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L3- Droit International Privé

Partie I : LA THEORIE GENERALE DES CONFLITS DE LOIS

L’étude de la théorie générale des conflits de lois ne peut se faire sans une référence à
l’histoire. Pour ce faire, il conviendra de consacrer quelques développements à l’évolution
historique des conflits de lois qui servira d’introduction à cette partie qui comportera deux titres.
Dans le premier, il sera question d’étudier la pluralité des méthodes possibles pour résoudre les
conflits de lois (Titre I). Parmi toutes ces méthodes, c’est celle savignienne qui semble
prédominer en droit international privé comparé. Motif pris de cette observation, elle fera
l’objet d’une étude approfondie dans le Titre II.

Introduction : L’évolution historique des conflits de lois

Pour s’imprégner de l’histoire des conflits de lois, il n’est pas fortuit d’utiliser comme
prisme d’analyse le Code civil. Ce choix peut sembler étonnant pour introduire le cours de droit
international privé d’un pays africain comme le Sénégal qui a codifié une bonne partie de sa
législation nationale. Plusieurs arguments peuvent toutefois justifier une telle approche.
D’une part, d’un point de vue historique, il est difficile de dissocier l’histoire des conflits
de lois au Sénégal ou de tout autre pays francophone de l’Afrique au Sud du Sahara de l’analyse
historique du système français de droit international privé. Du moins, si on veut bien exclure la
période précoloniale de cette étude historique. En effet, jusqu’aux différentes codifications
intervenues après l’indépendance, le système juridique français combinait le droit métropolitain
et le droit applicable dans les colonies. Ainsi, à l’exception des solutions apportées aux conflits
de lois internes, les litiges de droit privé entre étrangers survenant dans les territoires coloniaux
étaient tranchés sur la base du droit international privé français, notamment par l’application
des dispositions éparses du Code civil réglementant les conflits de lois dans l’espace. C’est ce
même droit qui était appliqué dans la phase de transition législative après que les pays africains
aient accédé à leur souveraineté internationale. L’une des difficultés résulte néanmoins du
constat que le droit international privé français a été présenté par un auteur comme un îlot de
droit coutumier au sein d’un système juridique codifié à cause de son caractère essentiellement
jurisprudentiel3. Pour cette raison, la transposabilité des règles françaises de droit international
privé n’a jamais été envisagée de manière formelle par les autorités coloniales comme elles ont

3
Y. LOUSSOUARN, « Les vicissitudes de la codification du droit international privé français » in, On the
progressive unification of private law, Liber amicorum G.-A.-L. DROZ, The Hague, 1996, p. 119 ss. V. aussi, P.
LAGARDE, « Sur la non codification du droit international privé français », Syracuse Journal of International
Law and Commerce, Vol. 25 [], Iss. 1, Art. 4, pp. 45-49.

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à le faire par exemple en matière civile ou commerciale par l’application directe du Code de
commerce et du Code civil dans les colonies. Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence
française a influencé et continue encore d’irradier par ses solutions le droit positif africain.

D’autre part, et on aura insisté beaucoup sur cette question dans les développements ci-
dessus, le droit international privé a une histoire commune qui transcende celle propre à un
système juridique étatique donné. Il n’est pas arbitraire dès lors d’étudier l’histoire des conflits
de lois au Sénégal sous le prisme de celui du droit international privé comparé au sein duquel
on peut ranger le droit international privé français.

Ces précisions faites, il convient dans un Chapitre I d’analyser la période antérieure au


Code civil et dans un Chapitre II de prendre connaissance de l’évolution postérieure.

Chapitre I – La période antérieure au Code civil

Les constructions doctrinales qui ont forgé l’histoire du droit des conflits de lois sont
perceptibles dès le début du 14ème siècle. Elles ont donné naissance aux premiers courants de
pensées en droit international privé. En substance, les théories qui ont marqué cette époque ont
émané de l’école des statuts. Le mérite de la doctrine statutaire est d’avoir envisagé pour la
première fois la césure entre la compétence judiciaire et la compétence législative avec la
possibilité subséquente d’appliquer un droit étranger par les juges du for.
L’histoire prédoctrinale du droit international privé ignorait cette dissociation entre la
compétence judiciaire et la compétence législative car le régime applicable se caractérisait dans
un premier temps par celui dit de la personnalité des lois. En vertu de ce régime, chaque individu
était régi par la loi du groupe ethnique auquel il appartenait. Dès lors, il existait un véritable
droit de vivre selon sa loi personnelle qui excluait toute possibilité de conflit de lois. S’il en
était ainsi, c’est en raison d’une part, de la sédentarisation des communautés et surtout, leur
autarcie. D’autre part, l’inexistence du conflit de lois résultait de l’absence d’étatisation des
territoires. La problématique du conflit de lois n’apparaissait pas alors dans des systèmes où la
personnalité des lois était le régime en vigueur. Il était a priori impensable d’appliquer à un
individu le droit d’un autre groupe ethnique que le sien. En outre la question du droit applicable
était absorbée par celle de la compétence juridictionnelle.
Dans l’Europe du Haut Moyen Age, le régime de la personnalité des lois allait peu à peu
s’effacer pour de multiples raisons parmi lesquelles on peut citer : l’effacement de la
connaissance des lois, le mélange entre les peuples et leurs droits, l’apparition de pouvoirs à

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fondement territorial, l’existence de régimes fonciers spéciaux ayant territorialisé certaines lois.
D’un système personnaliste, l’on est passé à un système territorialiste. La féodalité, en Europe,
va, du point de vue de l’applicabilité des lois, être fondée sur le principe de leur territorialité.
Le lien d’un litige avec le territoire justifiait l’application systématique du droit local dans la
mesure où chaque autorité territoriale entendait exercer sa souveraineté aussi bien sur le plan
législatif qu’au plan juridictionnel.
Ce lien a été rompu successivement par les doctrines particularistes et les constructions
universalistes qui les suppléèrent. Après avoir envisagé l’étude des doctrines particularistes au
sein desquelles l’école des statuts a un rayonnement spécifique (I), nous envisagerons l’analyse
sommaire des constructions universalistes (II).

I : L’école des statuts

Dans les constructions particularistes, les réflexions doctrinales statutaires ont eu une
grande résonance. Néanmoins dans le temps et dans l’espace, trois écoles statutaires se sont
succédées. Il s’agit de l’école italienne des statuts (A), l’école française (B) et l’école
hollandaise (C).

A – L’école italienne des statuts

La détermination de la loi applicable à un rapport de droit international privé peut se


réaliser selon une première approche : prendre pour point de départ du raisonnement la règle
matérielle de droit interne afin d’en délimiter le champ d’application dans l’espace, et en
déduire quelles situations internationales seront soumises à cette règle. Donc ici le point de
départ c’est la règle de droit.
Cette méthode a été mise en œuvre pour la première fois à partir du XIIIe siècle en Italie,
à l’époque où l’Italie n’était pas unifiée et où chaque grande ville avait ses propres règles de
droit, ses « statuts ». Dès le XIe siècle en Italie, les différentes villes indépendantes se sont en
effet dotées de codes municipaux, c’est-à-dire de recueils de statuts dérogatoires au droit privé
issu du droit romain. Mais la diversité des statuts engendrait des conflits de statuts à mesure
que se développaient les relations entre les villes. Cette méthode donnait donc explicitement la
possibilité pour le juge d’une ville d’appliquer la coutume émanant d’un autre pouvoir
territorial. Son mérite est donc d’avoir expressément posé que l’objet des conflits de statuts était
le choix même du droit applicable. Par exemple, quel statut fallait-il appliquer lorsqu’un

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habitant de Bologne venait conclure un contrat à Florence, ou bien commettait un délit à Milan
?
Pour y répondre, l’école des glossateurs parmi lesquels BARTOLE s’est
particulièrement illustré, a indiqué que pour résoudre ces conflits de statuts, il fallait partir des
statuts pour fixer leur emprise dans l’espace. C’est ainsi que progressivement, les statuts ont été
classés par catégories. Exemple : on a constaté que les statuts relatifs à la personne, c’est-à-dire
tout ce qui concerne la capacité, le pouvoir etc. devaient de par la matière qu’ils régissaient
suivre la personne en ses déplacements et s’appliquer à elle où qu’elle se trouve. Il eût en effet
été gênant qu’au gré de ses déplacements, cette personne voit sa capacité obéir à des règles
différentes. Ainsi naissait l’ « extraterritorialité » des statuts. A l’opposé, il fut très tôt admis
que les statuts gouvernant les biens devaient du fait de leurs objectifs avoir une portée
territoriale et s’appliquer à tous les biens situés dans le ressort de la ville, quelle que soit la
nationalité de leur propriétaire.
D’un point de vue méthodologique, les statutaires italiens ont proposé une série de
solutions qui demeurent contemporaines pour l’essentiel. La distinction entre statuts réels et
statuts personnels est posée. Les premiers n’ont pas d’effets extraterritoriaux contrairement aux
seconds. À coté de cette summa divisio, les statutaires italiens ont aussi proposé des règles de
rattachement applicables aux délits régis par la loi du lieu de leur survenance, et celles
applicables à la forme des actes juridiques régie par la loi du lieu de passation. Ils ont également
procédé à la distinction entre la procédure et le fond. La procédure est régie par la loi du juge
saisi alors que le fond du litige peut être régi par une loi étrangère. Cette démarche a été reprise
et approfondie en France aux XVIe et XVIIe siècles par deux juristes, DUMOULIN et
D’ARGENTRE.

