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ÉTUDES BALKANIQUES
Recherches interdisciplinaires sur les mondes hellénique et balkanique
Cahiers
Pierre Belon
19-20 / 2013-2014
Fondateur
André Guillou
Direction
Lisa Bénou
Comité de la rédaction
Lisa Bénou, Laurent Mayali, Cristina Rognoni, Galia Valtchinova
Comité scientifique
Athanasia Anagnostopoulou, Hélène Antoniadis-Bibicou, Maurice Aymard, Bosco Bojović, Roland
Étienne, Alexandra Galitzin-Loumpet, Jean-François Gossiaux, François Hartog, Georges Kiourtzian,
Georges Kokkonis, Georgia Kourtessi-Philippakis, Georges Koutzakiotis, Alexis Nuselovici, Lydia Pa-
parriga, Despoina Papastathi, Stéphane Sawas, Nicolae Serban Tanasoca
Réalisation
Anastasia Spaniolétou
Illustration de la couverture :
« MONSTRE MARIN AYANT FAÇON D’ UN MOYNE »
(d’ après Belon)
(Cystophora cristata, Erxl, Phoque à capuchon)
Toutes les photographies reproduites ont été communiquées par les auteurs (T D R).
© Association Pierre Belon (2015)– FMSH, 190, avenue de France, 75013 Paris
apbelon@msh-paris.fr
Diffusion internet :
www.cairn.info/listerev.php
ISBN 978-2-910860-20-2
ISSN 2102-5525
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sommaire
Rémy Kormos
Vers l’unification de la culture juridique dans les pays balkaniques :
l’acculturation du droit des affaires 17
Srđan Šarkić
Organisation du pouvoir en Serbie médiévale 65
Dimitris G. Apostolopoulos
La coexistence de deux espaces juridiques
dans l’Empire ottoman (XVe-XVIe siècles) 89
Despoina Papastathi
Observations sur la culture juridique des Grecs orthodoxes sous la
domination ottomane (milieu du XVe - milieu du XIXe siècle) 101
Sophie Tzortzaki-Tzaridou
Le « vakf chrétien » : une institution ottomane adaptée aux besoins
de la Grande Église 135
Ioannis Chatzakis
Échanges juridiques dans la Crète vénitienne. Observations à l’occasion
de l’institution des « notaires grecs » (notarius in scriptura greca)
(XIIIe-début du XVIe s.) 153
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Dafni Penna
Droit déguisé. Quelques considérations sur le rôle du droit byzantin
dans la genèse des codes en Europe orientale au XIXe siècle 189
Lydia Paparriga-Artémiadi
Entre histoire et recta ratio (ὀρθός λόγος) – Techniques des modifications
latentes dans le domaine de la justice du nouvel État hellénique (1828-1831) 211
Dimitrios Antoniou
Entre doctrine et nécessité : l’ œuvre législative de la monarchie
absolue en Grèce (1833-1843) 259
Dragoljub Popović
Les droits fondamentaux dans les deux premières
constitutions serbes (1835 et 1838) 283
Épilogue 303
Milica Popović
La Yougonostalgie – la Yougoslavie au regard des derniers pionniers 305
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L HÉRITAGE JURIDIQUE
’ de saint Méthode, son activité comme traducteur de
textes légaux forment l’ un des résultats les plus brillants de l’ œuvre des saints
frères de Thessalonique pour les peuples slaves. C’ est de cette façon que fut
composé Methodiana Iuridica, le corpus des textes normatifs ayant aussi une
fonction juridique, qui résulte de la mission des saints Cyrille et Méthode en
Grande Moravie pendant la deuxième moitié du IXe siècle, dont l’ Europe entière
a fêté le 1150e anniversaire en 2013. Tous ces textes furent composés et réunis
soit par saint Méthode lui-même, soit avec la collaboration d’ un ou plusieurs
de ses disciples du cercle littéraire morave, qui eurent le grand mérite de
faire revivre son œuvre après la mort de leur maître et la fin de la mission
qu’ amenèrent les répressions du clergé germanique. Ces traductions formèrent
