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A. PILLET
Professeur a l'Université de Paris.
NOTICE BIOGRAPHIQUE
INTRODUCTION
Mais ailleurs encore notre principe fait valoir son effet et permet
de diminuer la part laissée à la territorialité dans notre domaine.
Cela est sensible, par exemple, en matière de propriété mobilière;
les modes d'acquisition de la propriété mobilière sont assez variés
et notamment tous les États ne reçoivent pas chez eux la maxime
500 A. PILLET. — LES DROITS ACQUIS
dans le dit pays, mais, une fois ces lois appliquées, les droits qui
en résultent peuvent être invoqués à l'étranger aussi bien qu'à
l'intérieur : si j'acquiers un immeuble, c'est en vertu d'une loi terri-
toriale, mais ma qualité de propriétaire peut à l'occasion produire
ses effets à l'étranger aussi bien que dans le pays de mon acquisi-
tion. Voilà quelle est l'analyse de la territorialité ordinaire. Ici
nous sommes en présence d'une territorialité en quelque sorte ren-
forcée, renforcée parce qu'elle renferme plus rigoureusement dans
les limites du territoire l'effet des lois qu'elle comprend; non seu-
lement ces lois s'appliquent à toutes personnes suivant la notion
générale de la territorialité, mais elles présentent ceci de par-
ticulier que les droits acquis sur le fondement des dites lois ne
peuvent jamais être invoqués que dans l'étendue du pays où ils
ont été acquis.
Et, faut-il l'avouer, cette idée d'une double territorialité, d'une
territorialité renforcée venant s'accoler à la territorialité ordinaire
pour en augmenter les effets, cette idée m'a longtemps embarrassé
et je ne savais comment l'appliquer, quoique la pratique certaine
des nations ne démontrât que cette territorialité renforcée existait
bien. Puis, en étudiant ce principe de l'effet international des droits
acquis, j'aperçus un jour qu'il n'y avait pas dans ces lois d'exemple
d'une territorialité renforcée, comme je l'avais cru jusque-là, mais
simplement cette idée que ces lois, territoriales comme toutes les
lois de territorialité, présentaient de plus cette particularité qu'elles
échappaient au principe de l'effet international des droits acquis.
Un exemple tout à fait facile va montrer la distance qui sépare
les lois dont nous parlons des lois territoriales ordinaires : Comparons
l'une à l'autre la dette provenant d'une amende prononcée contre
un délinquant et la dette qui a son origine dans une poursuite en
réparation d'un délit civil. Voilà deux dettes très semblables l'une
à l'autre, conséquences de deux délits avec cette différence que l'un
est un délit civil, l'autre un délit criminel. Eh bien, dans l'ordre
international, ces deux dettes ne se comportent plus du tout de la
même façon. La dette provenant d'une amende peut être recouvrée
sur le débiteur dans le pays où la condamnation a été prononcée,
mais on tenterait vainement de saisir, pour la faire payer, les biens
du débiteur situés à l'étranger. La dette ayant sa base dans la répa-
ration du délit civil est au contraire une dette ordinaire, si elle a été
516 A. PILLET. — LES DROITS ACQUIS
que l'on appelle « le homestead » n'existe pas dans tous les pays.
Il est élémentaire que l'on ne pourrait point, parce que l'on
appartient à une famille étrangère, obliger un pays à garantir cette
indivision forcée entre les membres de la famille. De même, on peut
supposer que certains droits réels, le droit de superficie, par exemple,
ne soit pas reconnu partout : on n'admettra pas qu'un État soit
obligé de l'organiser pour l'usage seulement d'étrangers qui comptent
ce droit dans leur législation nationale.
Nous ne dirons rien de plus de cette première exception; nous
passons à la seconde qui a des titres bien plus sérieux à notre
attention.