B – L’école française des statuts

Alors que pour l’école italienne des statuts, la distinction entre statuts réels et personnels
constituait une classification s’insérant dans un ensemble plus vaste comprenant aussi les statuts
relatifs à la procédure, à la forme des actes, les statutaires français vont amplifier la distinction
entre statuts réels et personnels pour en faire la « summa divisio » du droit des conflits de
coutumes. Les statuts réels deviennent la règle et les statuts personnels, l’exception. La
prépondérance accordée au statut réel trouve son explication dans la tradition juridique suivie
en France, à cette époque, où les statuts personnels étaient beaucoup limités qu’en Italie, par
exemple.

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DUMOULIN a voulu reprendre les acquis de l’école italienne en préconisant un certain


nombre de règles d’application spatiale des coutumes, la France étant à l’époque divisée en
Provinces dotées chacune de coutumes. Sa célébrité vient sans doute de la nouvelle catégorie
de statut qu’il a distinguée : les statuts fondés sur la volonté des parties, c’est-à-dire les statuts
gouvernant la matière des régimes matrimoniaux et des contrats, dont l’application
internationale doit être le fruit de la volonté des parties : l’autonomie de la volonté était née !

À l’opposé, Bertrand D’ARGENTRE, partisan de l’autonomie de sa région, la Bretagne,


a construit un système particulariste, c’est-à-dire entièrement conçu en contemplation du
contexte de sa région et à des fins politiques : faire en sorte que la coutume de Bretagne
s’applique le plus largement possible au détriment du droit français. Ainsi a-t-il privilégié le
territorialisme de façon à ce que les personnes, quelle que soit leur origine, et les biens présents
en Bretagne relèvent de la coutume bretonne La coutume bretonne devenait territoriale voire
extraterritoriale, afin de suivre les Bretons lorsqu’ils se déplaçaient ! Ses idées ont pénétré la
province hollandaise, en quête elle aussi d’indépendance, et ont gagné le Royaume-Uni puis
donc les États-Unis. Aujourd’hui encore, le DIP anglais et américain a une forte connotation
statutiste.

C – L’école hollandaise des statuts

Au contraire des statutaires italiens et français, les statutaires hollandais n’ont pas
réfléchi à des solutions concrètes mais ont plutôt analysé le fondement de l’application des
coutumes ou lois étrangères dans le for. Elle est marquée par les réflexions des frères VOET,
de RODENBURG et HUBER...
L’école hollandaise pose le problème du droit applicable et spécialement du droit
étranger applicable non plus sous l’angle de la justice et de la rationalité, mais du point de vue
du pouvoir de chaque ordre juridique souverain. Le fondement de cette application est à
rechercher dans la notion de « comitas gentium ». On a parfois interprété cette expression en
lui donnant le sens de « courtoisie internationale ».

L’apport doctrinal des jurisconsultes statutaires est indéniable en droit international


privé. Toute cette approche fut cependant remise en cause par les constructions universalistes.

II : Les constructions universalistes.

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Les constructions universalistes ont été marquées par les travaux de Mancini et de
Savigny au début du 19ème siècle. Les théories proposées par ces juristes émérites sont
universalistes en ce qu’elles n’étaient pas pensées pour et à partir d’un système juridique donné
mais plutôt pour l’ensemble des États de tradition romano-germanique. Elles véhiculent ainsi
un certain internationalisme malgré leurs influences nationalistes en arrière-plan. C’est
notamment un des paradoxes de la théorie de MANCINI (A) qui constitue à coté de la théorie
de SAVIGNY, les constructions universalistes majeures qu’a connues l’Europe occidentale.

A – La théorie de MANCINI

L’œuvre de MANCINI peut être considérée comme une réaction particulièrement


hostile au territorialisme des statutaires surtout français. Des circonstances politiques marquant
« l’éveil des nationalités » face au souhait d’une unification de l’Italie sont à l’origine de la
théorie mancinienne. Pour ce faire, MANCINI théorise l’idée selon laquelle il existerait une
véritable obligation internationale à l’application des lois étrangères dans une leçon inaugurale
très retentissante professée à la chaire de droit international de l’Université de Turin4. Il retient
en effet le principe que la nationalité fonde l’existence de l’État au même titre qu’elle détermine
le domaine d’application des lois étatiques. Deux conséquences s’en infèrent.
D’abord, MANCINI fait du droit international public le fondement du droit international
privé. Ensuite, la règle générale de solution des conflits de lois en tant que manifestation du
respect de chaque souveraineté retient en conséquence la compétence de la loi nationale. Le
raisonnement proposé par l’auguste juriste est en apparence simple et fort logique : les italiens
forment l’État italien. Les lois conçues par l’État italien sont alors faites pour eux en raison de
leurs mœurs et de leur tempérament. En ce sens, elles doivent suivre les italiens là où ils se
trouvent. Par suite logique, les étrangers résidant sur le territoire national devaient être régis par
leur loi personnelle. C’est la trame de fond du personnalisme mancinien. Celui-ci véhicule donc
la personnalité des lois.
Le personnalisme mancinien comportait toutefois un certain nombre de limites. Pour
certaines questions, MANCINI proposait quelques entorses à son personnalisme. Il admet
qu’un certain nombre de lois s’appliquent d’une manière générale sur le territoire aux étrangers
comme aux nationaux. Ces concessions au territorialisme antérieur sont systématisées et

4
MANCINI, « De l’utilité de rendre obligatoires pour tous les États, sous la forme d’un ou de plusieurs traités
internationaux, un certain nombre de règles générales du Droit international privé, pour assurer la décision
uniforme des conflits entre les différentes législations civiles et criminelles », Clunet 1874, pp. 221-239 & pp. 285-
304.

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rangées dans la catégorie des lois d’ordre public qui embrassait un large domaine et des
questions hétéroclites : les lois de droit public, les lois pénales, les propriétés foncières, la
responsabilité civile extracontractuelle. Pour expliquer l’application de la loi locale à toutes ces
questions, MANCINI estime que l’exclusion des étrangers à la communauté nationale ne les lie
pas moins à celle-ci en raison de leur résidence. Ainsi, sur toutes ces questions, il justifie
l’application de la loi territoriale et renonce donc de manière subséquente à l’application de la
loi italienne aux litiges impliquant des italiens résidant à l’étranger. Sous un autre registre, il
abdique à la loi personnelle dans les conflits de lois portant sur les obligations contractuelles et
ceux relatifs à la forme des actes juridiques pour des raisons pratiques.
Le statut personnel restait donc le domaine d’influence du personnalisme mancinien.
Entendu de manière hypertrophique car englobant outre l’état et la capacité des personnes, les
successions, les régimes matrimoniaux et le régime des meubles, il était régi par la loi
personnelle.

Le succès du personnalisme mancinien est sans commune mesure puisqu’il a influencé


de nombreux systèmes de droit international privé tels que le dip espagnol5 mais également de
nombreuses Conventions internationales, le Code panaméricain Bustamante de 1928. Le droit
international privé contemporain s’en est toutefois résolument détourné au profit de la théorie
savignienne.

B – La théorie de SAVIGNY

L’œuvre doctrinale de SAVIGNY a considérablement marqué le droit international


privé contemporain. Son influence est à afficher du point de vue des méthodes du dip. La
recherche du droit applicable au moyen du « siège » du rapport de droit va désormais influencer
la majeure partie de la doctrine internationaliste et va donner naissance à méthode bilatérale.
Cette optique matérialise les dissensions doctrinales entre SAVIGNY et MANCINI. Pour
fonder l’application des lois étrangères, SAVIGNY invoque la communauté juridique qui s’est
constituée autour du droit romain et que le christianisme a contribué à raffermir en Occident. Il
pose également la résolution des conflits de lois dans l’espace et l’application des lois étrangères
qui en résulte sous l’angle exclusif de la localisation du rapport de droit litigieux. Il se départit
ainsi des fondements publicistes présentés par MANCINI pour faire admettre l’application des
lois étrangères. Ce faisant il rudoie également le postulat des statutaires.

