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Ex dela
Libris Dipulación
Biblioteca Provincial
Central Barcelona
S
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Y
1
L'ILIADE
ET
L'ODYSSEE
D'HOMÈRE ,
TRADUITES DU GREC,
PLAN
A PARIS ,
1836.
D'AUTEURS CLASSIQUES .
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET ,
RUE DE VAUGIRARD , Nº 9.
L'ILIADE
ET
L'ODYSSÉE
D'HOMERE ,
TRADUITES DU GREC,
T
SH
QI
TE
CA
SIN
A PARIS ,
M DCCC XXXVI.
•
DIALOGUE .
ΔΙΑΛΟΓΟΣ .
que des hommes , soumis à la douleur, et plus vils que les plus
vils des humains .
Jupiter , ou s'il est un autre nom plus digne de l'Étre suprême,
je l'ai peint si différent des Dieux du vulgaire , qu'il n'y a trait
qui leur ressemble .
En lui seul réside la toute-puissance : il étoit avant qu'ils
existassent ; il n'est point d'intelligence égale à la sienne . Tou
jours il est assis loin des autres Divinités , au sommet de la
voûte azurée. Il donne à son gré la victoire . Il donne ou il ôte
à son gré le courage. Le sort , le destin est dans ses mains ; il
est l'arbitre souverain de la mort ou de la vie . Sa providence
veille sur tous les êtres ; il tient la balance de la guerre ; jamais
il ne se mêle dans les combats ; son œil compatissant est ouvert
et sur les vaincus et sur les vainqueurs ; mais l'homme vertueux ,
l'homme juste , est le premier objet de son intérêt et de sa pitié.
Son courroux ne s'allume que contre ces mortels odieux dont les
arrêts outragent la justice et font gémir les lois .
Voilà sans doute l'idée que nous devons avoir de l'Être su
prême , de la divine Intelligence . Mais les Dieux du peuple ,
qu'est-ce autre chose que les folles passions des hommes , ou les
agents , les ministres des volontés divines ?
Mars , le destructeur des humains , dont la fureur inconstante
promène le désastre dans tous les partis , tu m'étonnerois fort si
tu ne reconnoissois pas à de pareils traits ces monstres insa
tiables de combats , toujours altérés de sang , toujours avides de
le répandre .
Et cette impudente Vénus , si fatale à Troie , et qui paya
d'un si funeste présent la complaisance de Paris , n'est-ce pas
évidemment le grand fléau des hommes , cette mollesse volup
tueuse qui les énerve , et ces honteuses passions qui les asser
vissent ?
Ces deux Divinités , je les ai jetées dans le parti des Troyens.
Encore à Troie , comme dans le camp des Grecs , elles n'ont
point d'autels , on ne leur offre ni vœux ni sacrifices . Junon
elle-même , ai-je besoin de dire que je ne l'ai jamais regardée
comme une Déesse ? Dans toute l'Iliade , on ne lui adresse ni
· encens ni prières . C'est Jupiter , Jupiter seul que les Troyens et
les Grecs implorent comme le roi et le père des mortels et des
Dieux .
Αλλα δη των θεων ονοματα , Ερις , Ατη , Λιται και Εριννυες , κενα
μεν εσης και αδυνατα γενεσθαι, αλλα μεντοι προς το την διηγησικ
θαυματοποιησαι ποικίλως , η και τους πονηρους εκφοβήσαι , ουκ ατόπως
ευρημένα .
Ταυτα μεν , ω Μελησιγενες , ορθώς μεν εμοι δοκεις απολογήσασθαι·
αλλα * τα του Διος και Ηρας εν Ιδης κορύφησι, και τον εν Γαργαρο
υπνον , και την των επόμενων αγνοιαν , ουκ οιδα οπως αν επανορθώσεις .
Ταυτα μεν, ω'γαθε, απολογίας ουκ ενδειται, αλλ ' οσα μεν αινιττο
μενος , και αλληγορων ηειδον , οια νυν ελεγες , και την Ηρην υψοθε
κρεμωμένην , και τους εκ ποδοιν ακμονας , και τον χρυσεον άρρηκτον
τε περι χερσι δεσμον , και τ' αλλα παραπλησίως εικασμένα , ει τις
ειδειν βούλεται σαφως , εις Αιγυπτον πλευσαντα κελευω τους ενταυθα
ιερέας ερωταν. Εγω γαρ τουτους εντευθεν εξηνεγκα μυθους · ες φάος
δε προφέρειν , ου θεμις .
Δόξει μεν ισως ταυτα περι της των θεών φύσεως ευσεβως έχειν , πια
θανως τε λέγεσθαι· αλλα και ανθρωπους ου ποιους εποίησας , στους αν
ήμας εθελοις είναι σοφους και αγαθους , και τους ανθρώπους φιλους .
8
DIALOGUE . vij
vers que les fléaux de la guerre , les querelles et le carnage. Tes
héros , tes enfants des Dieux , ce sont bien les plus méchants
des hommes , si ce n'est qu'il ne faille pas appeler méchants les
destructeurs de l'humanité . Achille est un tigre en furie , in
flexible , inexorable ; il ne sait qu'égorger et s'enivrer de sang.
La pitié est éteinte dans son ame .
Le roi des rois , le puissant Atride , c'est un tyran , le fléau
de ses sujets , qui , pour une misérable captive , sacrifie et ses
soldats et l'intérêt de toute la Grèce. Et la première cause de
cette guerre , cette impudente Hélène qui fit les malheurs des
Grecs et des Troyens , comment as-tu osé la chanter ?
-Si j'eusse trouvé un sujet plus noble , plus intéressant , je
l'aurois préféré ; mais en reportant mes regards sur le passé , je
ne trouvai point d'évènement plus grand ni plus fécond en
grands exemples.loanga
Et d'abord , la cause de la guerre , tu conviendras qu'elle
Εγωγε θαυμαζω μαλιστα τον Μελησιγενην , ότι αγαθος τε ων, και αλλους
διδάσκων είναι αγαθους , όμως εν τοις αυτου ποιημασι τα του πολεμου
κακα , και τας εριδας , και τας ανδροκτασίας σεμνως αείδει και μεγα
λοπρεπως · ους δ ' ηρωας και Διος υιους ονομάζει , τουτους επι το
πολυ των ανθρωπων κακις τους αποφαίνει , πλην ει το τους ανθρωπους
βλαπτειν, τουτο μη κακον είναι λίγοι τις· και γαρ ο Αχιλλευς μαίνεται
θηρι εοικως ,
– Ουθ' οι φρένες εισιν εναισιμοι , ουδα νόημα
Γναμπτον ενι στήθεσσι , λέων δ' ως αγρια ηδη ·
ελεον τ ' απωλεσεν .
Ο δε αναξ ανδρών Ατρείδης , ευρυκρείων Αγαμεμνων, δημοβόρος τις
εσης βασιλεύς , πασαν την των λαων και των κοινη συμφερόντων , κουρης
ενεκα , μνήμην αποβαλων . Την δε του πολεμου αιτιαν , πως αν ετολμας
ταύτην Ελένην, την κυνωπίδα , Τρωων τε και Αχαιων βλαβην, αείδειν ;
Εγω μεν ει τις αξιώτερα πως ετυχε του ποιήματος υλή , της Ελένης
και των επί Τροιαν , ταχ ' αν τα βελτιονα προειλόμην ασμένως· αλλά
προς τα παλαι αφορωντι ουδεν εδοκει , η μειζον γενεσθαι πράγμα , η
μειζοσι γεμον παραδειγμασι .
Και πρωτον γε την του πολεμειν αιτίαν μεγαλην τινα και ευπρεπη
;
viij DIALOGUE .
étoit assez importante . En ravissant la fille et la soeur des héros ,
la femme et la belle-fille des rois , ce n'étoit pas seulement
Ménélas et les Atrides que Pâris avoit outragés ; cette injure
intéressoit toutes ces peuplades qui , sorties d'une même tige ,
ayant et la même langue et les mêmes usages , formoient natu
rellement une nation distincte et rivale des autres nations : en
punissant le ravisseur d'Hélène , en vengeant ses malheurs ,
chaque citoyen de la Grèce se défendoit d'avance contre un
semblable outrage .
D'ailleurs Pâris ramenoit un brigandage odieux qui avoit
long-temps déshonoré nos contrées , et qu'à peine on étoit par
venu à détruire. En effet , le brigandage avoit été le métier de
nos aïeux. Dans la foiblesse de nos petits états , dans l'indigence
générale , ce métier n'avoit , pour ainsi dire , rien de honteux.
Mais quand les richesses se furent accrues , le goût de la pro
priété se fortifia . Au plaisir d'avoir se joignit le désir d'avoir
encore davantage. Aussi les Grecs , furieux de voir renaître ce
fléau commun , volèrent-ils avec plus d'ardeur à la punition du
brigand qui en avoit donné l'exemple .
Hélène elle-même n'étoit point un prix indigne de tant de
εύροις αν ειναι . Αλέξανδρος γαρ , την των ηρωων θυγατερα και αυτοκα
σιγνητην , των δε βασιλέων την γυναικα και νυον εξαρπαξας , ου τον
Μενέλαον ητιμησε μόνον και τους Ατρείδας· αλλα τι της αδικίας
αυτής και πασι τοις έθνεσι προσηκεν , οσα τη αυτή φωνή , τοις αυτοις
επιτηδεύμασι χρωμενα , συγγενείᾳ τε συνεχομένα , τοις αλλοδαποις
ηδη τι υπηρχεν αντιπαλα . Εν δε τῳ της Ελενης ορμήματα τε , στοναχάς
τε τισασθαι, ομοιαν τινα υβριν αφ' εαυτων απαντες έφθανον αμυνοντες .
1 Ετι δε προς τουτοις ο Αλέξανδρος το της ληστείας κακον πολλον
μεν χρόνον τοις ενθένδ ' ανθρωποις εμπεφυκος , μολις δε πεπαυμενον
επανηγεν αυτις · ταύτην δε μοχθηρίαν κοινῇ βλαβεραν νεωχμούσθαι πως
αγανακτούντες , μείζονι τινι οργῇ εις την του λήσπου κολάσιν εφαρμο
θησαν· ην γαρ το ληστικόν εμπροσθεν ημιν πατρώον , και εν τη των
πολεων ασθενεια και απορια αισχύνης , ως επος ειπειν , ουδεν ειχεν .
Αυξηθεντων δε των χρημάτων , τοτε δ ' εκαστος τα εαυτου μαλλον ηγά
πησεν επί τε το εχειν , και το πλεονεκτειν επεγενετο .
Ελενη δ ' αυτή ου φαύλον τι και ανάξιον ην του αμιλλήματος αεθλον .
1
DIALOGUE . ix
combats. Beauté rivale des Déesses , elle fait pardonner aux
Grecs et aux Troyens tous les travaux et tous les malheurs
qu'elle leur a coûtés .
Ce n'étoit point une femme sans pudeur , une femme ennemie
de la vertu . En effet , Pâris l'avoit enlevée malgré elle ; du
moins Ménélas le croyoit , et tous les Grecs le croyoient avec
lui. Partout elle regrette et son premier époux , et ses parents et
sa patrie .
Θεσεις γαρ το πρώτον εις ωπα εοικεν , ωστε ου νεμεσιν είναι τοι αμφι
γυναικι Τρώας και Αχαιους πολυν χρονον αλγεα πάσχειν .
Έπειτα δε ουκ αναιδής καὶ μισαρετης · και γαρ υπ' Αλεξανδρου
εξήρπαστο αεκουσα · ογε Μενέλαος και των Αχαιων οι αλλοι αεκουσαν
εξήρπασθαι δοξαζουσ :. Πανταχου δε φαίνεται τον ανδρα τον πρότερον ,
και αυτό , και τους τοκήας ποθέουσα ·
ανδρων τε , και των πατέρων , και των πολιτων , αμα δε και των ηρώων
βελτιστος , της Ελένης υπ ' αλλων ονειδιζόμενης ουκ αμελεί , αλλά
κηδόμενος , αφηγωντε παρίσταται .
Ah ! que n'ai- je péri plus tôt ! malheureux ! qui n'ai point défendu les
jours de mon ami ! Il est tombé loin de son cher pays, et ses derniers vœux
ont vainement imploré ma vengeance ! .....
Je ne reverrai plus mon heureuse patrie ! J'ai été inutile à Patrocle ! j'ai
été inutile à tant de guerriers qui ont mordu la poussière sous les coups de
On ne doit pas louer , sans doute , tout ce que lui fait faire
l'ardeur de venger son ami . Un autre le pardonneroit peut-être.
Moi , loin de louer des actions aussi atroces , je me suis attaché
à les peindre des couleurs les plus noires.
Mais quand il a dompté son ressentiment , quand il n'est plus
aveuglé par la rage , Achille redevient un homme sensible , l'ami
des hommes , le bienfaiteur de ses ennemis mêmes. Il a pour
Priam le respect qu'on doit à un infortuné ; il l'honore comme
un roi ; il pleure avec lui ; il lui rend son fils ; il remplit , en un
mot , les devoirs de l'ami le plus tendre , de l'hôte le plus
attentif .
Le roi des rois , Agamemnon , cède à son orgueil et à son
empressement. Sa foiblesse fait le malheur des Grecs et sa honte.
Αλλ ' η μεν Ιλιας παντι τῷ δήμῳ μαλλον η τοις ιδιωταις γεγραπται.
Εγω γαρ , ευθυς εκ του παιδος , ουκ εμοι γε μόνον εμε γεγενησθαι
ησθόμην , αλλα και πασιν , ως ειπειν , τοις γ' εν αυτη χωρα κατοικουσι .
Ηρχομην ουν ησυχη τα των ανθρωπων οποία ην , και α μεν ιδια
χρήσιμα , αδε κοινή συμφέροντα σκεπτόμενος· επειτα δε των εν τη
ηπειρο τηδε , και ταις περιξ νησοις πολέων οποία μεν η πολιτεία , οι
νόμοι, και τα επιτηδεύματα , οσα δ ' η δυναμις , τα τε χρήματα , και
πρόσοδοι.
Και τα μεν πλείστα εν ηπειρο εωρων οτι ου βεβαίως πεπολιτευται ,
ατε στασιάζοντα το πολυ · ην δε τις αταξία τε και των νόμων , ως
είπειν , ανομία , των τε δυνατων προς τους αδυνατους αγωνισμα και
xvj DIALOGUE .
guerre avec les petits ; les premiers aspirant à la tyrannie , les
seconds amoureux d'une liberté indéfinie et sans bornes.
D'un côté , les Lacédémoniens , déjà puissants , menaçoient
de le devenir encore davantage. Leur caractère dur et agreste
ne sembloit formé que pour la guerre .
De l'autre , Athènes florissante annonçoit une rivale à Lacé
démone ; je crus voir ces deux états prêts à se disputer l'em
pire , et les autres , déterminés par des intérêts divers , s'attacher
à l'une ou à l'autre de ces deux puissances , se mêler dans leur
choc ; et de là , le feu de la discorde et de la guerre embraser
toute la contrée .
Les peuples voisins de la mer, tels que les Corinthiens , ne
songeoient qu'au commerce et aux richesses . Les insulaires ,
tranquilles au milieu des eaux qui les environnent , voyoient
dans la mer et dans leurs vaisseaux une barrière impénétrable ;
les uns et les autres étoient indifférents aux mouvements qui
• agitoient l'intérieur du continent .
Les colonies transplantées dans l'Asie et dans l'Hespérie
avoient presque oublié leur métropole . Aux mœurs , aux usages
περικρατει , αλλ ' οπως αν βουλωνται παντες , ουτως ενα δηθεν αρχειν
λυσιτελει. Της δε πατρικης βασιλείας ταυτης το παραδειγμα εν τη
Ιλιαδι απεικονισθεν ἴδοι τις · ο γαρ Αγαμεμνων ου πριν τι δημοσία
κελευει , η βεζουλευται· περι δε των μικρων και τυγχανοντων οι μεν
βασιλεις και αριστοι , περι δε των μειζόνων και τη κοινή δόξη η σωτη
μια προσηκόντων , η των παντων αγορα συγκαλείται .
Τούτου γε μην του οχλου την αμαθιαν και αφραδιαν ουκ εστιν ο στις
αν δύναται κυβερναν , ει μη δεινος λέγειν . Τους ουν βασιλέας και
αριστους χρη της δημηγορίας απτεσθαι , τοιους δ' εἶναι οιον Αχιλλέα
γενέσθαι ο Φοινιξ εδίδασκε ,
Μυθων τε ρητήρ' είναι , πρηκτηρα τε έργων .
ለ
Ταυτα σοι εστιν , ων ενεκα την τε βασιλειαν επηνεσα πανταχού , τους
δε βασιλεας διογενεις ωνόμαζον , το τε σκήπτρον και την βασιλικήν
τιμην εκ Διος είναι εδιδαξα .
Και μην δεινον ουδεν ει , μετελθοντος χρονου , τους εν Ιλιαδι λόγους
ενιοι των τυραννιδας καταστησαι γλιχομενων συνηγορους επικαλοιεν ,
τα δε μου ποιηματα εις τας πολεις αμα τοις τυραννοις εισερχοιντο .
αλλα τεις αναγινωσκουσιν , οσον αισθανεσθαι, ουδεν ουδαμου εν αυτοις
δόξει 행 τυραννίδι συνεπιμαρτυρεῖν .
Εγω μεν ει πολυχρήματος και ολβιος αν εγενόμην , ίσως αν έβουλο
μην σεμνος τις εν ταις αγοραις των περι της πολιτειας και νομοθεσίας
είναι διδάσκαλος .
Αλλ' εν μικρό και ταπεινῳ γενομενος , πολλοις αν γέλωτα και μω
μιαν οφελειν δοξαιμι τουτο επιχειρησας . Αλλα το ποιητικόν ορων ότι
τιμης πολυ μεν είχε , τους δε ποιητας ωσπερ τινας των θεων αγγελους
ακουειν τε και πιστευεσθαι , ποιητής εγενομην , ενεκα του χρήσαι και
αυτός .
'On peut croire que ce dialogue a été composé par un de ces rhapsodes
qui alloient dans la Grèce chanter les vers d'Homère. Ils ne se bornoient pas
à les chanter ; Platon nous apprend qu'ils en développoient le sens , et qu'ils
s'attachoient à faire sortir les leçons que ces poemes renferment.
י
ןי
Do yo
L'ILIADE .
0000000000
CHANT PREMIER .
T
10 L'ILIADE .
lui qui , par vos mains , me ravit ma Briséis. Va , Patrocle ;
་་ conduis hors de ma tente cette jeune captive ; qu'ils l'em
« mènent. Vous , témoins de mon injure , soyez-le de mes
་་ serments ; attestez -les aux Dieux , aux mortels , à ce ty
CHANT DEUXIÈME .
<< dans ton esprit , garde que l'oubli ne les efface ; et dès que
« le sommeil abandonnera tes paupières , songe à les exé
cuter. »
A ces mots il s'envole , et laisse Agamemnon tout plein
d'un succès qu'il ne doit point obtenir. Il croit , l'insensé ,
que ce jour est le dernier jour de Troie ; mais les desseins.
de Jupiter sont cachés pour lui. Ce Dieu réserve encore
aux Grecs et aux Troyens de funestes combats et de dou
loureux gémissements.
Atride s'éveille ; les accents de la voix divine retentissent
encore à son oreille ; il s'assied sur son lit , revêt une su
perbe tunique , se couvre d'un manteau de pourpre , ceint
ses brodequins et prend son baudrier , d'où pend une riche
épée ; armé du sceptre antique de ses aïeux , il s'avance vers
les vaisseaux des Grecs.
