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Études balkaniques

Cahiers Pierre Belon 

10 | 2003
Le droit romano-byzantin dans le Sud-Est européen
Evangélos Karabelias (dir.)

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/etudesbalkaniques/60
ISSN : 2102-5525

Éditeur
Association Pierre Belon

Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2003
ISBN : 2-910860-10-8
ISSN : 1260-2116
 

Référence électronique
Evangélos Karabelias (dir.), Études balkaniques, 10 | 2003, « Le droit romano-byzantin dans le Sud-Est
européen » [En ligne], mis en ligne le 23 avril 2008, consulté le 22 mars 2020. URL : http://
journals.openedition.org/etudesbalkaniques/60

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SOMMAIRE

Introduction. Acculturations juridiques romano-byzantines


Evangélos Karabelias

La réception du Syntagma de Matthieu Blastarès en Serbie


Jivko Panev

La torture judiciaire dans le droit romano-byzantin


Evangélos Karabelias

L’institution de l’arbitrage dans le droit de l’ère post-byzantine — Le cas de l’île de Paxi


Efi Basdra

Constitutum debiti alieni au XVIIe siècle. Une sentence du patriarche Kallinikos II


Elefthéria Papagianni

Les mariages mixtes dans la tradition juridique de l’Église grecque : de l’intransigeance


canonique aux pratiques modernes
Constantinos G. Pitsakis

L’attitude de la science et de la pratique juridique envers le droit byzantin dans la Grèce du


XIXe siècle
Spyros N. Troïanos

Annexe

Controverses politiques et tolérance canonique : la relecture au sein de l’Église orthodoxe


grecque du XXe siècle de la notion patristique d’οἰκονομία et les relations avec les anglicans
Tassos Anastasiadis

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Introduction. Acculturations
juridiques romano-byzantines
Introduction. Roman-Byzantine Legal Acculturations

Evangélos Karabelias

1 1. Au seuil des réflexions qui vont suivre sur la diffusion ou la réception du droit
romain à Byzance et ailleurs, il convient de faire part aux lecteurs indulgents du
constat qu’une Histoire du droit romano-byzantin ne saurait être écrite actuellement.
D’ailleurs, la grande période des manuels dans l’ambiance du pandectisme du XIXe siècle
et de « l’École historique du droit » est définitivement révolue. Après les publications
des romanistes et des byzantinistes des XIXe et XXe siècles, une telle tâche apparaît
aujourd’hui presque inabordable, tant le poids de la production scientifique moderne
est écrasant pour un espace temporel millénaire. Les sources législatives sont
abondantes mais la plupart sont des dérivés et parfois des variations sur les matières
traitées avec un luxe de détails par le Corpus Iuris Civilis. Les diverses législations
byzantines constituent ainsi un ensemble cohérent avec une logique juridique
implacable. Ce que nous pouvons appeler ‘droit des professeurs du droit’, à savoir la
théorie du droit byzantin, nous est parfaitement connu.
2 Cette construction théorique grandiose a écrasé par la suprématie de la loi écrite les
différentes expressions de la conscience juridique exprimées surtout par la coutume,
théoriquement admise et opératoire dans la pratique juridique, mais non conservée
dans ses solutions et notamment dans ses possibles différences face au droit écrit. Les
quelques documents épars de la pratique judiciaire byzantine que nous possédons
actuellement, à savoir la Peîra d’Eustathios Romaios pour le XIe siècle, les décisions du
tribunal épiscopal de Démétrius Chomatianos pour les XIIe et XIIIe siècles, les Regestes du
Patriarcat de Constantinople (1315-1402), ainsi que les documents (actes) du Mont-
Athos et des autres institutions monastiques à partir du XIIe siècle, confirment
pertinemment la domination de la tradition juridique écrite. Notre connaissance du
droit appliqué et applicable, bref du droit vivant, est tellement démunie de documents
de la pratique juridique que nous sommes obligés d’avoir recours aux constructions
juridiques des professionnels du droit. Pour être plus clair, nous ne connaissons que le

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droit des professeurs, qui ont élaboré le droit justinien et ses ramifications, dont les
principes ont influé sur la conscience juridique et la formation des professionnels du
droit, praticiens et théoriciens des droits européens. Par le biais de codifications
byzantines, le droit romain devient une sorte de droit naturel pour les théoriciens du
droit des glossateurs à nos jours et devient la structure superposée des divers ordres
juridiques européens. Une construction de l’esprit devient la base des ordres juridiques
des États européens, tributaires des concepts de l’unité théorique de l’apprentissage du
droit et de son élaboration législative par les juristes continentaux, depuis la
« découverte » du droit romain par les glossateurs.
3 2. Les historiens du droit des pays européens et des nouveaux pays issus de la
dislocation des empires coloniaux durant le siècle passé ont eu recours au terme
« réception » pour expliquer les influences juridiques, soit l’introduction en bloc d’un
code ou d’une loi d’un pays dans le droit d’un autre pays soit de la règlementation
d’une institution selon le modèle déjà établi dans le droit d’un pays et introduit dans un
autre pays. Mais, si l’on réfléchit aux influences d’un droit exercées sur le droit d’un
autre pays, il convient d’adopter un autre terme plus adéquat pour faire comprendre
les modalités des influences institutionnelles d’un ordre juridique transplantées dans
l’espace d’un autre ordre juridique, différent du premier. Le vocable d’acculturation
juridique rend mieux compte de cette introduction dans un ordre juridique d’un
ensemble institutionnel, d’une loi ou d’une institution, dans un autre ordre juridique.
Ainsi un code, une loi, une institution d’un certain ordre étatique, peuvent être calqués
sur les expériences juridiques d’autres pays. L’histoire institutionnelle confirme cette
réalité, extrêmement variée, avec une multitude d’exemples concrets, surtout en ce qui
concerne les pays nouvellement créés après l’éclatement des empires coloniaux
modernes. L’acculturation juridique en est une illustration plus qu’extraordinaire.
4 Nous pouvons, à la lumière de l’analyse sociologique, distinguer trois formes
d’acculturation juridique en fonction de l’état des sociétés concernées : les sociétés qui
passent d’une organisation primitive où l’autorité est concentrée entre les mains du
détenteur du pouvoir, un passage voisin de celui qui va du mythe à la loi (a) ; les
sociétés qui accèdent au stade étatique selon le modèle d’État qui reflète, selon les
croyances de ses sujets, la raison ou la nature, le droit tirant sa valeur de sa conformité
à l’ordre naturel (b) ; les sociétés qui s’interrogent sur les fins de l’État et de
l’organisation sociale, en cas d’accession des sociétés primitives à l’indépendance dans
le cadre d’un État (c). Ces trois formes d’acculturation juridique s’accordent avec le cas
des sociétés primitives englobées dans les grands empires religieux (a), avec le cas des
empires coloniaux (b) et avec les sociétés primitives qui deviennent indépendantes (c).
Ces modèles d’acculturation juridique adaptés aux temps modernes pouvaient être
valables au XIIIe siècle pour l’adoption du droit romano-byzantin par les pays roumains,
dont les codes sont calqués avec une fidélité étonnante sur le droit romano-byzantin,
dont les textes législatifs fondamentaux ont été édités depuis le XVIe siècle et étudiés de
façon approfondie par les juristes depuis la prolifération des livres imprimés. La
matière d’acculturation juridique dans le cadre de l’Empire byzantin et à son
rayonnement culturel, cultuel ainsi que juridique, revêt des dimensions
insoupçonnables à première vue et nous pouvons entrevoir les multiples facettes de
l’acculturation juridique sur plusieurs plans de l’organisation de l’État byzantin et de sa
législation.

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5 3. L’État byzantin, à la suite de l’Empire romain, se fonde sur le droit public romain
dont les principes régissent les manifestations institutionnelles à Byzance avec une
scrupuleuse application du droit impérial romain, qui devient, sous les Byzantins, plus
élaboré et plus cohérent dans ses diverses manifestations ayant trait à la structuration
du pouvoir étatique. Nous parlons ici de l’efficacité du pouvoir et de sa rationalité
interne. Au vieux fonds hellénistique se joint l’apport de la théorie du droit public
romain afin de réglementer le fonctionnement du pouvoir impérial, avec ses
expressions sur le plan de l’organisation judiciaire et de l’administration civile, ainsi
que militaire, de l’Empire de l’Orient chrétien. Le siècle de Justinien Ier constitue le
pilier de toute la tradition juridique byzantine, du droit public et du droit privé. Jamais
aboli, tout au long de l’Empire byzantin, il devient la référence constante de toute
opération juridique byzantine, sur le plan pratique et sur le plan théorique. Même la
casuistique du droit romain établie par les professeurs de droit et les praticiens, à
savoir les solutions proposées par les jurisconsultes romains et consignées avec
méticulosité dans le Digeste, est étudiée et expliquée (et parfois à contre-sens) par les
juristes byzantins, en tant qu’une somme des cas, qui pourtant n’est plus valable dans
la pratique quotidienne. Le droit romain, sorte de droit naturel vénérable, n’est jamais
renié par les juristes byzantins. Il est toujours respecté et constitue le point de
référence de toute manifestation législative, dont la difficulté majeure pour son étude
est sa forme grecque et parfois dans un grec corrompu par rapport au grec ancien.
6 4. Le droit romain du Corpus Iuris Civilis (CIC), à savoir le droit du Digeste justinien, avec
ses compléments nécessaires, le Code et les Novelles, auxquels il convient de joindre le
manuel des Institutes, constitue la Somme à laquelle doivent se conformer toutes les
manifestations juridiques officielles législatives et les recueils de la pratique juridique.
Le juriste moderne ne voit qu’une illustration du concept d’acculturation juridique
dans les textes législatifs qui ne s’opposent en aucun cas au droit romain du CIC. Tout
au contraire, l’effort du législateur post-justinien tend vers une approche plus
pragmatique en soulignant les points cardinaux des solutions données, par exemple
dans l’Ecloga des Isauriens (a. 727 ou 741), qui met l’accent sur les normes proposées par
ailleurs par le CIC, exceptées quelques réglementations relatives aux pénalités pour les
crimes et délits. L’Ecloga, avec l’exaltation de la théocratie juridique et avec les renvois
exclusifs à l’Ancien Testament, ne réfute pas le droit du CIC, mais elle complète celui-ci
par une célébration exaltante de la justice sur la voie de la Bible. D’ailleurs la facture de
l’Ecloga, comme un code bref, clair et défiant les controverses des théoriciens du droit, a
contribué à sa grande diffusion auprès des peuples slaves et ceux du Proche Orient
chrétien. Cette double acception de l’acculturation, dont la codification des Isauriens
fut l’objet, doit nous faire réfléchir. Une première acculturation juridique par rapport
au CIC. Une seconde, plus importante, est celle qui témoigne de la fortune inouïe d’une
législation considérée comme « les sottises des Isauriens » (Eisagôgè tou nomou), mais
dont la diffusion n’a jamais cessé et dont la partie pénale reste toujours en vigueur. Il
convient d’évoquer ici que l’Appendix de l’Ecloga, ainsi que l’Appendix élargie de l’Ecloga (à
savoir les Lois agraires, la Lex Rhodia de jactu, la Loi militaire, la Loi de Moïse avec 70
prescriptions tirées du Pentateuque) et l’Eklogadion (entre 802 et 811) se situent dans la
même mouvance de retour constant au droit du CIC avec des compléments bibliques
(Loi de Moïse). Les Lois agraires, qui ont donné lieu à une abondante bibliographie
moderne, dont l’opinion dominante réfute la facture romaine, ne semble pas s’éloigner
de la constante qui caractérise tous les recueils juridiques privés byzantins dans la voie
juridique romaine. La fameuse communauté villageoise, qui n’a qu’une existence dans

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les constructions des auteurs modernes, constitue en fait la propriété commune des
villageois sur des terrains affectés au pâturage des animaux domestiques. La substance
des rapports juridiques dont font état les Lois agraires ne s’éloignent pas des principes
du droit romain. De même, la partie pénale de ces Lois se meut dans l’ambiance du droit
romain, en citant un nombre de cas de délits relatifs à la vie agraire. Or l’acculturation
juridique de tous ces recueils juridiques par rapport au droit romain est un fait dont
l’existence est incontestable.
7 5. La législation et les recueils juridiques privés de l’époque de la dynastie
macédonienne font preuve d’une renaissance des études juridiques. Le Procheiros nomos
(entre 870 et 879 ou plutôt après 907) est un texte bien ordonné et ses sources romaines
sont bien repérables. L’Eisagôgè ( Epanagogè), entre 885 et 886, projet de texte
probablement législatif divisé en 40 titres, avec une rédaction très soignée, qui essaie
d’établir l’équivalence entre les pouvoirs impérial et patriarcal (titres 2 et 3), est un
exposé du droit romain avec un plan raisonné et une exposition détaillée et claire des
diverses dispositions, qui concernent le droit public. Les 113 Novelles de Léon VI le Sage
(886-912) éditées séparément sont une preuve évidente de l’étude approfondie du droit
romain et de la tendance à donner de nouvelles solutions, parfois différentes de celles
du droit romain du CIC. Une partie considérable de ces Novelles a trait au droit
ecclésiastique. Les Novelles des empereurs postérieurs de la dynastie macédonienne
s’occupent de la propriété des terres, du droit matrimonial, des mineurs, des témoins,
de la procédure civile. Entre 888 et le premier quart du Xe siècle ont été élaborés les
60 livres des Basiliques qui sont la version grecque du droit du CIC en traduction, ou en
résumé, avec de précieuses scholies. Une confirmation sans conteste du profond
enracinement dans la conscience juridique byzantine des principes du droit romain, en
tant que constante référence à une somme du droit naturel. La période de la dynastie
macédonienne est marquée par un grand nombre de recueils et de compilations
privées : Epitomè tou nomou (913 ?), le Code 121 de Zaborda, les dérivés de l’Ecloga
isaurienne, de l’Eisagôgè et du Procheiros nomos, les Epitomai des Novelles. D’une grande
valeur et d’une influence juridique certaine pour l’établissement du droit romain aux
derniers siècles de l’Empire sont les deux Synopseis, la Synopsis basilicorum major, et la
Synopsis basilicorum minor, sources de la plupart des recueils juridiques privés de la
dernière période de l’Empire byzantin. Deux lettrés du XIe siècle, Michel Psellos
(Synopsis nomôn) et Michel Attaliate (Ponèma nomikon) se situent dans la plus droite voie
de la tradition juridique romaine. Les lexiques et les petites monographies juridiques
vont dans la même voie. Il convient de faire une mention toute particulière de la
collection des décisions (Peîra) d’Eustathios Romaios, haut juge constantinopolitain du
XIe siècle, qui fait preuve d’une connaissance poussée du droit romano-byzantin avec
un usage remarquable de la logique juridique, qui détourne parfois la lettre de la norme
afin de donner une solution juste et conforme à la situation concrète.
8 6. Vers 911/2 est sorti un recueil plutôt législatif, Le Livre du préfet, qui comporte une
organisation minutieuse des métiers et du marché sous l’œil vigilant du préfet
constantinopolitain, dont les interventions se trouvent dans la pure tradition de la
règlementation par la puissance publique romaine de la production artisanale et de
l’exercice des professions commerciales. Les pénalités imposées et la facture des
dispositions (clarté et efficacité) se situent dans la tradition juridique romaine.
9 7. La littérature moderne sur l’analyse des institutions byzantines dans l’ambiance de
ce qu’il est convenu d’appeler pluralisme des sources juridiques ne s’occupe pas des

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influences possibles du droit romain sur le droit ecclésiastique. La recherche moderne a


surtout visé à formuler les principes d’un droit romain chrétien¸ fantomatique et
illusoire. Elle a laissé sans réponse, sauf quelques exceptions, la question de possibles
influences des institutions romaines sur le droit ecclésiastique et sur
l’institutionnalisation du christianisme. L’analyse approfondie de l’œuvre canonique
des Pères grecs, à partir de Grégoire de Néocésarée qui fut l’élève du grand Origène, est
concluante. D’une manière générale, l’analyse des moyens et des modalités par lesquels
le droit ecclésiastique et les écrits des Pères grecs auraient influé sur le droit impérial
romain ne nous permet pas de conclure que celui-ci fut modelé ou pénétré par les
principes et les préceptes du christianisme, même institutionnalisé au IVe siècle Sauf
quelques lois qui ont confirmé durant le IVe siècle la protection du christianisme
triomphant, les influences des textes patristiques sur les institutions privées et
publiques romaines sont incertaines et aléatoires. Le droit romain du IVe siècle reste
imperméable à toute influence possible des canons du véritable législateur canonique
de l’Orient grec, Basile de Césarée. La même constatation est valable pour les époques
postérieures au IVe siècle, étant donnée l’absence de toute influence décisive exercée de
la part de la patristique grecque sur les institutions du droit romano-byzantin. Il
convient dans l’état actuel des recherches sur les histoires parallèles du droit
ecclésiastique et du droit impérial byzantin d’opter pour une démarche inverse en
essayant de s’interroger sur les influences, qui s’avèrent multiples et déterminantes, du
droit romain sur le droit ecclésiastique. Une telle attitude ne découle point d’un élan de
provocation sans fondement. Elle tient suffisamment compte des résultats de l’analyse
des éléments juridiques romains dans l’œuvre normative des Pères grecs ainsi que dans
l’appréhension de la faute et de sa répression. Ainsi dans l’Orient chrétien grec, le droit
romain ne devient pas un droit chrétien. Nous pouvons avancer que ce fut plutôt le
droit ecclésiastique qui témoigne de l’influence, profonde et décisive, de la technique
juridique romaine à propos de la perception de la règle contraignante et sur le
traitement casuistique des matières pénitentielles ecclésiastiques. Les institutions
ecclésiastiques ultérieures sont la preuve indéniable de la romanisation institutionnelle
du christianisme.
10 8. L’étude systématique du droit ecclésiastique se fonde sur les travaux préliminaires de
choix et de répartition par matière de canons ecclésiastiques, effectués durant le IVe
siècle Plus tard, le noyau de la collection ecclésiastique utilisée pendant les travaux du
IVe concile œcuménique de Chalcédoine (451) commencé au IVe siècle se forme par la
réunion successive de textes normatifs. Toutefois, le grand inconvénient du Corpus
canonum grec consiste dans le fait qu’il ne contient pas que les canons émanant de
divers conciles, locaux et œcuméniques, convoqués jusqu’au milieu du Ve siècle Les
autres canons, comme les canons des Pères de l’Église et ceux des collections anonymes
n’ont pas été réunis avec les textes conciliaires. D’où le besoin pratique de pouvoir
avoir recours à ces textes, indispensables aux communautés chrétiennes. Ces préceptes
épars ne sont pas seulement nécessaires à la discipline ecclésiastique mais, à plus forte
raison, ils sont nécessaires à l’administration ecclésiastique et au dogme par le biais de
la coutume ecclésiastique, de ladite tradition apostolique et de l’autorité des Pères de
l’Eglise. Le VIe siècle constitue l’époque de formation du droit ecclésiastique orthodoxe,
pour la raison que les sources canoniques se concrétisent et se systématisent de
manière définitive pour l’Église byzantine. Dans l’ambiance qui privilégie l’étude, la
collecte et l’analyse du droit impérial avec la codification de Justinien Ier et le grand

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mouvement d’enseignement juridique, les institutions de l’Église sont mieux précisées


et formulées grâce à la rédaction des collections de canons et au choix méthodique des
dispositions du droit impérial concernant l’organisation et la discipline de l’Église. Le
développement des études juridiques au VIe siècle coïncide avec la constitution de
collections canoniques systématiques. La première en date est la Collectio LX titulorum
non parvenue jusqu’à nous, sauf une mention faite par Jean le Scholastique dans le
prologue de la collection canonique successive, la Collectio L titulorum. La Collectio LX
titulorum fut rédigée entre 534 et 540 et contient les Canons des apôtres, le Corpus
canonum grec, les canons d’Éphèse et la version grecque des canons du concile de
Sardes, sans aucune mention des canons des Pères de l’Église. Elle comportait
probablement en appendice aussi un choix de textes juridiques profanes : les
constitutions du Code (1.1-4) et quatre Novelles justiniennes. Jean le Scholastique, juriste
antiochien et futur patriarche constantinopolitain (565-577), déclare dans son prologue
de la Collectio L titulorum que la Collectio LX titulorum, perdue pour nous, était
incomplète. Il complète lui-même sa collection avec les canons de Basile de Césarée.
Rédigée vers 550 à Antioche, la Collectio L titulorum cite les canons regroupés par
matière. Puis, ce même juriste-patriarche a probablement rédigé une autre collection
(Collectio LXXXVII capitulorum) avec des renvois aux Novelles, notamment la N. 123 de
Justinien Ier, un véritable Code ecclésiastique.
11 9. Une collection canonique, perdue dans son texte original, de loin plus importante,
compilée vers 580 avec ses rédactions successives, demeure le noyau du droit
ecclésiastique orthodoxe jusqu’à nos jours. Élaboré par un auteur anonyme, qui
pourrait être le patriarche de Constantinople Eutychius (552-565 et 577-582), ce
Syntagma canonum en 14 titres, ne contient pas les canons in texto, mais seulement leurs
renvois précis aux sources canoniques. La nouvelle répartition en 14 titres est de loin
plus pratique que les collections précédentes. Elle est aussi plus complète puisqu’elle
comporte le texte du concile de 394 de Constantinople et une série de 137 canons que
contient la très riche collection connue comme Materies africana.
12 Le Syntagma canonum fut complété plus tard par des Appendices comportant des
renvois au droit impérial. Il fut accompagné par la fameuse Collectio tripartita composée
entre 577 et 619 et récemment éditée. La Collection tripartite contient en résumé dans sa
première partie les constitutions du Code justinien (I.1-13). La deuxième partie contient
des textes tirés du Digeste et des Institutes, pris dans les résumés faits par un anonyme
sur les choses sacrae, religiosae et sanctae. La troisième partie se base sur l’Epitome des
Novelles d’Athanase d’Émèse. Le rédacteur de la Collectio tripartita fait montre d’un esprit
critique envers les canons et de capacités de synthèse. La réunion des canons
ecclésiastiques et des lois impériales en recueil unique constitue la grande innovation
avec des conséquences d’une importance extraordinaire pour le sort du droit romain et
des recueils juridiques ayant trait aux institutions ecclésiastiques. Cette acculturation
du droit ecclésiastique qui puise dans les fonds du droit romain est un fait qui doit être
particulièrement souligné. Les deux composants du Syntagma, une collection canonique
et une collection des lois ecclésiastiques profanes, seront réunis dans une exposition
continue, pour la première fois par un rédacteur encore inconnu (Anonyme/
Énantiophanès) du Nomocanon en XIV titres, monument juridique qui constitue la base de
tout le droit ecclésiastique orthodoxe. Cette compilation (Nomocanon), à cause
précisément de sa tradition manuscrite complexe et de ses élaborations successives au
cours de sa longue histoire, a soulevé une quantité de questions et provoqué des
discussions passionnées. Elle pose aux historiens du droit une multitude de problèmes,

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dont la solution pourrait être probablement trouvée uniquement quand nous aurons
une édition critique de son texte, basée sur l’ensemble de la tradition manuscrite. Mais
il est incontestable que la méthode de compilation se situe dans l’ambiance de l’époque
de Justinien Ier. Nous ne pouvons pas faire ici un exposé détaillé des questions
soulevées par la date de rédaction, qui pourrait être située entre deux fourchettes,
l’une de 612 à 629, la seconde de 629 à 641. Le texte du Nomocanon vers 888 fut complété
par les 102 canons du Quinisexte et les canons des conciles suivants : le VII e concile
œcuménique, le concile nommé Prôtodeutéra, le concile de Sainte Sophie ainsi qu’une
lettre du patriarche de Constantinople Taraise (784-806), sur les ordinations entachées
de simonie. L’attribution de cette élaboration à Photius n’est pas sûre, mais au XIe siècle,
Théodore Bestès procède à une troisième édition complétée du Nomocanon. L’œuvre
capitale de diverses élaborations du Nomocanon ne constitue pas un obstacle à l’activité
des compilateurs de collections nomocanoniques. Nous citons un exemple de collection
nomocanonique, conservée dans sa forme manuscrite : les Pandektai ou Hermènéiai tôn
théiôn kanonôn rédigé vers 1060 par un moine de Syrie nommé Nikon, qui renvoie aux
canons ecclésiastiques et aux dispositions du droit impérial.
13 10. Le cas du moine Nikon n’est pas unique, car la tradition canonique byzantine est
extrêmement riche et variée, surtout après le Xe siècle Cette activité ne va pas à
l’encontre du constat fait, car il existe un large éventail de travaux de compilation : le
Magistros Syméon (Métaphrastès) au Xe siècle ; Jean Comnène évêque d’Ochrid au
milieu du XIIe siècle ; le moine Arsénios ( XIIIe s.) et surtout le grand juriste Constantin
Harménopoulos (milieu du XIVe s.) ont rédigé des collections nomocanoniques qui
attendent une édition moderne. Après le XIe siècle, les ecclésiastiques byzantins
deviennent les détenteurs de la connaissance du droit. Certains ont acquis une
réputation en tant que connaisseurs du droit romain. Exemples significatifs, les grands
nomocanonistes du XIIe siècle : Théodore Balsamon, Démétrios Chomatianos, Jean
Apokaukos.
14 Les réponses (responsa, apokriseis) canoniques, données par les hauts dignitaires
ecclésiastiques et par les canonistes confirmés aux questions soulevées par
l’interprétation des dispositions du droit ecclésiastique, entrent dans les sources du
droit ecclésiastique orthodoxe, surtout après le IXe siècle, comme pour les réponses du
grand Photius, du patriarche d’Antioche, de deux chartophylakes : Pierre et Nicéphore,
de l’évêque d’Héraclée, Nicétas, de l’évêque de Crète Elie, des patriarches Luc
Chrysovergès et Cosmas Atticos, de Jean Panteknos, de Théodore Balsamon. Des
monographies sont consacrées à la charge de l’évêque, à la parenté, aux empêchements
de mariage.
15 Le XIIe siècle constitue le grand siècle de la jurisprudence ecclésiastique byzantine :
fonctionnaires civils et ecclésiastiques, évêques et patriarches ayant une connaissance
approfondie des droits ecclésiastique et profane, ont contribué à l’explosion de la
science nomocanonique byzantine. L’on citera à ce propos les trois grandes figures de
Jean Zonaras, d’Alexis Aristénos et de Théodore Balsamon, qui ont fait des
commentaires au Nomocanon en XIV titres, qui sont la preuve d’une analyse fine et
détaillée des dispositions du droit romain et des canons ecclésiastiques. Il convient de
retenir en particulier les commentaires scrupuleux de Théodore Balsamon qui avait
pleine conscience de la dimension historique de son travail. Le grand juriste nous
démontre, à nous modernes, la connaissance approfondie de la théorie juridique sur les
sources du droit romano-byzantin, une maîtrise extraordinaire des textes normatifs et

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des principes qui régissaient le concept même du droit. D’un autre point de vue, le
grand canoniste et son prédécesseur Jean Zonaras ont marqué une tournure décisive de
la science juridique byzantine, dont désormais les jurisconsultes seront des
ecclésiastiques. La sauvegarde de la tradition juridique byzantine, les commentaires
aux textes juridiques, l’application des dispositions du droit privé seront durant les
derniers siècles de l’Empire l’apanage des autorités ecclésiastiques.
16 11. La méthode suivie par Balsamon dans l’interprétation des canons ecclésiastiques et
des textes législatifs concernant le droit ecclésiastique est basée sur l’explication de la
disposition examinée. Il procède d’habitude à une paraphrase du texte normatif, pour
se livrer ensuite à une interprétation des locutions et des notions difficiles à
comprendre par son lecteur. Il rappelle aussi les raisons qui ont amené le législateur,
ecclésiastique ou civil, à édicter la disposition en examen, en donnant quelques
éléments d’information qui se réfèrent au cadre historique. Il procède alors à des
rapprochements et à des comparaisons entre dispositions qui ont des domaines
d’application voisins, parallèles ou semblables. Il signale les différences entre les
dispositions plus anciennes et la réglementation la plus récente. Il utilise notamment le
commentaire de Jean Zonaras, dont il reprend tantôt l’argumentation et tantôt le texte
littéral, sans aucune citation de sa source. Comme ses prédécesseurs, Aristénos et
Zonaras, Théodore Balsamon a distingué nettement la lettre du canon examiné de son
commentaire. Parfois, il exprime son opposition à Zonaras, sans le mentionner
explicitement. Balsamon, outre son commentaire au Nomocanon, a également rédigé
une série d’environ soixante réponses canoniques répondant aux questions soulevées
par le patriarche d’Alexandrie Marc qui séjourne à Constantinople à partir de 1195. Ces
réponses constituent une vraie mine d’informations sur la vie cultuelle orthodoxe de
son époque. Elles offrent des éléments de réflexion sur le respect de la coutume, la
question de l’ignorantia iuris (réponse n° 4), les pratiques matrimoniales, la condition et
le statut des clercs, le code des rapports charnels entre conjoints, la communion, le
concept de la pollution mentale et corporelle, l’exercice des métiers permis aux clercs,
les hérésies et les rapports avec les hérétiques, les modalités de la vie monastique, les
prohibitions culinaires et les jeûnes, etc.
17 Nous devons à la plume de Balsamon la rédaction de sept opuscules sur divers
problèmes de droit ecclésiastique : sur le statut des clercs et des moines ; sur
l’interdiction faite aux chrétiens de lire des livres d’astrologie ; sur la messe durant les
fêtes religieuses et l’appel à la liturgie, lancé par les cloches ; sur les offices du
chartophylax et celui du prôtekdikos (petit traité important pour l’histoire du terme
defensor : ekdikos) ; sur les privilèges dont jouissent les patriarches ; sur la conclusion du
mariage entre parents au sixième degré ; sur les jeûnes obligatoires suivis pendant
l’année. Il convient de rappeler ici que Balsamon, quand il était chartophylax patriarcal a
rédigé quelques décisions du Synode permanent du patriarcat constantinopolitain.
18 Les commentaires juridiques de Balsamon ont exercé une grande influence sur les
juristes des derniers siècles de l’Empire. Il nous suffira de mentionner le Prochiron
auctum (Auxèmenon procheiron) qui, rédigé vers 1300, a largement puisé dans les écrits
de Balsamon, en le copiant abondamment pour ce qui regarde les dispositions du droit
profane sur les institutions ecclésiastiques. Vers 1335 à Thessalonique, un autre grand
nomocanoniste, Matthieu Blastarès a rédigé le Syntagma kata stoichéion, basé sur les
commentaires de Balsamon. Et plus tard, au XVIe siècle, Manuel Malaxos utilise
largement le commentaire de Balsamon pour la rédaction de sa collection

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nomocanonique, qui a connu une immense notoriété et autorité dans l’Orient


orthodoxe après la chute de Constantinople. Nous pouvons enfin évoquer l’œuvre d’un
grand juriste de Thessalonique, Constantin Harménopoulos, l’Epitome canonum, qui a
eu largement recours aux écrits de Balsamon.
19 12. Le survol que nous avons effectué des sources canoniques réunies en Nomocanons
et comportant des scholies nous conduit à l’aube du XIIIe siècle à constater l’unité
indissoluble entre le droit romain impérial et le droit ecclésiastique. Il est indéniable
que désormais le sort et le maintien du droit romain à Byzance, réduit à un territoire
exigu et érodé continuellement de tous les côtés jusqu’à la chute finale de la capitale,
fantôme des splendeurs d’antan, sous les assauts d’une nouvelle barbarie, sont confiés
aux mains des ecclésiastiques byzantins. Ceux-ci acquièrent une formation juridique
poussée afin de pouvoir rendre la justice dans le cadre des juridictions ecclésiastiques
qui ont remplacé et suppléé les carences des juridictions séculaires défaillantes. Durant
les trois derniers siècles de Byzance, les ecclésiastiques occupent une place privilégiée
dans la pratique judiciaire et jouent un rôle de première importance dans le maintien
de la grande tradition juridique romano-byzantine. Cette caractéristique s’accentue en
fonction de la détérioration progressive et inéluctable de l’État dont le pouvoir
judiciaire subit un déclin irréversible.
20 Une affirmation s’impose, sans trop déformer la réalité historique, et a trait au fait que
la pratique judiciaire échappe aux juridictions étatiques pour passer, après le XIIe siècle
sous la juridiction des tribunaux ecclésiastiques, dont la compétence ne connaît pas de
limites en matière de droit dit civil mais aussi en matière de répression pénale.
Dépendent incontestablement de la compétence des tribunaux ecclésiastiques les
affaires relatives au droit familial (fiançailles et conclusion de l’union matrimoniale,
divorce, dot et questions patrimoniales entre époux) ainsi les affaires et les conflits
successoraux. Les juridictions ecclésiastiques ont compétence pour résoudre les
controverses qui concernent les personnes non munies de capacité juridique et pour
protéger les femmes et les mineurs. Nous pouvons toutefois maintenant, à la suite des
récents travaux en matière de droit des biens et du droit des obligations, étendre la
compétence des juridictions ecclésiastiques aux affaires qui appartiennent au vaste
ensemble du droit des obligations et au droit des biens : propriété, possession,
protimèsis. Le tribunal épiscopal peut aussi infliger des peines corporelles, par
prédilection la bastonade, aux personnes qui ont commis des infractions réprimées par
le droit pénal. Les sources disponibles nous renseignent abondamment sur la pratique
judiciaire des instances juridictionnelles ecclésiastiques. Nous mentionnons à cet égard
de nombreux actes des monastères du Mont-Athos, les décisions et les responsa de
Démétrios Chomatianos à Ochrid et de Jean Apokaukos dans le Despotat d’Épire
pendant la première moitié du XIIIe siècle, ainsi que les décisions conservées dans les
Regestes du patriarcat constantinopolitain pour la période qui va de 1315 à 1402. Le sort
du droit romain est confié à l’Église.
21 13. La production législative de la dernière période de Byzance, de 1204 à 1453, est
extrêmement réduite eu égard au passé. Le législateur impérial après la restauration en
1261 du pouvoir impérial à Constantinople, n’édicte que quelques lois spéciales et évite
soigneusement de toucher aux matières du droit civil. Pourtant une réglementation
portant sur l’organisation judiciaire mérite d’être ici mentionnée. Elle se prolonge
durant plusieurs années et concerne la création en 1296 de la juridiction des juges
généraux (katholikoi kritai) par Andronic II Paléologue. Ce tribunal est initialement

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composé de douze membres avec la participation de personnalités ecclésiastiques et se


maintient, bien qu’affaibli, jusqu’à la fin de l’Empire en 1453. Il prend sa forme
définitive en vertu d’une législation promulguée entre 1329 et 1334 par Andronic III
Paléologue. Mais, malgré la mise en place des juges généraux¸ l’intervention des
tribunaux ecclésiastiques sur la résolution des conflits entre particuliers ne semble pas
avoir été arrêtée. Elle prend plutôt de l’ampleur.
22 Les sources disponibles ne permettent pas de répondre à la question des critères de
compétence entre les deux juridictions. D’après quels critères une affaire devrait-elle
être soumise aux tribunaux civils ou ecclésiastiques ? La réponse tient compte de la
situation réelle et nous pouvons avancer une hypothèse sur ce problème théorique qui
ne semble pas avoir préoccupé la pratique judiciaire. Notre hypothèse prend en
considération la situation objective (l’existence certaine d’une juridiction épiscopale,
face à l’existence aléatoire d’une juridiction d’État) et la volonté des parties, en
particulier la volonté de l’acteur de porter l’affaire devant l’une ou l’autre juridiction.
La nature juridique des décisions du tribunal ecclésiastique ne revêtait pas la forme
d’une décision arbitrale de résolution des conflits. Elle possédait la forme coercitive
d’un véritable pouvoir judiciaire. En même temps, l’évêque pouvait exercer la
contrainte spirituelle, plus efficace pour l’exécution de sa sentence judiciaire.
23 Rappelons enfin rapidement que l’activité des nomocanonistes byzantins est plus dense
par rapport au travail des juristes qui se sont limités au droit impérial. Nous constatons
en effet l’existence d’analyses monographiques approfondies sous la forme de réponses
ou de recueils nomocanoniques. Il est nécessaire de rappeler ici le Syntagma kata
stoichéion, vaste collection nomocanonique en forme de lexique élaborée vers 1335 à
Thessalonique par Matthieu Blastarès. Le juge de la même grande cité, Constantin
Harménopoulos a rédigé un Epitome des canons ecclésiastiques. Mais l’œuvre qui a
assuré la postérité d’Harménopoulos est l’Hexabiblos, recueil en six parties, fait en 1343,
comportant le droit impérial dans la pure tradition romanistique des juristes byzantins
et qui a bénéficié d’une grande diffusion auprès des peuples slaves et bulgare, dans sa
traduction en vieux slavon. Le même recueil a eu une influence et une diffusion
extraordinaires en Grèce pendant l’occupation ottomane.
24 Le droit romain dans sa version latine du Corpus Iuris Civilis de Justinien Ier commence à
être connu en Occident vers la fin du XIe siècle à Pavie, quand des juristes, essayant
d’interpréter le droit longobard, ont eu recours aux sources juridiques de l’époque de
Justinien Ier. Vers la même époque, les glossateurs de Bologne dispensaient
l’enseignement juridique sur tout le droit justinien en version latine et en excluant les
sources transmises en langue grecque. Simultanément dans l’Orient grec, les juristes se
penchaient sur le droit romain dans sa version grecque des Basiliques. La locution graeca
sunt non leguntur commence à être relativement inopérante à l’époque de la
Renaissance, avec l’apprentissage du grec. Déjà Denis Godefroy édite une partie
considérable des textes juridiques grecs dans son édition du Corpus Iuris Civilis.
Pourtant, il faut attendre l’apparition d’un grand romaniste et byzantiniste, Jacques
Cujas (1522-1590) qui a tant contribué à l’établissement de l’étude des textes juridiques
dans leur version grecque dont font état les Basiliques et les autres recueils byzantins,
pour que les sources en grec trouvent leur place dans les études du droit romain.

Études balkaniques, 10 | 2003


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AUTEUR
EVANGÉLOS KARABELIAS
Université Paris II

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La réception du Syntagma de
Matthieu Blastarès en Serbie
The reception of Matthew Blastares’ Syntagma in Serbia

Jivko Panev

1 Alors que la réception du droit romain en Europe occidentale a fait l’objet de


nombreuses recherches, l’histoire de sa réception en Europe orientale est tout à fait
ignorée. On suppose généralement que les États appartenant à la sphère culturelle
orthodoxe n’ont découvert le droit romain qu’au XIXe siècle et l’ont connu sous la
forme que les codifications occidentales lui avaient donnée à cette époque. En Occident,
la réception du droit romain paraît avoir été étudiée exhaustivement et on peut la
trouver dans chaque manuel. Mais lorsque l’on regarde de près tous ces instruments de
travail et d’étude, il est clair qu’ils ne traitent de la réception du droit romain qu’en
Europe occidentale (catholique et protestante). Il semble que rien de semblable n’ait été
entrepris pour les pays d’Europe orientale1.
2 Nous savons cependant que l’influence du droit romain ne s’est pas limitée à l’Europe
occidentale. En réalité, les pays d’Europe orientale ont reçu leur droit directement de
Byzance, en même temps que le christianisme. Alors que les glossateurs commentaient
à Bologne le droit romain et que les leges barbarorum étaient toujours en vigueur en
Occident, un Empire chrétien subsistait en Orient qui s’est toujours appelé Empire
romain – (Βασιλεία τών Ρωμαίων) et que les Occidentaux ont nommé Empire byzantin.
De 529, date à laquelle Justinien commença sa codification, jusqu’à la chute de
Constantinople en 1453, le droit romain fut de jure en vigueur dans tout l’Empire
byzantin. Ce système de droit romain fut exposé à un long processus de développement
et de transformation, souvent sous l’influence des conceptions juridiques
hellénistiques, bibliques et orientales. C’est ainsi que sera formé le système du droit
romano-byzantin.
3 Ce système eut également une grande influence sur tous les voisins de l’Empire
byzantin et surtout sur les peuples chrétiens orthodoxes après le Schisme. Tous les
peuples voisins avaient une grande considération pour Byzance, à cause de la grandeur
de sa civilisation, de sa religion et de son système de droit très élaboré. Ils pouvaient

Études balkaniques, 10 | 2003


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puiser dans ses richesses culturelles, son art, sa pensée, sa littérature, ainsi que dans
son système juridique. Le contact entre ces populations, slaves en premier lieu, se fit
dans les Balkans. Le grand Corpus Juris Civilis fut publié en 529-533 à Constantinople. Ce
code volumineux était cependant trop compliqué et trop important pour être utilisé
aisément au quotidien. Aussi voit-on apparaître, dès le VI e siècle, des extraits de ce code
pour l’usage privé.
4 En 726, l’empereur Léon III l’Isaurien (717-741) publie l’Eklogè, manuel qui offre aux
juges en 18 chapitres les principes du droit civil et pénal, ainsi que la procédure
judiciaire. À la même époque apparaissent trois petits recueils : Loi militaire – (Nomos
Stratiôtikos), Loi navale (Nomos Nautikos) et Loi agraire (Nomos Geôrgikos).
5 Après la chute des iconoclastes, l’empereur Basile Ier le Macédonien (867-886) proclame
la nécessité d’une révision des lois anciennes pour remplacer les « erreurs impies » de
l’Eklogè. Pour cela, il publie en 879 un nouveau code, le Procheiron. Ce code restera en
vigueur jusqu’à la chute de Byzance et exercera une grande influence sur les Slaves.
6 Le fils de Basile Ier, Léon VI le Sage (886-912) achèvera le travail de son père en
compilant un grand recueil qui remplacera le Code de Justinien. Ce sont les Basiliques,
écrites en grec, qui embrassent en 60 livres l’œuvre complète du droit canon,
auparavant connue sous le nom de Nomocanon de Photius.
7 C’est à cette époque que les peuples des Balkans, devenus chrétiens, commencèrent à
poser les bases de leur vie publique. Pour cela, ils se servirent du droit de la Βασιλεία
τών Ρωμαίων (de l’Empire byzantin).
8 C’est dans les États de l’Europe du Sud-Est (le premier et le deuxième Empire bulgare, la
Serbie, la Valachie et la Moldavie) qu’ont vu le jour les traductions des monuments du
droit civil et du droit canon byzantins : les Novelles et d’autres parties du Code de
Justinien, l’Eklogè, le Nomos Geôrgikos, le Procheiron, le Nomocanon (Synagôgè) en 50 titres
de Jean le Scolastique, le Nomocanon en 14 titres, le Syntagma de Matthieu Blastarès, l’
Hexabiblos d’Harménopulos etc2.
9 Ces traductions slaves témoignent de l’introduction du droit romain dans ces nouveaux
États, et de la volonté de l’utiliser dans de nouvelles conditions. Mais ce sont les Serbes
qui vont montrer le plus d’originalité dans ce travail3. La réception serbe sera créative,
et manifestera une volonté affichée de s’affirmer au sein de la civilisation byzantine et
de garder une indépendance aussi bien civile qu’ecclésiastique.
10 Vers le milieu du XIVe siècle parurent en Serbie deux rédactions slaves du « Syntagma »
de Matthieu Blastarès. Avant leur parution, existait le Nomocanon serbe. Ce Nomocanon,
désigné le plus souvent comme la « Krmčija », est un recueil de textes civils et
ecclésiastiques compilé et traduit par les soins de Sava I er, en l’an 12204, au moment où
l’Église serbe devient autocéphale. Outre les canons des conciles provinciaux,
œcuméniques, et ceux des Pères de l’Église avec les commentaires d’Aristènos et de
Zonaras, il intègre le Procheiron complet, les recueils juridiques de Jean le Scholastique
en 87 chapitres, certaines novelles impériales (celles de l’an 1084, 1095), les décisions
patriarcales des Xe-XIIe siècles 5. Ce Nomocanon6 fut le seul code ecclésiastique et civil
dans les pays balkaniques jusqu’à la parution de la traduction en serbe du Syntagma de
Blastarès.
11 Le Syntagma de Matthieu Blastarès présente l’intérêt exceptionnel d’avoir deux versions
en langue slave dont le contenu idéologique diffère sensiblement.

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12 Matthieu Blastarès vivait sous les Paléologues, époque marquée par le renouvellement
des pratiques juridiques. En 1329, Andronic II tente une réforme judiciaire 7. Les Novelles
deviennent plus nombreuses. Deux œuvres juridiques, qui auront un succès inattendu,
paraissent à Thessalonique. Il s’agit du Syntagma de Matthieu Blastarès, paru en 1335, et
dix ans plus tard de l’Hexabiblos de Harménopoulos.
13 Nous savons très peu de choses sur Matthieu Blastarès. Dans un manuscrit grec de
Moscou nous pouvons lire :
Οὗτoς, ὁτoῦ παρόντος λόγου συνγραφεύς, ἐν Θεσσαλονίκῃ ἦν μοναχὸς καὶ
πρεσβύτερος, ἀνὴρ εὐλαβὴς καὶ τὰ Θεῖα σοφός, μαθητὴς χρηματίσας τοῦ ἐν
μοναχoῖς θαυμαστοῦ ἐκείνου κὺρ Ἰσαὰκ καὶ ἐν τῇ μονῇ τoύτoυ τὸ τῆς ζωῆς τέλος
δεξάμενος.
L’écrivain de cet ouvrage fut moine et prêtre à Thessalonique. C’était un homme
pieux, versé dans les matières divines qui fut le disciple du merveilleux moine Isaac
et finit sa vie dans le monastère de celui-ci8.
14 Il s’agit d’Isaac higoumène du monastère dit de la Péribleptos de Thessalonique, et non
d’Isaac qui fut à la même époque prôtos, chef spirituel du Mont-Athos et partisan de
Grégoire Palamas9.
15 Dans le manuscrit n° 1164 d’Andrinople nous lisons :
Ὁ Βλάσταρις Ματθαῖος, ἱερομόναχος Θεσσαλονικεὺς συγγραφεὺς τῆς νομικῆς
ἐπιτομῆς, ἤκμαζε δὲ ἐν ἔτει ζωμγ´ (=1335).
Matthieu Blastarès, hiéromoine thessalonicien et auteur de l’abrégé juridique
atteignit sa maturité en 133510.
16 La date de sa mort nous est inconnue. La plupart des écrits de Blastarès restent toujours
inédits. Ces écrits peuvent être divisés selon la thématique en trois groupes : I) Les
écrits dogmatiques anti-hérétiques, II) les écrits nomocanoniques, III) les écrits
hymnographiques11.
17 I) Les écrits dogmatiques anti-hérétiques :
• Κατὰ Ἰουδαίων (Contre les Juifs)
• Κατὰ Λατίνων (Contre les Latins)
• Περὶ τοῦ Ἀζύμου (Sur le pain azyme)
• Περὶ τοῦ Μυστικού Δείπνου (Sur la Sainte Cène)
• Ἀριθμητικὸν θεώρημα τοῦ διςχίλια ἀριθμοῦ (Le théorème arithmétique du nombre 2000)
• Περὶ τοῦ ἑφθοῦ σίτου (Sur le blé cuit)
• Περὶ τῆς Θείας Χάριτος ἢ περὶ τοῦ Θείου φωτός (Sur la grâce divine ou la lumière divine)
• Ἐπιστολὴ πρὸς τὸν πρίγκιπα Sire Guy de Lusignan (Épître au prince Sire Guy de Lusignan)
• Διάλεξις μετὰ τοῦ Βαρλαάμ (Entretien avec Barlaam)
• Τίνες εἰσὶν οἱ τὰ νόθα καὶ ἀλλότρια τῆς Ἐκκλησίας Χριστοῦ τοῦ Θεοῦ κηρύσσοντες
δόγματα (Qui sont ceux qui proclament des dogmes illégitimes et étrangers à l’Église du
Christ Dieu ?)
18 II) Les écrits nomocanoniques:
• Σύνταγμα (Syntagma)
• Σύνοψις ἐκ τοῦ Κανονικοῦ τοῦ ἁγ. Ἰωάννου τοῦ Νηστευτοῦ (Résumé du Kanonikon de
saint Jean le Jeûneur)
• Σύνοψις Κανονικῶν ἀοκρίσεων τοῦ Νικήτα Ἡρακλείας (Résumé des réponses canoniques
de Nicétas d’Héraclée)
• Σύνοψις Κανόνων τοῦ ἁγ. Νικηφόρου Πατριάρχου Κωσταντινουπόλεως τοῦ ὁμολογητοῦ
(Résumé des canons de saint Nicéphore le Confesseur, patriarche de Constantinople)

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• Σύνοψις Κανονικῶν ἀποκρίσεων τοῦ Ἰωάννου, ἐπισκ. Κίτρους (Résumé des réponses
canoniques de Jean, évêque de Kitros)
• Σύνοψις λατινικῶν νομικῶν ὃρων (Résumé des règles juridiques des Latins)
• Σύνοψις Ρητορικῆς (Résumé de l’art oratoire)
19 III) Les écrits hymnographiques :
• Στιχηρά (Les tropaires des stichères)
• Μακαρισμοί (Les béatitudes)
• Τὰ ἐκκλησιαστικὰ ὀφφίκια (La liste des dignitaires de la cour patriarcale [en vers])
• Τὰ βασιλικὰ ὀφφίκια (La liste des dignitaires de la cour impériale [en vers])

20 Mais l’œuvre qui le rendit célèbre est le Syntagma. Le Σύνταγμα κατὰ στοιχεῖον est
ordonné selon l’alphabet grec, en 24 sections (στοιχεῖα) comme un index pour les
recherches dans les matières juridiques. Chaque section est divisée en chapitres
contenant les questions qui commencent par une même lettre. Par exemple, dans la
section A, on trouve les chapitres sur les apostats (ἀρνησάμενοι), les hérétiques
(αἱρετικοί), les anathèmes (ἀνάθεμα) etc., dans la section H, sur les higoumènes
(ἡγούμενοι), comment compter le début et la fin du jour (ἡμέρα), dans la section C, les
cheirotonies (χειροτονίαι) etc. Nous trouvons déjà ce système dans la Synopsis
Basilicorum maior12 (fin du X e siècle), et dans la Synopsis minor13 (de l’époque de Nicée,
XIIIe siècle). Ce système est devenu nécessaire vu l’importance des Basiliques. Blastarès a
dû être influencé dans la composition du Syntagma par Synopsi suivantes, la Synopsis
maior qui commence par un article sur la foi orthodoxe 14 (comme le Syntagma de
Blastarès) et contient 348 rubriques, alors que le Syntagma en contient 303. Son titre
complet est Σύνταγμα κατὰ στοιχεῖον τῶν ἐμπεριειλημμένων ἀπασῶν ὑποθέσεων τοῖς
ἰεροῖς καί θείοις κανόσι πονηθέν τε ἅμα καί συντεθὲν τῷ ἐν ἱερομονάχοις ἐλαχίστῳ
Ματθαίῳ τῷ Βλαστάρῃ ( le Syntagma arrangé et composé par ordre alphabétique de toutes les
matières contenues dans les saints et divins canons par l’humble hiéromoine Matthieu
Blastarès). Blastarès eut pour but d’unir dans un seul recueil les règles principales du
droit canon et celles du droit séculier (droit civil, pénal et procédure) et de former ainsi
une vraie encyclopédie juridique, unique en son genre, qui corresponde parfaitement à
l’organisation des tribunaux du XIVe siècle, au moment de la fameuse réforme
judiciaire d’Andronic II (1282-1328), lorsque les membres du clergé reçurent le droit de
trancher les litiges civils15. Les métropolites et les archidiacres, qui avaient reçu en 1329
le jus gladii comme καθολικοὶ κριταί, avaient besoin d’un manuel juridique qui, comme
le Syntagma, réunisse le droit canon et le droit séculier.
21 Le droit canon occupe une place prépondérante dans le Syntagma. Toutes les matières
sont regroupées en sections par ordre alphabétique. Chaque section - lettre commence
par les canons des conciles des saints Pères et finit par des extraits des lois civiles,
groupées sous le titre de Novmoi. Mais certains chapitres ne sont composés que de
canons. Par exemple : A. § 3, 7 , 8, 9 ; B. § 2, 3, 6, 11 ; G. § 19, 20, 21., alors que les autres
ne contiennent que des lois civiles : A. § 4 ; D. § 2, 13 ; E. § 7 ; K. § 3, 12. Cependant, la
majorité des chapitres sont de caractère religieux et ecclésiastique. En ce qui concerne
les canons, leurs sources sont toujours bien citées16, ce qui n’est pas le cas pour les
sources de droit laïc. Ceci indique que Blastarès s’est surtout servi des Synopsis maior et
minor, et moins du Procheiron ou des Basiliques elles-mêmes 17.
22 Une chose est sûre, le grand nombre de manuscrits prouve la popularité dont jouissait
le Syntagma dans les pays orthodoxes. Mortreuil avait connaissance de 42 manuscrits

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grecs18. D’après Heimbach, ce nombre s’élève à 4619, Benešević en dénombre 9020, et ce


nombre est loin d’être définitif. En outre, il existe 20 manuscrits de la traduction
complète serbe21. En Roumanie, il y aurait plus de 20 manuscrits de la version slavo-
roumaine et 4 manuscrits roumains22. Au moins 15 manuscrits serbes contiennent le
Syntagma abrégé (version serbe)23.
23 C’est Blastarès lui-même qui nous donne la date du Syntagma dans la préface :
Ὡς ἂν δὲ μηδὲ ὁ χρόνος λανθάνων εἴν τοὺς ἐντυγχάνοντας ὅς ὑπ’αὑγὰς ἡλίου τὰ
τῆς πραγματείας προήνεγκε ταυτησί, μετὰ τὴν ἑξαπλῆς τῶν ἐτῶν χιλιάδα καὶ τὴν
ὀκταπλῆν αὖθις ἑκατοντάδα, τρίτον καὶ τεσσαρακοστὸν ἔτος τὴν φοράν ἀτεχνῶς
ἐμέτρει τοῦ χρονοῦ.
Afin que les lecteurs n’ignorent pas l’époque à laquelle cet ouvrage a vu le jour, c’est en
l’année quarante-trois après six milliers et huit centaines d’années (6843 = 1334-1335). 24 
24 Le texte grec du Syntagma fut édité trois fois. Au XVIIe siècle les savants français T.
Goar, Jean Cotelier et Claude en préparèrent l’édition complète d’après les manuscrits
de la Bibliothèque nationale de Paris, mais leur travail ne fut jamais publié. Les savants
grecs Rallès et Potlès s’en serviront pour leur édition.
25 La première édition du Syntagma complet, en 1672, est due à Beverege dans le tome 2 de
son Synodikon25.
26 La deuxième édition parut en 1859, à Athènes, dans les recueils du droit canon édités
par les savants grecs G. Rhallès et M. Potlès : Σύνταγμα τῶν θείων καὶ ἱερῶν κανόνων.
27 La troisième édition est celle de l’abbé Migne, dans la Patrologia graeca, t. 144 et 145, le
texte grec est celui de Rhallès et Potlès avec la traduction latine.
28 Quoi qu’il en soit, les trois éditions du texte grec ne satisfont pas pleinement les
critères d’une édition critique car les manuscrits utilisés ne datent que du XV e siècle 26.
Le manuscrit le plus ancien et le plus proche de l’original est celui de la bibliothèque
synodale de Moscou n° 149 qui date de 1342, donc à peine 7 ans après l’original. Il y a un
autre fait important pour la publication d’une édition critique du texte grec. Tous les
manuscrits grecs du Syntagma peuvent être divisés en deux groupes : la rédaction de
Constantinople qui est la principale et la rédaction d’Ochrid dont le contenu est
légèrement modifié27. Les trois éditions du texte grec mentionnées ci-dessus sont
uniquement composées à partir des manuscrits de la rédaction de Constantinople.
29 Nous voyons que le Syntagma est connu dans le monde slave, mais ce n’est qu’en version
serbe que paraîtra, outre la traduction du Syntagma intégral, une traduction unique en
son genre, le Syntagma abrégé.
30 Le Syntagma intégral est conservé dans de nombreux manuscrits. Les plus anciens
(Pčinjski et Dečanski) datent de 138028. Le Syntagma intégral est la traduction de la
rédaction d’Ochrid29 qui comporte les changements suivants par rapport à la rédaction
de Constantinople :
1. 1. Dans l’introduction ont été rajoutés les deux articles30: « Вєтхоѥ десетослвиѥ ѡт
Леветика » (Deutéronome 5, 6-22), et « Светаго Максима »31.
2. Dans la partie développée, ont été supprimés : chapitre 5 de la section L et une partie du
chapitre 37, section K.
3. Les articles complémentaires :
1. Ижє вєликыє црквє ѡффікіи (La liste des dignitaires de la
Grande Église)

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2. Ѡт правиль свєтаго іѡанна посника (Résumé du livre


pénitentiel de saint Jean le Jeûneur — La rédaction d’Ohrid y
rajoute 12 nouveaux titres)
3. Никуты блажєннаго иракліискаго ѡтвѣєти (Résumé des
réponses canoniques de Nicétas d’Héraclée)
4. Ижє вь светыхь Никуфора Константінова града
исповѣдника правила ѡт црьковных ѥго сьчунѥних
(Résumé des canons de saint Nicéphore le Confesseur,
patriarche de Constantinople)
5. Ѡт ѡтвѣєтьь іѡанна свєщєннѣишаго єпископа
кутрошскаго (Résumé des réponses canoniques de Jean,
évêque de Kitros)
6. Како имоуть чина прѣстоли црьковь ѡт подлєжащихь
патриарьхоу константина града (La liste des métropoles et
des archevêchés de l’Église de Constantinople)
7. Lexique des mots latins.

