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ÉTUDES BALKANIQUES
Recherches interdisciplinaires sur les mondes hellénique et balkanique

Cahiers
Pierre Belon

19-20 / 2013-2014

La culture juridique dans les Balkans

Volume dirigé par L. BÉNOU et L. MAYALI

ASSOCIATION PIERRE BELON


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Fondateur
André Guillou

Direction
Lisa Bénou

Comité de la rédaction
Lisa Bénou, Laurent Mayali, Cristina Rognoni, Galia Valtchinova

Comité scientifique
Athanasia Anagnostopoulou, Hélène Antoniadis-Bibicou, Maurice Aymard, Bosco Bojović, Roland
Étienne, Alexandra Galitzin-Loumpet, Jean-François Gossiaux, François Hartog, Georges Kiourtzian,
Georges Kokkonis, Georgia Kourtessi-Philippakis, Georges Koutzakiotis, Alexis Nuselovici, Lydia Pa-
parriga, Despoina Papastathi, Stéphane Sawas, Nicolae Serban Tanasoca

Révision et correction des textes


Danielle Morichon

Réalisation
Anastasia Spaniolétou

Illustration de la couverture :
« MONSTRE MARIN AYANT FAÇON D’ UN MOYNE »
(d’ après Belon)
(Cystophora cristata, Erxl, Phoque à capuchon)

Toutes les photographies reproduites ont été communiquées par les auteurs (T D R).

© Association Pierre Belon (2015)– FMSH, 190, avenue de France, 75013 Paris
apbelon@msh-paris.fr

Diffusion : De Boccard – 11, rue Médicis, 75006 Paris


http://www.deboccard.com

Diffusion internet :
www.cairn.info/listerev.php

ISBN 978-2-910860-20-2
ISSN 2102-5525
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sommaire

Lisa Bénou – Laurent Mayali


Introduction 7

Vers l’unification de la culture juridique 15

Rémy Kormos
Vers l’unification de la culture juridique dans les pays balkaniques :
l’acculturation du droit des affaires 17

Espaces juridiques et tradition byzantine 41

Ivan Biliarsky – Mariyana Tsibranska-Kostova


Legatum iuridicum Sancti Methodii et les Balkans 43

Srđan Šarkić
Organisation du pouvoir en Serbie médiévale 65

Dimitris G. Apostolopoulos
La coexistence de deux espaces juridiques
dans l’Empire ottoman (XVe-XVIe siècles) 89

Despoina Papastathi
Observations sur la culture juridique des Grecs orthodoxes sous la
domination ottomane (milieu du XVe - milieu du XIXe siècle) 101

Sophie Tzortzaki-Tzaridou
Le « vakf chrétien » : une institution ottomane adaptée aux besoins
de la Grande Église 135

Ioannis Chatzakis
Échanges juridiques dans la Crète vénitienne. Observations à l’occasion
de l’institution des « notaires grecs » (notarius in scriptura greca)
(XIIIe-début du XVIe s.) 153
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Droit, État et identité nationale 187

Dafni Penna
Droit déguisé. Quelques considérations sur le rôle du droit byzantin
dans la genèse des codes en Europe orientale au XIXe siècle 189

Lydia Paparriga-Artémiadi
Entre histoire et recta ratio (ὀρθός λόγος) – Techniques des modifications
latentes dans le domaine de la justice du nouvel État hellénique (1828-1831) 211

Dimitrios Antoniou
Entre doctrine et nécessité : l’ œuvre législative de la monarchie
absolue en Grèce (1833-1843) 259

Dragoljub Popović
Les droits fondamentaux dans les deux premières
constitutions serbes (1835 et 1838) 283

Épilogue 303

Milica Popović
La Yougonostalgie – la Yougoslavie au regard des derniers pionniers 305
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Espaces juridiques et tradition byzantine


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Legatum iuridicum Sancti Methodii et les Balkans

Ivan Biliarsky – Mariyana Tsibranska-Kostova


Académie Bulgare des Sciences
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L HÉRITAGE JURIDIQUE
’ de saint Méthode, son activité comme traducteur de
textes légaux forment l’ un des résultats les plus brillants de l’ œuvre des saints
frères de Thessalonique pour les peuples slaves. C’ est de cette façon que fut
composé Methodiana Iuridica, le corpus des textes normatifs ayant aussi une
fonction juridique, qui résulte de la mission des saints Cyrille et Méthode en
Grande Moravie pendant la deuxième moitié du IXe siècle, dont l’ Europe entière
a fêté le 1150e anniversaire en 2013. Tous ces textes furent composés et réunis
soit par saint Méthode lui-même, soit avec la collaboration d’ un ou plusieurs
de ses disciples du cercle littéraire morave, qui eurent le grand mérite de
faire revivre son œuvre après la mort de leur maître et la fin de la mission
qu’ amenèrent les répressions du clergé germanique. Ces traductions formèrent
une collection juridique archétype qui influença depuis le Haut Moyen Âge
le langage légal slave et nous arriva par des copies tardives, complètes ou
dispersées dans d’ autres ouvrages. Cette collection, dont les prémices devraient
être cherchées chez les Slaves occidentaux et les racines dans le Droit de
Byzance, concernait d’ une manière profonde presque tous les peuples slaves
méridionaux et orientaux. Elle faisait et fait partie, sans nul doute, de la culture
juridique des Balkans en tant qu’ un des éléments réunificateurs dans le domaine
du Droit et de l’ État. Les nombreuses études qui s’ y rattachent n’ ont pas encore
précisé avec une certitude complète le volume et le contenu de Methodiana
Iuridica en tant que corpus. À ce stade de la recherche, on peut citer seulement
deux ouvrages effectués par saint Méthode lui-même : le dit Nomocanon de
Méthode (désormais abrégé en NM), le premier nomocanon slave qui représente
une traduction de Συναγωγὴ κανόνων en 50 titres du juriste d’ Antioche puis
patriarche œcuménique Jean le Scholastique (565-577), et la Loi pour juger les gens
(Zakon Soudnyi Ljud’ m’ , désormais ZSL), – une compilation reposant sur le titre
XVII de l’ Ecloga byzantine des Isauriens, promulguée officiellement en 7411.
Ces deux traductions sont les plus anciennes et, grâce à l’ œuvre de saint

1. Ecloga. Das Gesetzbuch Leons III. und Konstantinos’ V., éd. L. BURGMANN, (=Forschungen
zur byzantinischen Rechtsgeschichte, Bd. 10), Frankfort, 1983, p. 10 sq.; Oxford Dictionary of
Byzantium, vol. I, New York-Oxford, 1991, p. 672-673.
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46 IVAN BILIARSKY – MARIYANA T SIBRANSKA-KOSTOVA

Méthode, elles marquent le début de la tradition manuscrite juridique en slavon.


Suivant les évidences de la source hagiographique primordiale de la Vie élargie
de saint Méthode, on pourrait placer leur composition pendant la période de
quinze ans où il exerça ses fonctions d’ archevêque de Moravie et Pannonie et,
abstraction faite des disputes au sujet de la situation exacte du siège de son
diocèse2, sans doute dépendaient-elles de sa dignité archiépiscopale et de son
pouvoir de juger, de créer et d’ initier la création des normes juridiques.
C’ étaient les années les plus fertiles de son activité littéraire pendant lesquelles,
parallèlement aux traductions de l’ Écriture Sainte, saint Méthode initia la
norme linguistique littéraire dans le domaine du Droit, dès le début de la mis-
sion en Grande Moravie.
Au cours des dernières décennies, le vif intérêt porté à l’ œuvre juridique de
saint Méthode a éclairé certains faits nouveaux. Il a été prouvé que l’ unité
intitulée Commandements des Saints Pères de l’ Église du manuscrit glagolitique
Euchologium Sinaïticum (Xe-XIe siècles), traduction slavonne d’ un pénitentiel
franc assez proche du Poenitentiale Merseburgense, VIIIe-IXe siècles, originaire
d’ Italie du Nord, aurait pu être traduit pendant la mission en Moravie par un
des élèves de saint Méthode et non pas par l’archevêque lui-même. C’est une des
plus anciennes traductions slavonnes du latin. Le texte intégral de l’ archétype
se désagrégea assez tôt, mais certaines parties survécurent dans les collections
pénitentielles russes ou slaves méridionales3. Il y a encore un texte traduit qui
est habituellement attribué à la plume de saint Méthode et à l’ héritage juridique
de la mission en Grande Moravie en général, malgré toutes les différences de
genre par rapport aux deux textes susmentionnés. Il s’ agit de l’ homélie intitulée
Напоменmu владаромъ mais connue plutôt sous le nom d’ Homélie ano-
nyme de Glagolita Glocianus, dont nul correspondant grec n’ a été découvert
jusqu’ à nos jours. Son analyse linguistique a suggéré la conclusion que c’ était
aussi une œuvre de saint Méthode. L’ homélie se trouve dans un corpus de textes

