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L’étude de la théorie générale des conflits de lois ne peut se faire sans une référence à
l’histoire. Pour ce faire, il conviendra de consacrer quelques développements à l’évolution
historique des conflits de lois qui servira d’introduction à cette partie qui comportera deux titres.
Dans le premier, il sera question d’étudier la pluralité des méthodes possibles pour résoudre les
conflits de lois (Titre I). Parmi toutes ces méthodes, c’est celle savignienne qui semble
prédominer en droit international privé comparé. Motif pris de cette observation, elle fera
l’objet d’une étude approfondie dans le Titre II.
Pour s’imprégner de l’histoire des conflits de lois, il n’est pas fortuit d’utiliser comme
prisme d’analyse le Code civil. Ce choix peut sembler étonnant pour introduire le cours de droit
international privé d’un pays africain comme le Sénégal qui a codifié une bonne partie de sa
législation nationale. Plusieurs arguments peuvent toutefois justifier une telle approche.
D’une part, d’un point de vue historique, il est difficile de dissocier l’histoire des conflits
de lois au Sénégal ou de tout autre pays francophone de l’Afrique au Sud du Sahara de l’analyse
historique du système français de droit international privé. Du moins, si on veut bien exclure la
période précoloniale de cette étude historique. En effet, jusqu’aux différentes codifications
intervenues après l’indépendance, le système juridique français combinait le droit métropolitain
et le droit applicable dans les colonies. Ainsi, à l’exception des solutions apportées aux conflits
de lois internes, les litiges de droit privé entre étrangers survenant dans les territoires coloniaux
étaient tranchés sur la base du droit international privé français, notamment par l’application
des dispositions éparses du Code civil réglementant les conflits de lois dans l’espace. C’est ce
même droit qui était appliqué dans la phase de transition législative après que les pays africains
aient accédé à leur souveraineté internationale. L’une des difficultés résulte néanmoins du
constat que le droit international privé français a été présenté par un auteur comme un îlot de
droit coutumier au sein d’un système juridique codifié à cause de son caractère essentiellement
jurisprudentiel3. Pour cette raison, la transposabilité des règles françaises de droit international
privé n’a jamais été envisagée de manière formelle par les autorités coloniales comme elles ont
3
Y. LOUSSOUARN, « Les vicissitudes de la codification du droit international privé français » in, On the
progressive unification of private law, Liber amicorum G.-A.-L. DROZ, The Hague, 1996, p. 119 ss. V. aussi, P.
LAGARDE, « Sur la non codification du droit international privé français », Syracuse Journal of International
Law and Commerce, Vol. 25 [], Iss. 1, Art. 4, pp. 45-49.
3
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à le faire par exemple en matière civile ou commerciale par l’application directe du Code de
commerce et du Code civil dans les colonies. Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence
française a influencé et continue encore d’irradier par ses solutions le droit positif africain.
D’autre part, et on aura insisté beaucoup sur cette question dans les développements ci-
dessus, le droit international privé a une histoire commune qui transcende celle propre à un
système juridique étatique donné. Il n’est pas arbitraire dès lors d’étudier l’histoire des conflits
de lois au Sénégal sous le prisme de celui du droit international privé comparé au sein duquel
on peut ranger le droit international privé français.
Les constructions doctrinales qui ont forgé l’histoire du droit des conflits de lois sont
perceptibles dès le début du 14ème siècle. Elles ont donné naissance aux premiers courants de
pensées en droit international privé. En substance, les théories qui ont marqué cette époque ont
émané de l’école des statuts. Le mérite de la doctrine statutaire est d’avoir envisagé pour la
première fois la césure entre la compétence judiciaire et la compétence législative avec la
possibilité subséquente d’appliquer un droit étranger par les juges du for.
L’histoire prédoctrinale du droit international privé ignorait cette dissociation entre la
compétence judiciaire et la compétence législative car le régime applicable se caractérisait dans
un premier temps par celui dit de la personnalité des lois. En vertu de ce régime, chaque individu
était régi par la loi du groupe ethnique auquel il appartenait. Dès lors, il existait un véritable
droit de vivre selon sa loi personnelle qui excluait toute possibilité de conflit de lois. S’il en
était ainsi, c’est en raison d’une part, de la sédentarisation des communautés et surtout, leur
autarcie. D’autre part, l’inexistence du conflit de lois résultait de l’absence d’étatisation des
territoires. La problématique du conflit de lois n’apparaissait pas alors dans des systèmes où la
personnalité des lois était le régime en vigueur. Il était a priori impensable d’appliquer à un
individu le droit d’un autre groupe ethnique que le sien. En outre la question du droit applicable
était absorbée par celle de la compétence juridictionnelle.
Dans l’Europe du Haut Moyen Age, le régime de la personnalité des lois allait peu à peu
s’effacer pour de multiples raisons parmi lesquelles on peut citer : l’effacement de la
connaissance des lois, le mélange entre les peuples et leurs droits, l’apparition de pouvoirs à
4
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fondement territorial, l’existence de régimes fonciers spéciaux ayant territorialisé certaines lois.
D’un système personnaliste, l’on est passé à un système territorialiste. La féodalité, en Europe,
va, du point de vue de l’applicabilité des lois, être fondée sur le principe de leur territorialité.
Le lien d’un litige avec le territoire justifiait l’application systématique du droit local dans la
mesure où chaque autorité territoriale entendait exercer sa souveraineté aussi bien sur le plan
législatif qu’au plan juridictionnel.
Ce lien a été rompu successivement par les doctrines particularistes et les constructions
universalistes qui les suppléèrent. Après avoir envisagé l’étude des doctrines particularistes au
sein desquelles l’école des statuts a un rayonnement spécifique (I), nous envisagerons l’analyse
sommaire des constructions universalistes (II).
Dans les constructions particularistes, les réflexions doctrinales statutaires ont eu une
grande résonance. Néanmoins dans le temps et dans l’espace, trois écoles statutaires se sont
succédées. Il s’agit de l’école italienne des statuts (A), l’école française (B) et l’école
hollandaise (C).