une collection juridique archétype qui influença depuis le Haut Moyen Âge
le langage légal slave et nous arriva par des copies tardives, complètes ou
dispersées dans d’ autres ouvrages. Cette collection, dont les prémices devraient
être cherchées chez les Slaves occidentaux et les racines dans le Droit de
Byzance, concernait d’ une manière profonde presque tous les peuples slaves
méridionaux et orientaux. Elle faisait et fait partie, sans nul doute, de la culture
juridique des Balkans en tant qu’ un des éléments réunificateurs dans le domaine
du Droit et de l’ État. Les nombreuses études qui s’ y rattachent n’ ont pas encore
précisé avec une certitude complète le volume et le contenu de Methodiana
Iuridica en tant que corpus. À ce stade de la recherche, on peut citer seulement
deux ouvrages effectués par saint Méthode lui-même : le dit Nomocanon de
Méthode (désormais abrégé en NM), le premier nomocanon slave qui représente
une traduction de Συναγωγὴ κανόνων en 50 titres du juriste d’ Antioche puis
patriarche œcuménique Jean le Scholastique (565-577), et la Loi pour juger les gens
(Zakon Soudnyi Ljud’ m’ , désormais ZSL), – une compilation reposant sur le titre
XVII de l’ Ecloga byzantine des Isauriens, promulguée officiellement en 7411.
Ces deux traductions sont les plus anciennes et, grâce à l’ œuvre de saint
1. Ecloga. Das Gesetzbuch Leons III. und Konstantinos’ V., éd. L. BURGMANN, (=Forschungen
zur byzantinischen Rechtsgeschichte, Bd. 10), Frankfort, 1983, p. 10 sq.; Oxford Dictionary of
Byzantium, vol. I, New York-Oxford, 1991, p. 672-673.
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2. Il y a une discussion pour savoir où était situé le diocèse archiépiscopal de saint Méthode :
en Grande Moravie, principauté slave d’ Europe Centrale, ou bien dans la région de la rivière
Morava en Pannonie et sa ville de Sirmium où saint Démétrius fut martyrisé ? Sur ces questions,
voir : I. BOBA, Moravia’ s history reconsidered. A reinterpretation of Medieval Sources. La Haye,
1971. Il n’ y a que quelques jours qu’ un nouveau livre traitant ces problèmes a paru : M. BETTI,
The Making of Christian Moravia (858-882). Papal Power and Political Reality, Brill, Leyde, 2013,
passim et plus spécialement р. 9-40.
3. К. А. МАКСИМОВИЧ, . Латинский пенитенциал VIII века в
церковнославянском переводе (Les commandements des Saints Pères. Un pénitentiel latin du
VIIIe siècle dans une traduction slavonne). Moscou, 2008 ; M. TSIBRANSKA-KOSTOVA, « Le premier
pénitentiel vieux slave Zapovedi svetih otec en tant que modèle de texte », dans Scripta et
E–Scripta, 2004, vol. 2, p. 243-258 ; M. Цибранска-Костова, Покайната книжнина на
Българското средновековие IX-XVIII в. Eзиково-тектологични и културологични аспекти
(La littérature pénitentielle du Moyen Âge bulgare, – aspects de textologie, culture et langage)
Sofia, 2011, p. 56-150.
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4. CH. PAPASTATHIS, « The origin of the penances in Methodian anonymous Homily », dans
The Legacy of Ss. Cyril and Methodius to Kiev and Moscow. Proceedings of the International congress
on the Millennium of the conversion of Rus’ to Christianity, Thessaloniki, 26-28. 11, 1988, p. 71-74.
5. H. F. SCHMID, Die Nomokanonubersetzung des Methodius. Die Sprache des Joannes
Scholastikus, Leipzig, 1922.
6. M. ЦИБРАНСКА-КОСТОВА, Формиране и развитие на старобългарските лексикални
норми в църковноюридическата книжнина (La formation et le développement des normes
lexicales dans la littérature juridique slave), Sofia, 2000.