Déja l'Aurore s'élançoit dans les cieux , et annonçoit le
jour à Jupiter et aux immortels. Atride ordonne à ses hé
rauts de convoquer l'assemblée : ils obéissent , et tous les
Grecs se réveillent à leur voix . Un premier conseil , com
posé des guerriers les plus sages , se forme dans la tente de
Nestor : «< Amis , leur dit Agamemnon , un Songe envoyé
« des Dieux m'est apparu cette nuit au milieu de mon som
« meil : il avoit du divin Nestor la taille , la figure et la voix ,
«< il s'est arrêté sur ma tête : « Fils du sage , du vaillant Atrée ,
« m'a-t-il dit , tu dors ! Un monarque , un mortel chargé du
" destin des humains et de tant de soins importants, ne doit
« pas donner les nuits entières au repos : réveille-toi ; c'est
" Jupiter qui m'envoie , Jupiter , qui du sein de l'Olympe
« veille sur ta gloire et s'intéresse à ton sort. Arme tes guer
་་ riers , le moment est arrivé où Troie doit tomber sous tes
« coups ; aucun des immortels ne combat plus pour elle ;
« les prières de Junon les ont tous détachés de ses intérêts ;
« une perte inévitable menace les Troyens : grave ces ordres
« dans ton souvenir, garde que l'oubli ne les efface ; et dès
« que le sommeil abandonnera tes paupières , songe à les
CHANT II. 19
« exécuter. » A ces mots il s'envole , et le sommeil m'aban
« donne. Essayons si nous pourrons armer nos guerriers.
a Moi , d'abord , je sonderai leur courage ; j'annoncerai
« qu'il faut fuir et retourner dans notre patrie. Vous , par
«< lers tels que toi ! Bientôt nous verrions s'écrouler les murs
« de Troie , et ses richesses devenir le prix de notre cou
« rage. Mais le fils de Saturne m'environne de douleurs : il
« me livre aux querelles et à la discorde. Pour une misé
" rable captive nous nous sommes divisés , Achille et moi :
ont perdu .
Eumélus , un fils d'Admète et de la divine Alceste , la
plus belle des filles de Pélias , a vu , sous ses ordres , voguer
onze vaisseaux . Phères , Bébé , Glaphyres , Yaolcos , ont
nourri les guerriers qui reconnoissent ses lois.
Les peuples de Méthone , de Thaumacie , de Mélibée ,
d'Olizone , avoient suivi Philoctète . Il commandoit à sept
vaisseaux . Chaque vaisseau portoit cinquante soldats , qui ,
comme leur chef, excelloient à lancer des traits . En proie
à la douleur , dévoré de la cruelle blessure que lui fit un
serpent , Philoctète gémissoit , étendu dans l'île de Lemnos ,
où les Grecs l'avoient abandonné . Mais bientôt les malheurs
des Grecs devoient venger Philoctète , et le rappeler à leur
souvenir . Ses guerriers obéissent à Médon , qui doit le
jour aux amours secrètes d'Oïlée et de la jeune Rhéné . Sous
ce chef ils regrettent toujours le chef qu'ils n'ont plus.
Deux fils d'Esculape , Podalire et Machaon , tous deux
savants dans l'art inventé par leur père , guident les habi
tants de Trica , d'Ithome et d'OEchalie , où régna jadis Eu
rytus. Trente vaisseaux , sous eux , abordèrent aux rivages
troyens.
Les enfants d'Ormène , d'Hypérée , d'Astérie , et les ha
bitants du mont Titan , obéissent à Eurypyle , fils d'Evé
CHANT II . 35
mon. Eurypyle compte sous ses ordres quarante vais
seaux .
Sous Polypètes , un fils de Pirithous , un petit-fils de Ju
piter , se forment des guerriers qu'ont nourris Argissa ,
Gyrtone , Orthée , Hélone et Oloosson . La belle Laodamie
donna la vie à Polypètes , le jour même où , vainqueur des
Centaures , Pirithoüs les chassoit du mont Pélion . Le brave
Léontée , un fils de Cromus , commande avec lui aux qua
rante vaisseaux qui ont vogué sous leurs ordres.
Gunée , avec vingt vaisseaux , abandonna les rives de
Cyphos . Sous ses drapeaux vont combattre les Eniens , les
Pérèbes , peuple guerrier, qui , pour le suivre , a quitté les
lieux voisins de la froide Dodone , et les bords du Titarèse.
Le Titarèse porte au Pénée le tribut de ses ondes ; mais ses
flots argentés ne se mêlent point aux flots du Pénée , tou
jours ils surnagent , et les mortels , à ce signe , reconnois
sent les eaux du fleuve terrible que craignent d'attester les
Dieux .
Prothoüs , le fils de Tenthédon , guide aux combats les
Magnètes , qui , des rives du Pénée et des sommets du Pé
lion , se sont , avec lui , embarqués sur quarante vaisseaux .
Tels étoient et les rois et les chefs des Grecs. O Muse !
de tous ces guerriers , dis-moi quel étoit le plus vaillant.
Dis-moi quels étoient les meilleurs coursiers.
De coursiers , il n'en est point de plus agiles que les ca
vales d'Eumélus toutes deux de même couleur, de même
àge , de même taille ; Apollon lui-même prit soin de les
nourrir sur le mont Piérius. Plus vites que l'éclair, elles
portent partout la terreur et l'effroi.
· Des héros , le plus intrépide , le plus grand , c'est Ajax ,
fils de Télamon , tant qu'Achille, loin des combats , s'aban
donne à son ressentiment. Achille est le plus brave des
Grecs ; les coursiers d'Achille sont les plus beaux , les plus
légers de toute l'armée ; mais ce guerrier, toujours irrité
contre Atride , languit inutile auprès de ses vaisseaux . Ses
3.
36 L'ILIADE.
soldats , sur le bord de la mer , s'amusent à tendre l'arc , à
lancer des javelots et des flèches. Leurs chevaux , près de
leurs chars , paissent l'herbe tendre et le lotos ; les chefs ,
errants sans armes au milieu des guerriers , demandent en
vain le combat et le héros qui doit guider leur audace.
Cependant l'armée s'avance : tel un vaste incendie s'é
tend sur la terre et la dévore ; la plaine gémit au loin sous
leurs pas. Ainsi ce mont , qui de sa masse brûlante presse
le géant Typhée , mugit sous les foudres dont le frappe la
céleste vengeance . Tels , dans leur marche rapide , les Grecs
franchissent la plaine . La messagère du maître des Dieux ,
Iris , va porter cette funeste nouvelle aux Troyens , qui, tous
réunis , tiennent conseil à la porte du palais de Priam. Elle
a pris la figure et la voix du jeune Politès , un fils de ce mal
heureux monarque , qui , sur le tombeau d'Esyétès , avoit
été observer les mouvements des Grecs.
« O mon père ! dit-elle , vous perdez en discours inutiles
« de précieux instants : il semble que vous soyez dans une
к paix profonde, et la guerre approche avec toutes ses hor
« reurs. J'ai souvent affronté les combats , jamais encore je
« n'ai vu l'ennemi si formidable ni si nombreux . Ils s'avan
«< cent aussi serrés que les feuilles des forêts ou les sables
« de la mer. Hector, c'est à toi que je m'adresse , prête l'o
« reille à ma voix : Troie a un grand nombre d'alliés ; tous
་་ parlent des langues différentes . Que chaque chef rassem
<<
« ble ses guerriers ; qu'il marche à leur tête et les guide au
« combat. » Elle dit ; Hector reconnoît la voix de la Déesse.
Soudain il sépare l'assemblée. On court aux armes , les
portes s'ouvrent ; cavaliers , fantassins , tous se précipitent
dans la plaine , et l'air retentit de leurs cris. Non loin des
murs s'élève une humble colline. Les mortels la nomment
Batiée , et les Dieux , le Tombeau de l'agile Myrinne.
Là , les Troyens et leurs alliés se forment en ordre de ba
taille.
Le fils de Priam , Hector, commande les Troyens. L'or
CHANT II. 37
gueil est sur son front , un horrible panache flotte sur sa
tête ; sous lui , une jeunesse intrépide appelle le carnage et
la mort.
A la tête des Dardaniens est le vaillant Énée , le fils d'un
mortel et d'une Déesse. Vénus , sur le mont Ida , reçut
l'heureux Anchise dans ses bras ; Énée fut le gage de leur
mutuelle ardeur. Deux fils d'Anténor, Archiloque et Aca
mas , tous deux grands capitaines , et soldats intrépides ,
commandent avec lui.
Les habitants de la riche Zélée , les Troyens qui , au pied
de l'Ida , boivent les eaux de l'Ésèpe , marchent sous Pan
darus , le fils de Lycaon , Pandarus à qui Apollon lui-même
donna un arc et des flèches.
Les enfants d'Adrastée , d'Apèse , de Pityée , de l'altière
Térée, obéissent aux deux fils de Mérops , Adrésus et Am
phius. Mérops est , de tous les devins , le devin le plus
fameux. Il avoit défendu à ses fils d'aller à cette funeste
guerre ; ils méprisèrent ses lois , et leur destinée les y en
traîna malgré lui.
Les habitants de Percote , de Praction , de Sestos , d'A
bydos , d'Arisbe , vont combattre sous l'intrépide Asius ;
Asius , fils d'Hyrtacus , qui des bords du Selléis a volé vers
Troie , sur des coursiers plus agiles que les vents.
Hippothoüs conduit les braves Pélasgiens , qui cultivent
les fertiles plaines de Larisse ; Hippothoüs et avec lui Pylée
son frère , tous deux fils de Léthus , et petits-fils de Theu
tamas. Sous Acamas , sous Piros , marchent les Thraces ,
que l'Hellespont environne de ses eaux. Euphène , le fils de
Thrésénus , commande aux belliqueux Ciconiens. Des bords
lointains que baigne l'Axius , l'Axius , dont les flots argen
tés inondent les campagnes, Pyrechmès amène les Péoniens ,
qui , l'arc à la main , menacent l'ennemi .
Du pays des Hénètes , de cette contrée qui s'enorgueillit
de ses mulets sauvages , l'intrépide Pylémènes avoit amené
les Paphlagoniens : sous ses drapeaux on compte les habi
38 L'ILIADE .
tants du Cyth orus , du Sésame , des bords fortunés qu'ar
rose le Parthénius , de Cromna , d'Égiale et d'Érythine .
Du fond de l'Alybe , de ce pays qui voit croître l'argent
dans son sein , Épistrophe et Odius avoient guidé les Ali
soniens . Chromis et Ennomus commandent aux enfants de
la Mysie. Ennomus connoît le langage des oiseaux et l'art
des augures ; mais sa science ne pourra le défendre du tré
pas. Il tombera sous les coups d'Achille , sur les bords du
fleuve où ce héros immolera mille autres Troyens . Sous
Phorcys , sous Ascagne , marchent les Phrygiens , qui ont
quitté les contrées lointaines de l'Ascanie : tous brûlent de
combattre et de vaincre .
Mestlès et Antiphus , tous deux fils de Pylémènes , et nés
sur les bords du lac Gygès , conduisent les Méoniens , qui
habitent au pied du Tmolus . Sous Nastès , sous Amphi
maque , tous deux fils de Nomion , s'avance un peuple bar
bare, les Cariens , qui habitent Milète, les forêts de Phthire ,
les bords du Méandre et les sommets du Mycale . Amphi
maque est tout brillant d'or ; il marche aux combats avec le
luxe d'une femme ; mais ces vains ornements ne le garan
tiront point de la mort ; Achille l'immolera sur les bords du
Scamandre , et l'or qui le couvre sera sa conquête . Des
sources lointaines du Xanthe et du fond de la Lycie , Sar
pédon et Glaucus ont amené des guerriers intrépides
comme eux .
CHANT TROISIÈME .
CHANT QUATRIÈME .
" rage : c'est la seule gloire qui reste à mes vieux ans. D'au
" tres plus jeunes que moi , plus bouillants , plus vigoureux ,
# manieront le fer et frapperont l'ennemi . »
CHANT CINQUIÈME .
«< confiance .
é deux , l'une à Ménélas , l'autre à Dio
(( Déja j'en ai lanc
་་ mède : toutes deux ont été teintes de sang ; mais je n'ai
« fait qu'irriter encore le courage de ces deux guerriers .
" Ah ! ce fut un jour funeste , que le jour où , cédant aux
<< vœux d'Hector , je pris mon arc et mes traits pour venir
" combattre à la tête des Troyens . Si jamais je retourne
<< dans ma patrie , si mes yeux revoient jamais une épouse
" adorée et le palais de mes pères , je veux périr, si , de
« mes propres mains , je ne brise cet arc inutile , et si je ne
" le jette dans les flammes .
- ་་ Laisse de vains discours . Viens ; il faut que tous deux
« nous allions affronter ce guerrier . Monte sur mon char ;
« tu verras que ces chevaux divins savent , avec une égale
« vitesse , atteindre l'ennemi et l'éviter . Ils nous ramène
<< ront du moins à Troie , si Jupiter veut encore donner
«་་ la victoire au fils de Tyde . Allons , prends l'aiguillon et
« les rênes , moi je combattrai : ou combats toi-même ; moi
་་
་་ je guiderai les coursiers .
"( Énée , garde les rênes et conduis ton char . Si nous
« sommes réduits à fuir devant Diomède , il volera plus vite
« sous une main connue . Si tes chevaux n'entendoient plus
" ta voix , peut-être , égarés par la frayeur, ils ne nous sau
«< veroient pas du combat , le fils de Tydée fondroit sur
« nous , nous égorgeroit et s'empareroit de ton char. Con
« duis-le toi-même ; moi , le javelot à la main , j'attaquerai
" l'ennemi . »
CHANT V. 69
A ces mots , tous deux ils s'élancent sur le char, et ,
pleins de fureur, ils volent à Diomède. Le fils de Capanée
les aperçoit : « Cher ami , s'écrie-t-il , je vois fondre sur toi
«杯 deux guerriers intrépides, l'un savant dans l'art de lancer
«< les traits ; c'est Pandarus , fils de Lycaon ; l'autre , c'est
" Énée , qui se glorifie d'être le fils d'Anchise ,
et d'avoir
« Vénus pour mère. Allons , recule , monte sur ton char ;
« fils de Lycaon , mon fer est dans ton sein ; tu vas tomber,
« et ta chute sera mon triomphe. »
Diomède , toujours intrépide : « Tu m'as manqué , dit
་་ il ; mais il faudra que l'un de nous deux enivre de son
« sang le Dieu des combats. » Il dit , et lance un javelot :
Minerve elle - même le dirige. L'arme meurtrière atteint
Pandarus au-dessous de l'œil , lui brise les dents , coupe sa
langue , et la pointe ressort sous le menton . Il tombe , et
l'air retentit du bruit de sa chute. Les coursiers bondissent
effrayés , ses forces l'abandonnent , et son ame s'envole.
Pour défendre ses dépouilles , Énée s'élance le fer à la
main. Tel qu'un lion furieux , l'œil étincelant , la voix me
naçante , il couvre le cadavre de son corps et de son bou
clier, et présente la mort à quiconque ose avancer. Le fils
de Tydée saisit une pierre énorme , vaste rocher qu'aujour
d'hui ne pourroient soulever les deux plus robustes mor
tels. Lui seul , et sans effort , il le prend , le lance contre
Énée , et du coup lui froisse la cuisse et les nerfs qui l'at
tachent à la jambe. Le Troyen tombe sur ses genoux , et
d'une main s'appuie sur la terre ; un noir bandeau s'épaissit
sur ses yeux .
Énée alloit périr , si Vénus sa mère ne fût accourue pour
le sauver. Elle serre ce fils chéri dans ses bras d'albâtre :
de sa robe elle lui fait un rempart contre les traits de la fu
reur des Grecs , et l'emporte loin des combats. Cependant
le fils de Capanée , fidèle aux ordres de Diomède , pousse
ses coursiers loin de la mêlée , arrête les guides , descend
de son char, vole à celui d'Énée, l'entraîne loin des Troyens ,
et le confie à Déipyle , son confident , son ami , pour le
conduire à la tente de Diomède . Lui-même il remonte sur
le char, et vole sur les pas du fils de Tydée.
Le fer à la main , ce héros poursuit Vénus : il sait que
c'est une Déesse foible et sans courage , non de celles qui
président aux combats , telles que Minerve , telles que Bel
d
lone. Toujours attaché à ses traces , il l'atteint enfin au mi
CHANT V. 71
plaie.
La Déesse, appuyée sur son char : « Est-ce donc là , dit
« elle , le fils de Tydée ? Tydée n'avoit point cette taille al
"
tière , mais il ne respiroit que les combats . En vain je ten
"
« tois d'enchaîner son courage . Seul , au milieu des enfants
mus , je voulois qu'il s'assît avec eux, et que, tran
« de Cad
quille , il partageât leurs plaisirs et leurs fêtes. Mais , armé
"(
de cette intrépidité qui ne l'abandonna jamais , il défia tous
«< ces guerriers , et avec mon secours il les vainquit tous. Je
« suis à tes côtés , je veille sur tes jours , je t'excite à com
battre ; et tu cèdes à la fatigue ! ou tu te laisses abattre
<<
« par de vaines terreurs ! Va , tu n'es point le fils du belli
« queux Tydée.
- « O fille de Jupiter ! je sens ta présence . Ce n'est point
« une molle langueur , ce n'est point la crainte qui m'arrê
« tent ; j'obéis à tes lois. Respecte , m'as-tu dit , les habi
« tants de l'Olympe . Mais si Vénus ose affronter la
" mêlée , perce-la de ta lance. Je vois Mars soutenir les
CHANT SIXIÈME .
•
86 L'ILIADE .
« tous ses trésors sont à toi , s'il apprend que son fils vit
" captif sous tes lois. »
«< ceau quand , avec l'armée des Grecs , il périt sous les
« murs de Thèbes .
« L'hospitalité sacrée unit nos deux maisons : moi , je te
« la dois dans Argos ; tu me la donneras en Lycie , si jamais
« le ciel me conduit dans ces contrées. Séparons-nous , et
«< gardons de nous rencontrer dans ce combat funeste. Les
་་ Troyens et leurs alliés m'offrent assez d'autres victimes ,
« que le hasard amènera sous mes coups , ou que mon bras
«< saura bien atteindre. Toi , tu as mille autres Grecs à im
«་་ moler ; échangeons nos armes l'un contre l'autre ; que
<< tout le monde sache que nous nous honorons des liens
." qui ont uni nos aïeux. »
Tous deux , à ces mots , ils s'élancent de leur char, se
serrent la main , et jurent d'être amis. Glaucus , qu'aveugle
le fils de Saturne , pour une armure de fer, pour un vil bou
clier, livre à Diomède une armure d'or et un bouclier inesti
mable.
Cependant Hector est arrivé à la porte de Scée , au pied
CHANT VI. 91
du hêtre qui l'ombrage : les mères éperdues , les filles trem
blantes , accourent , et se pressent autour de lui. Toutes , à la
fois , elles l'interrogent sur le sort de leurs enfants , de leurs
époux , de leurs frères. Combien d'entre elles , hélas ! sont
menacées des coups les plus funestes ! Il leur ordonne à
toutes d'aller offrir leurs prières aux Dieux , et lui-même il
vole au palais de Priam..
Autour de ce palais règnent de superbes portiques ; cin
quante pavillons l'environnent : là , les fils de Priam habi
tent avec leurs épouses. Plus loin , douze autres pavillons
s'élèvent , où les gendres du monarque reposent avec ses
filles,
La mère du héros , la tendre Hécube , s'offre la première
à sa vue. Laodice la suit , Laodice , la plus belle de ses filles.
La bouche collée sur sa main : « Mon fils , mon cher Hec
" tor, lui dit-elle , pourquoi as-tu quitté ce combat sanglant ?