2. Il y a une discussion pour savoir où était situé le diocèse archiépiscopal de saint Méthode :
en Grande Moravie, principauté slave d’ Europe Centrale, ou bien dans la région de la rivière
Morava en Pannonie et sa ville de Sirmium où saint Démétrius fut martyrisé ? Sur ces questions,
voir : I. BOBA, Moravia’ s history reconsidered. A reinterpretation of Medieval Sources. La Haye,
1971. Il n’ y a que quelques jours qu’ un nouveau livre traitant ces problèmes a paru : M. BETTI,
The Making of Christian Moravia (858-882). Papal Power and Political Reality, Brill, Leyde, 2013,
passim et plus spécialement р. 9-40.
3. К. А. МАКСИМОВИЧ,    . Латинский пенитенциал VIII века в
церковнославянском переводе (Les commandements des Saints Pères. Un pénitentiel latin du
VIIIe siècle dans une traduction slavonne). Moscou, 2008 ; M. TSIBRANSKA-KOSTOVA, « Le premier
pénitentiel vieux slave Zapovedi svetih otec en tant que modèle de texte », dans Scripta et
E–Scripta, 2004, vol. 2, p. 243-258 ; M. Цибранска-Костова, Покайната книжнина на
Българското средновековие IX-XVIII в. Eзиково-тектологични и културологични аспекти
(La littérature pénitentielle du Moyen Âge bulgare, – aspects de textologie, culture et langage)
Sofia, 2011, p. 56-150.
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LEGATUM IURIDICUM SANCTI METHODII ET LES BALKANS 47

destinés à la lecture liturgique de la Semaine sainte, ce qui confirme la relation


étroite entre la littérature pénitentielle et la période du Carême, en soulignant
son importance pour les Slaves néophytes4.

Le présent article ne se propose pas la tâche ambitieuse de discuter, encore


moins de résoudre tous les problèmes liés à l’ héritage juridique de saint
Méthode, sur lesquels les hypothèses et les conclusions sont jusqu’ à maintenant
fortement politisées et émotionnellement chargées. Notre objectif principal est
de généraliser les résultats des recherches en la matière et de partager nos
observations sur les deux textes principaux classés dans Methodiana Iuridica.
Nous voudrions, d’ ailleurs, préalablement annoncer que ces deux textes, – donc
NM et ZSL –, sont très différents en tant que compositions normatives, aussi
bien au niveau de leur origine que de leur diffusion manuscrite et de leur destin
historique. Les problèmes respectifs qu’ ils posent sont assez différents. C’ est la
raison pour laquelle ils sont présentés séparément, de manière à première vue
hétérogène mais pourtant guidée par le désir d’ apporter une contribution à la
connaissance de l’ héritage juridique de saint Méthode.

La traduction du Nomocanon par saint Méthode

Après les contributions classiques des grands savants de différentes générations


comme A. S. Pavlov, V. Beneševič, I. I. Sreznevski, N. Suvorov, J. Vašica, S. Troicki,
Iv. Žužek, H. Papastathis, Ja. Ščapov, R. Marti, H. Keipert, Iv. Dobrev etc. ainsi
que les recherches, faites au cours des dix à quinze dernières années par K. Maksi-
movič, K. Ilievska, J. Reinhart etc., s’impose la conclusion que le Nomocanon de
saint Méthode mérite d’ être actualisé par une nouvelle recherche monogra-
phique, basée sur les pratiques contemporaines d’ établissement, d’ étude et
d’ analyse linguistique des textes. Cette conclusion peut être confirmée même
par le simple fait que le livre de H. F. Schmid de 19225 n’ a pas eu de successeurs,
exception faite de l’ analyse de M. Tsibranska-Kostova portant en particulier sur
le lexique normatif du NM dans le contexte des monuments classiques paléo-
slaves6. Il faut aussi mentionner les dernières recherches de K. Maksimovič7.

4. CH. PAPASTATHIS, « The origin of the penances in Methodian anonymous Homily », dans
The Legacy of Ss. Cyril and Methodius to Kiev and Moscow. Proceedings of the International congress
on the Millennium of the conversion of Rus’ to Christianity, Thessaloniki, 26-28. 11, 1988, p. 71-74.
5. H. F. SCHMID, Die Nomokanonubersetzung des Methodius. Die Sprache des Joannes
Scholastikus, Leipzig, 1922.
6. M. ЦИБРАНСКА-КОСТОВА, Формиране и развитие на старобългарските лексикални
норми в църковноюридическата книжнина (La formation et le développement des normes
lexicales dans la littérature juridique slave), Sofia, 2000.
7. К.А.МАКСИМОВИЧ, « Паннонские юридические памятники в древнерусской книжности»,
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48 IVAN BILIARSKY – MARIYANA T SIBRANSKA-KOSTOVA

Le Nomocanon de Méthode est pauvrement documenté par des copies qui


nous sont parvenues. L’ original de la traduction en alphabet glagolithique n’ a
pas survécu. Il n’existe que deux copies cyrilliques tardives de provenance russe :
Kormčaja d’ Ustjug, un code sur parchemin de la fin du XIIe -début du XIVe siècle,
conservé dans la collection du comte Rumjantsev (maintenant dans la Biblio-
thèque d’ État de Russie) sous le numéro 260, et la Kormčaja d’ Ioasaph, un code
sur papier du XVIe siècle, correspondant au numéro 54 de la collection synodale
du Musée historique d’ État à Moscou. Elles furent découvertes et étudiées pour
la première fois en 1842 et depuis lors sont restées uniques. Cet état des sources
explique pourquoi les recherches linguistiques sur le texte et l’ utilisation des
arguments philologiques pour son identification prédominent, car on ne peut
pas compter sur la découverte d’ une nouvelle copie qui pourrait changer radi-
calement la situation. La Kormčaja d’ Ustjug reste la source principale pour les
études sur le Nomocanon de Méthode. Malheureusement, elle n’ est pas encore
complètement publiée. La Kormčaja d’ Ioasaph en version digitale est accessible
sur le site de la Laure Troicko-Sergievskaja (www.stsl.ru/map.php). Néanmoins,
chaque nouvelle recherche doit obligatoirement se référer aux éditions
existantes d’ I. I. Sreznevski et de J. Vašica-K. Haderka8. Les parties inédites
de la Kormčaja d’ Ustjug furent publiées par K. Maksimovič révélant le corpus
de NM et de ZSL dans ce codex9.
Les deux copies préservées posent beaucoup de problèmes qui ne sont pas
définitivement résolus, parmi lesquels l’ usage même du terme nomocanon. Le
témoignage unique des sources est la citation dans le XVe chapitre de la Vita
Methodii concernant son activité de traducteur en Moravie (  
,  y  ). Elle réunit la traduction du
Nomocanon avec celle de tous les livres bibliques, sans les Maccabées et les livres
des Saints Pères10. Rappelons qu’ au début de la mission les deux apôtres des

Автореферат дисертации на соискание ученой степени доктора филологических наук


(Les monuments juridiques pannoniens dans la littérature de la Russie ancienne), Мoscou, 2007 ;
IDEM, « Древнейший славянский номоканон Мефодия: история и перспективы изучения »
(Le plus ancien nomocanon slave de saint Méthode : histoire et perspectives de recherche), dans
Ежегодная богословская конференция Православного Свято-Тихоновского гуманитарного
университета, t. 1. Материалы, Moscou, 2007, p. 157-166 ; IDEM, « Лексические и синтактические
кальки в моравском Номоканоне Мефодия » (Les calques lexicaux et syntaxiques dans le
nomocanon de Methode), dans Русский язык в научном освещении, no 2 (18), 2009, p. 125-143.
8. И.И.СРЕЗНЕВСКИЙ, « Обозрение древних русских списков Кормчей книги » (Revue
des anciennes copies de la Kormčaja kniga), dans Сборник ОРЯС Императорской Академии
Наук. СПб., 1897, t. 65, no 2, p. 1-66 ; J.VAŠICA, K. HADERKA « Nomokanon » dans Magnae
Moraviae Fontes Historici, t. 4. Textus Iuridici Suplementa, Brno, 1971, p. 246-363.
9. K. MAKSIMOVIČ, « Aufbau und Quellen des altrussischen Ustjuger Nomokanons » dans For-
schungen zur Byzantinischen Rechtsgeschichte, Band 22, Fontes Minores, 10, Francfort, 1998, p. 477-508.
10. Б. АНГЕЛОВ, ХР. КОДОВ, Климент Охридски. Събрани съчинения (Saint Clément
d’ Ochrid. Œuvres réunies), t. 3. С, 1973, p. 182.
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LEGATUM IURIDICUM SANCTI METHODII ET LES BALKANS 49