31 Les articles 6 et 7 ne se trouvent dans les manuscrits grecs du Syntagma qu’après 1342 32.
Signalons que l’édition de Stojan Novaković ne comporte pas ces articles
complémentaires. L’unique édition de la traduction serbe du Syntagma intégral ne
prend pas en considération l’historique de l’original grec (différence entre la rédaction
de Constantinople et celle d’Ohrid) et, fait important, ne comporte pas les articles
complémentaires33.
32 L’érudit serbe Novaković a signalé dans son édition du Syntagma intégral la mauvaise
qualité de la traduction34. Le texte est traduit mot à mot du grec en serbe, si bien que le
sens n’en est pas toujours très clair. Cette faiblesse linguistique de la traduction nous
fait penser qu’il pourrait s’agir d’une traduction faite à Byzance pour les Serbes. Le
traducteur du Syntagma intégral n’a pas utilisé la traduction du Nomocanon de Sava I er.
33 Outre le Syntagma intégral, la version abrégée paraît alors en Serbie. Dans cette version
ne figure plus qu’un tiers de la partie réservée au droit canon. Les clauses juridiques,
habituellement dispersées dans différentes sections, sont ici regroupées. Or, sur plus de
303 chapitres existants il n’en reste plus que 91. Les sections suivantes ont disparu : Ӡ,
Ө, И, Л, Ѯ, О, Р, С, У, Х, Щ, Ѡ35. Comme l’a démontré Novaković, cette version réduite a
été faite à partir du Syntagma intégral serbe. Cette version abrégée apparaît
régulièrement compilée dans les manuscrits avec deux autres recueils juridiques, La loi
de l’empereur Justinien, traduction slave du Nomos Géôrgikos et Le code de Dušan. Ces trois
recueils composent le codex tripartite de Dušan. Novaković a pensé que la version
abrégée n’aurait été faite qu’à l’époque du Despote Stefan Lazarević, entre 1402 et 1427,
thèse reprise par N. Radojčić, chercheur de grand mérite, dans l’étude des sources de la
composition du code de Dušan36. Soloviev, à la suite d’une analyse historiographique et
des filigranes du manuscrit athonite du Code de Dušan, datant des années 70 du XIV e
siècle, a démontré que le Codex tripartite fut bien rédigé du temps de Dušan
(1331-1355)37.
34 Tout ceci nous amène à adhérer à la thèse de Soloviev selon laquelle cette version
abrégée a été faite à l’époque du tsar Dušan, dans le cadre de son œuvre législative et
ceci avant 135438.

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35 À la suite de l’affaiblissement de Byzance, dû aux longues guerres civiles et dynastiques


et après la victoire serbe contre les Bulgares en 1331 (bataille de Velbužd), la Serbie
devint la première puissance des Balkans. Le milieu du XIV e siècle est l’époque de
l’hégémonie serbe sur une grande partie de la péninsule. C’est en 1345 qu’un empire
serbo-grec fut proclamé par Stefan Dušan. Mais avec le rattachement de la « Romania »,
l’État serbe hérita également du domaine juridique byzantin qu’il devait respecter, si ce
nouvel État serbo-grec se voulait légitime. Dušan considère la fondation de son nouvel
Empire comme un acte de la volonté divine :
C’est par la grâce de Dieu que je fus élevé de la dignité royale à la dignité impériale
orthodoxe. Et Il mit tout entre mes mains, comme Il le fit pour l’empereur
Constantin le Grand, les terres, tous les pays, les côtes, les grandes villes de l’Empire
grec, comme nous l’avons dit avant. Et par la couronne impériale dont Dieu me fit
don, je fus couronné empereur39.
36 En tant qu’empereur, « tsar », il tient à affirmer son rôle de législateur. Le 21 mai 1349 à
la diète de Skopje, fut promulgué le « Code de Dušan » qui eut une place importante
dans le développement du droit serbe, l’organisation de l’État serbe, et la régularisation
des relations régissant la société serbe médiévale. La première et principale partie du
Code de Dušan fut alors promulguée : les 135 premiers articles selon la numérotation du
manuscrit de Prizren (XVIe siècle). Cinq ans plus tard - à la nouvelle diète de Serrès en
1354 - 66 nouveaux articles y furent ajoutés. Tous les manuscrits du code de Dušan
recopiés après cette date contiennent systématiquement le Syntagma abrégé 40. Le
Syntagma abrégé fut publié trois fois : d’abord par T. Florinskij 41, par S. Novaković42 et
par V. Mošin43.
37 Mais pourquoi le tsar Dušan a-t-il fait abréger le Syntagma intégral ?
38 Nous ne pourrons répondre à cette question qu’après avoir analysé l’idéologie politique
et ecclésiastique des deux versions du Syntagma et leur rapport mutuel. D’éminents
historiens du droit comme S. Novaković, éditeur du Syntagma, n’ont pas remarqué la
différence idéologique entre les deux rédactions. Seul Troicki l’a notée 44. Nous allons
donner un bref aperçu de ses conclusions :
39 Le Syntagma intégral défend l’universalisme et l’autorité exclusive de Constantinople
sur le monde médiéval aussi bien en politique qu’en ecclésiologie. Cette version devait
donc servir les intérêts de Constantinople. Toute la partie juridique que Blastarès
privilégie, se basant sur les commentaires de Théodore Balsamon 45, accorde la primauté
à Constantinople. Ainsi est affirmée la toute puissance de l’empereur de
Constantinople. Celui-ci est l’oint de Dieu ayant droit de sanctionner les canons des
saints Pères de l’Église (section K 32, 363, 344), de nommer les patriarches et les
évêques (B, 6, 128, 124), de muter les membres du clergé (A, 9, 99, 96). Dans cette
interprétation, Blastarès reste fidèle aux commentaires de Théodore Balsamon. Comme
dans le Syntagma intégral les sources utilisées ne sont pas mentionnées et il n’y a pas de
distinction entre le texte du canon et ses interprétations, les interprétations de
Balsamon ayant la même autorité que le canon lui-même. Le Syntagma intégral
s’emploie à protéger et à étendre les droits du patriarche de Constantinople en tant
qu’héritier du pape de Rome. Le chapitre VIII de la section P (453-454) qui a pour titre
« À propos des patriarches », tiré du IIIe titre de l’Épanagôgè, évoque uniquement les
droits du patriarche de Constantinople46.
40 De même que le pape est le vicaire du Christ, le patriarche de Constantinople est son
icône vivante et le représentant de l’Église devant l’empereur. Le Patriarcat de

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Constantinople détient la primauté sur les autres patriarcats et non seulement il a droit
de regard sur toute l’Église, mais il est aussi le seul à pouvoir trancher en matière de
conflit ecclésiastique. Seul le patriarche de Constantinople a le privilège d’user du droit
stavropigiaque, c’est-à-dire de fonder des monastères appartenant à sa juridiction dans
les autres patriarcats. Pour Blastarès, le patriarche de Constantinople est l’héritier du
pape après le Schisme de 1054 :
41 « Les saints Pères, qui prophétisèrent la séparation de l’Église de Rome de l’unité
orthodoxe, donnèrent la primauté à l’Église de Constantinople. » (E, 11) 47.
42 Dans le même chapitre, Blastarès énonce l’ordre ecclésiastique des patriarcats et Églises
autocéphales, parmi lesquelles il cite l’Église d’Ochrid, l’Église de Chypre et celle de
Géorgie. Il s’abstient de citer les Églises autocéphales de Serbie et de Bulgarie. Alors que
le texte original de ce paragraphe dit que l’Église th'" Boulgariva" est autocéphale, la
traduction slavo-serbe précise aux deux endroits qu’il s’agit de l’Église d’Ochrid et non
pas du patriarcat bulgare de Trnovo48.
43 D’après cette analyse il est clair que la politique ecclésiastique du Syntagma intégral ne
convenait ni au nouvel Empire serbo-grec de Dušan ni à l’Église autocéphale serbe. Le
Syntagma abrégé a une tout autre idéologie ecclésiastico-politique. Il évite
systématiquement de reprendre tout ce qui concerne la primauté du Patriarcat de
Constantinople et la place de l’empereur de Byzance49. Ainsi, dans la section B, les
chapitres suivants ont été supprimés : le chapitre V qui indique quels sont les privilèges
de l’empereur ; le chapitre VI, thèse de Balsamon selon laquelle l’empereur est le seul
habilité à nommer le patriarche. La section E du Syntagma ne comporte pas le chapitre
XXI précisant le droit de l’empereur de fixer l’ordre des diocèses et leurs privilèges
respectifs. La section K ne comprend ni le chapitre IV indiquant que les canons sont
promulgués par la seule volonté de l’empereur ni le chapitre XXXII dans lequel est
exposé le point de vue de Balsamon selon lequel les empereurs ont le droit de modifier
les canons et de nommer patriarches et évêques. Tous les chapitres contenant les
clauses par lesquelles le patriarche de Constantinople est désigné comme unique
successeur du pape de Rome ont été supprimés.
44 Byzance au XIVe siècle concevait le monde et la société médiévale comme une unité
organique dont la tête se trouve à Constantinople. Cette conception impliquait
exclusivement un mode de relation avec le reste du monde médiéval basé sur un ordre
hiérarchique théorique des États50. L’idéologie du Syntagma abrégé s’accorde avec les
aspirations et la vision politique de la dynastie némanide qui voulait faire une place à la
monarchie serbe au sein de la civilisation byzantine51. Sava Ier en compilant son
Nomocanon n’introduisit aucun texte des sources canoniques byzantines qui portât la
marque du « césaropapisme » et de la « papauté orientale », tel l’Eklogè,l’Épanagôgè, les
travaux de Balsamon, de Chomatianos, ou bien la Donation de Constantin 52. Les textes
choisis par Sava Ier insistent sur la symphonie entre le sacerdotium et l’imperium. Tout
ceci nous amène à la conclusion que le Syntagma abrégé avait pour but de supplanter
dans l’usage le Syntagma intégral et d’empêcher la propagation de son idéologie afin de
protéger les intérêts du nouvel Empire serbe et de son Église autocéphale. Cette vision
correspond mieux au concept de « conciliarité » d’un temps où la foi chrétienne n’était
pas encore la religion officielle de l’Empire. On peut supposer que son élaboration est le
fruit du travail d’un groupe d’ecclésiastiques, versés dans la connaissance du droit
byzantin, et intéressés à la protection de l’indépendance de l’Église serbe. On peut

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penser au patriarche Joanikije53, à Jakov, higoumène du monastère des Saints


Archanges et futur métropolite de Serrès54, et à Jovan, métropolite de Skopje55.
45 Le tsar Dušan, souhaitait protéger son État de l’idéologie byzantine qui faisait de
Constantinople la tête du monde médiéval dans les Balkans. Pour cela, il entreprit
l’œuvre d’anakatharsis du Syntagma intégral. Mais il était déjà trop tard. La traduction
du Syntagma intégral fut faite avant l’œuvre législatrice de Dušan et fut recopiée et lue
dans toute la Serbie. La noblesse serbe fut alors divisée par ces deux concepts. Nous
trouvons le témoignage du sentiment pro-byzantin dans l’œuvre des continuateurs de
l’archevêque Danilo II (1324-1337)56 « La vie des rois et archevêques serbes » :
Le tsar Stéfan (Dušan) se fit couronner empereur et choisit un patriarche non
d’après la loi ni avec la bénédiction du patriarche de Constantinople, comme il était
de règle, mais demanda la bénédiction du patriarche de Trnovo, de l’archevêque
d’Ochrid et de la Diète de Serbie. C’est ainsi qu’il fut couronné empereur et qu’il se
choisit un patriarche, à l’encontre des règles établies à cet effet. Il tomba dans le
piège de notre ennemi commun, s’enorgueillit et, bafouant la dignité royale
ancestrale, se fit couronner empereur. Puis reniant l’archevêché confié par le
patriarche de Constantinople à son ancêtre saint Sava il instaura par la force
Joanikije comme patriarche57.
46 Nous trouvons le même esprit désapprobateur envers la proclamation de l’Empire et le
Patriarcat de Serbie dans la biographie de Stefan Lazarević, qui condamne le tsar Stéfan
pour s’être autoproclamé empereur et pour « avoir détaché l’Église serbe de l’Église
catholique ‘œcuménique’ de Constantinople »58.
47 Non seulement le Syntagma de Blastarès joua un rôle important sur le plan juridique et
canonique, mais il eut également une influence sur les idées dans le monde médiéval
balkanique. Étant données les bonnes relations entre le tsar Dušan et le tsar Jean
Alexandre, son beau-frère bulgare, la traduction slave pouvait être également acceptée
en Bulgarie. Le savant russe Benešević, en 1901, avait trouvé dans la Bibliothèque
Synodale de Moscou un manuscrit (n° 302) du Syntagma datant du milieu ou de la
deuxième moitié du XIVe siècle 59. Bien que décrit comme bulgare, ce manuscrit ignore
les règles d’orthographe attribuées au patriarche Euthyme60. Nous pensons qu’il
pourrait s’agir d’une traduction slave faite à partir de la rédaction grecque d’Ochrid,
quelque part en Macédoine. Le Syntagma commença à circuler dans les pays roumains
vers le milieu du XVe siècle. Le plus ancien manuscrit est l’œuvre du « grammairien »
Dragomir qui le rédigea à Târgovişte, capitale de la Valachie, en 1451, sur l’ordre du
prince Jean Vladislav II61. Deux autres copies apparaissent en Moldavie : l’une faite par
le moine Gervaise, en 1474, au monastère de Neamţu, l’autre à Iassy, en 1495, œuvre
d’un autre « grammairien », Damian62.
48 Le Syntagma était si répandu en Moldavie que mêmeIvan le Terrible (1533-1584)
demanda en 1554 au prince moldave Alexandre Lapusneanu d’en commander une copie
slave. Rappelons aussi un fait particulièrement important : le texte du Syntagma de
Blastarès fut employé comme argument par le prince Jean Couza, quand il proclama
l’autocéphalie de l’Église roumaine63.
49 En 1686, le prince héritier géorgien Vakhtang l’utilisa pour compiler un grand code
législatif qui fut en vigueur en Géorgie au XVIIIe siècle64.
50 En conséquence, et vu son importance, il serait d’un intérêt primordial qu’une nouvelle
édition critique du texte grec du Syntagma, ainsi que de ses versions slavo-serbes,
intégrale et abrégée, voie enfin le jour.

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NOTES
1.  Il faut signaler le livre de K. KADLEC, Introduction à l’étude comparative de l’histoire du droit public
des peuples slaves, Paris, 1933, qui fait exception.
2.  A. SOLOVIEV, Der Einfluß des byzantinischen Rechts auf die Völker Osteuropas, in Zeitschrift der
Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, Bd. 76. Romanistische Abteilung, Weimar 1959, p. 432-458. ; J. N.
ŠČAPOV, Recepcija zbornikov vizantijskogo prava v srednovekovih balkanskih gosudarstvah, Vizantijskij
Vremennik, t. 37 (1976), p. 123-127.
3.  J. N. ŠČAPOV, art. cit., p. 127.
4.   S. TROICKI, Ko je preveo Krmčiju sa tumačenjima (Qui a traduit la Krmčija avec les
interprétations), Glas Srpske akademije nauka, t. CXCIII (1949), p. 119-142.
5.  J. N. ŠČAPOV, art. cit., Vizantiskij Vremennik, t. 37, 1976, p. 123-129.
6.  En ce qui concerne la littérature sur ce Nomocanon voir : S. TROICKI, Kako izdati Svetosavsku
Krmčiju (Nomokanon sa tumačenjima) (Comment éditer la Krmčija de saint Sava - Le Nomokanon
avec les interprétations), in Glas Srpske akademije nauka, Spomenik, t. 102 (1955); J. N. ŠČAPOV,
Vizantijskoje i južnoslavjanskoje pravovoje nasledije na Rusi XI-XIII vv., Moscou, 1978.
7.  L. PETIT, La réforme judiciaire d’Andronic II, in Échos d’Orient (1906), p. 134-138.
8.  Manuscrit n. 236 de la Bibliothèque synodale de Moscou et non pas le ms. n°. 276 comme le
prétend Arch. ARSENIJ, Pismo Matfeja Vlastara k princu Lizinjanu, Moscou, 1891 ; sur cette
rectification, voir : Ch. Fr. MATTHAEI, Codd. Ms. Biblioth. Moscou., N°. 277, p. 244; la même scholie
se trouve dans le ms. Monac. 508, cf. K. KRUMBACHER, Geschichte der byzantinischen Literatur,
Munich, 1897, p. 105.
9.  Sur l’identité de cet Isaac voir G. I. THEOCHARIDES , Ὁ Ματθαῖος Βλάσταρις καὶ ἡ μονὴ τοῦ κὺρ
Ἰσαὰκ ἐν Θεσαλονίκῃ, inByzantion, t. 40 (1970), p. 437-459.
10.  Cf. K. V. STEFANIDOU, Le codex d’Adrianopolis, in Byzantinische Zeitschrift, t. 16 (1907), p. 280.
11.  Pour les manuscrits et les éditions existantes de ces textes se référer au livre de P. B.
PASCHOS, Ὁ Ματθαῖος Βλάσταρις καὶ τὸ ὺμνογραφικόν ἔργου του, Thessalonique, 1978, p. 84-129.
12.  J. A. B. MORTEUIL, Histoire du droit byzantin, t. III, Paris, 1846, p. 298-299.
13.  J. A. B. MORTEUIL, op. cit., p. 315-322.
14.  J. A. B. MORTEUIL, op. cit., p. 299.
15.  L. PETIT, La réforme judiciaire d’Andronic II, in Échos d’Orient (1906), p. 134-138.
16.  Elles ont été étudiées par N. ILYNSKI, Sintagma Matfeja Vlastara, Moscou, 1892.
17.  Pour la question des sources du droit laïc, il n’y a toujours pas d’étude critique.
18.  N. ILYNSKI op. cit., p. 457-459 où il donne la liste de ces manuscrits.
19.  ERCH UND GRUBER, Encyclopädie, 86, 467.
20.  V. BENEŠEVIĆ, Corpus Scriptorum juris graeco-romani in Actes du IV e Congrès international d’études
byzantines, t. I, Sofia, 1935, p. 141 ; voir encore Id., in Vizantiskij Vremennik, t. XI (1904), suppl. N° 2
(monastère de Vatopédi et de la Grande Lavra), p. 7.
21.  T. FLORINSKIJ, Pamjatniki zakonodateljnoj djejateljnosti Dušana cara Serbov i Grekov, Kiev, 1888, p.
29 sq. ; A. SOLOVIEV, Zakonodavstvo Stefana Dušana cara Srba i Grka (Législation de Stéfan Dušan,
l’empereur des Serbes et des Grecs), Skoplje, 1928, p. 49-50.
22.  A. JAČIMIRSKI, Grigorij Camblak, St. Pétersbourg, 1906, p. 288-291.
23.  A. SOLOVIEV, op. cit., p. 20-35 et 50-52.
24.   I. P. MEDVEDEV, La date du Syntagma de Matthieu Blastarès, in Byzantion, t. 50 (1981), p.
338-339 ; et C. G. PITSAKIS, De nouveau du Syntagma de Matthieu Blastarès, in Byzantion, t. 51 (1981),
p. 638-639.
25. Συνοδικόν sive Pandectae canonum... Totum opus in duos tomos divisum. Guillielmus Beveregius
recensuit. Oxford 1672, fol. t. II. p. 1-272.

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26.  Pour les manuscrits les plus anciens se référer à l’œuvre de T. FLORINSKIJ, Pamjatniki
zakonodateljnoj djejateljnosti Dušana cara Serbov i Grekov, Kiev, 1888, p. 294-306.
27.  Cf. S. TROICKI, Dopunski članci Sintagme Mateja Vlastera (Des articles complémentaires du
Syntagma de Matthieu Blastarès), Académie serbe des sciences et des arts, Monographies, t.
CCLXVIII, Classe des Sciences Sociales, n° 21, Belgrade, 1956. Voir aussi D. DE NESSEL, Catalogus
aut recensio specialis codicum manuscriptorum Graecorum Vindobonensis... Bibliothecae caesareae
Vindobonensis, 1600, N°. LVII, XXIV, XCVII, XXXIV et XC.
28.  Tous les manuscrits serbes du Syntagma sont catalogués dans : Katalog ćirilskih rukopisa u
Jugoslaviji XI-XVII vek (Inventaire des manuscrits cyrilliques en Yougoslavie XI e-XVIIe
siècle),répertorié parD.BOGDANOVIĆ, Belgrade, 1982.
29.  Cf. S. TROICKI, op. cit., p. 7-8.
30.  Texte en grec dans le manuscrit Vind. hist. gr. N° XC.
31.  S. MAXIME LE CONFESSEUR, Sur les trois apocatastases, PG. 90, col. 796 et sq.
32.  Par exemple, on les retrouve dans le manuscit Vind. hist. gr. n° XC.
33.  Cf. S. TROICKI, op. cit., p. 7-8.
34. S. NOVAKOVIĆ, Matije Vlastara Sintagmat; azbučni zbornik vizantijskih crkvenih i državnih zakona i
pravila. Slovenski prevod iz vremena Dušanova (Le Syntagma de Matthieu Blastarès, recueil en ordre
alphabétique des lois et des canons civils et ecclésiastiques de Byzance), Belgrade, 1907, p. LXIV-
LXXVI. Les manuscrits slaves du Syntagma en dehors de la Yougoslavie sont recensés et décrits
par T. FLORINSKIJ, op. cit., p. 306-318.
35.  Cf. V. MOŠIN, Vlastareva Sintagma i Dušanov zakonik u Studeničkom Otečniku (Le Syntagma de
Blastarès et la Loi de Dušan dans le Patérikon de Studenica), in Starinar, t. 42, Zagreb, 1949, p. 26.
36.  N RADOJČIĆ, Die Gründe einer serbischen Entlehnung aus dem byzantinischen Recht, in Bulletin de la
section historique, t. 11, Académie roumaine, 1924, p. 235.
37.  A. SOLOVIEV, Predavanja N°163 (Conférence N° 163), Prilozi Matice srpske (1928),Novi Sad, p.
53-58. Id., Zakonodavstvo Stefana Dušana cara Srba i Grka (Législation de Stéfan Dušan, l’empereur
des Serbes et des Grecs), Skoplje, 1928, p. 241.
38. A. SOLOVIEV, op. cit. p. 53-58.
39.  S. NOVAKOVIĆ, Zakonik cara Stefana Dušana 1349 i 1354 (Législation de Stéfan Dušan 1349 et
1354), trad., éd. et commentaires S. Novaković, Belgrade 1898, p. 3.
40.  Cf. Katalog ćirilskih rukopisa u Jugoslaviji XI - XVII vek (Inventaire des manuscrits cyrilliques en
Yougoslavie XIe-XVIIe siècle),répertorié parD.BOGDANOVIĆ, Belgrade, 1982.
41.  T. FLORINSKIJ, op. cit., annexe V. p. 95-215.
42.  S. NOVAKOVIĆ, op. cit. Il a incorporé le texte du Syntagma abrégé en caractère gras dans le
texte du Syntagma intégral.
43.  V. MOŠIN, op. cit., p. 44 et sq.
44.  Cf. S. TROICKI, Crkveno-politička ideologija svetosavske Krmčije i vlastareve Sintagme (L’idéologie
ecclésiastique et politique de la Krmčija et du Syntagma de Blastarès), in Glas Srpske akademije
nauka, t. CCXII, 1953, p. 154-206.
45.  Blastarès se sert surtout des Commentaires au Nomocanon de Balsamon. Dans ses Commentaires
Balsamon développe une idéologie de la souveraineté universelle de l’empereur byzantin et de la
primauté universelle du patriarche de Constantinople. Balsamon reconnaît d’une part au basileus
un certains nombre de « droits épiscopaux » (RHALLÈS-POTLÈS , Syntagma, t. I, p. 467.) et d’autre
part il reconnaît au patriarche de Constantinople des « droits impériaux » (RHALLÈS-POTLÈS ,
Syntagma, t. I, p. 143-149 ; t. II, p. 285-286 ; t. IV, p. 553.). Pour une analyse approfondie de
l’idéologie de Balsamon, voir G. DAGRON, Empereur et prêtre. Étude sur le ‘césaropapisme byzantin’,
Paris, 1996, p. 263-277.
46.  S. TROICKI, op. cit., p. 190.
47.  Op. cit., p. 191.
48.  Op. cit., p. 192.

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49.  T. Florinskij avait déjà remarqué que le choix du matériel n’était pas fortuit mais qu’il porte
l’empreinte d’un travail délibéré. Id., op. cit., p. 437.
50. G. OSTROGORSKY, Die byzantinische Staatenhierarchie, in Seminarium Kondakovianum 8 (1936), p.
41-61.
51.  Cf. S. TROICKI, Crkveno-politička ideologija svetosavske Krmčije i vlastareve Sintagme (L’idéologie
ecclésiastique et politique de la Krmčija et du Syntagma de Blastarès), in Glas Srpske akademije
nauka, t. CCXII, 1953, p. 155-206 ; D.  BOGDANOVIĆ, Krmčija svetog Save (La Krmčija de saint Sava),
dans Sava Nemanjić - Sveti Sava, istorija i predanje (Sava Nemanjić - saint Sava, histoire et tradition).
Colloque scientifique international, Belgrade, 1979, p. 91-99.
52.  Sur l’idéologie de l’Eklogè, l’Épanagôgè, Balsamon, Chomatianos et la Donation de Constantin voir
G. DAGRON, Empereur et prêtre. Étude sur le ‘césaropapisme byzantin’, Paris, 1996, p. 193, 236-242, 248,
263-268, 276-277.
53.  On suppose que Joanikije avait été logothète de Dušan, donc un bon connaisseur du droit civil
et ecclésiastique ; voir M. PUCIĆ, Spomenici Srbski (Monuments serbes), t. II,  Belgrade 1862, p. 11.
54.  Le métropolite Jakov avait été le disciple de saint Grégroire le Sinaïte, l’initiateur du
mouvement hésychaste ; voir à ce sujet : Amfilohije RADOVIĆ, Sinaiti i njihov značaj u životu Srbije
XIV i XV veka (Les Sinaïtes et leur importance dans la vie de la Serbie au XIV e et XV e siècle), in
Manastir Ravanica, spomenica o šestotoj godišnjici, Belgrade, 1981, p. 106-107.
55.  Le métropolite Jovan a obtenu du tsar Dušan des privilèges pour les monastères athonites en
1346. Voir T. FLORINSKIJ, Afonskije akti, St.-Petersbourg, 1880, p. 97.
56.  Cf. B. BOJOVIĆ, L’idéologie monarchique dans les hagio-biographies dynastiques du Moyen Âge serbe,
Orientalia Christiana Analecta, n° 248, Rome, 1995, p. 473-519.
57.  Archevêque Danilo II, Život kraljeva i arhiepiskopa srpskih (La vie des rois et archevêques
serbes), éd. Dj. DANIČIĆ , Belgrade-Zagreb 1866 ; = Londres, Variorum Reprints (1972),
Introduction Dj. TRIFUNOVIĆ, p. 380.
58.  Konstantin Filosof, Život Stefana Lazarevića despota srpskog (La vie de Stefan Lazarević, despote
serbe), traduit en serbe par L. MIRKOVIĆ (Stare srpske biografije XV i XVI veka), Belgrade (1936), p.
57.
59.   V. N. BENEŠEVIĆ, Dva spiska slavjanskago perevoda Sintagmi Matteja Vlastara hranašćisja v
Sinodaljnoj Biblioteke in Izvestija otdela russk. jaz. i slov., t. VI (1901), 3, p. 150-174.
60.  Cf. E. TURDEANU, La littérature bulgare du XIV e siècle et sa diffusion dans les pays roumains, Paris,
1947, p. 58-60.
61.  Ce manuscrit a été découvert dans la Bibliothèque publique de Saint-Pétersbourg et décrit
par T. FLORINSKIJ, op. cit., p. 316-318.
62.  Id.., p. 59.
63.  Cf. D. BOGDAN, Le Syntagma de Blastarès dans la version du chroniqueur roumain Macaire, in Actes
du premier congrès international des études balkaniques et sud-est européennes, t. VII, Sofia, 1971, p. 188
sq.
64.  A. SOLOVIEV, L’œuvre juridique de Mathieu Blastarès in Studi Bizantini e Neoellenici, t. V, Rome,
1939, p. 705.

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RÉSUMÉS
Le droit des Slaves a énormément emprunté au droit de Byzance. Dans leurs traductions, ce sont
les Serbes qui ont montré le plus d’originalité, avec une claire volonté d’affirmer leur
indépendance au sein de la civilisation byzantine. C’est ce dont témoigne la traduction en serbe
du Syntagma de Blastarès : on en connaît une version extensive, conforme à l’original, et un
abrégé, composé sur ordre du tsar Dušan, d’où est gommée toute référence à l’hégémonie
ecclésiastique et politique de Constantinople.

Slavic law has extensively drawn on the Byzantine one. Greek texts have been translated by Serbs
in a most original way, in a clear intention to claim their independence in the frame of Byzantine
civilization. Serbian translation of Blastares’ Syntagma provides a good evidence of this position:
while an extensive version is true to the original, a summary, compounded by will of Tsar Dušan,
obliterates each reference to ecclesiastical and political hegemony of Constantinople.

AUTEUR
JIVKO PANEV
Institut Saint Serge, Paris

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La torture judiciaire dans le droit


romano-byzantin
Judicial Torture in Romano-Byzantine Law

Evangélos Karabelias

1 La torture judiciaire, modalité ordinaire concernant les preuves devant le juge romain
pour les affaires pénales et civiles1, se retrouve aisément dans les sources législatives
byzantines et dans les manuels juridiques privés qui se fondent sur le Corpus Iuris Civilis
de Justinien, dont la version grecque, en résumé ou in extenso, avec les scholies des
juristes byzantins, constitue, à n’en point douter, le texte juridique par excellence de
l’Empire byzantin. Il est, en outre, oiseux de prétendre que la théorie juridique et
l’enseignement du droit reposent essentiellement sur le monument juridique de
l’époque justinienne. Les développements des historiens des institutions byzantines se
sont fondés sur les abondants textes législatifs, devant la pénurie cruelle de documents
de la pratique juridique et judiciaire de l’époque post-justinienne au milieu du XI e
siècle. Les documents de la pratique sont plus abondants pour la période allant du
début du XIe à l’occupation latine qui commence en 1204 et qui marque la lente agonie
de deux siècles et demi d’un Empire qui s’amenuise en peau de chagrin en ne
comprenant que quelques minces franges de territoire et la banlieue de Constantinople.
Des recueils de décisions (d’Eustathios Romaios, de Démétrios Chomatianos, de Jean
Apokaukos, du tribunal patriarcal de Constantinople) et les documents des archives des
monastères byzantins nous offrent des renseignements détaillés sur les pratiques
juridiques, mais la récolte des informations sur l’application de la torture judiciaire est
complètement infructueuse, si ce n’est pour la bastonnade (ou surtout sa menace).
Différence entre les pratiques juridiques préconisées par le prestigieux CIC et
l’application réelle des normes dans l’exercice du pouvoir judiciaire par le juge ? Il
semble que l’arsenal de la torture du Bas-Empire2 ne se retrouve plus à l’époque
tardive.
2 Corpus Iuris Civilis. Dans le droit justinien l’interdiction absolue de témoigner devant le
juge civil concerne surtout les esclaves3 qui apportent leur témoignage seulement
lorsqu’il s’agit de l’actio tutelae et des affaires successorales, ainsi que lorsque l’esclave

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apporte son témoignage de facto suo. Dans ces conditions, le témoignage des esclaves se
fera sous l’administration de la quaestio. D’autres interdictions absolues de témoigner
concernent les individus asociaux, antisociaux et les personnes assujetties à la
discrimination sociale : les non-orthodoxes, les partisans de sectes religieuses
gnostiques4, les non-entendants (les sourds), les femmes5. L’interdiction relative de
témoigner vise les parents en ligne directe qui ne peuvent apporter leur témoignage
dans les affaires concernant leurs ascendants et leurs descendants (D. 22.5.9 ; CJ.
4.20.6)6, les patrons et leurs descendants dans les affaires où sont impliqués leurs
affranchis et vice-versa, les avocats dans les affaires de leurs clients, les domestiques
dans les affaires de leurs maîtres. La règle est la soumission à la quaestio des témoins
appelés à apporter leur témoignage. Selon Ulpien (D. 47.10.15.41) : Il faut entendre par
quaestio les tourments et la douleur corporelle, infligés pour établir la vérité. Il ne s’agit pas
d’une simple interrogation ou d’une terreur légère. On fait aussi rentrer dans le vocable
quaestio le procédé que l’on appelle mala mansio. La quaestio se fait par la force et la violence
afin de découvrir la vérité7.
3 Les personnes libres et ingénues ne peuvent être l’objet d’une quaestio (zêtêsis), que
lorsqu’il s’agit de personnes inconnues soumises alors à la quaestio selon le texte
fondamental en la matière, la N. 90.1 (= B. 21.1.46), dont nous citons la traduction : Nous
ordonnons, surtout à l’intention de cette grande et heureuse ville où subsiste (que Dieu dirige ces
paroles !) une abondance d'hommes vertueux, que les témoins doivent être de bonne réputation.
Ils doivent être exempts de toute insinuation de partialité, par l’incontestable preuve de leur
dignité (axia), de leur appartenance à l'armée (strateia), de leur aisance matérielle (euporia),
de leur mode de vie (épitèdeusis). En l’absence de ces qualités, d’autres montreront qu’ils sont
dignes de foi pour être témoins. Aussi, les individus obscurs, ceux de basse extraction, ceux qui
ne jouissent d’aucune considération sociale, les parfaits inconnus n’oseront pas se présenter
comme témoins. Mais, quand la qualité de ceux-ci est mise en doute, ils ont la possibilité de
démontrer facilement que leur vie est irréprochable et équitable, afin de pouvoir apporter leur
témoignage (devant les juges). 1. Si quelques-uns sont inconnus et entièrement insignifiants et
s’ils semblent être enclins à anéantir le témoignage des faits réels, alors ils sont susceptibles
d’être mis à la torture judiciaire par les juges, lorsque ces derniers sont eux-mêmes magistrats,
sinon la question sera administrée par les magistrats compétents. Ici, à Constantinople, c'est le
fonctionnaire compétent qui est sous les ordres du très magnifique préteur des dèmes qui s'en
chargera, et dans le reste du territoire, l’ekdikos du lieu. Ces fonctionnaires administreront la
torture judiciaire de telle façon qu’aucun fait réel ne soit caché, afin que le témoignage
concernant les affaires pécuniaires ne soit pas détruit par l’administration de la torture, afin
qu’aucune malveillance ne soit commise à l’encontre du témoignage. … 3 … Si les témoins ne sont
pas tels que nous les avons désignés, nous ordonnons de les soumettre à la torture (quand ils ne
jouissent pas de la considération sociale).
4 La soumission à la quaestio ne connaît aucune restriction ni aucune condition lorsqu’il
s’agit du crime de majestas, où la torture judiciaire est administrée sans limites à tous
les témoins8.
5 Les textes cités montrent avec quelle attention et quel soin est administrée la quaestio.
Les témoins qui bénéficient apparemment d’une dignité, les militaires, ceux qui
exercent une profession honorable, ceux qui jouissent d’un statut social et matériel
élevé sont admis ou convoqués pour témoigner devant les autorités compétentes. L’
Ecloga des Isauriens rappelle cette règle dans le titre 14.1 et permet l’examen sous la
torture lorsqu’il s’agit de témoins inconnus (agnôstoi martyres), exactement comme l’a

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ordonné la N. 90.1. Les esclaves et les affranchis selon l’Ecloga (14.2.2.) ne peuvent être
entendus ni contre ni en faveur de leurs maîtres ou patrons. Mais l’Ecloga ne mentionne
nulle part la quaestio des esclaves. Faut-il considérer que les textes du Digeste (48.18.
1-26) et du Code (9.41.1-18) qui ont conservé l’essentiel de la réglementation en matière
de torture judiciaire des personnes de condition servile, sont inapplicables au VIII e
siècle ? Nous pouvons, pour répondre à cette interrogation, supposer que les modalités
de la torture des esclaves ne semble pas avoir préoccupé la pratique judiciaire
byzantine. Mais il ne convient pas de considérer le droit justinien comme caduc. Il est
vrai que le préambule de l’Ecloga fait mention de la difficulté que les sujets de l’Empire
ont ressentie pour comprendre l’esprit (noûs) des dispositions juridiques. Quelques
sujets de l’Empire ont une incapacité à saisir le contenu des dispositions, notamment
les gens qui habitent dans les provinces de l’Empire, loin de la capitale. Durant les
‘siècles obscurs’ (VIIe-IXe s.), la culture juridique byzantine se trouve en mauvaise
posture par rapport aux époques précédentes. L’effritement de l’État et les invasions
perses, arabes, slaves, créent des situations difficiles à gérer. Le déclin des études
juridiques fait que le droit romain du CIC, toujours théoriquement en vigueur, se réduit
à l’état d’hibernation et que sa force opératoire se voit considérablement diminuée.
Nous ne voyons d’autre explication au fait que la torture judiciaire n’ait pas été
mentionnée par l’Ecloga. Mais la méfiance envers les dépositions des esclaves sous la
quaestio est probable et presque sûre.
6 Dans les dérivés de l’Ecloga, la situation n’est pas sensiblement différente. Au IX e s., l’
Auxéméné Eklogè (Ecloga privata aucta), 15.1 reprend textuellement la disposition de l’
Ecloga, 14.1 remplaçant seulement le mot juges (dikastai) par un synonyme : akroatai.
Mais, ce recueil privé de l’EPA, 15 reprend en résumé le contenu de la Novelle
justinienne 90.1, avec le texte suivant : Si les témoins sont inconnus et de basse extraction, et
si leur témoignage est contesté, le juge, s’il est gouverneur lui-même, a la possibilité de les
soumettre à la torture par ses propres moyens pour découvrir la vérité (des faits). Si le juge
n’est pas gouverneur, l’administration de la torture sera faite sous l’autorité du préfet à
Constantinople, et dans les provinces soit le gouverneur soit l’ekdikos peuvent procéder à
l’administration de la torture. Au XIIes, le traitement de la torture judiciaire dans le
recueil privé dérivé de l’Ecloga et du Procheiros nomos, est appelé par son éditeur Ecloga
ad Prochiron mutata, titre 16 (péri martyrôn) revient à la réglementation de l’Ecloga en
résumé.
7 La méfiance envers la déposition des esclaves sous la torture pour la formation de la
conviction du juge, en offrant surtout des indices sur la vérité tant recherchée, est
exprimée de manière radicale par l’empereur Léon VI le Sage (886-912). Au début de
son règne, en tout cas avant 888, ce souverain lettré édicte la Novelle 48 qui interdit la
participation des femmes en tant que témoins à la confection des contrats et la Novelle
49, adressée elle aussi à Stylien (Zaoutzès) et qui abolit dans un style ampoulé et
pédant, toute autorisation des personnes serviles à être témoins. En voici le texte : Le
témoignage, qui est chose grave et nécessaire pour la sécurité des affaires humaines, ne se forme
pas par les déclarations de n’importe quelle personne, mais de celle dont la condition n’est pas
frappée d’infamie. Dans les lois cette question est examinée en détail et les lois n’offrent pas
simplement à toute personne la permission de porter son témoignage. Étant donné que quelques
lois accordent aux individus de condition servile la possibilité d’apporter leur témoignage dans
certaines affaires, il nous a semblé juste de faire nos remarques sur cette question. Or, les
personnes qui ne jouissent pas du statut de liberté ne seront absolument pas admises à
témoigner et la législation des Novelles doit être valable pour ce qui concerne le témoignage

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dans chaque affaire que ce soit le testament ou n’importe quelle affaire humaine. Car, s’il n’est
pas permis d’accepter comme témoins tous ceux qui, bien qu’ils soient de condition libre, ne
vivent pas comme hommes libres et avec dignité la liberté dont ils jouissent, ceux qui ne
préservent pas dans la mesure du possible leurs facultés mentales de tout asservissement, mais
qui sont soumis pour asservissement aux actes illicites, il ne sera permis de porter témoignage à
tous ceux dont la condition d’homme libre n’est pas confirmée. Car s’il existe ici un autre mode
d’asservissement, c’est certainement une autre servitude pour laquelle la participation est
indigne du privilège de liberté9.
8 La promulgation de la Novelle 49, marque la dénonciation radicale de la quaestio des
esclaves et, sur le plan législatif, va à l’encontre de la réglementation prolixe et
minutieuse du CIC en matière de torture judiciaire des esclaves. Mais, la méfiance et les
réticences envers le témoignage de l’esclave remontent aux sources du droit romain,
comme le Digeste (22.5.7 : Servi responso tunc credendum est, cum alia probatio ad eruendam
veritam non est, passage non repris dans les Basiliques) et la fameuse Novelle justinienne
90.6 (si le témoin est de condition servile, son témoignage sera considéré comme nul et non
avenu). Léon VI reste fidèle à cette tradition de méfiance envers le témoignage des
esclaves. Évidemment, la disposition de la N. 49 de Léon VI ne vise pas seulement
l’interdiction du témoignage des hommes de statut servile et le refus de les considérer
comme témoins. Elle envisage aussi, selon nous, l’abolition de la quaestio des esclaves
sous la torture, dans les cas où celle-ci était permise par le CIC (D. 48.18 ; C. 9.41 ; B.
60.50). Désormais la torture judiciaire des esclaves n’apparaît plus dans les textes
législatifs. En revanche, comme nous aurons l’occasion de le voir plus loin, les recueils
privés rédigés après 888, date limite de rédaction de la N. 49 de Léon VI, font largement
référence dans leurs exposés à la quaestio des esclaves, pourtant abolie dans la
législation impériale. Paradoxe apparent de la logique juridique, dont nous verrons plus
loin l’inexistence.
9 Pour préciser notre démonstration nous indiquerons que l’esclave, conformément à
l’esprit du droit du CIC ne fut jamais considéré comme témoin. Il pouvait déposer
seulement sous la torture sur l’affaire en examen uniquement pour permettre d’évaluer
les indices concernant les preuves. Léon VI parle ainsi improprement des quelques lois
qui ont accordé la possibilité d’avoir, pour les besoins des preuves, recours au
témoignage des esclaves.
10 Vers la même époque, probablement aux environs de 885/6, est publié un autre texte
législatif, le premier recueil de la dynastie macédonienne, appelé maintenant Eisagôgè
(toû nomou) (Epanagôgè) : un projet officiel rédigé sous l’autorité d’un grand prélat et
lettré, Photius10. Sans être apparemment promulgué définitivement, ce recueil,
systématique et clair, se situe dans la mouvance du droit romain dans la tradition du
CIC. Le titre 12 ( Péri martyrôn) de l’ Eisagôgè contient 36 articles qui comportent un
traitement des preuves par témoins, avec un exposé circonstancié des questions, mais
sans référence aucune à la quaestio des esclaves. Des remarques d’ordre psychologique
sont à signaler : Il faut examiner pour chaque témoin s’il est digne et irréprochable ou indigne
et blâmable, aisé ou indigent, susceptible de commettre une mauvaise action pour le gain, un
ami de celui qui le produit devant le tribunal ou ennemi de la partie adverse au procès. Le témoin
témoignera lorsqu’aucun soupçon de partialité n’apparaît. Évidemment, toute déposition du
témoin sera confiée à l’appréciation du juge : si l’exposé des faits est réfléchi ou suggéré
d’avance, si les témoins obéissent à des ordres donnés préalablement, quels indices enfin doivent
être acceptés pour la cause en examen (Eis. 12.2). Les affranchis et les esclaves (Eis. 12.7) et

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les indigents (pénètes : à savoir les personnes dont la fortune ne dépasse pas la modique
somme de 50 nomismata : ibid. 12.8) sont exclus de tout témoignage dans les procès. Les
témoins inconnus du juge devront déposer sous la torture (ibid. : 12.35). Aussi les gens
du cirque (kynègoi) et leurs semblables, ainsi que les condamnés à des peines
infamantes, selon les besoins de la preuve (ibid. 12.36).
11 Quelques décennies plus tard, selon les nouvelles recherches, et postérieurement à 907,
un autre recueil législatif, le Procheiros nomos ( PN) fut promulgué 11. Ses matières
articulées en quarante titres, contenant l’essentiel du droit civil et pénal, sont fondées
sur le droit justinien, dans un langage précis et concis. Ce monument juridique, dont la
création doit être conçue dans l’ambiance de ce qu’il est convenu d’appeler la
‘Renaissance macédonienne’ a connu une assez large diffusion, comme nous le suggère
le nombre élevé de manuscrits parvenus jusqu’à nous. Conforme à l’hostilité exprimée
envers la torture judiciaire des esclaves par la législation antérieure, le PN ne contient
aucun traitement de la quaestio des esclaves. Le PN dans son titre 27 (péri martyrôn ou,
selon un ms., le Codex Bodleianus 264 (Roe 18) de l’an 1349, avec l’intitulé différent : péri
martyrôn euprosdektôn kai kékoluménôn) met l’accent sur les rapports étroits entre
témoignage acceptable et considérations sociales : PN. 27.1 : Les témoins doivent être
dignes de foi et non pas de condition sociale inférieure (épidiphrioi), de basse extraction, ou
complètement dépourvus de considération sociale. Des deux cas de torture judiciaire
permise, l’un concerne les témoins inconnus du juge qui seront mis à la question ‘si
besoin est’ (ei déèsoi) selon PN, 27.2. l’autre est, traité par la disposition du PN, 27.12 : Si
l’affaire prend une tournure telle qu’il faut recourir au témoignage des gens du cirque ou de
leurs semblables, ces témoins déposeront sous la torture. Cette formulation nous rappelle le
passage connu du D. 22.5.21,2. Évidemment ni les pauvres (pénètes) avec une fortune
inférieure à 50 nomismata (PN, 27.22), ni les esclaves (PN, 27.27) ne sont en aucun cas
admis comme témoins.
12 Les Basiliques12 ont donné lieu à des controverses entre les auteurs modernes sur les
modalités de la composition de leurs textes et scholies, sur la date (888 ?) de leur
première rédaction, sur le contenu du remaniement du texte, sur le caractère législatif
de cette immense collection en 60 livres, dont aucun manuscrit ne comporte la totalité.
La casuistique du CIC concernant la torture judiciaire est reprise dans sa totalité par les
Basiliques aux IX e et X e s. Les principes sont les mêmes, bien que les compilateurs des
Basiliques aient réuni dans un titre entier (B. 60.50 : péri zètèséôs ètoi éxétaséôs) les textes
du Digeste (48.18.1-22) et du Code (9.41.1-18, seul le fragment du C. 9.41.17 fait défaut
dans le texte des Basiliques) sur la torture des esclaves. Sur le même thème l’on joindra
les textes suivants : B. 19.10.58 (= D. 21.1.58) ; B. 21.1.31 (32) (= D. 22.5.3) ; B. 22.2.7 (= D.
22.3.7), B. 35.16.6 (= D. 29.5.6) ; B. 37.7.34 (= D. 26.7.34) et B. 38.9.36 (= C. 37.22) avec leurs
précieuses scholies. D’autres textes juridiques exposent dans quelles conditions est
valable la torture des hommes de statut libre : B. 21.1.20 (= D. 22.5.21) ; B. 21.1.20 (= D.
22.5.21) ; B. 21.1.46 (= N. 90.1), B. 60.21.1, 20 et surtout les renseignements et les
éclaircissements fournis par les scholies suivantes : BS. 21.1.3 (sch. 14, 27, 32) ; BS. 21.1.4
(sch. 1,4) ; BS. 21.1.20 (sch. 4-6).
13 Le principe primordial d’administration de la torture judiciaire impose qu’il ne faut pas
commencer l’examen des preuves par la torture judiciaire des esclaves, qui sont soumis
à la question seulement quand l’accusé est suspect et quand il y a des indices que seule
manque la déposition des esclaves (B.60.501 = D. 48.18.1, Ulpien). En ce qui concerne les
hommes libres, la torture judiciaire est administrée lorsque les témoins sont inconnus

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(B. 21.1.46 = N. 90.1) et selon des préjugés sociaux, défavorables envers quelques
personnes : les gens du cirque et du spectacle, les harenarii, les proxénètes (BS. 21.1.20).
Les hommes de condition sociale inférieure, les eutéleis (  humiliores) 13 doivent être
soumis à la question quand leur déposition devant le magistrat ne semble pas être
franche et spontanée (B. 60.50.14 = D.48.18.15 Callistrate). Les textes juridiques
expriment cette situation par les locutions skazousa martyria ; skazontes (martyres). Dans
le cas de skazousa martyria (=  vaccilans quaestio) qui dénote l’hésitation, le trouble
psychologique du témoin conduit le juge à ordonner l’administration de la torture. Les
témoins frappés de déchéance et de perte de leur statut civique pourraient être
torturés selon le Scholiaste (BS. 60.50.14, sch. 2) qui renvoie aux conséquences
fâcheuses de la capitis deminutio, exprimée par la locution grecque : hè tès politeias
ekptôsis.
14 La majorité requise pour l’administration de la torture judiciaire est fixée à quatorze
ans révolus (BS. 60.50.14, sch. 3) ; cette torture ne saurait être que momentanée et
temporaire pour les besoins de l’interrogation et en aucun cas prolongée ou réitérée
(BS. 60.50.20, sch. 1). Quelques personnes de la haute classe sociale  (sénateurs, officiers
et soldats ainsi que leurs descendants) ont le privilège d’être exemptes de tout examen
par contrainte corporelle (cf. infra).
15 Le titre 50 du 60e livre des Basiliques s’ouvre avec une déclaration de principe fondée sur
le long passage d’Ulpien (D. 48.18.1), qui contient les fondements de la quaestio. B.
 60.50.1 : La recherche des preuves ne doit pas commencer par les tortures ; car les esclaves sont
mis à la torture14 seulement quand l’accusé est suspect et quand subsistent des indices et que
seule manque, par conséquent, la déposition des esclaves qui ne pourraient en aucun cas être
témoins. Les suspects sont les premiers torturés ainsi que les personnes pouvant faire éclater la
vérité. Il ne faut pas présenter de personnes proches de l’accusateur afin d’avoir leurs
dépositions. Il ne faut pas accepter la déposition de celui qui a été présenté et qui fut l’objet d’un
amour paternel de la part de l’accusateur et de son épouse. Il ne faut pas croire à la torture
judiciaire à savoir à la déposition d’un esclave contre le maître, mais il est nécessaire de
rechercher les indices. Il ne faut pas torturer contre le maître les esclaves qui ont dit avoir
procédé à des vols avec leur maître ni les croire quand ils disent avoir lésé leur maître. L’esclave
de l’héritier ne subit pas la torture pour un bien de la masse successorale, car il est soupçonné
(l’héritier) de l’avoir acheté fictivement. L’esclave qui appartient à une ville ou à une association
quelconque peut être torturé dans les affaires de particuliers : il n’appartient pas à ceux-ci, mais
à la ville et à l’association. Celui qui est l’esclave de quelqu’un de bonne foi n’est point interrogé
contre son (supposé) maître, qu’il soit de condition servile ou libre ou affranchi contre son patron
accusé de crime capital. Ni le frère contre son frère, ni ceux qui ne doivent pas témoigner sous la
question peuvent être torturés quand ils déposent comme témoins. L’esclave du mari subit la
question quand l’affaire est contre l’épouse. Et les esclaves du condamné peuvent être torturés
contre celui-ci, car ils ne lui appartiennent plus. Celui qui acquiert la liberté à condition d’être
exempt des tortures, est susceptible d’être soumis à la question, pour les affaires des tiers, mais il
ne sera pas torturé contre son ex-maître. L’esclave, acheté par l’accusé après l’accusation, est
soumis à la question contre son maître ainsi que celui qui a été acheté inutilement peut être
torturé contre l’acheteur. Il ne faut pas torturer les esclaves contre leurs maîtres et s’ils ont été
torturés le juge ne suivra pas leurs dépositions et à plus forte raison il ne prendra pas en
considération les indices relatifs à l’affaire (jugée). Il ne faut pas faire confiance aux dépositions
des litigants, sauf si une preuve convainc le juge. N’est pas admise, la proposition de l’accusé de
vouloir payer le prix de l’esclave, afin que celui-ci soit torturé contre son maître. Si des esclaves
participant à un acte illégal déposent devant le tribunal contre leur maître, leur déposition est

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rejetée. Pendant l’instruction d’une affaire relative aux finances publiques, les esclaves subissent
aussi la question, car ils sont punis de la peine capitale lorsqu’ils ont consciemment lésé le fisc. Il
ne faut pas interroger si une personne a commis l’homicide (ceci est une suggestion), mais il faut
interroger : qui a perpétré l’homicide. Si celui qui est jugé raconte plus qu’il ne le faut, la faute
n’est point à celui qui interroge mais ceci est révélateur du caractère de la personne interrogée. Il
ne faut pas toujours croire ou rejeter les dépositions des gens torturés ou de leurs adversaires en
fonction de leur bassesse de caractère ou de leur lâcheté, mais en fonction des véritables raisons
démontrées. Les personnes arrêtées ne doivent pas être facilement entendues contre ceux qui les
ont dénoncées, mais en fonction de l’examen approfondi des circonstances. Celui qui a avoué sans
raison un crime ne sera pas entendu facilement ; car plusieurs fois il crée une situation qui lui
est défavorable à cause de la peur ou pour une autre raison. Par conséquent, si un esclave dépose
contre son maître fallacieusement, ayant peur de retourner chez son maître, et qu'après la
condamnation la vérité soit révélée, cet esclave sera vendu et le produit sera restitué au maître
en tant que dédommagement. Un esclave condamné par le tribunal puis lavé de tout soupçon, se
sépare de son maître ; le juge qui l’a condamné ne peut lui attribuer la liberté en tant
qu’innocenté définitivement et aucun juge ne peut changer d’avis dans une affaire, même s’il a
été rémunéré. Pour ce genre d’affaire criminelle, l’on doit faire un rapport à l’empereur.
16 Vers la même époque, marquée d’une résurgence des études juridiques, un recueil
privé, qui date probablement de 913, nous montre que pour la science juridique
byzantine la tradition du droit romain du CIC reste vivante et inaltérée. En effet, ce
recueil, l’Epitome toû nomou, dans son titre 13 (péri martyrôn euprosdektôn kai kekôlyménôn
 : de témoins admis et exclus) comportant 54 articles, renvoie à la tradition du CIC et
aux problèmes posés par les juristes au sujet de la torture judiciaire. Le rédacteur de ce
texte détaillé fait montre d’une connaissance parfaite de ses sources en la matière, le
Digeste, le Code justinien, la Novelle 90 de Justinien I er et du Procheiros nomos. Il préfigure
le traitement prolixe et complet des Basiliques rédigées vers la même période. L’Epitome
toû nomou, 13.1, renvoie directement à la N. 90 et au Procheiros Nomos, 27.1 et 2, et insiste
sur l’administration de la torture aux témoins inconnus (agnôstoi) et de basse extraction
(aphaneis). Les témoins libres et indigents (pénètes), selon ce recueil privé (13.20), et les
affranchis contre leurs patrons (13.21) ne sont pas admis comme témoins. Malgré
l’abolition législative de la quaestio des esclaves, l’ Epitome (13.29) expose
l’administration de la torture aux esclaves, en rappelant le principe classique selon
lequel l’esclave ne témoigne ni pour ni contre son maître dans les affaires de droit privé,
exception faite de l’actio tutelae. Les esclaves sont interrogés sous la torture dans les
affaires pénales, contre leurs maîtres dans les accusations pour adultère ou pour
falsification du cens ( census) et évidemment en cas de crime de majestas (kathosiôsis).
Sans que sa déposition soit prise comme un témoignage, chaque esclave peut être
interrogé à propos de ses propres actes (hyper oikeiou phaktou). Cette dernière disposition
trouvera un développement étendu dans le texte et les scholies des Basiliques (60.50.1 ;
cf. supra).
17 Le manuel juridique élaboré pour l’enseignement du droit aux princes du XI e s., par le
haut juge constantinopolitain Michel Attaliate (Ponéma nomikon, rédigé en 1073/4)
expose le droit romain dans la pure tradition du CIC, en puisant dans les Basiliques et en
exposant en détail le droit sur les preuves par témoins et les cas de torture judiciaire.
Le juge constantinopolitain, dans le ch. 35, expose le droit des Basiliques fidèlement :
35.180 (= B. 60.50.1, 1-4) ; 35.181 (= B. 60.50.1,9) ; 35.183 (= B. 60.50.21, 22) ; 35.185 (= B.
60.50.2) ; 35.186 (= B. 60.50.9,2) ; 35.187 (= B. 60.50.9,4) ; 35.188 (= B. 60.50.15,2) ; 35.190 (= 
B. 60.50.24) ; 35.191 (= B. 60.36.17) ; 35.192 (= B. 60.50.22). Michel Attaliate y renvoie à la

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théorie du droit des preuves selon le CIC en fait, sans prendre en considération la
Novelle 49 de Léon VI le Sage.
18 Il semble que face à cette situation ambiguë sur le plan de l’enseignement juridique et
de la théorie du droit, dont la source est les Basiliques avec la casuistique plus que
détaillée du droit romain, accompagnée d’une foule de scholies, dont les auteurs font
montre parfois d’une acuité d’esprit et d’un jugement critique de grande valeur, la
législation impériale et la pratique judiciaire aient adopté une attitude plus claire et
plus simple. Cette attitude trouvera son exposé le plus correct dans l’Hexabiblos
d’Harménopoulos (Hex., 1.6 : péri martyrôn). Le haut juge de Thessalonique évacue les
questions concernant la capacité des esclaves à déposer comme témoins sous la
contrainte de la torture judiciaire d'une formule lapidaire : L’esclave ne témoigne pas
(doulos ou martyrei) dans l’ Hex. 1.6.41. Néanmoins, fidèle aux précédents législatifs,
Constantin Harménopoulos accepte la torture judiciaire pour les témoins qui sont de
basse extraction ou inconnus du juge ; cf. Hex. 1.6.1. : Les témoins doivent être dignes de
confiance et dans aucun cas ne doivent être des gens du cirque, ni de basse extraction, ni sans
aucune considération sociale. Ils doivent être dignes de respect pour leur office ou leur qualité en
tant que militaires ou de leur aisance matérielle ou de leur profession. Pour les inconnus
(agnôtes) et les gens de condition obscure (aphaneis) la disposition de la loi ordonne qu’ils
soient mis à la torture judiciaire par le juge auquel ils apportent leur témoignage. Les témoins
inconnus parmi plusieurs témoins sont torturés, selon les besoins des preuves. La torture est
obligatoirement administrée en cas de crime de majestas : Hex. 1.6.12 : Tous les témoins
convoqués afin de témoigner en cas de crime de majestas (kathosiôsis) sont torturés si cela
semble nécessaire, qu’ils soient âgés de moins de quatorze ans ou plus. Les solutions
d’Harménopoulos seront désormais adaptées par les Grecs dans la pratique judiciaire
après la rédaction et la large diffusion de l’Hexabiblos, notamment pendant les longs
siècles de l’occupation ottomane.
19 Notre connaissance des modalités d’administration de la quaestio est très réduite et
nous sommes obligés de nous contenter d’émettre quelques hypothèses, conformément
aux déductions que les textes disponibles en la matière nous permettent de formuler.
Pour la longue période qui va de Justinien Ier à la chute de Constantinople en 1453, les
documents de la pratique judiciaire que nous possédons actuellement ne nous ont
conservé aucun document démontrant les modalités de la quaestio judiciaire. Il est vrai
que la documentation judiciaire byzantine concerne uniquement les quatre derniers
siècles, avec les informations fournies par la Peira d’Eustathios Romaios (XI e s.), les Actes
des institutions monastiques qui nous conservent des résolutions de divers conflits par
les juges ou par les arbitres (à partir du XIe s.), les Actes du tribunal ecclésiastique de
Démétrios Chomatianos archevêque d’Ochrid (première moitié du XIII e s.) et dans une
moindre mesure du métropolite de Naupacte (1204-1232) Jean Apokaukos, les Regestes
du patriarcat de Constantinople (1315-1402) ainsi que les testaments et les typika. À
bien chercher, dans ces documents, l’on ne trouve nulle part un cas de torture
judiciaire.
20 Nous savons que les Romains pratiquaient abondamment la torture judiciaire. Un
bourreau (carnifex) et ses aides (tortores) administraient, sous la présidence d’un
quaesitor et puis du commentariensis, la torture judiciaire aux esclaves et, à partir du II e
s., aux hommes libres indigents (humiliores). Les juges n’étaient pas présents à
l’administration de la quaestio, seulement les parties qui pouvaient interroger le
patient. Les réponses déposées dans un écrit scellé (tabella quaestionis) étaient soumises

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aux juges. Il existe une grande variété d’instruments de torture15. Il convient de


signaler que la torture judiciaire n'existe pas dans la Rome républicaine. Elle apparaît
avec l’Empire et prend une extension considérable sous le Bas-Empire, avec la
multiplication des accusations pour crimen majestatis. La torture de l'esclave du pauvre
ou/et de celui qui est déprécié socialement devient une pratique judiciaire ordinaire.
21 Contrairement au ‘jardin des supplices’ romain, pendant le Principat et le Bas-Empire
romain, périodes d’une cruauté judiciaire et pénale de rigueur et de sévérité
exceptionnelles, les sources juridiques en grec du droit romain ne mentionnent pas
l’administration de la torture au moyen de machines comme la roue (rota) ou
d'appareils à cordes, comme la fidicula pour déboîter les os et disloquer les
articulations. L’equuleius (ou eculeus), à savoir le cheval de bois, le moyen de torture le
plus répandu durant l’Antiquité tardive, et la mala mansio, ne sont pas mentionnés dans
les sources grecques du droit romain et de la législation byzantine en matière de
torture judiciaire. Pas plus que les ungulae, crochets pour déchirer les chairs de celui
qui était soumis à la torture. Les sources juridiques grecques sur la torture judiciaire
ont recours pour la désigner aux mots suivants : basanismos (torture) 16 pour exprimer le
fait de la mise à la question sous contrainte ; à une série de mots qui dénotent la
correction corporelle par coups, portés soit par le bâton (ropalon) et parfois par le verbe
ropalizesthai ou ropalois typtesthai17 ou par le fouet (mastiges ou le verbe mastigoûmai)18. Le
verbe deromai (être frappé) est aussi utilisé par les sources 19. Il est presque certain que
la contrainte corporelle était pratiquée par les Byzantins sous la forme de coups de
bâton ou de fouet. Quant à la question concernant les personnes qui administraient les
coups sur les corps des témoins examinés, nous sommes dans l’ignorance totale. Les
coups en tout cas ne sont pas portés par le juge. Ce dernier, nous l’avons vu auparavant
(N. 90.1), s’il n’était pas gouverneur et, par conséquent, ayant sous ses ordres les forces
de police ou militaires, n’assistait probablement pas à l’interrogatoire. Le gouverneur
en revanche pouvait assister à la mise à la question des témoins. Mais les résultats de
l’examen du témoin sous la torture seront en tout cas confiés à l’appréciation du juge
qui a ordonné la mise à la question. Une telle conception de la torture par coups n’a pas
rencontré d’opposition de la part des ecclésiastiques et des nomocanonistes byzantins
qui ont pourtant entre leurs mains un moyen de contrainte spirituelle plus efficace et
plus opérationnelle : les pénalités pénitentielles.
22 Cette situation de la torture judiciaire nous incite à réfléchir sur l’acculturation
juridique dont fait preuve sans conteste le fait byzantin qui adopte une casuistique
prolixe sur les personnes soumises à la torture judiciaire et sur les modalités de
l’administration de celle-ci. En dépit de la casuistique romaine, dont la validité
législative demeure intacte tout au long de l’Empire, bien que modifiée par touches
successives, il semble que seule la bastonnade ou, plutôt, la menace de bastonnade, ait
réellement subsisté comme modalité d’administration de la torture judiciaire.
23 Partie d’un droit prestigieux qui demeure à la base de la théorie du droit byzantin, car
l’Empire ne connaît d’autre droit que le droit romain qui a profondément modelé les
expressions du droit profane et du droit ecclésiastique. Considéré comme droit naturel,
le droit romain est théoriquement valable, sans que les écarts de la pratique par
rapport à la norme romaine dénoncent un reniement des institutions romaines. Un
droit immuable et en théorie valable et une pratique judiciaire qui opte pour la clarté
des solutions adoptées, en maintenant seulement quelques cas des énoncés de la
casuistique romaine.