« Le Grec , fatal à notre bonheur, égorge-t-il nos guerriers ,
« et menace-t-il nos murailles? Viens-tu dans Pergame éle
« ver au ciel des mains impuissantes ? Allons , je vais t'ap
# porter du vin pour offrir des libations à Jupiter et aux au
I
CHANT VI . 95
gnoit dans Thèbes et commandoit aux Ciliciens , Andro
maque accourt à lui ; la nourrice la suit , portant dans
ses bras son fils , le fils d'Hector , le tendre fruit de leur
amour, et beau comme l'astre du matin . Il connoît à peine
l'usage du sentiment , sa langue n'a point encore appris
à former des sons. Hector l'appeloit Scamandrius ; les
Troyens , pour consacrer les services de son père et leur
reconnoissance , l'appelèrent Astyanax , le rempart de
"
Troie.
Le héros regarde son fils en silence , et sourit. Andro
maque , les yeux noyés de larmes , la bouche collée sur sa
main : « Malheureux époux ! lui dit-elle , ton courage va te
" perdre , et tu n'as point pitié de ton tendre fils , de ta dé
" plorable épouse , qui bientôt ne sera plus que ta veuve !
" Hélas ! bientôt tous les Grecs , conjurés , fondront sur toi
« et t'arracheront la vie. Si je dois te perdre, cher Hector ,
que n'ai-je péri la première ! Après ce coup funeste , il n'y
« aura plus de consolation pour moi ; il ne me restera que
" ma douleur et mes larmes.
་་ Je n'ai plus de père , je n'ai plus de mère. Le cruel
Η Achille , vainqueur de Thèbes , égorgea mon père dans sa
« ville embrasée ; il n'osa du moins lui arracher ses dépouil
« les lui-même il lui dressa un bûcher, l'y fit brûler avec
« ses armes , et donna un tombeau à sa cendre . Les nymphes
« des montagnes plantèrent autour des peupliers , monu
« ments de leurs regrets .
" J'avois sept frères ; tous , en un même jour, furent mois
44 sonnés par le fer de l'homicide Achille , au milieu des
ft troupeaux confiés à leurs soins. Ma mère, qui régnoit sur
" Hypoplaque , le cruel l'emmena captive sur ses bords avec
" toutes ses richesses. Il a , depuis , reçu sa rançon et brisé
« ses fers ; mais Diane en courroux l'a percée de ses flèches
« dans le palais de mon père.
«" Hector, tu es pour moi un père , une mère , un frère ;
« tu es bien plus , tu es mon époux. Allons , que ton cœur
96 L'ILIADE .
« s'ouvre à la pitié : demeure auprès de moi sur cette tour ;
« conserve un père à ton fils , un époux à ta femme. Arrête
« tes guerriers près de ce figuier sauvage, dans cet endroit
« où nos murs offrent à l'ennemi un abord plus facile. Déja
« trois fois les Ajax , les Atrides , Idoménée , l'impétueux
«
" Diomède , et les plus vaillants des Grecs , ont tenté de
« s'ouvrir ce fatal accès ; peut-être un augure habile leur a
« marqué cette route ; peut-être eux-mêmes en ont décou
« vert la foiblesse.
- « Chère Andromaque , lui répond Hector, tu me vois
« attendri sur toi ; mais que diroient les Troyens , que di
« roient leurs femmes , si , comme un lâche , j'abandonnois
« le combat? Ah ! mon cœur se révolte à cette idée : jus
« qu'ici j'ai signalé ma valeur , et , toujours à la tête de nos
" guerriers , j'ai soutenu la gloire de mon père et la mienne.
་་ Je sais , et j'en trouve dans mon ame l'affreux pressenti
« ment ; je sais qu'un jour viendra , un jour fatal à Ilion, à
« Priam , à ses enfants et à son peuple. Mais le malheur
« des Troyens , d'Hécube , de Priam , de tant de généreux
" frères qui mordront la poussière sous le fer de l'ennemi ,
« tous ces cruels désastres occupent moins ma pensée que
< les tiens. Dieux ! un Grec chargeroit Andromaque de fers ,
«
« et l'emmèneroit sur ses vaisseaux , captive , désespérée !
" esclave dans Argos , tu tournerois le fuseau sous les lois
« d'une maîtresse impérieuse ! mourante de peine et de mi
" sère , tu porterois l'eau des fontaines de Messéis et d'Hy
་་ pérée ! Un Grec, en te voyant baignée de larmes, diroit :
« Voilà la femme d'Hector, de ce guerrier fameux qui
་ guidoit les Troyens quand nous combattions sous les
« murs d'Ilion. Tu l'entendrois ! ta plaie se rouvriroit , et
«< tu sentirois renaître tes regrets pour un époux qui auroit
" pu venger tes outrages et briser tes liens ! Ah ! plutôt que
« d'entendre tes cris , plutôt que de voir mon Andromaque
« se débattre sous la main d'un ennemi sanglant , puissé-je
« être enseveli dans la tombe ! » Il dit, et tend les bras vers
CHANT VI. 97
CHANT SEPTIÈME .
" prends soin de ses jours , fais , du moins , que tous deux ,
" avec une valeur égale , obtiennent une égale gloire. »
Ajax est déja couvert d'acier : impatient , il s'élance sur
l'arène. Tel paroît le Dieu de la Thrace au milieu des mor
tels que le fils de Saturne livre aux fureurs dévorantes de
la discorde et de la guerre ; tel paroît Ajax , le rempart de
la Grèce. L'éclair jaillit de ses yeux ; le sourire de la fureur
est sur ses lèvres. Il marche d'un pas altier ; le fer agité
étincelle dans sa main. Les Grecs , en le voyant , sont trans
portés d'espérance et de joie. Les Troyens frissonnent ;
Hector lui-même sent son cœur palpiter et bondir étonné.
Mais il n'est plus temps de trembler ; il n'est plus temps de
fuir un rival qu'il a défié le premier.
Ajax approche ; son bouclier , semblable à une tour ,
marche devant lui ; impénétrable rempart , que jadis dans
Hylé lui fabriqua Tychius , armurier célèbre. Il est muni de
sept peaux de taureaux , que recouvre une lame d'airain .
Sous ce vaste abri , Ajax s'avance , et d'une voix mena
çante : « Viens , Hector , viens apprendre quels vengeurs
104 L'ILIADE .
« êtes tous deux chers à Jupiter ; vous avez tous deux une
" égale valeur ; Grecs et Troyens , nous vous rendons tous
« le même hommage. Mais la nuit approche ; respectez ses
"<< ombres et le repos qu'elle amène.
- « Idée , dit Ajax , c'est à Hector que tu dois t'adresser .
" Hector a défié les héros de la Grèce ; qu'il me montre
tous vont , dans le poste qui leur est assigné , apaiser la faim
qui les presse.
Au retour de l'aurore , Idée marche à la flotte des Grecs..
Ils étoient assemblés auprès de la tente d'Agamemnon . Le
héraut s'avance , et debout au milieu d'eux : « Atride , et
" vous , Grecs , dit-il , prêtez l'oreille à ma voix ; Priam et
108 L'ILIADE .
CHANT HUITIÈME .
CHANT NEUVIÈME .
«་་ offrir , après toi , que d'utiles détails. Mes conseils auront
« l'aveu de nos guerriers ; Atride , lui-même , y applaudira
« le premier. Malheur au mortel odieux qui aime à voir
« briller le flambeau des discordes civiles ! Errant , sans
« foyer , sans asile , que l'univers entier le rejette et l'ab
" horre !...
« Mais obéissons à la nuit , et respectons ses ombres.
" Que nos guerriers réparent leurs forces épuisées ; qu'au
« les révère ; elles exaucent ses vœux. Mais s'il en est qui
<< les rejettent , qui les repoussent , elles montent au trône
"« de Jupiter, et lui demandent de ramener sur eux l'Injure,
« Ces héros, dont tous les jours encore on nous vante les
"« exploits , si quelquefois la colère les enflamma , ils se lais
" sèrent attendrir par les prières , et désarmer par les pré
« sents. O mes amis ! il faut que je vous en rappelle un
« vieil exemple . Il est toujours présent à ma mémoire.
« Jadis les Étoliens et les Curètes s'égorgèrent sous les
« murs de Calydon . Les Curètes brûloient de les détruire ;
les Étoliens combattoient pour les défendre. Diane , en
་་ fureur, vengeoit, sur cette ville infortunée , l'oubli ou les
« dédains d'OEnée , qui avoit négligé ses autels , pendant
«< qu'il offroit à tous les autres Dieux des sacrifices , pour les
<< remercier de la fécondité de ses terres.
" Ministre du courroux de la Déesse , un sanglier fa
« rouche ravagea ses moissons, détruisit ses forêts . Pour le
к combattre , Méléagre , fils d'OEnée , rassembla , des cités
་་ voisines , des chasseurs et des chiens. Une foule de chas
« seurs , une foule de chiens périt sous sa dent meurtrière.
་ Enfin, leurs efforts réunis délivrèrent l'Étolie de ce fléau
" destructeur. Mais l'implacable Diane jette parmi les vain
CHANT DIXIÈME .
« blancs que la neige , aussi rapides que les vents. Son char
« étincelle d'or et d'argent ; son armure , toute brillante d'or ,
« éblouit les regards : trop belle pour un mortel , cette ar
« mure n'est faite que pour un Dieu. Allons , conduisez-moi
« à vos vaisseaux , ou laissez-moi enchaîné dans ces lieux ,
« jusqu'à ce que votre retour confirme ou démente mes
es récits . »
CHANT ONZIÈME .
«< comme lui , sait retirer le fer d'une plaie , et par d'heu
« reux secrets guérir les blessures , vaut lui seul mille guer
« riers. » Il dit ; soudain Nestor monte sur son char , et
avec lui le fils d'Esculape . Du fouet il presse ses coursiers ;
ils volent , et bientôt le rendront à ses vaisseaux.
Du char où il est assis près d'Hector , Cébrion a vu les
Troyens ployer sous Ajax : « O mon frère ! s'écrie-t-il , tan
« dis qu'ici les Grecs fuient devant toi , les Troyens , au
« centre , sont dans un désordre affreux : les guerriers et
«< les chars , tout se confond et se trouble devant le fils de
« Télamon. Je le reconnois à son immense bouclier. Allons ,
« marchons aux lieux où la mêlée est plus terrible , où le
<< carnage est plus affreux , où nous appellent ces effroya
" bles cris. >>
Il dit , et du fouet il anime ses coursiers ; ils se préci
CHANT XI . 173
CHANT DOUZIÈME .
CHANT TREIZIÈME .
enchaîne ses pas , et répand dans son ame et dans ses yeux
une stupeur funeste. Il ne peut ni fuir ni se dérober au tré
pas qui le menace. Debout , immobile , tel qu'un arbre ou
une colonne , le javelot du monarque crétois l'atteint , et ,
malgré sa cuirasse , le perce et le déchire. Ce coup le rap
pelle à lui-même ; un cri échappe à sa douleur ; il tombe :
pressé sous son poids , le fer s'enfonce dans son cœur et
palpite avec lui. La mort , d'un sommeil de fer , accable ses
paupières.
Idoménée triomphe ; il s'écrie : « O Déiphobe ! crois-tu
<< que ces trois victimes soient d'une valeur égale à la tienne?
་་ Malheureux , tu t'applaudis de ta victoire ! Viens , viens
CHANT QUATORZIÈME .
CHANT QUINZIÈME .
« de son bras ; il est plus puissant que toi : il est ton aîné ;
« et tu oses marcher son égal ! Tu oses braver le Dieu que
« redoutent tous les autres Dieux !
- « O ciel , s'écrie Neptune en fureur , quel orgueil est le
" sien ! Lui , mon égal ! il ose se flatter que , malgré moi "
་་ je ploierai sous son empire ! Saturne et Rhée eurent trois
་་ fils , Jupiter, Neptune , et Pluton qui règne sur les om
" chent sur les pas des aînés , et vengent leurs injures.
- (( La raison , Iris , a parlé par ta bouche ; heureux qui
,
"
dans un messager , trouve , comme moi , un conseiller
232 L'ILIADE.
« fidèle !.... Mon cœur est révolté qu'un frère né mon égal ,
placé dans le même rang que moi , affecte tant de hau
< teur et d'empire . Cependant je fais taire mon injuste
་་ dépit, et je cède à ses lois. Mais écoute , et qu'il s'en
<< souvienne si , contre moi , contre Junon , Minerve , Mer
«< cure et Vulcain , il s'obstine à protéger Troie ; s'il refuse
« aux Grecs la victoire et la conquête de cette ville su
" perbe , nous lui jurons une colère éternelle. » A ces mots ,
1 CHANT SEIZIÈME .
«< tel ne veuille , pour une tête aussi chère , obtenir une fa
« veur égale. Combien d'enfants de Dieux combattent sous
« les murs de Troie ! Combien d'entre eux sont condamnés
« à périr victimes de ton courroux ! Va , laisse-le dans les
་ champs d'Ilion , expirer sous les coups de Patrocle.
« Mais pour consoler ta tendresse et tromper ta douleur,
« dès que la Parque aura tranché le dernier fil de sa vie ,
que le Sommeil et la Mort aillent porter sa dépouille au
« fond de la Lycie . Là , ses frères , ses amis , lui donneront
« un cercueil , et sur son tombeau élèveront une colonne ,
« monument de son néant et de leurs regrets. » Elle dit ; le
Père des Dieux se soumet à la rigueur du destin. Mais pour
honorer ce fils chéri , que le bras de Patrocle va immoler
dans les champs d'Ilion , loin de sa patrie , il fait pleuvoir
sur la terre une rosée de sang .
Cependant les deux héros s'approchent ; déja le fils de
Ménétius a percé le flanc du brave Thrasymède , l'écuyer de
Sarpédon , et lui a ravi la vie. Sarpédon , moins heureux , a
lancé un javelot inutile ; mais de sa pique il atteint le cheval
Pédase à l'épaule droite. Le coursier mugit , se dresse , re
tombe et roule expirant sur la poussière. A la vue de leur
compagnon étendu à leurs pieds , Xanthus et Balius bon
dissent et s'écartent. Le joug crie , les guides se mêlent et
s'embarrassent ; soudain Automédon s'élance , et de son fer
il coupe les traits . Les coursiers , sous sa main , se rappro
chent et se rassemblent. Le combat se rallume ; Sarpédon
lance un nouveau trait ; mais toujours infidèle , le fer glisse
sur l'épaule droite de son ennemi. D'une main plus sûre
Patrocle lance le sien. Sarpédon tombe renversé sur la
poussière. Tel , au sommet des montagnes , le chêne ou le
sapin altier succombent sous les coups de la cognée.
Étendu aux pieds de ses coursiers, le héros frémit de fu
17
258 L'ILIADE.
reur et de rage. Il se débat encore sur la terre arrosée de
son sang , et de ses mains impuissantes la presse et la dé
chire. Tel un taureau fougueux mugit et s'agite sous la dent
meurtrière du lion qui le dévore. Enfin , d'une voix mou
rante , il appelle son ami , le compagnon de ses travaux :
" Cher Glaucus , lui dit-il , tu fus toujours l'exemple de nos
" guerriers ; mais il faut aujourd'hui , par de nouveaux ex
" ploits , signaler ton courage ; il faut qu'une ardeur nou
« velle te transporte et t'enflamme. Va , que nos Lyciens , à
⚫ ta voix , viennent défendre les restes de Sarpédon. Toi
་་ même, avec eux , sauve d'un dernier outrage la mémoire
« de ton ami. Ah ! si les Grecs m'arrachoient mon armure,
« s'ils insultoient à mes dépouilles , ton front seroit couvert
« d'un opprobre éternel. Sauve ma gloire , sauve la tienne ;
« que tous nos soldats accourent pour me venger. » Il dit ,
et la Mort sur ses yeux épaissit son bandeau. Le vainqueur
presse du pied sa victime expirante , et de son sein palpi
tant il arrache et le fer et la vie. Les Thessaliens arrêtent
les coursiers de Sarpédon , qui , dégagés de son char ,
fuyoient éperdus dans la plaine.
Aux dernières paroles de son ami mourant, la douleur a
déchiré le cœur de Glaucus. Il gémit et de sa perte et de
l'impuissance de le venger. La blessure que lui fit Teucer
saigne encore. De la main il presse son bras languissant, et
adresse au fils de Latone cette ardente prière : « Dieu puis
་་ sant, prête l'oreille à ma voix . En quelque lieu que tu ré
" sides, à Troie ou dans la Lycie , le cri du malheureux peut
" pas. N'est-ce point assez pour son orgueil de posséder les
« armes d'Achille ? Je vais couronner les Troyens d'une
"« gloire nouvelle : ils iront encore , au milieu des vaisseaux ,
" égorger leurs victimes ; et le soleil de ses dernie rayons
, rs ,
« éclairera leurs exploits et leurs triomphes. Mais vous , je
<< ranimerai votre ardeur , et , d'une course rapide , vous
"
porterez Automédon loin des périls et des combats. » Il
dit ; une vigueur nouvelle anime les coursiers ; ils secouent
leurs crinières poudreuses , et le char vole au milieu de la
plaine. En dépit de sa douleur , Automédon les précipite
dans les rangs des Troyens . Tel fond l'épervier sur des co
lombes timides . Sans peine il se dérobe aux traits de l'en
nemi ; sans peine il revole au milieu de la mêlée. Mais sa
main , occupée à diriger ses coursiers , ne peut manier le
fer et donner le trépas. Enfin Alcimédon , le fils de Laërte,
arrête sur lui ses regards : « Automédon , s'écrie-t-il , quel
" Dieu aveugle tes esprits et confond ta sagesse ! Quoi !
<< seul sur ton char , tu veux combattre les Troyens ? Ton
ami est tombé ; l'orgueilleux Hector triomphe sous les
« armes d'Achille.
-
« Alcimédon , lui répond-il , eh ! quel autre mieux
" que toi pourroit guider ces immortels coursiers? Tu ne
« l'aurois cédé qu'à Patrocle : hélas ! il n'est plus ; la Parque
« a terminé sa vie et ses exploits . Viens , prends ces rênes ;
« moi , je vais descendre et combattre. » Il dit ; Alcimédon
monte sur le char , saisit l'aiguillon et les guides. Automé
don s'élance à terre .
Hector le voit : « Généreux appui des Troyens , cher
278 L'ILIADE.
<< Énée , s'écrie-t-il , je reconnois les coursiers d'Achille ,
"« guidés par des mains inhabiles , si tu veux me seconder ,
« ils vont être notre proie. Ces lâches n'oseront soutenir
« nos regards. » Il dit ; le fils d'Anchise accourt à sa voix.
Tous deux ils s'avancent couverts de leurs vastes boucliers.
Chromius et Arétus s'associent à leur projet ; ils se flattent
de partager leurs exploits et leur conquête. Insensés ! l'un
d'eux , sous le fer ennemi , verra expirer son orgueil et
sa vie.
Automédon invoque Jupiter ; une vigueur nouvelle anime
son courage : « Alcimédon , dit-il , viens sur mes pas , que
«
< les coursiers me blanchissent le dos de leur écume . Rien
« ne peut arrêter la rage d'Hector , que la prise du char
d'Achille , notre mort ou la sienne. » A ces mots il ap
pelle les deux Ajax et Ménélas : « O vengeurs de la Grèce !
" accourez , laissez à ces héros le soin de défendre un ca
к davre ; nous qui vivons encore , venez nous sauver du
(< trépas. Hector , Énée , tous les plus braves d'Ilion s'ap
к prêtent à fondre sur nous ; le secret de nos destinées est
« dans le sein des Dieux ; moi je vais combattre ; Jupiter
a décidera de mon sort. » Il dit , et lance un javelot. Le fer
va percer le bouclier d'Arétus , traverse son baudrier , et
s'enfonce dans ses entrailles. Le malheureux bondit et
tombe renversé. Tel , sous les coups de la hache meurtrière,
le taureau bondit et retombe expirant.