Slaves n’ avaient accompli que la traduction du Psautier, des Évangiles et des


Actes des apôtres ainsi que de certains offices liturgiques. Cette citation repré-
sente le premier cas de référence associant le terme nomocanon et l’ activité tra-
ductrice du Maître des peuples slaves. On pourrait se demander d’ où provenait
cette dénomination, étant donné que le Nomocanon slave n’ est pas intitulé,
qu’ il débute par   et qu’ il est suivi d’ une énumération des canons
d’ après le préambule de l’ original byzantin.
La datation de la traduction de NM pose aussi des questions. L’ hagiographe
la situe immédiatement après la visite de l’ archevêque à Constantinople chez
l’ empereur Basile Ier et le patriarche Photios. Cela correspond aux années
882-883, une période fertile pour l’ État de la Grande Moravie, quand il occupa
la Pannonie et renforça son pouvoir sous le règne du grand-duc Svetopolk. En
même temps, l’ existence des gloses dites de saint Emméram, – cinq mots slaves
écrits en caractères latins dans le texte du XXXVe canon apostolique d’ un code
latin de la seconde moitié du IXe siècle –, suggéra l’ idée que la traduction du
NM aurait été faite avant 88011. Cet argument reste isolé à cause du caractère
douteux de la relation entre les gloses et le NM. Traditionnellement, les cinq
mots (quatre substantifs et une préposition) étaient conçus comme témoignage
de son existence et de son utilisation en Grande Moravie au temps de Méthode
lui-même, mais les divergences entre le XXXVe canon des saints Apôtres dans
les deux copies et les gloses sont si importantes que l’ on ne peut parler que de
coïncidence12. Malgré les différences chronologiques, on peut conclure que le
Nomocanon de saint Méthode fit partie de ses dernières traductions les plus
mûres et habiles et se basait sur son expérience antérieure en tant que gouver-
neur provincial, juge et archevêque. Le contenu de la Kormčaja d’ Ustjug atteste
un corpus compact d’ unités bien rangées : le Credo, la Narration sur l’ histoire
des conciles œcuméniques ; le Nomocanon ; neuf canons du Concile in Trullo
(Quinisextus) et le XXVIIe canon apostolique qui s’ y rattache ; les Canons des
saints apôtres Pierre et Paul. Les chercheurs découvrent une attitude intention-
nelle de saint Méthode dans cette classification, saisie sur la base des nombreuses
unités lexicales archaïques. En tout cas, c’ est le corpus du NM dans les sources
qui nous sont parvenues. Cela pose l’ une des futures tâches de la recherche : la
reconstruction scrupuleuse de l’ héritage original juridique de saint Méthode
par rapport au texte préservé dans les sources aurait, en effet, contribué à la
reconstitution de Methodiana Iuridica. Il est bien connu que NM n’ occupe que
les ff. 6v-49r de la Kormčaja d’ Ustjug dont le volume entier englobe 147 ff.
réunis en dix-neuf cahiers. Certains textes de ce code reproduisent le corpus

11. W. LETTENBAUER, « Eine lateinische Kanonesammlung in Mähren im IX Jahrhundert »


dans Orientalia Christiana periodica, XVIII, Rome, 1952, p. 246-269.
12. J. VAŠICA, K. HADERKA, op. cit., p. 264 ; DIONYSIUS EXIGUUS. Opera omnia. Patrologia
Latinae, n° 67. Brepols, Belgique, Turnhout, 1994, p. 145.
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50 IVAN BILIARSKY – MARIYANA T SIBRANSKA-KOSTOVA

du Nomocanon de Jean le Scholastique dans ses copies grecques : donc, saint


Méthode et ses disciples disposaient vraisemblablement d’ un recueil juridique
grec complet, non pas simplement d’ une copie du Nomocanon, qui leur servit
de base pour la traduction slavonne.
Les recherches portent ensuite sur les signes de l’ existence d’ une norme lit-
téraire en Grande Moravie que le texte du NM dégage d’ après ses copies. Sans
doute est-il une traduction de fragments choisis de l’ original grec, réalisée selon
la conception personnelle de saint Méthode et coordonnée aux besoins de son
diocèse slave. Voilà pourquoi, des trois cent soixante dix-sept canons contenus
dans l’ original grec, la version slavonne n’ en retient que deux cent trente-cinq.
Ainsi, cent quarante-deux canons furent omis lors de la préparation de la tra-
duction archétype. Le choix de la collection de Jean le Scholastique ne fut point
fortuit : le Nomocanon possédait une autorité reconnue dans l’ Église romaine ;
deux tiers de ses normes concernaient les pratiques sociales et religieuses dans
les structures territoriales de l’ Église et les relations entre le clergé et les laïcs y
étaient liées. La traduction possédait tous les traits caractéristiques des œuvres
missionnaires en Grande Moravie : la structure du texte ainsi que la langue et
les expressions furent soumises à l’ exigence de clarté et d’ adaptation pour
rendre les normes compréhensibles aux néophytes. La période entre la rédaction
de la traduction archétype en alphabet glagolitique et l’ apparition des copies
cyrilliques a connu des mutations linguistiques correspondant au changement
subi par l’ environnement d’ application du texte. Les deux copies russes attestent
une étape assez avancée du développement de la première traduction, dû au
passage du texte par différentes aires géographiques des langues slaves qui y
laissaient leurs empreintes. Par conséquent, différentes couches linguistiques
s’ étaient déjà créées : la couche archaïque représente un mélange des normes
communes aux textes classiques slavons du Xe-XIe siècles et les traits locaux des
parlers de Pannonie et de Moravie. Cette coexistence suggère l’ idée que le dio-
cèse de saint Méthode se trouvait dans une zone de contact des dialectes slaves
méridionaux et occidentaux. Certaines formes linguistiques du NM ne pourraient
être expliquées que par les pratiques littéraires, caractéristiques d’ une mission
évangélisatrice et d’ un milieu de prosélytisme chrétien, projetées sur le lexique
culturel dialectal de la société morave. On peut donner l’ exemple des mots
d’ origine latine dans le NM qui n’ étaient pas le résultat de l’ utilisation d’ un ori-
ginal latin, ainsi que certains savants le pensaient dans le passé. Leur caractère
occasionnel reflète l’ influence culturelle du milieu morave exposé au latin des
chrétiens. Cette strate lexicale du NM est représentée seulement par missa et
venefikia, ce dernier lexème existant encore dans le texte original grec de Jean
le Scholastique. Le lexème missa, – appellation latine de la liturgie eucharistique–,
est attesté sous la forme de  y, qui correspond à λειτουργία et
θυσία du texte grec et à officio du texte correspondant latin des canons aposto-
liques XXVIII et XLVI, et sous la forme de   pour le verbe grec
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LEGATUM IURIDICUM SANCTI METHODII ET LES BALKANS 51

λειτουργεῖν du titre XX. Tous trois furent corrigés par les éditeurs13. Les copistes
russes, pour lesquels le terme latin missa était incompréhensible, le changèrent
en  (= plus petit) ou en мощи (= reliques).
La deuxième couche est formée des changements effectués lors du séjour
du texte du NM dans un milieu linguistique méridional. Le caractère de com-
pilation du manuscrit d’ Ustiug démontre l’ origine slave méridionale de ses pro-
tographes auxquels les copistes russes ajoutèrent des ouvrages proprement
russes ou traduits dans un milieu oriental. On peut conclure que même s’ il n’ y
a pas de copies bulgares du NM, il ne faut pas mettre en doute l’ hypothèse de
son utilisation dans le Premier Empire bulgare. C’ est une des dernières tra-
ductions de l’ école littéraire de Moravie, effectuée seulement trois ans avant sa
destruction et l’ expulsion des élèves de saint Méthode de Grande Moravie en
885-886 : elle aurait donc partagé le même destin que l’ héritage littéraire morave
en général. Les dernières recherches scientifiques, chacune de son côté,
s’ accordent sur la vieille hypothèse de Joseph Vašica qui postule :

« …l’ influence inverse du Nomocanon bulgare de Preslav sur le texte du NM


actuellement préservé. Ce deuxième nomocanon représentait une traduction
du Syntagma du patriarche Photios en 14 titres, dont les slavisants cherchent
l’ origine en Bulgarie au temps du tsar Siméon le Grand ».