7. К.А.МАКСИМОВИЧ, « Паннонские юридические памятники в древнерусской книжности»,
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λειτουργεῖν du titre XX. Tous trois furent corrigés par les éditeurs13. Les copistes
russes, pour lesquels le terme latin missa était incompréhensible, le changèrent
en (= plus petit) ou en мощи (= reliques).
La deuxième couche est formée des changements effectués lors du séjour
du texte du NM dans un milieu linguistique méridional. Le caractère de com-
pilation du manuscrit d’ Ustiug démontre l’ origine slave méridionale de ses pro-
tographes auxquels les copistes russes ajoutèrent des ouvrages proprement
russes ou traduits dans un milieu oriental. On peut conclure que même s’ il n’ y
a pas de copies bulgares du NM, il ne faut pas mettre en doute l’ hypothèse de
son utilisation dans le Premier Empire bulgare. C’ est une des dernières tra-
ductions de l’ école littéraire de Moravie, effectuée seulement trois ans avant sa
destruction et l’ expulsion des élèves de saint Méthode de Grande Moravie en
885-886 : elle aurait donc partagé le même destin que l’ héritage littéraire morave
en général. Les dernières recherches scientifiques, chacune de son côté,
s’ accordent sur la vieille hypothèse de Joseph Vašica qui postule :
– Par la création d’ une terminologie spécialisée et d’ une autorité respectée dans une
nouvelle sphère d’ utilisation de la langue littéraire : le droit canonique par lequel on
introduisait les traditions du droit romain et byzantin. La dépendance du texte
slavon du grec est visible dans les emprunts étrangers, adaptés aux spécificités de la
langue slave, dont certains sont devenus des formes de hapax legomena comme
мардоyрии (église, dédiée à un martyr, μαρτύριον), птихии (asile pour les
mendiants, πτωχεῖoν) et autres.
– Par l’ enrichissement de la langue slave qui a ainsi pu formuler des notions intel-
lectuelles complexes dans le cadre du Droit chrétien. Les outils de traducteur que
l’ on identifie dans le texte témoignent que saint Méthode a intentionnellement
activé l’ utilisation des mots d’ origine slave pour créer une terminologie vernaculaire
dans le système du droit.
– Par la formation du discours juridique influencé par le discours biblique. Cette
influence serait axiologiquement définie, portant sur le rôle primordial de la Bible
dans les nouvelles sociétés converties. Les recherches de J. Reinhard sur les
памятником ? » (Est-ce que la Loi pour juger les gens est un monument du droit vieux-bulgare ?),
dans Славянский архив, Моscou, 1959, с. 3-22 ; М. АНДРЕЕВ, « Къде е бил създаден ЗСЛ ? »
(Où fut créée la Loi pour juger les gens?), dans Славянска филология, 5, 1963, p. 113-136 ;
М. АНДРЕЕВ, « ЗСЛ – ценен паметник на българската средновековна култура » (La Loi pour
juger les gens : un précieux monument de la culture médiévale bulgare), dans Език и
литература, 1968, 3, p. 1-18 ; В. ГАНЕВ, Законъ соудныи людьмъ (La Loi pour juger les gens),
Sofia, 1959, p. 7-25 ; Б. ЯНОВСКИ, « Още по въпроса за произхода и същността на ЗСЛ » (De
nouveau sur la question de l’ origine et la nature de la Loi pour juger les gens), dans Годишник на
Софийския университет, Юридически факултет, t. 52, 1962, 2, p. 323-404.
20. К. МАКСИМОВИЧ, Законъ соудныи людьмъ, (La Loi pour juger les gens), Моscou, 2004, p. 7.
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26. С. В. ТРОИЦКИЙ, Св. Мефодий как славянский законодатель (Méthode en tant que
législateur slave), p. 87-89 ; IDEM, Св. Мефодий как автор Закона судного людям (Méthode en
tant qu’ auteur de la Loi pour juger les gens), p. 441-453. M. Andreev écrit, lui aussi, que le nom
de Constantin V Kopronyme, cité dans l’ introduction de l’ Eclogue, pourrait être la cause de la
mention du saint Constantin dans le texte de la ZSL ; M. АНДРЕЕВ, « Към въпроса за произхода
и същността на ЗСЛ » (Sur la question de l’ origine et de la nature de la Loi pour juger les gens),
op. cit., p. 21.