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NOTES
1.  Sur la torture judiciaire dans le droit romain, privé et pénal, nous indiquons quelques travaux
récents : J. Ph. LÉVY, La torture dans le droit romain de la preuve, in Collatio iuris romani. Études dédiées
à Hans Ankum à l’occasion de son 65e anniversaire, I, Amsterdam, 1995, p. 241-255 ; Y. THOMAS, Les
procédures de la majesté. La torture et l’enquête depuis les julio-claudiens, in Mélanges de droit romain et
d’histoire ancienne. Hommage à la mémoire de André Magdelain, Paris, 1998, p. 477-499 ; R.  MAC MULLEN,
Judicial Savagery in the Roman Empire, in Chiron 16 (1986), p. 147-166. Nous citons aussi la thèse de
R. FASANO, La torture judiciaire en droit romain, Université de Neuchâtel – Faculté de droit et des
sciences économiques, 1997, p. 89 sq., où les textes latins sont généralement suivis des
traductions françaises. Tous les auteurs cités renvoient à la riche bibliographie antérieure.
2.  Cf. J.-P. CALLU, Le jardin des supplices au Bas-Empire, in Du châtiment dans la cité. Supplices corporels
et peine de mort dans le monde antique, Rome, 1984, p. 313-359 ; et L.  ANGLIVIEL DE LA BEAUMELLE, La
torture dans les Res Gestae d’Ammien Marcellin, in Institutions, Société et vie politique dans l’Empire
romain au IVe siècle ap. J.-C., Actes de la table ronde autour de l’œuvre d’André Chastagnol (Paris, 20-21
janvier 1989), Rome, 1992, p. 91-113 ; et les travaux déjà cités, note 1.
3.  Cf. avant tout, D.  SIMON, Untersuchungen zum justinianischen Zivilprozess, [Münchener Beiträge
zur Papyrusforschung und antiken Rechtsgeschichte. 54], Munich, 1969, p. 233 sq. Voir aussi Ch
N. FRAGISTAS, Le témoignage dans le procès civil en droit byzantin, in Recueils de la Société Jean Bodin : La
preuve (Moyen Âge et temps modernes), t. XVII (1965), p. 623 sq., qui ne parle point de la torture
judiciaire des esclaves.
4.  Cf. D. SIMON, op. cit., p. 239 sq. ; Ch. N. FRAGISTAS, op. cit., p. 628 sq.
5.  Cf. D. SIMON, p. 241 sq. ; Ch. N. FRAGISTAS, p. 626 sq.
6.  Cf. D. SIMON, p. 243 sq.
7.  Cf. M. MORABITO, Les réalités de l’esclavage d’après le Digeste, Paris, 1981, p. 236.
8.  Cf. Y. THOMAS, op. cit., p. 491 et passim.
9.  Cf. les remarques de Ch. N. FRANGISTAS, op. cit., p. 624 sq.
10.  Cf. Sp. N.  TROIANOS, Hoi pèges toû byzantinoû dikaiou, 2e ed., Athènes-Komotini, 1999, p. 71 ; et
surtout A. SCHMINCK, Studien zur mittelbyzantinischen Rechtsbüchern, [Forschungen zur byzantinischen
Rechtsgeschichte. 13],Francfort/Main, 1996 p. 1-15.
11.  Cf. Sp. N. TROIANOS, Hoi pèges, p. 176 sq. et surtout A. SCHMINCK, Studien (op. cit.), p. 55 sq.
12.  Sur les Basiliques, cf. Sp. N. TROIANOS, Hoi pèges, p. 181 sq.et surtout A. SCHMINCK, Studien (op.
cit.), p. 17-54.
13.  Cf. sur cette question le travail novateur de B.  CARDASCIA, L’apparition dans le droit des classes
d’« honestiores » et d’« humiliores », in Revue d’Hist. Du Droit, 4 e série, t. 27 (1950), p. 305-327, ibid.
t. 28 (1950), p. 434-485.
14.  Cf., pour un exposé succinct sur les principaux traits du droit sur l’interrogation de l’esclave
dans le droit romain classique, Ol. ROBINSON, Slaves and the Criminal Law, in ZSSRA, t. 98 (1981),
p. 223-227.
15.  Pour les instruments de torture à Rome sous le Haut et le Bas-Empire, cf. en dernier lieu, R. 
FASANO, La torture judiciaire en droit romain (op. cit., n. 1), p. 159-176, avec les sources et les
modalités d’administration.
16.  Le verbe basanizomai est utilisé par exemple dans les BS. 60.50.14, 1, 2 ; BS. 60.51.1,6 ; et
Harménopoulos, Hex. 1.6.1. La locution embasanôs erôtasthai par les BS. 60.37.27.
17.  Pour ropalon, cf. BS. 60.51.26 (plègè tôn ropalôn) ; et BS. 60.51.8. La locution ropalois typtesthai se
rencontre dans les BS. 60.50.14,2 ; et BS. 60.50.22. Le verbe ropalizomai se rencontre dans Attaliate,
Ponèma nomikon, 14.15 ; et Harménopoulos, Hex. 6.7.10 et 1.7.18 (comme pénalité).

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18.  Pour mastiges : BS. 60.51.15 ; et pour mastigouma : BS. 60.21.17. Pour l’acte de frapper avec le
fouet (phraggélismos), cf. BS. 60.29.1,1.
19.  Cf. BS.60.51.26, 4.

RÉSUMÉS
Étude thématique sur le développement, les conditions et la pratique de la torture dans le cadre
judiciaire à Byzance d’après les grands textes juridiques.

Thematic study on development, conditions and practice of judicial torture in Byzantium,


following major judicial texts.

AUTEUR
EVANGÉLOS KARABELIAS
Université Paris II

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L’institution de l’arbitrage dans le


droit de l’ère post-byzantine — Le
cas de l’île de Paxi
The Institution of Arbitration in Post-Byzantine Era Law – The Case of Paxi
Island

Efi Basdra

 
Cadre temporel et géographique
1 En général, on définit l’ère Post-Byzantine comme la période couvrant l’espace
temporel qui s’étend de la dissolution de l’État byzantin à la création de l’État néo-
hellénique. L’année 1453, qui est celle de la chute de Constantinople aux mains des
Ottomans, représente pour la plupart des historiens la fin de l’ère byzantine et le début
de l’ère post-byzantine. Cette borne temporelle est plutôt symbolique, à mon avis,
puisque de nombreuses régions de l’Empire byzantin avaient déjà été conquises par les
Ottomans alors que certaines autres l’ont été plus tard. Par ailleurs, de 1204 à 1453, de
nombreuses régions avaient été conquises par les Francs ou les Vénitiens ; une partie
de ces régions fut reconquise par les Byzantins pour un certain temps, certaines autres
passèrent directement sous l’emprise des Ottomans et d’autres encore, comme les Îles
Ioniennes, restèrent presque constamment sous domination vénitienne. Ceci explique
pourquoi nombreux sont ceux qui pensent1 que le début de l’ère post-byzantine ne peut
pas avoir une date commune pour l’ensemble de l’Empire byzantin. Il en va de même
pour la fin de l’ère qui, là encore de façon symbolique, est fixée à 1821, date du début de
la Guerre d’indépendance ou à 1835, date de publication du Décret de régence, avec
lequel est défini le droit qui restera en vigueur jusqu’à la rédaction du code civil : en
fait, cette date dépend pour chaque région de l’année de libération de la domination
étrangère. Une étude fragmentée de ce genre, bien qu’elle puisse être utile pour
l’examen d’un phénomène partiel ou d’une institution, est impossible à réaliser dans le
cadre d’une recherche à caractère général et dont l’étendue est limitée, comme c’est ici

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le cas. D’autre part, le matériel utilisé pour cette étude s’étend du XVIe au début du XIXe
siècle ; par conséquent la délimitation temporelle exacte de l’ère post-byzantine n’est
pas de la plus haute importance.
2 Le même problème se pose pour le cadre géographique dans lequel s’applique le droit
post-byzantin. Il est bien évidemment impossible de limiter la recherche aux frontières
de l’État hellénique actuel, mais il est également impossible de l’étendre à l’ex-Empire
ottoman. Par ailleurs, les modifications territoriales continuelles rendent pratiquement
impossible toute délimitation géographique de l’espace concerné par l’ère post-
byzantine. C’est pour cette raison que j’ai jugé utile d’inclure – du moins de façon
indicative – certaines codifications légales des royaumes riverains du Danube, dans une
tentative de présenter le sujet de la façon la plus complète possible.
3 En ce qui concerne la partie de la recherche traitant des archives notariales, j’ai décidé
de rassembler des données de la région des Îles Ioniennes et plus précisément de l’île de
Paxi. Les deux raisons qui m’ont conduite à prendre cette décision sont les suivantes :
tout d’abord parce qu’elle était occupée par les Vénitiens pendant toute la durée de
l’ère post-byzantine, cette région dispose de données abondantes, car l’institution des
notaires y était très largement répandue. D’autre part, j’ai jugé utile d’inclure dans
l’étude l’une des régions de Grèce qui n’étaient pas sous tutelle ottomane, dans l’espoir
d’aboutir à des conclusions intéressantes sur la diffusion de cette institution.
 
État général du droit durant l’ère post-byzantine
4 La dissolution du pouvoir étatique byzantin a eu pour conséquence – du moins au début
– le démantèlement de la machine judiciaire étatique. Le Droit du conquérant, comme
prévu, a tenté de remplacer non seulement le droit public, mais également une partie
du droit privé. Cependant, progressivement, on a observé une modification de ce
régime, due à deux raisons principales : d’une part du côté du pouvoir étatique une
perception différente se développe au sujet de l’administration de ses sujets asservis,
plus fragmentée et plus décentralisée certes, mais également bien plus favorable et
efficace que l’existence d’un organe central inflexible, moyen probablement inadéquat
pour la gestion d’une entité étatique aussi vaste2. D’autre part, les diverses nationalités,
par suite de leur violente soumission à la domination ottomane, après une première
phase d’adaptation aux nouvelles données – phase sur laquelle nous disposons du
moins d’éléments – ont commencé à se replier autour de divers noyaux idéologiques ou
effectifs3, dans le but de conserver autant que possible leurs particularités. C’est à ce
moment que l’Église a été invitée à jouer un rôle essentiel dans la reconstitution du
système judiciaire.
5 L’une des premières actions de Mehmet II fut la concession de privilèges religieux,
administratifs et judiciaires aux peuples dits « de la Bible » qui vivaient sur son
territoire, même s’ils ne se rendaient pas toujours de leur propre chef comme le veut la
Loi Sainte mais au contraire, en général, étaient soumis par la force. Le principal
organe de ces privilèges, en ce qui concerne les orthodoxes, fut le patriarcat de
Constantinople, auquel fut tout d’abord confié le rôle d’une sorte de pouvoir central
pour ce qui concernait ses ouailles. Le choix d’appliquer la tolérance religieuse via le
pouvoir central n’était pas du tout fortuit. Elle servait la politique de la Porte qui avait

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pour ambition de créer par ce biais un organisme administratif susceptible de servir


d’autres buts au-delà de la gestion efficace des questions spirituelles des chrétiens 4.
6 En ce qui concerne plus particulièrement les compétences judiciaires, il fut accepté
pratiquement dès le début que les chrétiens puissent s’adresser à leur prélat pour tous
les cas « civils » liés à leur religion, c’est-à-dire les sujets liés au mariage et aux
héritages. Un peu plus tard, la compétence du tribunal du synode du patriarcat pour
connaître les différends de nature civile qui resurgissaient des relations entre les
cadres de l’Église a été reconnue formellement ou tacitement. Quand avec le temps,
l’institution fut également soumise au système de droit civil de l’Empire ottoman, avec
la responsabilité de la collecte des impôts, elle obtint un pouvoir encore plus important
et par voie de conséquence, les fondements légaux pour l’élargissement de ses
compétences. Dans ces conditions, l’Église parvint à élargir progressivement son champ
de compétence et ce malgré les différences du droit familial. C’est ainsi que nous
obtenons la mise en jugement primaire des divergences par les tribunaux
ecclésiastiques locaux et secondaires par le patriarche et le Saint Synode de
Constantinople5. Le droit appliqué par ces tribunaux était le droit byzantin, droit tel
qu’il s’était formé vers la fin de l’Empire Byzantin, l’Église s’étant chargée de sa
préservation et de son application.
7 Cependant, au fil du temps, un système imparfait de droit populaire se développa,
réglant les relations entre personnes asservies en vigueur dans la plus grande partie du
territoire grec parallèlement au droit des conquérants et au droit byzantin
qu’appliquait le clergé pour rendre justice. Son développement est facilité par la
prospérité des communautés grecques qui constituent les noyaux de sa formation et de
son application, ce qui explique pourquoi ce droit coutumier n’est pas homogène.
L’institution de l’arbitrage constitue une expression de l’administration autonome de la
communauté dans le domaine de la justice et un instrument de l’application pratique
du droit coutumier.
 
La place de l’institution de l’arbitrage dans le régime
légal de l’ère post-byzantine
8 L’arbitrage est le terme technique utilisé pour dénommer l’une des institutions
judiciaires les plus anciennes dont la présence est ininterrompue dans l’histoire du
droit grec, durant l’ère byzantine et post-byzantine. En général, cette institution a pour
caractéristique l’acceptation volontaire, de la part des parties, du jugement d’un tiers
choisi en commun pour leur différend, avec un consentement préalable, en général
écrit, sur l’acceptation de la décision des arbitres et la renonciation au droit de faire
appel.
9 L’institution des juges-arbitres, répandue dans le droit grec ancien puis romain, est
également conservée dans le système judiciaire de l’État byzantin. Dès la première
moitié du XIIIe siècle, il existe des témoignages de l’existence d’arbitres représentants
des serfs, instruments qui, d’un certain point de vue, exercent des fonctions judiciaires
et ont compétence pour résoudre les différends fonciers entre serfs. Il existe également
des témoignages du fonctionnement de tribunaux populaires, composés non pas de
fonctionnaires de l’ordre judiciaire mais de juges nommés par les parties, pouvant,
dans leurs décisions, appliquer le droit coutumier, ce qui revient à la concession d’une

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forme d’autonomie judiciaire avec un privilège relatif de l’Empereur. L’institution est


reconnue par la législation officielle (Nov. 82 Justinien, an 539, ch. 11, Bas. 7,2,
Hexabiblos, 1,4,47-67) et des références au jugement d’arbitres se rencontrent jusqu’à
l’époque des Paléologues6.
10 Au sein du régime légal pluraliste de l’ère post-byzantine, l’arbitrage paraît avoir
constitué l’un des principaux moyens de résolution, pour une partie du moins, des
différends privés. La définition de l’arbitrage donnée dans l’un des textes légaux de
l’époque, le Bactèria Archiéréôn (« Bâton des Prélats » : outil dont ils se servaient pour
juger)7 (Nomocanon du XVIIe siècle (1645), dont nous savons qu’il était utilisé durant l’ère
post-byzantine et sur lequel nous reviendrons plus longuement ultérieurement), peut
contribuer à une meilleure compréhension de la singularité du régime judiciaire de
l’époque et du caractère répandu de l’institution dans ce cadre. Dans le chapitre  XXI
intitulé « À propos des arbitres désignés par deux contestants pour qu’ils les jugent »,
nous lisons :
L’arbitre est choisi comme suit : moi et toi, nous avons besoin d’un jugement et
nous n’aimons ni le jugement du métropolite (archevêque), ni celui du juge civil
(magistrat), ni celui du roi, ou celui du patriarche, nous décidons alors qu’un de nos
pairs nous juge. Et nous en chargeons un homme, nous lui disons « nous avons cette
affaire, et nous ferons ce que tu nous diras de faire ». Il est arbitre et suivant le
canon 91 du Synode de Carthagène, toute décision prise par l’arbitre, qu’elle soit
juste ou non, ne peut être changée par personne, pas même par le patriarche ou le
roi…
11 De cette disposition il ressort tout d’abord que l’institution conserve en grande partie
les caractéristiques de la procédure habituelle d’arbitrage. L’élément particulier, dans
ce cas précis, (caractéristique de la situation du droit de l’ère post-byzantine), est que, à
l’intérieur de cette disposition est exprimée clairement la coexistence de nombreux
systèmes judiciaires et par conséquent des organes judiciaires leur correspondant,
puisque le rédacteur mentionne le jugement des autorités judiciaires du clergé et du
juge civil (apparemment du cadi). D’autre part, la même disposition fait part de la
possibilité de recourir à celle de ces autorités jugée la plus convenable. C’est donc
probablement à l’intérieur mais également à cause de ce climat que l’institution de
l’arbitrage a pu trouver les fondements nécessaires à son développement en tant que
procédure simple et facile à appliquer, et pour ainsi dire crédible car, même si en tant
qu’arbitraire, sa décision n’avait pas la possibilité formelle d’exécution obligatoire, les
parties s’engageaient de leur propre chef et au préalable à la respecter. Ceci, dans le
cadre social restreint de la communauté, devait avoir un poids moral particulier.
12 Il pourrait être utile d’examiner les raisons pour lesquelles, alors que, comme nous
l’avons déjà mentionné, durant l’ère post-byzantine, trois systèmes judiciaires
différents coexistaient, (chacun ayant pour but de résoudre les différends en accord
avec la règlementation qu’il prévoyait), la clause générale de l’arbitrage, et plus
généralement peut-être les procédures de résolution extrajudiciaires des différends
sont protégées ou tolérées par tous.
13 En ce qui concerne le droit coutumier ou civil ou populaire, les raisons sont évidentes.
Les hommes résolvent leur différend au sein de la communauté facilement, à moindre
coût et surtout, selon ce qui, à leur avis, est juste. En d’autres termes, il s’agit d’une
institution qui, hormis le fait qu’elle était plus abordable de façon pratique et
économique et plus facilement applicable que les autres, leur permettait également de
régler d’une façon autonome leur comportement. En ce sens, l’institution constitue une

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expression de l’autonomie de la communauté. D’ailleurs, les tribunaux turcs étaient peu


crédibles, puisque le verdict dépendait en grande partie de l’arbitraire et du degré
d’avidité du cadi, et l’Église interdisait d’y recourir, sous peine d'« exoecclesiasmos » 8 et
d’excommunication. Quant aux tribunaux de l’Église, probablement à cause de leurs
peines austères et de leur obsession à appliquer le droit byzantin, souvent sans tenir
compte des coutumes locales, ils apparaissent de moins en moins populaires auprès du
peuple au cours des derniers siècles de la domination turque 9.
14 En ce qui concerne le droit étatique ottoman, la possibilité de résoudre les différends de
façon extrajudiciaire est accordée relativement tôt avec des privilèges aux
ressortissants asservis. Mentionnons à titre d’exemple le Ahtinamé du sultan Mourat III,
pour les îles de Naxos, Andros, Paros, Santorin, Milo et Syros en 1580 :
en cas de différend entre eux et s’ils désirent de leur propre chef trouver des
spécialistes lettrés pour les concilier selon leurs coutumes, les juges ne peuvent pas
les empêcher de faire ce qui a été décidé, mais ils doivent le protéger et le
confirmer10
15 De même pour le berat de Léontios de Larissa, en 1603 :
… pour les accords, les désaccords et les jugements, quand deux serfs se mettent
d’accord entre eux de leur propre chef… les cadis et les naipis ne peuvent pas
contester (les accords, désaccords et jugements) ni s’en mêler 11.
16 On a également une situation similaire avec le Ahtinamé du sultan Ibrahim en 1620 :
… et s’ils se disputent entre eux et qu’ils engagent une personne désignée pour les
départager, tout ce que cette personne décide doit être respecté par mes cadis et ils
ne doivent pas se mêler de ces accords12.
17 À mon avis, ceci fut fait dans un but politique : la limitation de facto des tentatives de
l’Église d’élargir l’étendue de ses compétences. Le fondement théorique de cette
conception pourrait se trouver dans le droit d’immunité de juridiction pour les sujets
infidèles du sultan prévu par le Coran13, droit qui, du moins pendant les premiers temps
a été peu exercé et surtout par les tribunaux de l’Église14, et dans une moindre mesure
par l’arbitrage et les particuliers.
18 Le règlement extrajudiciaire des différends pourrait être considéré comme avantageux
également par rapport au droit grec officiel, exprimé et appliqué par l’Église et ses
tribunaux, parce que de cette façon, le danger que les parties adverses aient recours au
pouvoir turc est évité jusqu’à un certain point. Par ailleurs, il s’agit d’une institution
prévue par le droit byzantin et qui n’est donc pas contraire à ses conceptions générales
en matière de droit. L’institution de l’arbitrage jette une sorte de pont entre le droit
officiel de l’Église et le droit coutumier, dans le sens où l’intégration et l’application des
coutumes locales dans le cadre du système de procédure légale du système judiciaire
officiel devient ainsi possible. Le fait que cette institution soit prévue par la plupart des
textes légaux de l’époque plaide en faveur de cette conclusion.

Les textes légaux


19 Quels sont donc ces textes légaux ? Nous savons que l’Hexabiblos de Constantin
Harménopoulos fut en vigueur durant presque toute la durée de l’Empire ottoman, soit
directement soit en tant que texte de référence. Cependant, on accepte aujourd’hui
l’opinion15 selon laquelle ce n’est pas le seul manuel sur la base duquel la justice était
rendue à cette époque. Le grand nombre de recueils manuscrits de compilations, de

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Nomimae et de Nomocanons témoigne du fait que tous ceux qui rendaient la justice à
cette époque utilisaient tout recueil nomocanonique disponible et que souvent ces
recueils étaient rédigés pour l’usage personnel du rédacteur ou de son entourage.
Théophile, évêque de Campanie, écrit à propos de l’utilisation de son Nomicon : « ceux
qui veulent apprendre le droit peuvent lire les prototypes des Lois… ceux qui connaissent peu le
grec et le droit civil, pour obtenir des renseignements nécessaires et utiles, peuvent étudier
attentivement ce Nomicon bref et simple ». La rédaction de ces Nomocanons constituait par
ailleurs la seule manifestation de la science du droit dans l’Empire ottoman, du moins
en ce qui concerne l’espace correspondant à la Grèce contemporaine.
20 Du point de vue de la « manuscriptologie », ils se rangent dans la catégorie des
manuscrits qui comprennent une vaste série de chapitres indépendants. Leur structure
est comparable à celle des recueils de sentences des seigneurs du désert, c’est-à-dire les
Gérontika, les Iatrosofia et les codes qui comprennent des textes de sciences naturelles et
des commandements moraux. Ils appartiennent également à la catégorie des livres à
usage direct, les manuels, contrairement à ceux qui comprennent de vastes traités, des
compositions littéraires ou des textes liturgiques.
21 Il est impossible dans la pratique d’examiner les textes de tous les Nomocanons de
l’époque. Nous nous limiterons donc à examiner la façon dont les plus importants
d’entre eux abordent légalement l’institution de l’arbitrage.
22 L’un des Nomocanons les plus importants a été rédigé par Manuel Malaxos, notaire de
Nauplie et, comme l’écrit. Sgoutas dans l’édition du Nomocanon, un homme qui avait
une grande estime envers le droit. Le recueil a été écrit en 1562 à Thèbes, tout d’abord
dans une langue littéraire et un peu plus tard réécrit par le même auteur en « langue
simplifiée ». Parmi ses sources16, en matière de droit civil, on compte l’Ecloga
Basilicorum, et l’Hexabiblos. Ce recueil a été largement utilisé, comme en témoigne le
grand nombre d’exemplaires. Un seul chapitre dans ce nomocanon, le 221 17, renvoie à la
résolution extrajudiciaire des différends. Il porte le titre général : Des décisions des
arbitres et des pactes.
23 Sur l’arbitrage en particulier, le rédacteur se limite aux points suivants :
1. La décision des arbitres, juste ou injuste, est assurée (Harménopoulos).
2. Le verdict des arbitres ne peut pas être jugé dans d’autres tribunaux

24 La façon succincte de Malaxos d’envisager une institution aussi importante est


impressionnante, surtout si nous tenons compte du fait que cela tranche avec son
habituelle prolixité. Sa position est peut-être due au fait qu’il ne pouvait évidemment
pas ignorer complètement une institution qui, dans la réalité, existait et était
appliquée, mais à laquelle il ne désirait cependant pas accorder une importance
particulière, car ceci l’aurait obligé à aller à l’encontre de la politique de l’Église,
(l’élargissement du champ de ses compétences en matière de différends privés 18,
comme nous l’avons dit). Une autre explication peut résider dans le fait que Malaxos
insiste particulièrement sur les dispositions du droit familial, domaine par excellence
des tribunaux de l’Église ; en aucun cas les différends familiaux ne pouvaient faire
l’objet d’un arbitrage19.
25 Ces deux articles, formulés de façon presque identique, se trouvent dans de nombreux
autres recueils de ce genre. Une recherche a révélé des données provenant de quatre
manuscrits, numérotés 532, 533, 534 et 535 à la bibliothèque du Monastère de Saint-
Jean-le-Théologien à Patmos20. Il s’agit, selon le catalogue de Sakkélion d’œuvres

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d’anonymes du XVIIe siècle qui correspondent seulement à une partie de la collection en


fait très grande de nomocanons de la bibliothèque. Les ordonnances sur les arbitrages
se trouvent sous le titre : Des arbitres, ou Des décision des arbitres et dans un cas Des
décisions des arbitres et des pactes. En marge des articles on note des renvois à la première
ordonnance (La décision des arbitres, juste ou injuste, est assurée) chez Harménopoulos et à
la seconde (Le verdict des arbitres ne peut pas être jugé dans d’autres tribunaux) chez
Blastarès.
26 Un autre Nomocanon important de l’époque, qui n’est cependant pas très répandu, si
on compare avec le nombre relativement peu élevé de manuscrits où il se trouve, est le
Bâton des Prélats. Cet ouvrage a été rédigé en 1645 par le moine Jacob, archimandrite et
consul de Jannina. Le texte, tel que je l’ai vu dans le manuscrit 1373 de la Bibliothèque
Nationale de Grèce, commence par la définition déjà connue de l’arbitre 21. Il dit que
lorsque deux particuliers ont un différend et qu’ils ne veulent être jugés ni par le
tribunal de l’Église ni par le tribunal civil, ils ont la possibilité de nommer un homme
digne de confiance pour lui confier la résolution du différend. Pour confirmer ses dires,
le rédacteur évoque le 96e canon du synode de Carthage 22, qui prévoit que personne,
pas même le patriarche ou le roi, ne peut annuler les décisions prises par l’arbitre.
27 La fréquence avec laquelle le rédacteur juge important de rappeler que le jugement de
l’arbitre est sûr et personne ne peut le changer est impressionnante. Des références
pertinentes formulées de façon similaire sont répétées dans de nombreux passages du
texte. Le seul cas où il est prévu de revoir le verdict de l’arbitre est celui où il est prouvé
que l’arbitre a été partial envers l’une ou l’autre des parties et que, en raison d’amitié où
d’hostilité il a été injuste. Dans ce cas, la décision de l’arbitre est revue. C’est ce que recommande
le cent vingt deuxième article de la Règle du synode de Carthage, et les contrevenants sont
excommuniés23. Le tribunal d’arbitrage ressemble au tribunal royal et il est précisé que tous
les contrevenants à la décision… sont punis ou reçoivent une amende. En cas de dissension
entre les deux arbitres de départ il est prévu d’en choisir un troisième, le verdict était
alors rendu à la majorité. Le serment des parties n’est pas considéré comme une
garantie suffisante pour le respect du verdict, c’est la raison pour laquelle il est
insuffisant pour la convocation du tribunal. Il faut décider au préalable d’un montant
qui devra être versé par la partie qui ne se conformera pas au verdict. L’arbitrage n’est
pas possible avec le seul l’accord des parties… ils doivent également promettre que celui qui ne se
conformera pas à l’arbitrage devra payer une certaine somme, par exemple 100 florins etc. Il
n’est pas précisé si la fixation du montant et le consentement des parties à se
conformer au verdict doivent être effectués par écrit. En ce qui concerne l’objet d’un
arbitrage, le rédacteur le détermine de façon indirecte, c’est-à-dire en précisant ce qui
ne relève pas de ses compétences : L’arbitre ne peut pas juger les affaires de perte d’honneur,
de libération de prisonniers, d’orphelins, ou les crimes (cet extrait n’est autre qu’une
paraphrase libre du frg. 63, livre I, Hexabiblos). Le chapitre se conclut sur ces articles : La
décision des arbitres, juste ou injuste, est assurée et Le verdict des arbitres ne peut pas être jugé
dans d’autres tribunaux.

28 Le rédacteur anonyme du Nomocritirion du XVIIe siècle – qui figure dans le manuscrit


2764 de la Bibliothèque Nationale de Grèce, mais a également été transcrit par
D. Ghinis24 – puise dans le Bâton, en conservant une formulation pratiquement
identique. Bien plus concis, il se borne à définir l’arbitre, la menace d’excommunication
pour tous ceux qui ne se conforment pas au verdict, l’élection d’un troisième arbitre en

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cas de dissension et la fixation de la peine (monétaire ou physique) en cas de non


respect.
29 Le Bâton des Prélats, le Nomocanon de Malaxos avec l’Hexabiblos, le Syntagma de Matthieu
Blastarès, les Institutes de Théophile et le Nomicon de Psellos ont constitué, entre autres,
les sources du Nomicon de Théophile de Jannina 25. L’évêque juriste de Campanie et élève
d’Eugène Boulgaris dédie un chapitre assez long de son recueil à l’institution des
arbitres ; il paraît considérer cette institution comme un moyen facile et pratique
principalement pour résoudre les différends qui surgissent dans le cadre des
corporations et des collaborations commerciales ou professionnelles. Il propose donc
de nommer comme arbitre des personnes du même corps de métier, pour qu’elles en
aient une bonne connaissance et que leur verdict soit plus juste. Cette pensée… et trouver
les arbitres est très avantageux et facilite l’identification et la résolution de chaque ambivalence
et de chaque confusion… Théophile, selon sa méthode de prédilection, présente au début
de l’ordonnance tout ce qui était en vigueur dans le droit byzantin puis y ajoute
l’évolution de l’institution en question à son époque. Ainsi, le nouvel élément est
l’intervention du clergé pour le choix des arbitres et la lettre du Synode de l’Église, par
lequel ils sont élus. Nous lisons dans le premier article du chapitre en question : (… c’est
pourquoi sur l’avis et avec la permission de l’arbitre et maintenant du prélat et du clergé et la
volonté des deux parties, des personnes expérimentées sont choisies par les parties, soit une par
partie, soit deux. Et par lettre du synode de l’Église sont élus les arbitres et ceux qui les ont
désignés promettent de se conformer à leur décision et ils leur rendent compte de l’affaire,
présentent leurs arguments puis disparaissent du lieu où les arbitres délibèrent et réfléchissent
sur l’affaire, par Dieu, en conscience).
30 Le rédacteur est conforme en général à l’esprit des écrits d’Harménopoulos. Du point de
vue des procédures, il fixe l’obligation de respect du verdict des juges par les parties
adverses, le caractère irréversible du verdict, la somme d’argent à verser en cas de non
respect du verdict ainsi que la rédaction préalable de la lettre de compromis
(compromessum).
31 L’arbitre n’est pas le simple médiateur d’une dispute et sa nomination est obligatoire
ainsi que l’acceptation de cette nomination afin de convoquer le tribunal d’arbitrage 26.
Les verdicts erronés sont irréversibles car (l’arbitre)… cesse d’en être un dès le moment où
il rend son verdict. La compétence juridique de l’arbitre se limite donc à la mise en
jugement de cas précis et cesse avec la publication du verdict. Par ailleurs, on n’attend
pas d’un arbitre qu’il connaisse les lois civiles, et ainsi, avec le choix de la procédure et
d’une personne particulière en tant qu’arbitre, les parties prennent en charge une
partie de la responsabilité du verdict. Comme l’enseigne Harménopoulos de façon
claire : celui qui a choisi l’arbitre… n’a que lui-même à blâmer, puisque l’arbitre ne connaît rien
aux lois.
32 L’importance de l’efficacité et de la ponctualité des arbitres et plus généralement de
tous les juges est soulignée avec la narration d’un cas d’arbitrage sur lequel le narrateur
clôt le chapitre :
Une femme de sénateur appelée Juvénale est allée voir le roi de Rome Théodoric, et
elle dit que depuis trois ans elle attend la décision des arbitres sur son l’affaire qui
l’oppose au patricien Formius. Dieu ait pitié, aide-moi. Le roi a convoqué les juges et
leur a ordonné de rendre leur verdict le lendemain ; c’est ce qu’ils firent et
rendirent un jugement en faveur de la femme. Cette dernière, Juvénale, ayant
obtenu raison, alluma des cierges et alla remercier le roi. Le roi appela alors les
arbitres et leur demanda : comment se fait-il qu’en deux jours vous ayez rendu

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justice, alors que vous ne l’aviez pas fait en trois ans ? Et il les fit décapiter et tous
les arbitres prirent peur. Les arbitres et les juges en général ne doivent pas oublier
de rendre justice. Car tout juge n’est autre qu’un véritable défenseur de la justice.
Par conséquent, s’il ne rend pas justice, il devient injuste et digne de la peine de
mort27.
33 Alors que ces événements se déroulent en Grèce et dans les régions qui bordent le
Danube, au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, une activité législative importante se
développe, activité très influencée par le droit byzantin. Comme le rapporte P. Zépos
dans l’Introduction du 8e tome du Ius Graecoromanum : « Force nous est d’admettre que,
à part l’expansion terrestre, le droit byzantin étant parfaitement rédigé, a remonté le
Danube et affecté les pays qui le bordent, comme les autres aspects de la civilisation
byzantine, la langue, les mœurs, les mythes et les légendes etc. » Judiciairement mais
également du point de vue de la méthodologie et de la classification du matériel, les
œuvres codifiantes rédigées dans les régions riveraines du Danube présentent de
grandes différences par rapport aux textes que nous avons examinés jusqu’ici.
Néanmoins, l’institution de l’arbitrage est présente dans un certain nombre de ces
textes28.
34 Chronologiquement, le premier de ces codes des phanariotes est le Nomikon Procheiron
(Tentative Juridique) de M. Fotinopoulos. Il a été rédigé à Bucarest en 1765 par
M. Fotinopoulos, homme de lettres à la grande renommée, originaire de Chio et anobli à
la cour des rois de Valachie. Ses sources incluent les Basiliques, le Syntagma de Blastarès,
l’Hexabiblos, les Novelles impériales, des ordonnances de droit canonique et leurs
interprétations, ainsi que des coutumes locales, c’est-à-dire le droit coutumier local 29.
35 Le chapitre IX (livre VII, titre b) correspond à l’institution des arbitres. L’auteur donne à
l’arbitrage la même valeur qu’à n’importe quel autre critère « civil », et plus
précisément avec deux ordonnances différentes du même chapitre, la 1 re et la 14e, avec
pour justification la fin des jugements avec verdict. Il lui donne un prestige encore plus
grand avec la 7e ordonnance, où l’abandon par l’une des parties du critère d’arbitre et
son recours à un autre critère d’arbitre est défini comme une impertinence et
l’« impertinent » est passible de peine. Une amende ou une peine, financière ou en
gage, sont définies lors de la constitution du critère, dans le but de garantir le respect
du verdict qui sera prononcé. La 27e ordonnance va dans le même sens : elle prévoit la
rédaction d’un pacte (compromis) qui prévoit également la peine (punition) à laquelle
sera condamné celui qui ne se conformera pas au verdict. Avant l’exécution de cette
peine les arbitres ne sont pas obligés de rendre leur verdict. La 3 e ordonnance est
intéressante car l’arbitre y est distingué de celui qui se mêle simplement d’une affaire et
tente, en donnant des conseils, de résoudre les différends. Un délai est prévu pour la
publication du verdict des arbitres, délai pouvant être prorogé s’il y a une raison, ainsi
qu’un délai pour l’application du verdict. En cas d’injustice, la partie désavantagée a la
possibilité de faire appel à un autre tribunal arbitral qui juge de nouveau l’affaire. Une
révision du verdict est prévue également dans les cas où il est prouvé qu’il existe une
hostilité très claire entre «l’arbitré» et l’arbitre. En ce qui concerne le droit appliqué, le
rédacteur est clair : l’arbitre décide ce qui lui paraît logique, le président des arbitres n’a pas le
pouvoir d’examiner et de retarder leur décision, quelle qu’elle soit, juste ou injuste. Dans le cas
où deux arbitres sont en désaccord, on en élit un troisième. Dans ce cas, la décision
prise est celle de la majorité, à condition que soient présents les trois arbitres. En ce qui

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concerne les conditions nécessaires pour être nommé arbitre, le rédacteur précise :
peut devenir juge arbitre le noble comme l’homme libéré, méchant et gentil, même esclave.
Cependant, les mineurs, les fous, les sourds, les muets ne deviennent pas arbitres, et dans une
autre ordonnance les personnes âgées de moins de vingt ans ne deviennent pas arbitres, car la
loi ne les oblige pas à prendre des décisions. Si au cours d’un arbitrage, l’un des arbitres
devient prêtre ou prélat, il n’est pas obligé de rendre son verdict ; ce qui est différent
des cas dont il se chargera une fois qu’il le sera devenu. Par conséquent, il n’y a pas
d’incompatibilité entre les fonctions religieuses et celles d’arbitre. Le chapitre se
termine avec les ordonnances qui renvoient au caractère irrévocable du verdict du
tribunal des arbitres. Plus précisément, il est dit : (29) le tribunal des arbitres est
irrévocable, ses décisions ne sont pas remises en question. (30) Le verdict de l’arbitre ne peut être
examiné, même par le seigneur, il reste tel quel et ne peut être renversé, même sur ordre du
seigneur.
36 Dans le Code Civil de la Principauté de Moldavie, rédigé, sur ordre du souverain Scarlate
Alexandre Callimaque, en 1817, par Anania Kouzano et le Transylvain Christian
Flechtenmacher30, dans la troisième partie du chapitre II, l’article 1828 établit que :
Les deux parties peuvent non seulement se concilier entre elles en ce qui concerne
leur différend, elles peuvent également confier d’un commun accord à des tiers la
décision sur leur affaire, c’est ainsi qu’a lieu l’arbitrage.
37 L’arbitre est également appelé Diagnomon ou Diaetitis (Arbitre) dans le cas où il est élu
par écrit mais sans amende et Compromissarios quand il est élu avec amende, amende
également appelée compromis. En général, les personnes incapables de convention (art.
1156-1159 du Code) ne peuvent pas devenir arbitre et surtout les personnes âgées de moins
de vingt ans, ainsi que le juge régulier pour les cas qu’il préside lui-même. L’arbitre d’un cas
ne peut par la suite devenir président pour ce même cas. Les juges civils peuvent par
conséquent être élus comme arbitres. Le parrainage pour arbitrage n’est bien sûr pas
obligatoire, mais dès l’instant où il est nommé, l’arbitre ne peut pas démissionner sans
une raison légitime. Les raisons considérées comme légitimes sont définies dans un
renvoi : a) si une des parties l’a insulté, ou a commis un crime contre lui, b) si les deux parties
ont éprouvé du dédain à son encontre et sont allées trouver un autre arbitre puis sont revenues à
lui, c) s’il a une maladie ou une autre souffrance chronique ; pour les autres maladies, il a le droit
de reporter la décision même sans l’accord d’une des parties, d) s’il est obligé de s’occuper d’une
affaire urgente le concernant ou d’émigrer pour une fonction soit personnelle soit publique et
enfin e) s’il devient prêtre ou prélat. La décision est prise à la majorité sous condition de
quorum des membres au moment où la décision est prise, et si chaque arbitre a sa
propre opinion les parties ne sont pas obligées d’en respecter une plus qu’une autre. En
ce qui concerne le droit de faire appel, ce code précis est différent des autres. Il prévoit
deux cas : si les membres ont renoncé formellement dans le document au droit de faire
appel, ils sont obligés de se conformer au verdict et ne peuvent pas recourir au tribunal
compétent, sous aucun prétexte ou cause, sauf sous prétexte de dol. En cas de dol, si les
arbitres sont membres du clergé, auquel cas leur décision ne peut être discutée sous aucune
raison. Cependant, en l’absence de renoncement formel, l’affaire peut être renvoyée par
la partie mécontente devant le tribunal compétent dans les dix jours qui suivent, pour
un nouvel examen de l’affaire. Quand l’accord prévoit un compromis et que l’une des
parties décide de recourir au tribunal compétent, elle est obligée de verser l’amende,
dans la mesure où il n’y a pas eu de dol de la part de l’autre partie. Le compromis cesse :
a) par accord des deux parties, b) en cas de décès de l’arbitre, avant que la décision ne soit prise,
c) en cas de décès de l’une des parties avant que la décision ne soit prise sauf en cas d’accord

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contraire, d) si la décision n’est pas rendue avant la date limite fixée et qu’il n’y a pas d’autre
date limite, avec l’accord des deux parties, e) s’il est prouvé que l’une des parties est coupable de
dol, f) si la décision de l’arbitre est rendue, g) si l’une des parties devient insolvable et enfin h) si
l’objet de l’arbitrage est perdu.
38 L’année suivante, le Code de Valachie31 est rédigé à Bucarest par Athanase Christopoulos,
Grand Juriste durant le règne de Jean Karatzas en Valachie.
39 C’est l’un des rares textes à définir très clairement l’objet de l’arbitrage : chaque
désaccord, sauf pour le divorce, la dot, la tutelle et l’héritage, peut également être jugé
par arbitrage. En revanche, les affaires criminelles ne peuvent être jugées par arbitrage.
En ce qui concerne les conditions préalables à l’élection de l’arbitre il est précisé que :
chacun peut devenir arbitre, sauf les femmes, les mineurs, les fous et les personnes
condamnées publiquement. L’accord est toujours contracté par écrit et la procédure
débute officiellement avec la remise du contrat aux arbitres. A partir de ce moment, il
est impossible de se rétracter. L’accord sur la peine en cas de non respect est ici
facultatif. La compétence judiciaire des arbitres se limite à l’affaire qui leur est confiée
et leur pouvoir cesse avec la publication du verdict qui est irréversible et non
modifiable, sauf en cas d’erreur dans les nombres ou la numérotation. L’arbitre est
obligé de publier un verdict sauf s’il est déshonoré par les parties, ou s’il compte partir
ou devenir fonctionnaire, ou s’il a une maladie incurable, ou s’il prouve qu’une affaire
inévitable l’en empêche. Dans tous les autres cas, s’il évite d’effectuer son devoir, les
autorités doivent l’y obliger. La décision est prise à la majorité et le quorum des
arbitres est obligatoire ; en cas de désaccord, sans que soit nécessaire l’accord préalable
des parties on fait appel à un troisième arbitre, dont l’avis s’impose tant aux «arbitrés»
qu’aux arbitres. La décision des arbitres est irréversible, mais certains cas d’annulation
sont prévus : quand l’affaire n’est pas jugée par arbitrage, quand un arbitre est nommé
alors qu’il ne peut l’être, quand les parties avant ou pendant le début du jugement se
mettent d’accord, si un arbitre démissionne ou décède et qu’un remplaçant n’est pas
nommé par les parties et quand une des parties décède.
40 Le renvoi aux textes légaux ci-dessus, qui d’une part couvrent un espace temporel de
trois siècles environ et un espace géographique assez étendu – et qui malgré tout
demeurent très représentatifs – permet de conclure, sans aucun doute à mon avis, que
l’institution est prévue dans presque toutes les codifications légales importantes. On
observe quelques variations dans la formulation et dans les conditions de composition,
mais l’objet des arbitrages demeure constant ainsi que, surtout, les caractéristiques de
base de l’arbitrage, à savoir la soumission volontaire de l’affaire à une personne choisie
en commun, le caractère irrévocable du verdict et l’engagement à respecter cette
décision.
 
Les documents notariaux — le cas de Paxi
41 I. Visvizis32 a soutenu que l’histoire du droit post-byzantin est presque entièrement
répertoriée dans les textes légaux de l’époque. Même si cette opinion paraît extrême, le
fait est que les archives notariales constituent une source de renseignements
inestimable sur l’histoire des lieux. Elles contiennent des renseignements qui
concernent le droit en vigueur dans la région, ainsi que des éléments relatifs à
l’organisation politique, ecclésiastique et judiciaire des lieux et on y trouve la
conscience collective des habitants en matière de justice.

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42 Il existe une multitude d’archives notariales dans les régions sous domination
occidentale et surtout vénitienne. Parmi les royaumes occidentaux qui avaient des
possessions dans l’Empire byzantin, seule Venise constituait un État organisé. Les
autres souverains étaient soit mandataires de divers grands suzerains ou des suzerains
inférieurs ou encore des aventuriers militaires isolés, en provenance de divers
royaumes d’Europe occidentale.
43 La façon dont les Vénitiens choisissaient d’administrer chaque région dominée n’était
pas uniforme, mais provenait à chaque fois de l’évaluation des conditions locales. Il en
allait de même avec le droit. En particulier dans les régions qu’ils désiraient beaucoup
garder, ils installaient des colons vénitiens et fondaient un système d’administration
complet avec des employés vénitiens, de façon à être prêts à appliquer la législation
vénitienne importée, avec leurs juges et leurs notaires en exerçant un contrôle total sur
les autorités et les services publics. C’est la raison pour laquelle un service de l’État
rédigeait et conservait les archives des actes notariaux, ce qui sans aucun doute a
contribué à une meilleure organisation et à une conservation plus sûre .
44 Le droit déterminé par les Vénitiens pour les Grecs conquis correspond-il à celui qui fut
appliqué dans la réalité ? Il est très difficile de donner une réponse complète à cette
question. Plus particulièrement en ce qui concerne l’arbitrage, il est connu que cette
institution était prévue par le droit officiel. Dans les Statuta Veneta 33, il est déterminé
que l’arbitrage a lieu sur accord des parties, que les arbitres décident selon leur
conscience irréversiblement et que le verdict est publié par le notaire. Nous allons voir
que la pratique telle que l’ont consignée les notaires de l’époque ne s’éloigne pas de
cette position officielle, ce qui ne répond tout de même pas complètement à la
question, puisqu’il est, à mon avis, impossible de déclarer avec certitude si la pratique
traditionnelle est passée dans la législation officielle ou si c’est l’inverse qui a eu lieu 34.
45 L’île de Paxi, région où nous allons examiner l’évolution de l’institution de l’arbitrage
avec pour « matière première » les actes notariaux, est passée sous la domination des
Vénitiens dès le XIVe siècle, tout comme les autres Îles Ioniennes. En 1381 elle devient le
fief de la famille De Sancto Ippolito, jusqu’en 1513 où elle passe aux mains de la famille
Altavilla et de 1513 à 1707 à la famille corfiote Abramis. En 1814 elle passe avec Corfou
et Parga sous occupation anglaise, et y reste jusqu’au 21 mai 1864, date à laquelle elle
est unie à la Grèce.
46 Pour les données de cette étude, le matériel utilisé est celui du recueil d’actes notariaux
de Paxi, édition de Georgios Pétropoulos (Athènes 1958), dans laquelle est publiée une
sélection de 629 actes, qui couvrent la période allant de 1658 à 1810. Ils appartiennent
aux archives de différents notaires et fournissent une image assez complète du droit en
vigueur durant cette époque sur l’île.
47 Sur les 629 actes mentionnés, 21 concernent le déroulement d’arbitrages et la rédaction
des lettres de compromis correspondantes, ils représentent donc 4 % du nombre total
d’actes, pourcentage qui, à mon avis, donne à penser que l’institution de l’arbitrage
était une pratique existante même dans une région sous domination vénitienne comme
Paxi. Concernant la langue, le texte des actes est parsemé de termes légaux italiens
déformés, comme c’était prévisible. Ainsi, les arbitres deviennent des alpitri, la décision
irrévocable inapilabile, les contestants des revessaries, l’émancipation un mangipangion,
e
alors que le terme arbitre (juge) ne fait son apparition qu’au XIX  siècle (acte 595,
14 juillet 1808).

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49

48 Des différends pour droits réels font l’objet d’arbitrage (actes numérotés 94/95, 160, 595
etc.), ainsi que des différends pour dettes (acte numéro 289), et des différends en
matière d’héritage (actes numérotées 592, 619, 620). On compte également trois cas de
dommages et intérêts pour blessures (actes XXIX, 167 et 202) et un cas de dommages et
intérêts pour usure de biens (acte 200).
49 La rédaction d’une lettre de compromis paraît nécessaire, compromis pour lequel, s’il a
lieu avant la publication du verdict, un acte séparé est rédigé (par exemple actes
numérotés 94 et 95). Toutefois, dans les cas où le compromis et le verdict ont lieu le
même jour, les deux actes ne font qu’un (par exemple acte 167). Le compromis est en
général formulé comme suit :
(Date)… aujourd’hui en présence de … (noms des parties) ayant pour différend
(description du différend)… pour éviter les jugements et les frais de justice, avec
leur accord établissent le présent compromis et ont choisi un arbitre et des
décideurs… (noms des arbitres), les arbitres cités ci-dessus ayant écouté tous les
arguments ayant tous les pouvoirs et tout ce qu’ils jugeront et décideront, les
parties citées ci-dessus… (parties) promettent de le respecter avec conséquence et
certitude dans l’avenir. En présence de témoins… (noms des témoins) .
50 Il est important de souligner que la raison qui explique le choix d’arbitres de
préférence à d’autres organes judiciaires est avant tout la difficulté, physique et
morale, ainsi que le coût.
51 Les compromis prévoient souvent la nomination d’un troisième arbitre en cas de
divergence entre les arbitres de départ (par exemple acte n° 160 : «… et s’ils ne sont pas
d’accord, que les juges ci-dessus puissent en appeler un troisième »), et il existe également un
acte spécial d’arbitrage où un troisième arbitre est employé (acte n° 202 : «… et mr
Nikoletos ci-dessus cité a appelé mr Nikoloutzos ci-dessus cité comme troisième… »).
52 Les arbitres sont chargés de l’obligation d’écouter les parties « par oral et par écrit »,
c’est-à-dire que la narration orale des faits réels de la part des parties est insuffisante ;
ils examinent également les documents relatifs (titres de propriétés etc.). Très souvent,
l’arbitrage a lieu à l’intérieur d’une église et en tout cas, le nom de Dieu est toujours
invoqué avant le début de l’examen de l’affaire (acte n° 95 : nous nous sommes réunis à
l’intérieur de l’église de la chandeleur de la Sainte Vierge, nous avons fait appel à Jésus
Christ… », acte n° 289 : «… nous avons pris place dans un lieu béni, nous avons fait appel à
Jésus Christ pour réfléchir et prendre la présente décision en toute objectivité… ).
53 Les arbitres s’appuient sur la collaboration des forces divines pour rendre la justice,
mais également pour s’assurer que leur décision sera respectée par les parties
intéressées. À la fin de l’acte n° 95, nous lisons : «… et celui qui désirerait contrevenir à ce
que nous avons décidé devra payer à la Sainte Vierge présente 50 ducats et l’avoir comme
partie… ». C’est-à-dire qu’au cas où l’une des parties ne se conformerait pas au verdict,
la clause financière qui apparaît souvent comme moyen de pression n’est pas versée
aux arbitres, à l’une des parties ou à l’État mais à une église, en général celle où a eu
lieu le synode des arbitres. De même, la menace de la Sainte Vierge comme partie du
contrevenant a pour objet de fonctionner comme une « espèce » de moyen d’exécution
obligatoire, faute de tout autre moyen réel. De tels cas sont définis dans les actes 177 (…
quiconque désirerait contrevenir à ce que nous avons décidé devra payer au prophète Elie 25
ducats… ) et 289 (… quiconque désirerait contrevenir à la présente décision… payera 25 ducats
au miraculeux saint Spyridon… ).

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54 Un délai est souvent prévu pour la publication du verdict (par exemple acte n° 620 : …
ce jugement sera remis… à un délai de 40 jours à partir d’aujourd’hui…). Le verdict est solide,
certain, irréversible et inapilabile (irrévocable), obligatoire dans l’avenir. Les actes 219 et 321,
concernant des affaires de doute sur le jugement des arbitres, présentent un intérêt
particulier ; on y trouve l’affirmation sous serment de leur part, en présence de témoins
et dans un lieu sacré que … leur jugement était juste, craignant Dieu et ayant peur pour leur
âme sans aucun parti pris et le notaire entérine (ratifie) le bien-fondé du verdict.
55 En ce qui concerne le droit appliqué, la mention  les juges cités ci-dessus décident avec Dieu
et leur âme, qui figure de façon presque identique à la fin de chaque acte, ne laisse aucun
doute sur le fait que les arbitres décidaient selon leur conscience, sans tenir compte
d’une règle légale quelconque, mais seulement de la façon qu’ils jugeaient juste.
56 En résumé, la nature légale de l’arbitrage telle qu’elle apparaît à l’examen des archives
notariales de Paxi, reste stable en ce qui concerne les éléments de base de l’institution,
l’objet, le choix des arbitres et l’application du verdict. Elle présente une certaine
systématisation – surtout en ce qui concerne la forme et la procédure –, élément qui
caractérise même la formulation des actes, qui est particulière et presque immuable
dans tout le cours des deux siècles que couvrent les actes étudiés.
 