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habitant de Bologne venait conclure un contrat à Florence, ou bien commettait un délit à Milan
?
Pour y répondre, l’école des glossateurs parmi lesquels BARTOLE s’est
particulièrement illustré, a indiqué que pour résoudre ces conflits de statuts, il fallait partir des
statuts pour fixer leur emprise dans l’espace. C’est ainsi que progressivement, les statuts ont été
classés par catégories. Exemple : on a constaté que les statuts relatifs à la personne, c’est-à-dire
tout ce qui concerne la capacité, le pouvoir etc. devaient de par la matière qu’ils régissaient
suivre la personne en ses déplacements et s’appliquer à elle où qu’elle se trouve. Il eût en effet
été gênant qu’au gré de ses déplacements, cette personne voit sa capacité obéir à des règles
différentes. Ainsi naissait l’ « extraterritorialité » des statuts. A l’opposé, il fut très tôt admis
que les statuts gouvernant les biens devaient du fait de leurs objectifs avoir une portée
territoriale et s’appliquer à tous les biens situés dans le ressort de la ville, quelle que soit la
nationalité de leur propriétaire.
D’un point de vue méthodologique, les statutaires italiens ont proposé une série de
solutions qui demeurent contemporaines pour l’essentiel. La distinction entre statuts réels et
statuts personnels est posée. Les premiers n’ont pas d’effets extraterritoriaux contrairement aux
seconds. À coté de cette summa divisio, les statutaires italiens ont aussi proposé des règles de
rattachement applicables aux délits régis par la loi du lieu de leur survenance, et celles
applicables à la forme des actes juridiques régie par la loi du lieu de passation. Ils ont également
procédé à la distinction entre la procédure et le fond. La procédure est régie par la loi du juge
saisi alors que le fond du litige peut être régi par une loi étrangère. Cette démarche a été reprise
et approfondie en France aux XVIe et XVIIe siècles par deux juristes, DUMOULIN et
D’ARGENTRE.
Alors que pour l’école italienne des statuts, la distinction entre statuts réels et personnels
constituait une classification s’insérant dans un ensemble plus vaste comprenant aussi les statuts
relatifs à la procédure, à la forme des actes, les statutaires français vont amplifier la distinction
entre statuts réels et personnels pour en faire la « summa divisio » du droit des conflits de
coutumes. Les statuts réels deviennent la règle et les statuts personnels, l’exception. La
prépondérance accordée au statut réel trouve son explication dans la tradition juridique suivie
en France, à cette époque, où les statuts personnels étaient beaucoup limités qu’en Italie, par
exemple.
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Au contraire des statutaires italiens et français, les statutaires hollandais n’ont pas
réfléchi à des solutions concrètes mais ont plutôt analysé le fondement de l’application des
coutumes ou lois étrangères dans le for. Elle est marquée par les réflexions des frères VOET,
de RODENBURG et HUBER...
L’école hollandaise pose le problème du droit applicable et spécialement du droit
étranger applicable non plus sous l’angle de la justice et de la rationalité, mais du point de vue
du pouvoir de chaque ordre juridique souverain. Le fondement de cette application est à
rechercher dans la notion de « comitas gentium ». On a parfois interprété cette expression en
lui donnant le sens de « courtoisie internationale ».
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Les constructions universalistes ont été marquées par les travaux de Mancini et de
Savigny au début du 19ème siècle. Les théories proposées par ces juristes émérites sont
universalistes en ce qu’elles n’étaient pas pensées pour et à partir d’un système juridique donné
mais plutôt pour l’ensemble des États de tradition romano-germanique. Elles véhiculent ainsi
un certain internationalisme malgré leurs influences nationalistes en arrière-plan. C’est
notamment un des paradoxes de la théorie de MANCINI (A) qui constitue à coté de la théorie
de SAVIGNY, les constructions universalistes majeures qu’a connues l’Europe occidentale.
A – La théorie de MANCINI
4
MANCINI, « De l’utilité de rendre obligatoires pour tous les États, sous la forme d’un ou de plusieurs traités
internationaux, un certain nombre de règles générales du Droit international privé, pour assurer la décision
uniforme des conflits entre les différentes législations civiles et criminelles », Clunet 1874, pp. 221-239 & pp. 285-
304.
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rangées dans la catégorie des lois d’ordre public qui embrassait un large domaine et des
questions hétéroclites : les lois de droit public, les lois pénales, les propriétés foncières, la
responsabilité civile extracontractuelle. Pour expliquer l’application de la loi locale à toutes ces
questions, MANCINI estime que l’exclusion des étrangers à la communauté nationale ne les lie
pas moins à celle-ci en raison de leur résidence. Ainsi, sur toutes ces questions, il justifie
l’application de la loi territoriale et renonce donc de manière subséquente à l’application de la
loi italienne aux litiges impliquant des italiens résidant à l’étranger. Sous un autre registre, il
abdique à la loi personnelle dans les conflits de lois portant sur les obligations contractuelles et
ceux relatifs à la forme des actes juridiques pour des raisons pratiques.
Le statut personnel restait donc le domaine d’influence du personnalisme mancinien.
Entendu de manière hypertrophique car englobant outre l’état et la capacité des personnes, les
successions, les régimes matrimoniaux et le régime des meubles, il était régi par la loi
personnelle.
B – La théorie de SAVIGNY
5
Code civil espagnol de 1889.