Un trait vengeur part de la main d'Hector ; Automédon le
voit , se courbe , et se dérobe au trépas. Le fer s'enfonce
dans la terre , et la fureur qui l'animoit s'y perd en d'inu
tiles frémissements. L'épée à la main , les deux rivaux fon
doient l'un sur l'autre ; mais les deux Ajax accourent à la
voix d'Automédon. Hector , Énée , Chromius , reculent ef
frayés , et laissent Arétus expirant sur la poussière .
Le vainqueur s'élance sur sa proie , arrache l'armure san
glante , et , fier de son triomphe , il s'écrie : « Toute vile
" qu'elle est , cette victime immolée à l'ombre de Patrocle
CHANT XVII . 279
«< adoucit mes regrets . » A ces mots , il saisit sa proie et la
place sur le char ; il y monte lui-même , la main encore
dégouttante de sang , et semblable à un lion enivré de
carnage.
Le combat se rallume autour de Patrocle. Pour le rendre
plus terrible , Minerve descend du haut des cieux . Jupiter
change le cours des destins , et veut que la Déesse aille
porter au cœur des Grecs une nouvelle ardeur. Couverte
d'un nuage de pourpre , elle s'élance au milieu d'eux , et
réveille leur audace . Telle paroît l'écharpe d'Iris , quand
les foudres de la guerre grondent sur les empires , ou que
l'orage suspendu dans les airs menace les travaux du la
boureur et la tranquillité des bergers.
Elle a pris et la taille et la voix de Phénix : « O fils
« d'Atrée ! dit-elle à Ménélas , quelle honte ! quel opprobre
« pour toi , si l'ami d'Achille étoit , sous les murs de Troie ,
« la pâture des vautours ! Allons , combats , et que ton
"
exemple enflamme tes guerriers ! - O Phénix ! ô géné
« reux vieillard ! lui répond Ménélas , si Minerve daignoit
« seconder mon audace , et garantir ma tête des traits de
་་ l'ennemi , avec quelle ardeur j'irois défendre les restes de
«
་ Patrocle , et le venger ! Sa mort a mis le désespoir dans
« mon ame ; mais Hector est un feu dévorant. Jupiter en
« chaîne la victoire sur ses pas ; rien ne peut arrêter le cours
« de ses exploits. >>
Il dit , et flattée d'être le premier objet de ses hommages ,
la Déesse redouble sa vigueur . Elle met dans son ame ce
courage obstiné dont la nature arma l'insecte importun qui ,
toujours chassé par l'homme , revient toujours , jusqu'à ce
qu'il se soit abreuvé de son sang.
Le héros vole auprès de Patrocle , et lance un javelot.
Parmi les Troyens combattoit Podès , le fils d'Héétion , le
riche , le généreux Podès , l'ami d'Hector , le compagnon
de ses plaisirs. Le fer de Ménélas l'atteint au moment où il
va fuir, perce son baudrier , et s'enfonce dans son cœur. Il
280 L'ILIADE .
<< rera point dans ses bras. Le Destin , en ces lieux , a mar
к qué mon tombeau ... Hélas ! cher Patrocle , je n'y des
leil sur son char de rubis , et la lune sur son trône d'ar
gent. On y voit tous les astres qui couronnent la céleste
voûte , les Pléiades tranquilles , les Hyades et leur urne
fangeuse , le redoutable Orion , et l'Ourse qui le poursuit ;
l'Ourse , qui , toujours fidèle au pôle , ne se plonge jamais
au sein de l'Océan.
Sous le céleste ciseau s'élèvent deux superbes cités . Dans
l'une , des noces , des festins et des jeux ; à la clarté des
flambeaux , de jeunes beautés sont conduites à l'autel de
l'Hyménée . De jeunes garçons forment des danses légères ,
et marient leurs pas aux sons de la flûte et du hautbois .
Debout sous les portiques , les femmes contemplent ces
fêtes et soupirent.
Plus loin , s'assemble une foule empressée. Un citoyen
demande à un autre citoyen le prix du sang qu'il a versé.
Le meurtrier atteste le peuple , et jure qu'il l'a payé . L'au
tre nie qu'il l'ait reçu . Tous deux invoquent des témoins :
la foule , partagée , frémit et murmure. Des hérauts com
mandent le silence. Les juges sont assis sur le marbre, dans
l'enceinte sacrée . Ils se lèvent tour à tour , et , le sceptre à
la main , ils prononcent leurs avis. Deux talents d'or sont
au milieu , destinés à récompenser le suffrage le plus juste
et le plus éclairé.
Auprès de l'autre cité campent deux armées , que la ter
reur environne. L'une veut embraser cette ville infortunée,
l'autre veut partager ses dépouilles. Les assiégés résistent
encore les femmes , les enfants , les vieillards , inhabiles
aux combats , debout sur les remparts , veillent pour les
défendre.
La jeunesse guerrière marche à une embuscade. A leur
tête brillent et Mars et Minerve. Tous deux sont d'or ; une
robe d'or , une armure d'or , les revêtent tous deux. Dans
leur maintien , dans leurs traits , respire une majesté di
vine. Sous eux , l'intrépide cohorte se cache aux bords
d'un fleuve , où viennent s'abreuver des troupeaux . Deux
298 L'ILIADE .
CHANT VINGTIÈME .
« Dieu des airs chérit plus que tous les fils que lui donnè
<< rent de mortelles beautés . Désormais le sang de Priam lui
320 L'ILIADE .
QUAND les Troyens , dans leur fuite, ont atteint les rives
que le fils de Jupiter , le Xanthe impétueux , arrose de ses
eaux , le héros les coupe et les disperse. Les uns courent
vers Troie, et, fugitifs , éperdus , ils foulent cette plaine où , la
la veille , Hector , triomphant , semoit la terreur et la mort.
CHANT XXI. 323
Pour les arrêter, Junon , devant eux , a condensé les airs et
épaissi les nuages.
Les autres se précipitent dans les eaux. Le fleuve gémit
sous leur poids ; les flots écument et grondent , et les rives
mugissent. Ils nagent épars sous les gouffres profonds , et
mêlent les cris du désespoir au murmure des ondes . Tels , à
l'aspect de la flamme qui les poursuit , les insectes bruyants
qui dévoroient nos moissons , courent , dans un fleuve
voisin , chercher un asile et la mort. Tels , au sein du
Xanthe , roulent confondus , les guerriers , les coursiers et
les chars.
Achille , sur la rive , laisse sa pique meurtrière appuyée
contre un tamarin ; ivre de fureur , et tout entier à sa ven
geance , le poignard à la main , il se jette dans les flots. Il
frappe , à droite , à gauche ; les ondes roulent ensanglantées,
et répètent les gémissements de la mort.
Les Troyens s'enfoncent dans le sein du fleuve , et se ca
chent au milieu des rochers. Tels , à la vue d'un dauphin ,
la terreur des mers , les vulgaires poissons fuient éperdus ,
et cherchent aufond d'un golfe un asile contre le monstre qui
les dévore.
Fatigué de meurtres , Achille saisit douze jeunes Troyens
dont le sang doit couler sur le bûcher de Patrocle et expier
son trépas. Palpitants , demi-morts , il les ramène sur la rive;
lui-même il les enchaîne des liens qui attachent leurs tuni
ques , et les livre à ses guerriers pour les conduire à son
camp.
Sa fureur le rappelle au carnage. Le jeune Lycaon , un fils
de Priam , s'offre le premier à ses coups. Déja Lycaona été
dans ses fers. Jadis, au milieu des ombres de la nuit , il le
surprit, dans un domaine du vieux monarque , où il façonnoit
du bois destiné pour un char. Il le conduisit à Lemnos , et
le vendit au fils de Jason. Héétion d'Imbros , qu'unissoient
à Priam les nœuds de l'hospitalité , rompit ses fers aux dé
pens de ses trésors , et l'envoya dans Arisbe. Le malheu
21.
324 L'ILIADE .
reux Lycaon s'échappa de cet asile , et revint au palais de
son père.
Depuis onze jours , rendu à ses parents , à ses amis , il
jouissoit de leur tendresse et de sa liberté. Le sort , en ce
moment , le rejette aux mains d'Achille , qui va le plonger
dans les enfers pour n'en revenir jamais . Il a jeté son casque
et son bouclier ; sans armes , sans défense , dégouttant de
sueur, accablé de lassitude , il fuyoit du sein des eaux . Achille
le voit , et furieux il s'écrie : « O ciel ! quel prodige a frappé
« mes regards ! Les Troyens que j'ai immolés , sortiront
« aussi de la nuit du tombeau . Quoi ! ce captif que j'avois
« vendu à Lemnos , il a brisé ses chaînes ! La mer , qui ,
« pour tant d'autres , est une invincible barrière , n'a donc
« pu l'arrêter ! Allons , plongeons-lui ce fer dans le cœur.
« Sachons s'il reviendra encore du séjour des ombres , ou
« si la terre , qui captive les plus fameux héros , pourra le
« retenir dans son sein. »
Cependant le Troyen approche , tremblant , demi-mort ,
et pour échapper au trépas , il se hâte d'embrasser ses ge
noux. Prêt à l'immoler , Achille lève sa pique. Le malheu
reux se courbe , se traîne à ses pieds et les embrasse. Le fer,
impatient de se baigner dans le sang , va , derrière lui , s'en
foncer dans la terre. D'une main , il prend les genoux du
héros , de l'autre il saisit la pique et s'y attache : « O Achille !
« s'écrie-t-il , j'embrasse tes genoux , respecte mes malheurs ;
« prends pitié d'un infortuné qui te supplie et qui t'implore.
" Souviens-toi que tu m'as nourri de ton pain , lorsque ,
«< chargé de tes fers , tu me vendis à Lemnos , loin de mon
" père , loin de mes amis. Cent boeufs te payèrent ma ran
«< con ; je t'en donnerai trois fois autant pour me racheter
« encore. Je ne compte que la douzième aurore depuis que
" je suis rentré dans Ilion. Hélas ! à peine échappé de l'es
«< clavage , ma cruelle destinée me remet dans tes mains !
O Jupiter ! quel crime a sur ma tête attiré ta vengeance ?
O Laothoé ! ô fille déplorable du vieux Althée ! quels
CHANT XXI. 325
« nœuds funestes unirent ton sort au sort de Priam ! Deux
«< fils naquirent de ce triste hyménée ; tous deux , Achille ,
" périront sous tes coups.
« Tu viens de l'égorger combattant à la tête de nos guer
riers , et moi tu vas m'immoler à mon tour.... Non , puis
« que le sort me remet dans tes mains , je ne t'échapperai
" plus.... Daigne du moins , ah
! daigne écouter ma prière.
" Épargne ma vie ; je n'ai point été conçu dans les mêmes
" fanta une déesse , la mort est déja sur ma tête ; demain ,
« ce soir, tout-à-l'heure peut-être , un javelot ou un trait va
" m'étendre sur la poussière. >>
Il dit ; Lycaon sent ses genoux tremblants se dérober sous
lui ; ses forces l'abandonnent , la pique échappe de sa main ;
il tombe en tendant les bras. Achille saisit son épée , et la lui
plonge tout entière dans le sein. Le malheureux roule sur
la poussière ; son sang coule et inonde la terre. Le vain
queur le prend par un pied , le précipite dans les ondes ; et ,
insultant à sa victime : « Va , dit-il , les poissons lécheront
« tes blessures ; ta mère ne pleurera point sur ton cercueil :
« le Scamandre sur ses flots te portera dans l'Hellespont,
"« Là , sur le dos de la plaine liquide , les monstres des mers
« dévoreront les restes du beau Lycaon.
K Fuyez , lâches ! fuyez , allez vous cacher dans Ilion ;
«
«" j'y vole sur vos traces. Le Xanthe et ses torrents ne vous
326 L'ILIADE.
* vue ! Un héros qui m'est cher , fuit sous les murs d'Ilion !
« Ma pitié s'intéresse au malheur d'Hector. Que de sacri
" fices il m'offrit au sommet de l'Ida ! Combien de fois Per
" game vit son encens fumer sur mes autels ! Et prêt à l'im
" moler , Achille le poursuit ! O Dieux ! le sauverons-nous
« du trépas ? ou , sans pitié pour ses vertus , le laisserons
« nous tomber sous les coups du fils de Pélée ?
- « O Maître du tonnerre ! ô moteur des tempêtes ! lui.
к répond Minerve , quel discours a frappé mes oreilles? Un
" mortel , dévoué depuis long-temps au trépas , tu voudrois
« l'arracher à sa destinée ! Va , fais ; mais ne crois pas que
« les autres Dieux soient complices de ta foiblesse.
342 L'ILIADE .
――― «< Rassure-toi , ô Pallas , ô ma fille ! je ne romprai point
« Mon cœur déchiré n'a écouté que ton péril et mes alarmes.
* Allons , allons combattre , déployons toute notre rage et
« toute notre vigueur ; qu'Achille retourne dans son camp ,
« vainqueur et chargé de tes dépouilles , ou périsse de ta
« main. »
Elle dit , et pour mieux l'abuser , elle marche la première .
Les deux rivaux sont en présence : « O fils de Pélée ,
« s'écrie Hector , tu m'as vu trois fois devant toi fuir autour
« de nos murailles , et me dérober à tes coups . Je ne fuirai
་་ plus ; je viens te braver ; je viens te donner la mort ou la
« recevoir. Allons , invoquons les Dieux ; qu'ils soient et
<< les témoins et les garants de nos traités. Si Jupiter cou
« ronne mes efforts , si je t'arrache la vie , ma haine ne
<< te poursuivra point au-delà du trépas. Content de te ravir
«< ton armure , je rendrai aux Grecs ton cadavre. Que le
« même serment te soumette à la loi que je m'impose.
Achille lançant sur lui de sinistres regards : « Des ser
« ments ! Hector , des traités avec toi !... Quels nœuds peu
« vent unir les lions et les hommes ? Entre les loups et les
« agneaux , est-il d'autre sentiment que la haine ? Va , rien
<< ne peut nous rapprocher , ta mort ou la mienne , voilà nos
« serments et nos traités .
" Rappelle tout ton courage ; c'est en ce moment qu'il
344 L'ILIADE.
davre.
Les rois arrachent enfin le fils de Pélée à un spectacle
qui nourrit ses regrets , et , avec peine , l'entraînent à la
tente d'Atride . Le monarque ordonne aux hérauts de faire
tiédir une onde pure ; et , dociles à sa voix , ils pressent
Achille de laver le sang et la poussière dont il est couvert.
Il résiste à leurs prières : « O Jupiter ! dit-il , ô souverain
"< Maître des mortels et des Dieux ! sois témoin de mes ser
« ments ! L'onde n'approchera point de ma tête , que je n'aie
«< porté sur le bûcher les restes de mon cher Patrocle , que
« la flamme n'ait brûlé mes cheveux , que mes mains n'aient
"< élevé un monument à sa cendre. Hélas ! après ce coup
་་ funeste , il ne peut jamais en être un aussi affreux pour
« mon cœur.
« Hâtons , Atride , hâtons un odieux repas. Demain , au
« retour de l'aurore , que tes guerriers aillent couper le bois
་་ qui formera ce fatal bûcher; qu'ils apprêtent tout ce qu'au
« fond du tombeau doit emporter une ombre désolée ! Ah !
<< puisse bientôt la flamme le ravir à mes yeux . Puissent
་་ bientôt les Grecs être rendus à la vengeance et aux com
«
352 L'ILIADE.
"་་ bats ! » Il dit , soudain les tables sont dressées : quand la
faim est calmée , quand la soif est éteinte , tous vont, dans
leurs tentes , goûter les douceurs du repos.
Mais Achille , le cœur gros de soupirs , se jette sur le ri
vage , où viennent , en mugissant , se briser les ondes écu
mantes. Une foule de Thessaliens l'environne. Là , fatigué
de sa pénible course , épuisé par sa victoire , le doux som
meil vient enchaîner ses sens et assoupir ses ennuis. Sou
dain l'ombre du déplorable Patrocle apparoît à sa vue. C'é
toit et sa taille et sa voix ; c'étoient encore les mêmes vête
ments qu'il portoit au terrestre séjour.
Elle se penche sur la tête du héros : « Tu dors ! lui dit
" elle , tu dors , Achille ! et tu m'oublies ! Vivant je te fus
« cher ; mort , je te trouve insensible rends , rends à ma
«< cendre les honneurs du tombeau . Errant , sans asile , aux
« portes de l'infernal palais , les ombres me repoussent loin
« de la fatale barque , et me ferment le séjour de l'éternel
« repos.
" Donne-moi ta main , que je l'arrose de mes larmes !
" Quand la flamme aura consumé ma dépouille , je ne re
« verrai plus ces lieux si chers à ma tendresse . Assis en
« semble , loin de tes guerriers , nous n'épancherons plus
« dans le sein l'un de l'autre nos cœurs et nos secrets .
«" L'inexorable mort a saisi sa victime. J'ai payé le tribut
"« qu'aux humains imposa la nature , et l'avare Achéron ne
« rendra plus sa proie.
" Et toi , divin Achille , la Parque aussi t'attend aux rem
" parts d'Ilion . Exauce , cher ami , exauce le dernier de mes
« vœux ! Que mes cendres , Achille , ne soient point sépa
« rées de tes cendres ! Le palais de tes aïeux a vu croître
<< ton enfance et la mienne. Depuis le jour où ma main im
" prudente , égarée , ravit , malgré moi , la vie au fils d'Am
" phimadas , la cour de Pélée fut l'asile de Ménétius et le
« mien. Ton père me prodigua ses bienfaits ; il me nomma
<< pour te suivre et accompagner tes pas. Inséparables pen
CHANT XXIII. 353
dant la vie, soyons-le jusqu'au sien du tombeau ! que cette
« urne d'or , que te donna ta mère , renferme mes osse
« ments et les tiens !
――― " O mon frère ! ô mon ami ! c'est toi que je revois !...
" C'est toi qui viens , à des devoirs si chers , exciter ma
" tendresse !.... Tout ce que tu me demandes , je le promis
à tes mânes. Je remplirai tes ordres et mes serments....
« Mais approche, que je te serre, du moins un instant , con
« tre mon sein : mêlons , mêlons ensemble nos soupirs et
« nos larmes. » Il dit , et tend les bras ; mais l'ombre échappe
à ses embrassements , et telle qu'une vapeur légère , elle s'en
fonce dans la terre en poussant de sourds et lamentables cris.
Achille se lève interdit , étonné ; il frappe ses mains , il
s'écrie : « O Dieux ! l'homme survit donc au trépas ! Une
« ame , image fantastique du corps qu'elle habita , existe
« encore dans l'infernal séjour ! Cette nuit , l'ame de l'in
« fortuné Patrocle s'est offerte à ma vue , gémissante , éplo
" rée ; c'étoit lui-même ; il m'a prescrit tout ce que mon
" amitié avoit promis à ses mânes. » Il dit , et dans tous les
<<
cœurs il réveille les regrets et les larmes. L'Aurore les re
trouve pleurant autour de la triste dépouille.
A la voix d'Atride , une troupe de travailleurs abandonne
le camp. Mérion les guide , le généreux Mérion , l'ami d’I
doménée. La cognée est dans leurs mains , des liens pen
dent sur leurs épaules , des mulets marchent devant eux ;
par de rudes sentiers , par d'obliques détours , au travers
des vallons , au travers des rochers , ils arrivent aux bois qui
croissent sur les bancs de l'Ida . Soudain la hache frappe à
coups redoublés. Le chêne altier gémitet tombe avec un hor
rible fracas. Le fer le dépouille de ses branches. Déja les
mulets plient sous les fardeaux dont on les a chargés , et
redescendent à pas lents ces montueux sentiers ; derrière
eux marchent les soldats , courbés sous le poids des troncs
d'arbres que Mérion leur ordonne d'apporter.