Conclusions
57 La particularité de l’institution de l’arbitrage, réside à mon avis dans le fait qu’elle
incarne la volonté des êtres humains de résoudre leurs différends entre eux sans
l’intervention du pouvoir établi, mais en collaboration immédiate avec les autres
membres de la communauté dont ils font partie. Historiquement, ses premières traces
remontent aux premières communautés organisées sur lesquelles nous avons des
données, et avec le temps, alors que l’organisation adopte une forme plus synthétique
et concrète au sein de laquelle des organes institutionnels prennent en charge le rôle
judiciaire, l’arbitrage continue de conserver un rôle de solution judiciaire, comme
remplacement pour les solutions régulières.
58 Des membres de la communauté qui jouissent de l’acceptation commune des parties
endossent le rôle des organes du pouvoir central, dans ce cas précis, membres qui
consentent au préalable à respecter la décision. Les moyens de contrainte ne sont plus
les moyens habituels mais des éléments en rapport avec la tendance des gens à se
conformer aux règles de la société et des échanges, comme par exemple l’honneur, la
crédibilité ou le respect envers Dieu, dans le but d’éviter l’exclusion sociale.
59 Pour décrire l’institution avec des termes empruntés à la théorie musicale, nous dirions
que l’arbitrage joue le rôle du contrepoint dans un ensemble musical : un renversement
court et instantané qui malgré tout ne crée aucune dysharmonie. Au contraire,
l’ensemble l’accepte, l’incorpore et coexiste avec lui de façon constructive et va jusqu’à
l’utiliser quand les circonstances l’exigent.
60 L’institution de l’arbitrage, telle que nous l’avons vue évoluer tant dans les textes
légaux que dans les archives notariales – c’est-à-dire en théorie et dans la pratique – est
présente dans tout le cours de l’ère post-byzantine. Les dispositions des textes légaux
systématisés correspondent en grande partie aux conditions d’application de
l’institution, avec de petites variations – concernant surtout la procédure – suivant le
lieu et la date de leur publication.

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61 Les caractéristiques particulières de la situation du droit durant cette période, ainsi que
les particularités inhérentes aux conditions dans lesquelles les sujets grecs du sultan
vivaient, créaient un climat propice à l’intérieur duquel l’institution a continué
d’exister. Ces petites communautés fermées, îlots humains avec pour seuls éléments
d’identification propres la langue commune, la religion et les coutumes, existaient dans
le vaste océan de l’Empire ottoman et désiraient conserver leur cohésion coûte que
coûte. De la part des facteurs externes, les difficultés de déplacement et par conséquent
d’accès aux tribunaux ordinaires – ecclésiastiques ou civils – ainsi que la fragmentation
du pouvoir central et le climat légal pluraliste constituaient certaines des conditions
qui ont facilité l’épanouissement de l’institution, rendant le recours à la sagesse et aux
aptitudes de l’individu le moyen unique et précieux de conserver une coexistence
pacifique.
62 Bien sûr, pour identifier la place exacte de l’institution de l’arbitrage au sein du régime
légal singulier de l’ère post-byzantine, des recherches plus étendues seront nécessaires.
Cet article ne constitue qu’une tentative de débroussaillage de la question, mais il
apparaît déjà que l’institution de l’arbitrage survit, se développe et évolue dans tout
l’espace géographique et temporel couvert par la période post-byzantine.

BIBLIOGRAPHIE
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l’arrivée du roi Othon I, Heidelberg 1835, traduction, introduction et édition de Iris Audi-Kalkani,
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Études balkaniques, 10 | 2003


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Sources grecques inédites

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Anonyme (sans titre), Bibliothèque du Monastère de Patmos manuscrit 533.

Anonyme, Nomocanon, Bibliothèque du Monastère de Patmos manuscrit 534.

Anonyme, Nomimon en langue commune, Bibliothèque du Monastère de Patmos manuscrit 535.

Anonyme, Nomokritirion, Bibliothèque Nationale de Grèce manuscrit 2764.

Jacob, moine, archimandrite et consul de Jannina, Bâton des Prélats, Bibliothèque Nationale de
Grèce manuscrit 1373.

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NOTES
1.  Cf. D. GHINIS, Contour de l’histoire du droit post-byzantin, P.A.A, 26, Athènes, 1966, p. 9,
I. VISVIZIS, Le problème de l’histoire du droit post-byzantin,D 6 (1955), 131, note, Sp. TROIANOS,
I. VELISSAROPOULOU-KARAKOSTA, Histoire du droit, Athènes, 1997, p. 30.
2.  En ce qui concerne la question de la politique du pouvoir ottoman envers ses sujets asservis,
cf. l’Introduction de l’ouvrage de Karl Gustav GEIB, Présentation de la situation du droit en Grèce,
Heidelberg, 1835, traduction, introduction, édition Iris Audi-Kalkani, Athènes, et la publication de
D. APOSTOLOPOULOS, La politique et le droit « dans les ruines », réimpression des procès verbaux du
congrès international à la mémoire de K. Th. Dimaras, Athènes, 1995, publié indépendamment.
3.  Cf. N. MOSCHOVAKIS, Le droit civil en Grèce à l’époque de la domination ottomane », Athènes 1998,
mais également N. PANTAZOPOULOS, La commune grecque et la tradition communautaire néo-
hellénique, Athènes, 1993.
4.  D. G.  APOSTOLOPOULOS, op. cit. p. 34.
5.  Sp. TROIANOS-I. VELISSAROPOULOU-KARAKOSTA, op. cit., p. 342 et suivantes.
6.  D. PAPADATOU, La résolution extrajudiciaire de différends privés pendant les époques moyennes et
tardives byzantines, Athènes, 1995, p. 10.
7.  Bibliothèque Nationale de Grèce manuscrit n° 1373.
8.  Le terme renvoie probablement à l’excommunication mineure, c’est-à-dire l’interdiction de
participer à la vie liturgique de l’Église durant un temps prédéfini. Cf. P.D. MIHALARIS,
Excommunication. L’adaptation d’une peine aux nécessités de la domination Ottomane, Athènes, 1997.
9.  Cette thèse a été soutenue entre autres par S. Troianos, cf. SP. TROIANOS,
I. VELISSAROPOULOU-KARAKOSTA, Histoire du droit, de la Grèce antique à la Grèce moderne, Athènes
1997, p. 343, c’est également l’opinion constante de Pantazopoulos, développée principalement
dans son ouvrage De la tradition « littéraire » au Code Civil, Thessalonique, 1979.
o
10.  D. GHINIS, Contour…, n . 91.
o
11.  D. GHINIS, op. cit., n . 101.
12.  N. PANTAZOPOULOS, Le droit romain, comparaison dialectique avec le droit grec, Cours
Universitaire, Numéro 3, Thessalonique, 1979, p. 104.
13.  Le Coran, dans sa version anglaise de Rashid Said Kassab, Surah 5, verset 42 : «if they come to
you, you are free to judge between them or to turn away from them…but if you judge, you shall
do so with justice ». Et verset 48 : «To each one of you We have set up a code of legislation and a
way of worship. Had Allah willed, He would have made you one nation, but He did not…
Therefore, race for the performance of righteous deeds. Your return is to Allah, Who will inform
you concerning their différences ». Cf. N. PANTAZOPOULOS, De la tradition « littéraire » au Code
Civil, Thessalonique, 1979, p. 90, note 14.
14.  E. PAPAGIANNI, La science légale des tribunaux ecclésiastiques de l’ère byzantine et post-byzantine
en matière de droit de propriété, t. I, Athènes 1992, p. 2.
15.  K. PITSAKIS, Tentative de lois ou Hexabiblos, Athènes, 1971, p. 89.
16.  Pour les sources de Malaxos cf. l’article de A. SIFONIOU-KARAPA, M. TOURTOGLOU, Sp.
TROIANOS, Nomocanon de Manuel Malaxos, EIAED, t. 16-17, 1969-1970, p. 1-39.
17.  Edition de L. SGOUTAS, dans la revue « Thémis », Athènes, t. 5, 1856, p. 229-230.
18.  N. PANTAZOPOULOS, Le droit romain, comparaison dialectique…, op. cit., p. 262-263.
19.  K. PITSAKIS, op. cit., p. 91
20.  Les deux premiers n’ont pas de titre, le troisième est intitulé Nomocanon et le quatrième
Nomimon, en langue commune.
21.  Cf. plus haut dans le texte : moi et toi, nous avons besoin d’un jugement…

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22.  96° Synode de Carthage : “Si l’une des parties décide de refaire juger l’affaire au tribunal, et
qu’il choisit les juges avec l’autre partie, à l’avenir ils n’auront ni l’un ni l’autre le droit de refaire
appel”, in RHALLI-POTLI, Constitution des lois divines et sacrées, t. III, p. 537.
23.  122° Synode de Carthage : Les juges, choisis d’un commun accord, ne peuvent échapper à l’appel. De
plus, pour quiconque refuse obstinément de se conformer aux juges, l’archevêque l’apprendra et enverra
des lettres pour qu’aucun évêque ne lui donne la communion jusqu’à ce qu’il se conforme, in RHALLI-
POTLI, op. cit., p. 585.
24.  D. GHINIS, Contour…, op. cit., p. 65, n° 100.
25.  Nomikon fait et rédigé en langue simple par l’évêque de Campanie Théophile de Jannina, édition
critique de D. GHINIS, Thessalonique, 1960.
26.  Nous rappelons ici le Receptum arbitri dans le droit romain.
27.  Cette histoire se retrouve à quelques détails près dans le Paschalion Chronikon, et le Chronikon
de Jean Malalas. Cependant, il n’est pas fait référence à des arbitres, mais à des avocats.
28.  Le Syntagmation Nomikon  d’A. Ypsilantis constitue une exception, il ne contient aucune
référence à l’institution de l’arbitrage.
29.  P. ZEPOS, Nomikon Procheiron de Michel Photeinopoulos, Athènes, 1959.
30.  I. et P. ZEPOS, in Ius Graecoromanum, t. VIII, p. 1 et suivantes., Athènes, 1939.
31.  I. et P. ZEPOS, op. cit., t. VIII.
32.  I. VISVIZIS, Le problème de l’histoire du droit post-byzantin, in EIAED 6 (1955), 131.
33. Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen, duabus in partibus divisum, t. 1, Venise
v r.
1729, p. 139 - 305 (D’après un renvoi de N. PANTAZOPOULOS dans Droit romain, op. cit., p. 264,
note 2).
34.  N. Pantazopoulos soutient que, dans ce cas précis, la législation officielle reste en accord avec
la tradition. N. PANTAZOPOULOS, op. cit., p. 264.

RÉSUMÉS
La disparition de Byzance n’est pas partout synonyme de l’installation d’un pouvoir musulman :
dans les îles ioniennes, et donc à Paxi, on n’a connu que la présence vénitienne (1381-1814).
Après une étude générale sur l’institution de l’arbitrage à cette époque sur toute l’aire de la Grèce
actuelle, l’auteur s’intéresse au cas de cette île où les nombreuses sources permettent de décrire
en détail le rôle des arbitres. Sur ce territoire se rencontraient droit coutumier, droit byzantin et
pratiques instaurées par la Sérénissime.

Byzantium disappearing has not caused everywhere the installation of Islamic power: in the
Ionian Islands, thus in Paxi, the only one domination came from Venice (1381-1814). The author
first addresses a general overview of the institution of arbitration at that time on the whole area
of contemporary Greece; then she focuses on this island where numerous sources allow a detailed
description of arbitrators’ role. Custom law, Byzantine law and practices originating from the
Serenissima met on this territory.

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Constitutum debiti alieni au XVIIe


 siècle. Une sentence du patriarche
Kallinikos II
Constitutum debiti alieni in 17th c. A Sentence of Patriarche Kallinikos II

Elefthéria Papagianni

1 Si un chercheur en droit byzantin est obligé de décrire en un mot la relation entre sa


propre matière et le droit romain, il pourrait bien parler d’une évolution où la tradition
fait concurrence à l’innovation. Cette situation peut s’expliquer, si l’on pense que la
codification justinienne, qui marque le point de départ pour la formation du droit de
l’Empire de l’Est, reproduit dans la majorité des cas des dispositions romaines, surtout
pour des raisons d’idéologie politique. Même les Novelles de Justinien où l’influence de la
morale chrétienne et des pratiques juridiques orientales est plus claire, peuvent plus
facilement être considérées comme la dernière étape d’un développement que comme
un droit neuf. Jusqu’à un certain point, on pourrait attribuer ce rôle à l’Ecloga
isaurienne, mais ce manuel juridique, bien qu’il ait eu influencé l’évolution, surtout au
domaine du droit pénal, ne resta pas longtemps en vigueur 1. En tout état de cause,
l’« ἀνακὰθαρσις » de l’époque de la dynastie macédonienne, c’est à dire le retour au
droit justinien, fut l’action décisive pour le choix d’un droit qui garderait sa substance
romaine2.
2 La chute de Constantinople ne marqua pas la fin de l’application du droit byzantin.
L’Église, en profitant de ses « Privilèges », se chargea de la juridiction pour les affaires
privées des sujets chrétiens du Sultan. Cette juridiction des tribunaux ecclésiastiques
pour les affaires de droit privé fut très ancienne. Elle existait déjà avant le XI e siècle,
pendant lequel l’empereur Alexis Ier Comnène leur accorda la compétence judiciaire
pour les donations et des légations pour « les matières pieuses », pour les affaires de
droit matrimonial et, probablement, pour les procès concernant la libération des
esclaves et la revendication de personnes libres comme esclaves. Mais l’Église ne se
borna pas à ce cadre assez restreint. Au contraire, elle arriva à étendre la sphère de son
activité. L’histoire se répéta après 1453, quand les « Privilèges » ont acquis une fonction

Études balkaniques, 10 | 2003


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de tribunaux ecclésiastiques limitée aux affaires de droit familial et successoral qui en


effet s’élargit et arriva à comprendre toutes les questions que pouvait régler le droit
privé3.
3 Dans le cadre de cette juridiction les juges ecclésiastiques de l’époque de l’occupation
ottomane appliquaient principalement le droit byzantin4. Toutefois, comme on l’a
souligné ci-dessus, le fondement de ce droit était le droit romain, c’est-à-dire un droit
qui s’était développé dans une société beaucoup plus ancienne et tout autrement
structurée que celle de l’Empire d’Orient, mais qui fut reçu dans l’ordre légal byzantin
pour servir l’idée de la continuité de l’Empire. Le résultat de cette politique était que le
droit théoriquement positif contenait beaucoup de règles contradictoires et les lois
abrogatives étaient très rares5. De plus, des lois abrogées réapparaissaient souvent dans
des textes postérieurs. C’était à l’aide de cet instrument, marqué par l’âge en même
temps qu’ambigu, que devaient juger les prélats de l’Église captive, qui n’étaient pas des
juristes « de métier ». Il me semble donc utile de présenter comment un patriarche de
Constantinople, Kallinikos II, trouva, comprit et appliqua une règle juridique romaine,
qui avait perdu beaucoup de sa fonction pratique dès le VI e siècle, dans une sentence de
16946.
4 Selon le document7, un habitant de Kastoria, Phylaktos, voulait emprunter de l’argent à
l’archonte Spéliotès. Celui-ci lui avait refusé, car il croyait qu’il manquait d’expérience
pour l’entreprise commerciale qu’il voulait financer avec ce capital. Spéliotès fut
finalement persuadé de donner l’argent à Phylaktos par l’intermédiaire d’un de ses
compatriotes, Michel fils de Démétrius, qui se porta caution pour lui. Le cautionnement
fut incorporé dans la (χρεωστικὴ) ὁμολογία de Phylaktos ; c’est-à-dire dans le
document qui, pendant la période post-byzantine, était indispensable pour la validité
des contrats d’emprunt8. Après la conclusion du contrat Phylaktos et Michel
voyagèrent pour des raisons commerciales. Le premier, comme l’avait soupçonné son
créancier, a échoué dans ses entreprises et a perdu tout son capital ; tandis que le
second mourut à l’endroit où il faisait du commerce et ses confrères de la région
gardèrent ses biens en attendant l’apparition de ses héritiers. Spéliotès eut alors peur
de perdre son argent et se présenta au patriarche probablement pour se procurer une
sentence favorable qu’il pourrait utiliser pour assurer le remboursement de son
capital.)
5 La sentence de Kallinikos II, adressée au métropolite de Moldavie et Valachie 9, fut
conforme aux désirs de Spéliotès d’après l’argumentation suivante :
ἐγένετο ὄμως ὁ Μιχάλης οὐχ ἁπλῶς ἐγγυητὴς αὐτῷ ἀλλὰ καὶ χρεώστης καὶ
καθολικὸς πληρωτὴς ὑπὲρ τῶν ἄσπρων ἐκείνων, ὑποσχεθεὶς ὀψέποτ’ ἄν οὐκ
ἐδυνήθη ὁ κὺρ Σπηλιώτης λαβεῖν τὰ ἄσπρα αὐτοῦ παρὰ τοῦ Φυλακτοῦ,
ἀπολογεῖσθαι ἐκεῖνον καὶ ἐμποιεῖν τὴν πληρωμὴν καὶ ἐξόφλησιν τῶν ἄσπρων
καθὼς διαλαμβάνει ἡ ἐν ταῖς χερσὶ τοῦ κὺρ Σπηλιώτου ἐμμάρτυρος καὶ
ἐσφαγισμένη ὁμολογία τοῦ Φυλακτοῦ (…). Ἀλλ’ οὐν οἱ ἱεροὶ νόμοι ρητῶς
διακελεύουσι τοὺς τοιουτοτρόπως γινομένους ἐγγυητὰς καὶ μετὰ θάνατον ἐκ τῆς
περιουσίας αὐτῶν ἀποπληροῦθαι τὰ περὶ ὡν ἐνόχιοι ἐγένοντο, ὡς ἴδια λογιζόμενα
χρέη, ὄταν ὁ καθολικὸς χρεώστης ἐν τελείᾳ στερήσει καὶ δυστυχία καταντήσῃ 10.
Le patriarche ordonna alors aux commerçants qui gardaient la fortune du défunt de
mettre à part la somme de l’emprunt et de la rembourser au représentant de
Spéliotès11.
6 Kallinikos II déclare expressément que sa décision se basa sur les « lois sacrées » ; c’est-
à-dire sur la législation byzantine impériale. L’opinion dominante 12 chez les chercheurs

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en droit post-byzantin est que pour arriver à cette législation les juges ecclésiastiques
puisaient surtout dans le Nomokanon de Manuel Malaxos et plus tard dans la traduction
de l’Hexabiblos en néo-grec, publiée en 1744, car elle les aidait à mieux couvrir les
besoins de leur compétence déjà étendue. Mais, selon une opinion plus récente, l’œuvre
de Malaxos, même si elle fit partie de la bibliothèque du Patriarcat jusqu’après sa
composition, n’y serait peut-être pas beaucoup consultée13. D’autre part l’Hexabiblos, qui
se trouvait sans doute dans la bibliothèque du Patriarcat et était fréquemment
utilisée14, contient un titre très détaillé sur le cautionnement15. L’hypothèse que dans le
cas présent l’œuvre d’Harménopoulos fut encore une fois consultée ne manque donc
pas de base.
7 D’après la sentence, le rapport juridique entre Spéliotès et Michel était plus rigide que
celui d’un simple contrat de cautionnement16. Notre document décrit cependant
l’obligation de Michel d’une façon qui ne conduit pas à la conclusion que la
responsabilité de Michel dépassait les limites d’une caution 17. Il est vrai que, toujours
selon le document, les clauses du cautionnement étaient décrites dans l’homologia de
Phylaktos que gardait Spéliotès18. On peut donc penser que c’était ce texte qui suggéra
au patriarche de parler d’un contrat exceptionnel. Comme on n'a pas le texte original
de l’homologia, on ne peut pas trancher. On a néanmoins la possibilité de reconstruire le
rapport entre Spéliotès et Michel en se servant de la loi sur laquelle s’était basé le
rédacteur de la sentence. Notre source souligne que les « lois sacrées » déclaraient
clairement que la responsabilité des parties qui se portaient caution selon les
intentions de Michel existait même après leur décès, si le débiteur principal ne pouvait
pas remplir ses obligations19.
8 En puisant dans l’Hexabiblos on trouve l’article suivant :
Ἐὰν ὑπὲρ ἀλοτρίου χρέους ἑαυτὸν καταβαλεῖν ἀντεφώνησας, ἡ ἐπὶ τῇ
ἀντιφωνήσει σου ἀγωγὴ οὐ μόνον κατὰ σου, ἀλλὰ καὶ κατὰ τῶν κληρονόμων
τῶν σῶν διηνεκῶς ἀρμόζει20.
Il s’agit ici d’une loi de 294 qui, traduite en grec, a survécu par la voie de la grande
codification du IXe-XIe siècle 21. Le terme grec « ἀντιφώνησις » se rapporte au
constitutum debiti alieni (et proprii) des Romains22. Il s’agissait de la convention par
laquelle une personne s’engage à payer une dette préexistante, soit sa propre dette, soit
la dette d’autrui comme dans l’affaire présente, dans un délai fixe. Elle était similaire à
la novation, mais elle n’avait pas son effet, car l’obligation principale continuait
d’exister. Cette institution du droit prétorien perdit beaucoup de son intérêt pratique,
quand Justinien par une loi de 531 donna aux constituants le bénéfice de division 23 et en
535, avec sa Novelle 4, leur accorda celui de discussion, et probablement aussi celui de
cession d’actions et associa le constitutum debiti aux autres formes du cautionnement 24.
Toutes les deux dispositions furent incorporées dans les Basiliques 25. Celle de la Novelle
4 est en plus répétée dans l’œuvre législative des empereurs macédoniens 26 et les
manuels juridiques postérieurs27, ainsi que dans l’Hexabiblos même28.
9 Désormais, le constitut est une convention condamnée à l’oubli. Mais le terme
« ἀντιφώνησις » était toujours en usage. Il est à remarquer qu’à Constantinople existait
une église qui conservait l’image du Christ Antiphonéte. D’après la narration d’un
voyageur Anglais de la fin du XIe siècle, le nom de cette image provenait de la légende
d’un miracle produit au temps de l’empereur Héraclius, quand un débiteur, Théodore,
pria devant elle et le Christ se porta caution pour sa dette à un juif, Abraham, qui,
émerveillé, se convertit au Christianisme29. La nature conservatrice et compilatoire du

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droit byzantin eut en outre comme résultat le fait que des dispositions sur le constitut
réapparaissaient dans des œuvres nouvelles. Toutefois, pour la réalité juridique de
l’époque postérieure à Justinien ἀντιφώνησις et ἐγγύησις étaient des institutions
beaucoup plus apparentées qu’auparavant30.
10 Dans la sentence de Kallinikos II on ne trouve pas le terme antiphonète, la situation est
cependant décrite d’une manière qui présuppose que la relation entre Speliotès
et Michel était celle d’un constitutum debiti alieni. L’hypothèse que c’était le rédacteur de
l’homologia, probablement un « juriste » pratique de la région de Kastoria, qui au XVII e
siècle se servit des règles du constitut pour mieux protéger les intérêts d’un créancier
est, au moins à mon avis, invraisemblable. Cette œuvre était cependant plus facile pour
les membres du synode patriarcal et ses employés. Il est bien probable que Kallinikos II,
comme tout juge ecclésiastique de l’époque byzantine et post-byzantine, visait à une
décision conforme au droit, tel qu’il le comprenait, sans trop se soucier des les règles de
droit positives31. Mais nous ne sommes plus au XIIIe siècle, quand Jean Apokaukos et
Démétrius Chomatianos c’est-à-dire des prélats de l’Église imprégnés de la pratique
judiciaire byzantine, pour laquelle la loi était plutôt un argument qu’une règle rigide, se
servaient beaucoup de l’interprétation ou même employaient leurs connaissances de
culture générale pour répondre à une question juridique32. On ne doit non plus oublier
que cette affaire se trouvait plutôt en marge de la compétence habituelle des tribunaux
ecclésiastiques, car, étant d’une façon une cause de droit successoral, elle devait être
abordée par des dispositions du droit des obligations. On peut donc supposer que dans
ce cas le tribunal, pour être sûr de son raisonnement, avait besoin de le baser
directement sur une loi. L’article 3.6.4 de l’Hexabiblos convenait absolument à ce propos,
on s’en est alors servi.
11 Cette disposition se rapporte pourtant à la responsabilité des héritiers des constituants
sans décrire la matière de l’« ἀντιφώνησις ». Comment a-t-on donc compris les règles
de cette convention qui sont expliquées dans la sentence avec assez de précision ? La
réponse est simple, quand on lit une scolie qui accompagne la disposition 3.6.1 de l’
Hexabiblos33 et qui décrit simplement, mais clairement la différence entre la caution et
le constitut :
Διαφέρει ἐγγυητὴς, ἀντιφωνητὴς καὶ μανδάτωρ οὕτως· ἐγγυητὴς μέν ἐστιν, ὅστι·
ἐτέρου δανειζομένου καὶ ὑπισχνουμένου ἐγγράφως ἤ καὶ ἀγράφως ἐμπροθέσμως
παρασχεῖν τὸ χρέος, ὑπισχνεῖται τὸν ὅμοιον τρόπον καὶ αὐτὸς, ὡς, εἰ μὴ ἐκεῖνος
τοῦτο παράσχῃ, αὐτὸς ἵνα ἀποδώσῃ τοῦτο πρὸς αὐτὸν οἴκοθεν. Ἁντιφωνητὴς δέ
ἐστι, ὅστις ἑτέρου παρά τινος δανεισαμένου αὐτὸς εἰς ἐαὐτὸν τὸ χρέος ἀναδέχεται
καὶ γράμμα περὶ τούτου μονομερῶς πρὸς τὸν δανειστὴν ἐκτίθησιν οὐτω
διαλαμβάνον· τὰ νομίσματα, ἅπερ ἀπὸ σοῦ ὁ δεῖνα ἐδανείσατο, ὑπισχνοῦμαι
δώσειν ἐγώ. Μανδάτωρ δέ ἐστι ὁ κατ ἐντολήν τινος ἀπελθὼν πρός τινα καὶ
δανεισάμενος ἐξ ἐκείνου νομίσματα καὶ ὑποσχεθεὶς αὐτὸς δώσειν αὐτά 34.
Bien que la scolie ne soit pas un exemple de précision juridique et montre une
connaissance des règles du droit des obligations très superficielle 35, il est évident
qu’elle devrait être très utile à Kallinikos II, pour arriver à sa sentence si favorable à
Spéliotès.
12 Mais sur ce point se pose une autre question. Comme la tradition manuscrite des
scholies est partagée36, comment peut-on présupposer que la sentence se basa sur cette
scolie ? On peut pourtant fonder cette conclusion sur des arguments assez plausibles.
La scolie se trouve dans l’édition de l’Hexabiblos par G.-E. Heimbach, qui pour éditer ce
texte s’était servi d’un manuscrit constantinopolitain37. Il s’agit d’un codex qui jusqu’à

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1839 se trouvait dans la bibliothèque du Métochion du Saint-Sépulcre à


Constantinople38, c’est-à-dire quelques mètres à côte du Patriarcat. Vers la fin du XVII e
siècle, quand, patriarche de Jérusalem était Dosithée, mort en 1707, on constate une
relation entre les deux bibliothèques. Dosithée même, en 1680, avait fait copier – pour
composer une collection juridique qui porte son nom, une grande partie du (Méga)
Nomimon du Patriarcat de Constantinople, c’est-à-dire d’une collection juridique
officielle qui était en usage à Constantinople dès le début du siècle et que nous ne
possédons pas dans sa version intégrale39. L’hypothèse que les officiers du Patriarcat de
Constantinople s’étaient servis dans ce cas d’un manuscrit de la dépendance du Saint-
Sépulcre, ou que dans leur propre bibliothèque existait un tel manuscrit, pas encore
identifié, se base donc plutôt sur la logique que sur l’imagination.
13 En tout état de cause, il reste encore une possibilité à examiner, celle d’avoir consulté le
Nomokanon de Malaxos. Ce manuel juridique du XVI e siècle fut rédigé en deux versions :
une version savante, en 1561, et une autre, en 1563, en langue populaire. La deuxième
n’aborde pas le sujet de la responsabilité des ceux qui se portent caution et se limite à
des questions plus intéressantes pour la pratique quotidienne des juridictions
ecclésiastiques, comme le cautionnement porté par les membres du clergé ou par les
femmes40. Dans la version savante, encore inédite, on trouve ces deux chapitres 41, mais
en plus un autre Περὶ ἀνδρῶν ἐγγυητῶν καὶ ἀντιφωνητῶν 42. Ce chapitre, qui aurait pu
se rendre utile dans le cas de Spéliotès, est composé d’extraits de l’Hexabiblos 43. Entre
eux se trouve aussi une de ses scolies ; toutefois ce n’est pas celle du codex
constantinopolitain, mais une autre qui ne se rapporte pas à l’ἀντιφώνησις 44. On ne
peut donc pas supposer que les rédacteurs de notre sentence ont utilisé le texte de ce
Nomokanon.
14 Cette affaire du commerçant de Kastoria peut néanmoins être utile aussi au delà de
l’étude de la méthode de travail des juges ecclésiastiques pendant la période ottomane
et de l’identification des sources juridiques auxquelles on se référait au Patriarcat. La
sentence de Kallinikos II se fonda sur une disposition (l’article de l’Hexabiblos 3.6.4) qui
serait incompréhensible au XVIIe siècle, s’il n’existait pas la scolie à l’article 3.6.1. Cette
dernière disposition reproduit le chapitre I de la Novelle 4 de Justinien 45, c’est-à-dire la
loi qui eut comme effet que la différence entre le rôle de ἐγγυητὴς, ἀντιφωνητὴς et
μανδάτωρ ne fut plus claire déjà durant l’époque byzantine. Mais les textes étaient
reproduits et les termes furent conservés. Cette méthode du droit byzantin, selon
laquelle innovation ne signifie pas inévitablement abrogation, eut pour conséquence le
fait que pendant la période post-byzantine circulaient des manuels juridiques très
riches de contenu. Le recours des juges de l’Église aux sources du droit byzantin avait
sans aucun doute un fonds idéologique ; notamment l’idée de la continuité du droit
impérial comme règlement intérieur des sujets chrétiens du Sultan. Toutefois, le fait
que ces juges disposaient de textes qui pouvaient couvrir, s’ils étaient exploités avec un
peu d’esprit le manque d’éducation juridique spécialisée et donner une solution
acceptable à presque tous les cas, fut, au moins à mon avis, un facteur considérable
pour la survivance de ce droit pendant les longs siècles de l’occupation ottomane.

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NOTES
1. Voir Sp. TROÏANOS, Οἰ πηγὲς τοῦ βυζαντινοῦ δικαίου, Athènes-Komotini, 1999, p. 29-40, 112-119.
2. Voir Sp. TROÏANOS, « Δίκαιο καὶ ἰδεολογία στὰ χρόνια τῶν Μακεδόνων », in Byzantina 22
(2001-2002), p. 239-261.
3. Voir A.  CHRISTOPHILOPOULOS, « Ἡ δικαιοδοσία τῶν ἐκκλησιαστικῶν δικαστηρίων ἐπὶ
ἰδιωτικῶν διαφορῶν κατὰ τὴν βυζαντινὴν περίοδον », in Epétéris Etaireias Byzantinon Spoudon 18
(1948), p. 192-201 et Elefthéria PAPAGIANNI, « Ἡ νομολογία τῶν ἐκκλησιαστικῶν δικαστηρίων
τῆς βυζαντινῆς καὶ μεταβυζαντινῆς περιόδου σὲ θέματα περιουσιακοῦ δικαίου », Forschungen zur
byzantinischen Rechtsgeschichte-Athener Reihe, 6, Athènes, 1992, p. 1-12 (avec bibliographie).
4. Voir N.  PANTAZOPOULOS, « Ἐκλησία καὶ δίκαιον εἰς τὴν χερσόνησον τοῦ Αἵμου ἐπὶ
Τουρκοκρατίας », Epist. Epet. Scholès ton Nomikon kai Oikonomikon Epistemon, vol. 8 = Mnemosynon
P. BIZOUKIDÈS, Salonique, 1960-1963, p. 688-775 (ici : p. 715-718) ; C. PITSAKÈS, Κωσταντίνου τοῦ
Ἀρμενοπούλου Πρόχειρον Νόμον ἤ Ἑξάβιβλος, Athènes, 1971.
5. Voir TROÏANOS, op. cit. (supra n. 1), p. 51-54.
6. Voir K.  DÉLIKANÈS, Πατριαρχικῶν ἐγγράφων τόμος τρίτος, ἤτοι τὰ ἐν τοῖς κώδιξι τοῦ
πατριαρχικοῦ ἀρχειφυλακείου σωζόμενα ἐπίσημα ἐκκλησιαστικὰ ἔγγραφα τὰ ἀφορῶντα εἰς τὰς
σχέσεις τοῦ οἰκομενικοῦ πατριαρχείου πρὸς τὰς ἐκλησίας Ρωσσίας, Βλαχίας και Μολδαβίας,
Σερβίας, Ἀχριδῶν καὶ Πεκίου 1564-1863…, Constantinople, 1905, n° 170, p. 359-361.
7. Voir DÉLIKANÈS, op. cit., n° 170 p. 35921-36020.
8. Voir PAPAGIANNI, op. cit. (supra n. 3), p. 99-102 (avec bibliographie).
9. Ce fut probablement dans les Principautés Danubiennes que mourut Michel ; le métropolite de
ces régions relevait en ce temps-là de Constantinople, voir PANTAZOPOULOS, op. cit. (supra n. 4),
p. 707-708.
10. DELIKANES, op. cit., n° 170 p. 3601-7, 16-20.
11. DÉLIKANÈS, op. cit., n° 170 p. 36021-32 : « Τούτου χάριν γράφοντες ἀποφαινόμεθα Συνοδικῶς (…)
ἵνα οἱ πραγματευταὶ ἐκεῖνοι οἱ παραλαβόντες καὶ διαφυλάττοντες τὴν περιουσίαν τοῦ ἐγγυητοῦ
ἐκείνου ἀποθανόντος Μιχάλη τοῦ Δημητρίου, ἅμα τῷ ἐκζητῆσαι τὰ ἄσπρα ἐκεῖνα τὸν
ἀποκαταστάντα γνήσιον καὶ καθολικὸν Ἐπίτροπον τοῦ ἄρχοντος κὺρ Σπηλιώτου διὰ μαρτυρικοῦ
γράμματος (…), ἐξελόμενει ἐκ τὴς περιουσίας τοῦ Μιχαὴλ τὰ προρρηθέντα ἐξακόσια ἐννενήκοντα
πέντε ἐκεῖνα γρόσια ἐγχειρίσωσι ταῖς χερσὶ ἐκείνου σῶα καὶ λάβωσι τὴν μαρτυρίαν καὶ ἀπόδειξιν
τῆς καθολικῆς ὁμολογίας εἰς ἀσφάλειαν, ὑποταχθέντες τῇ δικαίᾳ τῆς Ἐκκλησίας ἀποφάσει ».
12. Voir supra n. 4.
13. Voir D.  APOSTOLOPOULOS, Ἀνάγλυφα μιᾶς τέχνης νομικῆς. Βυζαντινό δίκαιο καὶ
μεταβυζαντινὴ "νομοθεσία", Ἐθνικὸ Ἵδρυμα Ἐρευνῶν, 69. Θεσμοὶ καὶ Ἰδεολογία στὴ
νεοελληνικὴ κοινωνία], Athènes, 1999, p. 172-175.
14. Voir APOSTOLOPOULOS, op. cit., p. 164, 166, 168, 171.
15. Voir l’édition de G.-E. HEIMBACH, Konstantin Harmenopoulos Manuale Legum sive Hexabiblos cum
Appendicibus et Legibus Agrariis, Leipzig 1851 (réimpr. Aalen 1969), (infra : H.), Lib : III. Tit. VI :
« Περὶ ἐγγυητῶν καὶ ἀντιφωνητῶν ».
16. DÉLIKANÈS, op. cit., n° 170 p. 3601-3 : « …ἐγένετο ὅμως ὁ Μιχάλης οὐχ ἁπλῶς ἐγγυητὴς αὐτῷ
ἀλλὰ καὶ χρεώστης καὶ καθολικὸς πληρωτὴς ».
17. DÉLIKANÈS, op. cit., n° 170 p. 3603-5 : « …ὑποσχεθεὶς ὀψέποτ’ἄν οὐκ ἐδυνήθη ὁ κὺρ Σπηλιώτης
λαβεῖν τὰ ἄσπρα αὐτοῦ Φυλακτοῦ, ἀπολογεῖσθαι ἐκεῖνον καὶ ἐμποιεῖν τὴν πληρωμὴν καὶ
ἐξόφλησιν… ».
18. DÉLIKANÈS, op. cit., n° 170 p. 3606-7 : « …καθὼς διαλαμβάνει ἡ ἐν ταῖς χερσὶ τοῦ κὺρ
Σπηλιώτου ἐμμάρτυρος καὶ ἐσφαγισμένη ὁμολογία τοῦ Φιλακτοῦ… ».

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19. DÉLIKANÈS, op. cit., n° 170 p. 36016-20 : « Ἀλλ’ οὖν οἱ ἱεροὶ νόμοι ρητῶς διακελεύουσι τοὺς
τοιουτοτρόπως γινομένους ἐγγυητὰς καὶ μετὰ θάνατον ἐκ τῆς περιουσίας αὐτῶν ἀποπληροῦσθαι
τὰ περὶ ὡν ἐνόχιοι ἐγένοντο, ὠς ἴδια λογιζόμενα χρέι, ὅταν ὁ καθοικὸς χρεώστης ἐν τελείᾳ
στερήσει καὶ δυστυχίᾳ καταντήσῃ ».
20. H. 3.6.4.
21. C. 4.18.1: « Si pro alieno debito te soluturum constituisti, pecuniae constitutae actio non solum
adversus te, sed etiam adversos heredes tuos perpetuo competit » = B. 26.3.1 = SBM A 50.2, voir aussi
Synopsis Minor A 120. La disposition du Code Justinien (=C.) est citée selon l’édition de P. Krueger
(Berlin 1877), celles de Basiliques (=B.) selon l’édition des H.-J. Scheltema-D. Holwerda-N. van der
Wal (Groningen, 1955-1988) et celles de la Synopsis Basilicorum Maior (=SBM) et de la
Synopsis Minor selon la réimpression de l’édition de Zachariae von Lingenthal par J. et P. Zépos,
Ius Graecoromanum, Athènes, 1931 (inrfa : JGR), vol. V et VI.
22. Sur le pacte de constitut, voir R.  MONIER, Manuel élémentaire de droit Romain, vol. II (Les
Obligations), Paris 1954 (réimpr. Aalen, 1977), p. 200-201 ; M. KASER, Das römische Privatrecht, vol.
I, [Handbuch der Altertumswissenschaft, III.3,1.] München 21971, p. 583-584 et vol. II, [Handbuch
der Altertumswissenschaft, III.3,2.] München 21975, p. 383, 461 ; R. Villers, Rome et le droit privé,
Paris, 1977, p. 431-432 ; R. ZIMMERMANN, The Law of Obligations ; South Africa-München 1990
(réimpr. 1992), p. 512-513. Voir aussi pour un autre avis sur la fonction du constitutum debiti alieni
L. WALKENS, Pecunia Constituta, Viva vox iuris romani. in Essays in Honour of Johannes Emil Spruit
(éd. L. de LIGT, J. de RUITER, E. SLOB, J. M. TEVEL, M. van de VRUGT, L.C. WINKEL), Amsterdam,
2002, p. 171-180.
23. C. 4.18.3 : « Divi Hadriani epistulam, quae de periculo dividendo inter mandatores et fideiussores
loquitur, locum habere in his qui pecunias pro alliis simul constituunt necessarium est. Aequitatis enim
ratio diversas species actionis excludere nullo modo debet ».
24. Nov. 4 « Περὶ τους δανειστὰς πρότερον χωρεῖν κατὰ τῶν πρωτοτύπων χρεωστῶν, καὶ ἐν
δευτέρᾳ τάξει, ἀπόρων τούτων εὑρεθέντων, κατὰ τοῦ μανδάτορως ἤ τοῦ ἐγγυησαμένου ἤ
ἀντιφωνήσαντος χωρείτω, μηδὲ ἀμελήσας τοῦ δανεισαμένου τας παρενθήκας διενοχείτω, ἀλλὰ
χωρείτω πρῶτον ἐπὶ τὸν τὸ χρυσίον εἰληφότα καὶ το δάνεισμα πράξαντα. Καὶ εἰ μὲν ἐκεῖθεν
ἀπολάβοι, τῶν ἄλλων ἀπεχέσθω· (…) Καὶ οἱ μὲν παρόντες αὐτῷ τύξοιεν ἀμφότεροι, ὅ τε
πρωτότυπος ὅ τε ἐγγυησάμενος ἤ μανδατωρεύσας ἤ ἀντιφωνήσας, ταῦτα ἐκ παντὸς φυλαττέσθω
τρόπου. Εἰ δὲ ὁ μεν ἐγγυητὴς ἤ ὁ μανδάτωρ ἤ ὁ τὴν ἀντιφώνησιν ὑπελθὼν παρείη, τὸν δὲ
πρωτότυπον ἀπεῖναι συμβαίν, πικρὸν ἐστι τὸν δανειστὴν πέμπειν ἀλλαχόσε, παρὸν εὐθὺς τὸν
ἐγγυητὴν ἤ τὸν μανδάτωρα ἤ ἀντιφωνητὴν εἰσπράττειν. Ἁλλα τοῦτο δὴ θεραπευτέον ἡμῖν τὸν
ἐγχωροῦντα τρόπον. (…) Ἐνδεικνύτω τοίνυν τὸν ἐγγυητὴν ἤ ἀντιφωνητὴν ἤ μανδάτωρα, καὶ ὅγε
τῷ πράγματι καθήμενος δικαστὴς διδότω καιρὸν τῷ ἐγγυητῇ, ταὐτὸν δ’ εἰπεῖν ἀντιφωνητῇ δὲ
καὶ μανδάτωρι, βουλομένοις τὸν πρωτότυπον ἀγαγεῖν, ἐφ’ ὧ τε ἐκεῖνον πρότερον ὑπομεῖναι τὴν
εἰσαγωγὴν, οὕτω τε αὐτὸυς ἐν καταλοίπῳ πεφυλάχθαι βοηθεία· καὶ ἀμυνέτω γε τῷ ἐγγυητῇ καὶ
τῷ ἀντιφωνητῇ καὶ μανδάτωρι πρὸς τοῦτο καὶ ὁ τοῦ δικάζειν κύριος (…), ὥστε αὐτὸν ἀχθέντα
τῆς ἐν τῷ τέως ἐναγωγῆς ἀππαλάξαι τὸυς ὑπὲρ αὐτοῦ διενοχλουμένους. Εἰ δὲ ὁ χρόνος ὁ ἐπὶ
τοῦτο ταχθεὶς ἐξήκοι (δεῖ γὰρ καὶ χρόνον ὁρίζειν τὸν δικάζοντα) τηνικαῦτα [ἤ] ὁ ἐγγυητὴς ἤ ὁ
μανδάτωρ ἤ ὁ ἀντιφωνητὴς ἀγωνιζέσθω τὴν δίκην καὶ τὸ χρέος ἐκτιννύτω, τὰς κατὰ τοῦ
ἐγγυηθέντος ἤ ὑπὲρ οὗ τὰς ἐντολὰς ἔγραψεν ἤ τὴν ἀντιφώνησιν ὑπῆλθε παρὰ τοῦ δανείσαντος
ἐκχωρούμενος ἀγωγάς » (citée selon l’édition de R. SCHOELL-G. KROLL [Berlin 1895], infra : N.).
25. C. 4.18.3 = B. 26.3.3 ; N. 4.1 = B. 26.2.1 (cf. SBM E 1.24).
26. Eis. 28.11 = Pr. 16.10 (JGR, vol. II).
27. Eis. Aucta 22.10 ; Epitome 19.5 (JGR, vol. VI et IV).
28. H. 3.6.1.
29. Voir S.-G. MERCATI, Sanctuari e reliquie constantinopolitane secondo il codice ottoboniano
latino 169 prima della conquista Latina (1204), in Rendiconti della Pontificia Accademia Romana di

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Archeologia 12 (1936) = Idem, Collectanea byzantina, vol. II, Bari 1970, p. 464-489 (ici : p. 482) : « Hec
audientes Patriarcha et imperator glorificaverunt deum qui facit mirabilia magna solus. Abramium quidem
baptizavit Sergius patriarcha (…). Theodorus autem omnem substantiam suam dedit pauperibus et
argentum totum dedit in sanctam Sophiam et in ecclesiam Salvatoris que vocatur Antifontis (l.
Antiphonitis), hoc est ‘fideiussor’ ». Sur l’église et l’image d’Antiphonetès voir l’exposé détaillé de T. 
PAPAMASTORAKIS, The Empress Zoe’s Tomb, in The Empire in Crisis ( ?). Byzantium in the 11th
Century (1025-1081), [National Hellenic Research Foundation. Institute for Byzantine Research.
International Symposium, 11.] Athènes 2003, p. 497-511 (ici : p. 502-510).
30. Il est, par exemple, remarquable que selon la Peira, la collection qui se base sur la
jurisprudence du tribunal le plus élevé de l’Empire, la différence entre cautionnement et
constitut consiste surtout en ce que dans la deuxième des conventions on peut se porter caution
non seulement pour l’obligation d’autrui, mais aussi pour sa propre obligation, voir PEIRA 65. 4 :
« Ὅτι ἐγγύη μὲν ὑπερ ἑτέρου γίνεται, ἀντιφωνεῖ δε τις καὶ ὑπερ αὐτοῦ καὶ ὑπερ ἐτέρου »
(p. 240).
31. Cf. PAPAGIANNI, op. cit. (supra : n. 3), p. 11-12.
32. Sur ce sujet voir notamment D.  SIMON, Die Rechtsfindung am byzantinischen Reichsgericht,
Franfurt am Main 1973 ; Idem., Byzantinische Provinzialjustiz, in Byzantinische Zeitschrift 79 (1986)
310-313 ; Idem., « Περὶ τῆς ἀξίας τοῦ βυζαντινοῦ δικαίου », Ellenike Dikaiosyne 30 (1989), p.
274-281.
33. Il s’agit du verset qui répète la disposition de la Novelle 4, voir supra n. 24 et 28.
34. Cité d’après la dernière édition par Marie-Thérèse Fögen, Die Scholien zur Hexabiblos im
Codex vetustissimus Vaticanus Ottobonianus gr. 440, in Fontes Minores IV [ Forschungen zur
byzantinischen Rechtsgeschichte, 7.] Frankfurt am Main 1981, p. 256-345 (ici : p. 319-320).
35. Surtout sur la notion du « μανδάτωρ » voir PITSAKIS, op. cit. (supra n. 4), p. 197 n. 1 et Fögen,
op. cit., p. 320.
36. Sur les scolies de l’Hexabiblos voir PITSAKIS, op. cit. (supra n. 4), p. με΄-μζ΄ ; Idem., « Κριτικὲς
παρατηρήσεις στὸ κείμενο τῆς Ἑξαβίβλου », in Epétéris Kentrou Ereunes Istorias tou Ellénikou Dikaiou
(de l’Académie d’Athènes) 18 (1971[1973]) 249-270 (ici : p. 255 n. 14) ; Fögen, op. cit., p. 276-297.
37. Sur cette édition code C., voir HEIMBACH, op. cit. (supra n. 15), p. V-VI, XXI, 418.
38. Maintenant à Cracovie, Biblioteka Jagiellońska, n° 28/266 ; voir L. BURGMANN, M.-Th. FÖGEN
- A. SCHMINCK - D. SIMON, Repertorium der Handschriften des byzantinischen Rechts. [Forchungen zur
byzantinischen Rechtsgeschichte, 20.] Franfurt am Main 1995, n° 92 p. 117.
39. Voir D. APOSTOLOPOULOS, « Τὸ "Μέγα Νόμιμον" καὶ ὁ Δοσίθεος Ἱεροσολύμων »,  Mésaionika
kai Néa Ellénika 5 (1996) = Mneme Lèandrou Branousse, p. 283-293 (ici : p. 285-286, 291-293) et
Idem, op. cit. (supra n. 13), p. 182-186.
40. Voir D. GHINÈS - D. PANTAZOPOULOS, « Νομοκάνων Μανουὴλ νοταρίου τοῦ ἐκ Ναυπλίου τῆς
Πελοποννήσου μετενεχθεὶς εἰς λέξιν ἀπλὴν διὰ τὴν τῶν πολλῶν ὠφέλειαν », in ΝΟΜΟΣ, Epist.
Epet. Tmem. Nomikès (…) Panépistimiou Thessalonikès, vol. 1, Salonique 1982 ch. ΡςΕ: « Περὶ
κληρικῶν, ἐὰν σεύουν ἐγγυνταί, καθήρονται » (p. 173-174) et ch. ΦΜΖ΄ : « Περί γυναικός, ὁποῦ νὰ
ἐσεύν ἐγγυήτρια » (p. 363-364).
41. Voir cod. Vatic. Ottob. gr. 97, foll. 184r-185v, 433v-434r (ch. ροβ΄ ; ου΄).
42. Ch. υβ΄ ; voir cod. Vatic. Ottob. gr. 97, foll. 432v-433v.
43. H. 3.6.1,2,3,4.
44. Il s’agit d’une scolie à l’article H. 3.6.3, voir HEIMBACH, op. cit. (supra : n. 15), p. 420.
45. Voir supra n. 33.

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RÉSUMÉS
Après la conquête ottomane, le droit byzantin a continué à être appliqué dans les affaires dites de
droit privé par les tribunaux ecclésiastiques. Dès cette époque, cependant, ce droit d’origine
romaine était en partie désuet et demandait de nombreuses adaptations. Une sentence de
Kallinikos II en 1694 concernant une affaire d’usure montre ainsi comment on trouvait,
comprenait et appliquait une règle juridique romaine qui avait perdu sa fonction pratique dès le
VIe s.

After the Ottoman conquest, Byzantine law continued to be applied in private law by
ecclesiastical courts. From that time, however, this law of Roman origin was partly outdated and
required numerous adaptations. A Kallinikos II’s sentence in 1694, concerning an usury affair,
shows how one could find out, understand and enforce a Roman judicial rule which had lost its
practical function since the 6th c.

AUTEUR
ELEFTHÉRIA PAPAGIANNI
Université d’Athènes

Études balkaniques, 10 | 2003


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Les mariages mixtes dans la


tradition juridique de l’Église
grecque : de l’intransigeance
canonique aux pratiques modernes
Mixed Marriages in Greek Church Juridical Tradition: From Canonical
Intransigence to Modern Practices

Constantinos G. Pitsakis

NOTE DE L’ÉDITEUR
Texte d’un exposé présenté au séminaire : Mariage et famille : le problème des mariages
mixtes (Istanbul, 6-7 novembre 1997), dont les actes n’ont pas été publiés. Le caractère
juridique du séminaire est à l’origine du contenu et du style, quelque peu « technique »
de ce texte.
 
I. La norme canonique
1. La législation du concile in Trullo

1 La réglementation canonique définitive des mariages mixtes dans l’Église d’Orient, pour
ce qui est aujourd’hui dans l’Église orthodoxe, toujours officiellement en vigueur, a été
faite d’une manière fortement négative par le canon 72 du concile in Trullo, ou concile
Quinisexte, de l’an 692 ; concile « législatif » par excellence de l’Église de tradition
byzantine1 :
Μὴ ἐξέστω ὀρθόδοξον ἄνδρα αἱρετικῇ συνάπτεσθαι γυναικί, μήτε μὴν αἱρετικῷ
ἀνδρὶ γυναῖκα ὀρθόδοξον ζεύγνυσθαι· ἀλλ’ εἰ καὶ φανέιν τι τοιοῦτον ὑπό τινος τῶν
ἁπάντων γινόμενον, ἄκυρον τὸν γάμον ἡγεῖσθαι καὶ τὸ ἄθεσμον διαλύεσθαι
συνοικέσιον· οὐ γὰρ χρὴ τὰ ἄμικτα μιγνύναι, οὐδε τῷ προβάτῳ λύκον

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συμπλέκεσθαι καὶ τῇ τοῦ Χριστοῦ μερίδι τὸν τῶν ἁμαρτωλῶν κλῆρον. Εἰ δὲ


παραβῇ τις τὰ παρ’ ἡμῶν ὁρισθέντα, ἀφοριζέσθω2.
Ne liceat virum orthodoxum cum muliere haeretica matrimonio contungi, neve mulierem
orthodoxam viro haeretico nubere ; sed et si quid eiusmodi a quopiam ex omnibus fieri
apparuerit, irritae nuptiae existimandae sunt et nefarium coniugium dissolvendum est ;
neque enim ea quae non sunt miscenda misceri, nec ovem cum lupo, nec peccatorum sortem
cum Christi parte coniungi oportet. Si quis autem ea, quae a nobis decreta sunt, transgressus
fuerit, excommunicetur3.
« Qu’il ne soit pas permis à un homme orthodoxe de s’unir à une femme hérétique,
ni à une femme orthodoxe d’épouser un homme hérétique ; et si pareil cas s’est
présenté pour n’importe qui, le mariage doit être considéré comme nul et le contrat
matrimonial illicite est à casser ; car il ne faut pas mélanger ce qui ne se doit pas, ni
réunir un loup à une brebis, [ni le sort des pécheurs à la part du Christ]. Si
quelqu’un transgresse ce que nous avons décidé, qu’il soit excommunié » 4.
2 Le canon du concile in Trullo reprend et cherche à généraliser une interdiction déjà
présente, sous une forme plus nuancée ou d’application plus restreinte, dans des
canons de certains conciles locaux antérieurs, dont la législation a été confirmée, dans
son ensemble, par le canon 2 de ce même concile in Trullo, et dès lors de force
canonique concomitante. Dont :
3 (a) le canon 10 de Laodicée (ca. 380) : Περὶ τοῦ μὴ δεῖν τοὺς τῆς ἐκκλησίας ἀδιαφόρως
πρὸς γάμου κοινωνίαν συνάπτειν τὰ ἑαυτῶν τέκνα. Le canon contient une double
ambiguïté : οἱ τῆς ἐκκλησίας seraient-ils des « ecclésiastiques », comme traduisait déjà
Denys le Petit, au VIe siècle (Quod non oporteat indifferenter ecclesiasticos ad foedera
nuptiarum hereticis suos filios filiasque coniungere), ou bien tous les chrétiens, « les
membres de l’Église », selon l’interprétation unanime des canonistes byzantins 5, suivie
par Joannou (Que les membres de l’Église ne marient pas indifféremment leurs enfants
avec les hérétiques) ? Et cette expression ἀδιαφόρως « indifféremment », indifferenter,
signifierait-elle tout simplement que cette question n’est pas « indifférente », sans
importance, ou introduirait-elle une distinction entre plusieurs catégories
d’« hérétiques » ? La doctrine byzantine est aussi unanime à rejeter toute distinction de
cette sorte, donc toute distinction entre des cas de mariages « mixtes » interdits et des
cas de mariages « mixtes » permis6. Quoi qu’il en soit, l’interdiction est répétée dans
4 (b) le canon 31 de Laodicée, cette fois sans ambiguïté, mais tout en laissant une
possibilité d’« accepter » ou de « recevoir » un hérétique dans une famille
« chrétienne », si celui-ci promet de se convertir :
Ὅτι οὐ δεῖ πρὸς πάντας αἱρετικοὺς ἐπιγαμίας ποιεῖν ἢ διδόναι υἱοὺς καὶ θυγατέρας·
ἀλλὰ μᾶλλον λαμβάνειν, εἴ γε ἐπαγγέλοιντο Χριστιανοί γενέσθαι.
Quod non oporteat cum hereticis universis nuptiarum foedera celebrare nec eis filios dare
vel filias ; sed magis accipere, si tamen promittant se fieri Christianos (traduction
ancienne de Denys le Petit)
La traduction française de Joannou, de caractère plus juridique, fait disparaître cette nuance
d’ordre social entre dare et accipere dans une famille : « On ne doit pas se marier avec
des hérétiques quels qu’ils soient, ni leur donner en mariage ses fils et filles, à
moins qu’ils ne promettent de se faire chrétiens »7.
5 (c) Le canon 21 du concile de Carthage (419) qui interdit particulièrement les mariages
des enfants des membres du clergé avec des païens ou des hérétiques : Item placuit ut filii
clericorum gentilibus vel hereticis matrimonio non coniugantur (dans la traduction grecque
« officielle » des collections canoniques orientales : Ὁμοίως ἤρεσεν ὥστε τὰ τέκνα τῶν
κληρικῶν ἐθνικοῖς ἢ αἱρετικοῖς γαμικῶς μὴ συνάπτεσθαι).