À Byzance, durant le IXe siècle, le Nomocanon de Jean le Scholastique devint


obsolète ; il fut remplacé par la rédaction du Patriarche Photios. Sans doute ce
fait a-t-il limité l’ influence du NM sur la littérature juridique slave en tant
qu’ instrument législatif, mais il a préservé son poids de patrimoine :

– Par la création d’ une terminologie spécialisée et d’ une autorité respectée dans une
nouvelle sphère d’ utilisation de la langue littéraire : le droit canonique par lequel on
introduisait les traditions du droit romain et byzantin. La dépendance du texte
slavon du grec est visible dans les emprunts étrangers, adaptés aux spécificités de la
langue slave, dont certains sont devenus des formes de hapax legomena comme
мардоyрии (église, dédiée à un martyr, μαρτύριον), птихии (asile pour les
mendiants, πτωχεῖoν) et autres.
– Par l’ enrichissement de la langue slave qui a ainsi pu formuler des notions intel-
lectuelles complexes dans le cadre du Droit chrétien. Les outils de traducteur que
l’ on identifie dans le texte témoignent que saint Méthode a intentionnellement
activé l’ utilisation des mots d’ origine slave pour créer une terminologie vernaculaire
dans le système du droit.
– Par la formation du discours juridique influencé par le discours biblique. Cette
influence serait axiologiquement définie, portant sur le rôle primordial de la Bible
dans les nouvelles sociétés converties. Les recherches de J. Reinhard sur les

13. J. VAŠICA, K. HADERKA, op. cit., p. 252, p. 286, p. 327.


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52 IVAN BILIARSKY – MARIYANA T SIBRANSKA-KOSTOVA

vingt-trois citations de l’ Écriture Sainte dans le NM (sept de l’ Ancien Testament et


seize du Nouveau Testament) témoignent que la traduction suivait les citations du
texte originel de Jean le Scholastique, ce qui confirme l’ autonomie de la traduction
slavonne et le respect envers les spécificités du discours juridique14.
– Par l’ instauration de modèles de textes prestigieux, respectés par les écrivains, qui
pourraient assurer la continuité littéraire dans ce domaine. Les traductions de saint
Méthode marquèrent le début de la réception de la culture canonique et juridique
byzantine par les Slaves orthodoxes qui, après que la mission eut été chassée de
Moravie, se poursuivait en Bulgarie, Serbie et Russie comme un paradigme idéolo-
gique, religieux et culturel complexe.

Loi pour juger les gens (ZSL)


ZSL, la loi slave la plus ancienne, pose différentes questions et problèmes, ce
qui détermine notre approche différente de sa présentation. Il faut souligner
qu’ elle avait une autre diffusion et une autre utilisation, évidemment plus larges
que celles du NM. Nous ne disposons d’ aucune copie slave méridionale de son
texte mais elle possède une tradition forte en Russie où il y en a plus de cin-
quante copies. ZSL entre aussi en tant que chapitre 46 dans la Kormčaja impri-
mée du Patriarche Nikon (1653). La fixation idéologique et nationale sur ce
texte a produit un intérêt énorme et en a fait l’ objet de plusieurs recherches et
publications. ZSL a laissé plus de traces dans le Droit des pays slaves que NM,
ce qui fait porter d’ emblée l’ accent sur les problèmes juridiques et moins sur
les questions philologiques et linguistiques. Elle devrait être étudiée dans son
propre contexte historique, similaire à celui qui a vu la rédaction du NM.
C’ était une société en transition, une société de néophytes qui exigeait des
activités missionnaires. C’ était une société où l’ État imposait la nouvelle foi
chrétienne en utilisant tous les instruments possibles utiles à sa politique :
l’ œuvre évangélisatrice de l’ Église, l’ instruction chrétienne ainsi que la répres-
sion par le droit pénal. Le Droit est l’ instrument de formation d’ un type
de comportement et de son argumentation, donc de l’ identité. C’ est un des
instruments du pouvoir les plus efficaces dans son dessein portant sur les
sociétés humaines, et tel était le but de la ZSL, – une loi destinée à l’évangélisation
du pays.
On sait bien que ZSL fut compilée en prenant pour modèle le titre 17 de
l’ Ecloga, ce qui pose le problème du repérage de cette compilation. La thèse des
pionniers de la recherche dans ce domaine était assez traditionnelle : la loi fut

14. Й. РАЙНХАРТ, « Библейские цитаты в Мефодиевском переводе Синтагмы L титулов »


(Les citations bibliques dans la traduction de Méthode du Syntagme en 50 titres), dans Cyrillo-
methodiana, Sborník k uctĕní památky, Mons. Prof.Th Dr Vojtěcha Tkadlčíka, Prague, 2000,
p. 109-124.
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LEGATUM IURIDICUM SANCTI METHODII ET LES BALKANS 53

compilée en Bulgarie pendant la période qui suivit l’ évangélisation du pays15.


Elle était basée sur l’ opinion de la préséance de l’ État bulgare pour ce qui
concerne l’ ancienneté culturelle et littéraire slave. Dès le XIXe siècle, des histo-
riens et juristes russes ont mis en doute cette conclusion16 mais la thèse contraire
sur l’ origine cyrillo-méthodienne de la ZSL se renforça après la parution des
deux articles essentiels de H. F. Schmid et de J. Vašica, publiés à la fin des années
quarante et au début des années cinquante. Elles furent suivies par d’ autres re-
cherches sur ce sujet17. Une dizaine d’ années plus tard, on retrouve une autre
thèse sur l’ origine méthodienne de la ZSL qui repère sa compilation en Macé-
doine, quand le futur archevêque était gouverneur civil d’ une région « slave »
se trouvant dans la vallée de la rivière Strymon18. Le but de son auteur, – le ca-
noniste russe et yougoslave S. V. Troïcki –, était indubitablement politique et
visait à la formation identitaire de la nation macédonienne. Des raisons poli-
tiques et nationales se trouvaient également au fond de la réponse émotionnel-
lement chargée des chercheurs bulgares qui rejetaient (parfois arbitrairement,
hélas) tous les arguments en faveur de l’ origine cyrillo-méthodienne de la ZSL19.

15. БАРОН Г. А. РОЗЕНКАМПФ, Обозрение Кормчей книги и историческом виде, (Aperçu


général historique sur la Kormčaja kniga), Моscou, 1829 ; Н. КАЛАЧОВ, Исследования о русской
правде (Recherches sur Pravda russkaya ), Моscou, 1846 ; Н. КАЛАЧОВ, О значении Кормчей в
системe древняго русского права (Au sujet de l’ importance de la Kormčaja kniga dans le système
de l’ ancien droit russe), Моscou, 1860 ; cf. aussi R. HUBE, O znaczeniu prawa rzymskiego i
rzymsko-byzantyńskiego u narodów słowiańskich, Varsovie, 1868 et B. BOGIŠIĆ, Pisani zakoni na
slovenskom jugu, Zagreb, 1872.
16. А. И. СОБОЛЕВСКИЙ, « Церковно-славянские тексты моравского произхождения »
(Textes slaves d’origine morave), dans Русский филологический вестник, ХLIII, 1900, p. 150-217.
17. H. F. SCHMID, « La legislazione bizantina e la pratica giudiziaria occidentale nel più antico
codice slavo », Atti del Congresso internazionale di diritto romano e di storia del diritto, Verona
27-28-29-IX-1948, a cura di G. MOSCHETTI, vol. I, Milan, 1951, p. 397-403 ; J. VAŠICA, « L’ origine
cyrillo-méthodienne du plus ancien code slave, dit ‘Zakon sudnyj ljudem’ » dans Byzantinoslavica,
XII, 1-2, 1951, p. 154-174 ; J. VAŠICA, « K lexiku Zakona Sudńèho Ljudem », dans Slavistična Revija,
10, 1957, no 1-4, p. 61-66 ; J. VAŠICA, « K otàze původu Zakona Sudńèho Ljudem », dans Slavia,
30, 1961, no 1, p. 1-19 ; F. GRIVEC, « Zakon Sudnyi in Clozov Glagolit », Slovo, 1957, no 6-8,
p. 35-45 ; V. PROCHÀZKA, « Posluchъ et vidokъ dans le droit slave », dans Byzantinoslavica, 20,
1959, p. 231-251 et alii.
18. С. В. ТРОИЦКИЙ, « Мефодий как славянский законодатель » (Méthode comme légis-
lateur slave), dans Богословские труды, сб. 2, Москва, 1961, p. 84-141 ; С. В. ТРОИЦКИЙ,
« Мефодий как автор Закона судного людям » (Méthode comme auteur de la Loi pour juger
les gens), Македoния и македонцы в прошлом (La Macédoine et les Macédoniens dans le passé),
Skopjе, 1970, p. 441-453 ; КР. ИЛИЕВСКА, Законъ соудныи людьмъ (La Loi pour juger les gens),
МAHY, Skopjе, 2004.
19. M. АНДРЕЕВ, « Към въпроса за произхода и същността на ЗСЛ » (Sur la question de
l’ origine et de la nature de la Loi pour juger les gens), dans Годишник на Софийския
университет, Юридически факултет, t. 49, 1957, p. 1-60 ; М. АНДРЕЕВ, « ЗСЛ – старобългарски
правен паметник » (La Loi pour juger les gens : un monument de droit bulgare), dans Правна
мисъл, 1, 1958, p. 13-27 ; М. АНДРЕЕВ, « Является ли ЗСЛ древнеболгарским юридическим
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54 IVAN BILIARSKY – MARIYANA T SIBRANSKA-KOSTOVA