5
Code civil espagnol de 1889.

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En effet, jusqu’à SAVIGNY, le conflit de lois se concevait comme un conflit de


souverainetés d’où la démarche statutaire qui déterminait la sphère d’application de la loi locale
dans l’espace. Au final, cela créait un certain déséquilibre entre la loi du for et la loi étrangère
en raison de la primeur reconnue à celle-ci sur celle là.

Il ne part plus de la règle de droit mais plutôt du rapport de droit dès lors qu’il présente
la règle de droit comme une norme de coordination des intérêts privés et non celle d’intérêts
publics. Il crée dès lors une équivalence entre la loi du for et la loi étrangère. Le droit applicable
sera donc celui qui est en vigueur au lieu où le rapport de droit se localise. Ainsi, le droit
applicable sera celui du pays où le rapport de droit à son siège peu importe que celui-ci soit la
loi du for ou une loi étrangère. Cette perspective amène SAVIGNY à rechercher spatialement
le siège du rapport de droit des différentes catégories du droit international privé. Il en répertorie
un certain nombre. Il distingue ainsi les rapports personnels, des rapports aux biens. Il envisage
également l’étude des rapports fondés sur les actes juridiques et les faits juridiques. Quatre
catégories du dip sont ainsi érigées : le statut personnel, le statut réel, le statut contractuel et le
statut délictuel. Pour chaque catégorie érigée, SAVIGNY procède à la localisation du rapport
de droit au moyen d’un rattachement permettant de déterminer dans l’espace son siège. Il
localise les rapports inclus dans le statut personnel au domicile de l’individu contrairement à
MANCINI qui prodiguait l’application de la loi nationale. Il localise ensuite les relations qui
prennent racine au cœur du statut réel au lieu de situation du bien. En ce qui concerne les actes
juridiques, il envisage une césure entre la forme et le fond. La forme des actes juridiques est
censée produire des effets au lieu de sa passation tandis que le fond des actes juridiques produit
ses effets au lieu de l’exécution des obligations. Enfin, SAVIGNY localise les obligations
engendrées par un délit ou un quasi-délit au lieu de leur survenance.

Parmi ces toutes ces constructions doctrinales, quelles sont celles qui ont le plus
influencé le Code civil. Les développements ci-dessous avancent quelques réponses.

Chapitre II – Le Code civil et l’évolution postérieure

Les nombreuses théories répertoriées en Europe occidentale n’ont pas laissé indifférent
le droit international privé français tel qu’il est réglementé par le Code civil. Avec le Code civil,
le droit international privé français a une déclinaison territorialiste. On peut l’expliquer par
l’influence de l’étatisation des territoires. En droit international privé, celle-ci se traduit par
l’hégémonie de la règle de conflit unilatérale (Section I). L’évolution du droit international

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privé français au 20ème siècle est au rebours d’une telle caractéristique. Elle reste marquée par
le développement de la méthode comparative qui s’illustre par la prise en compte d’idéaux
communs dans l’élaboration des règles de conflit lois (II).

Section I : L’influence de l’étatisation des territoires sur le dip : l’hégémonie de la règle


de conflit de lois unilatérale

Le Code civil français a des rapports très ténus avec le droit international privé. Les
rares incursions du législateur en dip font montre toutefois que les constructions universalistes
théorisées pour l’essentiel postérieurement au Code civil ont eu une influence marginale sur les
solutions qui y sont proposées pour trancher les conflits de lois dans l’espace (§I). Cette
constante semble être en porte-à-faux avec la jurisprudence qui face aux lacunes du Code civil
en droit international privé a sécrété des solutions palliatives pour doter aux catégories de
rattachement délaissées des règles de conflit de lois pour l’essentiel influencées par la méthode
savignienne (§II).

§I : Le Code civil et le dip

Les théories statutaires ont davantage eu une emprise sur les règles de conflit peu
nombreuses que le Code civil comptait après sa promulgation. Pour s’en convaincre, il suffit de
remarquer que l’article 3 du Code civil se contente de fixer le domaine d’application de la loi
française dans trois typologies de matières sujettes à des conflits de lois dans l’espace.

En effet, cet article dispose :


« Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire.
Les immeubles mêmes ceux possédés par les étrangers sont soumis à la loi française.
Les lois concernant l’État et la capacité des personnes régissent les Français mêmes résidant
en pays étranger ».
Les catégories de rattachement ainsi encadrées par le droit international privé français
se résument au statut personnel et au statut réel. Dans ces catégories de rattachement, le
législateur français se contente de fixer le domaine d’application de la loi du for sans décliner
les hypothèses dans lesquelles une loi étrangère pourrait régir un litige empreint d’un élément
d’extranéité.
La catégorie du statut personnel englobe les questions relatives à la capacité et tout ce
qui rattache à l’état des personnes, le mariage, la filiation, le divorce notamment. Littéralement,
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l’article 3 alinéa 2 n’ambitionne d’imposer la compétence de la loi française qu’aux litiges


impliquant les immeubles possédés par les étrangers en France dans des contentieux soulevant
essentiellement des préoccupations de droit réel. L’interprétation de la jurisprudence l’a
toutefois étendue aux biens meubles sis en France.
L’article 3 alinéa 1er se contente d’imposer les lois de police et de sûreté françaises aux
situations empreintes d’un élément d’extranéité rattachées à son territoire. Il s’agit des
règlementations antérieurement assimilées à des lois d’application nécessaire ou d’application
territoriale que le législateur français ne pouvait abandonner à la compétence des lois étrangères
du fait de leur importance pour l’organisation politique, économique et sociale de l’État
français.
En droit des conflits de lois, toutes les autres catégories du droit international privé ont
été ignorées par le Code Napoléon. Il a fallu le secours de la jurisprudence pour pallier les
lacunes du droit positif.

§II : Le secours de la jurisprudence

La jurisprudence est en général considérée comme une source de la règle de droit. Face
à un vide juridique, le juge ne peut se cacher derrière les lacunes du droit positif pour refuser
de statuer et trancher le litige. En droit international privé français, cette source informelle de
la règle de droit a été particulièrement utile en raison des catégories délaissées par le Code civil
et de la formulation unilatéraliste des règles de conflit de lois qui y sont contenues. Saisies à
l’occasion de litiges soulevant des conflits de lois dans celles-ci, les juridictions françaises ont
eu à proposer des solutions qui ont été réajustées progressivement. Ses solutions, pour
l’essentiel se sont inspirées du modèle savignien rompant avec l’arrière-plan unilatéraliste des
règles de conflit issues du Code civil. On aurait pu s’imaginer que la jurisprudence allait juste
s’employer à combler les lacunes du droit positif français (A). Pourtant, elle n’a pas été
indifférente aux règles de conflits de lois adoptées par le Code (B).

A – L’apport jurisprudentiel dans les catégories de droit international privé délaissées


par le Code civil : l’exemple du statut contractuel

La catégorie des contrats reste une des catégories du droit international privé français
que le Code civil a totalement occultée. En effet, dans le Code napoléon, on ne trouve aucune
disposition qui tranche de façon explicite ou implicite les conflits de lois survenant en matière

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contractuelle. La jurisprudence a pallié ce vide juridique avant l’adoption de nombreuses


Conventions internationales à compter du milieu du 20ème siècle.

Ce chantier a débuté par l’arrêt AMERICAN TRADING qui définit le 5 décembre 1910
la règle de conflit de lois applicable6. Il reconnut alors compétence à la loi d’autonomie. Les
faits de l’espèce étaient les suivants : l’avarie de sacs de froment achetés par l’American
Trading Company a poussé cette dernière à assigner en justice la Québec Steamship, débitrice
de l’obligation de livrer des marchandises ainsi que le capitaine du navire les ayant affrétées.
L’argument de Québec Steamship a été d’invoquer la clause d’irresponsabilité contenue dans
la charte-partie, argument qui fut querellé par la société demanderesse car de telles clauses
étaient réputées invalides par le droit new yorkais qu’elle prétendait applicable au contrat en
vertu de la règle locus regit actum. Se posait dès lors la question de la loi applicable au contrat.
Dans un attendu de principe, la Cour de cassation posa une solution qui allait avoir droit de cité
en droit international privé français des contrats. En effet, elle retint : « la loi applicable aux
contrats, soit en ce qui concerne leur formation, soit quant à leurs effets et conditions, est celle
que les parties ont adoptée ; que si entre personnes de nationalités différentes, la loi du lieu où
le contrat est intervenu est en principe celle à laquelle il faut s’attacher, ce n’est donc qu’autant
que les contractants n’ont pas manifesté une volonté contraire ; que non seulement cette
manifestation peut être expresse mais qu’elle peut s’induire des faits et circonstances de la
cause, ainsi que des termes du contrat ».