Sur le rivage , à l'endroit qu'Achille a marqué pour le tom C
23
354 L'ILIADE .
beau de Patrocle et pour le sien , les troncs , les branches ,
tombent entassés , et s'élèvent en monceaux . Là , les guer
riers se rassemblent , et attendent la fin de ces lugubres
apprêts .
Le héros ordonne à ses Thessaliens de ceindre l'armure
des combats , et d'atteler leurs coursiers . Déja l'airain les
couvre ; déja les écuyers et les combattants sont montés sur
leurs chars. La cavalerie s'avance ; derrière elle , roule un
nuage d'infanterie ; au milieu paroît le corps de Patrocle ,
que portent ses compagnons sur leurs bras entrelacés . Il est
couvert de leurs cheveux , qu'ils ont coupés pour honorer
son trépas . Achille marche le dernier ; penché sur cette dé
pouille chérie , il la baigne de ses larmes , et soutient de
ses mains la tête penchée. Ils arrivent au lieu funeste , y
déposent le cadavre , et arrangent le bois qui doit le con
sumer.
Achille s'éloigne , et pour mieux exprimer ses regrets ,
il coupe cette blonde chevelure qu'il nourrissoit pour le
fleuve Sperchius . Les yeux attachés sur les flots , il soupire,
il s'écrie : « O Sperchius ! ô toi qui baignes les contrées où
" je commençai de respirer le jour ! Mon père t'avoit pro
" mis que , rendu à ma patrie , je t'offrirois mes cheveux ,
que je t'immolerois une hécatombe , que , dans le bois qui
« t'est consacré , sur l'autel qui couvre ta source , je ferois
« couler le sang de cinquante moutons. Inutiles vœux , que
« tu n'as point exaucés ! Je ne reverrai point les champs de
« la Thessalie ; cette chevelure , que je ne pourrai t'offrir,
« un héros , mon cher Patrocle , l'emportera dans la tombe. »>
Il dit , et dans les mains glacées de son ami , sa main met
cette triste offrande . Les larmes , à cette vue , recommen
cent à couler , et le regret déchire tous les cœurs .
Le Soleil, de ses derniers regards, les eût vus encore pleu
rant autour de l'infortuné guerrier; mais Achille s'approche
d'Atride,: « Les larmes ont assez coulé , lui dit-il , fais taire
« leur douleur ; qu'ils se retirent , qu'ils aillent apprêter leur
CHANT XXIII . 355
brasé .
Les yeux noyés de larmes , il soupire ; il appelle à grands
cris son ami , le compagnon de ses travaux . « Patrocle !
« cher Patrocle , reçois le dernier de mes adieux ! que ma
« voix aille , au sein des morts , consoler tes ennuis , et
e ient promis mes
( apaiser ton ombr ! tout ce que t'avo
« serments , je l'accomplis aujourd'hui . Les douze jeunes
Troyens que je devois t'immoler , la flamme va les dévo
"
« rer avec toi . Mais les restes d'Hector , le feu ne les con
« sumera point , ils seront la pâture des chiens . »
Impuissantes menaces ! En vain les chiens attendent leur
proie. Pour les en écarter , la fille de Jupiter , Vénus , veille
et la nuit et le jour sur cette triste dépouille ; elle - même
la parfume d'ambroisie , et la garantit des outrages d'A
chille. Pour la défendre de ses rayons brûlants , Apollon ,
du sein des airs , abaisse un sombre nuage , et en couvre
tout l'espace où repose le cadavre .
23.
356 L'ILIADE.
<< sans feinte , ces trésors , vas-tu les déposer dans une terre
« étrangère ? ou tremblants , désespérés , abandonnez-vous
fut toujours fidèle à leur offrir son encens et ses vœux ; ils
« l'en récompensent , et , jusqu'au sein de la mort , ils se
<< souviennent de lui. Reçois , mon fils , reçois ce gage de
« ma reconnoissance. Au nom des Dieux qui me protégent
« encore , guide-moi jusqu'à la tente d'Achille.
- « O vieillard ! tu veux éprouver ma jeunesse . Moi ,
sans l'aveu d'Achille , accepter un don que tu lui desti
" nois ! M'en préservent les Dieux ! Infidèle à mon maître,
" j'aurois également à redouter et son courroux et mes re
" mords. Viens , fallût-il te conduire jusque dans Argos ,
" fallût-il affronter avec toi et les dangers de la terre , et les
u
25
386 L'ILIADE.
(( périls de la mer , tu trouveras en moi un guide toujours
" fidèle et sûr. »
L'Immortel , à ces mots , s'élance sur le char , prend les
rênes d'une main , l'aiguillon de l'autre , et d'une nouvelle
ardeur anime les coursiers. Déja ils touchent à la muraille
qui défend la flotte des Grecs. Les gardes apprêtoient leur
repas ; le Dieu fait descendre le sommeil sur leurs pau
pières ; les portes s'ouvrent , et reçoivent Priam et ses
trésors.
Enfin , ils arrivent à la tente d'Achille. Les Thessaliens
la firent digne du héros qui l'habite. Le peuplier et le sapin
en forment le vaste contour ; des gazons en couvrent le faîte
qui s'élève dans les airs. Autour règne une large enceinte
qu'embrasse une palissade ; une porte assujettie par un ar
bre mobile en défend les accès. Cette porte , trois mortels à
peine peuvent l'ouvrir ; à peine trois mortels peuvent la fer
mer ; mais , seul et sans efforts , Achille la fait mouvoir à
son gré.
A l'aspect de Mercure , la barrière s'abaisse , et les chars
et les trésors franchissent la redoutable enceinte. Le Dieu
s'élance à terre : « O vieillard ! dit-il au monarque , je suis
<< un Immortel ; je suis Mercure : Jupiter, en ces lieux , m'or
« donna de guider tes pas. Je viendrai te reprendre pour te
« remener dans tes murs.
་་ Mais je ne m'offrirai point aux regards d'Achille ; pour
" ménager leurs jalouses foiblesses , je dois cacher aux mor
« tels la faveur que t'accordent mes bontés. Va , pénètre
« dans sa tente ; embrasse ses genoux ; que le souvenir de
« sa mère , de son fils , de son père, se mêle à ta prière , et
« dans son cœur attendri réveille la pitié. >>
A ces mots , le Dieu s'envole dans l'Olympe. Priam des
cend de son char, et laisse aux soins d'Idée ses mulets et ses
coursiers. Il marche à la tente d'Achille. Le héros étoit as
sis ; loin de lui , un cercle de guerriers le contemploit d'un
œil respectueux . Seuls à ses côtés , le brave Automédon et
CHANT XXIV. 387
l'intrépide Alcime le servoient en silence. Il finissoit un triste
repas , et la table étoit encore dressée.
Invisible pour eux , le monarque entre , se jette aux pieds
d'Achille , les embrasse , et de ses mains presse les homi
cides mains qui lui ont ravi ses fils. Achille , étonné , frémit
à son aspect ; ses guerriers interdits se regardent en silence.
Tel , au milieu d'une foule immobile, un meurtrier que pour
suivent dans sa patrie la vengeance et les lois , vient sous
un ciel étranger, au sein d'un palais , mendier la pitié du
mortel qui l'habite.
་ Héros chéri des Dieux , Achille , s'écrie l'infortuné mo
« narque , souviens-toi d'un père vieux comme moi , par
« venu comme moi aux portes du tombeau ; peut-être, en ce
« moment , d'inquiets voisins affligent sa vieillesse. En vain
" il cherche autour de lui le bras qui pourroit venger ses
«< ses vieux ans.... Mais , hélas ! loin de ma patrie , sur une
" rive étrangère , je suis condamné à être le fléau de ta
(( vieillesse , et le bourreau de tes enfants.
« Et toi , déplorable vieillard , l'univers vantoit ta félicité .
« Des rives de Lesbos jusqu'aux lieux où régna Macar, du
« fond de la Phrygie jusqu'aux bords de l'Hellespont , il
«་་ n'étoit point de monarque plus puissant , de père plus
་་ heureux . Mais depuis que les Dieux ont épanché sur toi
་་« l'urne de l'infortune , ton empire n'offre plus à tes re
(( gards que des combats , des meurtres et des tombeaux .
་་ Ranime ton courage , et ne te laisse point abattre sous le
«< poids des disgraces. Ta douleur , funeste pour toi , ne te
" rendroit point ton fils ; tes larmes ne le rappelleroient
་་ point à la vie.
- « Laisse-moi , ô fils des Dieux ! laisse-moi gémir à tes
" pieds. Mon cher Hector..... hélas ! il est encore , sans
(( honneur , couché sur la poussière ! Remets , remets-le
་་ dans mes bras ; que mes yeux le revoient et le baignent de
་་ larmes. Reçois la rançon que je t'apporte , et jouis de
« mes trésors. Ah ! pour prix de ces jours que tu daignes
་་ épargner, puissent bientôt les Dieux te rendre à ta pa
" trie ! >>
Achille , lançant sur lui de sombres regards : « Crains ,
" vieillard , crains d'allumer mon courroux . Je te rendrai
" ton fils; ma mère , la fille de Nérée , est venue , au nom
« de Jupiter, m'en imposer la loi. Je connois , Priam , la
" main qui t'a conduit. C'est un Dieu qui a guidé tes pas
(( jusqu'à mes vaisseaux. Un mortel , fût-il au printemps de
« son âge , n'eût jamais osé pénétrer dans notre camp ; il
་་ n'eût pu tromper nos gardes , ni franchir les barrières
(( qui nous défendent. Ne m'importune plus de tes douleurs
<< et de tes plaintes ; crains que dans ma tente , à mes ge
" noux , je ne respecte pas un roi qui m'implore , et que je
« ne viole les lois du Dieu qui me commande . >>
Il dit ; le vieillard tremble et obéit à sa voix . Achille ,
390 L'ILIADE.
comme un lion , s'élance de sa tente ; deux de ses guerriers
le suivent , Automédon et Alcime , qui , depuis que Patrocle
n'est plus , tiennent auprès de lui le premier rang. Ils détel
lent les chevaux et les mulets du vieux monarque , amènent
Idée avec eux , le font asseoir, et retournent prendre sur le
char les riches présents destinés à racheter la dépouille
d'Hector ; mais ils y laissent deux tissus précieux et une tu
nique superbe dont Achille veut que les restes du malheu
reux guerrier soient couverts en rentrant dans sa patrie.
Il ordonne que les femmes emportent le corps , qu'elles
le lavent dans une onde pure , et fassent couler sur tous les
membres de l'huile et des parfums , mais dans un lieu se
cret , et loin des regards de Priam. Il craint qu'à la vue de
son fils , ce père infortuné ne puisse contenir ses trans
ports , et que lui-même , impatient de ses plaintes , il n'ou
blie les ordres de Jupiter, et ne l'immole à sa fureur.
Le corps a été lavé , et , tout brillant de l'huile qui le par
fume , il a été revêtu d'un des tissus précieux et de la tunique
qui ont été réservés pour ce pieux office. Achille lui-même
le prend dans ses bras , et le dépose avec respect sur un
lit préparé pour le recevoir. Automédon et Alcime le por
tent sur le char qui doit le ramener à Troie. Alors le fils de
Pélée soupire , et d'une voix gémissante il appelle son ami :
་་ Pardonne , cher Patrocle , pardonne , si , au sein des
་ morts , tu apprends que j'ai rendu Hector à son père , des
་ présents dignes de moi m'ont payé sa rançon ; et , pour
<< les appaiser, j'en ferai une offrande à tes mânes. >»
Il dit , et va se rasseoir sous sa tente : « Tes vœux sont
«< accomplis , dit-il à Priam ; ton fils t'est rendu demain ,
FIN DE L'ILIADE.
L'ODYSSÉE .
000000 00000000000OU
CHANT PREMIER .
" mon cœur est déchiré des peines qu'il endure. L'infortuné !
6 depuis long-temps , loin des humains , loin de ses amis ,
" il gémit dans une île couverte de forêts , où le retient captif
la fille de cet Atlas à qui sont connus tous les secrets que
CHANT I. 399
« la mer cache dans ses abimes , et qui garde ces colonnes
« immenses sur lesquelles reposent le ciel et la terre. Par
« de molles caresses , par de tendres propos , Calypso tra
« vaille à lui faire oublier son Ithaque ; mais Ulysse n'aspire
k qu'à revoir la fumée s'élever des toits d'Ithaque ; dût-il
« mourir après l'avoir vue.
« Ton cœur, ô souverain de l'Olympe ! ne sera-t- il point
« touché de ses infortunes ? Ulysse , quand sous les murs
« de Troie , au milieu des Grecs , il t'offroit tant de sacri
«< fices , ne trouva-t-il point grace à tes yeux ? ô Jupiter
!
« d'où vient tant de courroux contre lui ? - O ma fille ! lui
41 répond le Dieu qui règne sur les nues , quel discours est
" échappé de ta bouche ! Eh ! comment oublierois-je Ulysse !
«< Ulysse le plus éclairé des mortels , le plus fidèle à rendre
« aux Dieux le culte qui leur est dû. Mais celui qui em
« brasse la terre de son humide ceinture , Neptune le pour
་་ suit ; il venge sur lui un fils que ce héros a privé de la vue ,
« le terrible Polyphème, le plus redoutable des Cyclopes que
" Thoosa , la fille de Phorcys , un des Dieux inférieurs de
<< la mer, conçut , dans ses grottes profondes , de ses secrets
« embrassements. Neptune cependant ne veut point la mort
« d'Ulysse ; mais toujours il le repousse loin des rives de sa
་་ patrie. Allons, unissons-nous tous pour assurer son retour.
" Neptune abjurera son courroux ; il ne pourra lui seul ré
« sister à tous les Dieux unis pour le désarmer.
- (( O père des Dieux , ô suprême arbitre de l'Univers ! dit
« la Déesse , si tous les Immortels consentent qu'Ulysse
« rentre dans ses États , que Mercure , notre ministre fidèle ,
« descende dans l'île d'Ogygie , qu'il porte à la nymphe qui
« l'habite le décret immuable qui ordonne son retour.
«< Moi , j'irai en Ithaque , j'éveillerai le courage de son
K fils , je lui donnerai la force d'assembler les citoyens , et,
« en leur présence , d'interdire l'entrée de son palais à ces
K audacieux amants de sa mère , qui égorgent ses bœufs et
« dévorent ses troupeaux . Je l'enverrai à Sparte , à Pylos ,
400 L'ODYSSÉE .
་་ redemander son père , et fixer sur lui-même les regards
« de la renommée et l'estime de la Grèce. »
Elle dit , et attache à ses pieds une chaussure d'or , im
mortelle chaussure qui , avec la rapidité des vents , la por
tera sur la terre et sur l'onde. Elle prend sa lance , sa ter
rible lance , qu'arme une pointe d'airain , et qui dévore les
légions que poursuit son courroux. Du sommet de l'Olympe,
elle s'élance et s'abat au milieu d'Ithaque , devant le palais
d'Ulysse. Elle a pris la taille et les traits de Mentès , le chef
des Taphiens . Elle trouve la tourbe des amants de Pénélope
couchés sur les peaux des bœufs qu'ils ont égorgés , et amu
sant à des jeux de hasard leur mollesse et leurs loisirs . Des
hérauts , des esclaves empressés mêlent l'eau et le vin dans de
larges cratères ; d'autres , armés d'éponges , lavent les tables,
les dressent et les chargent de viandes dépecées . Télémaque
aperçoit le premier la Déesse. Il étoit assis au milieu de cette
troupe insolente , le cœur navré de douleur, et tout entier
à l'idée de son père . « Oh ! se disoit-il à lui-même , s'il pou
voit enfin rentrer dans son palais , disperser ces amants
injurieux , reprendre son rang , et commander dans sa fa
mille ! » Plein de ces pensées , il voit la Déesse , et court à
elle , indigné qu'un étranger attende à la porte de son asile.
Il lui présente une main , reçoit de l'autre la lance homicide :
«་་ Salut , lui dit-il , ô étranger : entre dans nos foyers , tu y
« trouveras un accueil hospitalier. Quand tu auras réparé
« tes forces , tu diras quel motif t'a conduit en ces lieux . >>
Il dit , et marche le premier. La Déesse s'avance sur ses pas.
Entrés sous la voûte de la grande salle , Télémaque va dé
poser la lance auprès d'une colonne , dans une armoire su
perbe , riche dépôt des armes d'Ulysse. Il revient au feint
Mentès , le conduit au fond de la salle , et l'y fait asseoir sur
un trône que recouvre un magnifique tapis ; au-dessus est
une estrade . Lui-même , sur un siége plus humble , il se place
à côté de la Déesse , loin des amants de sa mère , de peur
que , trop rapproché de cette troupe insolente , l'étranger
CHANT I. 401
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404 L'ODYSSEE .
« et il eût laissé une gloire immortelle à son fils . Mais les
K Harpies peut-être l'ont déchiré sur quelque rive inconnue ;
« il ne reste de lui ni trace ni bruit qui puisse nous con
«་་ duire à éclaircir sa destinée. Il ne m'a laissé que la dou
« leur et les larmes , et ce n'est pas encore lui seul que je
་་ pleure.
« Les Dieux m'ont fait bien d'autres chagrins et d'au
« tres peines tout ce qu'il y a de jeunes citoyens distin
་་ gués dans nos îles , dans Dulichium , dans Sané , dans
་་ Zacynthe ; tous ceux qui tiennent les premiers rangs en
་ Ithaque, aspirent à la main de ma mère , et consument
« mon héritage.
" Ma mère ne peut accepter et n'ose refuser un hymen
་་« odieux cependant ils dévorent ma fortune , et bientôt ,
« moi-même , je tomberai sous leurs coups . »
Minerve indignée : « Ah ! que tu as bien raison , dit-elle ,
« de pleurer l'absence d'Ulysse , dont le bras écraseroit ces
་་ impudents rivaux ! Oh ! si rendu enfin à sa patrie , il ap
་་ paroissoit sur le seuil de ce palais , le casque en tête , son
་་ bouclier dans une main , deux javelots dans l'autre , tel
«
« que je le vis lorsque la première fois il vint s'asseoir à la
« table de mon père , et goûter les douceurs de l'hospitalité !
« Il revenoit d'Ephyre , où , sur un vaisseau léger , il étoit
<< allé demander à Ilus , fils de Mermerus , un poison subtil
« pour en armer ses flèches . Ilus craignoit les Dieux , et ne
« se rendit point à sa prière. Mais mon père aimoit tendre
« ment Ulysse , et ne put se refuser à sa demande. Ah ! si
« tel que je le vis alors , Ulysse se montroit à cette troupe
་་ insolente , tous expireroient bientôt en détestant l'hymé
" née et ses amères illusions. Mais s'il reviendra, s'il punira
« ou ne punira pas leur audace , c'est un secret caché dans
" le sein des Dieux .
་ Toi , songe aux moyens de chasser de ce palais cette
« tourbe odieuse ; écoute mes conseils , et sois docile à les
a suivre. Demain , assemble les citoyens dans la place pu
CHANT I. 405
« blique. Là , expose à leurs yeux tes malheurs et les in
"( jures que tu éprouves. Réclame l'appui qu'ils doivent à
«< ta foiblesse ; atteste les Dieux qui punissent l'oppresseur,
« et le peuple qui tolère ces excès. Invite ces prétendants
« à rentrer dans leurs foyers. Ta mère , si elle se résout à
" un nouvel hyménée , qu'elle retourne auprès des parents
" qui lui donnèrent le jour ; qu'ils choisissent pour elle un
« autre époux , et lui assurent la riche dot qu'elle doit at
<< tendre de leur tendresse et de leur fortune . Toi , si tu
« veux m'écouter, je te recommande un objet encore plus
«к important. Équipe le meilleur vaisseau qui soit dans le
4 port , choisis vingt rameurs , et va , sur la destinée de ton
CHANT DEUXIÈME .