Ces controverses sont très caractéristiques des années cinquante et soixante du


siècle passé, mais après une période de trêve elles réapparurent au cours des
dernières décennies20.
Après cette brève revue des thèses de l’ historiographie, nous voudrions dis-
cuter et proposer une interprétation de deux articles de ZSL qui sont assez re-
présentatifs du contexte historique de la création de la loi. Il s’ agit de celui visant
à une répression contre les pratiquants des cultes païens et de celui concernant
le droit d’ asile. Notre but est de proposer des réponses à certaines questions qui
sont étroitement liées à la discussion présentée ci-dessus. Il s’ agit d’ une régle-
mentation de la position de l’ Église et de la foi chrétienne dans la société et dans
le contexte de situations assez délicates.
Le premier article de la ZSL, qui contient une interdiction des rites païens
et prévoit une peine pour ces pratiques, ne dérive pas du texte de l’ Ecloga. Il
pose deux groupes de questions : le premier concerne l’ origine de la norme (si
elle fut créée par le compilateur de la ZSL, ou fut empruntée à l’ une des consti-
tutions impériales, et laquelle) ; le second touche à l’ importance idéologique,
exprimée par la citation de la Justice divine et du nom d’ un certain saint
Constantin. Nous allons essayer de lier les réponses à l’ héritage de l’ œuvre des
saints frères de Thessalonique chez les Slaves occidentaux.
Il est évident que le premier article de la ZSL est centré sur l’ instauration de
la foi et des mœurs chrétiennes dans le pays où la loi fut créée et, en ce sens-là,
ses objectifs religieux et idéologiques sont indubitables. Ce sont les raisons qui
font situer le texte comme contemporain du début même de la loi et lui accorder
une mention spéciale car il signale la direction et le but principal des normes :
l’ évangélisation d’ un pays récemment converti et l’ instauration des mœurs
chrétiennes. Pour y arriver, il fallait tout d’ abord éradiquer les pratiques
païennes. L’ historiographie bulgare identifie le pays néophyte de la ZSL avec la
Bulgarie du IXe siècle, seule région où, dit-elle, il était besoin d’ une telle inter-
vention légale pour imposer la morale chrétienne. Il faut dire que cela n’ est pas
bien argumenté. Il nous semble qu’ une telle unicité de la situation en Bulgarie
est complètement douteuse et la proposition arbitraire.

памятником ? » (Est-ce que la Loi pour juger les gens est un monument du droit vieux-bulgare ?),
dans Славянский архив, Моscou, 1959, с. 3-22 ; М. АНДРЕЕВ, « Къде е бил създаден ЗСЛ ? »
(Où fut créée la Loi pour juger les gens?), dans Славянска филология, 5, 1963, p. 113-136 ;
М. АНДРЕЕВ, « ЗСЛ – ценен паметник на българската средновековна култура » (La Loi pour
juger les gens : un précieux monument de la culture médiévale bulgare), dans Език и
литература, 1968, 3, p. 1-18 ; В. ГАНЕВ, Законъ соудныи людьмъ (La Loi pour juger les gens),
Sofia, 1959, p. 7-25 ; Б. ЯНОВСКИ, « Още по въпроса за произхода и същността на ЗСЛ » (De
nouveau sur la question de l’ origine et la nature de la Loi pour juger les gens), dans Годишник на
Софийския университет, Юридически факултет, t. 52, 1962, 2, p. 323-404.
20. К. МАКСИМОВИЧ, Законъ соудныи людьмъ, (La Loi pour juger les gens), Моscou, 2004, p. 7.
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LEGATUM IURIDICUM SANCTI METHODII ET LES BALKANS 55

Dans ce contexte, il faut essayer d’ identifier ce saint Constantin et de dé-


couvrir le sens de sa citation. On peut commencer avec les hypothèses faites
jusqu’ à maintenant.
1. L’ identification avec le saint empereur Constantin égal aux apôtres domine
dans l’historiographie russe et bulgare du XIXe siècle. Le baron Gustave Andreevič
Rosenkampf a écrit en 1829 que le nom cité était celui du saint empereur
Constantin, mais qu’ il ne fut mentionné que pour douer la loi de plus grand
prestige21. En tant qu’ argument supplémentaire, on cite les cas de certaines
copies où le personnage mentionné est appelé   
 (Le grand tsar Constantin de Grèce). Le saint empereur est cité
parfois aussi dans le titre de la loi22. Les chercheurs bulgares qui acceptent cette
proposition sont motivés par des raisons nationales, ce qui les fait s’ opposer à
chaque idée de relier la loi aux œuvres de la mission des saints frères de
Thessalonique en Moravie.
2. L’ idée que ledit saint Constantin pourrait être saint Cyrille, sous son nom
de baptême Constantin, fut lancée aussi au XIXe siècle par G. Barats et P. Odžakov,
mais elle resta assez marginale jusqu’ au milieu du XXe siècle23. Après la seconde
guerre mondiale, elle fut développée par J. Vašica qui proposa l’ avis que ce
n’ était pas l’ évangélisation du pays qui aurait été le but primordial de la mission
des saints frères de Thessalonique, à savoir le prêche de la vérité en langue ver-
naculaire, mais la création d’ un code légal pour les besoins du Grand Duc qui
aurait voulu renforcer le pouvoir de l’ État et consolider le réseau ecclésiastique24.
Il faut souligner que le canoniste tchèque était très attentif dans la formulation
de ses conclusions et évitait les affirmations trop catégoriques concernant
l’ identification de saint Constantin25. Il s’ abstenait d’ y voir saint Cyrille, le frère
de saint Méthode, bien qu’ il n’ ait pas consacré à cette thèse une attention par-
ticulière et l’ ait formulée avec des réserves.

21. БАРОН Г. А. РОЗЕНКАМПФ, Обозрение Кормчей книги в историческом виде (Aperçu


général historique sur la Kormčaja kniga ), Моscou, 1829, p. 134-135.
22. Закон судный людем. Краткой редакции (La Loi pour juger les gens. Rédaction courte),
publiée par М. ТИХОМИРОВ, Л. МИЛОВ, Моscou, 1961, p. 21-22, 35, 58 ; M. АНДРЕЕВ, « Къде е
бил създаден ЗСЛ », op. cit., p. 14-15, note 4.
23. Г. БАРАЦ, « Кирилло-Мефодиевские вопросы » (Questions cyrillo-méthodiennes), dans
Труды Киевской Духовной Академии, 1891, т. II, p. 606-680 ; П. ОДЖАКОВ, Старобългарски
закони, открити, събрани и преведени от Петра Оджаков (юрист-канонист), печатани
в I и II книга на „Л. Н. С. Труд“ (Vieilles lois bulgares, découvertes, réunies et traduites par
Pierre Odjakov, juriste et canoniste), Veliko Tarnovo, 1892, p. 33.
24. J. VAŠICA, « L’ origine cyrillo-méthodienne du plus ancien code slave, dit Zakon sudnyj
ljudem », dans Byzantinoslavica, XII, 1-2, 1951, p. 166 ; IDEM, Кирилло-Мефодиевские юридические
памятники, (Des monuments législatifs cyrillo-méthodiens), Вопросы славянского языкознания,
вып. 7, Моscou, 1963, p. 12, p. 22-27, p. 32-33.
25. J. VAŠICA, L’ origine cyrillo-méthodienne...., p. 170, p.173.
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56 IVAN BILIARSKY – MARIYANA T SIBRANSKA-KOSTOVA