Cette solution a précipité la déchéance de la compétence traditionnelle du lieu de


conclusion du contrat qui parvenait d’une manière opportune à faire coexister les droits
applicables à la forme et au fond du contrat. En effet, la solution jadis applicable était la locus
regit actum, la loi du lieu de passation de l’acte ou la loi du lieu de conclusion du contrat. Avec
l’arrêt AMERICAN TRADING, cette règle historique qui faisait coexister les questions de
forme avec celles de fond au plan de la compétence législative devint une règle subsidiaire. Dès
lors, cette dernière règle de conflit n’avait plus vocation à s’appliquer qu’aux contrats
internationaux dans lesquels les parties se sont abstenues de choisir le droit applicable de
manière expresse ou tacite.

Par la suite, ces solutions ont été partiellement remaniées. L’application de la loi du lieu
de conclusion en l’absence de choix de la loi applicable par les parties devenant de plus en plus

6
GADIP, AMERICAN TRADING, arrêt n° 11.

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inadaptée, la jurisprudence française a proposé une nouvelle règle de conflit. Lorsque les parties
n’avaient pas choisi de loi applicable, la directive qui s’imposait alors au juge était de procéder
à la localisation du contrat. Cette solution découlait de la jurisprudence FOURRURES RENEL7
qui a disposé dans son attendu de principe que « la loi applicable aux contrats, en ce qui
concerne leur formation, leurs conditions ou leurs effets est celle que les parties ont adoptée ;
à défaut de déclaration expresse de leur part, il appartient aux juges du fond de rechercher
d’après l’économie de la convention et les circonstances de la cause, quelle est la loi qui doit
régir les rapports des contractants ». Cette directive laissait donc un grand pouvoir
d’appréciation aux juges du fond pour la détermination de la loi applicable. Une telle
désignation échappait d’ailleurs au contrôle de la Cour de cassation8. Elle ne prévoyait de
surcroît aucune présomption de sorte qu’il y avait une certaine imprévisibilité du droit
applicable en ce sens que la loi finalement déclarée applicable pouvait surprendre l’attente des
parties. Dans cette perspective, la jurisprudence française a retenu une panoplie d’indices
rendant casuistique la recherche du droit applicable en matière contractuelle. Pour autant,
l’activité jurisprudentielle dense a eu certains effets bénéfiques.

La pétrification des solutions qui résulte de ce courant a rendu désuets certains


rattachements tels que la nationalité des parties9, la langue du contrat, la monnaie du
contrat…En revanche, d’autres indices ont été privilégiés. Puisqu’il n’y a pas « de meilleure
localisation d’un rapport juridique que celui qu’indique son objet matériel »10, la loi du lieu de
situation de l’immeuble ou du fonds de commerce était reconnue applicable aux contrats ayant
pour objet un bien immobilier11. En raison du rapport indéfectible qui lie le contrat de base au
contrat de cautionnement, la jurisprudence française s’est également prononcée en faveur de la
compétence de la loi gouvernant la relation de base lorsque les parties n’avaient pas déterminé
le droit applicable au contrat de cautionnement12. Pour les contrats internationaux qui n’ont pas
fait l’objet d’un choix de loi applicable, la jurisprudence française a aussi privilégié

7
Civ. 1ère 6 juillet 1959, GADIP, arrêt n° 35.
8
En ce sens, Civ. 29 juin 1971, JDI 1972, KAHN, p. 51.
9
L’attendu de principe de l’arrêt AMERICAN TRADING préc., donnait un certain crédit à cet indice de
localisation. Il semblait instituer une présomption rigide en faveur de l’application de la loi nationale commune
des parties en l’absence de choix de loi. Pour des décisions jurisprudentielles ayant donné compétence à la loi
nationale commune des parties, cf. Civ. 31 mai 1932, État français c/Vve Carathéodory, RCDIP 1934, NIBOYET,
p. 909 ; Civ. 9 octobre 1956, RCDIP 1957, BATIFFOL, p. 572 ; Paris, 10 juin 1967, JDI 1968, DAYANT, p. 100.
10
BATIFFOL & LAGARDE, « Droit international privé », LGDJ, Tome I, 7ème édition, n° 267.
11
En ce sens, Civ. 24 avril 1952, RCDIP 1952, p. 502, MOTULSKY ; Civ. 28 mars 1960, RCDIP 1960, p. 202,
BATIFFOL; Civ. 15 juin 1982, JDI 1983, KAHN, p. 602.
12
En ce sens, Paris 21 mai 1957, RCDIP 1958, FRANCESCAKIS, p. 128 ; Civ. 15 février 1972, RCDIP 1973,
BATIFFOL, p. 77 ; Civ. 16 février 1994, RCDIP 1994, H. MUIR-WATT, p. 341 ; Civ. 1er juillet 1981 Total
Afrique, RCDIP 1982, P. LAGARDE, p. 336.

14
L3- Droit International Privé

l’application de la loi de la juridiction saisie dont la compétence a été décidée par les parties
par le biais d’une clause electio fori13.

Les débats ont été nettement plus tranchés lorsqu’il a fallu ériger le lieu de conclusion
et le lieu d’exécution du contrat en rattachement subsidiaire en l’absence de loi d’autonomie.
La jurisprudence française a été particulièrement fluctuante à ce propos même si le choix
définitif a semble t-il porté sur le lieu d’exécution14. Le lieu de conclusion du contrat avait
pourtant des avantages certains. Ils avaient pour nom la prévisibilité et l’unicité du droit
applicable. Ses inconvénients ont paru cependant décisifs dans l’arbitrage fait par les magistrats
français. Ce rattachement comportait également certaines carences décisives.
Traditionnellement adapté à la configuration autarcique des économies nationales, le lieu de
conclusion du contrat est devenu par la suite un indice insignifiant dans un contexte d’ouverture
des économies aux investissements, aux circulations des personnes, des capitaux et des biens.
Le développement des moyens de communication rendait derechef fortuit le lieu de rencontre
des agents d’affaires. Par ailleurs, cet indice de localisation s’accommode aujourd’hui mal à la
dématérialisation progressive des lieux de formation du contrat avec la percée insistante de
l’électronique dans le domaine des affaires15.
L’application de la loi du lieu d’exécution du contrat a eu par contre la faveur des
décisions judiciaires mettant en œuvre la jurisprudence FOURRURES RENEL. Les raisons ne
manquent pas. Cet indice de localisation assure d’abord une certaine prévisibilité du droit
applicable aux parties comme aux tiers du moins lorsqu’il est juridiquement et matériellement
déterminable. Généralement, c’est le lieu d’exécution qui offrira de cadre aux contestations et
aux litiges. En ce sens, il favorise la rencontre du for et du jus. Par ailleurs, pour localiser
certains contrats à l’instar « du contrat de travail, le dépôt, le mandat, le prêt, la représentation
ou la concession»16, le lieu d’exécution demeure un rattachement opportun. Ces arguments ne
valent toutefois qu’autant que le lieu d’exécution du contrat est unique. À défaut, l’application
de lois différentes en vertu des lieux multiples d’exécution risque de nuire à la cohérence du
contrat international et la sécurité juridique des affaires. La doctrine majoritaire française

13
En ce sens, Soc. 1er juillet 1964, RCDIP 1966, SIMON-DEPITRE, p. 47 ; Com. 8 juillet 1981, Dalloz 1982, B.
AUDIT, I.R. p. 73.
14
En ce sens, J.-M. BISCHOFF, « La compétence du droit français dans le règlement des conflits de lois », Préface
d’Alex WEIL, LGDJ, 1959, p. 100 et s.
15
V. SURVILLE, « Du contrat par correspondance, notamment dans les rapports internationaux », JDI 1891, p.
361 ; E. MONTERO, « L’avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats : l’adéquation aux
contrats électroniques », Rev. dr. unif. 2008, p. 305 et s.
16
Y. LOUSSOUARN & P. BOUREL, « Droit international privé », précis Dalloz, 7ème édition, 2001, pp. 596-597.

15
L3- Droit International Privé

postulait de revenir dans ce dernier cas à la compétence de la loi du lieu de conclusion du


contrat.
En droit international privé des contrats, l’apport de la jurisprudence française a été
décisif. Dans les catégories investies par le Code civil, son rôle a été autre. Elle a plutôt eu une
fonction de réajustement et d’interprétation des solutions contenues dans le Code napoléon. Par
ce biais, la jurisprudence française a réussi à promouvoir des solutions pour le moins originales.