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6 Dans la législation des conciles œcuméniques avant le Quinisexte, un seul canon, le


canon 14 du concile de Chalcédoine (IVe concile œcuménique), traite de ce sujet, dans
un cas très particulier aussi, au moins en apparence. Ceux qui seraient entrés dans les
ordres mineurs, qui n’empêchent pas le mariage après l’ordination, ne doivent pas
épouser des femmes hétérodoxes (le terme est éclairci plus bas : hérétiques, juives ou
païennes) ; dans la ligne des canons de Laodicée et de Carthage ils ne doivent pas non
plus donner leurs enfants en mariage à des personnes hétérodoxes, à moins que celles-
ci ne promettent d’embrasser la foi chrétienne orthodoxe :
Ἐπειδὴ ἔν τισιν ἐπαρχίαις συγκεχόρηται τοῖς ἀναγνώσταις καὶ ψάλταις γαμεῖν,
ὥρισεν ἡ ἁγία σύνοδος μὴ ἐξεῖναί τινι αὐτῶν ἑτερόδοξον γυναῖκα λαμβάνειν. Τοὺς
δὲ ἤδη ἐκ τοιούτων γάμον παιδοποιήσαντας… μήτε μὴν συνάπτειν πρὸς γάμον
αἱρετικῷ ἢ Ἰουδαίῳ ἢ Ἕλληνι, εἰ μὴ ἄρα ἐπαγγέλοιτο μετατίθεσθαι εἰς τὴν
ὀρθόδοξον πίστιν τὸ συναπτόμενον πρόσωπον τῷ ὀρθόδοξῳ. Εἰ δὲ τις τοῦτον τὸν
ὅρον παραβαίν τῆς ἁγίας συνόδου κανονικῷ ὑποκείσθω ἐπιτιμίῳ.
Quoniam in quibusdam provinciis concessum est lectoribus et psalmistis uxores accipere,
statuit sancta synodis non licere cuiquam ex his sectae alterius uxorem accipere. Qui vero ex
huiusmodi coniugio iam filios susciperunt… neque copulari debet nuptura haeretico, Iudaeo
vel pagano, nisi forte promittat se ad orthodoxam fidem orthodoxe copulanda persona
transferre. Si quis autem hanc definitionem sanctae sinhodi transgressus fuerit, correptioni
canonicae subiacebit)8.
7 On sait que le concile de Chalcédoine avait sous les yeux une collection canonique
comprenant les canons de Laodicée qui empêchaient le mariage avec des hérétiques
pour tous les fidèles. Pourquoi donc cette disposition très particulière à propos des
seuls lecteurs et chantres ? On a vu là une influence du canon 21 de Carthage, ce qui
paraît peu probable, et n’explique d’ailleurs pas grand-chose. On devrait plutôt
s’associer à l’opinion d’un éminent canoniste orthodoxe contemporain, Mgr Pierre
L’Huillier, un spécialiste de la législation des quatre premiers conciles œcuméniques :
« Canons 10 and 31 of Laodicea, appearing in the collection used by fathers of
Chalcedon, forbade all Christian from marrying heretics… No doubt, this ruling was
poorly observed by many laymen. Since readers and chanters were at the limit between
the clergy and the laity, they neglected it also. Canon 72 of Trullo was to go further by
nullifying absolutely the marriages between orthodoxs and heretics 9 ».
 
2. Les effets civils

8 Dans toute cette législation conciliaire une chose paraît être très claire. À cette époque,
où une vraie doctrine sacramentelle ne s’était pas encore développée sur le mariage, le
problème des mariages « mixtes » (ce terme moderne n’existe évidemment pas dans le
vocabulaire juridique de l’époque) ne se pose pas encore sur un plan doctrinal propre. Il
relève plutôt du domaine de la pastorale ecclésiastique ou de la pratique sociale : on
évoque surtout l’impossibilité d’intégration de la personne « infidèle » à la
communauté et de coexistence dans le lien conjugal et en famille, la difficulté
d’exclusion efficace de l’influence « hétérodoxe », le problème du sort religieux de la
progéniture. C’est là, dans le problème d’intégration à la communauté et à la famille,
que se trouve l’interprétation de ces termes, presque incompréhensibles voire
insignifiants sur le plan proprement juridique, du canon 31 de Laodicée : ne pas donner
en mariage… mais plutôt recevoir (non dare, sed magis accipere ; ou didonai, alla mallon
lambanein). Les commentateurs ont même souvent recours à des notions de droit civil,
par excellence à la définition célèbre du mariage par Modestin dans Dig. 23.2.1 : Nuptiae

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sunt coniunctio maris et feminae et consortium omnis vitae, divini et humani iuris
communicatio. Si le mariage est un consortium (syn-klèrôsis) omnis vitae et aussi une
communicatio divini iuris, comment pourrait-on envisager un mariage entre personnes
qui n’ont pas un « sort » commun ni dans cette vie ni dans celle à venir, qui n’ont rien
de commun du point de vue du droit divin ? Ce n’est sans doute pas par hasard que le
canon du concile in Trullo se réfère particulièrement au « sort » (klèros) des pécheurs
qu’on ne doit pas unir à la part du Christ. Le fait que le mariage d’une personne
chrétienne avec un « hérétique » et même avec un non-chrétien, si ce dernier promet
de se convertir, mais avant qu’il ne soit effectivement converti et baptisé (canons 31 de
Laodicée et 14 de Chalcédoine), était considéré par l’Église comme licite, et même,
semble-t-il, souhaitable, fait bien ressortir que le mariage d’un chrétien avec un
« infidèle », réprouvé en principe pour des raisons pastorales et sociales, n’était pas
considéré comme institutionnellement impossible, n’allait pas encore à l’encontre de la
doctrine ou d’une théologie sacramentelle. Le concile in Trullo qui a procédé
systématiquement à une institutionnalisation du droit canonique oriental a supprimé
cette possibilité, mais sans encore établir une « théologie » des mariages mixtes.
9 « No doubt, this ruling was poorly observed by many laymen », pour répéter les paroles
de Mgr L’Huillier. En effet, comme les conditions juridiques et les empêchements de
mariage à l’époque du concile de Chalcédoine (Vesiècle), et même aussi à celle du
concile in Trullo (VII esiècle), relevaient encore du seul droit civil, qui n’empêchait pas
en principe le mariage pour cause de disparité de religion – même s’il semblait parfois
le désapprouver et le frappait de certaines mesures d’ordre financier ou administratif,
surtout en faveur de la partie orthodoxe –, les dispositions canoniques conciliaires
réprouvant les mariages « mixtes » n’avaient d’application propre qu’au niveau de la
pastorale et de la discipline ecclésiastiques, et, en principe, n’affectaient pas, au moins
directement, le sort du mariage en soi. Le rédacteur du Nomocanon en XIV titres invoque
toujours la définition de Modestin pour déplorer ce fait :
Ὁ πολιτικὸς νόμος, εἰ καὶ τὰ μάλιστα τὸν γάμον ὁριζόμενος φησί… ὅτι γάμος ἐστὶν
ἀνδρὸς καὶ γυναικὸς συνάφεια καὶ συγκλήρωσις πάσης τῆς ζωῆς, θείου τε καὶ
ἀνθρωπίνου δικαίου κοινωνία, καὶ κατὰ τοῦτον τὸν ὅρον ἔδει τοὺς γάμῳ
συναπτομένους ὁμοθρήσκους εἶναι, ὅμως οἶδε καὶ δέχεται μεταξὺ ὀρθοδόξου
αἱρετικοῦ γάμον…10.
10 Seule exception explicite, la disposition de Cod. 1. 9. 6 (a. 388), à propos du mariage
d’une personne juive avec un chrétien :
Ne quis Christianam mulierem in matrimonium Iudaeus accipiat neque Iudaeae Christianus
coniugium sortiatur. Nam si quis aliquid huiusmodi adtiserit, adulterii vicem commisst
huius crimen obtinebit, libertate in accusandum publicis quoque vocibus relaxata
(Basiliques 1. 1. 34 : Ἰουδαίοις Χριστιανοὶ πρὸς γάμον μὴ συνερχέσθωσαν,  τὸ περὶ
μοιχείας ἐντεῦθεν ὑφορώμενοι δημόσιον ἔγκλημα).
 
3. La compétence exclusive de l’Église en matière de célébration de
mariage

11 C’est seulement au début du Xe siècle que l’Église devient, par la Novelle 89 de Léon VI le
Sage, la seule autorité qui puisse célébrer un mariage légitime pour tous les Chrétiens
de l’Empire, même du point de vue du droit civil. Elle le sera jusqu’à la chute de
l’Empire, et aussi pendant toute la période ottomane et dans l’État grec moderne
jusqu’à la fin du XXe siècle, soit sous le droit dit « romano-byzantin » introduit en 1835,

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en vigueur jusqu’en 1946, soit, après cette date, sous le Code civil grec, qui ne
reconnaissait que le mariage religieux, entre chrétiens ou non-chrétiens (la possibilité
légale d’un mariage civil ne fut introduite en Grèce qu’en 1982 ; une évolution à peu
près analogue a eu lieu aussi dans la république de Chypre).
12 Du fait de ce « monopole » ecclésiastique en matière de célébration d’un mariage légal,
le droit de l’Église pour ce qui est des conditions et des empêchements de mariages s’est
désormais inévitablement imposé au niveau aussi du droit civil ; l’Église y exerce un
contrôle effectif et exclusif. En vertu du canon 72 du concile in Trullo, dernier mot de la
législation canonique en la matière, les mariages « mixtes » entre orthodoxes et
« hérétiques » (entre chrétiens orthodoxes et non-chrétiens aussi, à plus forte raison :
ce dernier cas, prévu dans les canons des conciles antérieurs et sans doute considéré
déjà comme impensable, n’est plus mentionné expressément dans les prévisions du
canon du concile in Trulo, mais il y est certainement compris a fortiori) sont désormais
considérés comme absolument interdits par le droit positif, à la fois droit canonique et
droit civil, et l’Église dispose maintenant, au moins en théorie, de tous les moyens pour
imposer cette interdiction dans les faits.
 
4. Effets rétroactifs de la conversion à l’orthodoxie

13 Selon un principe général de la doctrine et de la pratique juridiques byzantines, tout


empêchement matrimonial dirimant, qui n’existait pas lors de la célébration du
mariage mais qui s’est produit par la suite, a des effets rétroactifs quant à la validité du
mariage, dont il entraîne, en règle générale, l’annulation. Il s’agit d’une particularité du
droit matrimonial byzantin, qui a parfois créé des constructions bizarres voire
ridicules, tout au moins à nos yeux11.
14 Par une très rare exception, dans le cas du canon 72 du Quinisexte, cet effet rétroactif
est explicitement exclu ; si dans un couple d’« hérétiques » ou de non-chrétiens l’un des
époux se convertit à l’orthodoxie et que l’autre demeure dans sa religion non-
chrétienne ou dans son hérésie, il ne se produit pas en soi d’empêchement à caractère
rétroactif, de nature à annuler le mariage existant, ce qui constituerait, d’ailleurs, selon
le cas, soit un obstacle pour la conversion de l’époux intéressé à l’orthodoxie soit une
occasion pour des conversions de complaisance, visant à dissoudre
« automatiquement » un mariage devenu indésirable. L’exception était d’ailleurs
inévitable, car il s’agit d’un cas prévu explicitement dans l’Écriture :
Si un frère a une femme non croyante qui consente à cohabiter avec lui, qu’il ne la
répudie pas. Si une femme a un mari non croyant qui consente à cohabiter avec elle,
qu’elle ne le répudie. En effet le mari non croyant se trouve sanctifié par sa femme,
et la femme non croyante se trouve sanctifiée par son mari croyant. Car autrement
vos enfants seraient impurs, alors qu’ils sont saints… Et qui sait, femme, si tu ne
sauveras pas ton mari ? Et qui sait, mari, si tu ne sauveras pas ta femme ? (I Cor. 7.
12-16).
15 C’est précisément ce précepte qu’invoque le canon 72 :
Εἰ δέ τινες, ἔτι τῇ ἀπιστίᾳ τυγχάνοντες καὶ οὔπω τῇ τῶν ὀρθοδόξων
ἐγκαταλεγέντες ποίμνῃ, ἀλλήλοις γάμῳ νομίμῳ ἡρμόσθησαν, εἶτα ὁ μὲν τὸ καλὸν
ἐκλεξάμενος τῷ φωτί τῆς ἀληθείας προσέδραμεν, ὁ δὲ ὑπὸ τοῦ τῆς πλάνης
κατεσχέθη δεσμοῦ μὴ πρὸς τὰς θείας ἀτενίσαι ἀκτῖνας ἑλόμενος, εὐδοκεῖ δὲ τῷ
πιστῷ ἡ ἄπιστος συνοικεῖν ἢ τὸ ἔμπαλιν ὁ ἄπιστος τῇ πιστῇ, μὴ χωριζέσθωσαν,
κατὰ τὸν θεῖον ἀπόστολον· ἡγίασται γὰρ ὁ ἄπιστος ἀνὴρ ἐν τῇ γυναικὶ καὶ
ἡγίασται ἡ ἄπιστος γυνὴ ἐν τῷ ἄνδρί.

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Si qui autem, cum infideles essent et in orthodoxorum gregem nondum relati essent, inter se
legitimo matrimonio coniuncti sunt, deinde alter quidem, eo quod est honestum electo, ad
lucem veritatis accessit, alter vero erroris vinculo detentus est, nolens divinos radios fixis
oculis intueri, si infideli uxori placet cum viro fideli habitare, vel vice versa viro infideli cum
fideli uxore, ne separentur. Ex divina enim apostoli sententia, "sanctificatus est vir infidelis
in muliere, et sanctificata est mulier infidelis in viro.
« Quant à ceux qui étant encore mécréants avant d’être admis au bercail des
orthodoxes, s’engagèrent dans un mariage légitime, si l’un d’entre eux ayant choisi
la part la meilleure vint à la lumière de la vérité, tandis que l’autre fut retenu dans
les liens de l’erreur sans vouloir contempler les rayons de la lumière divine, si
l’épouse incroyante veut bien cohabiter avec le mari croyant, ou vice versa le non-
croyant avec la croyante, qu’ils ne se séparent pas, car, selon le divin Apôtre, “le
mari non-croyant est sanctifié par sa femme, et la femme non-croyante est
sanctifiée par son mari” » (traduction Joannou).
16 Même mention aussi dans le canon 9 de saint Basile, dans un contexte différent :
Ἀλλὰ καὶ ἀπίστου ἀνδρὸς χωρίζεσθαι οὐ προσετάχθη γυνή, ἀλλὰ παραμένειν, διὰ
τὸ ἄδηλον τῆς ἐκβάσεως· τί γὰρ οἶδας, γύναι, εἰ τὸν ἄνδρα σώσεις ; (traduction
Joannou : « Même dans le cas du mari non-chrétien, on n’ordonne pas à la femme de
se séparer de lui, mais de rester, parce qu’on ne sait ce qui en résulterait : Qui sait,
femme, si tu ne sauveras pas ton mari ? »)12.

17 Au XIIe siècle Théodore Balsamon, dans deux passages de son commentaire considère


encore cette dernière distinction du canon 72 comme valable13. Il a même le courage
d’en proposer une interprétation assez large : un ancien « hérétique » converti, dont la
femme et les enfants insistent sur l’hérésie, non seulement ne doit pas se séparer de sa
femme (et de sa famille), mais peut aussi, malgré cela, entrer dans les ordres. Le canon
du Quinisexte prévaudrait, selon Balsamon, contre le canon 36 de Carthage : Ut episcopi
et presbyteri et diaconi non ordinentur priusquam omnes qui sunt in domo eorum christianos
facerint, qui, selon Balsamon ne serait applicable qu’aux orthodoxes de naissance ayant
épousé des femmes non-chrétiennes ou non-orthodoxes14.
18 Cela ne saurait exclure la possibilité d’un divorce qui pourrait être prononcé pour cause
de disparité de religion (disparitas cultus) sur la demande surtout de la partie
« orthodoxe », malgré la réprobation scripturaire et canonique. Au sujet de la disparité
de religion (διὰ τὸ τῆς πίστεως διὰφορον), le Nomocanon en XIV titres cite surtout Cod.
5. 1. 5, portant sur la dissolution des fiançailles propter religionis vel sectae diversitatem. A
une époque postérieure, dans l’environnement complètement christianisé et
« orthodoxe » de l’Empire, ces cas sont devenus, semble-t-il, très rares. Balsamon 15 cite
un exemple sous le patriarcat de Théodote II (1151/2-1153/4) : un bucinator impérial
nouvellement baptisé se sépare, par décret patriarcal, de sa femme qui, malgré les
instances de son mari, refuse de se convertir. En effet, Matthieu Blastarès, un éminent
continuateur de Balsamon, écrira à ce propos, deux siècles plus tard (1334/1335), en
s’écartant quelque peu de l’avis de son ancien :
Πέπεισμαι δὲ ὅτι τῆς ἀρχῆς ἦν ταῦτα, καὶ τῶν προοιμίων τοῦ κυρύγματος· τὸ δὲ
τήμερον ἔχον, πῶς οἷόν τε Ἰουδαῖον ἢ Ἀγαρηνὸν βαπτισθέντα συνοικεῖν ἔτι τῇ
ἀβαπτίστῷ, ἢ τὴν βαπτισαμένην τῷ μὴ πιστεύοντι ;
« je suis persuadé que [le précepte paulinien de I Cor. 7.12-16] ne se référait qu’aux
circonstances primitives d’alors, aux débuts de la diffusion du message
évangélique ; car aujourd’hui comment pourrait-on concevoir qu’un juif ou un
musulman converti cohabite encore avec une femme non-baptisée ou qu’une
femme baptisée cohabite avec l’infidèle ? »16.

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19 Le cas inverse, à savoir le cas où dans un couple jusque là « orthodoxe » l’un des époux
se convertit à une autre religion (ou à une « hérésie »), ne se pose pas dans toute cette
littérature ; au moins pour ce qui est de la conversion d’un chrétien à une autre
religion, l’apostasie constitue, en droit byzantin, comme dans tous les droits
médiévaux, un crime de droit pénal commun, puni par la peine capitale.
 
II. Les réalités de l’Empire d’Orient
20 À la fin de la période conciliaire, le christianisme « orthodoxe » ou « catholique » (les
deux termes sont encore synonymes) se trouve établi comme religion d’Empire
prétendant à l’exclusivité. Comme le mariage entre juifs et chrétiens avait été assez tôt
prohibé par le droit positif séculier, et que pour les « hérésies », condamnées à la fois
par le droit ecclésiastique et séculier, un seul statut est pratiquement concevable à
l’intérieur de l’Empire, celui de la persécution ou de la conversion volontaire ou forcée,
pratiquement aucun véritable problème de « mariages mixtes », avant la lettre, ne se
pose dans la vie de l’Empire, au moins jusqu’à l’apparition de l’Islam. La norme
canonique absolument prohibitive du concile in Trullo pourrait donc être généralement
et aisément appliquée. Le problème n’entre dans la pratique byzantine que par
l’invasion et la présence de l’islam dans des territoires de l’Empire ; le second élan, de
beaucoup plus important, est évidemment donné par le schisme entre les Églises
d’Occident et d’Orient.
21 C’est toujours le commentaire de Théodore Balsamon, au XII e siècle, qui traite de ce
sujet sous ses deux aspects (mariage d’un chrétien avec un non-chrétien, mariage entre
un « orthodoxe » et un « non-orthodoxe »), pour la première fois du point de vue du
droit canonique oriental.
 
1. Le mariage d’un chrétien avec un non-chrétien

22 Or, le mariage d’un chrétien avec un non-chrétien a toujours été, il l’est encore
aujourd’hui, hors de question en droit canonique oriental. Balsamon, se trouvant dans
un milieu où l’Église seule a depuis longtemps la possibilité de célébrer légalement le
mariage, dont elle a par conséquent le contrôle absolu, se demande à deux reprises
comment les orthodoxes géorgiens peuvent donner leurs propres filles en mariage à
des musulmans, et cela, paraît-il, avec la tolérance, sinon le consentement, de
l’épiscopat local :
Ἐγὼ δὲ εἰδὼς τοὺς Ἴβημας ὀρθοδοξους καὶ τὰ ἡμέτερα πάντα δοξάζοντας, καὶ
ὁρῶν αὐτοὺς τοῖς Ἀγαρηνοῖς ἐκγαμίζοντας τὰς οἰκείας θυγατέρας, θαυμάζω καὶ
ἀπορῶ πῶς παρὰ τῶν ἀρχιερέων αὐτῶν, εἰδότων καί ἀναγινωσκόντων τὰ τῶν
θείων κανόνων θεσπίσματα, τὰ τοιαῦτα οὐ κωλύονται 17 ; Σημείωσαι οὖν τὸυπαρόντα
κανόνα [sc. 78 du concile in Trullo] διὰ τοὺς Ἴβηρας, τοὺς ἀδιαφόρως τὰ οἰκεῖα
θυγάτρια τοῖς Ἀγαρηνοῖς ἐκγαμίζοντας18.
23 En 1195 Balsamon rédige, au nom du synode de Constantinople, des réponses sur
diverses questions canoniques posées par le patriarche orthodoxe d’Alexandrie, Marc 19.
Le patriarcat d’Alexandrie, se trouvant depuis des siècles en dehors de l’Empire, sous
domination de l’islam, avec une présence importante de communautés chrétiennes
non-chalcédoniennes, considérées comme hérétiques, avait à affronter des problèmes
particuliers sur les rapports de ses fidèles avec les non-chrétiens et les non-othodoxes.

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Or, la question N° 36 porte justement sur le cas de femmes orthodoxes ayant contracté
de « prétendus mariages » (συνάπτονται τάχα γαμικῶς) avec des « Sarrasins » ou des
« hérétiques » ; seraient-elles acceptées à la communion ? Réponse : non ; elles sont
excommuniées en vertu du canon 72 du concile in Trullo. Elles seront acceptées
seulement après la dissolution du mariage (« du mal », dit-il : tou kakou) et après
qu’elles aient fait pénitence20. On se demande même21 si quelqu’un qui a eu de simples
relations charnelles avec une femme juive ou musulmane ne devrait pas être rebaptisé !
Ici Balsamon, malgré son intransigeance canonique, se révolte : il s’agirait évidemment
d’une personne coupable de fornication, coupable même, si on veut, de « rapports
sataniques » (κοινωνίας σατανικῆς), souillée sans doute, à mettre en pénitence sévère
certainement, mais on ne rebaptise pas ainsi les pécheurs.
24 Le cas des princesses byzantines données en mariage à des princes tartares, mongoles,
persans ou turcs, dans le contexte des relations extérieures de l’Empire, surtout à
l’époque du déclin (Marie et Euphrosyne Paléologue, filles illégitimes de l’empereur
Michel VII mariées avec Ilkhan Abaga, khan mongol de Perse, en 1265, et Nogaj, chef
tartare ; Marie, leur nièce, fille illégitime d’Andronic II Paléologue, épouse de Tuktai,
khan mongol de la Horde d’Or, à la fin du XIII siècle ; Théodora, fille de l’empereur Jean
VI Cantacuzène, donnée en mariage à son allié ottoman Ohrhan ; la célèbre kyra Mara
elle-même, épouse de Murat II et belle-mère très respectée de Mehmet II le Conquérant,
née Marie Branković, fille du despote Georges [Djuradj] de Serbie et de la princesse
grecque Irène Cantacuzène) n’étaient que des mariages contractés en dehors de
l’Empire et « ignorés » de l’Église. Au moins dans le premier cas, les historiens
byzantins insistent sur le fait que le mariage a été accompagné de la conversion du
grand-khan Abaga. En tout cas, Marie Paléologue, veuve khatun des Mongols, la kyra des
Mongols de la tradition byzantine, de retour à sa Ville impériale, fit construire son
église, Notre-Dame-des-Mongols, église de la période byzantine qui est aujourd’hui
encore affectée à sa première destination. C’est probablement cette même Marie
Paléologue, ou bien sa nièce et homonyme, khatun des Mongols elle aussi, qui figure,
comme co-fondatrice, sur les splendides mosaïques du monastère de Chora, (Kahriye)
Camii, sous son nom en religion, Mélanè, mais aussi avec son titre mongol : hè kyra tôn
Mougouliôn. Et l’on sait bien le rôle très important qu’a joué cette troisième homonyme,
la kyra Mara Branković, dans les affaires du patriarcat après la prise de Constantinople
et jusqu’à sa mort (ca. 1480).
 
2. Le mariage d’un chrétien « orthodoxe » avec un « hérétique »

25 Nous venons de voir l’attitude de Balsamon à ce sujet, dans ses réponses à Marc
d’Alexandrie. Le grand canoniste considère comme absolument identiques, selon la
lettre du canon du concile in Trullo, les deux cas : mariage avec un non-chrétien ou
mariage avec un « hérétique ». Il s’oppose catégoriquement à toute idée de mariage
mixte ou d’intercommunion, même dans les circonstances très difficiles où se trouve le
patriarcat d’Alexandrie : « car la situation locale difficile et le grand nombre des
hérétiques ne peuvent pas l’emporter sur l’intégrité de la foi orthodoxe » (ἡ γὰρ
στενοχωρία τῶν τόπων καὶ ὁ τῶν αἱρετικῶν πληθυσμὸς τῆς ὀρθοδόξου πίστεως οὐ
μετήμειψε τὴν ἀκεραιότητα)22. Nous avons vu que dans la réponse N° 36 il est question
de mariages mixtes « avec des Sarrasins ou bien avec des hérétiques » (μετὰ
Σαρακηνῶν ἢ καὶ αἱρεσιωτῶν) ; le traitement négatif est identique pour les deux cas.

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3. Le mariage entre chrétiens « orthodoxes » et « latins ». Du
schisme de 1054 à l’institutionnalisation de la disparité de culte

26 Le schisme de 1054 n’a pas introduit dès l’abord, comme on en prend de plus en plus
conscience, une séparation « institutionnelle » entre les deux Églises. Ce seront plus
tard le choc des Croisades, le grand choc de la prise et du pillage de Constantinople par
les Croisés de la IVe Croisade (1204), l’installation d’un épiscopat latin (qui plus est, des
patriarcats latins, dans le territoire canonique traditionnel des Églises d’Orient), l’échec
des grands conciles d’union (Lyon, Ferrare-Florence), enfin la chute de l’Empire et la
nouvelle réalité créée sous l’Empire ottoman, qui ont graduellement consommé et
« institutionnalisé » le schisme, qui produirait un vrai état de disparitas cultus et dès lors
une question de « mariages mixtes » entre « catholiques » et « orthodoxes ». Or, juste
après le schisme et avant cette « institutionnalisation » de la disparité de culte, la
question ne présente pas encore de grande importance : de prime abord, il s’agissait
plutôt, malgré les anathèmes réciproques, d’une sorte de différence de juridiction ou
d’obédience, voire de différence de rite, sans effet direct sur la possibilité d’un mariage
entre les parties, latine et orientale, qui n’auraient, semble-t-il, qu’à suivre la
juridiction, le droit et le rituel du lieu.
27 Cela s’accorde assez bien avec un concept général byzantin, la « conception
internationaliste de l’Empire qui considère comme Romains tous ceux qui sont à son
service ». C’est une expression employée par Nicolas Oikonomidès au sujet de
l’allocution du patriarche Michel IV Autôréianos (1208-1214) aux soldats grecs et
occidentaux de l’armée de l’Empire en exil à Nicée, sous l’empereur Théodore Lascaris :
Ἄνδρες ’Ρωμαῖοι...23. Sans doute, dans cette armée de mercenaires, ne s’agissait-il pas,
en majorité de soldats d’appartenance « orthodoxe » orientale ; mais leur
« orthodoxie », explicitement signalée d’ailleurs (διὰ τὴν ἀμώμητον ὑμῶν χάριν τῆς
πίστεως), était présumée du seul fait qu’ils se trouvaient au service de l’Empire. Depuis
la période « proto-byzantine », au moins, une église et un monastère (τῶν Γότθων) de la
capitale appartenaient aux Goths, mercenaires au service de l’Empire, « aux Goths
orthodoxes », précise le Père R. Janin24, en s’efforçant de les distinguer des Goths
ariens ; mais c’était plutôt leur appartenance à l’Empire qui assurait cette orthodoxie
présumée. Les mercenaires varègues et leurs successeurs possédaient à Constantinople
une église de Notre-Dame-des-Varègues et de Saint-Olaf25 ; les Anglais au service de
l’Empire y disposaient d’une église dédiée à Saint-Nicolas et à Saint-Augustin-de-
Cantorbéry26. Comme ils se trouvaient au service de l’Empire, ils étaient tous présumés
orthodoxes, avant ou après le schisme, malgré la différence de rite. Sur le Mont-Athos,
ce microcosme de l’univers byzantin27, à côté des monastères grecs, slaves ou géorgiens
se trouvait le monastère latin des Amalfitains, considéré, même après le schisme,
comme un monastère « orthodoxe », sous la juridiction de Constantinople 28 tout comme
les monastères grecs dans l’Italie non-byzantine fonctionnaient régulièrement sous
l’obédience romaine.
28 Les Latins qui se trouvent au service de l’Empire, considérés ipso jure ou par simple
présomption légale comme Romains et « orthodoxes », n’ont pas de véritable difficulté
à épouser des femmes d’origine orientale, selon le droit et le rite orientaux ; pour ce qui
est des orientales données en mariage à des Occidentaux en dehors de l’Empire, on peut
penser qu’il est généralement accepté qu’elles doivent suivre la juridiction et

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l’obédience ecclésiastiques, le droit et le rite de leur mari : « the Eastern tradition that
the wife follows the husband », comme l’a signalé récemment le père Jobe Abbass, à
propos des nouveaux codes de droit canon, occidental et oriental, de l’Église
catholique29 ; il s’agirait surtout de ces princesses byzantines données en mariage à des
princes ou de hauts dignitaires occidentaux (surtout depuis l’époque des Comnènes),
lorsque les deux mondes se trouvent en relations très étroites, tantôt amicales tantôt
non, à la suite des Croisades et de l’établissement des Etats latins en Orient.
29 Au XIIe siècle, au centenaire du schisme « officiel », sous l’empereur Manuel I er
Comnène (1143-1180), dont les sympathies occidentalistes sont bien connues, les deux
mondes entretiennent des relations très étroites, à la suite des Croisades et de
l’établissement d’États latins en Orient ; c’est alors que le commerce des mariages
dynastiques mixtes atteint son apogée pour se perpétuer dans les siècles suivants. Pour
ne citer que la propre famille de Manuel Ier, ses deux épouses ont été des princesses
occidentales : Irène (comtesse Berthe von Sulzbach), sœur de la femme de l’empereur
germanique Conrad III Hohenstaufen, et Marie d’Antioche ; une autre candidate fut
aussi une princesse occidentale : Mélisande de Tripoli. De ses deux enfants, son fils et
successeur, l’infortuné Alexis II (1180-1183), épousera Anne-Agnès de France ; sa fille
Marie sera, en premières noces, la femme d’Alexis-Béla de Hongrie, puis, en secondes
noces, de Renier de Montferrat. Ce sera aussi le cas de la plupart de ses neveux et nièces
et de leurs enfants, ainsi, semble-t-il, que d’autres membres de l’aristocratie de
l’Empire. Dans une Novelle, datée d’avril 1166, au sujet des empêchements de mariage
pour cause de parenté, Manuel Ier donne une image très vivante de ce commerce :
ἐπεὶ δὲ πολλὰ πολλάκις προβαίνουσι συναλλάγματα μετὰ τῶν ἐκ βασίλέων γέμους
καὶ τῶν ἄλλων εὐγενεστάτων καὶ περιδόξων ἐν ἀξιοώμασι καὶ ἐξ ἀλλοδαπῶν
χορῶν, ὧν ῥῆγες καὶ πρίγκιπες ἄρχουσι, μεταγομένων προσώπων ἐπι τὴν βασιλίδα
τῶν πόλεων30.
Josef Zhishman, dans son ouvrage fondamental sur le mariage dans le droit de l’Église
d’Orient31, signale aussi ce qui n’était alors que presque naturel : dans ces cas-là
l’appartenance du célébrant à l’une ou l’autre Église, et le rite de célébration, qui, en
principe, suivait naturellement la lex loci celebrationis étaient pratiquement indifférents.
30 C’est dans ce climat que Théodore Balsamon, contemporain de Manuel Ier, canoniste
officiel de l’Église et de la cour, dans ce XIIe siècle byzantin appelé le grand siècle de la
science du droit canonique32, fervent anti-latin, patriarche d’Antioche, n’ayant jamais
pu prendre possession de son siège, occupé par un patriarche latin, introduit pour la
première fois (dans une note ajoutée à la fin de son commentaire sur le canon 14 de
Chalcédoine, et non dans un commentaire sur le canon 72 du Quinisexte), la notion
qu’un mariage entre latin et orthodoxe est en principe interdit, en vertu des normes
canoniques en vigueur qui interdisent le mariage d’un orthodoxe avec une hérétique.
C’est pour cela, dit-il, que l’Église oblige les Latins qui veulent épouser des femmes
« romaines » à renier les croyances latines :
καὶ σημείωσαι ὅτι κατὰ τὸν παρόντα κανόνα, ὡς ἔοικεν, ἀναγκάζει τὸ μέρος τῆς
ἐκκλησίας τοὺς Λατίνους ἐξομνύσθαι, θελοντας γυναῖκας λαβεῖν ἐκ τῆς Ῥωμανίας 33.
D’un certain point de vue, ce ne serait que l’évolution formelle de ce que nous avons
déjà vu : un « étranger » peut toujours se mettre au service de l’Empire et participer à
ses institutions, mais il doit s’y intégrer pleinement, y compris en matière
d’appartenance religieuse et confessionnelle. S’il ne s’agissait pas d’intégration aux
structures de l’Empire, mais qu’il s’agisse, par exemple, d’un Latin qui voulant
emmener une femme orientale chez lui en Occident, l’Église d’Orient n’aurait

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probablement pas à s’y opposer. Signalons que Balsamon ne dit rien du cas théorique
inverse : un Grec qui voudrait épouser une latine ; dans ce cas, il semble que
l’intégration ait lieu par le mariage même : la femme suivant naturellement les
appartenances de son époux. Mais d’un autre point de vue, Balsamon, par ce
commentaire, vient soudainement dresser une barrière canonique formelle entre les
deux Églises et leurs ressortissants, ce qui se passe, semble-t-il, pour la première fois au
niveau proprement juridique. Ce serait là, sans doute, une attitude influencée par
l’anti-latinisme de l’auteur, surtout en raison de son aventure personnelle en tant que
patriarche d’Antioche en exil34, ou bien une réaction contre les mariages fréquents avec
des Latins, mis à la mode surtout sous l’empereur Manuel I er.
31 Dans les réponses de Balsamon à Marc d’Alexandrie au sujet des mariages mixtes de
chrétiens orthodoxes avec des non-chrétiens ou des hérétiques, les Latins ne sont pas
explicitement mentionnés. Mais le contexte des autres réponses est assez clair, en effet,
si l’intercommunion avec des hérétiques, et même la prière commune, voir de simples
rapports sociaux, sont rigoureusement interdits (réponse N° 15 : sont mentionnées les
Syriens-Jacobites et les Nestoriens), l’intercommunion avec des Latins (« et d’autres » :
réponse N° 16) l’est aussi, ainsi que le parrainage mutuel (réponses N° 15 et 35 : cette
fois sont mentionnés les Latins, les Arméniens, les Syriens-Jacobites, les Monothélites,
les Nestoriens, « et d’autres aussi ») ; Balsamon a même souvent recours à une
argumentation ou à un vocabulaire assez insultants. Si pour les hérétiques proprement
dits Balsamon cite très aisément Math. 7-6 : « Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré,
ne jetez pas vos perles aux porcs », à propos des Latins il préfère renvoyer simplement
à Math. 12.30 / Luc 11.23 : « Qui n’est pas avec moi est contre moi ! » Mais même ainsi, il
ne fait, en réalité, aucune distinction substantielle entre les hérétiques proprement dits
et les Latins ; en effet, Balsamon pour définir l’hérésie a recours au droit séculier. En
citant
Cod. 1.5.2 : Haereticorum autem vocabulo continentur et latis adversus eos sanctionibus
debent succumbere, qui vel levi argumento iudicio catholicae religionis et tramite detecti
fuerini deviare (= Basiliques 1.1.18)
il insiste sur le fait que la différence entre orthodoxes et les hérétiques de son temps (y
compris les Latins), est énorme alors qu’une différence minime suffirait :
Αἱρετικός, φησίν, ἐστὶ καὶ τοῖς κατὰ τῶν αἱρετικῶν ὑπόκειται νόμος ὁ μικρὸν
γοῦν ἐκκλίνων τῆς ὀρθοδόξου πίστεως. Ἐπεὶ γοῦν πάντες οἱ ἀπαριθμηθέντες εἱς
τὴν παροῦσαν ἐρώτησιν, οὐ διὰ μικρόν τι, ἀλλὰ διὰ πλάτος μέγα καὶ δυσδιεξίτητον
ἐκ τῆς τῶν ὀρθοδόξων ἐκκλησίας ἀπεξενώθησαν35
32 Quelques années après la mort de Balsamon, les événements de la IV e Croisade
entraînèrent la rupture définitive. Dernier grand canoniste byzantin, dans la ligne de
Balsamon, Matthieu Blastarès au XIVe siècle rédige, à la mode de l’époque, de longs
traités « Contre les Latins » (Κατὰ Λατίνων, inédit), dont l’un est intitulé : « Qu’il ne
faut pas contracter mariage avec des Latins » (Ὅτι οὐ δεῖ γάμους ποιεῖν μετὰ τῶν
Λατίνων)36, sujet qui revient plusieurs fois sous sa plume37. Les Latins sont accusés de
toutes les hérésies, arienne, acéphale, apollinariste, et classés avec les Arméniens, les
Monothélites et les Nestoriens. Dans le chapitre r. 12 de son ouvrage canonique
principal, le Syntagma alphabétique (1334/1335), Blastarès rassemble les normes
canoniques portant sur le mariage avec des hérétiques (Ὅτι οὐ δεῖ γάμους
συναλλάττειν μετὰ αἱρετικῶν) 38: canons 10 et 31 de Laodicée, 14 de Chalcédoine, 21 de
Carthage, 72 du Quinisexte. Il emploie largement le commentaire de Balsamon, mais il
est, comme nous l’avons vu, très rigoriste voire absolument négatif quant à la

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possibilité de la poursuite du régime matrimonial dans un couple d’infidèles, après la


conversion d’un seul des époux. Il ne cite pas les Latins mais il cite Cod. 1. 9. 6 =
Basiliques 1. 1. 34 (sur le mariage d’une personne juive avec un chrétien) d’une manière
très altérée, pour lui faire dire que tous les mariages avec des hérétiques et des
personnes étrangères à la foi orthodoxe sont interdits également par la loi civile et ne
sauraient être acceptés « sous aucun prétexte » :
Μὴ λαμβανέτω Ἰουδαος Χριστιανήν, μήτε χριστιανὸς Ἰουδαίαν, μήτε αἱρετικὸς καὶ
ἀλλότριος τῆς πίστεως κατά τινα πρόφασιν Χριστιανοῖς πρὸς γάμον συναπτέσθω 39.
33 Il va de soi que la pratique des mariages mixtes, surtout pour les mariages dynastiques,
se poursuivit néanmoins sans interruption jusqu’à la dernière dynastie des Paléologues.
 
III. La pratique post-byzantine : de
l’institutionnalisation de la disparité de culte à
l’institutionnalisation des mariages mixtes entre
chrétiens
1. Le mariage avec des non-chrétiens

34 Dans la période, qui suit la chute de l’Empire d’Orient (1453), période dite « post-
byzantine », les mariages entre chrétiens et non-chrétiens sont toujours réprouvés à la
fois dans la conscience générale et dans la pratique ecclésiastique ; s’ils sont pratiqués,
c’est toujours en dehors de l’Église et en pleine conscience de porter atteinte au droit
divin et de commettre un péché. Dans le vocabulaire de l’Église orthodoxe un « mariage
mixte », qu’il soit permis ou interdit, est toujours un mariage entre chrétiens (en
l’occurrence entre un orthodoxe et un non-orthodoxe), le mariage entre un chrétien et
un non-chrétien étant toujours hors de question. Le mariage est un sacrement
indivisible, mais qui suppose par définition deux participants ; il ne saurait pas être
administré à une personne non baptisée, mais il ne saurait l’être non plus à une
personne seule ; et il ne saurait être conçu comme un sacrement pour l’un des
participants et un acte juridique ou social pour l’autre. Il y a certainement aussi
l’interdiction des canons conciliaires ; qui plus est, vu le caractère du problème qui ne
relève pas du seul droit canonique, mais de la doctrine sacramentelle, il est très
probable qu’on ne saurait avoir recours ici non plus à l’application de l’économie.
35 Au cours de la période ottomane, des mariages de femmes orthodoxes avec des
musulmans ont été inévitablement pratiqués ; nous en avons vu certains exemples
exceptionnels même dans la période byzantine. L’Église tout simplement ignorait, voire
déplorait, ces cas. C’est surtout au XVIIe siècle que cette pratique a connu une
expansion toute particulière. La procédure usuelle, et assez simple semble-t-il, était
celle que les sources grecques de l’époque appellent mariage par kapènion ou képènion
(γάμος διὰ κεπηνίου, d’un mot persan grécisé), mariage par contrat de bail conclu
devant le kâdi ; il correspondrait au mut’a, « temporary mariage » ou « leasehold
mariage » de la tradition chiite40. Les sources grecques emploient aussi à ce propos un
terme typique pour le mariage proprement dit : νικιάχι, nikâh 41. Beaucoup de travail
reste encore à faire sur cette institution, au moins de la part des historiens grecs du
droit, malgré les efforts importants de certains chercheurs, dont Mgr Gennadios
Arabadjoglu et le professeur Nicolas Pantazopoulos, et de quelques amateurs érudits

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comme Dionysios Romas42. Mais la répugnance des autorités ecclésiastiques de l’époque


pour cette institution, naturelle en soi et plusieurs fois exprimée, est surtout due au fait
que les chrétiens eux-mêmes avaient la possibilité de recourir à cette procédure pour
contracter des mariages entre eux, donc aussi pour contracter des mariages mixtes qui
n’avaient pas obtenu l’autorisation ecclésiastique. On recourait aussi parfois, à cette
même procédure pour des mariages entre chrétiens orthodoxes, qui ne pourraient pas
être célébrés par l’Église du fait d’un empêchement canonique ; vers 1670, même un
prêtre et moine Phôteinos a eu recours à cette procédure pour épouser une jeune
chrétienne. Cette pratique était évidemment fortement condamnée par l’Église et
ordinairement frappée d’excommunication. Une extension du recours à cette
possibilité pouvait compromettre le privilège très important de l’Église sur le contrôle
des affaires matrimoniales et du statut familial de ses fidèles. En 1671, sous le patriarcat
de Parthénios IV, le gouvernement ottoman, sur les instances de l’Église, interdit
l’accès des chrétiens à cette procédure pour contracter des mariages entre eux 43.
Cependant nous disposons d’actes mentionnant ces mariages entre chrétiens même
après cette date, dont un acte de mariage entre chrétiens devant le kâdi de Berrhée (en
1673)44 ; nous allons voir que, vers 1706, des mariages entre des Arméniens et des
femmes orthodoxes avaient été conclus avec la même procédure en Serbie. Quoi qu’il
en soit, la mesure ottomane interdisant le mariage entre chrétiens par cette procédure
fut renouvelée45 peut-être en 1794, puis en 1819 ; mais la procédure resta en vigueur
pour le mariage d’un musulman et d’une chrétienne. Un des derniers exemples
historiques, au début du XIXe siècle, est le mariage d’Ali Pacha de Janina avec sa fidèle
femme grecque kyra Vassiliki.
 
2. Le mariage avec des « non-orthodoxes ». La doctrine rigoriste

36 La chute de l’Empire trouve donc la rupture entre les deux Églises « institutionnalisée »
dans la conscience ecclésiale mise à part, certainement, l’union infortunée de Ferrare-
Florence et ses adeptes et ne fait que l’aggraver, voire la rendre définitive. Les mariages
entre orthodoxes et catholiques romains sont donc regardés désormais comme de
véritables « mariages mixtes », et le seront jusqu’à aujourd’hui. Il en va de même pour
les mariages entre orthodoxes et membres des autres Églises et confessions
chrétiennes, surtout les chrétiens non-chalcédoniens, qui ont une présence importante
au sein de l’Empire ottoman et, plus tard, pour les membres des Églises et des
communautés chrétiennes issues de la Réforme. « Mariages mixtes » donc, sans aucun
doute ; mais sont-ils aussi, pour cela, nécessairement des mariages prohibés ?
37 Il faut le dire tout de suite, la conscience générale du corps ecclésial orthodoxe n’a
jamais, semble-t-il, considéré les mariages mixtes entre chrétiens baptisés comme
vraiment prohibés. La pratique byzantine courante des mariages mixtes dynastiques,
qui se poursuivit jusqu’à la fin, avait créé une certaine tradition et une sorte de
conviction de légalité. Après la chute de Constantinople, les sujets ottomans orthodoxes
vivaient dans un Empire supranational, d’une tolérance religieuse généralement
remarquable. Tout en gardant leur identité religieuse et ethnique et malgré leur
prépondérance numérique, ils se trouvaient mêlés à d’autres populations chrétiennes
orientales non-orthodoxes, de tradition et de sort parallèles dont, par excellence, les
Arméniens et aussi à d’importantes « colonies » d’occidentaux de confession catholique
et, bientôt, protestante. Plus tard les orthodoxes de l’Empire ottoman durent même
faire face à une activité missionnaire catholique et protestante importante, à la fois

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bénéfique ou suspecte. Dans les îles (Cyclades, îles de la mer Égée, Crète, Chypre) et
dans une partie du littoral du continent la population grecque orthodoxe a vécu
pendant des siècles sous la domination de pouvoirs occidentaux catholiques, par
excellence de Venise et pratiqué fréquemment des mariages mixtes avec des familles
catholiques, dont un grand nombre se trouvèrent assez vite hellénisées ; les
communautés catholiques des Cyclades et d’autres îles de la mer Egée ont largement
subsisté même après le passage des îles à l’Empire ottoman. Les Îles Ioniennes n’ont
même pas connu la domination ottomane sous les Vénitiens ; une mobilité très
importante se manifeste surtout entre les familles nobles, catholiques et orthodoxes, et
les mariages mixtes y ont acquis un statut de pratique courante. Cela se poursuivit sous
les nouveaux maîtres britanniques des Îles Ioniennes, au XIX e siècle, de nos jours avec
la présence, assez restreinte semble-t-il, d’un nouvel élément : les anglicans. Une
diaspora orthodoxe très importante, surtout mais non pas exclusivement d’origine
grecque, s’était de très bonne heure établie dans des pays d’Europe occidentale, à
commencer par Venise, siège en Occident du métropolite grec portant le titre, et le
souvenir, oriental de Philadelphie, quasi alterum Byzantium ; dans tous les cas, ces
communautés, tout en restant sous la dépendance du patriarcat de Constantinople,
avaient à entretenir des relations spéciales avec les autorités locales, civiles et
ecclésiastiques, ce qui entraînait même une certaine soumission à des normes
canoniques étrangères à la canonicité stricte orthodoxe et empêchait toute
manifestation d’intransigeance confessionnelle. Un nombre constant de voyageurs,
commerçants, ecclésiastiques, étudiants, marins ou simples aventuriers, qui s’ajoutait
provisoirement à la diaspora permanente orthodoxe en Occident, contribuait aussi à
cette interaction entre Occident latin et Orient grec et à la formation d’une mentalité
commune.
38 D’autre part l’Église, qui a toujours sous l’Empire ottoman gardé et même renforcé sa
compétence pratiquement exclusive en matière de droit matrimonial, ainsi que le
contrôle de la célébration du mariage des orthodoxes, était presque spontanément
défavorable à toute pratique de mariages mixtes.
39 Cette réaction naturelle visait à sauvegarder l’identité religieuse et l’appartenance de
fidèles à la communauté orthodoxe. Le droit canonique toujours en vigueur (canon 72
du Quinisexte) qui interdisait le mariage des orthodoxes avec des « hérétiques » était là
pour l’appliquer. Mais devant les réalités et les nécessités de l’existence, devant,
surtout, l’acceptation des mariages mixtes par la conscience générale, l’Église grecque
dut souvent accepter, d’une façon ou d’une autre, selon le temps et le lieu, au moins de
facto, parfois post factum, la pratique de mariages mixtes entre chrétiens.
40 Dans sa propre juridiction, au cours de toute la période ottomane le patriarcat a
désapprouvé les mariages mixtes et, dans tous les cas où cela lui était possible, il les a
empêchés. C’est surtout au tournant du XVIIIe au XIXe siècle, lorsque l’Église, devant le
danger de l’expansion des idées nouvelles après la Révolution française, « passe du
conservatisme à la réaction » (C. Th. Dimaras), qu’un nouvel intégrisme canonique se
développe, représenté surtout par le patriarcat de Grégoire V (1797-1798, 1806-1808,
1818-1 821) et la publication du Pédalion des moines Agapios et saint Nicodème
l’Hagiorite (1800), collection canonique devenue aussitôt « officieuse », et même
considérée parfois, à tort, comme « officielle ». Le Pédalion 46 fulmine contre les mariages
avec les « hérétiques », y compris, explicitement, les Latins. Grégoire V, par un tomos
synodal de 1806, un document de grande force juridique, exclut, entre autres, toute

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possibilité de mariage d’un orthodoxe avec « des hétérodoxes et des hérétiques » et


défend aux évêques d’accorder des autorisations de célébrer ces mariages 47. Des
décisions synodales communiquées à tous les diocèses par des lettres patriarcales ont
renouvelé cette position complètement négative48 en 1815, 1818, 1825, 1827, 1835, 1838,
1839 et 1842. En 1827, le patriarche Agathange Ier avait même interdit que de jeunes
filles orthodoxes, particulièrement dans l’île de Chypre, fussent engagées comme
domestiques chez des Arméniens, pour empêcher des relations qui pourraient conduire
à des mariages avec eux49. En 1857 encore, le patriarche Cyrille VII informait le
métropolite de Hongro-Valachie Niphon que « l’Église n’a jamais autorisé et n’autorise
pas les mariages d’orthodoxes avec des catholiques et des Arméniens » (οὔτε
συνεχώρησε ποτὲ οὔτε συγχωρεῖ ὅλως), ce que le métropolite devra toujours faire
aussi50. Cette phrase outrancière revient souvent sous la plume patriarcale, même en
1871 :
 « Ἡ Ἐκκλησία οὔτε ἐπιτρέπει τὴν συγκρότησιν τῶν λεγομένων μικτῶν γάμων,
ἀλλ΄οὐδὲ λαβόντας χώραν ὁπωσδήποτε τοιούτους γάμους ἀναγνωρίζει » (1869) ; « Ἡ
Ἐκκλησία οὐδόλως ἀναγνωρίζει τὰ μικτὰ συνοικέσια » (1870) ; « Ἡ Ἐκκλησία
οὐδέποτε ἐπέτρεψε τὴν συγκρότησιν τῶν τοιούτων συνοικεσίων ὀρθοδόξων καὶ
δυτικῶν » ! (1871)51.
Dans l’édition grecque de l’ouvrage de Zhishman par Mélétios Apostolopoulos, le
traducteur a ajouté (en note en bas de page), quatre pages pour enregistrer la seule
jurisprudence patriarcale du XXe siècle interdisant, voire annulant, des mariages
mixtes52, puisée dans la collection de jurisprudence patriarcale par Michel Théotokas 53.
On trouvera aussi une collection très importante de documents de cette période, dans
une étude de Miltiade et Georges Karavokyros (1909-1910)54.
41 La pratique avait toujours été complètement différente, nous venons de le dire, dans les
possessions vénitiennes sous la juridiction ecclésiastique du patriarcat de
Constantinople : dans ce cas, le patriarcat fermait tout simplement les yeux (cf.
pourtant le réquisitoire du Pédalion, contre les évêques « des îles » à propos des
mariages mixtes avec les Latins)55. Il est aussi vrai que, dès le début de la domination
vénitienne dans les îles, la possibilité de mariages mixtes entre catholiques et
orthodoxes était considérée comme un privilège accordé aux orthodoxes par les
autorités vénitiennes (1299)56, renouvelée par le Sénat vénitien57 en 1582, 1593, 1599,
1662 et 1710, en vertu du bref du pape Léon X, confirmé par la bulle de Clément X pour
les orientaux des Îles Ioniennes, de la Crète, de Cattaro, de la Dalmatie et de Venise,
avec l’approbation, semble-t-il, du patriarcat de Constantinople 58. Cependant, lorsqu’en
1838 une nouvelle législation civile pour les Îles Ioniennes, formant alors l’État-Uni des
Îles Ioniennes sous la protection de la Grande-Bretagne, voulut institutionnaliser les
exceptions traditionnellement pratiquées dans les îles à l’égard du droit canonique
orthodoxe « officiel » à propos des conditions et des empêchements de mariage, y
compris la pratique des mariages mixtes (« ἢ νὰ συγκατανεύωσι, καθὼς συχνὰ
συμβαίνει, εἰς συνοικέσια μὲ ἑτερόφρονα σύζυγον ») 59, cela provoqua une réaction
violente de la part du patriarche Grégoire VI, défenseur fervent de la légalité canonique
la plus stricte sur le mariage, et déclencha une guerre d’encycliques 60 et une tension,
qui aboutit même à la déposition du patriarche, sur les instances de l’ambassadeur
britannique près de la Porte (1840)61.
42 Il n’en a pas toujours été ainsi. Il est vrai que le statut canonique des mariages mixtes
pour l’Église orthodoxe étant toujours « officiellement » régi (comme il l’est d’ailleurs
encore aujourd’hui), par la législation conciliaire, en dernier lieu par le canon 72 du

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concile in Trullo (donc complètement négatif), une vrai « canonisation » des mariages
mixtes semblait vraiment impossible. Mais il restait toujours la notion canonique
typiquement orientale de l’économie. C’était la solution la plus simple et la plus
répandue. On confirmait chaque fois la règle générale, selon laquelle les mariages entre
orthodoxes et non-orthodoxes étaient interdits, et on accordait en même temps « par
économie » l’autorisation de célébrer un mariage mixte, ou on reconnaissait post factum
la validité d’un mariage déjà célébré. Nous connaissons aussi des mesures d’économie
générale, qui se réfèrent à des groupes de personnes.
43 Au XVIIIe siècle, Pierre le Grand et le synode de l’Église autocéphale russe s’adressaient
encore au patriarcat de Constantinople pour obtenir ses instructions et son
autorisation au sujet de mariages mixtes62. Les mariages mixtes ont été finalement
autorisés en Russie, sous conditions, par l’oukase de Pierre le Grand du 17 avril 1719,
renouvelé par celui du 18 août 1721.
44 Un des plus anciens documents qui nous soient parvenus concernant une véritable
application d’« économie » à propos de mariages mixtes est une lettre du patriarche
Dosithée de Jérusalem, adressée en 1706 au métropolite Michel de Belgrade, hors de sa
juridiction, donc à titre simplement consultatif, car Dosithée, le compilateur de la
Nomikè Synagôgè63, était un éminent canoniste de l’époque. Le mariage avec des
hérétiques, dit-il, est absolument interdit (« ἐπειδὴ καὶ οἱ θεῖοι νόμοι… τὸν
ἐμποδίζουσι μάλα γενναίως »), sous peine d’excommunication. Cependant, les femmes
orthodoxes qui ont épousé des Arméniens à cause de la guerre pour protéger leur
honneur et pour éviter des maux plus grands, peuvent être reçues à la communion,
pourvu qu’un mariage religieux, quel qu’il soit, ait vraiment été célébré (ἂν εἶναι
στεφανωμένες ὁπωσδήποτε); mais si les Arméniens les ont épousées seulement selon la
procédure de mariage par képènion devant le kâdi (μὲ τὸ καπίνι) ce « danger » est
toujours présent ; il faut alors qu’un mariage religieux soit célébré par un prêtre
orthodoxe et non un Arménien. Les femmes doivent continuer de pratiquer en
orthodoxes ; leurs maris arméniens peuvent toujours suivre la liturgie orthodoxe, et
recevoir même l’antidôron, dans l’espoir de se convertir un jour, mais jusqu’à leur
conversion ils seront exclus de la communion. On doit toutefois faire en public une
déclaration officielle selon laquelle toute femme orthodoxe qui épouserait à l’avenir un
Arménien serait frappée non seulement d’excommunication mais d’anathème (μὲ
ἐπιτίμιον ἀναθέματος)64.
45 En 1782, les orthodoxes des Indes obtinrent du patriarche Gabriel IV la permission, par
économie (συγκαταβατικῶς ἀλλ΄ἀκαταιτιάτως), de prendre en mariage des femmes
catholiques ou arméniennes, à cause de l’absence totale de femmes orthodoxes, ce qui,
autrement, les conduirait inévitablement « à l’adultère et à la fornication avec des
infidèles, des hétérodoxes et des idolâtres »65. En 1848 encore, malgré le rigorisme
canonique de l’époque, le patriarche Anthime IV adresse une lettre au patriarche
d’Antioche, à propos d’une requête du métropolite d’Amida (Diyarbakir) : sauf avis
contraire du patriarche d’Antioche dont dépend Diyarbakir, il est permis à des
orthodoxes de ce diocèse de se marier avec des Arméniennes, dans les conditions
habituelles : célébration du mariage par un prêtre orthodoxe, baptême et formation
orthodoxe des enfants issus du mariage66.
46 Dans les trois derniers cas il s’agit d’une mesure générale. Par la suite, dans la pratique
les exemples se multiplient, semble-t-il, mais sur un plan personnel et sont souvent
passés sous silence. Il paraît souvent d’ailleurs plus facile, plus simple aussi, de

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reconnaître un mariage mixte déjà célébré que d’accorder une autorisation de le


célébrer. Mais le rigorisme canonique des trois premiers quarts du XIX e siècle a
profondément affecté cette pratique : en 1867, le synode refuse de reconnaître deux
mariages mixtes déjà célébrés, dont l’un entre un orthodoxe et une Arménienne, et les
annule67 ; nous avons vu qu’en 1869 aussi le synode déclarait que l’Église ne pouvait
reconnaître les mariages mixtes même post factum : « ἀλλ΄οὐδε λαβόντας χώλαν
ὁπωσδήποτε τοιούτους γάμους ἀναγνωρίζει »68; dans un acte de 1871 le synode rejette la
requête d’un métropolite qui demandait une autorisation de mariage entre catholique
et orthodoxe, non sans lui faire certaines remontrances : ἡ Ἐκκλησία οὐδέποτε
ἐπέτρεψε τὴν συγκρότησιν τοιούτων συνοικεσίων μετὰ δυτικῶν. On pourrait facilement
multiplier les exemples (actes de 1870, 1873, 1874, 1875). Parfois on a même recours à
des réponses sans valeur, qui nient tout simplement le problème : le mariage est
permis, pourvu que la partie non-orthodoxe se convertisse préalablement à
l’orthodoxie (actes de 1870, 1875). Dans un cas de mariage mixte de 1873 le synode
refuse de reconnaître le mariage, mais accepte par économie de lever
l’excommunication de la partie orthodoxe en cas de maladie ou de danger de mort. En
1877 encore, le synode annule des mariages entre orthodoxes et catholiques 69 et, à plus
forte raison, refuse d’accorder le permis de célébration d’un mariage entre un
orthodoxe et une arménienne catholique ; à cette occasion il reprend l’interdiction
générale de tout mariage mixte70. C’était déjà trop tard. Même dans des documents
aussi intransigeants on peut entrevoir une brèche dans le système. Dans le document
Ghinès N° 1033 de 1867, tout en annulant le mariage mixte en question, on lit une
mention très explicite et très significative : le synode décide en même temps de passer
sous silence tous les mariages mixtes antérieurs (τοὺς μὲν παλαιοὺς γάμους παρέλθῃ ἐν
σιγῇ, διαλύσῃ δὲ τὸν ἐσχάτως γενόμενον μικτὸν γάμον ὡς παράνομον). Dans le
document Ghinès N° 1059 de 1877 se lit la phrase : « Le patriarcat ne reconnaît pas les
mariages entre orthodoxes et catholiques… (Τὸ πατριαρχεῖον … δὲν ἀναγνωρίζει τοὺς
μεταξὺ ὀρθοδόξων καὶ καθολικῶν γαμους) ...qui ont été célébrés selon le rite latin
(τοὺς τελεσθέντας κατὰ τὸ λατινικὸν δόγμα) ». Un mariage mixte célébré par un prêtre
orthodoxe a donc été reconnu ? En 1873, le synode déclarait encore : « La célébration
du mariage (mixte) selon le rite orthodoxe ne suffit pas pour le rendre valide ».
 