27. Codex Theodosianus, XVI, 2. 1, AD 313 ; XVI, 2. 3, AD 320/329 ; XVI, 2. 7, AD 330 ;
M. R. SALZMAN, « The Evidence of the Conversion of the Roman Empire to Christianity in
Book XVI of the ‘Theodosian Code’ », dans Historia: Zeitschrift für alte Geschichte, Bd. 42, H. 3
(3rd Qtr., 1993), p. 364-367 ; Le Code Théodosien, livre XVI et sa réception au Moyen Âge, éd.
E. MAGNOU-NORTIER, Paris, 2002, p. 20-22, p. 25-26.
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28. М. Андреев, « Къде е бил създаден ЗСЛ ? » (Où fut créée « La Loi pour juger les gens » ?),
op. cit., p. 131 ; M. Андреев, Является ли ЗСЛ древнеболгарским памятником ? (Est–ce que
la Loi pour juger les gens est un monument du droit vieux–bulgare), p. 17 ; M. Андреев,
В Македония ли е бил създаден ЗСЛ ? (La Loi pour juger les gens fut–elle crée en Macédoine),
p. 336 ; В. Ганев, Законъ соудныи людьмъ (La Loi pour juger les gens), Sofia, 1959, p. 182-183.
29. БАРОН Г. А. РОЗЕНКАМПФ, Обозрение Кормчей книги (Aperçu général historique sur la
Kormčaja kniga), p. 140, 128 sq.
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32. IV. BILIARSKY, « La responsabilité liée au droit d’ asile dans la plus ancienne loi slave », dans
Responsabilité et Antiquité (Méditerranées, no 36), Paris, 2003, p. 29-32.
33. F. VON WOESS, Das Asylrecht Aegyptens in der Ptolemäerzeit und die spätere Entwiklung,
Münchener Beiträge zur Papyrusforschung, Bd. V, Munich, 1923, p. 229 suiv.
34. L. W. BARNARD, The Council of Serdica, 343 AD, Sofia, 1983 ; P. TIMBAL DUCLAUX DE MARTIN,
Le droit d’ asile, p. 109-110.
35. M. MARTROYE, « L’ asile et la législation impériale du IVe à VIe siècle », dans Mémoires de la
Société nationale des antiquaires de France, t. LXXV, p. 160 suiv.
36. Codex Theodosianus, éd. TH. MOMMSEN, Berlin, 1905, l. IX, tit. XLV, lex 1.
37. M. MARTROYE, ibidem, p. 171 et suiv. ; S. I. HERMAN, « Zum Asylrecht im byzantinischen
Reich », Orientalia Christiana Periodica, 1936, vol. I, n. I-II, p. 205.
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les constitutions de ses prédécesseurs. Du droit d’ asile étaient exclus les homi-
cides, les adultères, les ravisseurs de vierges ainsi que les débiteurs du fisc
(Nov. XVII, 7 ; Nov. XXXVII ; Nov. CXVII, 5, 1)38. Bien évidemment, il s’ agit
seulement d’ une partie de la tendance de l’ État à se libérer des restrictions im-
posées par l’ Église, lesquelles exigeaient une attitude plus humaine vers tous
ceux qui cherchaient protection.
Un grand changement dans la matière du droit d’ asile arrive avec la
législation des empereurs iconoclastes dont la politique était focalisée sur la
limitation des droits de l’ Église dans la sphère publique39. L’ Ecloga, une loi donc
promulguée par cette dynastie, les limitait d’ une façon qui en effet les priva de
sens40. La peine capitale pour le violateur de l’ asile, prévue dans la législation
de Théodose II et Léon Ier, fut remplacée par une peine de douze coups. Le texte
prévoit également la remise du fugitif aux autorités répressives de l’ État contre
la seule garantie de leur part d’ un procès juste. En effet, c’ est un refus de re-
connaître l’ inviolabilité des lieux d’ asile. À l’ époque de la dynastie Macédo-
nienne, on retrouve un processus de restauration de la situation antérieure aux
iconoclastes. C’ est la période de la création de la Loi pour juger les gens, ce qui
rend ce développement en question très important pour notre recherche. Il faut
souligner d’ ailleurs que les Macédoniens ne restaurèrent pas la peine de mort
pour violation du droit d’ asile telle qu’ on la trouvait au Ve siècle. Elle était rem-
placée par une punition plus légère, – les violateurs étaient tondus et envoyés
en exil perpétuel41.