B – L’apport jurisprudentiel dans les catégories du droit international privé investies


par le Code civil

Le Code civil n’a pas investi toutes les catégories du droit international privé français.
Pour celles pour lesquelles existent des règles de conflit de lois, la jurisprudence a saisi
l’occasion de résoudre les litiges y relatifs pour préciser leur sens et étendre leur champ
d’application rationae materiae. Cette démonstration peut s’appuyer sur le statut réel (1), le
statut personnel (2) et le statut délictuel (3).

1 – La catégorie des biens

En matière réelle, l’article 3 alinéa 2 du Code civil prévoit l’application de la loi


française aux immeubles situés en France. Pour autant cette formulation unilatéraliste présentait
deux limites. D’abord, elle se désintéressait du sort des conflits de lois relatifs aux meubles ;
ensuite, elle ne permettait pas de trancher les situations litigieuses relatives à des immeubles sis
à l’étranger même détenus par des français. La jurisprudence française a remédié à ces deux
situations. D’une part, elle a procédé à la bilatéralisation de l’article 3 alinéa 2 du Code civil en
prévoyant dorénavant l’application de la loi de situation de l’immeuble ; d’autre part, elle élargit
la compétence de la lex rei sitae aux meubles par un arrêt de la Chambre des requêtes du 19 mars
187217. Par la suite, cette règle de conflit a été bilatéralisée18. Les meubles sont donc soumis à
la loi du lieu de leur situation.

Il en est de même des successions immobilières à propos desquelles l’arrêt STEWART


retint la compétence de la lex rei sitae19. En effet, dans cet arrêt, la Cour de cassation a pu
décider que « (…) l’article 3 du Code civil, conforme aux anciens principes, soumet les

17
DP 1874. 1. 475, S. 1872. 1. 238
18
Civ. 5 juillet 1933, DP 1933. I. p. 60, SILZ ; S 1934. I. p. 337, NIBOYET.
19
Civ. 14 mars 1837, GADIP, arrêt n° 3.

16
L3- Droit International Privé

immeubles situés en France, même ceux possédés par des étrangers, à la loi française ; que sa
disposition embrasse, dans sa généralité, tous les droits de propriété et autres droits réels qui
sont réclamés sur ces immeubles ». Il s’agit d’une précision de taille puisque les accointances
que les successions immobilières ont avec le droit de la famille auraient pu justifier qu’elles
soient classées dans la catégorie du statut personnel. Le cas échéant, elles seraient alors
soumises à la loi personnelle du de cujus. Le droit international privé sénégalais semble s’être
ralliée à cette dernière conception car l’article 841 CF alinéa 2 soumet les successions
internationales, qu’elles soient mobilières ou immobilières à la loi nationale du de cujus20.

2 – La catégorie du statut personnel

En matière personnelle, la jurisprudence française a décidé de la bilatéralisation de


l’article 3 alinéa 3 du Code civil qui prévoyait l’application de la loi française à l’état et la
capacité des français même résidant à l’étranger. La formulation unilatéraliste de cette
disposition a été abandonnée par l’arrêt BUSQUETA21 qui retient pour la première fois que
l’état et la capacité sont régis par la loi nationale : « Considérant qu’il ne peut y avoir de
mariage qu’entre personnes que la loi en rend capables ; que cette capacité, comme tout ce qui
intéresse l’état civil, se règle par le statut personnel qui affecte la personne et la suit, en quelque
lieu qu’elle aille et se trouve ». Au fur et à mesure, cette règle de conflit posée par la
jurisprudence française a été affinée en raison de deux circonstances.

La première procède du constat d’un morcellement progressif du statut personnel en


droit international privé français. Chaque sous-catégorie du statut personnel commence à être
appréhendée de manière spécifique face aux mutations que connait le droit matériel français en

20
V. GNAHOUI (R.-D.), Le droit international privé sénégalais des successions, Thèse mult., UCAD, 1999. Ce
point de vue peut néanmoins être relativisé au regard de l’article 847 CF qui procède à une scission fonctionnelle
qui fait en réalité intervenir trois lois distinctes dans l’opération successorale. L’article 847 CF dispose en effet :
« Les questions relatives à la dévolution successorale concernant la désignation des successeurs, l’ordre dans
lequel ils sont appelés, la transmission de l’actif et du passif à chacun d’entre eux, sont régies par la loi nationale
du défunt.
Sont régies par la loi du lieu d’ouverture de la succession les opérations concernant l’option
successorale, la mise en possession des héritiers, l’indivision successorale, le partage de l’actif et le règlement du
passif.
En cas de succession portant sur des immeubles et des fonds de commerce, la transmission de la propriété
de ceux-ci est régie par la loi de leur situation ».
21
Cour de Paris 13 juin 1814, GADIP, arrêt n° 1.

17
L3- Droit International Privé

matière familiale22. La règlementation du divorce, de la filiation, du mariage…est pénétrée


progressivement par des valeurs substantielles qui infléchissent l’unité jadis affichée par la
catégorie du statut personnel. Le divorce comme le mariage se libèrent de plus en plus de
l’emprise et de l’influence du droit canonique. Dans le même temps, la filiation s’imprègne de
principes substantiels tels que celui de l’intérêt de l’enfant. De même, l’égalité des filiations
devient un objectif substantiel du droit français. Ces mutations du droit français n’ont pas
manqué de déteindre sur le droit international privé français. La jurisprudence, le législateur
français plus tardivement23, ont permis au droit international privé de s’articuler aux nouveaux
paradigmes du droit substantiel.

La seconde circonstance procède de l’étiolement du mythe de l’unité de nationalité dans


la famille face à la multiplication des cas de binationalité ou de plurinationalité dans le couple.
Sous ce rapport, la mixité du couple rend moins fonctionnaliste le rattachement de la nationalité
en droit international privé. Le domicile voire la résidence supplée alors les hypothèses
d’inadaptation du rattachement de la nationalité. En effet, le principe substantiel d’égalité des
époux s’est opposé à ce que la loi nationale de l’époux, proposée par une certaine partie de la
doctrine, soit privilégiée comme solution applicable aux conflits de lois survenant dans les
litiges familiaux. La jurisprudence n’a pas été insensible à tous ces arguments. En matière de
divorce, l’arrêt RIVIERE24, pour la première fois, matérialise cette tendance en retenant une
règle de conflit subsidiaire qui donne compétence à la loi nationale des époux lorsqu’elle leur
est commune, à défaut, à la loi domiciliaire25.

Les mêmes raisons ont poussé semble t-il le législateur sénégalais à codifier la
jurisprudence RIVIERE dans les articles 843 CF alinéa 3 pour les conflits de lois relatifs aux
effets extrapatrimoniaux du mariage et l’article 843 CF alinéa 4 pour les conflits de lois relatifs

22
Cf. Loi du 3 janvier 1972 sur la filiation et Loi du 11 juillet 1975 sur le divorce.
23
V. notamment les dispositions 311-14, 311-15 et 311-17 du Code civil.
Article 311-14 : « La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la
mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant ».
Article 311-15 : « Toutefois, si l'enfant et ses père et mère ou l'un d'eux ont en France leur résidence habituelle,
commune ou séparée, la possession d'état produit toutes les conséquences qui en découlent selon la loi française,
lors même que les autres éléments de la filiation auraient pu dépendre d'une loi étrangère ».
Article 311-17 : « La reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en
conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant ».
24
Civ. 1ère 17 avril 1953, GADIP, arrêt n° 26.
25
« Attendu, en l'espèce, que les époux Petrov-Roumiantzeff, ayant une nationalité différente, mais étant domiciliés
l'un et l'autre en Équateur, c'est à bon droit que la Cour d'appel a décidé que leur divorce était régi parla loi du
domicile qui se trouvait, au surplus, être identique à la loi personnelle du mari et à la loi du for ».

18
L3- Droit International Privé

au divorce. Cette solution vaut également pour les conflits de lois survenant en matière de
régimes matrimoniaux26. En effet, pour toutes ces questions, le législateur sénégalais donne
compétence à la loi nationale commune des époux, la loi domiciliaire ou celle de la résidence
en cas de nationalités distinctes et la loi de la juridiction saisie en dernière option lorsque les
époux ne partagent aucun rattachement commun.

3 – La catégorie des délits et quasi-délits

Enfin, dans les conflits de lois survenant en droit de la responsabilité civile, l’action de
la jurisprudence a consisté à déconnecter la règle de conflit de lois applicable du fondement des
lois de police et de sûreté et de l’influence des conflits de juridictions. Dans un premier temps,
la loi française était appliquée aux conflits de lois survenant en matière de responsabilité civile
sur le fondement des lois de police et de sûreté. Ainsi, les juges justifiaient l’application de la
loi française sur la base que les dispositions du Code civil encadrant les délits et les quasi-délits
relevaient de la catégorie des lois de police. En ce sens, leur impérativité internationale était
sauvegardée par l’application de la loi française à tous les délits ou quasi-délits localisés en
France en raison de leur commission. Cette solution pouvait s’autoriser de l’influence de la
théorie mancinienne qui n’excluait l’application de la loi personnelle que pour des justifications
liées à l’ordre public à l’origine de la catégorie des lois d’ordre public27.