3. La fin de la tradition rigoriste

47 Nous sommes en effet à la fin de la tradition rigoriste : l’année précédente (1876), le


synode avait déjà permis dans trois cas71 la célébration de mariages mixtes par des
prêtres orthodoxes « pour éviter des conséquences désagréables » (πρὸς ἀποφυγὴν
δυσαρέστων συνεπειῶν); il le fera aussi l’année suivante (1878) d’une manière beaucoup
plus générale72, pour le même motif : πρὸς πρόληψιν δυσαρέστων συνεπειῶν. Dans tous
les cas on insiste sur le fait que l’Église réprouve par principe les mariages mixtes : Η
Ἐκκλησία δὲν ἀναγνωρίζει τοὺς μικτοὺς γάμους ; dans tous les cas on a donc recours à
l’économie : ὅπως οἰκονομήσῃ τὸ πρᾶγμα, οἰκονομικῶς, κατὰ συγκατάβασιν ; dans
tous les cas aussi on met l’accent sur la discrétion nécessaire pour éviter de
« scandaliser » les fidèles : ἀσκανδαλίστως, εὐφήμως, ἀθορύβως. Les actes eux-mêmes
prennent un soin quelque peu excessif à sauvegarder cette discrétion : dans l’un des
actes de 1876 la décision « officielle » est négative, mais on informe officieusement le
métropolite d’exercer l’économie (ἐπισήμως μὲν δὲν ἐνεκρίθη…, ἀπεφασίσθη ὅμως…) ;

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dans un autre cas ce n’est pas officiellement le synode, mais l’un de ses membres, le
métropolite de Cyzique, qui va télégraphier la décision à l’archevêque du lieu, à titre
personnel ! Ce qui est plus important c’est que ces actes reconnaissent explicitement ce
qu’on niait constamment ou, au moins, laissait passer jusqu’alors sous silence : c’était
déjà devenu une pratique fréquente (ὅπως πολλάκις τοῦτο γίνεται οκονομικς καὶ ἐν
ἄλλαις ἐπαρχίαις, ἀλλ΄ὅμως πολλάκις συγχωρεῖ κατὰ συγκατάβασιν). L’acte de 1878
énumère même certains cas. Sans doute le patriarche et le synode voudraient-ils
réduire l’importance de leur « hardiesse », en invoquant des précédents ; mais la
pratique, nous venons de le voir, existait vraiment et a laissé des traces, malgré le
rigorisme canonique et le silence général. Nous venons de voir le cas de l’autorisation
générale de mariage d’orthodoxes avec des arméniennes dans le diocèse de Diyarbakir
en 1848. En 1855, nous avons la première décision patriarcale qui reconnaisse le
mariage d’un orthodoxe et d’une protestante (Ghinès N° 1000) ; en 1875, presque
aussitôt après la formation de l’Église vieille-catholique, on permet la célébration d’un
mariage entre orthodoxe et vieux-catholique. Arméniens, protestants, vieux-
catholiques : on peut penser que l’intransigeance canonique, même lorsqu’elle frappait
inévitablement tous les groupes hétérodoxes, visait surtout les catholiques romains, qui
représentaient le danger traditionnel pour l’Église grecque, la bienveillance des
documents de 1848 et de 1855 en faveur des Arméniens et des protestants est
remarquable : on évite même d’insister particulièrement sur la notion d’économie, pour
lui préférer des fondements canoniques plus solides ; la remarque finale du document
de 1848 nous fait un peu sourire : « D’ailleurs, une fois que ce mariage a été déjà
contracté, on ne saurait facilement le dissoudre » (ἄλλωστε καὶ τῆς γαμικῆς ταύτης
συναφείας τελεσθείσης ἅπαξ, οὐκ εὐχερὴς διάλυσις), lorsqu’on tient compte des
décisions synodales fort nombreuses de l’époque prononçant l’annulation de mariages
mixtes. En 1878 une décision synodale à propos des mariages avec des Arméniens, tout
en insistant sur l’interdiction théorique des mariages mixtes (« en principe », κατ΄ἀρχὴν
τὰ μικτὰ συνοικέσια), propose que dans des cas semblables « des contacts aient lieu
entre les autorités ecclésiastiques respectives » (ἐρωτῶνται συνήθως ἀμοιβαίως αἱ
ἐκκλησιαστικα ἀρχαί).
48 Quoi qu’il en soit, après 1878, il semble que les mariages mixtes soient généralement
permis dans la juridiction du patriarcat de Constantinople, dans les conditions
usuelles : célébration par un prêtre orthodoxe, engagement par écrit des époux de faire
baptiser et élever leurs enfants dans la foi orthodoxe « si la conversion de la partie non-
orthodoxe ne devenait pas possible », insiste encore la formule courante dans un grand
nombre de documents (1881, 1883, 1886, 1887, 1888, 1889), pour sauver les apparences.
Un curieux document de 1888 semble exiger même que la femme catholique, bien
qu’elle ne devienne pas orthodoxe, soit ointe avec le myron ; mais cela reste, je crois,
un unicum canonique.
49 Toujours pour sauver les apparences, les décisions synodales de caractère normatif de
1879, 1883 et 1887 ont encore recours à une rhétorique très « byzantine »: L’Église
orthodoxe d’après les canons ne permet pas de mariages avec des « hétérodoxes »; mais
dans des circonstances imprévues et exceptionnelles (ἔνεκά τινων περιστάσεων
ἀποόπτων καὶ ἐξαιρετικῶν), elle tolère (ἀνέχεται) ces mariages, pourvu qu’ils soient
célébrés selon son rite et par des prêtres orthodoxes, et elle ne s’abstient pas de regarder
ces mariages comme valides (καὶ οὐκ ἀποφεύγει θεωρεῖν αὐτοὺς ἐγκύρους) ; comme
toujours, l’Église n’accorde pas officiellement la permission de célébrer des mariages

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mixtes (μὴ χορηγῆται ἐπισήμος ἄδεια πρὸς σύναψιν μικτῶν γάμων), mais elle-même et
les évêques de chaque lieu se réservent d’aménager chaque fois les choses, dans leur
prudence pastorale « de la façon qu’ils connaissent bien, sans provoquer de scandale »
(δι΄οὗ οἴδασιν ἀσκανδαλίστου τρόπου). Le canoniste officiel du patriarcat Mélissènos
Christodoulos écrivait encore, en 1889, dans son traité sur les empêchements
matrimoniaux que « le mariage des orthodoxes avec des catholiques ou des protestants
est interdit », pour ajouter, en note seulement, que ces mariages sont permis par
économie dans des circonstances spéciales et dans les conditions mentionnées 73. Depuis
1897, date de la collection de jurisprudence patriarcale par Théotokas, les juristes du
patriarcat (Théotokas Karavokyros) ne font plus mention d’économie ni de circonstances
spéciales ou exceptionnelles : « Aujourd’hui les mariages des orthodoxes avec des
chrétiens non-orthodoxes sont permis », toujours dans les conditions usuelles
(Théotokas, p. 355).
50 Au XXe siècle, les mariages mixtes entre orthodoxes et non-orthodoxes ne sont plus une
exception permise ou tolérée, mais, existent de plein droit.
 
4. Le fondement canonique de la nouvelle pratique

51 Au tournant du siècle les mariages mixtes entre chrétiens sont pratiquement


« institutionnalisés » par la haute autorité de l’Église grecque (patriarcat de
Constantinople). Après cette évolution le recours traditionnel à l’application de l’
économie ne répondait plus, ne fût-ce que pour de simples raisons de bon sens, au
caractère nouveau de la pratique des mariages mixtes. Dès les actes de 1848 et de 1855,
à propos des Arméniens et des protestants, on semble essayer de se libérer de la logique
de l’économie. L’économie y est certes citée, en passant (1848 : ἐκκλησιαστικὴν
συγκατάβασιν ; 1855 : τῇ προνοητικῇ οἰκονομίᾳ τῆς Ἐκκλησίας) (elle le sera d’ailleurs
constamment pendant des décennies à venir) ; mais on cherche déjà des fondements
canoniques plus solides :
52 a) L’acte de 1848 repose surtout sur le canon 14 de Chalcédoine, qui ne semble pas,
d’après l’interprétation donnée dans l’acte, exclure la possibilité de mariage avec un
« hétérodoxe » et qui met plutôt l’accent sur la formation orthodoxe des enfants issus
du mariage, ce qui doit toujours être sauvegardé.
53 b) L’acte de 1855 repose directement sur le précepte paulinien de I Cor. 7. 12-16 cité
dans le canon 72 du Quinisexte : τί γὰρ οἶδας, ἄνερ, εἰ σώσεις τὴν γυναῖκα, καὶ τί οἶδας,
γυναι, εἰ σώσεις τὸν ἄνδρα, laissant à part le contexte du canon et son interprétation
courante. Balsamon nous informe qu’à son époque déjà certains canonistes ont voulu
créer la possibilité de mariages mixtes selon l’esprit de ce précepte en ignorant la
teneur du canon :
καὶ μάθῃς ὅτι πιστὸς μετὰ ἀπίστου γυναικὸς οὐ συνάπτεται
νόμῳ γάμου, κἄν τινεςπλανηθέντες ἐκ τοῦ τέλους τοῦ αὐτοῦ
κανόνος, περὶ ἀπίστων πιστευσάντων μετὰ τὸν γάμον
διδάσκοντος, ἕτερόν τι τολμηρῶς εἶπον74.
Nous avons vu qu’au XIVe siècle Blastarès, plus sévère que Balsamon lui-même, pensait
que le précepte paulinien n’avait même plus d’application dans un monde christianisé ;
il ne se référait qu’aux débuts du christianisme. Dans le Pédalion de 1800, saint
Nicodème l’Hagiorite, grand représentant de l’Intransigeance canonique au tournant
des XVIIIe et XIX e siècles, ne peut pas contester le précepte scripturaire devenu aussi

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une règle de droit canonique positif, mais cherche à exorciser saint Paul par saint Paul.
N’est-ce pas Paul lui-même qui dit :
Ne formez pas d’attelage disparate avec des infidèles. Quel rapport en effet entre la
justice et l’impiété ? Quelle union entre la lumière et les ténèbres ? Quelle entente
entre le Christ et le Béliar ? Quelle association entre le fidèle et l’infidèle ? (II Cor 6.
14-15).
Nicodème veut appliquer ce passage directement au mariage, en faisant, semble-t-il, un
parallèle entre hetero-zygéô = « former un attelage disparate » (traduction de la Bible de
Jérusalem) et sy(n)- zygéô, homo-zygéô = « contracter mariage » 75. Un canoniste assez
libéral de l’époque, Théophile de Campanie (ca. 1780), aux antipodes de Nicodème, dont
l’œuvre n’avait jamais reçu l’approbation ecclésiastique, accepte quand même la
théorie de Blastarès selon laquelle le précepte de I Cor. 7. 12-16 ne serait plus applicable,
mais seulement pour y ajouter un motif pragmatique : « tout cela pourrait même être
applicable aujourd’hui aussi, mais dans des pays libres », qui pourraient s’en offrir le
luxe… (ἴσως καὶ ἤδη, ἐν ἐλευθέροις τόποις)76.
54 Dans la doctrine canonique moderne la pratique des mariages mixtes, eu égard à la
législation canonique conciliaire toujours en vigueur (canon 72 du Quinisexte), est
fondée plutôt sur des considérations plus formelles :
55 a) Le canon ne saurait être appliqué qu’aux hérétiques (et, à plus forte raison, aux non-
chrétiens) ; il ne saurait donc être appliqué aux simples schismatiques. Or, les
catholiques romains sont généralement considérés dans la doctrine canonique
orthodoxe, au moins selon l’opinion dominante, comme des schismatiques bien que le
terme ne soit plus en usage. Même si l’on était disposé à les traiter d’hérétiques comme
c’est le cas dans certains milieux intégristes – aucun concile n’a prononcé leur hérésie
et ne les a formellement condamnés. Dans leur cas, la règle du Quinisexte ne saurait
avoir d’application canonique. On notera pourtant que le patriarcat constantinopolitain
avait déjà largement appliqué l’interdiction des mariages mixtes dans un cas de vrai
schisme d’origine disciplinaire et non pas doctrinale : le schisme bulgare, au XIX e siècle.
Mais c’était surtout des considérations d’ordre temporel voire de politique nationale
qui avaient prévalu.
56 b) En revanche, pour la plupart des églises issues de la Réforme, des accusations
d’« hérésie », au sens classique ou patristique du terme, seraient probablement bien
fondées, du point de vue orthodoxe. Mais même ici il n’existe pas de condamnation
officielle conciliaire. C’est donc possible de ne pas appliquer aux protestants non plus le
canon, aussi longtemps qu’un futur concile ne les aura pas condamnés pourvu qu’ils
aient reçu un baptême valide avec la formule trinitaire et qu’ils acceptent la foi de
Nicée-Constantinople.
57 c) Le problème se poserait à propos des Églises orientales anti-chalcédoniennes, Églises
condamnées sans aucun doute pour hérésie, à tort ou à raison, par des conciles
œcuméniques. Ici une sorte d’analogie tacite ou sous-entendue a, semble-t-il,
fonctionné : si l’on pratique des mariages mixtes avec des catholiques et des
protestants, il serait tout simplement impensable de les interdire dans le cas de
chrétiens orientaux, de tradition, de culture, de liturgie et d’histoire semblables ou
communes à celles de l’Église orthodoxe.
58 A cette construction s’opposent toujours des théories intégristes, qui considèrent en
principe comme hérétiques tous ceux qui se trouvent en dehors de l’Église orthodoxe,
regardée comme la seule vraie Église catholique, l’Una sancta. Par conséquent, toute

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sorte de mariage mixte est considérée comme canoniquement interdite. Il est évident
que, pour cette approche, le recours à l’économie resterait la seule issue possible des
mariages mixtes.
 
5. Le droit civil

59 En réalité, l’institutionnalisation des mariages mixtes a eu lieu dans les pays orthodoxes
beaucoup plus tôt, par la voie du droit séculier, avec l’approbation ou la tolérance des
Églises locales. Sans doute la nécessité et la fréquence des mariages dynastiques dans
les royaumes et les principautés orthodoxes (qui étaient souvent des mariages mixtes),
ont-elles contribué à établir dans la conscience générale la légitimité des mariages
mixtes entre chrétiens. Nous avons vu qu’il y en eut en Russie dès 1719 ; nous avons
aussi suivi l’évolution des mariages mixtes dans les Îles Ioniennes. Le Code civil de
Moldavie de 1816 (Code Callimaque) art. 91 interdisait absolument le mariage entre
chrétiens et non-chrétiens et entre orthodoxes et non-orthodoxes77, tandis que celui de
Valachie de 1817 (Code Caradja) art. III. 16 § 2 se contente d’empêcher le mariage entre
« chrétiens et ceux d’une autre religion » (Χριστιανοὶ μὲ ἑτεροθρήσκους, « Crestini cu
cei de alta lege » ou « religie »)78 ; les mariages mixtes ont été généralement autorisés
grâce à l’introduction assez rapide du mariage civil dans le royaume de Roumanie 79. En
Serbie, la loi du 9 septembre 1853 permettait les mariages mixtes dans les conditions
habituelles : célébration orthodoxe du mariage, engagement des époux à baptiser et
élever leurs enfants dans l’Église orthodoxe.
60 En Grèce la loi (« Des mariages mixtes ») du 10 août 1861 permettait explicitement pour
la première fois les mariages entre des orthodoxes et les membres des autres
confessions chrétiennes, dans les conditions connues de la célébration orthodoxe du
mariage et de l’engagement des époux, pris par une poignée de main devant le juge de
paix ou le consul, à baptiser et élever leurs enfants dans l’Église orthodoxe. Tous les
mariages mixtes célébrés jusqu’alors, mais exclusivement par des prêtres orthodoxes,
étaient déclarés valides ex tunc. La loi souleva aussitôt l’indignation des catholiques
grecs (elle aurait provoqué aussi une intervention du gouvernement français) et des
protestations simultanées de la part de l’Église grecque. Sa vie fut très courte ; elle fut
remplacée par la loi du 15 octobre 1861. Par une formule délibérément vague, cette
nouvelle loi permettait les mariages entre orthodoxes et chrétiens non-orthodoxes
« pourvu que soient respectées les règles suivies en la matière par l’Église orthodoxe
grecque ». En revanche, tous les mariages mixtes entre chrétiens célébrés jusqu’alors
par des prêtres orthodoxes ou non-orthodoxes, étaient maintenant déclarés valides. Un
petit chaos législatif s’est produit qui a duré, avec la loi du 15 octobre 1861 elle-même,
presque un siècle entier, jusqu’à l’introduction du Code civil grec, le 23 février 1946 (Loi
d’introduction du Code civil, art. 75 § 1).
61 Comme on le sait, le Code civil grec (art. 1367) reconnaissait comme seule forme
possible et même, d’après une jurisprudence dominante, mais quelque peu de parti
pris, comme élément constitutif du mariage la bénédiction nuptiale (ou, pour les non-
chrétiens, un rite analogue, nécessairement religieux).
62 Les discussions au sujet des mariages mixtes dans les comités de rédaction du Code sont
très instructives en ce qui concerne à la fois le chaos juridique particulier produit par la
loi de 1861, et le problème général de l’incorporation dans l’ordre juridique grec
moderne du concept de symphonie byzantine ou de l’unité des ordres juridiques,

Études balkaniques, 10 | 2003


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canonique et séculier, au moins pour ce qui est du droit matrimonial. Il y eut, en effet,
des propositions pour autoriser ou reconnaître les mariages mixtes célébrés seulement
dans des Églises qui ont des sacrements valides, ou qui reconnaissent le caractère
sacramental du mariage, ou qui ont gardé intacte la succession apostolique.
63 Le Code civil a finalement opté pour une construction nuancée :
1. Le mariage entre chrétiens et non-chrétiens est prohibé (art. 1353).
2. Le mariage entre chrétiens de confession différente (ou entre non-chrétiens de religion
différente) doit être célébré selon les deux rites et par les ministres des deux rites ou
religions (1371).
3. Le mariage d’un orthodoxe avec un non-orthodoxe doit être célébré par un prêtre
orthodoxe, faute de quoi le mariage est non seulement invalide, mais ab initio inexistant (art.
1367). Cela n’empêche évidemment pas une double célébration du mariage, orthodoxe et
non-orthodoxe.
4. Les mariages mixtes célébrés par un prêtre non-orthodoxe jusqu’à la promulgation du Code
sont une dernière fois reconnus valides mais seulement s’il s’agit de mariages mixtes entre
orthodoxes et catholiques célébrés par un prêtre catholique (Loi d’introduction du Code
civil, art. 75, § 2).

64 Malgré l’indignation de l’Église catholique en Grèce, de ce qu’une fois encore son


propre rite n’était pas considéré comme suffisant pour la célébration d’un mariage
mixte valide, ce système a fonctionné, pratiquement jusqu’à aujourd’hui. L’Église
catholique a seulement toujours exigé que, dans les cas de double célébration (ce qui se
passe presque toujours), la célébration catholique eût lieu la première : ce serait la
partie orthodoxe qui assumerait la responsabilité (et le péché) de redoubler un
sacrement déjà validement célébré. L’Église, traditionnellement consciente seulement
de la validité suffisante de ses propres sacrements, n’a pas vu de subtilité et n’a pas
formulé d’objection là-dessus, et c’est la pratique qui a prévalu. Des pratiques visant à
matérialiser une sorte d’engagement des époux pour le baptême et la formation
orthodoxes des enfants issus du mariage, pratiques d’efficacité juridique minime, qui se
heurtaient d’ailleurs à des exigences analogues de l’autre partie, sont de plus en plus
délaissées.
65 Les modifications introduites dans le droit matrimonial du Code civil par la loi 1250 de
1982 n’ont pas affecté substantiellement ce système, pour ce qui est du mariage
religieux. L’introduction, pour la première fois, de la possibilité d’un mariage civil en
Grèce (de même valeur légale que le mariage religieux, qui maintient toujours sa force
proprement, et directement, civile) a tout simplement rendu possible un droit de
conditions et d’empêchements de mariage s’écartant du droit canonique
(pratiquement : de la législation du concile in Trullo). Elle a rendu possible aussi, pour la
première fois, la suppression de l’empêchement de mariage entre chrétiens et non-
chrétiens. Les modifications ont été introduites par la loi 1329 de 1983. Évidemment la
suppression de l’empêchement de mariage entre chrétiens et non-chrétiens a
fonctionné seulement dans des cas de mariage civil, puisque l’Église orthodoxe ignore
toujours absolument toute éventualité de mariage mixte entre chrétiens et non-
chrétiens. Inversement, un grand nombre de mariages civils conclus en Grèce (qui ne
représentent d’ailleurs qu’une très faible proportion du nombre total des mariages)
sont des mariages mixtes entre chrétiens et non-chrétiens, qui ne sauraient être l’objet
une célébration religieuse. N’oublions pas que jusqu’en 1982 la seule possibilité d’un

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mariage entre chrétiens (de toutes les confessions) et non-chrétiens aurait été la
conversion, sincère ou plus souvent conventionnelle, d’une des parties.
66 La loi de 1982, en introduisant la possibilité d’un mariage civil, a aussi explicitement
renvoyé, quant aux conditions (et aux empêchements) du mariage religieux, au droit
propre de chaque Église ou communauté religieuse, pour ce qui est des mariages
religieux qu’elles célèbrent, avec une réserve générale d’ordre public et, évidemment,
pourvu que les dispositions minimales du droit civil soient respectées. L’Église
orthodoxe de Grèce a maintenant officiellement reconnu comme sien, pour les
mariages religieux qu’elle célèbre, le droit matrimonial du Code civil grec, dans sa
teneur originelle, avant les modifications des années 1982 et 1983 (encyclique du Saint
Synode N° 2320 du 19 mai 1982). En effet ce droit était, comme nous venons de dire,
pratiquement conforme au droit canonique de l’Église orthodoxe (la législation
matrimoniale du concile in Trullo), abstraction faite peut-être du mariage entre
chrétiens orthodoxes et non-orthodoxes, prohibé, au moins pour les « hérétiques », par
le canon 72 du concile, mais permis par le Code civil, même avant les modifications
récentes. En recevant ce vieux texte du Code civil comme son propre droit matrimonial,
l’Église de Grèce qui, a en fait, toujours toléré et célébré des mariages mixtes entre
chrétiens, a maintenant accordé aussi une sorte de statut « canonique » à ces mariages.

NOTES
1.  Sur ce concile et son œuvre législative voir surtout : V. LAURENT, L'œuvre canonique du concile
in Trullo (691-692), source primaire du droit de l'Église orientale Revue des Études Byzantines 23 (1965),
p. 7-41 ; H. OHME, Das Concilium Quinisextum und seine Bischofstiste. Studien zum Konstantinopler
Konzil von 692 [Arbeiten zur Kirchengeschichte, 56], Berlin-New York, 1990 ; M gr P. MÉNÉVISSOGLOU,
Ἱστορικὴ εἰσαγωγὴ εἰς τοὺς κανόνας τῆς Ὀρθοδόξου Ἐκκλησίας, Stockholm 1990, p. 276-296 ; S. 
TROÏANOS, Ἡ Πενθέκτη Οἰκουμενικὴ Σύνοδος καὶ τὸ νομοθετικό της ἔργο, Athens, 1992 ; une thèse
de doctorat sous le même titre par G. GABARDINAS [Nomokanonikè Bibliothèkè 4], Katérini, l999
n'ajoute pratiquement rien à la littérature antérieure. Deux colloques "jumeaux" ont été
organisés en 1992 à Istanbul/Constantinople et à Rome pour célébrer le 13e centenaire du
concile ; les actes en sont publiés, respectivement, dans Annuarium Historiae Conciliorum, t. 24
(1992) et suivants et dans G. NEDUNGATT-M. FEATHERSTONE (ed.), The Council in Trullo Revisited
[Pontificio Istituto Orientale. Kanonika 6], Rome, 1995., Sur le droit matrimonial de l'Église d'Orient
voir surtout : J. ZHISHMAN, Das Eherecht der orientalischen Kirche, Vienne, 1864 (traduction grecque
par M. APOSTOLOPOULOS, t. I-II, Athènes, 1912-1913), S. TROÏANOS, Τὸ ἐκκλησιαστικὸ δίκαιο τοῦ
γάμου, Athènes, 1982. Particulièrement sur la législation matrimoniale du concile in Trullo : C. G.
PITSAKIS, Le droit matrimonial dans les canons du concile in Trullo, Annuarium Historiae Conciliorum t.
24 (1992) 158-185 ; cf. id., Clergé marié et célibat dans la législation du concile in Trullo : le point de vue
oriental, The Council in Trullo Revisited, p. 263-306.
2.  Texte grec des canons du concile in Trullo dans Rhallès-Potlès, Syntagma, t. II (avec le texte des
commentaires byzantins) ; P. -P. JOANNOU, Discipline générale antique. t. I.1 Les canons des conciles
œcuméniques [Pontificia Commissione per la redazione del Codice di Diritto Canonico Orientale. Fonti, IX],

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Rome-Grottaferrata, 1962. Reproductions corrigées dans : P. TROIANOS, Ἡ Πενθέκτη … et


Nedungatt-Featherstone, The Council in Trullo Revisited.
3.  Traduction latine de Gentien Hervet [Paris, 1620], remaniée par Joannou [ supra n. 2],
p. 209-210]. Texte revu par les soins de S. AGRESTINI dans Nedungatt-Featherstone, The Council in
Trullo Revisited, p. 153-154. Texte grec et latin du corpus entier des canons de l'Église grecque
(avec les commentaires byzantins) dans PG 137-138 (d'après l'édition G. Beveregius) ; nous
éviterons dans la suite, à propos des canons et des commentaires cités, les renvois continuels à
cette édition.
4.  Traduction française de Joannou, loc. cit. ; à propos des problèmes de traduction de l'édition
Joannou cf. Laurent [supra, n. 1], p. 39 n. 127 : "la traduction laissant d'autre part beaucoup à
désirer". Voir aussi la traduction anglaise dans Nedunsratt-Featherstone, The Council in Trullo
Revisited, loc. cit. Vieille traduction anglaise des canons du concile in Trullo et du corpus entier des
canons de l'Église grecque : H. R. PERCIVAL, The Seven Ecumenical Councils of the Undivided Church…
[A Select Library of Nicene and Post-Nicene Fathers secondseries, XIV], Oxford, 1900 ; nous ne
reviendrons pas, par la suite, sur ces traductions à propos des autres canons.
5.  Voir les commentaires dans Rhallès-Potlès, t. II, p. 252-254 et t. III, p. 180-181.
6.  Voir les commentaires de ZONARAS et de BALSAMON dans Rhallès-Potlès, t. II, p. 252-253.
7.   Les canons grecs des conciles locaux ou particuliers, dans Rhallès-Potlès, t. III (avec les
commentaires byzantins) et JOANNOU, Discipline générale antique, t. I.2 Les canons des synodes
particuliers, Rome-Grottaferrata, 1962 (avec les anciennes traductions latines et la traduction
française moderne de l'éditeur : cf. supra, n. 4). Sur d'autres éditions et traductions voir supra, n.
3 et 4.
8.  Les canons du concile de Chalcédoine, dans Rhallès-Potlès, t. II (avec les commentaires byzantins)
et Joannou, I.1 (avec l'ancienne traduction latine et la traduction française moderne de l'éditeur).
Sur d'autres éditions et traductions voir supra, n. 3 et 4.
9.  Archbishop Peter L’HUILLIER, The Church of the Ancient Councils : the Disciplinary Work of the First
Four Ecumenical Councils, Crestwood, NY, 1996, p. 242-243.
10.  Rhallès-Potlès, I, p. 271.
11.  Sur certains aspects de ce concept voir, par exemple : S. TROÏANOS, Τὸ συναινετικὸ διαζύγο
στὸ Βυζάντιο, in C. PITSAKIS « Clergé marié et célibat » [supra, n. 1], p. 297-299, 304-305.
12.  Les canons des Pères grecs (confirmés par le canon 2 du concile in Trullo), dont ceux de saint
Basile : Rhallès-Potlès, t. IV (avec les commentaires byzantins) et Joannou, Discipline générale
antique. t. II : les canons des Pères grecs, Rome-Grottaferrata, 1962 (avec des traductions latine et
française). Sur d'autres éditions et traductions voir supra, n. 3 et 4.
13.  Rhallès-Potlès, t. I, p. 271-272 et t. II, p. 473.
14.  Réponse N° 34 à Marc d'Alexandrie : Rhallès-Potlès, t. IV, p. 474-475. Sur cette collection voir
infra n. 19.
15.  Rhallès-Potlès, t. II, p. 473. V. GRUMEL-J. DARROUZÈS, Les Regestes des actes du Patriarcat de
Constantinople. I. Les actes des patriarches, N° 1036.
16.  Rhallès-Potlès, t. VI, p. 174.
17.  Rhallès-Potlès, t. VI, p. 174.
18.  Rhallés-Potlès, t. II, p. 473.
19.  Les Regestes [ supra, n. 15], N° 1184. Édition Rhallès-Potlès, t. IV, p. 447-496 = GC 138, col.
937-1112. Une vieille étude ad hoc : V.  GRUMEL, Les réponses à Marc d'Alexandrie, leur caractère
officiel, leur double rédaction, in Echos d'Orient, t.38 (1939) 321-333.
20.  Rhallès-Potlès, t. IV, p. 476-477.
21.  Question N° 49 : ibid., p. 484.
22.   ibid., p. 460.
23.  Les Regestes, N° 1205 (V. Laurent). Edition : N. OIKONOMIDÈS, Cinq actes inédits du patriarche
Michel Autoreianos, in Revue des Etudes Byzantines, t.25 (1867), 113-145 (la citation à la p. 131) = idem,

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Documents et études sur les institutions de Byzance, Londres, 1976, XY. Sur ce texte je me permets de
renvoyer à C.G. PITSAKIS, Conceptions et éloges de la romanité dans l'Empire romain d'Orient : deux
thèmes byzantins d'idéologie politique, Idea giuridica e politica di Roma e personalità storiche [Da Roma
alla Terza Roma. X Seminario internazionale di studi storici], Rome, 1990, p. (95-139) 131-135.
24.  R. JANIN, la Géographie ecclésiastique de l'Empire Byzantin. I. Le siège de Constantinople et le
patriarcat œcuménique. Les églises et les monastères, Paris, 1969, p. 79-80.
25.  R. JANIN, p. 158 ; S. BLÖNDAL-B.S. BENDIKZ, The Varangians of Bysantium, Cambridge, 1978,
p. 152-153, 185-186 ; cf. Mgr P. MÉNÉVISSOGLOU, Ἡ ἱερὰ μητρόπολις Σουηδίας καὶ πάσης
Σκανδιναβίας,Athènes, l994, p. 20-21, 159 n. 1.
26.  R. JANIN, p. 579.
27.  En dernier lieu : I. BILIARSKY, Le mont Athos en tant que lieu sacré de l'orthodoxie (le culte marial
et l'universalisme orthodoxe), in Città ed Ecumene : i luoghi dell'uniuersalismo da Roma a Costantinopoli a
Mosca. XXII Seminario Internazionale di Studi Storici (Rome, 2002) [texte provisoire] avec référence
particulière aux travaux de D. NASTASE.
28.  P. LEMERLE, Les archives du monastère des Amalfitains au Mont Athos, Epétèris Hétaireias
Byzantinôn Spoudôn t. 23 (1953) 548-566 = id., le monde de Byzance : Histoire et Institutions, Londres,
1978, XXII.
29.  J. ABBAS, Two Codes in Comparison [Kanonika, 7], Rome, 1997, p. 113. Certains indices dans le
sens inverse, même la période précédant le schisme, ne seraient à considérer qu'à la lumière des
cas spéciaux qu'ils représentent : le mariage infortuné du jeune fils de l'empereur Constantin VII
Porphyrogénète, le futur empereur Romain II (959-963), avec la fille du roi Hugues d'Italie
(926-947), Berthe-Eudocie, fut célébré, en pleine Constantinople, par l'évêque Sigefred de Parme
(Liutprand de Crémone, Antapodosis, 5.20) ; mais il s'agissait d'un mariage d'anti-canonicité
flagrante, et le patriarche et l'épiscopat constantinopolitains ont sans doute hésité fortement à le
célébrer : en effet, la jeune épouse se trouvait encore dans sa petite enfance…
30.  Novelle IV. 69 = F. DÖLGER, Regesten, N° 1068. Ed. Rhallès-Potlès, t. V, p. 311-313 ; P. et J. ZÉPOS
, Ius Graecoromanum, t. I, Athènes 1931, p. 408-410. La citation aux p. 312, 409, respectivement. J'en
donne ici la traduction anglaise par P. MAGDALINO, (The Empire of Manuel i Komnenos, 1143-1180,
Cambridge, 1993, 214) : Since many and frequent unions take place among those of imperial lineage and
others most noble and illustrious in rank, and emigrants from foreign lands, where kings and princes reign,
to the Queen of Cities. Sur la pratique de mariages mixtes poursuivie au siècle suivant (XIII e) : D. M.
NICOL, Mixed Marriages in Byzantium in the Thirteenth Century, in Studies in Church History, t. I,
Londres-Édimbourg, 1964, p. 160-172.
31.  Voir supra, n. 1.
32.  J'emprunte cette phrase à N. VAN DER WAL - J. H. A.  LOKIN, Historiae iuris graeco-romani
delineatio : Les sources du droit byzantin de 300 à 1453, Groningue, 1985, p. 107 (intitulé du Ch. X). Voir
maintenant le volume collectif : N. OIKONOMIDÈS (ed.), Byzantium in the 12th Century : Canon Law,
State and Society, Athenes, 1991.
33.  Rhallès-Potlès, t. II, p. 253-254.
34.  Cf. C. G. PITSAKIS, « Ἡ ἔκταση τῆς ἐξουσίας ἑνὸς ὑπερορίου πατριάρχη : ὁ πατριάρχης
Ἀντιοχείας στὴν Κωνσταντινούπολη τοῦ 12 ου αἰῶνα »dans : N. OIKONOMIDÈS (ed.), Byzantium in
the 12th Century [supra, n. 32], p. 91-139. Sur l'œuvre canonique de Balsamon on pourrait toujours
consulter facilement la vieille monographie de G. P. STEVENS, De Theodoro Balsamone : analysis
operum ac mentis iuridicae [ Corona Lateranensis, 16], Rome, 1969. Voir maintenant, en plus des
ouvrages généraux, plusieurs contributions dans le volume collectif Byzantium in the 12th Century,
dont : V. TIFTIXOGLU, Zur Genese der Kommentare des Theodoros Balsamon, (p. 483- 532) ; C. 
GALLAGHER, Gratian and Theodore Balsamon : Two Twelfth-Century Canonistic Methods Compared
(p. 61-89) ; de ce dernier point de vue cf. aussi C. G. FÜRST, Balsamon, il Graziano del diritto canonico
bizantino, in La cultura giuridico-canonica medioevale. Premesse per un dialogo ecumenico. Convegno di

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Studi. Pontificia Università della Santa Croce, Facoltà di Diritto Canonico (Rome, 14-15 mars
2002 ; à publier).
35.  "Ne donnez pas aux chiens…": réponse N° 15 : Rhallès-Potlès, t. IV, p. 459. Haereticorum autem
vocabulo : réponse N° 35 : ibid., t. IV, p. 476.
36.  P.B.PASCHOS, Ὁ Ματθαῖος Βλάσταρης καὶ τὸ ὑμνογραφικὸν ἔργον του , Thessalonique, 1978,
p. 93 n. 2 ; cf. id., Ἅπαντα τὰ ὑμνογραφικὰ τοῦ Ματθαίου Βλάσταρη, Athènes, 1980, p. 17-18.
37.  Cf. PASCHOS, Ὁ Ματθαῖος Βλάσταρης, p. 94.
38.  Rhallès-Potlès, t. VI, p. 173-175.
39.  ibid., p. 175.
40.  Voir, par exemple : S. VESEY-FITZGERALD, Muhammadan Law, Londres, 1831, p. 38 (leasehold
marriage) ; J. SCHAFT, An Introduction to Islamic Laws, Oxford 1964 1982, p. 163 (temporary marriage).
41.  D.S. GHINÈS, Περίγραμμα στορίας τοῦ Μεταβυζαντινοῦ Δικαίου. Πραγματεῖαι τῆς Ἀκαδημίας
Ἀθηνῶν, Athènes, 1966, N° 493, 547 (nous nous référerons à cet ouvrage de base sur les sources
du droit « post-byzantin » par le seul numéro d'inventaire).
42.  G. ARABADJOGLU (Gennadios d'Héliopolis), « Ὁ διὰ καπηνίου ἢ κεπηνίου γάμος »,in
Orthodoxia t.4 (1929) p. 162-164 ; G.  ARABADJOGLU est aussi l'auteur de l'article « καπήνιον ἢ
κεπήνιον » dans la Grande Encyclopédie Hellénique (MEE : Mégalè Hellènikè Egkyklopaideia), t. XIII, 742
(avec la bibliographie antérieure). N. PANTAZOPOULOS, « Κεπήνιον. Συμβολὴ ἔρευναν του
θερμοῦ τοῦ ἐπι Τουρκοκρατίας », in Mélanges Alexandre Litzéropoulos, Athènes, 1985, p. 205-235
(plusieurs autres références antérieures à cette institution dans des ouvrages de caractère plus
général du même auteur). D. ROMAS, Τὸ Κεπήνιον, annexe III de documentation au roman
historique du même auteur, Τὸ ρεμπελιὸ τῶν ποπολάρων , t. I, Athènes s.d., p. 585-602. Cf. G. 
DÈMÈTROKALLÈS, « Μία περίπτωση γάμου μετὰ καπηνίου στὴ Νάξο »,in Epétèris Hétaireias
Byzantinôn Spoudôn t.39-40 (1972-1973), p. 290-294. En dernier lieu : E. PAPAGIANNI, Ἡ νομολογία
τῶν ἐκκλησιαστικῶν δικαστηρίων τῆς βυζαντινῆς καὶ μεταβυζαντινῆς περιόδου σέ θέματα περιουσιακοῦ
δικαίου II. Οἰκογενειακὸ δίκαιο [Forschungen zur byzantinischen Rechtsgeschichte. Athener Reihe, 11],
Athènes-Komotini, l997, p. 131-132 (avec la bibliographie plus récente, p. 131 n. 14, y compris des
références à des ouvrages généraux), Mme Papagianni signale aussi une longue mention tacite de
cette institution dans l'ouvrage pionnier de G.-L. von MAURER, Das griechische Volk, t. I,
p. 117-134. - Voir les numéros 111, 130 de l'inventaire de Ghinès [supra, n. 41] (privilèges des
Cyclades) et la jurisprudence étudiée par Mme PAPAGIANNI, p. 132, n. 15-20 (île de Cos, ville de
Siatista).
43.  Ghinès, N° 186.
44.  ibid., N° 188.
45.   ibid., N° 493, 677.
46.  Pédalion, Athènes, 1970, p. 196-197, 282-283.
47.  Chapitre 6 du tomos synodal : M. GÉDÉON, Canonikai Diataxeis, t. II Constantinople, 1888-1889,
p. 106-114 ; Ghinès, N° 588 et 598.
48.  Ghinès N° 651 (1815), 668 (1818), 747 (1825), 774 (1827-1842).
49.  C. DÉLIKANÈS, Ἐπίσημα ἐκκλησιαστικὰ ἔγγραφα, t. II, Constantinople, 1904, p. 618.
50.  ibid., III, Constantinople, 1905, p. 637.
51.  M. THÉOTOKAS [infra, n. 53], 357 (1869: Ghinès, N° 1043), 361 (1870), 359 (1871: Ghinès
N° 1048).
52.  Voir supra, n. 1 : t. II, Athènes, 1913, p. 356-360.
53.  M. THÉOTOKAS, Νομολογία Οἰκουμενικοῦ Πατριαρχείου, Constantinople, 1897, p. 354-363 ; cf. du
même auteur, ad hoc : Τὰ κρατοῦντα περὶ μικτῶν γάμων έν τῇ όρθοδόξῳ ὰνατολικῇ Ἐκκλησίᾳ
Κωνσταντινουπόλεως, dans : id., Νομικὰ καὶ ἱστορικὰ μελετήματα, Athènes, 1947, p. 7-22.

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54.   Τινὰ περὶ συστάσεως, κύρους, ἢ μὴ καὶ μκφύσεως τῶν μικτῶν γάμων, ἰδίως ἐν Τουρκία ,
Constantinople 1909-1910 ; cf. aussi une monographie sur ce sujet par André HIDRÔMÉNOS,
Athènes, 1891.
55.  Pédalion [supra, n. 46], p. 283 n.1.
56.  Cf. Ghinès, N° 9 Cart. 11 du traité de l'an 1299.
57.  Ghinès, N° 93, 98, 99, 145, 263 respectivement.
58.  Cf.. Ghinès, N° 263.
59.  Rhallès-Potlès, t. V, p. 167
60.  Rhallès-Potlès, t. V, 164-176 = Gédéon, Kanonikai Diataxeis, I, 370-380 ; ibid., II, 292-322 : à
propos des mariages mixtes, en particulier, p. 313-316.
61.   En dernier lieu : Chr. LOUKOS, Γύρω ἀπο τὴν παύση τοῦ πατριάρχη Γρηγορίου 5 (1840) : νέες
μαρτυριές, dans : Léandre Vranoussis In Memoriam [Ho Eranistès, t.21 (1997)], Athènes, l997,
p. 326-336.
62.  Délikanès, t. III, p. 236.
63.  D. G. APOSTOLOPOULOS - P. D. Michaèlarès, Ἡ Νομικὴ Συναγωγὴ τοῦ Δοσιθέου , t. I, Athènes,
1987.
64.  Délikanès, t. III, p. 683-684, N° 1354.
65.  Gédéon, t. I, p. 265 ; Ghinès, N° 465.
66.  Délikanès, II, p. 305-306.
67.  Ghinès, N° 1033, 1034.
68.  Ghinès, N° 1043.
69.  Ghinès N° 1059, 1060. À l'exception des ouvrages beaucoup plus généraux de Ghinès et de
Délikanès, nous évitons ici, pour les cas mentionnés, les renvois continuels aux manuels de
jurisprudence patriarcale, surtout à l'ouvrage de Théotokas [supra, n. 53].
70.  Ghinès, N° 1061.
71.  Dont deux répertoriés dans Ghinès, N° 1055, 1056.
72.  Ghinès, N° 1063.
73.  Ghinès, N° 1000.
74.  Théotokas, p. 355.
75.  Rhallès-Potlès, t. I, 271-272.
76.  Pédalion [supra, n. 46], p. 197.
77.  Ch. I. 36 : édition D. S. Ghinès (Thessalonique, 1960), p. 10.
78.  Édition Zépos, t. VIII [supra, n. 30], p. 21 = Codul Calimach, Bucarest, 1958, p. 94-95.
79.   Zépos, t. VIII, p. 392 = Legiuirea Caragea, Bucarest, 1955, p. 74-75.

RÉSUMÉS
En matière de mariage mixte, bien que l’intransigeance du Concile Quinisexte (692) soit
théoriquement toujours en vigueur de nos jours, l’Église orthodoxe grecque a lentement évolué
selon le principe d’économie, qui préconise d’appliquer le dogme aux situations pastorales afin de
sauvegarder l’unité de la communauté ecclésiale. Ces premiers arrangements ont vu le jour aux
XIIe-XIIIe siècles avec l’irruption de l’Islam dans l’Empire, ainsi qu’avec la Quatrième croisade, et
n’ont pas eu de forme identique s’il s’agissait de musulmans ou de catholiques romains (voire
orientaux). Après une courte période de sévérité renouvelée au début du XIX e siècle, on en vient

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même à entériner les mariages entre chrétiens (1897), ce qui a été facilité par l’évolution
préalable du droit civil.

With regard to marriage, although the Quinisexte Council (692) intransigence is theoretically still
in force today, the Greek Orthodox Church has slowly evolved under the influence of the
principle of economy, which calls for applying the doctrine to pastoral situations in order to
safeguard the unity of the ecclesial community. These initial arrangements have emerged in the
12th-13th centuries with the arrival of Islam in the empire, as well as the Fourth Crusade, and have
not been identical if they were Muslims or Roman (and Eastern) Catholics. After a short period of
renewed severity in the early 19th century, the marriage between Christians has even been
allowed (1897), which was facilitated by the prior evolution of civil law.

AUTEUR
CONSTANTINOS G. PITSAKIS
Université Démocrite de Thrace, Komotini

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L’attitude de la science et de la
pratique juridique envers le droit
byzantin dans la Grèce du XIXe siècle
Attitude of Science and Judicial Practice to Byzantine Law in 19 th c. Greece

Spyros N. Troïanos

1 Dans la Grèce du XIXe siècle ce fut tout d’abord le législateur qui s’est préoccupé du droit
byzantin et, puis, la science juridique. La raison en est que, dès les débuts de la lutte
pour l’indépendance nationale pendant l’année 1821, un des premiers soucis des Grecs
consiste dans l’installation d’un pouvoir légitime dans les régions libérées qui ont
formé le noyau de l’État en voie de création. L’on rencontre le souci de prendre des
dispositions analogues dans tous les textes constitutionnels, adoptés par les différentes
assemblées, locales ou nationales, pendant les huit années de guerres de libération et
même après celles-ci.
2 Le premier en date de ces textes constitutionnels est le Règlement juridique de la Grèce
continentale de l’Est (à Salona de Phocide vers le mois de novembre de 1821) 1. Ce
Règlement postule que le droit positif de la Région consiste provisoirement, et ce jusqu’à
la mise en place d’une autre réglementation différente à l’échelle nationale, en la seule
application des lois sociales des empereurs byzantins. Il en résulte aisément que sous cette
appellation sont comprises les lois byzantines qui ont à faire avec le droit civil. Le
Règlement cité est complété par une loi qui ordonne à l’Areios Pagos (appellation donnée
par ce texte à un organe juridictionnel ayant des compétences mixtes, administratives
et judiciaires) de procéder à la traduction en grec moderne des parties des Basiliques qui
ont conservé les lois civiles et d’effacer leurs contradictions avec comme critère le
concept de l’intérêt commun. L’Areios Pagos, après l’accomplissement de cette tâche,
devait procéder à la publication de cette collection factice, après l’avoir soumise à
l’approbation préalable des métropolites, dont les sièges se situent dans le territoire de
la Grèce continentale de l’Est. L’Areios Pagos pouvait se décharger de cette tâche, si
entre temps la future chambre, le Parlement, avait entrepris la confection de la
traduction projetée à l’échelle nationale2.

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3 Quelques jours après la date de sortie du dit Règlement, a été promulguée en décembre
1821 la Loi organique du Sénat du Péloponnèse, qui stipulait que jusqu’à l’édition des lois
ordinaires, seraient appliquées « les lois conservées des rois chrétiens de
Constantinople »3. Mais, déjà en même temps, ont été accomplis les préparatifs ayant
comme but la convocation de la première Assemblée Nationale à Epidaure. Le premier
janvier 1822 a été votée la Constitution Provisoire de Grèce, dont les paragraphes 97 et 98
prévoient la création d’une commission composée « des plus éminents et des plus
savants membres, (et) de vertu reconnue » afin de procéder à la rédaction des codes :
civil, pénal et commercial. Jusqu’à la fin des travaux de la commission, la justice civile
et pénale sera rendue d’après les lois, votées et promulguées entre-temps, et en
premier lieu, selon « les lois de nos empereurs de mémoire éternelle ». Spécialement
pour les affaires commerciales, il a été ordonné que le Code du commerce français ait
force exclusive de loi pour la solution des conflits4. Le Code du commerce français fut
traduit en grec aussitôt après sa promulgation et appliqué par les commerçants grecs
pour la résolution de leurs différends. La disposition a donné force législative à un
usage suivi dans les rapports de commerce5.
4 Le texte constitutionnel cité a été soumis ultérieurement à une nouvelle élaboration
aux Assemblés Nationales, à la deuxième (d’Astros, 1823) 6 et à la troisième (de
Troézène, 1827), dans la dernière (lois byzantines) en remplacement de différentes
expressions où il a été question des empereurs d’éternelle mémoire 7.
5 Nous remarquons que tous les textes constitutionnels de la période révolutionnaire
contiennent des dispositions presque similaires, qui ordonnent l’application du droit
byzantin. Dans ces dispositions se reflète la tendance dominante parmi les Grecs de
présenter l’État nouvellement créé comme l’héritier de l’Empire byzantin, évidemment
en dehors de toute précision terminologique selon le droit international public, mais en
accord avec la réalité politique. Cette revendication ne se référait pas seulement à des
motifs émotionnels. Elle visait en même temps à la solidité de futures revendications
territoriales8. D’ailleurs, il ne faut pas sous-estimer l’importance d’autres facteurs qui
ont contribué à accorder la préférence au droit byzantin. Ces facteurs se rapportaient
d’une part à la confiance accordée au droit byzantin par la haute hiérarchie
ecclésiastique et par la classe bourgeoise dirigeante avec l’arrière-pensée de consolider
éventuellement leurs privilèges. D’autre part, l’administration avait la crainte que
l’introduction et le recours aux nombreuses coutumes locales aurait pu mettre en
danger l’unité nationale des Grecs9.
6 Dans le texte de 1827, appelé aussi Constitution politique de Grèce, notre attention est
attirée par l’article 99, d’après lequel le Parlement doit se consacrer à la rédaction de
codes calqués sur la législation française. Derrière cette disposition se trouvent
sûrement les juristes de l’époque, formés en France10 et qui avaient exercé leur
influence sur la formulation de l’article 99. D’ailleurs, sur le plan général, n’était pas
sans importance l’influence des idées libérales et démocratiques de la Révolution
française diffusées largement à cette époque en Grèce 11. Il est significatif que le
Premier ministre Théodore Négris avait l’intention de présenter devant l’Assemblée des
représentants de la Nation, un projet de Code civil, confectionné sur le modèle français,
comme un complément du droit byzantin, afin de réduire les éventuelles réactions de
ses adversaires. Ce projet ne fut pas réalisé, à cause du décès de Négris en 1824 12. Il n’est
pas inintéressant d’ajouter, pour avoir une image des diverses tendances parmi les
juristes grecs relativement au modèle législatif à adopter, que de nombreux juristes ont

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opté pour les législations des Principautés roumaines ou de Bessarabie. D’autres ont
exprimé leur préférence pour le Code des îles ioniennes en état de rédaction. Quelques
tendances se sont manifestées en faveur du droit anglais 13.
7 L’introduction du droit byzantin, indépendamment de la question de la forme à
adopter, n’a pas été acceptée avec satisfaction par tous. Déjà dès l’an 1821, le chef de
file des Lumières grecques, Adamantios Coray dans ses remarques sur la Constitution
provisoire de Grèce avait noté que les « lois gréco-romaines » avaient été tolérées
simplement, afin d’éviter l’anarchie qu’aurait provoquée le manque total de lois. Il
conservait de nombreuses réserves envers la qualification des empereurs comme d’
éternelle mémoire, si elle n’a pas été utilisée par son rédacteur dans une acception
ironique14.
8 La critique des autres intellectuels grecs de la même époque est fondée sur les idées des
Lumières et sur les cadres définis pour les principes fondamentaux de chaque
législation. L’argument principal consiste dans l’incompatibilité entre les lois
byzantines et les conditions sociales et politiques, valables pour la Grèce dans les
premières décennies du XIXe siècle. Un des opposants critiques qui signe avec les
initiales N.K.15 se tourne en 1824 avec véhémence contre l’Hexabiblos d’Harménopoulos.
Il a vu, écrit-il, des juges ayant entre les mains un livre juridique qui s’appelle Nomikon
d’Harménopoulos et qui doit être appliqué conformément à la Constitution (provisoire)
de Grèce. Après l’avoir examiné, il le jugea indigne pour une nation libre, de contenu
hétérogène, souvent contradictoire, impropre à l’esprit du siècle et contraire aux
principes du régime instauré par les élections. Il aboutit à la conclusion de la nécessité
absolue de la rédaction des codes, civil et pénal. En ce qui concerne les affaires du
commerce, il admet que les besoins sont suffisamment satisfaits par l’application du
remarquable (selon ses propres paroles) Code du Commerce de Napoléon 16.
L’argumentaire invoqué démontre que la critique provient de quelqu’un qui n’est pas
juriste.
9 Une argumentation similaire — en des termes moins forts — est présentée, quelques
mois après, par un auteur, qui signe avec les initiales K.M. 17 dans un opuscule intitulé
Du Jugement général, afin de démontrer l’inapplicabilité des dispositions du droit
byzantin dans la Grèce du XIXe siècle. L’auteur remarque la grande différence qui
sépare le régime de l’Empire romain d’Orient de celui de la Grèce de son époque. Cette
différence écarte l’application de mêmes lois dans les deux espèces de régime, d’autant
plus que les Codes qui contiennent les matières pénales et civiles doivent être d’accord
avec les principes valables dans les régimes respectifs.
10 Les ennemis du droit byzantin n’étaient pas seulement de simples citoyens. Parfois
l’opposition était exprimée aussi par les organes officiels de l’État. Ainsi dans une
pétition du 9 avril 1825 de la Chambre des Députés à l’attention du gouvernement il est
relaté que pour la réalisation effective d’une justice ordinaire la condition préalable est
l’existence de lois, dignes « de l’époque éclairée que nous vivons ». Il est, par la suite,
remarqué que les lois des empereurs byzantins « pour leur incohérence et pour leurs
sottises » n’ont pas de place dans une époque caractérisée par des Codes de lois sages
dans toute l’Europe. Il a été décidé de rassembler les matériaux juridiques nécessaires
pour la confection des codes par traduction de textes juridiques étrangers. Une
commission, composée de quatre députés, a été constituée à cet effet, avec la
sollicitation au Gouvernement « de donner l’ordre à la commission de Londres de
fournir à Coray les subsides nécessaires pour la rémunération des traducteurs » 18.

