de la violation du serment par le chef
de l’Etat sans en faire un justiciable comme les autres.

B. L’obligation de rendre compte du chef de l’Etat

Notre propos se limite à certains éléments du statut du président de la république compris


dans les constitutions Africaine et notamment son obligation de rendre compte. L’obligation
de rendre compte du président de la république est tributaire de la nouvelle rédaction des
constitutions africaine, notamment l’article 53 de la constitution camerounaise dont le
président est tributaire. Il est question, à première vue, d’évaluer le règlement constitutionnel
de cette question dans un système ou certains aurait la faiblesse de penser qu’une fois élu, le

44
président de la république jouit d’une immunité totale. respondere , tiré du latin, c’est obliger
les gouvernants, dont le premier d’entre eux, à savoir le président à ne jamais se considérer
propriétaire du pouvoir, mais à rendre compte au peuple à travers les institutions de la
République, mises en place par le peuple souverain au travers de la constitution.

La question de la responsabilité va se limiter ici au seul président de la République à


l’exclusion des autres membres de l’exécutif, et même du pouvoir législatif en raison du
traitement particulier du régime de protection des parlementaires. Rappelons toutefois pour
être complet que le parlementaire bénéficie d’une protection assurée 150. Cette protection
garantit au concerné l’exercice de sa fonction sans qu’il soit perturbé par des entraves pouvant
résulter de toute part et qui auraient pour conséquence d’impacter son action.

En revanche et comme en régime monarchique, le président de la République des pays


Afrique noire ne jouirait-il pas d’une immunité absolue ? Ou alors bénéficierait-il simplement
d’un régime dérogatoire au droit commun tant pour les infractions commises dans l’exercice
des fonctions présidentielles que pour les autres infractions selon la logique présidentielle 151 ?

En droit comparé, sous l’Ancien régime en France, le dogme juridique et institutionnel de


l’infaillible du roi avait longtemps placé le souverain dans la position privilégiée de celui
« qui ne pouvait mal faire ». Cette perspective a été à l’honneur jusque dans les années 1790.
La législation avait ainsi conforté cette position privilégiée du chef de l’Etat, lorsqu’il s’est
agi de trouver un obstacle juridique à l’intrusion des juges dans l’exercice de la fonction
politique : « les fonctions judiciaires sont distinctes demeureront distinctes toujours séparées
des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de
quelques manières que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les
administrations en raison de leurs fonctions »152

Cela était sans doute une implication du fameux « omni potestas a deo » de SAINT Paul,
qui a longtemps été le paradigme explicatif de l’origine du pouvoir, et par suite de sa
sacralisation153, dans un monde ou la théocratie catholique dominait les sociétés politiques.
Mais, l’avènement de la République, marqué de façon tragique par la décapitation du roi en

150
AVRIL, (P) et GICQUEL, (J.), droit parlementaire, 2004 ; FOILLARD (ph.), droit constitutionnel et institutions
politiques, paradigme, 2006, p. 273 et s.
151
Les Etats-Unis constituent le modèle du régime présidentiel. Lire VALLET (E.) (dir), la présidente des Etas –
unis, presse de l’université du Québec, 2008
152
Article 13 de la loi du 16-24 aout de l’an 1790 en France
153
KAMTO (M.), le pouvoir et droit en Afrique, essai sur les fondements du constitutionnalisme dans mes Etats
d’Afrique, paris, LGDJ, 1987, 546p.

45
1789 en France et le succès de la notion de la chose publique 154, est venu remettre au gout du
jour un débat que le constitutionnalisme ne peut étudier jusqu’aujourd’hui à savoir celui de la
responsabilité du président de la République.

En effet, la rationalité qui est fondamentalement iconoclaste 155 ne peut se résoudre à une telle
déification du détenteur du pouvoir, dans un monde gouverné par la raison et ou l’autorité la
plus légitime est désormais celle qui est de type légal des régimes autoritaires aux régimes
démocratique, réalisant ainsi le dépassement d’un schéma normatif, formé par des principes et
des normes anciens et sa substitution par un autre schéma démocratique en ce sens qu’il se
départit du régime autoritaire pour valoriser davantage l’Etat de droit156.