9
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Il ne part plus de la règle de droit mais plutôt du rapport de droit dès lors qu’il présente
la règle de droit comme une norme de coordination des intérêts privés et non celle d’intérêts
publics. Il crée dès lors une équivalence entre la loi du for et la loi étrangère. Le droit applicable
sera donc celui qui est en vigueur au lieu où le rapport de droit se localise. Ainsi, le droit
applicable sera celui du pays où le rapport de droit à son siège peu importe que celui-ci soit la
loi du for ou une loi étrangère. Cette perspective amène SAVIGNY à rechercher spatialement
le siège du rapport de droit des différentes catégories du droit international privé. Il en répertorie
un certain nombre. Il distingue ainsi les rapports personnels, des rapports aux biens. Il envisage
également l’étude des rapports fondés sur les actes juridiques et les faits juridiques. Quatre
catégories du dip sont ainsi érigées : le statut personnel, le statut réel, le statut contractuel et le
statut délictuel. Pour chaque catégorie érigée, SAVIGNY procède à la localisation du rapport
de droit au moyen d’un rattachement permettant de déterminer dans l’espace son siège. Il
localise les rapports inclus dans le statut personnel au domicile de l’individu contrairement à
MANCINI qui prodiguait l’application de la loi nationale. Il localise ensuite les relations qui
prennent racine au cœur du statut réel au lieu de situation du bien. En ce qui concerne les actes
juridiques, il envisage une césure entre la forme et le fond. La forme des actes juridiques est
censée produire des effets au lieu de sa passation tandis que le fond des actes juridiques produit
ses effets au lieu de l’exécution des obligations. Enfin, SAVIGNY localise les obligations
engendrées par un délit ou un quasi-délit au lieu de leur survenance.
Parmi ces toutes ces constructions doctrinales, quelles sont celles qui ont le plus
influencé le Code civil. Les développements ci-dessous avancent quelques réponses.
Les nombreuses théories répertoriées en Europe occidentale n’ont pas laissé indifférent
le droit international privé français tel qu’il est réglementé par le Code civil. Avec le Code civil,
le droit international privé français a une déclinaison territorialiste. On peut l’expliquer par
l’influence de l’étatisation des territoires. En droit international privé, celle-ci se traduit par
l’hégémonie de la règle de conflit unilatérale (Section I). L’évolution du droit international
10
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privé français au 20ème siècle est au rebours d’une telle caractéristique. Elle reste marquée par
le développement de la méthode comparative qui s’illustre par la prise en compte d’idéaux
communs dans l’élaboration des règles de conflit lois (II).
Le Code civil français a des rapports très ténus avec le droit international privé. Les
rares incursions du législateur en dip font montre toutefois que les constructions universalistes
théorisées pour l’essentiel postérieurement au Code civil ont eu une influence marginale sur les
solutions qui y sont proposées pour trancher les conflits de lois dans l’espace (§I). Cette
constante semble être en porte-à-faux avec la jurisprudence qui face aux lacunes du Code civil
en droit international privé a sécrété des solutions palliatives pour doter aux catégories de
rattachement délaissées des règles de conflit de lois pour l’essentiel influencées par la méthode
savignienne (§II).
Les théories statutaires ont davantage eu une emprise sur les règles de conflit peu
nombreuses que le Code civil comptait après sa promulgation. Pour s’en convaincre, il suffit de
remarquer que l’article 3 du Code civil se contente de fixer le domaine d’application de la loi
française dans trois typologies de matières sujettes à des conflits de lois dans l’espace.
La jurisprudence est en général considérée comme une source de la règle de droit. Face
à un vide juridique, le juge ne peut se cacher derrière les lacunes du droit positif pour refuser
de statuer et trancher le litige. En droit international privé français, cette source informelle de
la règle de droit a été particulièrement utile en raison des catégories délaissées par le Code civil
et de la formulation unilatéraliste des règles de conflit de lois qui y sont contenues. Saisies à
l’occasion de litiges soulevant des conflits de lois dans celles-ci, les juridictions françaises ont
eu à proposer des solutions qui ont été réajustées progressivement. Ses solutions, pour
l’essentiel se sont inspirées du modèle savignien rompant avec l’arrière-plan unilatéraliste des
règles de conflit issues du Code civil. On aurait pu s’imaginer que la jurisprudence allait juste
s’employer à combler les lacunes du droit positif français (A). Pourtant, elle n’a pas été
indifférente aux règles de conflits de lois adoptées par le Code (B).
La catégorie des contrats reste une des catégories du droit international privé français
que le Code civil a totalement occultée. En effet, dans le Code napoléon, on ne trouve aucune
disposition qui tranche de façon explicite ou implicite les conflits de lois survenant en matière
12
L3- Droit International Privé
Ce chantier a débuté par l’arrêt AMERICAN TRADING qui définit le 5 décembre 1910
la règle de conflit de lois applicable6. Il reconnut alors compétence à la loi d’autonomie. Les
faits de l’espèce étaient les suivants : l’avarie de sacs de froment achetés par l’American
Trading Company a poussé cette dernière à assigner en justice la Québec Steamship, débitrice
de l’obligation de livrer des marchandises ainsi que le capitaine du navire les ayant affrétées.
L’argument de Québec Steamship a été d’invoquer la clause d’irresponsabilité contenue dans
la charte-partie, argument qui fut querellé par la société demanderesse car de telles clauses
étaient réputées invalides par le droit new yorkais qu’elle prétendait applicable au contrat en
vertu de la règle locus regit actum. Se posait dès lors la question de la loi applicable au contrat.
Dans un attendu de principe, la Cour de cassation posa une solution qui allait avoir droit de cité
en droit international privé français des contrats. En effet, elle retint : « la loi applicable aux
contrats, soit en ce qui concerne leur formation, soit quant à leurs effets et conditions, est celle
que les parties ont adoptée ; que si entre personnes de nationalités différentes, la loi du lieu où
le contrat est intervenu est en principe celle à laquelle il faut s’attacher, ce n’est donc qu’autant
que les contractants n’ont pas manifesté une volonté contraire ; que non seulement cette
manifestation peut être expresse mais qu’elle peut s’induire des faits et circonstances de la
cause, ainsi que des termes du contrat ».
Par la suite, ces solutions ont été partiellement remaniées. L’application de la loi du lieu
de conclusion en l’absence de choix de la loi applicable par les parties devenant de plus en plus
6
GADIP, AMERICAN TRADING, arrêt n° 11.