Pour autant, cette solution n’était pas totalement satisfaisante dans la mesure où elle ne
tenait pas en compte le particularisme des intérêts privés sous-jacents au contentieux civil
souvent porté devant le juge pénal. S’il est judicieux pour la partie civile de porter son action
devant le juge pénal qui tranche l’infraction constituée par un délit ou un quasi-délit, on ne peut
perdre de vue que dans les deux types de procès, pénal et civil, les intérêts litigieux ne sont pas
identiques. Si le droit pénal est formellement d’ordre public et intègre la catégorie des lois de
police et de sûreté visées par l’article 3 alinéa 1er du Code civil, on ne peut en dire autant du
droit de la responsabilité qui engendre des droits aussi bien disponibles qu’indisponibles auprès
des justiciables. Les parties ne peuvent remettre en cause les conditions d’engagement de la
responsabilité. En revanche, elles peuvent transiger sur les conséquences de la responsabilité
civile une fois que les conditions sont réunies.

26
Article 846 CF.
27
V. supra.

19
L3- Droit International Privé

Sous un autre rapport, faut-il relever également, en droit français, que les paradigmes
du droit de la responsabilité civile ont mué dans le temps. D’une fonction prophylactique
essentiellement tournée vers la sanction du contrevenant ou de l’infracteur, la fonction
contemporaine attitrée de la responsabilité est tournée vers l’indemnisation de la victime. Sur
un plan historique, les fonctions du droit de la responsabilité civile et du droit de la
responsabilité pénale se sont donc dissociées. Répressive pour le second, elle demeure
aujourd’hui essentiellement indemnitaire pour le premier. Les considérations d’ordre public
sont donc moins décisives en droit de la responsabilité même si elles n’y sont pas totalement
absentes. Pour l’ensemble de ces raisons, l’application de la loi française au titre des lois de
police et de sûreté souffrait davantage de limites.

Il a fallu attendre l’arrêt LAUTOUR28 pour que ce fondement à l’application de la loi


française soit totalement abandonné au profit de l’application de la lex loci delicti, la loi du lieu
de survenance du délit. La consécration de cette règle de conflit est sans ambigüité : « Attendu
qu'en droit international privé la loi territoriale compétente pour régir la responsabilité
extracontractuelle de la personne qui a l'usage, le contrôle et la direction d'une chose, est la
loi du lieu où le dommage a été commis ». De façon subséquente, la solution du conflit de lois
s’est affranchie de l’influence du conflit de juridictions29. En effet, la jurisprudence, de façon
épisodique, appliquait la loi française dans toutes les hypothèses où la compétence des
juridictions françaises était admise.

Les évolutions notées dans la jurisprudence française donnent le ton sur les
conséquences éventuelles, en droit international privé, de l’étatisation des territoires. Avec cette
donne, les règles de conflit de lois commencent à connaitre des divergences d’un État à un autre.
Elles dopent l’intérêt de l’étude du droit international privé comparé. La coordination
internationale du droit international privé devient un objectif qui se matérialise par la prise en
compte d’idéaux communs dans l’élaboration des règles de conflit de lois.

28
Civ. 25 mai 1948, GADIP n° 19.
29
V. H. MAZEAUD, « Conflits de lois et compétence internationale dans le domaine de la responsabilité civile
délictuelle et quasi-délictuelle », RCDIP 1934, pp. 377-402.

20
L3- Droit International Privé

Section II : La prise en compte d’idéaux communs dans l’élaboration des règles de


conflit de lois

La période post-savignienne met à nue les limites du « nationalisme » juridique en droit


international privé favorisé par les codifications qui ont cours au début et au milieu du 20ème
siècle. Les divergences notées entre différents systèmes nationaux de droit international privé
attirent l’attention de la doctrine sur la nécessité de rechercher l’harmonie internationale des
solutions (§I). En effet, il ne faut que les disparités notées entre systèmes nationaux de droit
international privé remettent en cause les intérêts des parties. Pour ce faire, la méthode
comparative devient l’étalon de mesure du « nationalisme » juridique en droit international
privé (§II).

§I : L’emploi de la méthode comparative

Les constructions universalistes avaient en vue de doter aux systèmes de droit


international privé des solutions uniformes. La codification du droit international privé
intervenue dans certains États a desservi en partie cet idéal30. En effet, au fur et à mesure, les

30
V. pour l’Europe, dans I' ordre chronologique: Tchécoslovaquie, loi du 4 décembre 1963, RCDIP 1965, p. 614
; Pologne, loi du 12 novembre 1965, RCDIP 1966, p. 323; RDA, loi du 5 décembre 1975, RCDIP 1977, p. 191,
note WENGLER ; HONGRIE, décret-loi 13/1979, RCDIP 1981, p. 158, note MAJOROS; Yougoslavie, loi du 15
juillet 1982, RCDIP 1983, p. 353, note CIGOJ ; Turquie, loi du 20 mai 1982, RCDIP, 1983, p. 141, note
ULUOCAK ; Bulgarie, la reforme bulgare de 1985 pour le droit international privé de la famille, RCDIP 1989, p.
822 ; Portugal, Code civil 25 novembre 1966, RCDIP, 1968.369, révisé par un décret-loi du 25 nov. 1977, RCDIP
1978, p. 598, note MOURA RAMOS) ; Espagne, décret-loi du 31 mai 1974, RCDIP, 1976, p. 397 (avec I' article
d’I. BUIGUES), et la loi du 7 juillet 1981, RCDIP 1983, p. 140 (avec, p.1 ss. l’article de C. SALCEDO) ; Autriche,
loi du 15 juin 1978, RCDIP, 1979, p. 174, note SCHWIND ; RFA, loi du 25 juillet 1986, RCDIP, 1987, p. 170,
avec, p.1 ss. les articles de SONNENBERGER, STURM, et BASEDOW ; Suisse, loi du 18 déc. 1987, RCDIP,
1988, p. 409, avec, p. 207 ss., les articles de KNOEPFLER et SCHWEIZER, VON OVERBECK et STOJANOVIC
; Roumanie, loi du 29 septembre 1992, RCDIP, 1994, p. 167, avec la présentation de CAPATINA ; Italie, loi du
31 mai 1995, RCDIP 1996, p. 174, avec les articles de GIARDINA, BALLARINO, POCAR et STARACE ;
Liechtenstein, lois du 19 septembre et 30 octobre 1996, RCDIP 1997, p. 858. L’Afrique n’est pas en reste ; v. P.
BOUREL, « Le nouveau droit international privé sénégalais de la famille », RSD 1973, pp. 5- 30 ; P. MEYER,
« Le Code des personnes et de la famille du Burkina Faso ZATU An VII 0013 du 16 novembre 1989 portant
institution et application d'un code des personnes et de la famille », RCDIP, 1991, p. 220 ss. Le Mali s’est dotée
récemment de la loi n° 09-038/AN-RM portant Code des personnes et de la famille du 3 août 2009 qui compte des
dispositions qui organisent les conflits de lois dans l’espace. Le Togo vient aussi de modifier son Code des
personnes et de la famille par la loi n° 2012-14. Les dispositions règlementant les conflits de lois dans l’espace de
l’ancien Code des personnes et de la famille institué par l’ordonnance n° 80-16 du 31 janvier 1980. La Centrafrique
s’est dotée d’une loi du 3 juin 1965, n° 65-71 relative à la force obligatoire des lois, des actes administratifs et
traités diplomatiques, au conflit des lois dans le temps, à la condition des étrangers et à l’application des lois. Le
Gabon dispose également d’une règlementation complète des relations privées internationales dans sa législation
civile ; cf. les articles 29-77 du Code civil gabonais. Le Code civil guinéen, dans une proportion nettement plus
limitée que celui gabonais prévoit aussi quelques règles de conflit de juridictions et de lois. Le premier État
francophone d’Afrique à s’être doté d’une règlementation nationale de droit international privé reste la République
Démocratique du Congo. Il s’agit du décret du décret du 20 février 1891 portant Titre II du Code civil congolais.
Il n’a pas été abrogé par la loi 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille.

21
L3- Droit International Privé

législations laissaient poindre des divergences dans l’encadrement de certaines institutions. Mu


par l’objectif de sauvegarder la cohérence interne de leur politique législative, chaque
législateur a par ce biais affaibli la portée coordinatrice du droit international privé. Pour
prendre la mesure de telles divergences, la méthode comparative devint un instrument de
référence.