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11 A une démarche analogue avait procédé quelques jours auparavant, le 18 mars 1825, le
Ministère de la Justice, en constatant que le pays souffre du manque de manuels
juridiques, ce qui empêche le Ministère et les tribunaux de pouvoir accomplir leur
tâche. Or, à l’occasion du départ pour Londres du juriste italien, le comte Alerino
Palma, le Ministre de la Justice exigea la rédaction d’une lettre à la commission de
Londres, afin que celle-ci prenne soin de procurer des ouvrages juridiques. Sauf les
« Basiliques de nos empereurs, écrit-il, il est nécessaire que soient expédiés tous les
livres en français et en italien »19. Selon toute évidence, ces langues étaient plus
accessibles au petit nombre des juristes grecs de cette époque.
12 Les ouvrages juridiques, notamment les sources et plus particulièrement les Basiliques,
n’ont pas été recherchés seulement à l’étranger. Des recherches, afin de retrouver de
tels ouvrages ont été effectuées dans les bibliothèques des monastères grecs.
13 La nouvelle codification de la législation justinienne que Léon VI le Sage a opérée a
exercé une attraction irrésistible, à cause précisément de l’ignorance de son étendue.
Ainsi la mention des Basiliques dans le Règlement juridique de la Grèce continentale de l’Est,
citée auparavant, n’est pas unique dans un texte législatif. Dans la Loi 34 (du premier
juillet 1824), promulguant le Recueil des dispositions pénales, il a été stipulé dans le second
paragraphe, que les actes punissables, qui ne sont pas mentionnés dans la présente loi,
seront jugés d’après les Basiliques20.
14 Jusqu’à ce moment n’a pas fait son apparition sur la scène juridique l’Hexabiblos de
Constantin Harménopoulos, malgré le fait que les juristes, qui ont proposé les solutions
exposées, sous-entendent l’Hexabiblos à cause de son accessibilité. L’ Hexabiblos a été
seulement cité dans les textes des adversaires de l’introduction du droit byzantin. Mais
son usage avait déjà été préféré dans la pratique judiciaire. Comme explication possible
du silence autour de l’Hexabiblos l’on émet l’opinion que le peuple grec n’a pas été
favorable, car durant la domination ottomane l’Hexabiblos constitue la base exclusive
pour la résolution des différends par les instances judiciaires ecclésiastiques, qui,
porteuses de la tradition juridique savante, ont évoqué les sources de la période
byzantine, en négligeant le droit coutumier21. La première mention officielle de l’
Hexabiblos est faite dans la législation du gouvernement de Capodistrias. Dans
l’article 38 du Décret n° 19 du 15 décembre 1828 Sur l’organisation des tribunaux est
stipulé que les tribunaux dans les affaires civiles appliquent les lois des empereurs
byzantins contenues dans l’Hexabiblos d’Harménopoulos. Dans les affaires commerciales
ils appliquent le Code du commerce français 22. Cette attribution de valeur de loi accordée
à l’Hexabiblos a poussé un des rares politiciens ayant une formation de juriste,
Constanin Clonaris, à élaborer une traduction du recueil d’Harménopoulos, afin de
rendre plus accessible la compréhension de son texte23.
15 Au-delà de la mention explicite de l’Hexabiblos, le point essentiel dans ledit décret est la
délimitation de l’application des lois byzantines seulement pour le droit civil, tandis
que les lois édictées prévoyaient l’application des lois byzantines aussi dans le domaine
du droit pénal, ce qui a provoqué plusieurs interrogations et suscité une critique sévère
pour ce qui concernait la définition des crimes et délits en droit byzantin et leurs
modalités de répression pénale (p. ex. les mutilations corporelles des coupables).
16 Avec le temps qui passait les fonctionnaires de l’État grec commencèrent à avoir
conscience des graves difficultés qu’a créées dans la pratique juridique quotidienne
l’application du droit byzantin avec une masse énorme de sources et de collections
privées des matières juridiques. D’ailleurs, dans le domaine des rapports contractuels,

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les concordances entre les dispositions d’un Code relativement récent, comme le Code du
Commerce français, et les normes d’un droit multi-séculaire ne sauraient être facilement
effectuées. En tout cas, le 4 décembre 1830 le Décret n° 64 du gouvernement hellénique
déclare que la volonté de la Troisième Assemblée Nationale était d’instituer les
dispositions du droit civil byzantin. Les lois byzantines, selon les termes même du
Décret, étaient recueillies avec d’autres lois sur diverses matières juridiques, comme le
droit pénal et ecclésiastique ainsi que la discipline militaire. Le résultat est que les
citoyens n’étaient pas en mesure d’être au courant du droit civil. De même, les juges
n’avaient aucun traité pour résoudre les conflits. Ordre a été donné au Secrétaire-
Ministre de la Justice de procéder au choix et à la répartition de façon systématique de
toutes les lois byzantines, tirées des Basiliques, et des Novelles des empereurs postérieurs
à Léon VI24.
17 En opposition donc à la disposition irréaliste du Règlement juridique de la Grèce
continentale de l’Est, relative aux Basiliques (cf. supra), nous avons dans le Décret cité la
première mention de la grande codification de l’époque moyenne byzantine. Le même
décret, en outre, témoigne de l’effort d’envisager les questions juridiques de manière
réaliste. En dépit de l’opinion que de cette façon sont désignées implicitement les
sources de l’Hexabiblos, nous croyons que la volonté des rédacteurs de ce Décret était de
provoquer un courant favorable à l’utilisation du texte des Basiliques, car l’on avait
constaté les carences de l’Hexabiblos pour réglementer tous les problèmes du droit
civil25.
18 Il convient de mettre l’accent sur le fait que dans le texte du décret le législateur grec
avait l’intention d’imposer l’usage seulement des Basiliques et de ne pas s’étendre au
droit antérieur, à savoir au droit justinien, avec les Novelles. En tout cas, ce décret n’a
pas affecté l’application de l’Hexabiblos, chose qui a été répétée aussi dans l’article 148
du décret n° 152 du 15/17 août 1830 (De l’organisation des tribunaux). Avec celui-ci, les
tribunaux devaient appliquer les lois des empereurs byzantins, mais jusqu’à la
rédaction de leur recueil projeté, la « consultation de l’Hexabiblos » était nécessaire.
19 Pourtant le vrai sens de la locution précédente a suscité de vives discussions parmi les
juristes de l’époque et, par la suite, parmi les historiens du droit grec moderne, car il a
été avancé que le mot « consultation » dénotait seulement la force consultative du texte
et non pas le côté législatif26. La raison la plus probable de cette situation est que les
rédacteurs de ce texte législatif n’identifiaient pas tout le droit byzantin avec l’
Hexabiblos, mais justement à cause du manque du texte des lois byzantines ou de
difficultés sérieuses pour retrouver ces lois, les rédacteurs du Décret analysé n’avaient
pas d’autre alternative que d’attribuer force de loi à l’Hexabiblos.
20 La Constitution promulguée par la Cinquième Assemblée Nationale (Argos, 5.12.1831 –
Nauplie, 15.3.1832) prévoit l’application « des lois byzantines des empereurs romains et
chrétiens ». Cette formulation assez imprécise a été soumise à une sévère critique,
mais, en fait, la constitution citée, appelée hégémonique ou royale, n’a pas trouvé son
domaine d’application.
21 Un an après, arriva en Grèce le roi Otton et s’est instaurée la Régence, car le roi était
encore mineur. Un des trois membres de la régence était le juriste Georg Ludwig von
Maurer27, professeur de droit français et de droit ancien germanique à l’Université de
Munich. Il avait une grande expérience des travaux préparatifs des lois, et il s’est
chargé de l’organisation des secteurs de l’éducation, de l’Eglise et de la Justice. Il est
resté seulement 18 mois, du 2 février 1833 jusqu’au 31 juillet 1834, date de sa révocation

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en Bavière. Dans ce court laps de temps, Maurer réalisa une immense œuvre
législative : le Code Pénal, l’Organisation des tribunaux, les Procédures civile et pénale
sont parmi ses créations législatives28.
22 En dépit de sa grande activité pour la confection des Codes cités, Maurer envisagea avec
une grande prudence et avec assez d’hésitation les matières du droit civil. Ayant, en
tant qu’historien du droit, constaté l’étendue et l’importance particulière de la
coutume pendant les époques byzantine et post-byzantine, Maurer a voulu collecter le
droit coutumier dans le but final de pouvoir rédiger un Code fondé sur les coutumes.
Mais, il convient de rappeler que Maurer identifiait les coutumes grecques avec des
éléments culturels étrangers, comme le droit canonique catholique et, surtout, le droit
germanique ancien29 : ses conceptions sur ces parentés juridiques incluaient le danger
de remplacer dans le Code, jamais réalisé, les véritables éléments de droit coutumier
grec par leurs sources supposées30. Indépendamment de ce danger doctrinal, la
révocation de Maurer à Munich au mois de juillet 1834 a signé la fin de son programme
législatif.
23 Quelques mois après, le 23 février/7 mars 1835, a été édicté un décret royal qui décréta
comme suit : « Les lois civiles des empereurs byzantins, contenues dans l’Hexabiblos
d’Harménopoulos seront en vigueur jusqu’à la publication du Code civil, dont nous
avons ordonné la rédaction. Mais ces coutumes, que l’usage continu et les décisions des
tribunaux ont reconnues, seront valables là où elles ont dominé ». Ainsi l’ensemble des
lois impériales, comprises dans l’Hexabiblos, ont revêtu la force de loi appliquée.
Pourtant, ce projet de loi, élaboré par le Secrétariat de la Justice et daté du 15/27
janvier 1835, n’avait pas exactement le même contenu que le décret, comme il résulte
de la traduction française, qui a été soumise au Roi, notamment au Conseil de Régence,
pour ratification. Voici les termes du premier paragraphe : « L’Hexabiblos
d’Harménopoulos autant qu’il contient des dispositions du droit civil continuera à être
en vigueur jusqu’à la promulgation du code civil dont nous avons ordonné déjà la
rédaction »31. De cette formulation il résulte aisément que, selon le projet, toutes les
dispositions de droit civil de la compilation ont revêtu force de loi, indépendamment de
leur provenance, et non pas seulement les lois impériales. Finalement le projet a été
soumis par la Régence au Conseil des Ministres et ensuite à la Commission législative 32.
Pendant ces transferts, le texte a pris sa formation finale de publication 33.
24 Plusieurs opinions ont été émises à propos de l’interprétation de ce décret (cf. infra). Il
est plus que probable que les rédacteurs de celui-ci ne visaient que l’Hexabiblos, dont les
dispositions devraient être le droit civil grec. Cette constatation découle d’un autre
décret (du 15 oct. 1836) Sur la majorité, qui introduit une nouvelle réglementation en
modifiant la règle en la matière, contenue dans l’Hexabiblos, citée précisément dans le
texte législatif. Les tribunaux se sont orientés dans cette direction. Citons un exemple
significatif : la décision n° 250/1837 de la Cour d’appel du Péloponnèse, qui fait
référence aux lois civiles des empereurs byzantins, d’ailleurs les seules en vigueur selon
le Décret royal du 23 février 183534. Les besoins de la pratique judiciaire ne sauraient
être satisfaits de la traduction de Clonaris. Pour cette raison, le 4/16 mars 1835 le
Secrétaire d’État à la Justice Georges Praïdis a soumis au Roi un rapport suggérant la
réimpression du texte original, introuvable, de l’Hexabiblos d’après l’édition de Reitz,
pour la raison que les traductions ne sont pas toujours absolument précises et ne
comportent pas de renvois aux sources romaines pour faciliter l’interprétation des
passages controversés. Citons ici un extrait du rapport, écrit, comme d’habitude à

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l’époque, en français et témoignant pour la première fois des insuffisances de l’


Hexabiblos :
L’original de l’Exabible de l’Arménopoule écrite par l’auteur en grec ancien est si
rare en Grèce qu’il n’y a que très peu de juristes qui en ont un exemplaire. La
réimpression de ce livre qui est dévenue (sic) autre loi civile serait
incontestablement d’une grande utilité ; les juges et les particuliers auraient à quoi
recourir pour éclaircir leurs doutes que des traductions qui n’offrent pas la garantie
d’une exactitude scrupuleuse pourraient faire naître ; de plus les traductions
privées de toutes secours de renvoi aux lois romaines et de toute citation ne saurait
offrir aucun secours dans les cas où des endroits douteux ne peuvent être expliqués
qu’à l’aide des dispositions analogues du droit romain 35.
25 Le soin de la réimpression fut confié au juge à la Cour d’appel, Démétrios Razis, et la
tâche fut accomplie pendant l’année 183536.
26 L’opinion, néanmoins, que le droit applicable se limitait au contenu de l’Hexabiblos ne
fut pas admises de manière unanime par la théorie. En 1837 fut édité à Munich un
opuscule écrit en grec par Emile Herzog, le premier professeur de droit romain à la
Faculté de droit de l’Université d’Athènes, nouvellement créée. Le titre en était : Traité
sur le Manuel ou sur l’Hexabiblos d’Harménopoulos. Dans son écrit Herzog exprime sa
conviction que pour les matières non traitées par Harménopoulos il est possible d’avoir
recours aux autres sources du droit byzantin, en premier lieu, aux Basiliques et, ensuite,
aux Novelles des empereurs postérieurs. L’auteur fonde son opinion sur l’argumentaire
suivant : primo : Harménopoulos dans l’élaboration de l’ Hexabiblos a puisé dans les
sources byzantines ; et secundo : les textes juridiques byzantins ont été ratifiés par le
pouvoir législatif, notamment par l’art. 148 de la Loi organique des Tribunaux du 15/27
août 183037.
27 Pourtant, l’aspect pratique du problème dépassait les limites de la théorie juridique.
Même si tous les juges grecs avaient pris la décision ferme d’utiliser les Basiliques et les
Novelles impériales dans leurs jugements sur les affaires civiles, la discussion serait sans
objet pour la simple raison que les textes de la codification du IXe siècle et des Novelles
postérieures étaient très rares, et inaccessibles aux juges. Déjà, dès les débuts de 1825,
le Ministre de la Justice Jean Théotokis avait donné l’ordre de rechercher dans les
bibliothèques monastiques les Basiliques, en forme soit de livres édités, soit, à défaut, en
manuscrits. De la correspondance éditée de l’higoumène de monastère de Méga
Spilaion à Kalavryta38 nous apprenons que la recherche était tout à fait infructueuse et
que les moines ignoraient complètement la codification tant recherchée. De la même
époque datent aussi les efforts déjà mentionnés, ayant comme but l’approvisionnement
en livres juridiques achetés dans les pays européens. Conformément aux informations
postérieures, il semble que pendant cette époque existaient en Grèce seulement deux
séries de l’édition de 1647 des Basiliques par Ch. A. Fabrot, l’une appartenant à la famille
Ainian, l’autre série faisant partie de la bibliothèque du Ministre de la Justice, Jean
Gennatas39. Quelques années plus tard, en 1833, fut imprimé le premier volume de
l’édition de Heimbach et l’édition des Basiliques s’est accomplie en 1850, et des
Prolégomènes en 1870. Egalement rares étaient les éditions des Novelles post-
justiniennes. Leur édition par K.E. Zachariä von Lingenthal date de 1857.
28 En présence de cette situation, deux professeurs de la Faculté de Droit de l’Université
d’Athènes, Georges Rallis et Marc Réniéris, ont uni leurs efforts afin d’offrir aux
praticiens de droit grec un manuel complet pour les matières principalement du droit
civil : la traduction du traité du Droit romain du jurisconsulte allemand bien connu,

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Ferdinand Mackeldey. Ils ne se sont pas limités à la traduction en grec du texte


allemand, mais, étant donnée l’importance du droit byzantin pour la théorie juridique
et pour la pratique judiciaire, ils ont complété les renvois du texte original du traité au
Corpus Juris Civilis par l’indication des passages homologues des Basiliques. Ils ont justifié
ces compléments en signalant que les Basiliques constituent le droit qui est
effectivement applicable en Grèce40. Remarquons aussi que l’action des deux
professeurs servait aussi un double objectif : procurer, d’une part, à l’attention des
juristes grecs la production scientifique allemande, et stopper, d’autre part, une
nouvelle tentative des cercles juridiques d’introduire, non seulement le Code du
Commerce français, mais aussi le Code civil français 41.
29 Les tentatives pour la réception partielle, et non pas entière cette fois-ci, du Code civil
français, se sont manifestées de nouveau avec la ratification du Décret de 1835.
Précisément, pour la raison que le droit des obligations a été insuffisamment traité
dans le recueil d’Harménopoulos, le Ministère de la Justice en octobre 1835 a proposé
de remplacer cette partie faible de l’Hexabiblos par la partie analogue du Code civil
français, adaptée aux réalités de l’époque : « les inconvénients auxquels donnent lieu
les dispositions obscures, incomplètes et contradictoires de l’Hexabiblos
d’Harménopoulos augmentent tous les jours l’embarras des parties et des juges et
mettent des entraves aux transactions du peuple ; c’est ainsi qu’au cours de la justice
plusieurs magistrats et en même temps membres du Comité législatif ont exprimé leur
désir de voir plutôt une traduction exacte autant que possible de la partie du Code civil
français qui traite des contrats et qui avec peu de changement pouvait être mise en
vigueur »42. Mais, en fin de compte, ce remplacement n’a pas eu lieu. Il faut noter qu’un
ordre écrit du Conseil de la Régence daté du 16/28 mars 1835 a été adressé au Ministère
de la Justice afin de prendre soin de la traduction en grec du Code civil français dans sa
totalité et pour être soumise à la commission chargée de la rédaction du projet de code
civil. La traduction a été accomplie dans peu de temps.
30 Comme il était attendu, après la traduction de Mackeldey par Rallis et Réniéris, les
renvois aux Basiliques ont été multipliés dans les décisions des tribunaux. Mais cette
constatation n’a point la signification que les juges grecs se sont désormais consacrés à
l’étude de la codification de Léon VI le Sage dont les exemplaires, s’ils n’étaient pas
complètement introuvables dans le territoire grec, étaient pour le moins extrêmement
rares. Les juges ont eu recours aux renvois qu’ils trouvaient dans la traduction du traité
de Mackeldey, sans prendre toujours en considération les différences significatives
entre la codification de Justinien et sa réactualisation par Léon VI le Sage 43.
31 Les problèmes d’interprétation, quant au sens et à la désignation des lois impériales
applicables dans le Décret de 1835, ont été examinés par les Cours de justice,
notamment par la Cour suprême (Areios Pagos), cas après cas. Ainsi, tant que les
oscillations de la jurisprudence et les hésitations de la théorie ont persisté, la question
des sources du droit civil, en premier lieu44, est restée en suspens, mais sans animosité
particulière.
32 Les discussions autour de ce problème ont connu une recrudescence en 1856 à cause de
la jurisprudence de la Cour suprême relativement à la légitimité des intérêts et de leur
taux. Fondé sur la constatation que le Décret de 1835 avait donné force de loi seulement
aux articles de l’Hexabiblos qui étaient valables au XIVe siècle, le tribunal a abouti à la
conclusion qu’aucune disposition de l’époque d’Harménopoulos ne permit la perception
des intérêts. Donc, selon les conclusions du tribunal, des lacunes existaient dans la loi

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et les contractants libres avaient la latitude de se mettre d’accord sur les intérêts et sur
les taux sans restriction, si leur convention ne s’opposait à aucune coutume locale
contraire45. Il s’ensuivit que les taux des intérêts pratiqués arrivaient à des montants
très élevés.
33 Les fondements théoriques de la jurisprudence de la Cour Suprême a contesté le juge à
la Cour d’appel (et puis Procureur à la Cour Suprême) Adamantios
Papadiamantopoulos, avec le raisonnement suivant : « Les Assemblées nationales
depuis 1822 ont accordé à la législation impériale byzantine force de loi dans l’État
grec. Or, quand dans les décisions des tribunaux il y a mention de lois des empereurs
chrétiens ou byzantins, il s’agit de la dernière législation en vigueur de la période
byzantine, c’est-à-dire des Basiliques. Le Conseil de la Régence, avec la promulgation du
Décret évoqué, n’avait pas l’intention de modifier ou de rendre caduques les décisions
des Assemblées législatives. L’usage de l’Hexabiblos a été toléré pour la simple raison
que ce recueil, commode et accessible, constituait un abrégé de la législation byzantine,
que la volonté nationale, exprimée par les Assemblées nationales, a introduit en tant
que loi. Les Basiliques qui, déjà depuis 1822, étaient incluses selon Papadiamantopoulos
dans le droit de l’État grec, avaient compris dans divers passages les dispositions
justiniennes sur les intérêts, dans la mesure de leur application effective pendant le IXe
 siècle et, par conséquent, la position de la Cour Suprême grecque n’était pas conforme
à la loi46. Quelques mois après, en 1860, la Cour Suprême a adopté l’opinion dont fait
état Papadiamantopoulos et la jurisprudence changea de cap 47.
34 Ce détour de la jurisprudence a provoqué la réaction immédiate d’un juriste et
politicien du XIXe siècle, le professeur Paul Calligas48, qui dans un article publié en 1861,
accusa l’Areios Pagos de s’être laissée entraîner à une interprétation erronée du Décret
de 1835. Il a soutenu que le Conseil de la Régence a voulu attribuer force de loi aux
seules dispositions recueillies par Harménopoulos dans son Hexabiblos. La raison de
cette position était la sûreté du droit. Selon l’opinion adverse, écrit Calligas, chaque fois
que la recherche scientifique découvre une loi impériale inconnue de contenu civil, il
sera question de modifier le droit civil de l’État grec49.
35 L’indignation de Paul Calligas a été occasionnée par le fait que quelques années
auparavant (1857) K.E. Zachariä von Lingenthal a édité les Novelles post-justiniennes et
il semble que, par devant le juge civil, les avocats des litigants ont invoqué quelques lois
contenues dans cette publication. La même attitude a partagé aussi un autre civiliste de
la Faculté de droit d’Athènes, Pierre Paparrigopoulos, quand il écrit quelques années
plus tard : Par la publication, en 1857, par K.E. Zachariä von Lingenthal des Novelles des
empereurs byzantins de 562 jusqu’à la chute de l’État byzantin, il arrive que nous ayons
connaissance des lois, dont le texte était inconnu auparavant et puis quelques litigants
les ont invoquées par devant le tribunal…C’est le seul exemple d’État, dont les
tribunaux sont invités d’appliquer des lois, connues seulement par l’œuvre d’un juriste
étranger »50.
36 L’argumentation de Calligas semble, à première vue, très raisonnable et à propos
justement de la question spécifique des intérêts les résultats des recherches récentes
justifient pleinement ses hésitations51. Pour ce qui concerne son grand optimisme
relatif aux progrès des historiens du droit byzantin, l’avenir lui a donné raison jusqu’à
un certain point, car, comme il a été remarqué, vers la fin du XIXe siècle « n’a pas
seulement vu le jour une disposition juridique ou une Novelle, mais une législation
majeure inconnue : le Livre du Préfet de Léon VI le Sage » 52. Mais indépendamment de la

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justesse du raisonnement de Calligas, derrière son argumentaire se cachait une astuce


pour favoriser l’introduction du dit droit des Pandectes (Pandektenrecht). Le but
principal était de convaincre que c’était seulement l’Hexabiblos qui avait force de loi,
étant donnée l’insuffisance de ce Recueil pour satisfaire tous les besoins de la pratique
dans le domaine du droit civil, en dépit du fait que, après la venue en Grèce du roi Otton
et jusqu’à cette époque, ont été éditées de nombreuses lois sur diverses matières. Par
conséquent, ses lacunes devaient être complétées. À cet effet, les Basiliques et les autres
sources du droit byzantin ont été négligées. Un grand retour en arrière vers le Corpus
Juris Civilis de Justinien s’effectua avec le raisonnement que l’Hexabiblos n’était que le
point de départ afin de revenir, d’après Paul Calligas, à la loi initiale qui était contenue
dans la codification du VIe siècle.
37 Cette façon de voir a laissé de côté deux points non négligeables. Primo : les textes
justiniens, à l’exception des Novelles, ne constituaient dans aucun cas les lois initiales,
car ils ont subi une élaboration pendant les travaux de la codification. Secundo :
l’application du Corpus Juris Civilis présupposait l’existence de rapports juridiques et
d’institutions, qui ont été oubliés complètement, même aux époques moyenne et
tardive byzantines, et à plus forte raison dans la Grèce du XIXe siècle. Avec cet
argumentaire assez inhabituel, le grand juriste grec du XIXe siècle a tenté d’obtenir de
facto l’introduction de l’élaboration dogmatique du droit romain, connue comme
Pandektenrecht (pandectisme), avec laquelle s’étaient familiarisés lui-même et aussi un
grand nombre de juristes de sa génération53, à cause de leur formation dans les
universités allemandes54.
38 Les oppositions doctrinales parmi les juristes n’étaient pas adéquates pour conduire la
jurisprudence à une stabilisation. Quarante ans plus tard, au tout début du XXe siècle, le
Procureur de la République à la Cour Suprême, D. Tsivanopoulos, un des grands noms
de l’histoire judiciaire de la Grèce moderne, se plaint devant la section pénale en
signalant que la jurisprudence de la Cour Suprême continue encore à être remplie de
contradictions en ce qui concerne l’application des Basiliques 55.
39 En même temps, les partisans de l’opinion proclamant que l’ensemble des sources du
droit byzantin constituait le droit en vigueur, défendaient avec âpreté leurs positions.
Ils comptaient dans leurs rangs un des plus grands juristes du XIXe siècle, le Nestor de la
science juridique grecque, Basile Oikonomidis, qui contrairement à la thèse de Calligas
enseignait que pour la validité d’une loi impériale byzantine sa répétition dans le
recueil d’Harménopoulos n’était pas nécessaire56. Quelques juristes ont avancé encore
plus et n’exigeaint pas la publication du texte législatif byzantin pour que celui-ci pût
être appliqué. Un parmi eux, le jeune juriste Constantin Raktivan (plus tard président
du Conseil d’État et membre de l’Académie d’Athènes) se fait remarquer comme fin
connaisseur du droit byzantin et de ses sources dans une volumineuse monographie sur
la dot57. Raktivan dans un article publié en 1888 a invoqué la tradition manuscrite des
Basiliques afin de prouver la continuité d’une institution58.
40 Pourtant la pression du côté des partisans du droit romain ne se relâchait pas avec le
temps, pour la simple raison que la production scientifique allemande devenait de plus
en plus accessible aux juristes avec la traduction de grands traités systématiques. Le
Lehrbuch des Pandektenrechts de Bernhard Windscheid a été traduit en grec à trois
reprises. La première traduction fut éditée en 1882 par le professeur agrégé Nicolas
Dimaras, la deuxième par l’avocat athénien A. Argyros, et la troisième, plus tard, en
1923/4 par le professeur de droit Constantin Polygénis. Celui-ci, élève de Windscheid, a

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travaillé avec beaucoup de persévérance pour la perception de l’enseignement de son


professeur dans l’espace scientifique grec. Selon des témoignages postérieurs 59,
l’enseignement de l’éminent romaniste allemand est pris en tant que parole d’autorité
créant une jurisprudence, exactement comme les opinions de Papinien au XXe siècle
sous le coup de la Loi des citations.
41 À cheval entre les XIXe et XXe siècles (1899-1901), l’agrégé Georges Dyobouniotis a
traduit en grec le System des römischen Rechts de Heinrich Dernburg. Il est à signaler,
relativement à la grande audience que ces traductions ont bénéficié auprès du public
des juristes de l’espace restreint grec que le premier tirage de 2000 exemplaires de cet
ouvrage a été épuisé en huit ans et que, dix ans après la première édition, en 1909/1912,
une nouvelle édition complétée est réalisée. À ces deux traités fondamentaux cités qui
ont dominé jusqu’au milieu du XXe siècle dans la bibliothèque de l’honnête juriste, s’est
joint un troisième traité : l’Allgemeine Lehre des Pandektenrechtsde Ferdinand
Regelsberger, traduit par deux jeunes avocats, et futurs professeurs de droit, Georges
Maridakis et Christos Pratsikas.
42 Assez tôt commence aussi l’apparition dans cette direction d’une littérature juridique
grecque, à savoir des études systématiques écrites directement en grec. Celles-ci étaient
nettement influencées surtout par la théorie allemande du droit romain 60. La première
en importance de ces études est l’ouvrage en cinq volumes de Paul Calligas, Σύστημα
ῥωμαϊκοῦ δικαίου (Traité de droit romain), dont le premier volume parut en 1848. En dépit
de son appartenance à l’école historique de Friedrich Carl von Savigny, Calligas a
montré son infidélité à cette école, car il n’a pas suivi ses préceptes. Plus précisément,
dans son ouvrage systématique précède de tout développement dogmatique de chaque
institution un exposé succinct de son évolution historique. Dans le texte de Calligas
seule est traitée l’étape romaine avec renvois au Corpus Juris Civilis et non pas la période
byzantine avec la législation impériale et les œuvres des juristes byzantins 61. Il est
patent que Calligas avec son traité s’est mis au service d’une idéologie précise, si l’on
compare le reste de son activité d’écrivain, où cet auteur prolifique a cultivé avec
beaucoup de succès uniquement l’histoire byzantine62.
43 Plus conséquent, mais d’une envergure scientifique inférieure que celle de Calligas, fut
un autre juriste que nous avons cité, Pierre Paparrigopoulos. Dans son ouvrage en trois
volumes il a exposé avec respect et scrupules les principes de l’école historique de
droit : Droit des obligations des Romains et des Byzantins comme il est appliqué maintenant en
Grèce (I), complété jusqu’à 1869 par les Principes généraux (Introduction au droit) (II) et le
Droit familial (III)63.
44 Avec un tel « arsenal » juridique, mis à la disposition des juges et des avocats pendant la
seconde moitié du XIXe siècle et aux débuts du XXe siècle, l’on ne s’étonnera point
pourquoi les textes de la codification justinienne, notamment le Digeste, ont dominé en
tant que source principale du droit civil néo-hellénique. En revanche, la codification de
la période moyenne byzantine, les Basiliques, a été invoquée, en principe seulement, en
combinaison avec les textes justiniens. A l’exception des Novelles de Léon VI le Sage et
des empereurs postérieurs, qui ont été connues grâce à l’édition commentée des
Basiliques par Jean Zépos (première édition en 1896-1900, seconde édition en 1910-1912),
les autres textes juridiques byzantins, en déviance ou en opposition avec l’œuvre
législative de Justinien, ont été négligés avec ostentation 64.
45 Mais, en fait, l’utilisation des textes du VIe siècle a été effectuée de manière imprudente.
Cette remarque appartient au professeur André Gazis, qui a mis l’accent sur le

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disfonctionnement du discours juridique. Il a exposé comment s’est établie la mauvaise


habitude d’avoir recours seulement aux écrits d’interprétation et, plutôt, sans contrôle
et sans référence à la lettre de la loi, pour aboutir au travestissement de l’écrit
dogmatique en texte normatif65;
46 Puisque nous nous référons ici aux textes juridiques, il ne faut pas laisser passer sans
commentaire l’attitude des juristes grecs du XIXe siècle, qui n’ont pas voulu s’occuper de
l’édition des sources. Nous savons que jusqu’à la publication des six volumes du
Συντάγματος τῶν θείων καὶ ἰερῶν κανόνων de 1852 à 1859, par Georges A. Rallis et
Michel Potlis (1852-1859)66 avec les sources du droit canonique oriental orthodoxe, la
seule édition de source juridique, de droit profane cette fois-ci, est effectuée par
Georges Rallis, qui en 1836 a publié les Institutes de Théophile 67.
47 La direction unilatérale, par conséquent, de la théorie et de la pratique juridiques a eu
comme résultat dans son stade final la résurgence des formations juridiques de
l’époque justinienne, ou antérieures à celle-ci, mais inconnues dans la praxis byzantine,
à cause justement de leur désuétude pendant de longs siècles. L’introduction, en
définitive, et l’installation en Grèce de l’enseignement allemand du droit du Digeste au
XIXe siècle ont été considérées par bon nombre de juristes comme positives. Jean Sontis,
le maître le plus ancien parmi les professeurs actuels de droit à la Faculté de droit
athénienne, considère cette situation comme l’aboutissement logique et comme la
réunion, après une séparation qui a duré plusieurs siècles, les évolutions parallèles,
orientale et occidentale, de la codification justinienne, en tant que manifestation
culturelle unique dans l’histoire du droit privé moderne68. Parmi les civilistes actuels,
Michel Stathopoulos pose la question si la promulgation de normes de droit sures
n’était plus urgent, mais en toute logique plus facile que la recherche et l’épuration des
obscures sources juridiques byzantines. Tout en notant que les juristes grecs ont adopté
et évalué les instruments de travail de la science juridique allemande plus évoluée, il
remarque que les mêmes juristes n’ont pas cessé de rechercher les solutions adéquates
aux besoins et aux conditions particulières de Grèce69.
48 Il est très probable que cette position stratégique a eu une influence favorable à la
formation du droit civil grec d’aujourd’hui. Nous ne pouvons pas examiner ici si
l’introduction du droit byzantin après la Révolution nationale correspondait ou non à
la volonté du peuple grec tout entier. Nous considérons néanmoins comme une
tragique ironie le fait que la science juridique allemande, qui pendant le cours du XIXe
 siècle a donné l’impulsion à la renaissance de l’étude des sources du droit byzantin 70,
fut la cause de l’altération des décisions des Assemblées nationales grecques, en ce qui
concerne l’application du droit byzantin comme droit civil dans l’État qui venait de
naître.

NOTES
1. L’Organisation du Sénat de la Grèce de l’Ouest, votée à Missolonghi le 19 nov. 1821, ne comportait
aucune disposition relative au droit applicable.

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2. Section III, chap. a : « Α. Οἱ κοινωνικοὶ Νόμοι σήμερον δὲν προσδιορίζονται. – Β. Οἱ κοινωνικοὶ
Νόμοι τῶν ἀειμνήστων Χριστιανῶν Αυτοκρατόρων τῆς Ἑλλάδος μόνοι ἰσχύουσι κατά τό παρόν εἰς
τὴν Ἀνατολικὴν Χέρσον Ἑλλάδα. - Γ. Ὁ Ἂρειος Πάγος νὰ φροντίσει νὰ μεταφέρη εἰς τὴν
σημερινὴν ἐλληνικὴν γλῶσσαν τοῦτο τὸ μέρος τῶν Βασιλικῶν, προσδιορίζων τὰς ἀντιφάσεις
κατὰ τὸ κοινῶς συμφερώτερον. – Δ. Ὁ Ἂρειος Πάγος νὰ προσκαλέση τοὺς Ἀρχιερεῖς τῶν
ἐπαρχιῶν τῆς περιφερείας του, καὶ νακαθυποβάλῃ εἰς τὴν ἐπίσκρισιν αὐτῶν τὴν ἐκλογὴν ταύτην
τῶν Κοινωνικῶν Νόμων, καὶ ἐπικυρωθεῖσαν οὕτω νὰ δημοσιεύσῃ διὰ τοῦ τύπου. – Ε. Ἂν ἡ
Ἐθνικὴ Βουλὴ λαβῃ περὶ τούτου φροντίδα, ὁ Ἂρειος Πάγος παύει φροντίζων ». Voir A.
MAMOUKAS, Τὰ κατὰ τὴν ἀναγέννησιν τῆς Ἑλλάδος , t. I, Le Pirée, 1839, p. 67. Tous les textes
promulgués par les assemblées, locales et nationales, sont publiés par E. KYRIAKOPOULOS, Τὰ
Συντάγματα τῆς Ἑλλάδος, Athènes, 1960 ; et des Assemblées nationales seules par C. MAVRIAS – A.
PANTELIS, Συνταγματικὰ κείμενα ἐλληνικὰ καὶ ξένα, Athènes-Komotini, 1996, pp. 27-83.
3. A. MAMOUKAS, op.cit., p. 120 sq.
4. A. MAMOUKAS, op.cit., t. II, 1839, p. 32.
5. C. TRIANTAPHYLLOPOULOS, « Τὸ έλληνικὸν ἰδιωτικὸν δίκαιον κατὰ τὸν δέκατον ἔννατον
αἰῶνα », in Πανελλήνιον Λεύκωμα τῆς Ἐθνικς Ἐκατοταετηρίδος, t. III, Athènes, 1924, pp. 227-233, et
N. PAPANTONIOU, « Τὸ ἰδιωτικὸ δίκαιο τῶν Ἐλλήνων κατὰ τὴν Ἐπανάσταση τοῦ 1821 »,
Ἁρμενόπουλος, t. 30 (1976), pp. 249-260. Sur la traduction grecque du Code de commerce voir K.
TRIANTAPHYLLOPOULOS, « Ἡ πρώτη ἐλληνικὴ μετάφρασις τοῦ Γαλλικοῦ Ἐμπορικοῦ Κώδικος
καὶ τὰ ἐξ αὐτῆς διδάγματα », Ἀρχεῖον Ἰδιωτικοῦ Δικαίου, t. 10 (1943), pp. 361-383.
6. A. MAMOUKAS, op.cit., t. II, p. 143 sq.
7. A. MAMOUKAS, op.cit., t. IX, p. 148.
8. D’après N. PANTAZOPOULOS, « Το δια της Επαναστάσεως του θεσπισθέν δίκαιον και οι Έλληνες
Νομικοί », Επιστημονική Επετηρίς Σχολής Νομικών και Οικονομικών Επιστημών του Αριστοτελείου
Πανεπιστημίου Θεσσαλονίκης, t. 19.4 (Αντιχάρισμα στον Νικόλαο Πανταζόπουλο, 1986, pp. 17-79, p.
24, la réception du droit byzantin en bloc avec ses dispositions constitue une expression de la
Grande Idée (Μεγάλη Ιδέα) dans l’espace du droit.
9. PAPANTONIOU, op. cit., p. 256.
10. CHR. A. BRANDIS, Mitteilungen über Griechenland, t. III, Leipzig, 1842, p. 246.
11. Cf. N. PANATAZOPOULOS, « Ὁ Ἰωάννης Γεννατᾶς καὶ ἡ ὀργάνωσις τῆς Δικαιοσύνης ἐπὶ
Καποδιστρίου », Ἀθηνὰ, t. 53 (1949), pp. 297-318 et Th. PAPACHRISTOU, « Ο Γαλλικός Αστικός
Κώδικας στην Ελλάδα », Χαριστήρια στον Ι. Δεληγιάννη, Thessalonique, 1991, pp. 133-140.
12. P. J. ZEPOS (en collaboration avec M. Tourtoglou), « Griechenland », in Handbuch der Quellen
und Literatur der neueren europäischen Privatrechtsgescichte, t. III (Das 19. Jahrhundert), fasc. V
(Südosteuropa), Munich, 1988, p. 473-535, p. 497.
13. Voir TRIANTAPHYLLOPOULOS, op. cit., p. 230 sq ; et ZEPOS, op. cit., p. 497 sq.
14. A. CORAY, Σημειώσεις εἰς τὸ Προσωρινν Πολίτευμα τῆς Ἐλλάδος 1822 ἔτους, Athènes, 1933, p. 117
sq.
15. Selon CH. ARGYRIADIS, « …bitten wir, uns mit den entsprechenden Gesetzen zu versehen ».
« Armenopoulos und der Zeitgeist des 19. Jahrhunderts », Rechtshistorisches Journal, t. 3 (1984), p.
243-251, p. 244 (note 7), l’auteur est soit Nicolas Callergis soit Nicolas Caroris, qui n’étaient pas
juristes.
16. Ἑφημερίς Ἀθηνῶν, n° 10 (10 oct. 1824), p. 2.
17. L’étude a été publiée dans Ἑφημερίδα τῆς Διοικήσεως καὶ τῆς ΝήσουὝδρας, « Ὁ φίλος τοῦ
Νόμου », n°90 (23 janvier 1825), p. 4. Son auteur est selon toute probabilité le juriste Constantin
Métaxas, originaire de Céphalonie ; cf. ARGYRIADIS, op. cit., p. 244, note 6. Voir, à propos des
réactions dans ce cadre, id., Staatsbilder und Rechtspraktiken. Das juristisch-politische Profil der

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Entstehung des neugriechischen Staates (1821-1827), [Studien zur Geschichte Südosteuropas, 12],
Frankfurt/Main,1994, p. 136 sq.
18. Ce document fait partie du Βιβλίο Προβουλευμάτων de la troisième période de la Chambre des
députés, conservé dans la Bibliothèque de la Chambre des députés grecque.
19. Edition du texte par J. VISVIZIS, Ἡ πολιτικὴ δικαιοσύνη κατὰ τὴν ἑλληνικὴν ἐπανάστασιν μέχρι
τοῦ Καποδιστρίου, Athènes, 1941, p. 413, n° 434.
20. G. DIMAKOPOULOS, « Ὁ Κώδιξ τῶν νόμων τῆς Ἑλληνικῆς Ἐπαναστάσεως 1822-1828 »,
Ἐπετηρς Κέντρου Ἐρεύνης Ἱστορίας Ἑλληνικοῦ Δικαίου Ἀκαδημίας Ἀθηνῶν, n, t. 14 (1967), pp. 1-205,
p. 137.
21. N. PANTAZOPOULOS, Ἀπὸ τῆς « λογίας » παραδόσεως εἰς τὸν Ἀστικόν Κώδικα. Συμβολή εἰς τὴν
ἰστορίαν τῶν πηγῶν νεοελληνικοῦ δικαίου, Athènes, 1947 (réimpression, Athènes, 1995), p. 155.
22. A. MAMOUKAS, op.cit., t. XI (1852), p. 511 ; G. DIMAKOPOULOS, « Ὁ Κώδιξ τῶν ψυφισμάτων
τῆς Ἑλληνικῆς Πολιτείας », Ἐπετηρς Κέντρου Ἐρεύνης Ἱστορίας Ἑλληνικοῦ Δικαίου Ἀκαδημίας
Ἀθηνῶν, t. 14 (1967), p. 1-205, p. 137.
23. Cf. les Προλεγόμενα de K. Clonaris dans l’édition de la traduction datée de 1833 (Nauplie), en
dépit du fait que la traduction a été terminée en 1829.
24. Γενικὴ Ἐφημερὶς τῆς Ἐλλάδος, 5ème année, n° 25 (26 mars 1830).
25. Voir N. PANTAZOPOULOS, op. cit. (supra, note 21), p. 171, note 20, qui renvoie aux options de
Clonaris, exprimées dans les Προλεγόμενα à l’édition de la traduction de l’Hexabiblos (supra). Cf.
aussi les réserves de BRANDIS, op. cit. (supra, note 10), p. 265 sur la possibilité d’appuyer la
nouvelle législation grecque sur le maigre manuel d’Harménopoulos : « Aus den gesetzlichen
Bestimmungen in Harmenopoulos’ dürftigem Handbuche des römisch-byzantinischen Rechts und
aus den ergänzend hinzugenommenen Gewohnheiten, die in verschiedenen Gegenden sehr
verschieden, fast schon verschollen waren, liess sich die neue Gesetzgebung nicht aufbauen ». Les
mêmes constatations dans A. GAZIS, Γενικαὶ ἀρχαὶ ἀστικοῦ δικαίου, Athènes, 1970, p. 10.
26. Voir les renvois aux diverses opinions dans PANTAZOPOULOS, op. cit. (supra, note 21), p. 179,
note 36. Pour les historiens modernes, voir ibid, p. 178, note 35.
27. Pour cette personnalité, voir N. PANTAZOPOULOS, « Ἡ πρὸς εὐρωπαϊκὰ πρότυπα
ὁλοκληρωτικὴ στροφὴ τῆς νεοελληνικῆς νομοθεσίας. Georg Ludwig von Maurer », Ἐπιστημονικὴ
Επετηρὶς τῆς Σχολῆς Νομικῶν καὶ Οἰκονομικῶν Ἐπιστημῶν τοῦ Ἀριστ. Πανεπιστημίου Θεσσαλονίκης ,
t. 13.2, Thessalonique, 1966/9, pp. 1346-1506 (désormais : PANTAZOPOULOS, Maurer) dans la
même Ἐπιστημονικὴ Επετηρὶς , t. 19.4, pp. 281-433, avec riche bibliographie. Cf., aussi, K. DICKOPF,
Georg Ludwig Maurer. 1790-1872. Eine Biographie, Kallmüntz, 1960.
28. K. DICKOPF, « Georg Ludwig Maurer und seine juristische Tätigkeit in Griechenland (Februar
1833-Juli 1834) », in Das ottonische Griechenland. Aspekte der Staatswerdung, Athènes, 2002, pp.
143-152.
29. G. L. v. MAURER, Das griechische Volk in öffentlicher, kirchlicher und privatrechtlicher Beziehung vor
und nach dem Freiheitskampfe bis zum 31. Juli 1834, Heidelberg, 1835 (réimpression : Osnabrück,
1968), t. I, p. 111 ; t. II, p. 346 sq : « Nun hielt ich aber die rein französische Basis für die
griechischen Verhältnisse, so wie ich sie erkannte, für nicht gehörig gerechtfertigt, sogar für
nicht ganz passend. Denn die griechischen Sitten und Gewohnheiten sind von den französischen,
insofern diese selbst nicht wieder germanischer Natur sind, so durchaus verschieden, dass es, die
seit dem Freiheitskampf neu eingeführten Formen abgerechnet, Mühe kostet, auch nur eine
entfernte Ähnlichkeit zu finden. Dagegen fand ich ein ungemein grosses Hinneigen zu
germaniscer Sitte, so wie auch die Altgriechen schon und zumal die Pelasger mit den
Altgermanen sehr nahe verwandt waren. Ich griff daher zur altgermanischen, auch mit dem
älteren französischen Recht in gar mancher Beziehung verwandten Basis ». Cf., aussi, ibid, p. 394
sq.

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30. N. PANTAZOPOULOS, Maurer, p. 1456 sq, signale les réserves formulées pendant cette époque
et plus tard.
31. Ce texte est publié par J. VISVIZIS, « Τὸ Ὑπουργικὸν Σχέδιον τοῦ Β. Διατάγματος τῆς 23
Φεβρουαρίου 1835 », Ἐπετηρς Κέντρου Ἐρεύνης Ἱστορίας Ἑλληνικοῦ Δικαίου Ἀκαδημίας Ἀθηνῶν n, t.
3 (1950), pp. 1-7, p. 3.
32. Voir à ce propos G. DIMAKOPOULOS, « Ἡ Νομοθετικὴ Ἐπιτροπὴ του 1835. Σύστασι,
ἀποστολὴ, ἔργον », Μνημοσύνη, t. 12 (1991-1993), pp. 125-144.
33. Sur l’élaboration de ce Décret, voir G. TRIANTAPHYLLOPOULOS, « νομοθέτημα περὶ
Ἀρμενοπούλου καὶ ἐθίμων καὶ ἡ ἔκθεσις τῆς Νομοθετικς Ἐπιτροπῆς », in Ἐπίσημα Πρακτικὰ τοῦ
Πρώτου Συνεδρίου τῶν Δικηγορικῶν Συλλόγων τοῦ Κράτους, Athènes, 1928, pp. 286-298.
34. Journal Νομικὴ;, première année, n. 9/10 (11.12.1837), p. 99 sq. La décision est reprise par G.
PETROPOULOS, Ἱστορία καὶ εἰσηγήσεις τοῦ ρωμαϊκοῦ δικαίου, t. I, Athènes, 1963, p. 377 sq, note 9.
35. Le texte est publié dans J. VISVIZIS, « Ἡ Ἑξάβιβλος τοῦ Ἀρμενοπούλου καὶ ἡ τῶν Ἀθηνῶν
ἔκδοσις της τοῦ 1835 », in Τόμος Κωνσταντίνου Ἀρμενοπούλου ἐπὶ τῇ ἐξακοσιετηρίδι τῆς Ἐξαβίβλου
αὐτοῦ (1345-1945), Thessalonique, 1952, pp. 163-172, p. 169.
36. Cf. J. VISVIZIS, ibid., p. 170 sq.
37. Cf. HERZOG, op. cit., p. 81 sq.
38. Les documents sont édités dans VISVIZIS, op. cit. (supra, note 19), p. 397 (n° 402), p. 439 (n°
415).
39. Voir la préface de J. ZEPOS dans son édition des Basiliques, t. I, Athènes, 1910, p. 5.
40. F. MAKKELDEY, Ἐγχειρίδιον τοῦ ρωμαϊκοῦ δικαίου (traduit de l’allemand par G. A. RALLIS et M.
RENIERIS), Athènes, 1838, p. 11.
41. Cf. PANTAZOPOULOS, op. cit., p. 245 sq. et PETROPOULOS, op. cit., p. 377 sq. Il convient de
remarquer que Renieris, deux décennies plus tard, devait enseigner le droit français à la Faculté
de droit d’Athènes, de 1865 à 1884 ; cf. PETROPOULOS, op. cit., p. 382.
42. Voir VISVIZIS, op. cit., p. 172.
43. D’après M. STATHOPOULOS, « Τὰ ἔθιμα, ὁ Maurer καὶ ἡ νομοθετικὴ πολιτικὴ στὸν τομέα
τοῦ ἀστικοῦ Δκιαίου τὸν 19 ο αἰώνα », Ἀρμενόπουλος , t. 46 (1992), pp. 465-476, p. 476 sq. (=
Ἀφιέρωμα στὸν Ἀνδρέα Ἀ. Γαζῆ, Ἀθῆνα-Κομοτηνὴ, 1994, pp. 671-695), les Basiliques n’étaient en
grande partie que paraphrase grecque du droit justinien avec commentaire. Cette affirmation
simpliste peut induire en erreur, pour la raison que sous les empereurs Macédoniens a été
effectué l’« épuration des anciennes lois » avec interventions sur les textes juridiques ; cf. Sp. N.
TROÏANOS, « Δίκαιο καὶ ἰδεολογία στὰ χρόνια τῶν Μακεδόνων », Βυζαντινὰ, t. 22 (2001), pp.
239-261.
44. La fluidité avec laquelle a été appliqué le Décret de 1835 a eu comme résultat que celui-ci
pourrait s’étendre dans le domaine du droit public, comme le montre une décision de la Cour
suprême de 1847 ; cf. Sp. N. TROÏANOS, « Καὶ πάλι οἱ περιπέτειες του βυζαντινοῦ δικαίου στην
Ἑλλάδα τοῦ 19ου αἰώνα. Ὁ χῶρος τοῦ δημοσίου δικαίου », Βυζαντιακὰ;, t. 18 (1998), pp. 55-73.
45. Cf. par exemple les décisions de la Cour Suprême n. 94/1848, 103/1849, 239/1854, 11/1855,
277/1856, 282/1857.
46. A. PAPADIAMANTOPOULOS, « Περὶ τῆς ὑπὲρ τοῦ ἀπεριορίστου τῶν τόκων νέας τοῦ Ἀρείου
Πάγου νομολογίας », Σόλων, t. I, (1859-1860), pp. 294-309, 345-364 (= Νομικὴ Μέλισσα , fasc. 48 du
15.6.1860, pp. 753-780, reproduit dans Νέοι Πανδέκται, t. 10, Athènes, 1907, pp. 395-423).
47. Voir la décision n. 303/1860 dans le Répertoire de jurisprudence grecque de N. IOANNIDIS - L.
SGOUTAS, Παράρτημα Θέμιδος, t. 21 (1864), p. 125 sq., note 2. Cette décision a été commentée par
A. PAPADIAMANTOPOULOS, Νομικὴ Μέλισσα , fasc. 65 du 15.4.1861, pp. 1021-1036 (= Νέοι Πανδέκται
, t. 10, Athènes, 1907, pp. 423-441).
48. Voir en dernier lieu pour ce savant en général M. P. MASSON-VINCOURT, Paul Calligas
(1814-1896) et la fondation de l’Etat grec, Paris-Montréal, 1997.

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49. P. CALLIGAS, « Περὶ τόκου κατὰ τὰ παρ΄ ἡμὴν ἰσχύοντα », Νομικὴ Μέλισσα , fasc. 69 (1861).
L’article fut repris dans id., Μελέται νομικαὶ, πολιτικαὶ, οἰκονομολογικαὶ, ἰστορικαὶ, φιλολογικαὶ κλπ.
καὶ λόγοι ἐν τῇ Ἐθνοσυνελεύσει καὶ τῇ Βουλῆ, etc., t. I., Athènes, 1899, pp. 53-66 et Νέοι Πανδέκται,
t. 10, Athènes, 1907, pp. 441-454.
50. P. PAPARRIGOPOULOS, « Περὶ τῆς ἀνάγκης τῆς ψηφίσεως τοῦ νομοσχεδίου τοῦ Ἀστικοῦ
Κώδικο », Ἐφημερς Ἑλληνικῆς καὶ Γαλλικῆς Νομολογίας, t. 9 (1989), pp. 31-35, p. 35 ; cf. D. GHINIS,
« Ἡ ἑλληνικὴ συμβολὴ εἰς τὴν ἔρευναν τῆς ἱστορίας τοῦ βυζαντινοῦ καὶ μεταβυζαντινοῦ
δικαίου », Ἐπετρηπὶς Ἐταιρείας Βυζαντινῶν Σπουδῶν, t. 24 (1954), pp. 108-157, p. 111, note 3).
51. Cf. l’analyse des dispositions légales par SP. N. TROÏANOS, « Ἡ περιπέτεια τοῦ βυζαντινοῦ
δικαίου στὴν Ἑλλάδα τοῦ 19 ου αἰώνα. Ἡ περίπτωση τῶν τόκων », Πρακτικὰ ΙΣΤ Πανελλήνιου
Ἱστορικοῦ Συνεδρίου, Thessalonique, 1996, pp. 219-233.
52. C. PITSAKIS, « Πολιτικὸν νόμον αἴφης προκύπτοντα εἰς φῶς ἐξ ἀρχαιολογικῆς ἀνασκαφῆς ἐν
τοῖς βυζαντινοῖς χειρογράφοις », Digesta. Ἐπιστημονικὸ περιοδικὸ τοῦ Τμῆματος Νομικῆς τοῦ
Δημοκρίτειου Πανεπιστημίου Θράκης, t. 3 (2000), pp. 64-102, p. 91 sq.
53. Calligas ainsi que Paparrigopoulos et Papadiamantopoulos avec d’autres éminents juristes
grecs du XIXe siècle sont cités par K. Kosowilis, Die griechischen Studenten in München unter könig
Ludwig I. von Bayern ( von 1826 bis 1844). Werdegang und späteres Wirken beim Wiederaufbau
Griechenlands, [Kempten], 1995, passim. Petropoulos, op. cit., p. 381 range parmi les facteurs qui
ont contribué à la réception du Pandektenrecht la permissivité des membres de la Régence, après
la révocation de Maurer, qui « soit par paresse, soit par égoïsme patriotique ont envisagé avec un
regard bienveillant l’introduction de la science (juridique) de leur patrie en Grèce ».
54. Une approche différente est adoptée envers la position de Calligas par C. Pitsakis, op. cit. (note
52), p. 74 sq. ; cf. id., « Καλλιγᾶς καὶ Ἀρμενόπουλος, μία ἱστορία ἔρωτος καὶ μίσους », Τὰ Ἱστορικὰ
, t. 14 (1997) [n. 27], pp. 259-296. Son opposition contre mon opinion est exprimée par Ch.
ARGYRIADIS, « Die Tradierung byzantinischer Rechtstexte während der Turkokratia in
Griechenland », in R. LAUER – P. SCHREINER (éds.), Die Kultur Griechenlands in Mittelalter und
Neuzeit, [Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften in Göttingen, Phil.-hist. Kl., 3ème série,
212], Göttingen, 1996, pp. 374-386, p. 384 sq., en la jugeant fondée sur une simplification de la
réalité historique. La même historienne du droit néo-hellénique attribue la réception du
Pandektenrecht à l’enseignement de l’Ecole historique du droit, dont tous les juristes de la Faculté
de droit d’Athènes furent adeptes pendant cette période. Mais, ce serait précisément
l’enseignement de l’Ecole historique qui aurait imposé l’application du droit byzantin dans son
stade final et non pas du droit romain et des sources juridiques pré-justiniennes.
55. D. TSIVANOPOULOS, Θέμις, t. 11 (1900/1901), pp. 226-231, p. 227 sq. ; et Νέοι Πανδέκται, t. 10
(1907), pp. 454-469, p. 458 sq.
56. B. OIKONOMIDIS, Στοιχεία τοῦ Ἀστικοῦ Δικαίου , t. II (Ἐμπράγματα δίκαια), 2 ème éd., Athènes,
1896, p. 191, note 14.
57. C. RAKTIVAN, Περὶ τῆς μετὰ τὴν λύσιν τοῦ γάμου τύχης προικὸς κατὰ τὸ ἐν Ἑλλάδι κρατοὺν
Ρωμαϊκὸν καὶ Βυζαντινὸν δίκαιον, Athènes, 1892. Il faut signaler que, comme il résulte de
l’inventaire des sources du livre, son auteur avait aussi épuisé même les sources juridiques post-
byzantines.
58. Cf. La réimpression de cet article dans Νέοι Πανδέκται, t. 10 (1907), pp. 510-546, p. 517.
59. PETROPOULOS, op. cit. (supra, note 34), p. 387.
60. Le haut juge N. IOANNIDIS offre un aperçu général de ces œuvres dans son prologue
au vol. I de son recueil : Πείρα, ἤγουν Μικρὸν κατὰ στοιχεῖον εὐρετήριον τῆς τοῦ Ἀρείου
Πάγου νομολογίας, Athènes, 1869, p. VI-X. La table des matières de ce livre signale les
éditions des textes ainsi que les titres des traductions en grec des ouvrages en langues
étrangères.

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61. GHINIS, op. cit. (supra, note 50), p. 111, note 1, en citant des passages de cet auteur,
l’accuse d’avoir manifesté son mépris envers Byzance.
62. Les travaux dans ce domaine sont rassemblés sous le titre suivant : P. CALLIGAS, Μελέται καὶ
λόγοι, Athènes, 1822. Après son décès, sont réimprimées les études de Calligas sur l’histoire et le
droit dans le premier volume du recueil d’études mentionné supra (note 49).
63. Les tendances dominantes parmi les juristes du XIX e siècle sont décrites avec détail par N.
PANTAZOPOULOS, op. cit., passim. Cf. aussi, PETROPOULOS, op. cit., p. 382 sq. ; ainsi que ZEPOS, op.
cit., p. 515 sq.
64. Cette inconséquence est signalée dans TH. N. FLOGAÏTIS, s.v. « Ἀστικὸν δίκαιον » et
« Βυζαντιακὸν δίκαιον », Λεξικὸν Νομικῆς, t. I, Athènes, 1889, pp. 217-220 et 316-317. Cf. J. SONTIS,
« Das griechische Zivilgesetzbuch im Rahmen der Privatrechtsgescichte der Neuzeit », Zeitschrift
der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, Rom. Abt., 78 (1961), pp. 355-385, p. 377 sq.
65. GHAZIS, op. cit. (supra, note 25), p. 11.
66. Cf. sur la bibliographie concernant cette édition SP. N. TROÏANOS, « Μιχαήλ Ποτλής, ο πρώτος
καθηγητής του Εκκλησιαστικού Δικαίου στη Νομική Σχολή του Πανεπιστημίου Αθηνών », Επετηρίς
Κέντρου Ερεύνης Ιστ. Ελλην. Δικαίου Ακαδημίας Αθηνων, t. 36 (2002), pp. 283-297.
67. Cf. IOANNIDIS, op. cit. (supra, note 60), p. VI, n. 2. Un aperçu analytique des éditions des
sources juridiques byzantines pendant le XIXe siècle est élaboré par GHINIS, op.cit., p. 114 sq.
68. SONTIS, op. cit. (supra, note 64), p. 377, 378.
69. STATHOPOULOS, op. cit. (supra, note 43), p. 468 sq.(= 678 sq.).
70. Cf. SP. N. TROÏANOS, Οι πηγές του βυζαντινού δικαίου, 2ème éd., Athènes-Komotini, 1999, p. 56.

RÉSUMÉS
L’article retrace d’abord la fascination qu’a exercée le droit byzantin sur les législateurs de l’État
grec naissant, puis les nombreux débats sur la nature et l’inspiration du droit dont le pays devait
se doter. Entre unification nationale, adaptation à l’esprit du temps et enfin simplification
pratique, ce fut finalement le pandectisme, c’est-à-dire le courant favorable au droit justinien du
Digeste et des Basiliques, qui a triomphé à partir des années 1860, au détriment en particulier de l’
Hexabiblos.

The article first relates the fascination exerted by Byzantine law over the legislators of the
newborn Greek state; then are described the numerous on the nature and the inspiration of the
law the state had to adopt. Between national unification, adaptation to the Spirit of time and
practical simplification, pandectism – an opinion favourable to Justinian law of Digest and Basilica
- won finally in the 1860’s, to the detriment particularly of the Hexabiblos.