13
L3- Droit International Privé
inadaptée, la jurisprudence française a proposé une nouvelle règle de conflit. Lorsque les parties
n’avaient pas choisi de loi applicable, la directive qui s’imposait alors au juge était de procéder
à la localisation du contrat. Cette solution découlait de la jurisprudence FOURRURES RENEL7
qui a disposé dans son attendu de principe que « la loi applicable aux contrats, en ce qui
concerne leur formation, leurs conditions ou leurs effets est celle que les parties ont adoptée ;
à défaut de déclaration expresse de leur part, il appartient aux juges du fond de rechercher
d’après l’économie de la convention et les circonstances de la cause, quelle est la loi qui doit
régir les rapports des contractants ». Cette directive laissait donc un grand pouvoir
d’appréciation aux juges du fond pour la détermination de la loi applicable. Une telle
désignation échappait d’ailleurs au contrôle de la Cour de cassation8. Elle ne prévoyait de
surcroît aucune présomption de sorte qu’il y avait une certaine imprévisibilité du droit
applicable en ce sens que la loi finalement déclarée applicable pouvait surprendre l’attente des
parties. Dans cette perspective, la jurisprudence française a retenu une panoplie d’indices
rendant casuistique la recherche du droit applicable en matière contractuelle. Pour autant,
l’activité jurisprudentielle dense a eu certains effets bénéfiques.
7
Civ. 1ère 6 juillet 1959, GADIP, arrêt n° 35.
8
En ce sens, Civ. 29 juin 1971, JDI 1972, KAHN, p. 51.
9
L’attendu de principe de l’arrêt AMERICAN TRADING préc., donnait un certain crédit à cet indice de
localisation. Il semblait instituer une présomption rigide en faveur de l’application de la loi nationale commune
des parties en l’absence de choix de loi. Pour des décisions jurisprudentielles ayant donné compétence à la loi
nationale commune des parties, cf. Civ. 31 mai 1932, État français c/Vve Carathéodory, RCDIP 1934, NIBOYET,
p. 909 ; Civ. 9 octobre 1956, RCDIP 1957, BATIFFOL, p. 572 ; Paris, 10 juin 1967, JDI 1968, DAYANT, p. 100.
10
BATIFFOL & LAGARDE, « Droit international privé », LGDJ, Tome I, 7ème édition, n° 267.
11
En ce sens, Civ. 24 avril 1952, RCDIP 1952, p. 502, MOTULSKY ; Civ. 28 mars 1960, RCDIP 1960, p. 202,
BATIFFOL; Civ. 15 juin 1982, JDI 1983, KAHN, p. 602.
12
En ce sens, Paris 21 mai 1957, RCDIP 1958, FRANCESCAKIS, p. 128 ; Civ. 15 février 1972, RCDIP 1973,
BATIFFOL, p. 77 ; Civ. 16 février 1994, RCDIP 1994, H. MUIR-WATT, p. 341 ; Civ. 1er juillet 1981 Total
Afrique, RCDIP 1982, P. LAGARDE, p. 336.
14
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l’application de la loi de la juridiction saisie dont la compétence a été décidée par les parties
par le biais d’une clause electio fori13.
Les débats ont été nettement plus tranchés lorsqu’il a fallu ériger le lieu de conclusion
et le lieu d’exécution du contrat en rattachement subsidiaire en l’absence de loi d’autonomie.
La jurisprudence française a été particulièrement fluctuante à ce propos même si le choix
définitif a semble t-il porté sur le lieu d’exécution14. Le lieu de conclusion du contrat avait
pourtant des avantages certains. Ils avaient pour nom la prévisibilité et l’unicité du droit
applicable. Ses inconvénients ont paru cependant décisifs dans l’arbitrage fait par les magistrats
français. Ce rattachement comportait également certaines carences décisives.
Traditionnellement adapté à la configuration autarcique des économies nationales, le lieu de
conclusion du contrat est devenu par la suite un indice insignifiant dans un contexte d’ouverture
des économies aux investissements, aux circulations des personnes, des capitaux et des biens.
Le développement des moyens de communication rendait derechef fortuit le lieu de rencontre
des agents d’affaires. Par ailleurs, cet indice de localisation s’accommode aujourd’hui mal à la
dématérialisation progressive des lieux de formation du contrat avec la percée insistante de
l’électronique dans le domaine des affaires15.
L’application de la loi du lieu d’exécution du contrat a eu par contre la faveur des
décisions judiciaires mettant en œuvre la jurisprudence FOURRURES RENEL. Les raisons ne
manquent pas. Cet indice de localisation assure d’abord une certaine prévisibilité du droit
applicable aux parties comme aux tiers du moins lorsqu’il est juridiquement et matériellement
déterminable. Généralement, c’est le lieu d’exécution qui offrira de cadre aux contestations et
aux litiges. En ce sens, il favorise la rencontre du for et du jus. Par ailleurs, pour localiser
certains contrats à l’instar « du contrat de travail, le dépôt, le mandat, le prêt, la représentation
ou la concession»16, le lieu d’exécution demeure un rattachement opportun. Ces arguments ne
valent toutefois qu’autant que le lieu d’exécution du contrat est unique. À défaut, l’application
de lois différentes en vertu des lieux multiples d’exécution risque de nuire à la cohérence du
contrat international et la sécurité juridique des affaires. La doctrine majoritaire française
13
En ce sens, Soc. 1er juillet 1964, RCDIP 1966, SIMON-DEPITRE, p. 47 ; Com. 8 juillet 1981, Dalloz 1982, B.
AUDIT, I.R. p. 73.
14
En ce sens, J.-M. BISCHOFF, « La compétence du droit français dans le règlement des conflits de lois », Préface
d’Alex WEIL, LGDJ, 1959, p. 100 et s.
15
V. SURVILLE, « Du contrat par correspondance, notamment dans les rapports internationaux », JDI 1891, p.
361 ; E. MONTERO, « L’avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats : l’adéquation aux
contrats électroniques », Rev. dr. unif. 2008, p. 305 et s.
16
Y. LOUSSOUARN & P. BOUREL, « Droit international privé », précis Dalloz, 7ème édition, 2001, pp. 596-597.
15
L3- Droit International Privé
Le Code civil n’a pas investi toutes les catégories du droit international privé français.