La méthode comparative ne présente pas seulement une fonction théorique en


permettant l’analyse d’une institution juridique. Elle a une fonction politique indéniable. En
effet, elle permet au législateur national d’adopter une norme praticable et adaptée aux relations
privées internationales. Ce résultat, il l’atteint en tirant profit de l’expérience des législateurs
étrangers. Le droit étranger sert alors souvent de piédestal à l’élaboration ou à la réforme du
droit national. Par ce biais, la méthode comparative sert la fonction coordinatrice du droit
international privé en garantissant des solutions plus ou moins uniformes d’un État à un autre.
Pour autant, l’objectif qu’elle permet d’atteindre ne doit pas sacrifier l’équilibre entre
ses règles matérielles et ses normes instrumentales, entre donc son droit interne et son droit
international privé, que chaque législateur se doit de sauvegarder dans son système juridique.
Les emprunts que le législateur national peut faire au droit étranger afin de garantir la
praticabilité de ses normes instrumentales ne doit pas être en porte-à-faux avec son droit interne.
Pour ce faire, chaque législateur devrait s’assurer qu’une solution sectorielle ne contrevienne
pas celles en vigueur dans son système. En guise d’illustration, on peut difficilement concevoir
dans les conflits de lois survenant en matière de régimes matrimoniaux qu’un État puisse
reconnaître compétence à la loi d’autonomie au prétexte de vouloir s’aligner sur les orientations
de ses homologues étrangers alors que son propre droit interne est inféodé à une conception
institutionnelle du mariage qui interdit les contrats de mariage. À propos du droit international
privé sénégalais, un éminent juriste a pu défendre cette opinion pour justifier l’exclusion des
rattachements volontaristes en droit international privé sénégalais des régimes matrimoniaux
en raison notamment de la texture de son droit interne qui ignore le contrat de mariage31.
Dans les récentes codifications intervenues en Afrique, la méthode comparative a
assurément joué un rôle décisif. Saisissant l’occasion de l’unification du droit de la famille, les
législateurs burkinabé et béninois ont pu faire l’expérience d’une telle méthode en raison de

31
En ce sens A.-E.-K. BOYE, « Les mariages mixtes en droit international privé sénégalais », Préface de Pierre
BOUREL, CREDILA & NEA, 1981, n° 184.

22
L3- Droit International Privé

l’incursion remarquée du principe de proximité dans les nouvelles règlementations de droit


international privé de la famille32.
Les moyens empruntés pour faire prospérer la méthode comparative consistent à
conférer à certaines règles la valeur de principes généraux de droit international privé. De façon
classique, les principes généraux du droit international privé sont utilisés par le juge pour
combler les lacunes du droit positif. Ils alimentent également le champ épistémologique de la
méthode comparative en favorisant la porosité des systèmes juridiques. Ainsi, leur connaissance
requiert des études comparées très pointues. Les règles les plus largement admises seront
codifiées ou appliquées dans les systèmes juridiques et éviteront des divergences profondes
entre leur droit positif respectif. En guise d’exemple, la possibilité offerte aux parties de choisir
le droit applicable à un contrat international est considérée comme un principe général de droit
universellement reconnu33. L’inertie de certains législateurs africains en droit international
privé des contrats, celui sénégalais notamment, est donc en partie jugulée par le rayonnement
universel du principe d’autonomie. Ainsi, les juges sénégalais reconnaissent l’application du
principe d’autonomie en droit internationaux privé sans qu’aucun texte ne le proclame de façon
expresse.
Au demeurant, la consécration de ces principes généraux et leur reconnaissance par un
grand nombre d’États favorisent l’harmonie internationale des solutions. La concrétisation d’un
tel objectif passe par la promotion de l’internationalisme.

§II : La recherche d’une harmonie internationale des solutions : la promotion de


l’internationalisme

La recherche d’une harmonie internationale des solutions passe par la promotion de


l’internationalisme requérant l’élaboration et l’adoption de Conventions internationales. En
droit international privé, la conclusion de Conventions internationales reste une réalité
indéniable. En dépit de tous les efforts qu’il faut conjuguer pour obtenir l’adhésion maximale

32
V. E. DEWEDI, « L’incursion du principe de proximité dans les nouvelles règles de conflit en Afrique noire
francophone », Revue Béninoise des Sciences Juridiques et Administratives, 2009, p. 105 ss ; N.
GBAGUIDI, « L’émergence d’un droit international privé de la famille en Afrique noire francophone : cas du
Bénin et du Burkina-Faso », Revue béninoise des sciences juridiques et administratives, 2011, p. 5 ss.
33
En ce sens, V. HEUZE, « « La réglementation des contrats internationaux : étude critique des méthodes »,
Préface de Paul LAGARDE, éd. GLN Joly 1990, pp. 110-111 ; J.-R. GOMEZ, « Un nouveau droit de la vente
commerciale en Afrique », Penant 827, n° 35 ; Ph. FRANCESCAKIS, « Problèmes de droit international privé en
Afrique noire indépendante », RCADI tome 112, 1964, pp. 349-350 ; P. BOUREL, « Réalités et perspectives du
droit international privé en Afrique noire francophone dans le domaine des conflits de lois », JDI 1975, pp. 26-
27 ; P. HAMMJE, « La contribution des principes généraux du droit à la formation du droit international privé »,
Thèse Paris I, 1994, p. 247.

23
L3- Droit International Privé

d’États, les résultats que pond cette initiative sont toujours préférables à une vision esseulée des
solutions qu’il faille apporter aux litiges internationaux. La sécurité juridique gagnée en termes
de prévisibilité du droit applicable et en termes d’atténuation des risques de fraude à la loi est
sans commune mesure surtout pour des questions comportant des enjeux considérables.

En droit international privé, l’internationalisme peut avoir une double déclinaison. Pour
les États, il peut consister à l’adoption de règles de conflits de lois identiques applicables aux
relations privées internationales. Cette déclinaison de l’internationalisme présente le mérite
d’être moins complexe car elle ne nécessite généralement pas des modifications substantielles
des législations nationales. Tout au plus vise t-elle la suppression des disparités juridiques au
niveau des règles de conflit de lois dans les rapports entre États membres. Certains
regroupements ont fait de ce schéma de rapprochement législatif leur clé de voûte. On peut citer
à titre d’exemple la Conférence de la Haye de droit international privé.
La Conférence de La Haye de droit international privé a été créée en 1893. Elle a trois
domaines d’interventions. Un premier volet vise le domaine familial, plus précisément la
protection internationale des enfants et les relations internationales familiales et patrimoniales ;
le deuxième volet concerne l’entraide judiciaire et administrative et le contentieux
international ; enfin un troisième volet est réservé au droit commercial et financier international.
Elle compte à ce jour environ une soixantaine d’États membres. Malheureusement, on ne
compte aucun pays de l’Afrique occidentale à part le Burkina Faso. Des pays non membres de
l’organisation peuvent tout de même ratifier directement les Conventions que la Conférence
propose à l’adoption34. À ce titre, le Sénégal à l’instar de quelques pays africains35, a ratifié la
Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière
d’adoption internationale entrée en vigueur le 1er décembre 2011.
La seconde déclinaison que peut avoir l’internationalisme vise l’unification du droit
matériel. Cette démarche plus complexe se fait sous l’égide d’organisations telles que la
CNUDCI, la CCI, l’UNIDROIT. Si toutes ces organisations ambitionnent de proposer à
l’adoption des règlementations uniformes régissant exclusivement certaines opérations du
commerce international, des différences peuvent être notées au niveau des approches mises en
œuvre. L’approche peut d’abord être sectorielle. Tel effet peut être attaché aux travaux du

34
Pour des informations plus élaborées, voir www.hcch.net.
35
Burundi, Cap-Vert, Côte d’ivoire, Guinée, Kenya, Lesotho, Madagascar, Mali, Rwanda, Swaziland, Togo.