AUTEUR
SPYROS N. TROÏANOS
Université d’Athènes

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Annexe

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Controverses politiques et tolérance


canonique : la relecture au sein de
l’Église orthodoxe grecque du XXe
siècle de la notion patristique d’
οἰκονομία et les relations avec les
anglicans
Political Controversies and Canonical Tolerance: Greek Orthodox Church
Rereading of Patristic Concept of οἰκονομία During the 20th c. and Relations
with Anglicans

Tassos Anastasiadis

1 Ce travail trouve son origine dans les apories ressenties lors des lectures parallèles des
textes latins et de leurs traductions grecques et vice-versa. Les interrogations déjà
éprouvées en raison de l’utilisation interchangeable des termes comme δημοκρατία ou
res publica dans ces langues-matrices deviennent d’autant plus aiguës lorsque nous
considérons les transformations des concepts dans le temps. Ceci est notamment
encore plus manifeste lors du passage dans le cadre de langues vernaculaires modernes.
2 Or, le grec moderne ne bénéficie pas d’un éloignement morpho-lexical ou sémantique
suffisant de la κοινὴ pour pouvoir s’enrichir lexicalement et conceptuellement en
puisant dans les fonds à la fois latin et grec1. La notion de res publica n’engendre pas de
création linguistique en grec moderne puisque dans la κοινὴ elle est souvent traduite
soit par δημοκρατία soit par πολιτεία, termes qui font encore sens au XIX e siècle. Aussi,
apparemment, suffit-il au XIXe siècle de traduire le concept de république comme
δημοκρατία — ainsi que l’avaient fait des écrivains de l’Antiquité — sans prendre en
compte les glissements sémantiques subis par le concept depuis les premiers usages
croisés d’un Polybe ou d’un Denys d’Halicarnasse. Encore aujourd’hui la République

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Hellénique s’appelle en grec « Démocratie Hellénique ». Dès lors, tout débat actuel
autour des notions de démocratie et de république apparaît complètement tautologique
en Grèce, empêchant ainsi une compréhension des enjeux.
3 Toutefois, cet exposé ne compte pas se réduire à un problème de traduction, mais
envisage a contrario de poser les jalons d’une histoire sociale des concepts 2 au sein de la
« tradition » canonico-théologique orthodoxe grecque et de leurs répercussions
politiques en s’inspirant des travaux de E. Kantorowicz sur les altérations de la
conceptualisation du droit romain au Moyen Âge dans le cadre de la prise d’autonomie
de la sphère politique à l’égard de la sphère ecclésiastique. Il vise à rendre compte d’un
phénomène que la discussion croissante actuelle autour du fameux « retour du
religieux » dissimule : la manière dont une institution — gardienne de la tradition —
procède à des lectures et relectures plus ou moins innovantes de cette « tradition » 3
afin de réussir à marquer de son empreinte les cadres de réflexion de son époque en
jouant sur les glissements sémantiques4. Nous constatons une contextualisation
sémantique de cette « tradition » au gré des conjonctures selon une grammaire à la fois
élastique et pérenne5.
4 Nous suggérons que la notion d’οἰκονομία forme, avec les concepts d’αἵρεσις et de στασίς
le noyau de cette grammaire. Elle fonctionne comme une valve de sécurité qui permet à
l’Église d’accepter la « nouveauté » ou la « différence » dans l’espace social environnant
tout en apparaissant immuable et en poursuivant un objectif ecclésiastique précis. Dans
ce sens, il s’agit plus d’une « tolérance »6 que d’une « adaptation »7.
5 Cette vision a plusieurs conséquences sur la différentiation de l’Église orthodoxe :
• une attitude plus souple par rapport au domaine familial et au péché (mariage, divorce,
adultère, vol, etc.) ;
• l’accent mis sur la foi et sur la communion plutôt que sur l’action « réparatrice » de
l’individu pécheur ; il n’existe pas de « faute » à expier, donc il n’existe pas d’expiation.
• pas de développement d’un légalisme ecclésiastique normatif accompagné de la mise en
place d’une configuration juridique comme cela se voit dans les religions judaïque et
musulmane et comme cela se développe dans l’Église catholique à partir des conflits du
Moyen Âge.
• enfin, ceci éclaire aussi le fait que l’Église orthodoxe n’est pas devenue autonome par
rapport à la société et ne développe pas le fonds commun de la notion de « représentation »
comme le fait l’Église catholique à partir des XIe-XIIe siècles. Notion de « représentation »
qui est reprise telle quelle dans la théorie moderne de la démocratie représentative 8. Nous
comprenons ainsi mieux la persistance du mariage des prêtres, disparu dans le monde
catholique, ou encore l’attachement à ne pas rompre avec le pouvoir politique en place.
6 C’est aussi en se basant sur cette notion (à la fois de manière nominaliste et
conceptuelle) que l’Église aborde aux XVIIIe et XIX e siècles le passage de la société
paysanne à l’économie commerciale moderne. En apostille, nous pourrions avancer que
la casuistique jésuite constitue une tentative d’introduction du même type d’élasticité
au sein de l’Église catholique fortement judiciarisée au XVII e siècle face à la nouvelle
donne économique, à ceci près, qu’elle ne fonde pas sa justification sur la Tradition
ecclésiastique mais justement sur la nécessaire « adaptation » à l’ordre moderne par
une « accommodation » doctrinale. Aussi s’expose-t-elle à une critique à deux niveaux,
scientifique (moderne) et doctrinale9.
7 Les débats au sein de l’Église orthodoxe de Grèce sur les relations avec les anglicans à la
fin du XIXe et dans le premier tiers du XX e siècle constituent une bonne démonstration

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des espaces que la notion d’οἰκονομία permet d’ouvrir à l’intérieur de cette prison de
longue durée qu’est le droit canonique. Mais avant d’aborder ce cas, examinons
schématiquement la manière dont les glissements successifs du concept se sont
produits jusqu’à ce qu’il prenne sa forme « définitive ».
 
1. La formation du concept d’οἰκονομία
8 Le terme d’οἰκονομία est déjà présent dans la philosophie antique grecque. Aristote en
fait notamment usage dans le Ier chapitre des Politiques tandis que Xénophon l’emploie
abondamment dans son Économique. Dans les deux cas, il signifie : gestion des biens
mobiliers et immobiliers du ménage ainsi que des êtres vivants qui le composent. Par
extension chez Xénophon, et comme cela sera le cas dans tous les écrits de théorisation
« économique » de l’Antiquité grecque et ultérieurement romaine10, le ménage est
perçu comme l’entité « économique » de base avec ses propriétés agricoles dont
l’auteur essaie de fixer les règles de bonne gestion.
9 Quand ce terme fait-il son apparition dans le vocabulaire chrétien et comment ce
passage se fait-il ? Le terme d’οἰκονομία ne se rencontre que 2 fois dans les Septante et
ce, à deux versets d’intervalle :
καὶ ἀφαιρεθήση ἐκ τῆς οἰκονομίας σου καὶ ἐκ τῆς στάσεως σου (Isaïe, XXII, 19) et :
καιἐνδύσω αὐτὸν τὴν στολή σου καὶ τὸν στέφανόν σου δώσω αὐτῷ καὶ κράτος καὶ
τὴν οἰκονομίαν σου δώσω εἰς τὰς χεῖρας αὐτοῦ (Is., XXII, 21).
10 Il est clair que l’utilisation du terme se fait conformément à son sens antique (gestion
de ses biens propres). Mais surtout, le terme ne semble pas avoir une importance
particulière pour les milieux juifs hellénisants d’Alexandrie des III e et II e siècles avant
J.-C.
11 Le Nouveau Testament offre une première utilisation novatrice du concept. Certes dans
Luc (XVI, 1-4) le terme est utilisé dans sa signification antique. Néanmoins, les épîtres
de Paul offrent une approche nouvelle. D’abord, Paul fixe le rôle des évêques au sein du
monde qui est le « domaine » de Dieu. Il parle d’οἰκονόμους μυστηρίων (1 Cor., IV, 1-2) et
d’οἰκονόμοι Θεοῦ (Tite, I, 7). Les évêques sont les bons gérants (ou administrateurs) des
biens surnaturels au sein de ce monde. Ils sont les représentants de Dieu sur terre.
Toutefois, c’est une autre utilisation d’οἰκονομία par Paul qui retient notre attention.
Dans plusieurs autres passages, le terme prend une allure prospective et devient une
interprétation de l’amplitude du dessein divin sur le monde et son avenir, notamment
dans l’Épître aux Éphésiens, la plus connue pour sa vision prospective d’une nouvelle
humanité11 (Eph. I, 10 ; Eph. III, 2 & 9 ; 1 Tim. I, 4 ; Col. I, 25). C’est en relation avec la
notion de πλήρωμα — sur laquelle nous reviendrons — que nous devons comprendre
cette nouvelle utilisation. Il est important de souligner ici que la traduction de la
Vulgate traduit οἰκονομία par dispensatio, ce qui explique en partie la non-prolifération
dans la tradition patristique latine de ce concept.
12 Or, c’est justement la patristique qui offre le cadre de prolifération et de
réinvestissement du terme. Néanmoins, il n’existe pas d’usage homogène au départ.
Justin (première moitié du IIe siècle), dans son Dialogue avec Tryphon, utilise 11 fois le
terme οἰκονομία dans le sens nouveau, alors que Tatien (fin II e siècle) dans son Discours
contre les Grecs reprend surtout le terme dans son sens antique. Que signifie cette
diversité ? Nous avancerons l’hypothèse qu’il s’agit surtout de la nature de l’adversaire.

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113

En effet, l’exégèse patristique est confrontée à deux adversaires : les juifs et les païens
(parfois appelés les nations, parfois les Grecs) dont les critiques divergent. Or, elle
emprunte aux deux traditions ; le meilleur correspondant intellectuel diachronique
d’Origène, Clément, Eusèbe ou Athanase n’étant autre que Philon d’Alexandrie (le
premier à avoir esquissé une synthèse réinvestissable entre les deux traditions) 12. Dès
lors, ce sont la nature de l’adversaire selon le lieu et l’époque, et coextensivement le
dosage (variable selon les auteurs) de la philosophie grecque dans cette synthèse, qui
constituent la clef de voûte du système et l’explication des points d’achoppement. Ce
référentiel commun caractérise aussi bien Tatien hypercritique sur la philosophie
grecque que Clément qui en est totalement imprégné.
13 Pour certains auteurs du christianisme naissant, comme Justin, il est capital de pouvoir
répondre aux critiques des juifs qui contestent l’incarnation de Dieu dans le Christ, tout
en restant dans la logique de la continuité (cf. Paul, Épître aux Romains, qui demeure le
texte fondamental sur cette question). Ainsi, Ignace d’Antioche (fin I er s. - début II e s.)
serait-il le premier à utiliser l’expression κατ’οἰκονομίαν pour parler de la nécessité de
comprendre l’incarnation comme un phénomène échappant à la logique et aux lois
naturelles ou humaines et obéissant à un mode de régulation du monde spécifique à
Dieu-administrateur de son domaine. Irénée de Lyon (fin II e s. - début III e s.) capitalise
sur cette utilisation d’Ignace tout en développant aussi le rapprochement paulinien
entre οἰκονομία et πλήρωμα. En suivant les travaux par analogie d’Adhémar d’Alès 13 sur
les manuscrits latin et grec de l’œuvre majeure d’Irénée contre la gnose, nous
apprenons que le terme οἰκονομία se rencontrerait probablement 85 fois en tout dans le
texte grec (dont il ne nous reste qu’un fragment). Ce terme qui serait rendu par
dispositio dans la version latine correspondrait aussi bien à « l’économie interne du
plérôme » — nuance censée répondre aux gnostiques en utilisant leurs armes — qu’à
« l’économie des Alliances » — qui permettrait de désamorcer les critiques juives sur la
doctrine de l’Incarnation.
14 Irénée marque précisément la transition entre une période où les juifs constituent
l’adversaire théologique principal14 et une époque où ce sont les païens qui constituent
l’adversaire théologique majeur (les nations, les « Grecs »). La prolifération de
l’utilisation du concept chez Irénée est un bon témoin des effets intéressants et
novateurs induits par la contradiction apportée au christianisme. La nécessité de
mettre en place un nouvel appareil théorique capable d’expliquer valablement le
message chrétien de la Bible ne serait pas apparue si personne n’avait contesté les
prétentions chrétiennes, comme le remarquent P. Berger & T. Luckmann 15. De même,
nous pouvons constater que ce conflit a un sens sociologique positif 16 puisque les
penseurs chrétiens, dans leurs joutes théologiques, notamment avec les philosophes
« grecs », se réapproprient et réinvestissent des concepts provenant justement des
« Grecs ». Cela peut même être perçu comme non-orthodoxe lorsque certains auteurs
parmi les plus « anti-grecs » comme Tertullien (première moitié du III e s.), reprennent
la notion à leur compte pour expliquer le mystère de la Trinité. Le terme a d’ailleurs un
certain succès auprès de l’école exégétique d’Antioche qui adopte une vision très
littérale de lecture de la Bible, et de facto très opposée aux apports de la philosophie
grecque. Il permet d’expliquer — ou plutôt de ne pas le faire — de manière apophatique
les agissements divins. Ainsi, pour Épiphane d’Antioche (début IV e siècle) c’est « par
incompréhensibilité économique » (κατ’οἰκονομίκὴν ἀκαταληψίαν) que Dieu a envoyé la
famine à Israël pour le forcer à s’exiler en Égypte.

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15 Comme dans beaucoup d’autres domaines concernant le dogme, c’est le IV e siècle qui
est le cadre où s’opère la synthèse17. Les Pères cappadociens sont souvent présentés
comme les continuateurs de la tradition d’Origène au sein de l’Église. Or, un personnage
comme Basile de Césarée n’est pas un simple disciple d’Origène. Il essaie de combiner
les enseignements des deux écoles exégétiques majeures d’alors : celle d’Antioche
(littérale) et celle, allégorique, d’Alexandrie. Dans ses Homélies sur l’Hexaémeron, Basile
commence par critiquer implicitement son maître Origène et les autres penseurs
chrétiens, trop influencés par les lettres grecques, en faisant l’éloge de Théophile
d’Antioche (fin Ier siècle - début II e siècle), « ce Syrien aussi éloigné de la sagesse du
monde qu’il était proche des biens véritables ». En effet, pour Basile 18, les « Grecs » se
contredisent mutuellement, ce qui témoigne de leur faiblesse, alors que les chrétiens,
par l’intermédiaire de l’Écriture Sainte, ont eu la révélation du plan de Dieu dont
l’unicité est garantie par l’οἰκονομία. Il s’agit d’une reprise de la problématique déjà
exprimée par Épiphane : il y a incompréhensibilité « économique » que seule la
révélation dévoile. Basile fixe les bornes qui non seulement limitent le débat au sein de
la spéculation chrétienne mais aussi explicitent ce que les exégètes peuvent emprunter
à la philosophie grecque sans pour autant tomber dans le piège de l’hérésie — du choix
(αἵρεσις). Dans son court texte adressé « aux jeunes gens sur l’utilité des lettres
grecques », Basile, s’inspirant largement de la République de Platon, fournit la recette de
lecture des lettres « grecques », dans le cadre de l’économie divine. C’est une éducation
vers la liberté parfaite (ἐλευθερία) alors que l’homme ne dispose au départ que d’une
liberté limitée et implicitement dangereuse car permettant le choix (προαίρεσις) 19.
16 Néanmoins, le choix erroné n’est pas forcément un péché. Comme l’affirme Grégoire de
Nysse dans La création de l’homme, Dieu a octroyé à dessein cette faculté de choix, à
l’intérieur de laquelle l’erreur est latente tandis que le péché est absent. L’οἰκονομία
divine s’est développée ainsi pour devenir à la fois un mode d’administration par Dieu
de son domaine, un mode de compréhension par l’homme de la cohérence intrinsèque
de l’Écriture Sainte, et un mode de « tolérance » de l’erreur humaine. Ce dernier ajout
constitue l’apport majeur des Cappadociens et il convient de préciser les circonstances
de son apparition.
17 Il est toujours utile de rappeler que dans le contexte des combats autour de la doctrine
trinitaire du IVe siècle, l’accusation d’hérésie n’a pas épargné Basile. L’Épître LVIII de
Grégoire de Nazianze, adressée à son ami Basile, fait explicitement mention du fait qu’il
semble refuser, dans ses discours, la divinité du Saint-Esprit. Comment intégrer le fait
qu’un des évêques les plus influents de l’Église ne soit pas conforme à l’orthodoxie
trinitaire ? Déjà en insistant sur le fait que pour l’instant nous sommes toujours en
présence de plusieurs δόξαι et que l’orthodoxie commence à apparaître 20. Grégoire de
Nazianze explique que si Basile prêche ainsi, il le fait par οἰκονομία pour ramener au
sein de l’Église les hérétiques qui sont majoritaires dans son diocèse. Ce n’est un
témoignage ni de lâcheté ni d’hérésie. C’est un acte de tolérance religieuse, acte
d’autant plus nécessaire que Basile est un personnage public très important. Grégoire,
en répondant à un accusateur de Basile, explique que lui, il philosophe sans souci (ἐγὼ
ἀκινδύνως φιλοσοφῶ) alors que Basile doit faire attention à ses actes et à ses paroles.
Aussi introduit-il une distinction entre privé et public, et entre doctrine et prédication.
Cette distinction implique une relativisation de l’importance de la prédication en
fonction des impératifs de l’unité ecclésiastique. Il ne s’agit nullement d’une
« accommodation » avec la doctrine, puisque le κήρυγμα ne reflète pas

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automatiquement le δόγμα. Leurs fonctions respectives ne sont pas les mêmes et ce


serait tomber dans un piège nominaliste que de confondre les deux. Le fait que Basile
ne mentionne pas le Saint-Esprit dans ses prêches, par « économie », ne signifie pas
qu’il ne croit pas à sa divinité.
18 Cela signifierait-il pour autant que l’οἰκονομία nous autorise tous à « prendre des
libertés » avec la règle établie ? Certainement pas ! Grégoire, dans son Oraison XLIII, qui
constitue l’épitaphe de son ami Basile, revient sur cette question et précise les règles de
l’οἰκονομεῖν. L’importance première du concept réside, nous explique-t-il, dans le fait
qu’il opère le passage des débats ontologiques vers une présentation praxiologique de
Dieu. Il a coupé court aux questions sur la gnosis de Dieu et a mis l’accent sur sa praxis.
Par analogie, la même opération doit être conduite pour l’homme. Ce sont les actes qui
sont importants et qui prouvent la sainteté d’un homme et non pas les débats sur ses
croyances. Aussi, Basile a le droit d’οἰκονομεῖν car ses actes sont caractérisés par l’
εὐσέβεια, la piété. Basile respecte les mystères et a accompli une œuvre philanthropique
extraordinaire. Comment se pourrait-il qu’il ne soit pas inspiré par Dieu ? Comment se
pourrait-il qu’il soit un hérétique ? L’orthopraxie semble prendre le pas sur
l’orthodoxie. L’erreur doctrinale donc peut être tolérée « économiquement » car elle
fait partie du dessein divin ; l’âme n’a pas été assez bien éduquée, mais à deux
conditions :
• ceux qui la tolèrent sont εὐσέβεῖς dans leurs actes ;
• ceux qui l’ont commise ne dévient pas trop de l’orthopraxie.
19 Ce qui peut paraître comme du ritualisme pédant n’est en fait que le pendant de la
certitude de la fragilité de la situation humaine par rapport à la connaissance. Mais
cette fragilité est aussi celle du christianisme trinitaire qui tente de s’affirmer comme
religion officielle de l’Empire.
20 En effet, le travail d’approfondissement des Cappadociens sur l’Église est
incompréhensible sans prendre en compte les craintes sur l’unité de l’Église et les
appréhensions de l’impact des hérésies — de la désunion donc — sur la relation entre
l’Église et le pouvoir impérial. Eusèbe de Césarée, dans son œuvre de réflexion sur
l’histoire ecclésiastique, fondatrice de la théologie politique chrétienne, explique ces
appréhensions. Constantin a opté pour le christianisme car c’est une religion dont
l’obsession unitaire est frappante, et parce que l’empire a besoin d’unité, ce que les
cultes païens trop émiettés ne peuvent garantir. Or, les hérésies et les conflits
doctrinaux menacent cette unité de l’Église. Il se peut donc que l’empereur change
d’avis s’il constate que le christianisme n’est pas plus garant de l’unité que le
paganisme. L’œuvre d’Eusèbe regorge de cette crainte. Il est même amené à citer son
propre exemple au Concile de Nicée, où il a accepté le terme de « consubstantiel »
malgré ses premières hésitations, afin d’être en phase avec ses ouailles, et afin
d’assurer l’unité de l’Église, seule garante de sa protection au sein de l’Empire, et du
non-retour en arrière.
21 Les Cappadociens sont d’autant plus imprégnés de cette œuvre d’Eusèbe qu’ils viennent
d’avoir la preuve de sa pertinence. N’est-ce pas la persistance de la controverse arienne
et son imbrication avec les luttes de succession de Constantin le Grand qui a facilité la
tentative de restauration du paganisme par Julien ? Leur ancien condisciple d’Athènes
n’a-t-il pas justement persiflé le christianisme à cause de ses querelles intestines ?
L’Église peut-elle se permettre la persistance de ces querelles ? Comme Grégoire de
Nazianze nous l’a montré, il apparaît que non. La synthèse opérée autour de la notion d’

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οἰκονομία permet de trouver un modus operandi pour l’Église qui renforce son unité dans
le cadre de la nouvelle donne politique, tout en orientant son personnel davantage vers
l’action (philanthropique). C’est cette synthèse qui sert à l’Église orthodoxe de
référentiel commun transcendant les siècles21. Or, il s’agit ex officio d’un référentiel très
malléable. C’est ce que nous constatons en observant la question des relations
anglicano-orthodoxes au XXe siècle.
 
2. La question des sacrements anglicans et le droit
canonique orthodoxe
22 Les relations avec les Anglicans semblent être un des sujets de débat majeurs des
théologiens orthodoxes grecs à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. L’importance de
ce sujet ne peut être appréciée si nous ne prenons pas en compte le fait que les
controverses religieuses et les conflits politiques22 s’imbriquent dans le cadre des luttes
pour le contrôle du pouvoir. Toutefois, ceci se pratique de manière moins causaliste
que les tenants d’un essentialisme culturel ou ethno-religieux l’ont prêché. Le fait
d’être orthodoxe ne conditionne pas une disposition d’action politique, ne serait-ce que
parce que, comme nous le constaterons, il y a différentes manières d’être orthodoxe. Ce
postulat axiologique ne devrait pas nous inciter à adopter, par antithèse, un
fonctionnalisme naïf : selon cette dernière vulgate, les acteurs des conflits politiques
instrumentalisent les controverses religieuses afin de manipuler les esprits et de
favoriser leur domination. A contrario, en étudiant la formation du concept d’οἰκονομία
et son utilisation au XXe siècle, nous percevons que leurs cadres mentaux sont tout de
même empreints de certains codes qui orientent leurs actions tout en leur laissant une
certaine liberté d’innovation. Il s’agit de cette grammaire dont nous avons parlé, d’un
habitus si nous voulons utiliser une certaine terminologie sociologique 23. Trop
repousser les limites fixées par cet habitus dans ses pérégrinations spirituelles ou
pratiques expose son auteur au risque de la rupture de l’équilibre des tensions qui
caractérise son appartenance à sa configuration sociale24. La question anglicane nous
invite à faire le tour de ce jeu permanent entre 1900 et 1936.
23 Il convient évidemment de préciser que la question des relations avec les Anglicans
n’est pas nouvelle puisqu’elle avait déjà fait l’objet d’une controverse importante au
XVIIe siècle après le patriarcat de Cyrille Loukaris. Elle émerge de nouveau vers 1840. La
question de la réforme de l’Église anglicane vacillante 25 recoupe l’antagonisme avec les
catholiques, mais aussi le mouvement d’expansion de l’Empire britannique qui est en
train de se réaliser. C’est dans ce contexte qu’est créé en 1842 le diocèse anglican de
Gibraltar qui s’étend sur toute la Méditerranée (y compris orientale). Les orthodoxes
apparaissent alors comme des interlocuteurs de premier ordre, d’autant plus que la
nomination d’une hiérarchie catholique britannique par le pape Pie IX en 1850
n’améliore pas les relations anglicano-catholiques. Dans la tentative la plus illustre,
Joseph Palmer et un groupe d’Anglicans essaient de se joindre au patriarche Philarète
de Moscou le 8 octobre 1851, mais leur tentative échoue devant le refus catégorique du
patriarche de Constantinople Anthime IV de reconnaître la validité des sacrements
anglicans. La Guerre de Crimée bloque la situation. De même, l’attitude plus
accommodante de Pie IX qui appelle à un concile œcuménique le 6 décembre 1864 —
vœu réédité dans l’Encyclique Arcanae Dei de 1868 — diminue d’un cran la tension avec
les catholiques. D’autant plus que E. Pusey, le théologien anglican le plus influent —

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notamment depuis l’apostasie de Newman — appelle à une approche plus irénique,


comme l’indique le titre de son ouvrage de 1865 : Eirenikon. Cependant, l’attitude
virulente de Léon XIII qui dans son Encyclique Apostolicae curae de 1897 refuse
catégoriquement les sacrements anglicans, scelle le sort des relations anglicano-
catholiques. Le rapprochement avec les orthodoxes redevient pertinent et les
tentatives de contact se multiplient avec les Églises orthodoxes.
24 C’est le constat à partir duquel Christos Androutsos — professeur à l’École patriarcale
de Chalki — fait démarrer son étude intitulée La validité des sacrements anglicans du point
de vue orthodoxe, publiée par l’Imprimerie patriarcale à Constantinople en 1903. Le
statut professionnel de l’auteur aussi bien que le lieu d’édition témoignent du fait que
cette étude n’est pas un acte individuel ou érudit concernant un sujet canonique, mais
bien un document reflétant le point de vue officiel du patriarcat de l’époque. De même
il s’agit du texte fondateur de la réflexion sur la question, auquel se réfèrent tous les
livres qui s’ensuivent autant du fait de sa primauté, de sa qualité, que de l’aura de son
auteur26.
25 Or, Androutsos identifie deux éléments essentiels — et extérieurs au droit canonique —
qui justifient la pertinence de cet objet d’étude. Il s’agit d’abord de l’extrême
sollicitation dont font preuve les anglicans envers les orthodoxes grecs — et plus du
tout russes — tandis que les Russes sont justement perçus comme un danger du fait de
leur attitude expansionniste arabophile au Moyen Orient. Ensuite, l’auteur remarque
que la qualité des relations entre Église et État en Angleterre est bonne — ce qui n’est
pas alors le cas dans la plupart des pays où existe une Église catholique forte (France,
Italie, Allemagne). L’interrogation sur l’équilibre institutionnel Église - État d’un futur
État orthodoxe incluant le patriarcat de Constantinople est manifeste à un moment où
l’on croit de plus en plus fermement à la déliquescence de l’Empire ottoman et à sa
substitution par un État grec27.
26 Une fois l’utilité de son étude préalablement affirmée, l’auteur s’attache à l’examen de
sa question en fonction des principes qui gèrent le fonctionnement du droit canonique
orthodoxe : Ἀκρίβεια et οἰκονομία. Selon la première qui plaide pour une interprétation
stricte des canons, les sacrements anglicans ne sont pas reconnus par l’Église
orthodoxe28. Toutefois, il constate qu’ « économiquement », l’Église a déjà accepté à
plusieurs reprises les sacrements d’hérétiques29. Ceci signifie-t-il que l’Église se
contredit ? Pour l’auteur, il est évident que tel ne saurait être le cas, même s’il est
difficile de trouver la règle qui précise les conditions d’utilisation respectives des deux
principes :
Βεβαίως δυσχερὲς μᾶλλον δὲ ἀδύνατον πάντη εἶνε ἡ ἐξιχνίασις τῆς ὑποκειμένης
κοινῆς ἀρχῆς τῆς διεπούσης ἀκρίβειαν καὶ οἰκονομίαν, τὰ κατὰ τὸ φαινόμενον
ἀντιφάσκοντα, καὶ ἡ κατὰ τὴν ἀρχὴν ταύτην ἐξήγησις τῶν δύο τούτων
παραλλήλων μέτρον τῆς ἀποδοχῆς τῶν αἰρετικῶν καὶ σχισματικῶν, λέγομεν
παραλλήλων, διότι ἐξ ὀρθοδόξου ἐπόψεως κρίνοντες οὐδαμῶς ἀποδεχόμεθα τῶν
λεγόντων, ὅτι ἀκρίβεια καὶ οἰκονομία κατ’οὐσίαν ἀντιφάσκουσι, ἡ δὲ Ἐκκλησία
καὶ πάλαι καὶ νῦν ἐν τῷ ζητήματι τοὐτῳ διεφώνει κατ’ἀρχὴν, ὁτὲ μὲν
ἀποδεχομένη, ὁτὲ δὲ ἀπορρίπτουσα, ἥ κατά τινας μὲν τόπους δεχομένη τὰ τῶν
αἰρετικῶν μυστήρια, κατ’ἄλλους δὲ οὐχὶ...30
27 Hormis Augustin, aucun autre n’ayant tenté de trouver une règle précise d’application
des principes, Androutsos se résout à ce que l’application ne puisse être qu’empirique
en fonction de l’intérêt pour l’unité de l’Église et du respect d’une certaine orthopraxie
dans la pratique des sacrements31. Dès lors, l’examen de la validité des sacrements

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anglicans est aussi possible selon la règle de l’οἰκονομία. Androutsos conclut à la


possibilité de reconnaissance de la validité des sacrements anglicans — à une condition,
qu’il répète aussi bien au début qu’à la fin de son ouvrage. Il martèle formellement dès
le début de son étude qu’il n’est possible de statuer sur la question que de manière ad
hoc ! La question ne peut se poser de manière canonique universelle et uniforme car
dans l’Église orthodoxe les canons s’interprètent au cas par cas. La validité des
sacrements ne se pose comme sujet d’interprétation canonique que si un Anglican
rejoint l’Église orthodoxe. C’est uniquement dans ce cas que l’on peut considérer
κατ’οἰκονομίαν que leurs sacrements sont valides sui generis 32. Il s’agit d’une condition
préalable qui constitue un obstacle infranchissable, étant donné que les Anglicans
n’aspirent pas à une conversion à l’orthodoxie. C’est en outre la raison pour laquelle
par la suite, plusieurs auteurs choisissent de pécher par omission dans ce cas précis.
28 C’est notamment le cas de Chrysostomos Papadopoulos, un des personnages les plus
influents de l’orthodoxie en général et de l’Église de Grèce en particulier 33. Dans son
livre La question des sacrements anglicans publié en 1925 par l’Imprimerie du Saint-
Sépulcre à Jérusalem, il reprend la même question et arrive à la même conclusion
qu’Androutsos — sans condition cette fois-ci. Papadopoulos constate que les objections
« latines » à la validité des sacrements ont été valablement réfutées par les anglicans 34.
Il procède à une reprise méthodique des canons, des arguments et des textes en faveur
d’une reconnaissance κατ’οἰκονομίαν de la validité des sacrements anglicans, sans
omettre de citer le spécialiste contemporain de la question : Androutsos 35. Puis
Papadopoulos conclut logiquement en faveur de cette reconnaissance en soulignant
qu’il s’agit « d’un premier pas vers l’union des Églises » 36.
29 Nous sommes en présence d’un véritable tour de force de l’auteur qui réussit à intégrer
Androutsos dans un syllogisme qui lui est étranger grâce à une simple omission. Alors
que pour Androutsos, la conversion des anglicans à l’orthodoxie constitue la condition
sine qua non à toute discussion sur les sacrements (qui peuvent être reconnus comme
valides dans ce cas), pour Papadopoulos c’est la reconnaissance des sacrements qui
devient un geste de bonne volonté préalable à une union. Abstraction faite de la
magistrale démonstration canonique, cette attitude irénique de l’auteur ne peut se
comprendre que dans le cadre de l’évolution de la situation orthodoxe. Jérusalem et
Alexandrie, sièges de deux patriarcats orthodoxes, sont sous contrôle ou influence
politique britannique. Le patriarcat de Constantinople est en grave crise suite à la
guerre gréco-turque. Le patriarcat russe périclite suite à la Révolution bolchevique.
Cette situation de déclin survient au lendemain d’une guerre mondiale ayant marqué
de son horreur tous les esprits. L’union avec l’Église anglicane ne pourrait-elle pas être
la panacée aux problèmes chroniques des Églises orthodoxes ? L’émiettement, les
problèmes de financement et d’encadrement, l’ambiguïté des relations avec l’autorité
politique ne pourraient-ils pas être résorbés dans le cadre de cette union à un moment,
qui plus est, où ce sont les catholiques et les athées qui apparaissent comme les
ennemis les plus redoutables ?37
30 Ces questions préoccupent tellement la hiérarchie de l’Église de Grèce qu’elle y
consacre plusieurs numéros de son magazine officiel en cette année du seize centième
anniversaire du premier concile œcuménique, celui de Nicée38. De surcroît l’Église
anglicane et le système anglais39 du Church and State en général semblent un exemplum
convenable en Grèce, y compris au niveau social. L’action médiatrice de l’archevêque de
Canterbury lors de la grande grève des mineurs de 1926, qui a réussi à désamorcer la

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crise et a « fait échouer les plans bolcheviks », inspire les hiérarques grecs 40. Comme se
plaît à le rappeler l’article sur la question, c’est l’attitude patriotique et croyante de
l’ouvrier anglais qui favorise ce rôle social de l’Église. L’ouvrier grec serait-il en reste en
matière de croyance et de patriotisme ? En répondant par la négative nous sommes
donc fortement encouragés à imiter les anglicans et à nous rapprocher d’eux.
31 Par contre, tel ne semble pas être l’avis du dernier auteur dont nous ferons mention ici
et qui marque la fin de notre pérégrination aussi bien chronologiquement que
conceptuellement, puisqu’il représente cette partie de l’Église qui soutient les positions
les plus conservatrices aussi bien en matière théologique, canonique, ecclésiastique que
sociale. Positions qui s’imposent au sein de l’Église de Grèce à la fin de la période qui
nous intéresse, c’est-à-dire durant la première moitié des années 1930 et non pas
durant la seconde moitié, comme la doxa historiographique grecque persiste à
l’affirmer.
32 Dans son étude synoptique Orthodoxes et anglicans, publiée d’abord en 1918, puis
retravaillée et rééditée dans un ton nettement plus virulent en 1931, Panayotis
Bratsiotis, spécialiste des Septante à la Faculté de Théologie d’Athènes et membre
éminent de plusieurs organisations para-ecclésiastiques, refuse catégoriquement tout
projet d’union avec l’Église anglicane. Dans l’introduction de sa 2 e édition de 1931,
Bratsiotis justifie cette nouvelle édition corrigée de son étude par l’apparition d’un
numéro de la revue Pantainos du patriarcat d’Alexandrie mentionnant les contacts
entre orthodoxes et anglicans en vue d’une reconnaissance mutuelle des sacrements et
d’une intercommunion. Il rajoute :
ἡ κριτικὴ μου θὰ δυσαρεστήσει σεβαστὰ πρόσωπα ποὺ δὲν ἐπιθυμῶ νὰ λυπήσω.
Ἵσως φανεῖ αὐστηρὴ ἀλλὰ ἐμπνέεται μόνο ἀπὸ τὴν ἀγάπη μου πρὸς τὴν
Ἐκκλησία41.
33 Il transparaît immédiatement que les « personnes respectables » que l’auteur « ne
souhaite pas attrister » ne sont autres que le patriarche d’Alexandrie Mélétios 42 — qui
est à l’origine de ces contacts — mais aussi et surtout l’archevêque de Grèce
Chrysostome — auteur d’une étude sur la question et surtout mentor de Mélétios dont
il fut le professeur à Jérusalem. Nous pourrions même avancer que Bratsiotis aurait
écrit une philippique plus agressive contre Mélétios, s’il n’avait pas fait preuve d’égard
envers Chrysostomos. Ou bien, hypothèse la plus plausible à notre avis, serait-il plutôt
en train de faire pression sur Chrysostome en attaquant Mélétios?
34 Cette identification des personnages-clef de la question est faite en tout cas par une
habile mise en scène qui consiste à rappeler l’historique des contacts entre les deux
Églises. Or, le premier contact contemporain remonte à 1918-1919 lorsque les Églises
orthodoxes envoient des délégations au cinquième Congrès de Lambeth qui réunit les
évêques anglicans. L’Église de Grèce y est représentée par Mélétios (métropolite
d’Athènes à l’époque), Chrysostome et Amilkas Alivisatos, professeurs représentants de
la Faculté Théologique. Quant à la délégation patriarcale de Constantinople, elle est
conduite par Philarétos Vafeidis, évêque de Didymotique. Voilà le cadre planté et les
personnages principaux apparus43.
35 Le but de Bratsiotis consiste à ouvrir une brèche dans le front pro-anglican. Or, dans
son livre Orthodoxia de 1931, Philarétos affirme que la reconnaissance des sacrements
anglicans par le Congrès (sic) panorthodoxe de 1922 convoqué par Mélétios — devenu
entre temps patriarche — a été prise après avis unanime des théologiens. Rien de plus
facile pour Bratsiotis, donc, que d’accuser Philarétos d’être un « faussaire de l’histoire »

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, référence aux objections d’Androutsos à l’appui. Suit une kyrielle de références à des
44

canonistes et à des prélats s’étant exprimé sur la non-canonicité de cette action.


Mélétios est accusé d’être allé trop loin dans l’interprétation ouverte du droit
canonique en acceptant en 1930 l’intercommunion entre orthodoxes alexandrins et
anglicans. Même Chrysostome et Alivisatos critiquent cette action 45.
36 Or, cette attitude de Mélétios permet de discréditer ex post ante le Congrès de 1922 et les
tentatives de réformes qu’il avait introduites. Les actes de Mélétios choquent ses
ouailles. Ne devrait-il pas plutôt suivre l’exemple d’Eusèbe que nous avons vu changer
d’avis à Nicée en raison d’οἰκονομεῖν πολλῶν ?46 Sa persistance ne met-elle pas en cause
l’unité de l’Église orthodoxe ?47 Est-ce un signe d’εὐσέβεια ? Le Congrès de 1922 n’a pas
de légitimité canonique car ses protagonistes sont, ex post ante, déclarés menaçant
l’unité et l’εὐσέβεια du plérôme orthodoxe. Pour Bratsiotis, il convient donc d’arrêter la
pléthore des expérimentations et les tartufferies avec les autres Églises, et de se
concentrer sur la catéchèse interne du plérôme fidèlement à la tradition. Le syllogisme
n’est pas sans rappeler – et ce n’est sûrement pas un hasard – la délégitimation
canonique du Concile de Florence de 1439, opérée a posteriori. Il n’y a pas de place pour
l’οἰκονομία dans cette étude et la raison en est le changement de contextualisation.
37 Dans un livre publié en 1922, qui reprend une conférence faite en 1920, le supérieur
jésuite Michel d’Herbigny, haut responsable de la Propaganda Fide 48, fait la remarque
suivante :
…si ces études s’envisageaient d’un point de vue politique elles s’intituleraient
alors : ‘Anglais et grécoslaves : mouvement qui assurerait à leur pays l’hégémonie
effective en Orient.’ Ils (les Anglais) comprennent quels vastes horizons
s’ouvriraient à eux si l’Église nationale d’Angleterre s’unissait aux Églises nationales
grécoslaves49.
38 D’Herbigny observe que l’attitude d’une partie des orthodoxes grecs a changé au début
du XXe siècle et cherche le rapprochement avec les anglicans afin de contrer l’influence
russe. Le rapprochement anglicano-orthodoxe correspondrait aussi à une vision
politique de partage anglo-grec de l’Orient méditerranéen au lendemain de l’éventuelle
chute de l’Empire ottoman. L’Empire britannique contrôlerait la quasi-totalité de
l’Orient et les avantages industriels et financiers du fait de l’appartenance à l’Empire
seraient conséquents pour les Grecs grâce à cette « confédération chrétienne » 50. Cette
vision gagne la majorité du haut clergé et transcende d’autres clivages politiques
puisque l’Association anglicane et orthodoxe, créée en 1912 à ce propos, compte parmi
ses membres à la fois Mélétios et Chrysostome, mais aussi Théoklitos, alors métropolite
d’Athènes51. Néanmoins, les deux premiers, dont l’amitié est notoire selon l’auteur, sont
les moteurs de ce mouvement qui se manifeste collatéralement par une série de
réformes des Églises orthodoxes qu’ils contrôlent52.
39 Ce contexte et ce cadre de réflexion que d’Herbigny identifie en 1920-1922 ne sont plus
présents ou en tout cas sont combattus en 1931 lorsque Bratsiotis écrit. La guerre
gréco-turque et la catastrophe d’Asie Mineure modèrent sérieusement les projets
grandioses faits auparavant — ce qui demeure un euphémisme. La priorité de l’Église de
Grèce n’est plus ou, en tout cas, ne doit plus être accordée aux alliances inter-
ecclésiastiques mais aux mutations de la société grecque en pleine crise d’intégration.
Les adversaires russes ne sont plus dehors, ils sont dedans : ce sont les bolcheviks, mais
ne sont-ils pas russes après tout ? Le glissement sémantique permet de fonctionner

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dans la continuité. Il y a toutefois un passage d’un paradigme de relations


internationales à un paradigme sociologique intranational.
40 Or, dans le cadre de ce nouveau paradigme, l’exemple anglican n’est pas forcément
valable en 1931. Le Church and State est sérieusement ébranlé. L’Église anglicane se
résigne à être une Église minoritaire. Et, comble de tout, elle choisit d’accepter nombre
de réformes « modernes » qui apparaissent inacceptables aux yeux des orthodoxes,
notamment le contrôle des naissances. Mais ce réformisme « suiviste » n’est-il pas
finalement signe et/ou cause de déclin ? C’est l’avis de Bratsiotis qui pointe vers un
autre exemple à suivre :
Τοὺς κανόνες τηρεῖ αὐστηρὰ ἐναντίων τῶν αἱρετικῶν καὶ μὶα εὐρωπαϊκότερη
ἐκκλησία ποῦ δὲν εἰναι ἀσυγχρόχνιστη53.
41 Cette Église « plus européenne » et « pas complètement a-moderne » qui applique
strictement les canons, est évidemment l’Église catholique. Voilà le nouveau modèle !
L’intransigeance catholique qui paraissait mettre l’Église catholique en danger durant
la deuxième moitié du XIXe siècle devient finalement souhaitable car elle l’a soudée
face aussi bien aux autres forces sociales qu’aux États. Qui plus est, cette intransigeance
l’a aussi sauvée de l’érastianisme dont souffre l’Église anglicane, comme en témoigne le
Concordat qui vient d’être signé avec l’État italien. L’Église grecque, souvent victime
des interventions politiques, n’a pas besoin de réformes nouvelles ni d’alliances
nouvelles. Elle a besoin d’une application stricte de sa tradition et d’un effort
missionnaire intérieur accru lui redonnant une vigueur et la rendant autonome face au
pouvoir politique. Ce projet passe par un renforcement des associations ecclésiastiques
et para-ecclésiastiques (laïques) d’action sociale dont Bratsiotis est un porte-parole, et
qui sont dans le même temps les plus virulentes, face à tout autre groupe qui pourrait
leur contester le monopole de l’action sociale sur le terrain (communistes, allodoxes et
francs-maçons en tête).
42 Il y a désormais peu de place pour la notion d’οἰκονομία, et pour toute tolérance dans ce
contexte de libre concurrence frénétique pour le contrôle des corps et des âmes. Il faut
revenir au respect de la tradition. Et si ce tournant antimoderniste et vers Rome peut
paraître moins étrange venant d’un théologien qui est aussi l’introducteur de la pensée
théologique de Karl Barth en Grèce, il l’est davantage dans la bouche d’un des piliers du
réformisme ecclésiastique de cette période : A. Alivisatos.
43 Dans un article paru en 1931 sur les mêmes questions, ce dernier critique l’abus de la
notion d’οἰκονομία — notamment dans l’attitude de Mélétios à Alexandrie — et se
tourne lui aussi vers Rome louant la tentative de compilation des canons orientaux
initiée par Benoît XV ! Dans le processus « modernisateur » d’organisation de l’Église en
tant qu’appareil bureaucratique administrant la société qui se déroule à ce moment,
c’est l’expérience et l’attitude stricte de l’Église catholique qui devient l’exemple
inavouable. Par la même occasion, le dépassement des limites par certains est utilisé
pour favoriser le raidissement de l’institution et sa prise de contrôle par ses éléments à
la fois les plus indispensables et les plus conservateurs : les organisations d’action
sociale laïques.
44 La fenêtre d’opportunité canonique est en train de se refermer.

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NOTES
1.  Ce qui n’est pas le cas du français, de l’anglais ou même de l’italien par exemple.
2.  R. Koselleck, Le futur passé : contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, 1990, pp.
99-118.
3.  Il s’agit plus spécifiquement de sa tradition juridique.
4.  Koselleck, loc.cit.
5.  Mais dans une prolongation ultérieure, il s’agirait également d’examiner pourquoi et dans
quel « style » (Selon la définition donnée par P. Veyne dans sa préface du livre de Peter Brown
sur l’Antiquité tardive mais aussi de P. Brown lui-même. P. Brown, Genèse de l’Antiquité tardive,
Paris, 1983 (1978)), les différents agents jonglent avec ces cadres dans leurs relations avec le
champ de pouvoir. Déchiffrer cette grammaire peut permettre aussi, c’est une hypothèse,
d’élaborer une matrice de lecture anthropologique des sociétés se trouvant sous son influence.
Cette réflexion s’enrichit amplement des discussions avec Nikos Sigalas à partir d’une
concaténation de lectures d’auteurs classiques et chrétiens. Qu’il en soit remercié ici.
6.  Dans l’ancien et premier sens du terme : « le fait de ne pas interdire alors qu’on le pourrait ».
Cf. Petit Robert.
7.  Nous suivons en cela la lecture du terme faite par A. Guillou, Tolérance et pouvoir –dans le monde
orthodoxe médiéval et moderne , in Balcanica – Annuaire de l’Institut des Études Balkaniques, XXVII
(1996), p. 7-19. Nous partageons la critique faite dans cet article des interprétations du concept
comme un « instrument amoral » au bénéfice du pouvoir politique byzantin. Une vision aussi
épidérmiquement « instrumentaliste » obscurcit notre vision des tensions qui traversent l’Église
et de leurs relations fluctuantes avec les controverses politiques. Cf. un texte fondamental : Mart
Bax, Marian apparitions in Medjugorje : Rivalling Religious Regimes and State-Formation in Yugoslavia ,
in : Eric Wolf (éd.), Religious Regimes and State-Formation : Perspectives from European Ethnology, NY,
1991, pp. 29-53.
8.  J. Flori, La première croisade. L’Occident chrétien contre l’Islam, Paris, 1992, en ce qui concerne la
« représentation et l’Église ». B. Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, 1995 ; et C.
Schmitt, Théologie politique, op. cit., pour la « représentation » dans la théorie politique moderne.
9.  Cf. Pascal, Les provinciales, Paris, 1987 (1656). Notamment la provinciale n°8 qui constitue sa
flèche du Parthe.
10.  Cf. Varron, Rerum rusticarum.
11.  A. von Harnack, The Expansion of Christianity in the First Three Centuries, Eugene (US), 1998
(1903), t. I, p. 185.
12.  A. Guillou, Du Pseudo-Aristée à Eusèbe de Césarée ou les origines juives de la morale sociale
byzantine, in Actes du Congrès sur la vie quotidienne à Byzance, Athènes, 1989, pp. 29-42.
13.  Adhémar d’Alès, Le mot Oikonomia, Paris, 1921.
14.  Mais pas seulement théologique. Il s’agit du processus d’affirmation du christianisme en tant
que culte reconnu – pour reprendre une terminologie moderne – distinct du judaïsme. Nous
avançons que le fait de ne plus se préoccuper autant de la controverse avec le judaïsme signifie
que ces auteurs ne craignaient plus d’être qualifiés comme « une secte juive de plus ». Cf. aussi, A.
von Harnack, loc.cit.
15.  P. Berger - T. Luckmann, The Social construction of reality : a treatise in the sociology of knowledge,
Londres, 1984 (1966), pp. 122-126.
16.  G. Simmel, Le conflit, Paris, 1995 (1908), p. 24 & p. 33.
17.  A. Guillou, L’orthodoxie byzantine, in Archives des Sciences Sociales des Religions, 75 (1991), p. 1-10.
18.  Basile, 1ère Homélie sur l’Héxaémeron.

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19.  La ressemblance morpholéxique et sémantique entre les deux termes traduit bien la relation
entre la liberté volontaire donnée à l’homme qui se situe juste avant l’hérésie, le choix. Le conflit
janséniste aurait-il eu un sens s’il avait été fait à partir de textes grecs et non pas de traductions
latines ?
20.  Guillou, L’orthodoxie byzantine, op.cit., p. 1.
21.  Il faut souligner qu’en postulant que le concept se fige définitivement au IV e s., nous ne
contestons absolument pas que son utilisation a été sujette à controverse à de nombreuses
occasions et pendant de longs siècles au sein des juridictions ecclésiastiques ou impériales. Nous
affirmons uniquement que même si des patriarches et des canonistes, et même des empereurs se
querellaient à propos de la « bonne « ou « mauvaise » utilisation de l’oikonomia, il n’y avait
toutefois plus de contestation possible sur le sens premier de cette notion et sa position au sein
de l’univers orthodoxe. Pour deux études sur les débats byzantins ultérieurs, cf. Gilbert Dagron,
La règle et l’exception, in : Dieter Simon (éd.), Religiöse Devianz (Studien zur Europäischen
Rechtsgeschichte 48), Frankfurt, 1990, p. 1-18 et Ioannis Konidaris, The Ubiquity of Canon Law , in :
Angeliki Laiou - Dieter Simon (éds.), Law and Society in Byzantium 9 th- 12th centuries, Dumbarton
Oaks, 1994, p. 131-150.
22.  Cf. à ce sujet le recueil d’études suivant : O. Elyada – J. Le Brun (éds.), Conflits politiques,
controverses religieuses : essais d’histoire européenne aux 16 e-18e siècles, Paris, 2002.
23.  Selon le sens donné par P. Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, 1994, ch. 1. Le même principe
existe sous d’autres termes ou formes aussi chez des auteurs comme Panofsky, Brown ou Elias.
24.  N. Elias, La dynamique de l’Occident, Paris, 1975 (1939).
25.  Sur l’Église anglicane, cf. J. Baubérot – S. Mathieu, Religion, modernité et culture au Royaume-Uni
et en France 1800-1914, Paris, 2002.
26.  Et ce malgré le fait qu’Androutsos, par la suite professeur de théologie à l’Université
d’Athènes, est étroitement impliqué aux conflits politiques grecs des années 1910-1920. Il est
démis de ses fonctions par le gouvernement vénizéliste de 1918 pour cause de son attitude lors de
la crise politique de 1915-1917 et de l’anathème lancé contre Venizélos. Il est ensuite réhabilité
en 1920 par le gouvernement Gounaris. Il demeure en poste après la chute de celui-ci suite à la
catastrophe micrasiatique et le coup d’Etat qui s’ensuit en 1922. De manière assez anorthodoxe
(?), il devient Directeur des affaires cultuelles au Ministère de l’Instruction Publique et des Cultes
sous la dictature ultra-républicaine de Pangalos. Ces éléments biographiques ont été recueillis à
partir d’un dépouillement des principaux périodiques ecclésiastiques ou para-ecclésiastiques de
la période.
27.  C. Androutsos, Τό κύρος τῶν ἀγγλικῶν χειροτονιῶν ἐξ ἀπόψεως ὀρθοδόξου, Constantinople,
Imprimerie patriarcale, 1903, pp. 1-7.
28.  Ibid., p. 11.
29.  Ibid., pp. 12-15.
30.  Ibid., p. 11. Traduction : Evidemment la découverte du principe commun qui est sous-jacent à
la fois à l’akribeia et à l’oikonomia — qui sont à première vue contradictoires — est difficile plutôt
qu’impossible. L’explication de ces deux mesures parallèles d’acceptation des hérétiques et des
schismatiques selon ce principe est également difficile mais non pas impossible. D’ailleurs, nous
les appelons parallèles car du point de vue orthodoxe nous n’acceptons pas ce qui est dit, à savoir
qu’akribeia et oikonomia se contredisent sur le fond ; L’Eglise de son côté aussi bien avant que
maintenant se dispute par principe, parfois acceptant les sacrements hérétiques, parfois les
refusant ou alors dans certains territoires les acceptant et dans d’autres les refusant.
31.  Ibid., p. 14-15.
32.  Ibid., p. 7 et de nouveau p. 67.
33.  Après ses études à Chalki, il rejoint la Communauté du Saint-Sépulcre à Jérusalem où il dirige
l’École théologique avant de rejoindre comme directeur le Séminaire théologique de Rizarios à
Athènes en 1909-1910. Il devient professeur de la Faculté théologique de l’Université d’Athènes

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pendant la Première Guerre Mondiale puis accède au poste d’archevêque d’Athènes et de l’Église
de Grèce dans la suite de la catastrophe d’Asie Mineure. Chrysostome associe dès lors son nom
avec la réforme profonde de l’Église de Grèce qui s’ensuit. Il a marqué de son empreinte l’Église
de Grèce du fait de la pléthore de ses écrits mais surtout du fait de la pléthore de ses anciens
élèves accédant à des postes clefs, et de sa longévité à la tête de l’Église.
34.  C. Papadopopoulos, Τό ζήτημα τῶν ἀγγλικῶν χειροτονιῶν, Jérusalem, Imprimerie Nea Sion,
1925, p. 24.
35.  Ibid. p. 46.
36.  Ibid., p. 68.
37.  Il est tout de même très intéressant à constater que, et ce contrairement à ce que certains
pouvaient penser, pour une partie des auteurs catholiques spécialistes des questions d’union des
Eglises, l’union anglicano-orthodoxe était au contraire une bonne chose ! Elle diminuerait le
nationalisme des deux Eglises respectives et les rapprocheraient du coup du « centre naturel » du
christianisme et inspirateur de toute tentative d’union, alias Rome. C’était notamment l’avis de
Dom Baudouin, supérieur bénédictin, et responsable du magazine de l’Église catholique Irénikon,
lancé par Benoît XV à l’attention des orientaux. Cf. le n° de lancement en 1926.
38.  Malgré les précautions d’usage sur le fait que les éditoriaux n’engagent que leur auteur et
non pas l’Église (faites tout de même a posteriori !), les éditoriaux susmentionnés sont très
nettement favorables à l’union. D’ailleurs le ton général du magazine l’est aussi. Cf. Ekklesia,
volume III, n° 36 du 5/9/1925 et notamment les éditoriaux des numéros 46 du 13/11/25, 47 du
20/11, 48 du 27/11, et 50 du 11/12 signés tous par « Unioniste ».
39.  On peut désormais parler de système anglais et non pas britannique puisque l’Église
anglicane a déjà été disestablished en Irlande au milieu du XIX e siècle et vient de subir le même
sort en 1914 (appliqué post bellum en 1920) au Pays de Galles.
40.  Ekklesia, 4, 21, 22/5/1926, p. 164.
41.  P. Bratsiotis, Ὀρθόδοξοι καὶ Ἀγγλικανοι, Athènes, Phénix, 1931, p. 3.
42.  Il s’agit du même Mélétios Métaxakis qui fut métropolite d’Athènes de 1918 à 1920 sur
sollicitation du gouvernement vénizéliste de l’époque, puis, à la suite de son éviction par le
gouvernement Gounaris, fut élu dans un pandémonium innommable Patriarche œcuménique en
1921… avant d’être chassé de ce trône par une partie des orthodoxes stambouliotes appuyés par
le gouvernement kémaliste en 1923.
43.  Bratsiotis, op.cit., p. 4.
44.  Ibid., p. 5.
45.  Ibid.
46.  Ibid., p. 7.
47.  Ibid., p. 14 et 21.
48.  Le « Directeur de l’Unitoproduisant (sic) Institut oriental » selon l’expression utilisée par
l’Église de Grèce, cf. Ekklesia, 4, 31-32, 6/8/1926, p. 242.
49.  Michel d’Herbigny, L’Anglicanisme et l’orthodoxie grécoslave, Paris, 1922, p. 5. C’est nous qui
soulignons. Ce texte est d’abord paru dans la revue jésuite Études en 1920. Dans sa version de
1922, il est préfacé par le Cardinal Mercier, archevêque de Malines, et un des prélats les plus
influents de l’Église catholique de cette époque, notamment en raison de son attitude durant la
guerre. Il serait dommage de résister au plaisir du hasard bibliophile, et de ne pas renvoyer à E.
Kantorowicz, « Pro patria mori », pour une référence à l’attitude du cardinal durant la guerre.
50.  Ibid., p. 6.
51.  C’est le même Théoklitos qui lors de la « Division nationale » de 1915-1917 prononce un
anathème contre Venizélos chef des pro-anglais et pro-guerres. Lors de la prise de pouvoir par
Venizélos en 1917, Théoklitos est démis de ses fonctions, jugé, condamné et remplacé par
Mélétios. Il reprend sa place en 1920 lors du changement de gouvernement.

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52.  Ibid., p. 92. C’est en 1913 par ailleurs que Méléios publie un livre-clef sur la politique russe en
Méditerranée et la manière de la contrer : M. Métaxakis, Το Αγιον Ορος και η ρωσικι πολιτικη εν
Ανατολη (Le Mont Athos et la politique russe en Orient), Athènes, 1913. Mélétios identifie bien le
changement de la politique russe au lendemain de la guerre de Crimée, p. 56-65.
53.  Bratsiotis, op. cit., p. 34. C’est nous qui soulignons.

RÉSUMÉS
La tradition ecclésiale orthodoxe a progressivement modifié le concept d’économie qu’elle
héritait de l’Antiquité et en a fixé le sens avec Basile de Césarée : tout à la fois mode
d’administration divine du domaine terrestre, mode d’appréhension de l’Écriture Sainte et mode
de tolérance de l’erreur humaine. Ce dernier aspect justifie des applications pastorales du dogme
en contradiction avec le droit canon afin de conserver l’unité des chrétiens. Les tentatives de
rapprochement entre orthodoxes et anglicans, initiées par ces derniers, ont ainsi été assorties de
justifications canoniques, mais on finalement échoué pour des raisons politiques.

Orthodox ecclesiastical tradition has progressively modified the concept of economy she
inherited from the Antiquity and has fixed its signification with Basil of Caesarea: in the same
time modus of the divine administration of the earthly domain, modus of apprehension of the
Scriptures and modus of tolerance of human error. This last aspect has justified that some
pastoral implementations of dogma have been in contradiction with canon law in order to
safeguard the unity of Christians. In this perspective, attempts of reconciliation between
Orthodox and Anglican Churches, initiated by the latter, have been canonically justified, but
finally failed for political reasons.

AUTEUR
TASSOS ANASTASIADIS
Institut d’Études Politiques, Paris

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