Pour celles pour lesquelles existent des règles de conflit de lois, la jurisprudence a saisi
l’occasion de résoudre les litiges y relatifs pour préciser leur sens et étendre leur champ
d’application rationae materiae. Cette démonstration peut s’appuyer sur le statut réel (1), le
statut personnel (2) et le statut délictuel (3).
17
DP 1874. 1. 475, S. 1872. 1. 238
18
Civ. 5 juillet 1933, DP 1933. I. p. 60, SILZ ; S 1934. I. p. 337, NIBOYET.
19
Civ. 14 mars 1837, GADIP, arrêt n° 3.
16
L3- Droit International Privé
immeubles situés en France, même ceux possédés par des étrangers, à la loi française ; que sa
disposition embrasse, dans sa généralité, tous les droits de propriété et autres droits réels qui
sont réclamés sur ces immeubles ». Il s’agit d’une précision de taille puisque les accointances
que les successions immobilières ont avec le droit de la famille auraient pu justifier qu’elles
soient classées dans la catégorie du statut personnel. Le cas échéant, elles seraient alors
soumises à la loi personnelle du de cujus. Le droit international privé sénégalais semble s’être
ralliée à cette dernière conception car l’article 841 CF alinéa 2 soumet les successions
internationales, qu’elles soient mobilières ou immobilières à la loi nationale du de cujus20.
20
V. GNAHOUI (R.-D.), Le droit international privé sénégalais des successions, Thèse mult., UCAD, 1999. Ce
point de vue peut néanmoins être relativisé au regard de l’article 847 CF qui procède à une scission fonctionnelle
qui fait en réalité intervenir trois lois distinctes dans l’opération successorale. L’article 847 CF dispose en effet :
« Les questions relatives à la dévolution successorale concernant la désignation des successeurs, l’ordre dans
lequel ils sont appelés, la transmission de l’actif et du passif à chacun d’entre eux, sont régies par la loi nationale
du défunt.
Sont régies par la loi du lieu d’ouverture de la succession les opérations concernant l’option
successorale, la mise en possession des héritiers, l’indivision successorale, le partage de l’actif et le règlement du
passif.
En cas de succession portant sur des immeubles et des fonds de commerce, la transmission de la propriété
de ceux-ci est régie par la loi de leur situation ».
21
Cour de Paris 13 juin 1814, GADIP, arrêt n° 1.
17
L3- Droit International Privé
Les mêmes raisons ont poussé semble t-il le législateur sénégalais à codifier la
jurisprudence RIVIERE dans les articles 843 CF alinéa 3 pour les conflits de lois relatifs aux
effets extrapatrimoniaux du mariage et l’article 843 CF alinéa 4 pour les conflits de lois relatifs
22
Cf. Loi du 3 janvier 1972 sur la filiation et Loi du 11 juillet 1975 sur le divorce.
23
V. notamment les dispositions 311-14, 311-15 et 311-17 du Code civil.
Article 311-14 : « La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la
mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant ».
Article 311-15 : « Toutefois, si l'enfant et ses père et mère ou l'un d'eux ont en France leur résidence habituelle,
commune ou séparée, la possession d'état produit toutes les conséquences qui en découlent selon la loi française,
lors même que les autres éléments de la filiation auraient pu dépendre d'une loi étrangère ».
Article 311-17 : « La reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en
conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant ».
24
Civ. 1ère 17 avril 1953, GADIP, arrêt n° 26.
25
« Attendu, en l'espèce, que les époux Petrov-Roumiantzeff, ayant une nationalité différente, mais étant domiciliés
l'un et l'autre en Équateur, c'est à bon droit que la Cour d'appel a décidé que leur divorce était régi parla loi du
domicile qui se trouvait, au surplus, être identique à la loi personnelle du mari et à la loi du for ».
18
L3- Droit International Privé
au divorce. Cette solution vaut également pour les conflits de lois survenant en matière de
régimes matrimoniaux26. En effet, pour toutes ces questions, le législateur sénégalais donne
compétence à la loi nationale commune des époux, la loi domiciliaire ou celle de la résidence
en cas de nationalités distinctes et la loi de la juridiction saisie en dernière option lorsque les
époux ne partagent aucun rattachement commun.
Enfin, dans les conflits de lois survenant en droit de la responsabilité civile, l’action de
la jurisprudence a consisté à déconnecter la règle de conflit de lois applicable du fondement des
lois de police et de sûreté et de l’influence des conflits de juridictions. Dans un premier temps,
la loi française était appliquée aux conflits de lois survenant en matière de responsabilité civile
sur le fondement des lois de police et de sûreté. Ainsi, les juges justifiaient l’application de la
loi française sur la base que les dispositions du Code civil encadrant les délits et les quasi-délits
relevaient de la catégorie des lois de police. En ce sens, leur impérativité internationale était
sauvegardée par l’application de la loi française à tous les délits ou quasi-délits localisés en
France en raison de leur commission. Cette solution pouvait s’autoriser de l’influence de la
théorie mancinienne qui n’excluait l’application de la loi personnelle que pour des justifications
liées à l’ordre public à l’origine de la catégorie des lois d’ordre public27.
Pour autant, cette solution n’était pas totalement satisfaisante dans la mesure où elle ne
tenait pas en compte le particularisme des intérêts privés sous-jacents au contentieux civil
souvent porté devant le juge pénal. S’il est judicieux pour la partie civile de porter son action
devant le juge pénal qui tranche l’infraction constituée par un délit ou un quasi-délit, on ne peut
perdre de vue que dans les deux types de procès, pénal et civil, les intérêts litigieux ne sont pas
identiques. Si le droit pénal est formellement d’ordre public et intègre la catégorie des lois de
police et de sûreté visées par l’article 3 alinéa 1er du Code civil, on ne peut en dire autant du
droit de la responsabilité qui engendre des droits aussi bien disponibles qu’indisponibles auprès
des justiciables. Les parties ne peuvent remettre en cause les conditions d’engagement de la
responsabilité. En revanche, elles peuvent transiger sur les conséquences de la responsabilité
civile une fois que les conditions sont réunies.