24
L3- Droit International Privé

CNUDCI36 et de la CCI37. L’objectif peut être plus ambitieux et concerné tout un pan du droit.
C’est à la réussite de cette mission que s’attèle l’UNIDROIT38 qui prône une uniformisation
poussée du droit privé sur fond d’internationalisation. De telles œuvres butent toutefois sur
l’attitude réservée des États jaloux de leur souveraineté juridique. Leur influence est toutefois
substantielle à en juger leur diffusion discrète dans le droit positif de certains États.
Force est de reconnaître toutefois que l’internationalisme présente un bilan mitigé en
Afrique. Cette dynamique d’internationalisation du droit n’a gagné l’Afrique occidentale que
très récemment essentiellement par le canal des réalisations de l’UEMOA, de l’OHADA39, de
l’OAPI40... On aurait pu penser que la codification tardive des règles de conflit de lois, quelques
fois même inexistante dans certaines catégories de droit international privé, allait encourager la
ratification de Conventions internationales. Il faut croire que les réserves et les conditions qui
avaient été formulées à ce propos par FRANCESCAKIS ont été entendues et suivies41, trop

36
La CNUDCI a été créée par la Résolution 2205 (XXI) du 17 décembre 1966 de l’AG de l’ONU. Elle a pour
mission d’unifier et d’harmoniser les lois nationales afférentes au droit du commerce international qui peuvent
constituer des entorses aux échanges commerciaux. Voir www.uncitral.org
37
La CCI est une structure non gouvernementale fondée en 1913 dont le siège est à Paris et qui est présentée
comme une organisation mondiale des entreprises auxquelles elle facilite le libre commerce en mettant à leur profit
de nombreux services pour encourager le flux des échanges. Au plan normatif, elle se distingue également en
travaillant à l’établissement de nombreuses lois-types auxquelles les commerçants peuvent se référer directement.
On peut citer notamment, les règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires 600 du 1er juillet
2007, les incoterms de 2000, les règles et pratiques internationales relatives aux standby de 1998, les règles
uniformes pour les « contrats bonds » de 1993. Elle procède souvent à une actualisation des règles qu’elle édicte
pour prendre en compte des évolutions notées dans les pratiques du commerce international. Voir www.iccwbo.org
38
L’UNIDROIT est également une organisation intergouvernementale dont la mission est de parvenir à une
harmonisation poussée du droit privé. Fondé en 1923 puis reconstitué en 1940, l’institut a son siège à Rome et est
constitué aujourd’hui de soixante et un États parmi lesquels on ne compte aucun État de l’Afrique occidentale.
Plusieurs Conventions sont déjà à mettre à son actif parmi lesquelles nous pouvons compter entre autres la
Convention du 1er juillet 1964 portant loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels de la
Haye, la Convention d’UNIDROIT du 28 mai 1988 sur le crédit-bail international d’Ottawa, la Convention
d’UNIDROIT du 28 mai 1988 sur l’affacturage international d’Ottawa, la Convention d’UNIDROIT du 24 juin
1995 sur les biens volés ou illicitement exportés de Rome, la Convention du 16 novembre 2001 relative aux
garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles du Cap de 2001. Elle a également proposé
des lois types telles que la loi type du 25 septembre 2002 portant sur la divulgation des informations en matière de
franchise, des principes tels que les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international ou les
Principes ALI/UNIDROIT de procédure civile transnationale et des guides tels que ceux sur les accords
internationaux de Franchise principale de 1998. Voir www.unidroit.org
39
G. NGOUMTSA-ANOU, « Droit OHADA et conflits de lois », Thèse mult. en cotutelle, Université Lyon III &
Université Yaoundé II, 2009 ; NGOUMTSA-ANOU (G.), Encyclopédie du droit OHADA, Paul-Gérard
POUGOUE (dir.), Lamy 2011, v° Actes uniformes et conflits de lois, p. 174 ss., POUGOUÉ (P.-G.) &
NGOUMTSA-ANOU (G.), L’applicabilité spatiale du nouveau droit OHADA de la vente commerciale et le droit
international privé : une réforme inachevée, Mélanges en l’honneur du Professeur Jean-Michel JACQUET, Lexis
Nexis, 2013, pp. 541-560.
40
V. L.-Y. NGOMBE, « Mise en œuvre du droit d’auteur dans les États membres de l’OAPI et questions de droit
international privé », JDI 2006, p. 565 ss.
41
« Quant aux conventions existantes, il s’agit de celles conclues avant aussi bien qu’après l’indépendance. Il
serait souhaitable que les autorités de nos États procèdent à une vérification systématique de l’opportunité et de
la possibilité, quant aux premières, de confirmer formellement l’engagement antérieur, quant aux secondes, d’y

25
L3- Droit International Privé

peut être. En matière contractuelle, parmi les États membres de l’OHADA, seul le Niger a ratifié
une Convention internationale de droit conflictuel42. Il s’agit de la Convention de la Haye sur
la loi applicable aux ventes à caractère international d’objets mobiliers43.
Le bilan très pauvre des ratifications dans le domaine des conflits de lois contraste
néanmoins avec celui des Conventions de droit international privé matériel où une dynamique
nouvelle se fait jour. Il avait été soutenu pourtant que « le droit du commerce international ne
semble pas être un domaine de travail prioritaire en Afrique du fait de la prépondérance
d’autres problèmes plus urgents ainsi que d’un relatif isolement par rapport aux
développements juridiques internationaux et une prise en compte limitée des bénéfices
économiques qui découleraient de la mise en place d’un système moderne de droit
commercial »44. Au rebours d’une telle observation, la cadence de ratification des Conventions
de droit matériel est très appréciable. Pour s’en convaincre, la CVIM est dorénavant applicable
dans quatre États membres de l’OHADA : le Bénin, le Congo-Brazzaville45, le Gabon, la
Guinée. La Guinée et le Bénin ont ratifié la Convention sur la prescription en matière de ventes
internationales de marchandises de 1974. Le Burkina Faso, le Cameroun, la Guinée, la
République Démocratique du Congo et le Sénégal ont ratifié la Convention sur le transport de
marchandises par mer ‘Règles de Hambourg’ de 1978. Le Sénégal a ratifié la Convention du
16 novembre 2001 relative aux garanties internationales portant sur les équipements matériels
mobiles et son Protocole additionnel de la même date portant sur les questions spécifiques aux
matériels d’équipement aéronautiques. Le Bénin et le Togo ont ratifié la Convention
internationale du 23 avril 1970 relative au contrat de voyage. Le Gabon a ratifié la Convention
des Nations Unies sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by (New York, 1995).
La République Démocratique du Congo a ratifié la Convention des Nations Unies sur l'utilisation de
communications électroniques dans les contrats internationaux (New York, 2005). La Convention
pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international de Varsovie du
12 octobre 1929 s’applique au Sénégal, au Cameroun, au Bénin, au Gabon, en République
Démocratique du Congo, en Guinée, au Mali, en Côte d’ivoire, au Congo-Brazzaville, au Niger, au
Burkina Faso et au Togo. Le Burkina Faso, le Sénégal, le Mali, le Niger, la Côte d’ivoire, le

adhérer » ; P. FRANCESCAKIS, « Le droit international privé dans le monde postcolonial. Le cas de l’Afrique
noire », Clunet, 1973, pp. 60-61
42
Le Niger n’est pas pour autant membre de cette organisation.
43
Cette Convention est entrée en vigueur au Niger le 10 décembre 1971.
44
L.-G. CASTELLANI, « Assurer l’harmonisation du droit des contrats aux niveaux régional et mondial : la
Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises et le rôle de la CNUDCI »,
Rev. dr. unif., 2008, p. 103.
45
Entrée en vigueur le 1er juillet 2015.

26
L3- Droit International Privé

Togo, le Cameroun, le Congo-Brazzaville, la République Démocratique du Congo, la


Centrafrique, le Gabon, le Bénin, ont également ratifié la Convention pour l’unification de
certaines règles relatives au transport aérien international du 28 mai 1999.
L’importance conférée à l’adoption des Conventions internationales ne remet pas en
cause les méthodes classiques du droit des conflits de lois. Néanmoins, elle caractérise la
période post-savignienne en droit international privé comparé. Aujourd’hui encore, cette
dynamique ne s’est pas estompée surtout en droit international privé européen. En effet, depuis
l’européanisation du droit international privé intervenue après l’entrée en vigueur du Traité
d’Amsterdam intervenue le 1er mai 1999. En vertu des articles 65 et 67 du Traité, le pilier relatif
à la coopération judiciaire en matière civile et commerciale a été communautarisé. L’UE peut
désormais légiférer en droit international privé afin d’atteindre les objectifs poursuivis par les
Traités fondamentaux. Faute de pouvoir uniformiser le droit matériel, de nombreuses
règlementations de droit international privé ont été adoptées sur cette base46.

46
V. Règlement CE no 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit « Bruxelles II bis », relatif à la compétence, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ;
Règlement CE no 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I » ; Règlement CE n° 4/2009 du 18
décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’’exécution des décisions et la
coopération en matière d’obligations alimentaires ; Règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux
procédures d'insolvabilité ; Règlement CE n° 650/2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance
et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la
création d'un certificat successoral européen ; Règlement CE n° 1393/2007 du 13 novembre 2007 relatif à la
signification et la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires ; Règlement CE n° 864/2007 du 11 juillet
2007 sur les obligations non contractuelles dit Rome II ; Règlement CE no 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles dit Rome I.

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