A partir des années 1990, le constitutionnalisme béninois, camerounais nigérien, comme


celui de nombreux Etats africains a fait sa mue, passant ainsi du règne du monolithisme à un
« ralliement au constitutionnalisme de type libéral »157 tourné vers la consolidation de l’Etat
de droit et de la démocratie, avec un rééquilibrage nécessaire des pouvoirs publics 158 ,il a été
introduit une forme plus accentuée de l’obligation pour le président de la République de
rendre compte devant la haute cour de justice pour le cas de haute trahison. Cette obligation
était envisageable devant les juridictions pénales ordinaires après le mandat du président, si
l’on s’en tient à une interprétation stricte de l’immunité qui est censé protéger la dignité de la
fonction du titulaire d’un poste politique. Qu’en est-il des effets de la mise en jeu de la
responsabilité pour parjure ?

Paragraphe II : les effets de la mise en jeu de la responsabilité du président pour parjure

Le contenu du serment révèle à la fois la nature et la diversité des engagements souscrits


par le chef de l’Etat à l’égard de la nation au moment d son entrée en fonction. La pratique, en
revanche, montre nombre de violation du serment et des engagements pris.

Dans son sens actif, le serment crée un lien de confiance entre le chef de l’Etat et la nation.
Dans un sens passif, le serment expose son auteur à une menace qui se réalisera en cas de
parjure. La faiblesse de l'État de droit en Afrique, corrélée à l'hyper présidentialisme existant

154
Voir KAMTO (M.), « la chose publique », conférence donnée aux étudiants de droit public en avril 2004.
155
Voir TOWA(M.), essai sur la philosophie africaine, Editions Clé, 1986
156
Voir Max WEBER, Economy and society, An Outline of interpretative sociology, guenter Roth, Claus Wittch,
New York, bedminister Press, 1968
157
CONAC (G.), « quelques réflexions sur le nouveau constitutionnalisme africain », acte du symposuim
international sur la démocratie organisé par l’Organisation internationale de la Francophonie à Bamako et
disponible sur WWW.démocratie.francophonie.org. P.28.
158
Voir NGELE ABADA (M.), Etat de droit et démocratie, contribution à l’évolution politique et constitutionnelle
du Cameroun, thèse de droit public, tome1 , l’université de paris 1- Panthéon Sorbonne, janvier 1995.

46
dans de très nombreux États nous amène souvent à avoir l'impression d'une impunité totale à
l'égard des dirigeants sur le continent. Néanmoins, au-delà des impressions et des apparences,
il serait intéressant de s'interroger sur l'existence de mécanismes institutionnels, sociaux ou
politiques permettant de lutter contre ce problème d'impunité. Il faut dans un premier temps,
s’interroger sur la destitution du chef de l’Etat (A) Avant de voir dans un second temps le
rejet de la requête pour la plupart du temps (B)

A. La destitution du président de la république

La responsabilité du président de la République, en Afrique francophone, est fortement


tributaire du legs de la Constitution française de 1958, par la référence quasi unanime à la
haute trahison. En effet, dans de nombreux États, la « haute trahison » est la seule cause
permettant d'engager la responsabilité du chef de l'État. Dans cette mesure, on peut se
demander si cette cause d'engagement de la responsabilité permet de mettre en accusation un
président dans le cas où il aurait porté atteinte à la Constitution, par une violation pure et
simple du texte ou une instrumentalisation de celui-ci à des fins personnelles, par exemple.
Néanmoins, on constate que, souvent, l'expression de « haute trahison » n'est pas définie par
les textes et que ceux-ci ne permettent donc pas de savoir si la violation constitutionnelle est
considérée comme telle. Ce silence constitutionnel se retrouve au Sénégal, au Togo et en Côte
d'Ivoire. Mais, fort heureusement, il y a des États dans lesquels on apporte plus de précisions
sur la notion. Il s'agit, par exemple, de la Constitution centrafricaine, laquelle, à son article 96,
énumère une liste non exhaustive d'actes susceptibles d'être qualifiés de « haute trahison ».
Parmi ces actes, on trouve la violation du serment et, si on examine le serment reproduit à
l'article 25, on constate bien que celui-ci fait promettre au président investi « de ne jamais
exercer les pouvoirs qui [lui] sont dévolus par la Constitution à des fins personnelles ».