26
Article 846 CF.
27
V. supra.
19
L3- Droit International Privé
Sous un autre rapport, faut-il relever également, en droit français, que les paradigmes
du droit de la responsabilité civile ont mué dans le temps. D’une fonction prophylactique
essentiellement tournée vers la sanction du contrevenant ou de l’infracteur, la fonction
contemporaine attitrée de la responsabilité est tournée vers l’indemnisation de la victime. Sur
un plan historique, les fonctions du droit de la responsabilité civile et du droit de la
responsabilité pénale se sont donc dissociées. Répressive pour le second, elle demeure
aujourd’hui essentiellement indemnitaire pour le premier. Les considérations d’ordre public
sont donc moins décisives en droit de la responsabilité même si elles n’y sont pas totalement
absentes. Pour l’ensemble de ces raisons, l’application de la loi française au titre des lois de
police et de sûreté souffrait davantage de limites.
Les évolutions notées dans la jurisprudence française donnent le ton sur les
conséquences éventuelles, en droit international privé, de l’étatisation des territoires. Avec cette
donne, les règles de conflit de lois commencent à connaitre des divergences d’un État à un autre.
Elles dopent l’intérêt de l’étude du droit international privé comparé. La coordination
internationale du droit international privé devient un objectif qui se matérialise par la prise en
compte d’idéaux communs dans l’élaboration des règles de conflit de lois.
28
Civ. 25 mai 1948, GADIP n° 19.
29
V. H. MAZEAUD, « Conflits de lois et compétence internationale dans le domaine de la responsabilité civile
délictuelle et quasi-délictuelle », RCDIP 1934, pp. 377-402.
20
L3- Droit International Privé
30
V. pour l’Europe, dans I' ordre chronologique: Tchécoslovaquie, loi du 4 décembre 1963, RCDIP 1965, p. 614
; Pologne, loi du 12 novembre 1965, RCDIP 1966, p. 323; RDA, loi du 5 décembre 1975, RCDIP 1977, p. 191,
note WENGLER ; HONGRIE, décret-loi 13/1979, RCDIP 1981, p. 158, note MAJOROS; Yougoslavie, loi du 15
juillet 1982, RCDIP 1983, p. 353, note CIGOJ ; Turquie, loi du 20 mai 1982, RCDIP, 1983, p. 141, note
ULUOCAK ; Bulgarie, la reforme bulgare de 1985 pour le droit international privé de la famille, RCDIP 1989, p.
822 ; Portugal, Code civil 25 novembre 1966, RCDIP, 1968.369, révisé par un décret-loi du 25 nov. 1977, RCDIP
1978, p. 598, note MOURA RAMOS) ; Espagne, décret-loi du 31 mai 1974, RCDIP, 1976, p. 397 (avec I' article
d’I. BUIGUES), et la loi du 7 juillet 1981, RCDIP 1983, p. 140 (avec, p.1 ss. l’article de C. SALCEDO) ; Autriche,
loi du 15 juin 1978, RCDIP, 1979, p. 174, note SCHWIND ; RFA, loi du 25 juillet 1986, RCDIP, 1987, p. 170,
avec, p.1 ss. les articles de SONNENBERGER, STURM, et BASEDOW ; Suisse, loi du 18 déc. 1987, RCDIP,
1988, p. 409, avec, p. 207 ss., les articles de KNOEPFLER et SCHWEIZER, VON OVERBECK et STOJANOVIC
; Roumanie, loi du 29 septembre 1992, RCDIP, 1994, p. 167, avec la présentation de CAPATINA ; Italie, loi du
31 mai 1995, RCDIP 1996, p. 174, avec les articles de GIARDINA, BALLARINO, POCAR et STARACE ;
Liechtenstein, lois du 19 septembre et 30 octobre 1996, RCDIP 1997, p. 858. L’Afrique n’est pas en reste ; v. P.
BOUREL, « Le nouveau droit international privé sénégalais de la famille », RSD 1973, pp. 5- 30 ; P. MEYER,
« Le Code des personnes et de la famille du Burkina Faso ZATU An VII 0013 du 16 novembre 1989 portant
institution et application d'un code des personnes et de la famille », RCDIP, 1991, p. 220 ss. Le Mali s’est dotée
récemment de la loi n° 09-038/AN-RM portant Code des personnes et de la famille du 3 août 2009 qui compte des
dispositions qui organisent les conflits de lois dans l’espace. Le Togo vient aussi de modifier son Code des
personnes et de la famille par la loi n° 2012-14. Les dispositions règlementant les conflits de lois dans l’espace de
l’ancien Code des personnes et de la famille institué par l’ordonnance n° 80-16 du 31 janvier 1980. La Centrafrique
s’est dotée d’une loi du 3 juin 1965, n° 65-71 relative à la force obligatoire des lois, des actes administratifs et
traités diplomatiques, au conflit des lois dans le temps, à la condition des étrangers et à l’application des lois. Le
Gabon dispose également d’une règlementation complète des relations privées internationales dans sa législation
civile ; cf. les articles 29-77 du Code civil gabonais. Le Code civil guinéen, dans une proportion nettement plus
limitée que celui gabonais prévoit aussi quelques règles de conflit de juridictions et de lois. Le premier État
francophone d’Afrique à s’être doté d’une règlementation nationale de droit international privé reste la République
Démocratique du Congo. Il s’agit du décret du décret du 20 février 1891 portant Titre II du Code civil congolais.
Il n’a pas été abrogé par la loi 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille.
21
L3- Droit International Privé
31
En ce sens A.-E.-K. BOYE, « Les mariages mixtes en droit international privé sénégalais », Préface de Pierre
BOUREL, CREDILA & NEA, 1981, n° 184.
22
L3- Droit International Privé
32
V. E. DEWEDI, « L’incursion du principe de proximité dans les nouvelles règles de conflit en Afrique noire
francophone », Revue Béninoise des Sciences Juridiques et Administratives, 2009, p. 105 ss ; N.