« Pour dernière ruse , elle ourdit dans son palais une toile
" immense ; puis un jour elle nous dit : O vous ! jeunes ri
CHANT TROISIÈME .
«
< comme un misérable indigent qui , manquant de tout pour
lui-même , ne peut rien offrir à l'étranger qui daigne le
«་་ visiter. Ici , tuniques , tapis , étoffes précieuses , tout est
<< en abondance. Moi vivant , je ne souffrirai pas que le fils
«<< d'Ulysse , le fils d'un héros si fameux et si chéri , aille
« dormir sur un banc de rameurs. Après moi , mes enfants
« resteront pour accueillir les étrangers et leur offrir une
« noble hospitalité .
- « Ce langage , dit Minerve , est digne de Nestor ; Té
« lémaque doit céder à tes instances ; il passera la nuit dans
« ton palais ; moi je retourne au vaisseau ; je vais rassurer
« nos compagnons et maintenir l'ordre ; je suis le plus âgé,
« les autres sont jeunes comme Télémaque , et ne l'ont
་་ suivi que par attachement . Demain je me rendrai au pays
<<
« de Caucons , où des sommes importantes me sont dues.
« Et toi , généreux vieillard , tu voudras bien donner à
« mon jeune ami un char et des chevaux vigoureux pour
« continuer son voyage , et un de tes fils pour l'accom
<< pagner. >>
A ces mots , elle s'envole sous la forme d'un oiseau.
Tous les spectateurs restent interdits et muets . Nestor lui
même est étonné ; il prend la main de Télémaque : « O
« mon fils ! lui dit-il , tu ne seras pas un homme vulgaire ,
« un vil fardeau sur la terre : si jeune encore , les Dieux
་་ daignent t'accompagner. Ce ne peut être que la fille de
" Jupiter, la Déesse qui éclaire les sages et inspire les hé
« ros. Elle à fait la gloire de ton père , et l'a placé au pre
mier rang des rois et des guerriers de la Grèce.
" O Déesse ! sois-nous propice ; daigne
, sur moi , sur
« mes fils , sur ma vertueuse épouse , fixer l'estime des
" hommes ; que nos noms soient bénis , et notre
mémoire
<< honorée ! Je t'immolerai une génisse d'un an qui n'aura
point encore courbé la tête sous le joug , et dont les cor
« nes seront dorées. »
Il dit , la Déesse entend sa prière ; le sage vieillard re
CHANT III. 433
28.
436 L'ODYSSÉE.
CHANT QUATRIÈME .
<< seaux les trois hommes les plus sûrs et les plus détermi
" nés : vous vous cacherez tous dans un lit de sable pour y
<< attendre Protée . Je vais te dire ses habitudes : D'abord il
་་ inspectera et comptera ses phoques , puis il les rangera
« sur cinq lignes , et lui-même il se couchera au milieu
" d'eux , comme fait un pasteur au milieu de son troupeau.
« Dès que vous le verrez étendu dans la grotte , rassem
« blez toutes vos forces , armez-vous de tout votre courage ,
« fondez sur lui , saisissez-le , et , malgré tous ses efforts
" pour vous échapper , tenez-le étroitement serré. Il tentera
་་ tout ; eau , feu , reptile , il prendra toutes sortes de for
<< mes ; pressez-le toujours davantage , et redoublez ses
« liens. Quand il sera redevenu ce que vous l'aurez vu d'a
" bord , suspendez vos efforts , et rendez-lui la liberté. Tu
་་ l'interrogeras alors , tu lui demanderas quel Dieu te pour
« suit , et par quels moyens tu pourras retrouver sur la mer
« la route de ta patrie. >>
« Elle dit , et se plonge dans les eaux. Moi , je retourne
« à mes vaisseaux , le cœur plein d'amertume et l'esprit
« agité de mille pensées. La Nuit vient nous couvrir de ses
" voiles , et nous nous couchons sur le rivage.
"( Quand l'Aurore a rallumé son flambeau , je vais au
<< bord de la mer , j'implore à genoux l'assistance des Dieux ,
et je prends avec moi trois de mes compagnons , dont le
« cœur et la tête m'inspiroient le plus de confiance.
« La nymphe s'enfonce dans la mer et en rapporte quatre
« peaux de phoques toutes fraîches , et creuse dans le sable
« des cachettes pour nous recevoir. Elle nous attendoit ;
" nous approchons ; elle nous fait coucher , et sur chacun.
« de nous elle jette la dépouille d'un phoque. Horrible si
" tuation ! l'affreuse odeur de ces peaux nous suffoque. Eh !
" qui pourroit supporter cette odeur empestée ? La nymphe
« vient encore à notre secours . Elle nous fait respirer une
<< liqueur immortelle ; nos sens sont embaumés du parfum
" qu'elle exhale ; l'odeur infecte se dissipe . Toute la mati
448 L'ODYSSÉE.
née nous restons tranquilles et pleins de confiance dans
« notre embuscade.
« Enfin les phoques sortent des eaux , et viennent en
•
« bon ordre se coucher sur le rivage. A midi , le Dieu lui
« même paroît ; il parcourt tous les rangs , il compte ; il
« nous compte les premiers , et ne soupçonne rien .
" Lui-même se couche à son tour. Nous poussons un cri ,
« nous fondons sur lui et nous le serrons dans nos bras. Le
« vieillard est fidèle à la ruse. C'est d'abord un lion mons
«་ trueux , puis un dragon , puis une panthère , puis un
« horrible sanglier. Il croît en arbre , il se fond en eau ;
« nous redoublons d'efforts , nous le pressons de nouvelles
« étreintes.
་་ Enfin , fatigué de ses ruses inutiles : « Fils d'Atrée , me
" dit-il , qui t'a révélé les secrets des Dieux ? qui t'a ensei
(( gné à me surprendre et à me saisir malgré moi ? que de
« mandes-tu? - Tu le sais , ô divin vieillard ! pourquoi ces
« détours et ces vaines questions ? Tu sais que depuis long
་་ temps je suis retenu dans cette île ; que je ne puis trouver
« moyen d'en sortir. Je péris d'ennui et de douleur. Dis
« moi ( les Dieux savent tout ) , dis-moi , quelle Divinité
« m'enchaîne ici et m'arrête dans ma course. Dis-moi com
«< ment je pourrai traverser les mers et rentrer dans ma pa
« trie. - Tu n'aurois dû t'embarquer qu'après avoir fait
« des sacrifices à Jupiter et aux autres Immortels , si tu
« voulois obtenir une heureuse navigation et un prompt re
« tour dans tes foyers. N'espère point de revoir tes amis ,
« ta famille , ta patrie , que tu ne sois rentré dans le fleuve
" d'Égypte , et que tu n'aies immolé des hécatombes aux
« habitants de l'Olympe. Les Dieux alors exauceront tes
« vœux et t'ouvriront la route où tu desires d'entrer. »
« A ces mots mon cœur est brisé. Recommencer cette
« course pénible , rentrer dans ce fleuve et en suivre les dé
« tours tortueux... Mais pourtant... oui , lui dis-je , j'obéi
<< rai ; mais dis-moi si tous les Grecs
que Nestor et moi
CHANT IV. 449
CHANT CINQUIÈME .
CHANT SIXIÈME .
<< le jour n'est pas loin où tu dois te parer de tes plus beaux
« atours, et où tu dois parer aussi le mortel qui te sera des
CHANT SEPTIÈME .
CHANT HUITIÈME .
cortége.
Un héraut va chercher Démodoce . Les jeunes naviga
teurs vont au rivage de la mer , lancent le vaisseau sur les
ondes , dressent le mât , attachent les rames , déploient les
voiles ; et le vaisseau , qu'ils ont conduit à une plus grande
hauteur , n'attend plus que le signal du départ . Ils revien
nent au palais d'Alcinoüs . Tous les citoyens , jeunes et
vieux , accourent , et inondent , et l'enceinte , et le por
tique , et l'intérieur même des appartements . Le monarque
492 · L'ODYSSÉE .
CHANT NEUVIÈME .
<< laissant tout faire aux Dieux , jamais leurs mains n'ou
« vrent le sein de la terre , jamais ils n'y enfoncent le soc
de la charrue ; les arbres , les plantes , l'orge , le blé ,
«< croissent pour eux sans semence et sans culture . Pour
« eux la vigne se multiplie d'elle-même , et , fécondée par
« les pluies , elle donne les plus beaux raisins , les plus ri
« ches vendanges , et un vin délicieux.
« Les Cyclopes n'ont ni assemblées , ni conseils , ni ma
CHANT IX . 509
" gistrats ; ils habitent dans des antres creux , au sommet
CHANT DIXIÈME .
«་་ mêle des sucs mystérieux , pour leur faire oublier leur
་་ patrie. Elle leur présente la coupe empoisonnée ; ils boi
« vent. Soudain elle les frappe d'une baguette , et les ren
« ferme sous une voûte obscure. Ils ont de pourceaux et la
" tête , et le corps , et la voix , et les soies ; mais le senti
ment leur reste. Ils pleurent , ils crient. Circé leur jette
« des glands , des noix , des fruits de cornouiller , enfin tout
« ce que mangent les animaux dont ils ont revêtu la figure .
" Euryloque accourt au vaisseau pour nous annoncer le
<< sort funeste de nos compagnons . Dans la douleur qui l'op
K presse , il ne peut prononcer un seul mot ; ses yeux sont
« remplis de larmes , son cœur est gros de soupirs ; nous le
« pressons de questions ; enfin , il nous révèle le malheur
<< dont il a été le témoin.
«< Ulysse , me dit-il , nous avons , d'après tes ordres , pé
" nétré dans ces sombres bois . Au milieu d'un large vallon ,
« nous avons trouvé un superbe palais. Une femme ou une
« Déesse y faisoit entendre une divine harmonie ; une na
« vette y glissoit sur la toile . Nous appelons , la porte s'ou
« vre. La maîtresse de ces lieux se montre à nous , et nous
« invite à entrer. Mes imprudents compagnons la suivent ;
་་ moi , je soupçonne un piége , et je me refuse à les accom
" pagner. Tous ont disparu. J'ai attendu vainement , aucun
« ne s'est remontré à mes yeux. »
«< Il dit ; soudain je prends mon épée , mon arc et mes
<< flèches , et je l'invite à venir avec moi. Il se jette à mes
«
" genoux , et , tout en larmes : « O fils des Dieux ! s'écrie
" t-il , ne me force pas de t'accompagner ; tu ne reviendras
❝ pas , j'en suis trop sûr , et tu ne ramèneras aucun de nos
528 L'ODYSSÉE .
« compagnons. Fuyons avec ce qui nous reste encore . Peut
« être nous échapperons au malheur qui nous poursuit.
- « Eh bien ! reste , lui dis-je ; reste sur le vaisseau à
manger et à boire. Moi , je vais où le devoir me commande;
«< je pars. » J'allois être rendu au palais de l'enchanteresse.
14 Mercure m'apparoît sous les traits d'un adolescent. La
" fraîcheur et la beauté brillent sur son visage. Il me prend
« par la main : « Malheureux ! où vas-tu seul dans ces lieux
< inconnus ? Tes compagnons sont captifs dans ce palais ;
«
" l'asyle des animaux immondes est leur prison . Viens-tu
1
534 L'ODYSSÉE .
« briser leurs flots réunis et confondus. Arrête-toi sur ce
« rivage ; creuse-s-y une fosse large et profonde d'une cou
« dée. Tu y verseras , pour tous les morts , du miel , du vin
" et de l'eau. Tu y répandras de la fine fleur de farine. In
« voque à genoux le peuple des ombres ; promets-leur que ,
« rendu à ta patrie , tu leur immoleras dans ton palais une
<< génisse , la plus belle de tes troupeaux ; promets , en par
« ticulier, à Tirésie , que tu lui immoleras une brebis noire,
« l'honneur de ta bergerie.
" Après ces premières invocations , tu immoleras un bé
་་ lier et une brebis noire ; tes victimes seront tournées vers
་ l'Érèbe , tes yeux seront tournés du côté du fleuve.
« Là , viendront de nombreux essaims d'ombres légères .
« Ordonne alors à tes compagnons d'ouvrir et de dépouil
«< ler les victimes égorgées , de les livrer aux flammes , et
« d'adresser des vœux et des prières à Pluton et à l'austère
་་ Proserpine ; et toi , l'épée à la main , assis au bord de la
" fosse , tu repousseras les ombres , jusqu'à ce que Tirésie
་་ paroisse et te rende ses oracles . Tu le verras ; il te révè
«< lera tout ce qui doit t'intéresser ; il te dira par quelle
« route et par quels moyens tu rentreras dans ta patrie. »>
«་་ L'Aurore se lève ; je m'arrache des bras de la Déesse :
« elle me rappelle ; ses efforts sont impuissants ; elle cède
« enfin au mouvement qui m'entraîne ; mais plus tendre et
་་ plus caressante , elle me prodigue les soins les plus em
«< pressés. Ses mains me couvrent des vêtements les plus
་་ précieux ; elle-même donne à ses charmes plus d'éclat.
« Un tissu léger voile et trahit ses appas ; une ceinture d'or
« embrasse et dessine tous les contours de sa taille divine ;
« sur sa tête s'élève une tiare majestueuse.
« Je me dérobe à ses derniers embrassements ; je cours
<< dans le palais ; je réveille mes compagnons , et , dans
་་ des transports de joie , je m'écrie : « Secouez , mes amis ,
" secouez les langueurs du Sommeil. Partons , la Déesse a
" daigné m'éclairer sur la route que nous devons suivre. »
CHANT XI. 535
Ils répondent à ma voix et s'empressent d'obéir. Hélas !
❤ je ne devois pas les ramener tous. Il en étoit un plus
CHANT ONZIÈME .
« cette terre que nous avions cru ne quitter que pour revoir
«< notre patrie .
536 L'ODYSSÉE .
« Un vent , docile aux ordres de la Déesse , enfle nos
" voiles ; nos rames reposent inutiles , et nous nous aban
«< donnons à l'art de notre pilote et à la foi des vents . Nous
« voguons tout le jour ; le soleil se plonge au sein des eaux ,
« et la nuit et ses ombres descendent sur la terre.
་་ Nous entrons dans les profondeurs de l'Océan, et nous
« sommes suspendus sur ses abîmes. Là , sont les Cim
« mériens et leurs tristes demeures , qu'enveloppent des
« ombres éternelles. Jamais le soleil ne les perce de ses
« rayons , ni quand il monte sur le trône des airs , ni quand
«< il se cache au sein des eaux . Une nuit immobile pèse
" toujours sur ces peuples infortunés.
« Nous abordons ; nous tirons du vaisseau les victimes.
« que nous devons immoler, et, suivant le cours de l'Océan ,
« nous arrivons aux lieux que Circé nous a marqués.
་ Euryloque et Périmède tiennent les offrandes que nous
« destinons aux habitants du noir séjour ; moi , je prends
« mon épée , je creuse une fosse dans les dimensions qui
« m'ont été prescrites ; sur cette fosse , nous épanchons des
« libations de miel , de vin , d'eau et de farine. J'invoque à
« genoux les ombres silencieuses ; je leur promets qu'arrivé
« dans ma patrie , je leur immolerai la plus belle de mes
"( génisses ; que , sur un bûcher, je déposerai les plus riches
་ offrandes ; qu'enfin je sacrifierai à Tirésie en particulier
" une brebis noire , l'honneur de mes troupeaux.
"( Après avoir, par mes vœux , par mes prières , imploré
< riers qui ont péri dans les combats , encore chargés de
«
«< leurs armes sanglantes et mutilées.
« Ils se pressent en poussant des cris foibles et mourants,
e se précipitent vers la fosse.
CHANT XI. 537
« est assigné.
« Alors sera désarmé le courroux du souverain des mers .
« Tu verras croître autour de toi un peuple heureux et flo
« rissant ; une vieillesse tardive usera sourdement les res
« sorts de ta vie , et , du sein des mers , une mort imprévue,
« sans horreurs , sans angoisse , viendra terminer ta car
« rière. >>
« Je lui réponds : « Tirésie , je me soumets avec respect
« aux décrets des Dieux . Mais dis-moi...., ma mère...., je
« vois son ombre ; elle est là silencieuse , assise auprès du
<< sang des victimes . Elle n'ose lever les yeux sur son fils ,
« ni lui adresser la parole . Dis-moi comment elle pourroit
« me reconnoître dans l'état où je suis.
- « Les ombres que tu laisseras , me dit-il , approcher de
« ce sang , te parleront . Celles que tu repousseras s'éloi
་་ gneront et rentre
ront dans leur noir séjour . >>
« Il dit , et se replonge dans l'abîme . Je reste immobile à
" ma place , et j'attends l'ombre de ma mère . Elle approche ,
«< boit du sang , et soudain elle me reconnoît . Et tout éplo
rée : « O mon fils ! me dit-elle , comment es-tu descendu
་་
540 L'ODYSSÉE .
<< vivant sur ces sombres bords ? L'accès en est interdit aux
« mortels qui jouissent encore de la lumière des cieux ; des
" fleuves immenses , d'affreux torrents les arrêtent , et cet
«< Océan , qu'on ne peut traverser à pied et sans le secours
« d'un vaisseau . - O ma mère ! lui répondis-je , un devoir
་་ impérieux m'a conduit dans ces tristes demeures. J'y suis
<< venu consulter l'ombre de Tirésie. Je n'ai point encore
1 « revu les rives de la Grèce , point encore approché de ma
« douce patrie ; toujours des malheurs , toujours de tristes
" aventures , depuis que , sous les ordres d'Agamemnon , je
«
« suis allé combattre les Troyens.
«< Mais dis-moi , je t'en conjure , quel genre de mort a
« terminé tes jours. As-tu succombé à une longue maladie ?
(< Diane , de ses traits plus doux , t'a-t-elle arrachée aux
" misères humaines ? Et mon père , et mon fils , dis-moi ,
(( sont-ils encore au rang où je les ai laissés ! Le sceptre est
< il toujours dans ma famille ? a-t-il passé dans des mains
«
« étrangères ? Croit-on qu'il n'y a plus de retour pour moi ?
«" Et mon épouse , quels sont ses projets et ses pensées?
Est-elle toujours auprès de son fils , toujours la gardienne
« fidèle de mon héritage ? Ou bien a-t-elle passé dans les
" bras de quelqu'un des chefs de la Grèce ?
-Ton épouse , elle est toujours constante dans son
" affection pour toi , toujours dans ton palais ; ses nuits , ses
་་ jours , se consument dans la douleur et dans les larmes.
« Personne encore ne s'est assis à ta place. Ton Télé
་་ maque jouit en paix de tes domaines , et tient dans ta
«་ maison l'état qui convient à son rang ; tous les citoyens
« l'invitent à leurs fêtes.
" Ton père , il est toujours dans ses champs , et ne va
« plus à la ville. Il ne connoît plus le luxe des palais , les
«< lits moelleux , les riches habits , les meubles précieux ;
K l'hiver couché sur la cendre comme ses esclaves , et cou
« vert de haillons ; quand viennent le printemps et l'été , on
< lui dresse au milieu de ses vignes un lit de feuillage . Il
«
CHANT XI. 541
CHANT DOUZIÈME .
«< sang des victimes. Si le Dieu irrité veut faire périr notre
vaisseau , si les autres Dieux s'unissent à sa vengeance ,
)}
j'aime mieux encore mourir une fois dans les flots , que
« de languir et me consumer dans une île déserte. »
«་་ Il dit , et tous applaudissent. Les troupeaux sacrés
(( paissoient non loin du rivage. Ils choisissent ce qu'il y a
« de plus beau , et , rangés autour de leurs victimes , ils in
"< voquent les Dieux. Il n'y avoit point d'orge sur le vais
" seau; pour en tenir lieu, ils emploient la feuille du chêne.