Ainsi, on arrive aux différences les plus importantes entre l’ original grec de
l’ Ecloga et le texte slave de la Loi pour juger les gens, qui reflète un contexte
historique assez différent. Elles concernent les questions suivantes :
« ... mais le fugitif doit décrire le cas au prêtre et lui confesser sa culpabilité pour
que son crime soit examiné suivant la loi... »43.
Premièrement, la différence concerne celui qui doit communiquer la situation
au prêtre. Le texte de la Loi contraste totalement avec l’ exigence de l’ Ecloga qui
prévoit que le persécuteur présente au prêtre ses motifs de poursuite : en effet,
suivant le texte de la Loi, les fonctionnaires de l’ État (ou bien la personne qui
poursuit le fugitif) étaient écartés du demandeur d’ asile dans l’ Église44.
2. L’ Ecloga arrête que le fugitif doit être livré à celui qui le poursuit et que ce dernier
doit de son côté présenter certaines garanties au prêtre. Au contraire, la ZSL
n’ exige pas la remise du fugitif, bien qu’ il ne soit pas affranchi de la responsabi-
lité pénale. Dans tous les cas, – par l’ argument ex silentio –, il reste sous la pro-
tection de l’ Église jusqu’ au moment où son cas sera résolu suivant la loi45.
3. Enfin, la différence la plus caractéristique entre les deux textes, le grec et le slave,
réside dans la punition pour violation du droit d’ asile46. Dans l’ Ecloga elle est
fixée à douze coups47 tandis que dans la ZSL sont prévus cent quarante (et même
cent quarante quatre) coups occasionnant blessure, ce qui normalement mène
à la mort du condamné. Sans doute s’ agit-il d’ un renforcement de la tendance
en faveur de la reconnaissance de l’ asile durant l’ époque post-iconoclaste.
Il est évident que, par rapport à l’ Ecloga, la norme de la ZSL slave présente
une meilleure défense du droit d’ asile dans les sanctuaires chrétiens. Dès le
début, le poursuivant est écarté du fugitif et de l’ enquête sur sa culpabilité. On
ne livre point ce dernier aux autorités étatiques de justice. La peine pour viola-
tion du droit d’ asile est considérablement plus grave. Nous croyons qu’ il est in-
dubitable que ces changements dans le texte visent justement au renforcement
43. ZSL, Rédaction courte, p. 107, v. aussi p. 38, p. 44, p. 51, p. 62-63, p. 78-79, p. 97 ;
c’ est encore plus clair dans le texte de la rédaction longue : v. Закон судный людем. Пространной
и сводной редакции (La Loi pour juger les gens. Rédaction longue et compilatrice),
éd. M. TIKHOMIROV, Moscou, 1961, p. 142 v. aussi p. 36, p. 62, p. 94-95.
44. I. BILIARSKY, « La responsabilité liée au droit d’ asile dans la plus ancienne loi slave »,
op. cit., p. 22-23.
45. La thèse de VL. ALEXIEV, « За правото на убежище и съдебен имунитет » (Vers le droit
d’ asile et de l’ immunité judiciaire), p. 25 suiv., 29 suiv. concernant les « tribunaux autonomes »
des monastères est entièrement différente et fondée sur l’ idée de l’ immunité judiciaire de certaines
fondations. Néanmoins, nous ne croyons pas qu’ il faille lui consacrer une attention à part, vu
son caractère complètement arbitraire ; I. BILIARSKY, « La responsabilité liée au droit d’ asile dans
la plus ancienne loi slave », op. cit., p. 23.