3. En effet, la thèse la plus extravagante fut formulée par S. V. Troïcki, qui


affirmait que le dit saint Constantin était l’empereur Constantin V Kopronyme26.
Sans doute est-elle dérivée de sa thèse sur l’ origine macédonienne de la ZSL et
en est-elle complètement dépendante.
Notre avis sur l’ identification de saint Constantin du premier article de la
ZSL est qu’ il s’ agit de l’ utilisation du nom du saint empereur Constantin égal
aux apôtres (isapostolos /gr./, aequalis apostolis /lat./, равноапостолен), visant
au rehaussement du prestige de la loi. Cette thèse est conforme au contexte his-
torique de sa compilation : une mission d’ évangélisation du peuple, ce qui est
une œuvre apostolique ; les saints frères sont égaux aux apôtres, eux aussi, tout
comme saint Constantin. Il faut tenir compte que la politique de Constantin
n’ était pas violente ni brutale envers les païens comme celle des empereurs pos-
térieurs (et spécialement de son fils Constance II) mais qu’ il suivait, lui aussi,
une législation ouvertement chrétienne. Il ne persécuta pas les adeptes des
cultes païens, mais on retrouve ce que M. R. Salzman avait appelé « stimulation
indirecte de la christianisation de l’ Empire » et la création d’ une nouvelle iden-
tité impériale, fondée sur le christianisme. C’ est lui qui instaura la législation
qui permit l’ inscription de l’ Église et de son clergé dans les structures de
l’ Empire, destinée à les unir d’ une manière forte durant plus d’ un millénaire27.
Finalement, il faut dire qu’ indépendamment de la motivation de Constantin et
du caractère de sa politique réelle, les arguments en faveur de notre identifica-
tion proviennent de la tradition qui le considère comme le véritable Évangéli-
sateur de l’ Empire.
Passons au problème suivant de notre recherche : l’ origine de la norme du
premier article de la ZSL. Il nous faut rechercher si elle fut empruntée à une
constitution impériale ou à une loi antérieure et, dans le cas d’ une réponse
positive, de laquelle. Les chercheurs bulgares essayèrent de relier ce texte aux
Responsa du pape Nicolas Ier aux questions du khan Boris-Michel. Ces réponses
font partie du Droit canonique de l’ Église romaine même aujourd’ hui. Elles
ne sont pas simplement des éclaircissements ou un avis personnel du pape

26. С. В. ТРОИЦКИЙ, Св. Мефодий как славянский законодатель (Méthode en tant que
législateur slave), p. 87-89 ; IDEM, Св. Мефодий как автор Закона судного людям (Méthode en
tant qu’ auteur de la Loi pour juger les gens), p. 441-453. M. Andreev écrit, lui aussi, que le nom
de Constantin V Kopronyme, cité dans l’ introduction de l’ Eclogue, pourrait être la cause de la
mention du saint Constantin dans le texte de la ZSL ; M. АНДРЕЕВ, « Към въпроса за произхода
и същността на ЗСЛ » (Sur la question de l’ origine et de la nature de la Loi pour juger les gens),
op. cit., p. 21.
27. Codex Theodosianus, XVI, 2. 1, AD 313 ; XVI, 2. 3, AD 320/329 ; XVI, 2. 7, AD 330 ;
M. R. SALZMAN, « The Evidence of the Conversion of the Roman Empire to Christianity in
Book XVI of the ‘Theodosian Code’ », dans Historia: Zeitschrift für alte Geschichte, Bd. 42, H. 3
(3rd Qtr., 1993), p. 364-367 ; Le Code Théodosien, livre XVI et sa réception au Moyen Âge, éd.
E. MAGNOU-NORTIER, Paris, 2002, p. 20-22, p. 25-26.
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LEGATUM IURIDICUM SANCTI METHODII ET LES BALKANS 57

Nicolas 1er. Elles possèdent le caractère de décision pontificale et présentent des


interprétations obligatoires de certains cas juridiques. Elles ont toutefois les
traits caractéristiques du droit de l’ Église qui se focalise sur le salut et non pas
sur les lois séculaires qui visent à l’ ordre de la société. Habituellement, on cite
les réponses n° 41 et n° 102 dans lesquelles l’ on recherche une coïncidence avec
le texte de la ZSL afin de trouver des arguments en faveur de la compilation de
celle-ci en Bulgarie28. En effet, la ressemblance entre ces textes ne réside que
dans le fait qu’ il s’ agit des païens, non pas dans l’ attitude vers eux. Cette attitude
est d’ ailleurs très différente, malgré la modération de la répression par rapport
aux anciennes constitutions impériales que l’ on retrouve dans la ZSL. Il est à
noter que la loi slave prévoyait des sanctions considérables, tandis que dans ses
réponses le pape Nicolas Ier insistait sur le fait que les idolâtres auraient dû être
convaincus sans aucune répression ni violence, car le but n’ était pas leur puni-
tion, mais leur salut. C’ est toujours la différence principale entre la politique
de l’ Église et celle de l’ État, ainsi que les buts et les moyens pour y parvenir.
Voici donc pourquoi il serait inutile de chercher des relations entre les deux
textes.
Il nous semble évident que l’ on pourrait trouver l’ archétype du texte du pre-
mier article de la ZSL dans une constitution des premiers empereurs chrétiens.
Différentes propositions pour cette identification ont été faites jusqu’ à mainte-
nant, qui recherchent la source de la norme soit dans le Code Théodosien, soit
dans celui de Justinien. C’ est le baron G. A. Rosenkampf qui, le premier, il y a
deux cents ans, proposa ces origines possibles : Codex Theodosianus, livre XVI,
titre X, ou Codex Iustinianus, livre I, titre XI29. Il trouva leurs emprunts naturels
pour un pays récemment converti. De telle façon, le savant russe définit le cadre
des sources possibles et probables d’ une manière assez large, sans citer aucune
constitution particulière. Nous trouvons cette approche la plus correcte.
Presque tous les empereurs de la période située entre le IVe et le VIe siècle
promulguèrent des lois contre les pratiques religieuses païennes. Elles furent
une partie des mesures prises par le pouvoir visant à la christianisation de
l’ Empire. Néanmoins, il faut souligner que les actes contre les hérétiques furent
beaucoup plus nombreux, ce qui veut dire que les divergences dogmatiques
posaient plus de problèmes à l’ État et menaçaient l’ unité et l’ intégrité de

28. М. Андреев, « Къде е бил създаден ЗСЛ ? » (Où fut créée « La Loi pour juger les gens » ?),
op. cit., p. 131 ; M. Андреев, Является ли ЗСЛ древнеболгарским памятником ? (Est–ce que
la Loi pour juger les gens est un monument du droit vieux–bulgare), p. 17 ; M. Андреев,
В Македония ли е бил създаден ЗСЛ ? (La Loi pour juger les gens fut–elle crée en Macédoine),
p. 336 ; В. Ганев, Законъ соудныи людьмъ (La Loi pour juger les gens), Sofia, 1959, p. 182-183.
29. БАРОН Г. А. РОЗЕНКАМПФ, Обозрение Кормчей книги (Aperçu général historique sur la
Kormčaja kniga), p. 140, 128 sq.
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58 IVAN BILIARSKY – MARIYANA T SIBRANSKA-KOSTOVA