En revanche, d'autres États ont su s'affranchir de la simple responsabilité pour haute


trahison et proposent, en plus de celle-ci, d'autres causes d'engagement de la responsabilité,
autonomes et qui, pour certaines, sanctionnent directement la violation constitutionnelle.
Ainsi, la Constitution malgache prévoit, à l'article 131, trois cas d'engagement de la
responsabilité présidentielle, parmi lesquels le cas de « violation grave, ou de violations
répétées de la Constitution ». On retrouve également ce type de responsabilité dans les
Constitutions non francophones, comme c'est le cas en Angola, où la Constitution, à l'article
129, prévoit la destitution du président de la République pour crime de violation de la

47
Constitution. Seulement, dans ce cas, seule la violation aboutissant à la violation de l'État de
droit démocratique, la sûreté de l'État ou le bon fonctionnement des institutions est
incriminée. On pourra estimer que l'État de droit démocratique est violé lorsqu'un opposant
est empêché de se présenter aux élections, car celui-ci fait peur au pouvoir en place.

La sanction déterminante prévue en cas de condamnation, suite à l'engagement de la


responsabilité du président de la République, est la révocation. Cependant, en ce qui concerne
l'effectivité des textes en la matière, il faut faire plusieurs remarques. Tout d'abord, la mise en
accusation du président de la République reste très rare sur le continent africain. Ainsi,
Ismaïla Madior Fall ne manque pas de « souligner le caractère illusoire et chimérique de la
haute trahison ». Selon lui, ce qui rend difficilement applicable les textes sont « la
rationalisation de la procédure de mise en oeuvre de la responsabilité combinée avec le
phénomène majoritaire, [et] d'autre part aux conséquences infamantes de la destitution pour
haute trahison159 ». En effet, il est important de souligner que les instances chargées de mettre
en accusation le président de la République sont généralement les députés de l'Assemblée
nationale et/ou du Sénat, qui sont, dans la plupart des cas, dévoués à celui-ci.

L'auteur précédemment cité reprend une observation intéressante selon laquelle « il est
admis en fait et en doctrine que la seule forme de responsabilité présidentielle qui vaille est,
ainsi que le souligne Claude Emeri 160, celle qui se joue devant le corps électoral à l'occasion
de consultations électorales (nationales) ou référendaires 161 ». La menace de la sanction
politique serait donc la seule à dissuader le président de la République de frauder la
Constitution ? Ce qui est sûr, c'est que la sanction politique n'est pas la seule à pouvoir être
mise en jeu. Les sanctions non juridiques sont de diverses natures, légales ou illégales ; elles
ont de réels impacts sur le renversement du régime en place en commençant par le président
qui est à sa tête mais force est de constater que sa mise en œuvre est difficile du fait d’un
possible rejet de la requête

B. Le rejet de la requête

159
Ismaïla Madior Fall, le pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme des Etats d’Afrique, Paris, L’Harmattan,
2008, p. 179.
160
Claude Emeri, « de l’irresponsabilité présidentielle », in Pouvoirs n°41, « le Président », 1987, p 139.
161
Ismaila Madior Fall , le pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme des Etats d’Afrique, op. cit, p.179.

48
Dans certains Etats où la responsabilité politique exceptionnelle du Chef de l’Etat est
prévue par les textes162, les Hautes Cours de Justice censées mettre en œuvre cette
responsabilité sont généralement inféodées au pouvoir politique. Elles constituent à cet égard
un simple maquillage démocratique. La Haute Cour de Justice est une juridiction politique
dans tous les sens. Il s’agit d’une juridiction politique d’abord du fait de la qualité de ses
principaux justiciables, le Chef de l’Etat, les membres du gouvernement et dans certains cas,
les parlementaires qui sont tous des hommes politiques ; il s’agit ensuite d’une juridiction
politique du fait que les infractions qu’elle est appelée à connaître peuvent être aisément
qualifiées de politiques ; elle est enfin de nature politique du fait de sa procédure 163 et de sa
composition particulière qui intègrent des hommes politiques dont les parlementaires. Les
Chefs d’Etats africains ont en effet beaucoup joué sur la composition et la procédure pour
maintenir ces juridictions spécifiques sous leur domination.

En ce qui concerne la composition, les premières Constitutions ont opté en grande partie
pour une composition politique à dominance parlementaire164, alors que les nouvelles
Constitutions préfèrent généralement une composition mixte. Toutefois, cela n’enlève en rien
le caractère hautement politique de la composition de ces juridictions. On note en effet une
forte prédominance d’hommes politiques165 et la plupart des magistrats élus ou nommés n’ont
leur salut que grâce au Chef de l’Etat à qui ils jurent fidélité.