46. V. GANEV, ZSL, p. 447 ; M. ANDREEV, Към въпроса за българското наказателно и
процесуално право, (Vers la question du droit bulgare pénal et de la procédure avant et après
la conversion au christianisme), p. 94 et suiv. ; K. MАКСИМОВИЧ, Древнейший памятник
славянского права « Закон судный людем »: композиция, переводческая техника, проблема
авторства (Le plus ancien code de droit slave ZSL : composition, technique de traduction,
question de paternité), Византийский временник, t. 61 (86), 2002, p. 30.
47. Ecloga. Das Gesetzbuch Leons III. und Konstantinos’ V., p. 226.
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de l’ influence de l’ Église dans la société. Il est bien évident que l’ un des prin-
cipaux buts de la ZSL était la consolidation des mœurs chrétiennes dans la
société.
Il est bien connu que, dans la Loi pour juger les gens, il y a des textes où la
peine laïque est remplacée par des pénitences ecclésiastiques alternatives. Ce
sont les cas de l’ article 6 (débauche avec une nonne), l’ article 7 (mariage avec
la marraine) et l’ article 15 (incendie)48. C’ est seulement une partie du but
général de la Loi : la réduction des peines et de la répression pénale visant
à la primauté des tâches missionnaires de charité chrétienne. Il est clair que
son objectif était d’ instaurer les mœurs chrétiennes dans une société dont
l’ évangélisation était fragile. Tout cela nous mène à la conclusion que le
compilateur de la plus ancienne loi slave était probablement fort lié aux milieux
ecclésiastiques. Vraisemblablement, c’ était un prélat.
Cette constatation pourrait être liée à la thèse des origines cyrillo-métho-
diennes de la Loi repérées en Europe Centrale, et plus spécialement à celle qui
identifie le compilateur avec saint Méthode, l’ archevêque de Moravie. Un autre
argument dans la même direction est celui de la relation étroite entre la ZSL et
le texte de l’ Écriture Sainte que nous n’ allons que mentionner ici. La bonne
connaissance de saint Méthode des textes bibliques est incontestable, elle est
bien attestée également dans les sources et les recherches. Tous ces arguments
témoignent en faveur de la situation de la compilation de ZSL en Europe
Centrale lors de la mission des saints frères de Thessalonique en Grande
Moravie, particulièrement pour la définir comme une œuvre de saint Méthode.
Cette mission visait à l’ Évangélisation des Moraves, mais ensuite elle devint un
patrimoine chrétien de tous les peuples slaves.
On pourrait dire la même chose de la ZSL : à notre avis, elle fut créée en
Grande Moravie, mais arrivée chez les Russes par l’ intermédiaire des Slaves mé-
ridionaux, sa grande diffusion l’ amena à influencer jusqu’ au Nomocanon
(Kormčaja) imprimé du patriarche Nikon. En ce sens, nous voudrions souligner
encore une fois son importance dans l’ enrichissement du patrimoine commun
des Slaves grâce au rayonnement des lumières byzantines, en tant que para-
digme idéologique et culturel de la culture juridique des Balkans au Moyen Âge.
SUMMARY
Methodius’ s translation of the John the Scholastic’ s Synagogue of 50 titles, and the very
archaic Slavonic compilation « Law for judging people », based upon the 17th chapter
of the Byzantine Eclogue are representative of the legal interests of the Panonian arch-
bishop. These two works illustrate the process of adoption of Byzantine civil and canon
law by the Slavs in the third quarter the 9th century. Methodius’ translation is one of
the most important Slavonic translations. It attests to the richness of the Slavonic literary
language, and reveals the definite influence of the Moravian literary school in the re-
ception of the Byzantine Law. The authorship of the « Law of judging people » may be
inferred from the reference to the ecclesiastical supremacy of the author and to his great
authority in legal matters. The article draws the attention to the passages on the right
of asylum and to the use of Codex Theodosianus, XVI, 10, 23 as a very probable source
for the first article of this work. These two legal sources attest to the importance of mis-
sionary activity among neophytes with clearness of meaning and abridged form of the
content. They show the significance of law and legal culture in the early development
of Slavonic literature in Great Moravia.