l’ Empire plus sérieusement que les restes du paganisme30. Les historiens du


Droit firent beaucoup de tentatives de relier le texte de l’ article en question à
une quelconque constitution impériale et de l’ identifier comme source de la
plus ancienne loi slave31. Nos observations nous ont menés à la conclusion
qu’ il est impossible d’ établir un texte précis auquel la norme de l’ article aurait
été empruntée. Dans ce cas, il ne s’ agit pas d’ une adoption nette, mais de la
continuation d’ une tradition établie par les premiers empereurs chrétiens. À
notre avis, le texte le plus proche du premier article de la loi slave serait la consti-
tution des empereurs Honorius et Théodose II du 8 juin 423 (Codex Theodo-
sianus, XVI, 10, 23), mais cela provient de son caractère plus général et
de l’ absence d’ individualisation de l’ acte criminel (pratique de culte) et du
coupable. Nous croyons qu’il faut se tourner vers ce que le baron G. A. Rosenkampf
écrivit il y a presque deux cents ans : nous devons chercher la source de la norme
de l’ article dans la direction générale de la réglementation édictée par les pre-
miers empereurs romains chrétiens concernant les restrictions imposées aux
païens et à leurs pratiques de culte au moyen du Droit pénal et non pas suivant
le principe d’ une norme individuelle.
Le texte du premier article de la ZSL présente une généralisation de la légis-
lation des souverains chrétiens, basée sur une atténuation considérable de la
répression, caractéristique des siècles précédents, et l’ abandon formel de la
peine capitale pour violation de l’ interdiction des rites idolâtres. Cette consta-
tation pourrait nous aider à proposer certaines idées sur le problème de l’ origine
de la ZSL et indirectement sur sa relation avec la mission morave des saints
frères de Thessalonique. L’ influence du Droit romain ne suggère pas formelle-
ment une réponse mais, sans doute, nous évoque-t-elle certaines images des
personnes qui auraient pu effectuer une telle compilation. Il est évident que ce
travail exigeait un niveau d’ éducation très élevé, une culture générale particu-
lière et une connaissance en droit spécialisée. La compréhension du Droit
romain présuppose une formation juridique, mais aussi une connaissance des
langues, nécessaire pour pouvoir lire les textes. Il faut noter aussi l’ accès
personnel aux livres contenant les copies des lois et d’ autres textes juridiques.
Étant donné que cela se passait au IXe siècle, il n’ y avait que les grands centres
urbains, comme Rome, Constantinople, Thessalonique, ou quelques-unes des
villes principales d’ Europe de l’ Ouest, qui auraient pu offrir un environnement
propice.

30. E. MAGNOU-NORTIER, Le Code Théodosien, livre XVI et sa réception au Moyen Âge,


p. 37-38, p. 68-71.
31. Un des auteurs de cet article a consacré à ces question un article à part : IV. BILIARSKY,
« První stať Zakona sudnyho ljudem a právní dědictví moravské misie svatých bratří Cyrila
a Metoděje », The Cyril and Methodius Mission and Europe-1150 Years Since the Arrival of the
Thessaloniki Brothers in Great Moravia, held on Velehrad, 13.-17.5.2013, sous presse.
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La présence de toutes les conditions mentionnées nous mènent à la conclu-


sion qu’ il n’ y avait pas de personnes suffisamment instruites ni dans la Bulgarie
de ce temps-là, ni en Grande Moravie, ni dans les autres pays slaves non plus.
Il nous semble que ce furent les apôtres du monde slave qui possédaient les
qualités indispensables grâce auxquelles les premiers textes juridiques en slavon
s’ inscrivirent dans le cadre de la littérature slave en plein développement. Leur
éducation, culture et connaissance des langues sont indubitables, ainsi que la
possibilité d’ accès aux textes du Droit romain et aux codes des premiers empe-
reurs chrétiens. Saint Cyrille et son frère, le législateur saint Méthode, auraient
pu en prendre connaissance à Thessalonique aussi bien qu’ à Constantinople.
Ces conclusions pourraient nous aider indirectement lors de l’ identification du
compilateur de la première loi slave.
À nos observations, nous voudrions ajouter quelques réflexions sur le Droit
d’ asile et sa réglementation dans la ZSL, qui, – à notre avis –, suggèrent l’ idée
que le compilateur de la loi était probablement quelqu’ un du clergé ou lié gé-
néralement à l’ Église32. Ici, nous ne proposerons qu’ une interprétation du texte
de l’ article 16 (17 ou 18 selon les copies) de la Loi pour juger les gens qui nous
présente le régime de l’ asile et la responsabilité de sa violation. C’ est un texte
significatif du point de vue idéologique qui pourrait nous suggérer des décisions
concernant l’ origine de la Loi et le milieu où elle fut créée. Dans l’ Empire, la
transition du droit d’ asile des temples païens vers l’ Église et vers ses bâtiments
de culte avait eu lieu très tôt, dès le IVe siècle, mais sans continuité directe avec
l’ époque préchrétienne33. L’ Église devait lutter pour gagner et surmonter la ré-
sistance du pouvoir laïc. Le droit d’ asile se confirmait dans la vie de la
communauté chrétienne par la pratique puis les réglementations canoniques le
généralisaient et le concrétisaient34. La législation impériale d’ avant Justinien
prit en considération le droit d’ asile dans les églises peu après la christianisation
de l’ Empire35. Des renseignements l’ attestant se trouvent dans le Codex Theo-
dosianus36 où la norme restrictive témoigne en faveur de l’ existence d’ une ré-
glementation du refuge dans les temples chrétiens37. L’ empereur Justinien Ier
restreignit par les Novelles les possibilités d’ asile bien qu’ il gardât dans le Codex

32. IV. BILIARSKY, « La responsabilité liée au droit d’ asile dans la plus ancienne loi slave », dans
Responsabilité et Antiquité (Méditerranées, no 36), Paris, 2003, p. 29-32.
33. F. VON WOESS, Das Asylrecht Aegyptens in der Ptolemäerzeit und die spätere Entwiklung,
Münchener Beiträge zur Papyrusforschung, Bd. V, Munich, 1923, p. 229 suiv.
34. L. W. BARNARD, The Council of Serdica, 343 AD, Sofia, 1983 ; P. TIMBAL DUCLAUX DE MARTIN,
Le droit d’ asile, p. 109-110.
35. M. MARTROYE, « L’ asile et la législation impériale du IVe à VIe siècle », dans Mémoires de la
Société nationale des antiquaires de France, t. LXXV, p. 160 suiv.
36. Codex Theodosianus, éd. TH. MOMMSEN, Berlin, 1905, l. IX, tit. XLV, lex 1.
37. M. MARTROYE, ibidem, p. 171 et suiv. ; S. I. HERMAN, « Zum Asylrecht im byzantinischen
Reich », Orientalia Christiana Periodica, 1936, vol. I, n. I-II, p. 205.
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les constitutions de ses prédécesseurs. Du droit d’ asile étaient exclus les homi-
cides, les adultères, les ravisseurs de vierges ainsi que les débiteurs du fisc
(Nov. XVII, 7 ; Nov. XXXVII ; Nov. CXVII, 5, 1)38. Bien évidemment, il s’ agit
seulement d’ une partie de la tendance de l’ État à se libérer des restrictions im-
posées par l’ Église, lesquelles exigeaient une attitude plus humaine vers tous
ceux qui cherchaient protection.
Un grand changement dans la matière du droit d’ asile arrive avec la
législation des empereurs iconoclastes dont la politique était focalisée sur la
limitation des droits de l’ Église dans la sphère publique39. L’ Ecloga, une loi donc
promulguée par cette dynastie, les limitait d’ une façon qui en effet les priva de
sens40. La peine capitale pour le violateur de l’ asile, prévue dans la législation
de Théodose II et Léon Ier, fut remplacée par une peine de douze coups. Le texte
prévoit également la remise du fugitif aux autorités répressives de l’ État contre
la seule garantie de leur part d’ un procès juste. En effet, c’ est un refus de re-
connaître l’ inviolabilité des lieux d’ asile. À l’ époque de la dynastie Macédo-
nienne, on retrouve un processus de restauration de la situation antérieure aux
iconoclastes. C’ est la période de la création de la Loi pour juger les gens, ce qui
rend ce développement en question très important pour notre recherche. Il faut
souligner d’ ailleurs que les Macédoniens ne restaurèrent pas la peine de mort
pour violation du droit d’ asile telle qu’ on la trouvait au Ve siècle. Elle était rem-
placée par une punition plus légère, – les violateurs étaient tondus et envoyés
en exil perpétuel41.
Ainsi, on arrive aux différences les plus importantes entre l’ original grec de
l’ Ecloga et le texte slave de la Loi pour juger les gens, qui reflète un contexte
historique assez différent. Elles concernent les questions suivantes :

1. Qui doit communiquer au prêtre la culpabilité du fugitif et ce qui se passe


avec lui plus tard42. Le texte de l’ Ecloga priva pratiquement l’ Église de la possi-
bilité d’ offrir refuge à ceux qui le cherchaient. Le texte de la Loi pour juger les
gens est considérablement différent :