" Ils n'avoient point de vin pour faire des libations , ils y
" suppléent par l'eau d'une fontaine voisine. Ils égorgent
« leurs victimes et les dépouillent ; les cuisses fument sur un
C autel ; les chairs , découpées en morceaux , sont pressées
CHANT XII . 563
" dans des chaudières que la flamme environne , ou expo
་་ sées à l'ardeur d'un brasier allumé.
« Cependant le sommeil m'abandonne . Je cours à mon
" vaisseau ; une trop agréable odeur vient frapper mes na
" rines ; je gémis, je m'écrie : « O Jupiter ! ô Dieux immor
་་ tels , vous m'avez endormi d'un funeste sommeil. Ah!
<< sans doute mes compagnons, en mon absence , ont com
« mis un horrible forfait. »
་་ Déja la nymphe Lampétie avoit annoncé au Soleil ce
« crime odieux . Le Soleil , dans sa fureur , fait retentir
་་ l'Olympe de ses plaintes : « O Jupiter ! ô Dieux immortels !
«" s'écrie-t-il , vengez-moi , punissez les compagnons d'Ulysse
«་་ qui ont égorgé ces génisses que j'aimois à contempler,
«" quand sur mon char je m'élevois dans les cieux ; que je
<< revoyois avec tant de plaisir, quand du haut des cieux
«་་ j'allois me plonger dans la mer. Si je n'obtiens pas la
« vengeance qui m'est due , je descends aux Enfers , et
« n'éclaire plus que les morts.Va , lui dit Jupiter , va ,
« Dieu de la lumière , continue d'éclairer le ciel et la terre ;
་ je vais lancer ma foudre sur ce vaisseau impie , et j'en
" disperserai les débris au milieu de la mer. »
" Ainsi me l'a raconté Calypso , à qui Mercure , le mes
« sager des Dieux , avoit révélé les secrets de l'Olympe .
« J'arrive au bord de la mer mes compagnons se que
relloient ; c'étoit des cris , c'étoit un vacarme horrible.
" On n'entendoit rien , on ne vouloit rien entendre . Le
«< crime étoit consommé. Les Dieux , à l'instant même ,
" firent, par des prodiges étranges , éclater leur courroux.
« Les peaux rampoient , les chairs crues mugissoient ; elles
" mugissoient dans les chaudières , elles mugissoient sur
« les broches auxquelles on les avoit attachées . C'étoit des
« mugissements véritables . Pendant six jours , mes compa
« gnons se repurent de ces horribles aliments. Le septième
" jour, les vents se calment , nous lançons le vaisseau à la
" mer, et nous nous embarquons. Nos voiles se déploient ,
36.
564 L'ODYSSÉE .
" l'ile fuit derrière nous , la terre disparoît à notre vue ; il
" n'y a plus pour nous que le ciel et la mer.
к Jupiter épaissit sur notre vaisseau le nuage le plus noir.
« L'onde en est obscurcie. Nous voguons encore. Mais
« bientôt les vents et les tempêtes sont déchaînés ; les cor
« dages qui retiennent le mât sont rompus. Le mât penche
« et s'abat sur le pilote. Le malheureux a la tête fracassée ,
« et tombe sans mouvement et sans vie. Jupiter tonne et
«< lance sa foudre sur le vaisseau ; le vaisseau , frappé , tourne
«< et retourne sur lui-même. Il se remplit d'une odeur de
« soufre ; les nautonniers tombent , et , semblables à des
« corbeaux , flottent sur les ondes. Le ciel a décidé leur
" sort , il n'est plus pour eux de retour ni de patrie.
« Cependant je courois de la poupe à la proue , lorsque
«< les vagues entr'ouvrirent les flancs du vaisseau et en
" rompirent l'assemblage. La quille nage sur les flots , les
« liens qui l'attachent au mât sont brisés. Une courroie
« restoit encore ; je la saisis , je m'en sers pour relier le mât
« à la quille , et , assis sur les débris , je m'abandonne aux
« vents et aux vagues.
« La tempête s'apaise ; un vent du midi se lève et m'ap
« porte de nouvelles douleurs. Il faudra revoir encore cette
« horrible Charybde. Toute la nuit j'erre sur les eaux. Aux
« premiers rayons du jour, je me retrouve entre Charybde
« et Scylla. Charybde aspire l'onde amère , qui va se préci
་ piter dans son gouffre . Moi , je m'élance sur le figuier qui
« la domine , je m'attache à son tronc , j'y reste suspendu
« sans point d'appui sous mes pieds , sans pouvoirni monter
« ni descendre les racines étoient très loin , les branches
« très écartées .
* ་ J'attends , dans cette situation , que Charybde revo
« misse la quille et le mât du vaisseau dont elle s'est emparée.
« Ils reparoissent enfin à l'heure où le magistrat, fatigué de
K juger les querelles d'une jeunesse turbulente , quitte son
« tribunal et rentre dans ses foyers pour prendre son repas.
CHANT XH. 565
" Ils reparoissent ; je me laisse tomber dessus , j'y tombe
«< avec fracas , et , assis sur ces débris , mes mains me
« servent de rames . Jupiter , du moins , ne permit pas que
་ je revisse encore cette épouvantable Scylla . J'aurois péri
<< dans son antre. Pendant neuf jours j'errai au gré des flots.
་་ A la dixième nuit , les Dieux me conduisirent à l'île d'O
«
«< gygie , le séjour de Calypso ; elle m'accueillit , elle me
་་ prodigua tous ses soins. Mais pourquoi vous redire encore
«
< ce que je racontai hier au roi et à la reine ? Je déteste ces
« ennuyeuses répétitions. »
CHANT TREIZIÈME .
rière les bancs des rameurs pour ne pas troubler leurs man
œuvres ; d'autres retournent au palais pour y hâter les
apprêts du festin .
Le monarque y arrive à son tour. Il immole un taureau
au Dieu qui règne sur les nuages et commande à la nature
entière. Les cuisses de la victime fument sur son autel ;
des tables sont chargées de viandes . La joie anime tous les
convives , et éclate sur tous les visages. Le chantre divin ,
Démodoce , est au milieu d'eux , et les charme par ses ac
cords.
Ulysse , les yeux souvent fixés sur l'astre qui éclaire le
monde , accuse sa lenteur, et presse de ses desirs le mo
ment où il ira se coucher dans le sein des mers. Tel le
laboureur, qui , tout le jour , a tracé de pénibles sillons , ap
pelle la nuit et le repos qui doivent réparer ses forces ; ses
genoux fléchissent sous lui ; il salue avec transport les der
ners rayons de l'astre qui a éclairé ses travaux .
Tel Ulysse hâtoit de ses vœux le coucher du soleil. En
fin , s'adressant aux chefs des Phéaciens , et surtout à leur
roi : « Alcinoüs , dit-il , et vous généreux Phéaciens , offrez
les dernières libations aux Dieux , et que je me sépare de
« vous sous d'heureux auspices ; mes vœux sont accomplis ,
« recevez mes adieux ; vous m'avez comblé de bienfaits ;
"( puissent les Dieux m'en assurer l'usage ! Qu'une épouse
" chérie , que des amis fidèles me reçoivent dans leurs bras.
་་ Et vous que je quitte à regret , puissiez -vous faire la joie
" de vos tendres épouses et le bonheur de vos enfants ; que
#1 les Dieux vous couronnent de vertus , qu'aucun malheur
"( n'afflige votre patrie ! » Il dit ; tous applaudissent à ses
vœux ; tous demandent qu'on hâte son départ.
་་ Pontonous , dit le monarque , verse du vin dans nos
« coupes , offrons nos prières au maître des Dieux . Hâtons
« nous de remettre un hôte si cher aux lieux qu'il brûle de
(( revoir. »
«
< trie qu'après de longues disgraces ; je ne lui avois point
interdit le retour en Ithaque , tu le lui avois promis , tu
« l'en avois assuré par un mouvement de tes sourcils ; mais
"C des Phéaciens ont osé l'y reconduire ; ils l'ont déposé sur
sa terre chérie ; ils l'ont comblé de présents ; de l'or, de
< Pairain , des étoffes précieuses , plus de richesses enfin
u qu'il n'en eût rapporté de Troie , quand il seroit revenu
tt dans ses foyers sans accident , et chargé de tout le butin
แ que lui assuroient les lois de la guerre .
- ་་ Dieu des mers , lui répond le Maitre du tonnerre ,
CHANT XIII. 569
" que dis-tn ? Non , tu ne seras point la fable de l'Olympe ,
« Le plus âgé , le plus puissant des Immortels après moi ,
" comment les Dieux pourroient-ils t'outrager par leurs
" mépris ? Mais s'il est un mortel qui , dans son orgueil
« in
sensé , ose insulter à ta puissance , la vengeance est dans
« tes mains ; fais , contente tes desirs.
« Je l'eusse fait , 6 Maître de l'Olympe ! lui répond
( Neptune , mais
j'étudie tes regards , je cherche à pénétrer
« tes volontés , et je me fais une loi de m'y soumettre.
<< Aujourd'hui , puisque tu le permets , je vais détruire , à
« son retour , cet audacieux vaisseau , pour imposer aux
་་ Phéaciens , et les forcer de ne plus prêter leur ministère
« aux humains qui veulent traverser mon empire. Je place
« rai devant leur ville une montagne qui la couvrira tout
" entière.
« Cher Neptune , lui dit Jupiter , si tu en crois mon
" avis , quand tous les Phéaciens accourront pour voir ce
CHANT QUATORZIÈME .
<< moi tes peines ; dis-moi qui tu es , d'où tu viens , quel est
« ton pays , quels étoient tes parents ; quel vaisseau , quels
" nautonniers t'ont amené sur nos rives. On ne peut venir
«
< Tout ce qui est autour d'elle s'agite et se nourrit de
" vaines rumeurs ; les uns pleurent ce maître absent depuis.
si long-temps ; d'autres , dans des orgies indécentes , dé
« vorent impunément sa fortune.
« Je ne veux plus rien entendre , je ne veux plus interro
" ger personne , depuis qu'un Etolien m'a abusé par ses
« contes. Cet homme avoit commis un meurtre , errant de
" contrée en contrée , il arrive un beau jour dans ma soli
CHANT XIV . 587
« tude. Je lui tends les bras. Il me dit qu'il a vu mon maître
« en Crète , à la cour d'Idoménée , réparant ses vaisseaux
"
brisés par la tempête. Il reviendroit , disoit-il , ou dans
" l'été ou dans l'automne , comblé de richesses , et avec les
«
« guerriers qui l'avoient accompagné.
CHANT QUINZIÈME .
« sur cette table qui t'a reçu , sans avoir salué encore une
« fois ces Dieux hospitaliers , témoins et garants des senti
« ments qui nous lient.
« Au sortir de ma table , toutes les routes te seront ou
« vertes. Veux-tu visiter les campagnes d'Argos et les plaines
« de l'Hellade ? je suis prêt à t'accompagner ; je te donnerai
« des chevaux , je te conduirai dans nos villes ; partout tu
<« seras accueilli. On t'offrira ici des trépieds , ou des vases
« d'airain ; là , des mulets , ou des coupes d'or.
- « O fils d'Atrée ! ô digne sang des Dieux ! lui répond
" Télémaque ; je ne veux que revoir ma patrie. En partant ,
" je n'ai point laissé de gardien fidèle pour veiller sur mes
« intérêts. Je dois craindre qu'en cherchant mon père je ne
« me perde moi-même , ou que du moins mes effets les plus
« précieux ne disparoissent de ma maison. »
Il dit'; Ménélas invite Hélène à ordonner à ses femmes
de faire les apprêts du repas. Le vigilant Étéonée est levé :
il accourt à la voix de son maître , réveille le feu dans les
fourneaux , et prépare les viandes.
38
5.94 L'ODYSSÉE .
Ménélas , avec Hélène et son fils Mégapenthès , descend
sous la voûte où sont gardés ses effets les plus précieux. Il
y prend une coupe d'or , et remet à son fils un cratère d'ar
gent. Hélène , dans une armoire où sont renfermées de su
perbes étoffes qu'elle-même a travaillées , va prendre un
tissu plus beau , plus riche que tous les autres , et qui semble
un astre étincelant de feux .
Chargés de ces trésors , ils remontent aux lieux où ils ont
laissé Télémaque ; et Ménélas l'abordant : « Que Jupiter,
«< l'auguste époux de Junon , lui dit-il , protége ton refour !
" Reçois cette coupe d'or ; c'est de tous les objets que je
possède , l'objet le plus précieux . Reçois encore ce cratère
d'argent qu'entoure un cercle d'or ; c'est un ouvrage de
« Vulcain. Le roi de Sidon me le donna quand , à mon re
« tour d'Égypte , il me reçut dans son palais. "}
A ces mots , il remet la coupe d'or aux mains de Télé
maque. Mégapenthès lui présente le cratère d'argent. Hé
lène , tenant son brillant tissu : « Tiens , mon fils , lui dit
" elle , accepte ce don d'Hélène , l'ouvrage de ses mains.
« Conserve ce gage de ses sentiments pour toi ; que ton
« épouse s'en pare au jour de ton hyménée ; en attendant ,
confie-le à la garde de ta mère : adieu , cher Télémaque ,
« que la joie et le bonheur t'accompagnent dans ta patrie et
« au sein de ta famille ! » Elle dit , et remet dans ses mains
le tissu précieux. Télémaque , d'un oeil satisfait , le con
temple et l'admire.
Ménélas conduit ses hôtes à la salle du festin. Tous pren
nent leurs places. Une jeune beauté , d'une aiguière d'or,
épanche sur leurs mains une eau limpide , qui retombe dans
un bassin d'argent. Une autre dresse une table. Une femme
plus âgée vient y déposer avec grace les dons de Cérès et
des mets délicats confiés à sa garde. Etéonée découpe et
sert les viandes . Le fils de Ménélas puise le vin dans des
cratères et dans des coupes d'or, le présente aux convives ,
et le repas est fini : on invoque les Dieux , on offre les der
CHANT XV. 595
nières libations . Télémaque et le fils de Nestor attellent leurs
coursiers , et s'élancent sur le char.
Déja ils ont franchi le seuil du portique . Ménélas les suit ,
portant une coupe d'or où pétille un vin qu'il réservoit pour
les jours solennels ; et s'avançant à la tête des chevaux :
« Je vous salue , dit-il , ô mes jeunes amis ! saluez pour moi
« le sage Nestor. Quand nous combattions sous les murs de
« Troie, il étoit pour moi le plus tendre des pères . - Nous
« lui ferons , dit Télémaque , un récit fidèle de tout ce que
« nous avons éprouvé à ta cour. Ah ! que ne puis-je , à mon
« retour en Ithaque , dire aussi à Ulysse , dans son palais ,
<< combien tu nous as prodigué de bontés ! Que ne puis-je
« lui montrer ces riches présents que je dois à ta géné
་་ rosité ! "
Tandis qu'il parle , un aigle vole à sa droite , portant dans
ses serres une oie privée , qu'il vient d'enlever dans la cour
du monarque. Les hommes , les femmes le poursuivent de
leurs cris. L'aigle , dans son vol , passe à droite devant les
chevaux. Tous les spectateurs tressaillent de joie , et le fils
de Nestor : « Dis-nous , ô sage roi ! si c'est à toi , si c'est à
« nous que cet augure s'adresse. »
Ménélas se recueille et médite sa réponse ; Hélène le pré
vient : « Écoutez-moi , dit-elle , écoutez ce que m'inspirent
« les Dieux :
« Du haut de cette montagne , où l'attendent ses aiglons ,
<
«< le roi des airs a fondu sur cet oiseau , et retourne à son
aire avec sa proie. Ulysse aussi , après de longues courses ,
« revient dans ses foyers ; il y revient ; peut-être il y est déja
« revenu , et médite en ce moment la perte des insolents
" qui ont osé l'outrager.
- O Reine , s'écrie Télémaque , puisse le Maître des
" Dieux accomplir cet oracle ! Tu seras désormais ma Divi
« nité , et toujours je t'offrirai des hommages et des vœux. »
Il dit , et de l'aiguillon il pique les flancs des coursiers.
Ils volent impatients de s'élancer dans la plaine . Tout le
38.
596 L'ODYSSÉE .
" moi surtout un guide fidèle et sûr qui m'y conduise . Force
« m'est d'aller de porte en porte attendre ce qu'on voudra
« me donner , un morceau de pain , une goutte d'eau.
" Peut-être je pénétrerai jusqu'au palais d'Ulysse , et je
« donnerai des nouvelles consolantes à la sage Pénélope ;
" peut-être
j'arriverai jusqu'à ces fiers prétendants , et j'ob
"« tiendrai quelques
débris de leurs magnifiques festins. Je
« pourrai aussi leur rendre et leur faire agréer
mes services.
" Je te le dirai , et tu peux m'en croire , louange soit au
« Dieu qui donne aux actions des hommes l'aisance et la
« grace. Il n'est personne qui puisse me disputer de talent
« et d'adresse. Je sais bien faire du feu , bien fendre du bois ,
" je suis cuisinier , rôtisseur , échanson , enfin tout ce que
" peut être le pauvre pour les riches et les heureux de la
« terre. »
Eumée attristé : « Eh ! mon ami , quelle étrange idée tu
« as conçue ? Tu es mort si tu te jettes au milieu de cette
<< foule insolente , dont l'orgueil et la violence outragent le
« ciel même. Ceux qui les servent ne sont pas faits comme
" toi ; ce sont des jeunes gens bien tournés , bien vêtus ,
IC bien parfumés. Leurs tables superbes sont chargées des
600 L'ODYSSÉE .
« mets les plus exquis , des vins les plus délicieux. Reste
« ici ; ta présence n'a rien d'importun ni pour moi ni pour
CHANT SEIZIÈME .
« nus ; un Dieu leur aura révélé que leur proie leur étoit
" échappée , ou bien ils auront vu passer de loin le vaisseau
« ne te frappe et ne te chasse.
- « Je t'entends, dit Ulysse, et je saisis ta pensée : passe
« le premier ; des insultes, des coups n'ont rien de nouveau I
CHANT XVII. 625
« pour moi ; j'ai un courage à toute épreuve ; j'ai tant souf
« fert, et dans les tempêtes et à la guerre ! viennent d'autres
« peines encore , je subirai ma destinée.
Ce malheureux
" appétit ! le tourment de la vie ! il n'y a pas moyen de s'en
" défendre ; pour le satisfaire , on arme des vaisseaux , on
« court sur une mer en furie porter le malheur à ses en
« nemis . >>>
Tandis qu'ils s'entretiennent , un chien couché dans la
cour lève la tête et dresse les oreilles . C'étoit un chien de
l'infortuné Ulysse , que jadis lui-même avoit pris plaisir à
nourrir et à former. Il n'avoit pas joui du succès de ses
soins ; il étoit parti trop tôt pour aller combattre sous les
murs d'Ilion. La jeunesse d'Ithaque alloit , avec ce chien ,
lancer les chèvres sauvages et poursuivre les lièvres et les
cerfs. Maintenant , loin de son maître , il languit ,, délaissé
sur un tas de fumier que des valets négligents ont laissé
amasser à la porte des écuries et des étables , en attendant
que , pour engraisser la terre , on le transporte dans les
champs. Le pauvre Argus est là gisant , couvert d'insectes
qui le dévorent. Il a senti son maître : il remue sa queue
pour le caresser, et baisse les oreilles ; mais il ne peut se
traîner jusqu'à lui. Le héros , à cette vue , détourne la tête
pour dérober à Eumée et essuyer une larme qui s'échappe
de ses yeux ; puis , se remettant : « Il est bien étrange , dit
« il , qu'on abandonne ce chien sur ce tas de fumier. Il est
de belle apparence ; mais, avec cet air-là , je ne sais pas
« trop s'il étoit bon à la course , ou si ce n'étoit qu'un de
« ces chiens de table que des maîtres curieux nourrissent
« pour leur plaisir.