GBAGUIDI, « L’émergence d’un droit international privé de la famille en Afrique noire francophone : cas du
Bénin et du Burkina-Faso », Revue béninoise des sciences juridiques et administratives, 2011, p. 5 ss.
33
En ce sens, V. HEUZE, « « La réglementation des contrats internationaux : étude critique des méthodes »,
Préface de Paul LAGARDE, éd. GLN Joly 1990, pp. 110-111 ; J.-R. GOMEZ, « Un nouveau droit de la vente
commerciale en Afrique », Penant 827, n° 35 ; Ph. FRANCESCAKIS, « Problèmes de droit international privé en
Afrique noire indépendante », RCADI tome 112, 1964, pp. 349-350 ; P. BOUREL, « Réalités et perspectives du
droit international privé en Afrique noire francophone dans le domaine des conflits de lois », JDI 1975, pp. 26-
27 ; P. HAMMJE, « La contribution des principes généraux du droit à la formation du droit international privé »,
Thèse Paris I, 1994, p. 247.
23
L3- Droit International Privé
d’États, les résultats que pond cette initiative sont toujours préférables à une vision esseulée des
solutions qu’il faille apporter aux litiges internationaux. La sécurité juridique gagnée en termes
de prévisibilité du droit applicable et en termes d’atténuation des risques de fraude à la loi est
sans commune mesure surtout pour des questions comportant des enjeux considérables.
En droit international privé, l’internationalisme peut avoir une double déclinaison. Pour
les États, il peut consister à l’adoption de règles de conflits de lois identiques applicables aux
relations privées internationales. Cette déclinaison de l’internationalisme présente le mérite
d’être moins complexe car elle ne nécessite généralement pas des modifications substantielles
des législations nationales. Tout au plus vise t-elle la suppression des disparités juridiques au
niveau des règles de conflit de lois dans les rapports entre États membres. Certains
regroupements ont fait de ce schéma de rapprochement législatif leur clé de voûte. On peut citer
à titre d’exemple la Conférence de la Haye de droit international privé.
La Conférence de La Haye de droit international privé a été créée en 1893. Elle a trois
domaines d’interventions. Un premier volet vise le domaine familial, plus précisément la
protection internationale des enfants et les relations internationales familiales et patrimoniales ;
le deuxième volet concerne l’entraide judiciaire et administrative et le contentieux
international ; enfin un troisième volet est réservé au droit commercial et financier international.
Elle compte à ce jour environ une soixantaine d’États membres. Malheureusement, on ne
compte aucun pays de l’Afrique occidentale à part le Burkina Faso. Des pays non membres de
l’organisation peuvent tout de même ratifier directement les Conventions que la Conférence
propose à l’adoption34. À ce titre, le Sénégal à l’instar de quelques pays africains35, a ratifié la
Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière
d’adoption internationale entrée en vigueur le 1er décembre 2011.
La seconde déclinaison que peut avoir l’internationalisme vise l’unification du droit
matériel. Cette démarche plus complexe se fait sous l’égide d’organisations telles que la
CNUDCI, la CCI, l’UNIDROIT. Si toutes ces organisations ambitionnent de proposer à
l’adoption des règlementations uniformes régissant exclusivement certaines opérations du
commerce international, des différences peuvent être notées au niveau des approches mises en
œuvre. L’approche peut d’abord être sectorielle. Tel effet peut être attaché aux travaux du
34
Pour des informations plus élaborées, voir www.hcch.net.
35
Burundi, Cap-Vert, Côte d’ivoire, Guinée, Kenya, Lesotho, Madagascar, Mali, Rwanda, Swaziland, Togo.
24
L3- Droit International Privé
CNUDCI36 et de la CCI37. L’objectif peut être plus ambitieux et concerné tout un pan du droit.
C’est à la réussite de cette mission que s’attèle l’UNIDROIT38 qui prône une uniformisation
poussée du droit privé sur fond d’internationalisation. De telles œuvres butent toutefois sur
l’attitude réservée des États jaloux de leur souveraineté juridique. Leur influence est toutefois
substantielle à en juger leur diffusion discrète dans le droit positif de certains États.
Force est de reconnaître toutefois que l’internationalisme présente un bilan mitigé en
Afrique. Cette dynamique d’internationalisation du droit n’a gagné l’Afrique occidentale que
très récemment essentiellement par le canal des réalisations de l’UEMOA, de l’OHADA39, de
l’OAPI40... On aurait pu penser que la codification tardive des règles de conflit de lois, quelques
fois même inexistante dans certaines catégories de droit international privé, allait encourager la
ratification de Conventions internationales. Il faut croire que les réserves et les conditions qui
avaient été formulées à ce propos par FRANCESCAKIS ont été entendues et suivies41, trop
36
La CNUDCI a été créée par la Résolution 2205 (XXI) du 17 décembre 1966 de l’AG de l’ONU. Elle a pour
mission d’unifier et d’harmoniser les lois nationales afférentes au droit du commerce international qui peuvent
constituer des entorses aux échanges commerciaux. Voir www.uncitral.org
37
La CCI est une structure non gouvernementale fondée en 1913 dont le siège est à Paris et qui est présentée
comme une organisation mondiale des entreprises auxquelles elle facilite le libre commerce en mettant à leur profit
de nombreux services pour encourager le flux des échanges. Au plan normatif, elle se distingue également en
travaillant à l’établissement de nombreuses lois-types auxquelles les commerçants peuvent se référer directement.
On peut citer notamment, les règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires 600 du 1er juillet
2007, les incoterms de 2000, les règles et pratiques internationales relatives aux standby de 1998, les règles
uniformes pour les « contrats bonds » de 1993. Elle procède souvent à une actualisation des règles qu’elle édicte
pour prendre en compte des évolutions notées dans les pratiques du commerce international. Voir www.iccwbo.org
38
L’UNIDROIT est également une organisation intergouvernementale dont la mission est de parvenir à une
harmonisation poussée du droit privé. Fondé en 1923 puis reconstitué en 1940, l’institut a son siège à Rome et est
constitué aujourd’hui de soixante et un États parmi lesquels on ne compte aucun État de l’Afrique occidentale.