38. S. I. HERMAN, op.cit, p. 208.


39. S. I. HERMAN, op. cit., p. 214 suiv.
40. Ecloga. Das Gesetzbuch Leons III. und Konstantinos’ V., p. 226.
41. Procheiros nomos, XXXIX, 7 ; Basilica, LX, 45, 19 ; S. I. HERMAN, « Zum Asylrecht im by-
zantinischen Reich », op. cit., p. 215.
42. VL. ALEXIEV, « За правото на убежище и съдебен имунитет » (Pour le droit d’ asile et
l’ immunité judiciaire), Sofia, 1934, p. 29-30 ; V. GANEV, ZSL, p. 441 suiv. ; M. ANDREEV, « Към
въпроса за българското наказателно и процесуално право преди и след покръстването »
(Vers la question du droit bulgare pénal et de la procédure avant et après la conversion au chris-
tianisme), Годишник на СУ, Юридически факултет, t. 57, 1966, Sofia, p. 94.
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LEGATUM IURIDICUM SANCTI METHODII ET LES BALKANS 61

« ... mais le fugitif doit décrire le cas au prêtre et lui confesser sa culpabilité pour
que son crime soit examiné suivant la loi... »43.
Premièrement, la différence concerne celui qui doit communiquer la situation
au prêtre. Le texte de la Loi contraste totalement avec l’ exigence de l’ Ecloga qui
prévoit que le persécuteur présente au prêtre ses motifs de poursuite : en effet,
suivant le texte de la Loi, les fonctionnaires de l’ État (ou bien la personne qui
poursuit le fugitif) étaient écartés du demandeur d’ asile dans l’ Église44.
2. L’ Ecloga arrête que le fugitif doit être livré à celui qui le poursuit et que ce dernier
doit de son côté présenter certaines garanties au prêtre. Au contraire, la ZSL
n’ exige pas la remise du fugitif, bien qu’ il ne soit pas affranchi de la responsabi-
lité pénale. Dans tous les cas, – par l’ argument ex silentio –, il reste sous la pro-
tection de l’ Église jusqu’ au moment où son cas sera résolu suivant la loi45.
3. Enfin, la différence la plus caractéristique entre les deux textes, le grec et le slave,
réside dans la punition pour violation du droit d’ asile46. Dans l’ Ecloga elle est
fixée à douze coups47 tandis que dans la ZSL sont prévus cent quarante (et même
cent quarante quatre) coups occasionnant blessure, ce qui normalement mène
à la mort du condamné. Sans doute s’ agit-il d’ un renforcement de la tendance
en faveur de la reconnaissance de l’ asile durant l’ époque post-iconoclaste.

Il est évident que, par rapport à l’ Ecloga, la norme de la ZSL slave présente
une meilleure défense du droit d’ asile dans les sanctuaires chrétiens. Dès le
début, le poursuivant est écarté du fugitif et de l’ enquête sur sa culpabilité. On
ne livre point ce dernier aux autorités étatiques de justice. La peine pour viola-
tion du droit d’ asile est considérablement plus grave. Nous croyons qu’ il est in-
dubitable que ces changements dans le texte visent justement au renforcement

43. ZSL, Rédaction courte, p. 107, v. aussi p. 38, p. 44, p. 51, p. 62-63, p. 78-79, p. 97 ;
c’ est encore plus clair dans le texte de la rédaction longue : v. Закон судный людем. Пространной
и сводной редакции (La Loi pour juger les gens. Rédaction longue et compilatrice),
éd. M. TIKHOMIROV, Moscou, 1961, p. 142 v. aussi p. 36, p. 62, p. 94-95.
44. I. BILIARSKY, « La responsabilité liée au droit d’ asile dans la plus ancienne loi slave »,
op. cit., p. 22-23.
45. La thèse de VL. ALEXIEV, « За правото на убежище и съдебен имунитет » (Vers le droit
d’ asile et de l’ immunité judiciaire), p. 25 suiv., 29 suiv. concernant les « tribunaux autonomes »
des monastères est entièrement différente et fondée sur l’ idée de l’ immunité judiciaire de certaines
fondations. Néanmoins, nous ne croyons pas qu’ il faille lui consacrer une attention à part, vu
son caractère complètement arbitraire ; I. BILIARSKY, « La responsabilité liée au droit d’ asile dans
la plus ancienne loi slave », op. cit., p. 23.
46. V. GANEV, ZSL, p. 447 ; M. ANDREEV, Към въпроса за българското наказателно и
процесуално право, (Vers la question du droit bulgare pénal et de la procédure avant et après
la conversion au christianisme), p. 94 et suiv. ; K. MАКСИМОВИЧ, Древнейший памятник
славянского права « Закон судный людем »: композиция, переводческая техника, проблема
авторства (Le plus ancien code de droit slave ZSL : composition, technique de traduction,
question de paternité), Византийский временник, t. 61 (86), 2002, p. 30.
47. Ecloga. Das Gesetzbuch Leons III. und Konstantinos’ V., p. 226.
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de l’ influence de l’ Église dans la société. Il est bien évident que l’ un des prin-
cipaux buts de la ZSL était la consolidation des mœurs chrétiennes dans la
société.
Il est bien connu que, dans la Loi pour juger les gens, il y a des textes où la
peine laïque est remplacée par des pénitences ecclésiastiques alternatives. Ce
sont les cas de l’ article 6 (débauche avec une nonne), l’ article 7 (mariage avec
la marraine) et l’ article 15 (incendie)48. C’ est seulement une partie du but
général de la Loi : la réduction des peines et de la répression pénale visant
à la primauté des tâches missionnaires de charité chrétienne. Il est clair que
son objectif était d’ instaurer les mœurs chrétiennes dans une société dont
l’ évangélisation était fragile. Tout cela nous mène à la conclusion que le
compilateur de la plus ancienne loi slave était probablement fort lié aux milieux
ecclésiastiques. Vraisemblablement, c’ était un prélat.
Cette constatation pourrait être liée à la thèse des origines cyrillo-métho-
diennes de la Loi repérées en Europe Centrale, et plus spécialement à celle qui
identifie le compilateur avec saint Méthode, l’ archevêque de Moravie. Un autre
argument dans la même direction est celui de la relation étroite entre la ZSL et
le texte de l’ Écriture Sainte que nous n’ allons que mentionner ici. La bonne
connaissance de saint Méthode des textes bibliques est incontestable, elle est
bien attestée également dans les sources et les recherches. Tous ces arguments
témoignent en faveur de la situation de la compilation de ZSL en Europe
Centrale lors de la mission des saints frères de Thessalonique en Grande
Moravie, particulièrement pour la définir comme une œuvre de saint Méthode.
Cette mission visait à l’ Évangélisation des Moraves, mais ensuite elle devint un
patrimoine chrétien de tous les peuples slaves.
On pourrait dire la même chose de la ZSL : à notre avis, elle fut créée en
Grande Moravie, mais arrivée chez les Russes par l’ intermédiaire des Slaves mé-
ridionaux, sa grande diffusion l’ amena à influencer jusqu’ au Nomocanon
(Kormčaja) imprimé du patriarche Nikon. En ce sens, nous voudrions souligner
encore une fois son importance dans l’ enrichissement du patrimoine commun
des Slaves grâce au rayonnement des lumières byzantines, en tant que para-
digme idéologique et culturel de la culture juridique des Balkans au Moyen Âge.

48. cf. le texte dans l’ édition de M. TIHOMIROV et le commentaire de K. MAKSIMOVIČ,


Древнейший памятник славянского права « Закон судный людем » : композиция,
переводческая техника, проблема авторства (Le plus ancien code de droit slave, ZSL : com-
position, technique de traduction, question de paternité), p. 28.
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SUMMARY

Legatum iuridicum sancti Methodii and the Balkans

Methodius’ s translation of the John the Scholastic’ s Synagogue of 50 titles, and the very
archaic Slavonic compilation « Law for judging people », based upon the 17th chapter
of the Byzantine Eclogue are representative of the legal interests of the Panonian arch-
bishop. These two works illustrate the process of adoption of Byzantine civil and canon
law by the Slavs in the third quarter the 9th century. Methodius’ translation is one of
the most important Slavonic translations. It attests to the richness of the Slavonic literary
language, and reveals the definite influence of the Moravian literary school in the re-
ception of the Byzantine Law. The authorship of the « Law of judging people » may be
inferred from the reference to the ecclesiastical supremacy of the author and to his great
authority in legal matters. The article draws the attention to the passages on the right
of asylum and to the use of Codex Theodosianus, XVI, 10, 23 as a very probable source
for the first article of this work. These two legal sources attest to the importance of mis-
sionary activity among neophytes with clearness of meaning and abridged form of the
content. They show the significance of law and legal culture in the early development
of Slavonic literature in Great Moravia.

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