Il est élémentaire que l'on ne peut pas, sur le vu d'un droit
acquis à l'étranger, exiger l'exécution de ce droit dans un autre
pays ou cette exécution sera contraire à l'ordre public. C'est une
des plus vieilles règles de notre science que celle qui permet d'étendre
aux étrangers l'autorité des lois d'ordre public; du reste, la mesure
même de cette exception n'est pas facile à fixer. On se rappelle
les doutes qu'a suscités chez nous la question du second mariage
du divorcé. Il s'agissait, alors que nous n'avions pas encore rétabli
le divorce, de savoir si un étranger régulièrement divorcé et possé-
dant, par conséquent, un droit acquis à se remarier pouvait exercer
ce droit en France et y contracter mariage et les juges hésitaient
beaucoup à le lui permettre.
Dans bien des cas autres que celui-là, le même doute se présente,
mais ce ne sont pas les doutes de ce genre qui nous intéressent
surtout ici.
Ce qu'il faut avant tout définir, ce qu'il faut comprendre, c'est
le jeu exact de l'exception d'ordre public dans cette matière. Il a
pour objet, et pour unique objet, d'empêcher que l'on ne fasse
produire sur le territoire d'un État l'effet d'un droit acquis à
l'étranger, lorsque cet effet est considéré comme contraire à l'ordre
public. On doit remarquer que le rôle de l'ordre public n'est pas
toujours celui-là. Les lois d'ordre public ont une autre compétence,
beaucoup plus étendue et plus considérable; elles s'appliquent
aussi et d'abord aux actes faits sur le territoire où elles sont en
vigueur, et à ce titre elles obligent les étrangers à se plier à l'empire
de leurs dispositions. Dans ce domaine, leur rôle est très différent.
Ce n'est pas seulement une exception que l'ordre public permet
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DE L'EXTINCTION DE L'AUTORITÉ
D E S D R O I T S ACQUIS
L ne s'agit pas, dans ce chapitre, des droits qui ont été irréguliers
I dès leur origine et qui, pour cette raison, sont privés de leurs
effets internationaux. Nous envisageons au contraire les droits
qui ont été acquis suivant les règles, mais dont les effets cessent
pour une raison quelconque. Dans quels cas et suivant quelles lois
cette extinction aura-t-elle lieu? Il est bon de renouveler ici la dis-
tinction qui a été faite dès le début de cette étude entre les droits
à origine nationale et à effets internationaux et les droits qui, dès
le début, ont eu dans leur construction quelque chose d'interna-
tional. Ces derniers vont nous fixer sur le principe qui dominera
cette face tout entière de la théorie. Lorsqu'on se demande pour
quelles causes un droit acquis dans des conditions purement natio-
nales peut disparaître, il est évident que ces causes ne sont pas
autres que celles que définit la loi nationale dont il s'agit. Le droit
est de structure purement nationale, il ne peut pas disparaître par
l'effet d'une autre loi. Nous appliquerons ce principe, dans cette
première hypothèse, aux diverses causes d'extinction qui peuvent
se présenter.
Tout d'abord, on peut supposer que le droit ait épuisé son effet,
il a eu toute l'exécution qu'il pouvait avoir, il a fait l'objet d'un
paiement. Cette hypothèse du paiement doit nous arrêter un
instant; ce sera la loi qui a présidé à l'acquisition du droit acquis
qui décidera si le débiteur peut offrir à son créancier un paiement
partiel ou si cedernier n'est obligé de recevoir qu'un paiement total.
Mais ce principe a d'autres applications plus intéressantes : il est à
invoquer dans la question, si discutée aujourd'hui, de la monnaie
dans laquelle le paiement peut être fait. Quand il existe un doute sur
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un eilet sur les droits des créanciers, parce que le concordat n'est
pas un contrat, c'est une procédure.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que de la première de nos deux hypo-
thèses; si nous passons maintenant au cas où le droit a été inter-
national dès l'origine, nous déciderons que les mêmes solutions
doivent être appliquées. Ce qui différencie cette hypothèse de la
précédente, c'est que la naissance du droit a donné Heu à des con-
flits qu'il a fallu résoudre et que peut-être ce droit est pour une
certaine part soumis aux lois étrangères, mais il n'en a pas moins
été constitué dans un pays, en vertu de la doctrine particulière à.
ce pays et, en ce sens, c'est encore un droit né sous l'égide des lois
de ce même pays. On peut donc, au point de vue de son exécution,
l'assimiler au précédent et dire que c'est la loi du lieu de création
qui est eu cette matière la grande maîtresse.