Plusieurs Conventions sont déjà à mettre à son actif parmi lesquelles nous pouvons compter entre autres la
Convention du 1er juillet 1964 portant loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels de la
Haye, la Convention d’UNIDROIT du 28 mai 1988 sur le crédit-bail international d’Ottawa, la Convention
d’UNIDROIT du 28 mai 1988 sur l’affacturage international d’Ottawa, la Convention d’UNIDROIT du 24 juin
1995 sur les biens volés ou illicitement exportés de Rome, la Convention du 16 novembre 2001 relative aux
garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles du Cap de 2001. Elle a également proposé
des lois types telles que la loi type du 25 septembre 2002 portant sur la divulgation des informations en matière de
franchise, des principes tels que les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international ou les
Principes ALI/UNIDROIT de procédure civile transnationale et des guides tels que ceux sur les accords
internationaux de Franchise principale de 1998. Voir www.unidroit.org
39
G. NGOUMTSA-ANOU, « Droit OHADA et conflits de lois », Thèse mult. en cotutelle, Université Lyon III &
Université Yaoundé II, 2009 ; NGOUMTSA-ANOU (G.), Encyclopédie du droit OHADA, Paul-Gérard
POUGOUE (dir.), Lamy 2011, v° Actes uniformes et conflits de lois, p. 174 ss., POUGOUÉ (P.-G.) &
NGOUMTSA-ANOU (G.), L’applicabilité spatiale du nouveau droit OHADA de la vente commerciale et le droit
international privé : une réforme inachevée, Mélanges en l’honneur du Professeur Jean-Michel JACQUET, Lexis
Nexis, 2013, pp. 541-560.
40
V. L.-Y. NGOMBE, « Mise en œuvre du droit d’auteur dans les États membres de l’OAPI et questions de droit
international privé », JDI 2006, p. 565 ss.
41
« Quant aux conventions existantes, il s’agit de celles conclues avant aussi bien qu’après l’indépendance. Il
serait souhaitable que les autorités de nos États procèdent à une vérification systématique de l’opportunité et de
la possibilité, quant aux premières, de confirmer formellement l’engagement antérieur, quant aux secondes, d’y
25
L3- Droit International Privé
peut être. En matière contractuelle, parmi les États membres de l’OHADA, seul le Niger a ratifié
une Convention internationale de droit conflictuel42. Il s’agit de la Convention de la Haye sur
la loi applicable aux ventes à caractère international d’objets mobiliers43.
Le bilan très pauvre des ratifications dans le domaine des conflits de lois contraste
néanmoins avec celui des Conventions de droit international privé matériel où une dynamique
nouvelle se fait jour. Il avait été soutenu pourtant que « le droit du commerce international ne
semble pas être un domaine de travail prioritaire en Afrique du fait de la prépondérance
d’autres problèmes plus urgents ainsi que d’un relatif isolement par rapport aux
développements juridiques internationaux et une prise en compte limitée des bénéfices
économiques qui découleraient de la mise en place d’un système moderne de droit
commercial »44. Au rebours d’une telle observation, la cadence de ratification des Conventions
de droit matériel est très appréciable. Pour s’en convaincre, la CVIM est dorénavant applicable
dans quatre États membres de l’OHADA : le Bénin, le Congo-Brazzaville45, le Gabon, la
Guinée. La Guinée et le Bénin ont ratifié la Convention sur la prescription en matière de ventes
internationales de marchandises de 1974. Le Burkina Faso, le Cameroun, la Guinée, la
République Démocratique du Congo et le Sénégal ont ratifié la Convention sur le transport de
marchandises par mer ‘Règles de Hambourg’ de 1978. Le Sénégal a ratifié la Convention du
16 novembre 2001 relative aux garanties internationales portant sur les équipements matériels
mobiles et son Protocole additionnel de la même date portant sur les questions spécifiques aux
matériels d’équipement aéronautiques. Le Bénin et le Togo ont ratifié la Convention
internationale du 23 avril 1970 relative au contrat de voyage. Le Gabon a ratifié la Convention
des Nations Unies sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by (New York, 1995).
La République Démocratique du Congo a ratifié la Convention des Nations Unies sur l'utilisation de
communications électroniques dans les contrats internationaux (New York, 2005). La Convention
pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international de Varsovie du
12 octobre 1929 s’applique au Sénégal, au Cameroun, au Bénin, au Gabon, en République
Démocratique du Congo, en Guinée, au Mali, en Côte d’ivoire, au Congo-Brazzaville, au Niger, au
Burkina Faso et au Togo. Le Burkina Faso, le Sénégal, le Mali, le Niger, la Côte d’ivoire, le
adhérer » ; P. FRANCESCAKIS, « Le droit international privé dans le monde postcolonial. Le cas de l’Afrique
noire », Clunet, 1973, pp. 60-61
42
Le Niger n’est pas pour autant membre de cette organisation.
43
Cette Convention est entrée en vigueur au Niger le 10 décembre 1971.
44
L.-G. CASTELLANI, « Assurer l’harmonisation du droit des contrats aux niveaux régional et mondial : la
Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises et le rôle de la CNUDCI »,
Rev. dr. unif., 2008, p. 103.
45
Entrée en vigueur le 1er juillet 2015.
26
L3- Droit International Privé
46
V. Règlement CE no 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit « Bruxelles II bis », relatif à la compétence, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ;
Règlement CE no 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I » ; Règlement CE n° 4/2009 du 18
décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’’exécution des décisions et la
coopération en matière d’obligations alimentaires ; Règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux
procédures d'insolvabilité ; Règlement CE n° 650/2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance
et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la
création d'un certificat successoral européen ; Règlement CE n° 1393/2007 du 13 novembre 2007 relatif à la
signification et la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires ; Règlement CE n° 864/2007 du 11 juillet
2007 sur les obligations non contractuelles dit Rome II ; Règlement CE no 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles dit Rome I.
27