La procédure devant la Haute Cour de Justice a aussi fortement été politisée. Elle est prévue
sommairement par certaines Constitutions qui renvoient à une loi organique qui fixe en plus
l’organisation, la composition et les conditions de saisine 166. Paradoxalement, c’est sous le
parti unique que les législateurs africains ont élaboré le plus de lois organiques, sans doute

162
Voir l’article 127, alinéas 1 et 2 de la Constitution togolaise.
163
Pour la procédure, voir, Ahmed TIDJANI BA, « L’Exécutif dans les démocraties pluralistes africaines.
L’exemple des Etats francophones de l’Afrique de l’Ouest », Revue burkinabé de Droit, n° 35, 1er semestre
1999, pp. 25-26. 53 Voir l’article 62 alinéa 1 de la Constitution gabonaise de 1961. Au Togo, voir le Titre IX de la
Constitution du 5 mai 1963.
164
Voir l’article 62 alinéa 1 de la Constitution gabonaise de 1961. Au Togo, voir le Titre IX de la Constitution du
5 mai 1963.
165
Ainsi, selon l’article 79 nouveau issu de la révision constitutionnelle gabonaise de 2018, « La Haute Cour de
Justice est composée de vingt et un (21) membres dont six (6) désignés en son sein par l’Assemblée Nationale,
six (6) désignés en son sein par le Sénat et des neuf (9) membres de la Cour Constitutionnelle ». L’ancienne
Constitution tchadienne de 1996 révisée en 2004 ainsi que la loi organique de 2000 prévoient aussi une
composition mixte de la Haute Cour de Justice à dominance parlementaire : dix députés, deux membres du
Conseil constitutionnel et trois membres de la Cour suprême (article 173 de la Constitution). La Haute Cour de
Justice togolaise instituée par la Constitution de 1992 est aussi composée de la même façon : trois magistrats,
plus précisément le Président et les Présidents de chambres (judiciaire et administrative) de la Cour suprême et
quatre députés élus par l’Assemblée nationale (articles 123 et 126 de la Constitution togolaise).
166
Voir respectivement les articles 126 alinéa 3, 135 alinéa 3, et 80 nouveau des Constitutions togolaise,
béninoise et gabonaise.

49
parce que leur effectivité pratique était douteuse. Depuis le processus de démocratisation, les
lois organiques sont une denrée rare167. En général, la procédure comprend au moins deux
phases, une phase parlementaire ou la mise en accusation et une phase judiciaire ; et c’est
justement la phase de mise en accusation sans laquelle aucune poursuite n’est possible qui
reste très problématique. En effet, presque tous les textes régissant les Hautes Cours de Justice
confèrent au Parlement l’initiative de la mise en accusation du Chef de l’Etat et des membres
du gouvernement168. Elle se fait sous forme d’une proposition de résolution qui est examinée
selon la procédure établie. Cette résolution doit généralement être adoptée à une très large
majorité169, le plus souvent difficile à dégager compte tenu du fait que les Parlements sont soit
« monocolores », soit dominés par la majorité présidentielle. Dans une telle situation, le
déclenchement de la procédure contre le Chef de l’Etat et son gouvernement reste largement
hypothétique. La phase de mise en accusation a fortement été rationalisée de telle sorte que
dans la pratique, il devient quasiment impossible de mettre en cause la responsabilité du Chef
de l’Etat et de ses ministres.

167
Télesphore ONDO, La responsabilité introuvable du Chef d’Etat africain …, op. cit., p. 242.
168
Lallé Elisabeth KANGAMBEGA, Les procédures pénales dérogatoires au droit commun. Etude comparée de
droit français et de quelques droits d’Afrique noire francophone (Burkina, Côte d’Ivoire, Niger, Togo), Thèse,
Droit privé et Sciences criminelles, Université de Poitiers, 1997, pp. 568-570.
169
Ainsi, selon l’article 129 alinéa 2 de la Constitution togolaise, « La décision de poursuivre ainsi que la mise en
accusation du Président de la République et des membres du Gouvernement sont votées à la majorité des
quatre cinquième (4/5) des membres de chacune des deux Assemblées composant le Parlement, selon la
procédure prévue par une loi organique ». Au Bénin, au terme de l’article 137 alinéa 2, la décision de poursuites
puis la mise en accusation du Président de la République et des membres du Gouvernement sont votées à la
majorité des deux tiers des députés composant l'Assemblée nationale. En RDC, l’article 166 alinéas 1 et 2
dispose que « La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du
Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement ... La décision de poursuite
ainsi que la mise en accusation des membres du Gouvernement sont votées à la majorité absolue des membres
composant l’Assemblée nationale … ».

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Première

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