Il serait facile d'emprunter à la pratique des quantités d'appli-
cations de la doctrine de l'effet international des droits, acquis en
cette matière.
Nous préférons mentionner ici un cas dans lequel toute une cons-
titution juridique a été édifiée au mépris de cette doctrine, consti-
tution ruineuse du reste et qui déjà a, disparu. Nous voulons parler
de la convention de la Haye du 12 juin 1902 sur le mariage qui a
été écrite dans l'ignorance ahsolue de l'effet possible du droit acquis
dans l'ordre international. Ainsi nous la voyons transformer des
empêchements dirimants en empêchements simplement prohibitifs,
et il en résulte qu'un mariage qui est nul dans le lieu où il a été con-
tracté peut être considéré comme valable à l'étranger : valable com-
ment, en vertu de quoi, sur quelles bases? on ne le voit pas, car
enfin la base du mariage c'est sa célébration et précisément ce
mariage est nul dans le pays de célébration.
Nous voyons aussi dans certains cas, celui de la nullité pour
mariage antérieur ou pour obstacle d'ordre religieux, un. mariage
valable dans les pays autres que celui où il a été célébré; ce second
cas présente exactement le même caractère d'absurdité que nous,
venons de relever daqs le premier. Inversement ailleurs, dans la
même convention (art. 3), on nous parle d'un mariage valable là
où il a été célébré et qui peut être considéré dans d'autres pays
comme nul. Alors c'est un vice d'un nouveau genre — la validité
du mariage dans le pays de célébration est reconnue, mais on ne
EXTINCTION 53t
L est resté très longtemps inaperçu et l'on peut dire que, dans
le champ du droit international privé, c'est une série de
phénomènes jusqu'ici négligés qui reste à découvrir.
Nous avons vu au chapitre précédent qu'un droit internatio-
nalement acquis peut être résilié par l'intervention de l'une des
causes d'extinction auxquelles ce droit est sujet; mais un droit
régulièrement acquis peut disparaître également par l'effet de la
construction d'un nouveau droit incompatible avec le premier.
La disparition par le paiement sera le type du mode de disparition
de la première catégorie, la disparition par dation en paiement
sera un exemple de la deuxième. C'est un titre nouveau que cette
dation en paiement et cependant le droit précédemment acquis
ne peut plus coexister avec elle.
Quelle va être l'influence de l'érection de ces droits nouveaux,
qui ne peuvent pas vivre avec les droits précédemment acquis?
Il faut encore ici distinguer les deux hypothèses que nous avons
opposées l'une à l'autre. Si le droit nouvellement acquis est organisé
dans le pays même ou le droit précédent avait été créé, aucune
difficulté n'est possible; c'est la même loi, la loi de ce pays étranger
qui nous dira à quelles conditions le droit anciennement acquis
existe encore et à quelles conditions le droit nouvellement acquis
vient le remplacer. Encore faut-il hésiter à dire, même sur ce point,
qu'il n'y ait pas des idées nouvelles dont il importe de tenir compte.
Nous avons à ce sujet un curieux arrêt rendu il y a quelques
années par la Cour de Cassation dans une affaire Dreyfus-Gonzalès
(13 février 1922 — Cl. p. 969). Ces Dreyfus-Gonzalès étaient origi-
INFLUENCE DES DROITS NOUVEAUX 533
NOTICES BIOGRAPHIQUES
M. Karl Strupp 3
M. Arthur K.Kuhn 127
M. Albert Guani 205
M. Manley 0. Hudson 343
M. George Grenville Phillimore 415
M. A. Pillet 487
INDEX ALPHABÉTIQUE 539