- « Ah ! lui dit Eumée , c'est le chien chéri de ce bon
« maître que nous avons perdu dans les pays lointains. S'il
« étoit encore , et de figure et de prouesse , tel que l'avoit
« laissé Ulysse en partant pour Troie , tu admirerois son
« ardeur et sa légèreté il poursuivoit sa bête jusqu'au
८ fond des bois ; c'étoit l'instinct le plus sûr et le jarret le
40
626 L'ODYSSÉE .
" plus vigoureux . Maintenant , il est usé de fatigue et de
« les talents , les Dieux m'ont tout ravi quand les Grecs se
«་ sont embarqués pour Troie , et mon Ulysse avec eux !
" Oh ! s'il m'étoit rendu , s'il étoit encore l'arbitre de ma
" vie , ma réputation seroit plus belle et mon nom plus fa
« meux. Maintenant , je ne vis plus que pour la douleur ,
« tant la fortune a déchaîné de maux contre moi.
« Le jour où il abandonna sa patrie pour cette funeste
«< guerre , il me prit la main : « Chère épouse , me dit-il , je
« ne puis me flatter que nous revenions tous de cette dan
« gereuse expédition. On dit que ces Troyens sont un peuple
" belliqueux , habiles à lancer les flèches , à lancer les jave
lots , terribles à cheval , et prompts à décider le sort des
« combats. Ainsi je ne sais si le ciel me ramènera dans tes
<
་་ bras , ou si je périrai sous les murs de Troie. Je recom
640 L'ODYSSÉE .
ger : « S'il est vrai , lui dit-elle , que tu as reçu mon époux
(( et ses guerriers dans tes foyers , dis-moi quels habits il
" portoit , quel il étoit lui-même , quels étoient ceux qui
" l'accompagnoient .
- "
Après un si long temps , lui dit Ulysse , il est difficile
" de se rappeler ces détails. Voilà vingt ans qu'il est parti et
«< tour ; qu'on me l'a dit vivant dans l'heureux pays des
" Thesprotes ; qu'il rapportoit d'immenses trésors qu'il
་་ avoit reçus chez les peuples qu'il avoit visités . Ses com
" pagnons , il les a tous perdus ; il a perdu son vaisseau en
" sortant de l'île de Trinacrie. Effet funeste de la colère de
" Jupiter et d'Apollon ! Les compagnons d'Ulysse avoient
« immolé des génisses consacrées au Dieu du jour. Pour les
« en punir, tous furent abîmés dans les flots . Lui , porté sur
« un débris de son vaisseau , les vagues le jetèrent sur la côte
« des Phéaciens , les Phéaciens, un peuple ami des Dieux , qui
" tient un rang intermédiaire entre les hommes et les immor
« tels ; ils l'ont comblé de présents ; ils ont voulu le ramener
' Ici est une longue digression , qui sans doute ne devoit pas entrer tont
entière dans le texte. Ce sont bien des vers d'Homère ; mais il est évident
que ce n'étoit qu'un commentaire. En voici la traduction , pour ceux qui
ne venlent rien perdre de ce qui est attribué à ce grand poète :
a Autolycus , arrivé à Ithaque , y trouva un enfant nouveau-né de sa
fille. Euryclée le mit sur ses genoux au sortir de table. « Autolycus , lui
a dit- elle , donne un nom à cet enfant , dont la naissance a comblé tant de
« vœux.
—«« Mon gendre , ma fille , dit Autolycus , donnez à cet enfant le nom
« que je vais dire. Hommes , femmes , tout a été ici-bas pour moi un objet
« de colère : surnommez -le Ulysse ( le courroucé ) . Ce nom rappellera mon
« caractère et les circonstances de ma vie.
" Quand, aux premiers jours de sa jeunesse , il viendra aux lieux où sa
« mère commença de respirer, je lui donnerai une partie de mes trésors, et
« je le renverrai heureux et satisfait de mes bienfaits. »
of Ulysse étoit allé au Parnasse , conduit par l'espoir et par le sentiment ;
Autolycus et les fils d'Autolycus le serrèrent dans leurs bras, et le com
blèrent de caresses. Amphytée , son aïeule , le pressa contre son sein , et
couvrit de baisers et sa tête et ses yeux. Ce ne furent que fêtes dans le pa
lais. Les jours tout entiers s'écouloient dans les plaisirs.
« Les fils d'Autolycus vont à la chasse , et Ulysse avec eux ; ils montent
sur le Parnasse , parcourent les bois qui le couronnent , et les cavités qui
sillonnent ses flancs. Le soleil , sorti du sein de l'Océan , doroit la terre de
656 L'ODYSSEE.
Euryclée s'avance , pose son seau à terre , et d'une main
tremblante , elle soulève un des pieds de son maître , le lave ,
et de ses doigts parcourt la jambe jusqu'au genou . Elle a
senti la cicatrice : le pied échappe de ses mains , tombe sur
le seau qui penche et se renverse. L'eau s'écoule ; Euryclée
est saisie de joie et de douleur , ses yeux se remplissent de
larmes , sa voix expire sur ses lèvres . Elle presse le genou
du héros , elle s'écrie : « Tu es Ulysse , tu es mon fils ! et je
« ne t'ai reconnu que quand j'ai touché cette cicatrice ! »
Elle dit , et porte ses regards sur la reine : elle veut lui
dire que son époux est présent à ses yeux. La reine n'est
plus à elle-même ; elle n'a plus d'yeux ni de pensée pour ce
qui l'environne. Minerve a tourné ailleurs le cours de ses
esprits.
Ulysse , d'une main , prend Euryclée à la gorge , de l'au
tre il l'attire sur lui : « Ma bonne , lui dit-il , pourquoi veux
« tu me perdre ! Et tu m'as nourri de ton lait ! Après de lon
« gues peines , de longs travaux , après vingt ans d'absence ,
་་ je reviens enfin dans ma patrie . Tu m'as reconnu ; les
ses premiers rayons. Les chasseurs , les chiens , fouillent les anfractuosités
de la montagne , et cherchent la piste des bêtes sauvages ; derrière eux
viennent les fils d'Autolycus , et avec eux Ulysse , brandissant sa lance.
« Un énorme sanglier étoit couché dans un épais feuillage , où le soleil
ne pouvoit l'atteindre de ses rayons , où ne pouvoit pénétrer la pluie ; la
terre étoit jonchée de feuillages . Il a entendu la marche des chasseurs et des
chiens ; il se lève , l'œil en feu , le poil hérissé, et se présente à ceux qui vont
l'attaquer. Ulysse , le premier , s'élance , le fer à la main , impatient de frap
per. L'animal furieux se jette sar lui , et , de ses défenses , il lui fait, au
dessus du genou , une large et profonde blessure. Ulysse , de son còté, lai
enfonce sa lance dans l'épaule droite , et le perce de part en part. Il tombe
et expire .
« Les fils d'Autolycus s'empressent autour d'Ulysse . Ils bandent sa blessure
et arrêtent le sang qui coule. Ils le reportent au palais , et bientôt l'art et
les soins l'ont rendu à la santé. Il retourne en Ithaque , comblé de l'accueil
qu'il a reçu. Son père , sa mère , sont enchantés de son retour, et l'inter
rogent sur tous les détails de son voyage. Il leur raconte tout ce qu'il a
éprouvé , et cette chasse , et cette blessure , dont il leur montre la cicatrice. »
CHANT XIX . 657
« Dieux t'ont inspirée : garde le silence ! que personne ici
« ne sache mon retour ; je t'annonce , etj'en fais le serment ,
<< si le Ciel fait tomber ces fiers prétendants sous mes coups ,
" j'égorgerai toutes ces femmes qui déshonorent mon pa
་་ lais ; et , si tu trahis mon secret , je ne t'épargnerai pas
«С plus qu'elles. - O mon fils ! quel mot est échappé de ta
« bouche ! lui répond Euryclée. Tu connois mon caractère ,
« ma discrétion , ma fidélité à toute épreuve. Je serai aussi
« ferme que le marbre , aussi impénétrable que le fer.
« Je te dirai , moi , et souviens-toi de ma promesse : si
« le Ciel fait tomber ces prétendants sous tes coups , je te
<< ferai connoître les femmes de ton palais , et celles qui le
." déshonorent , et celles qui ont été fidèles à leurs devoirs.
CHANT VINGTIÈME .
"
CHANT XX. 661
vorer. Ainsi s'agitoit Ulysse au feu de sa vengeance. Mais
comment , seul contre tant d'ennemis , pourra-t-il les acca
bler? Soudain Minerve descend du haut des cieux , et se pré
sente à lui sous la figure d'une mortelle.
Elle se penche sur sa tête : « O le plus infortuné des
་་ hommes , lui dit-elle , pourquoi toujours veiller? C'est ici
< ton palais ; ici sont ta femme et ton fils , un fils que tout
« le monde t'envie. ― - Oui , Déesse , ma raison me parle
« comme toi ; mais il est un souci qui trouble mes pensées.
и Comment , seul, pourrai-je appesantir mon bras sur cette
и troupe ennemie qui va m'assiéger ? ils sont là toujours en
" force , et, ce qui tourmente encore plus mes esprits , si ,
" protégé par Jupiter et soutenu par toi , je parviens à les
и atcabler, comment échapperai-je à la vengeance de leurs
familles et de leurs amis? Daigne , ô Déesse ! daigne m'é
« clairer de tes lumières .
- « Foible créature , un mortel , dans les dangers , s'ap
u puie sur
un mortel plus foible que lui ; il réclame des con
« seils moins sûrs que les siens ; et moi, je suis une Divinité ;
K je veille sur
toi dans tous tes travaux , dans tous tes pé
་་ rils ; je te déclare , je t'en donne l'assurance : quand des
milliers de bras s'armeroient contre toi et viendroient pour
་་ t'égorger, tu sortiras du combat vainqueur , et chargé de
676 L'ODYSSÉE.
«་་ n'aille reporter dans le palais ce qu'il aura vu. Rentrons,
་་ mais ne rentrons pas tous ensemble : moi le premier , vous
<<
" après moi. Écoutez encore l'ordre que je vais vous don
« ner. Les prétendants ne voudront pas permettre qu'on me
་་ confie l'arc et les flèches. Toi , mon bon Eumée , tu iras
«
« les prendre , tu les remettras dans mes mains ; tu diras aux
" femmes de fermer exactement les portes du palais. Si on
« entend du bruit , des gémissements dans l'intérieur , qu'au
« cun de nos gens ne sorte , que tous restent à leur ouvrage.
་་ Toi , brave Philétius , je te recommande de fermer à clef
«
« les portes de la cour , et d'en bien assurer les barres et les
« verroux. » Il rentre à ces mots , et va reprendre la place
qu'il a quittée. Eumée et Philétius rentrent bientôt après lui.
L'arc étoit dans les mains d'Eurymaque. Il le chauffe ,
il le frotte à l'ardeur du brasier. Il ne peut pas le courber,
il en soupire : son orgueil s'en indigne ; il s'écrie : « J'en
" frémis, moi, j'en frémis pour nous tous . Et ce n'est pas cet.
" hymen , quelque douloureux qu'il soit pour moi d'y re
« noncer, ce n'est pas cet hymen qui cause mes pleurs et mes
་་ regrets ; Ithaque et la Grèce tout entière ont d'autres
" femmes dignes de nos vœux . Mais être tous si inférieurs
་་ à Ulysse , ne pouvoir pas courber son arc ! ah ! c'est un
«< trait qui nous déshonorera dans tout l'avenir.
- « Non , il n'en sera pas ainsi , dit Antinous ; tu en es
« bien convaincu toi-même. C'est aujourd'hui la fête d'A
"( pollon. Qui oseroit dans cette solennité tendre l'arc ?
« Restons tranquilles ; laissons là les haches , les anneaux ;
་ je n'imagine pas que personne vienne les enlever dans le
" palais d'Ulysse ; qu'on verse du vin dans les coupes ; of
« frons des libations et déposons l'arc et les flèches ; que
« demain Mélanthius nous amène les plus grasses de ses
"( chèvres , nous les immolerons au Dieu qui lance d'inévi
« tables traits , et nous mettrons à fin cette épreuve. »
Ainsi parle Antinoüs. Tous applaudissent ; des hérauts
viennent épancher l'eau sur leurs mains ; de jeunes esclaves
CHANT XXI. 677
remplissent les cratères de vin , d'autres le présentent dans
des coupes. Quand les libations sont achevées , Ulysse , tout
entier à la trame qu'il ourdit : « Noble et brillante jeunesse ,
« écoutez , dit-il , ce que mon cœur m'inspire de vous pro
«< eh ! n'es-tu pas assez heureux d'être admis dans nos fêtes ,
« de vivre des mets qui sont servis sur notre table ; d'en
« tendre nos entretiens , d'écouter nos discours ? Nul autre
" étranger , nul autre mendiant n'a cet honneur ; les fumées
<< du vin ont troublé tes esprits. Ainsi en prend à qui boit
« sans règle et sans mesure. Jadis aussi le fameux Eury
« tion , dans les fureurs de l'ivresse , alla dans le palais de
" Pirithoüs insulter les Lapithes ; les Lapithes , outragés ,
« fondirent sur lui , l'arrachèrent du palais , et , d'un fer im
་་ pitoyable , lui coupèrent le nez , lui coupèrent les oreilles ,
« et de là cette terrible querelle dont il fut la première vic
<< time. Je t'annonce aussi le plus grand des malheurs , à
" toi , si tu tends cet arc ; tu ne trouveras aucun appui dans
« le pays ; nous te jetterons dans un vaisseau , nous t'en
« verrons à ce terrible Échétus , le fléau des humains ; rien
« ne te sauvera de sa fureur. Mais reste tranquille ; mange ,
" bois , et ne viens point attaquer des hommes plus jeunes
<< que toi. »>
- « Antinoüs , dit la sage Pénélope , il n'est ni juste ni
་ décent d'offenser un étranger que Télémaque a reçu dans
<< son palais. Crois-tu que si ce vieillard courbe l'arc , il pré
678 L'ODYSSÉE .
694 L'ODYSSEE .
" porte de la cour. Ulysse a purifié son palais avec le soufre
« et le feu. Il t'invite à descendre. Viens , viens partager sa
" joie et oublier dans ses bras les maux que nous avons
soufferts. Enfin nos longs desirs sont accomplis ; il est
« rentré vivant dans ses foyers , il t'y retrouve , il y retrouve
« son fils ; et tous ceux qui t'avoient insultée dans leurs
« vœux , il les a tous punis dans son palais.
-- «< O ma bonne Euryclée , ne t'abandonne point à ces
་་ transports ! tu sais combien tous nous avons desiré son
« retour, combien surtout je l'ai desiré , moi , combien l'a
" desiré son fils , ce fils , l'unique gage de nos amours. Mais
«་་ je ne puis croire à la vérité de ton rapport. C'est un Dieu
« sans doute qui a immolé ces odieux rivaux , indigné de
«< leurs outrages et de leurs crimes. Ils ne respectoient rien
« sur la terre ; bons , méchants , tout étoit égal à leurs yeux.
« Ils ont péri victimes de leurs excès . Mais Ulysse..... Ah !
་་ il aura perdu , loin de la Grèce , tout espoir de retour...
« Non.... Ulysse n'est plus.
――― ་་ O ma fille ! quel mot est échappé de ta bouche ? Ton
་་ époux est dans ses foyers , et tu me dis qu'il ne reviendra
pas... Toujours incrédule !... Eh bien ! je te donnerai une
« preuve que tu ne pourras pas démentir. La cicatrice que
« lui laissa la blessure du sanglier , je l'ai vue en lui lavant
« les pieds. Je voulois te le dire ; mais de sa main il m'a fer
« mé la bouche , et dans sa sagesse il ne m'a pas permis de
« révéler son secret. Mais viens ... si je te trompe , je m'aban
« donne à ta colère ; tu me feras périr de la mort la plus
« cruelle. - Ma bonne , avec toute ton intelligence , il ne
་་ t'est pas donné de pénétrer les secrets des Dieux . Mais
<<
«< pourtant , allons trouver mon fils , que je voie les miséra
« bles qui ne sont plus , et celui qui les a immolés. »
Elle dit , et descend toujours agitée de doutes et d'incer
titudes. Interrogera-t-elle à part celui qu'on lui annonce pour
son époux ? ira-t-elle d'abord se jeter dans ses bras et le cou
vrir de ses baisers ? Elle a franchi le seuil de la grande salle .
CHANT XXIII . 695
et va s'asseoir en face d'Ulysse à la clarté du feu ; lui, appuyé
contre une colonne , la tête baissée , les regards attachés sur
le marbre , attendant si son épouse , après l'avoir envisagé ,
lui adressera quelques paroles. Elle reste morne, silencieuse,
la frayeur dans l'ame. Elle le regarde ; tantôt elle croit que
c'est en effet lui ; tantôt elle le méconnoît sous ses sales
haillons. Enfin Télémaque éclate : « O mère , mère déna
" turée ! mère insensible ! pourquoi loin de mon père? pour
་་ quoi muette avec lui ? pas une seule parole ! Il n'est de
« femme que toi qui puisse avoir le cœur assez dur pour se
« tenir éloignée d'un époux qui , après vingt ans d'absence
« et de travaux , revient dans sa patrie. Tu es plus insensible
« que le marbre. - O mon fils ! lui répond Pénélope , je suis
" frappée de stupeur ; je ne puis ni parler , ni interroger , ni
" fixer sur lui mes regards. S'il est vrai qu'il soit Ulysse , si
« c'est Ulysse qui est dans son palais , nous avons pour nous
« reconnoître des signes plus certains , et que tous autres
« ignorent. »
A ces mots , Ulysse sourit , et s'adressant à Télémaque :
" Laisse , lui dit-il , laisse ta mère me soumettre à l'épreuve ;
" bientôt elle m'aura reconnu. Ces lambeaux , ces haillons ,
« sa lyre nous jouer des airs de danse . Que les passants , les
" voisins , tous ceux enfin qui nous entendront du dehors ,
*
«< croient que nous célébrons un hyménée. Que dans toute
«< la ville il n'y ait * bruit de meurtre ni de mort des préten
« dants , jusqu'à ce que nous soyons rendus dans notre do
<< maine et à l'ombre de nos bois : là nous attendrons ce que
« nous inspirera le maître de l'Olympe . »
Il dit ; tous obéissent ; on se baigne, on prend des ha
bits de fête. Les femmes se parent , Phémius vient avec sa
lyre , et par ses accords éveille l'amour de la musique et de
la danse ; hommes , femmes , tout est en mouvement , tout
le palais retentit sous leurs pas. A ce bruit on dit dans la
ville : « Enfin cette reine , l'objet de tant de vœux , elle a
nommé son vainqueur. Pauvre femme ! elle n'a pu attendre
le retour de son premier époux , ni lui conserver sa fortune
jusqu'à ce qu'il rentrât dans ses foyers ! » on le dit , et on
ignore le grand secret que cache cet appareil mensonger.
Ulysse à son tour entre dans le bain : la fidèle Euryclée
répand sur son corps une douce rosée , le parfume d'une
essence précieuse , le couvre d'un tissu de lin et le revêt
d'une riche tunique. Minerve répand sur sa tête une grace
nouvelle , lui donne plus de grandeur et de majesté ; des
cheveux blonds comme la fleur d'hyacinthe flottent sur ses
épaules. Ainsi sous la main d'un artiste habile que forma
Vulcain , que Pallas prit elle-même soin d'instruire , l'or
s'enchâsse dans l'argent et le teint de ses rayons.
Le héros est sorti du bain , majestueux comme un Dieu.
Il va se replacer sur son siége et sous les regards de Péné
lope : « O toi , lui dit-il , que je ne puis plus nommer mon
" épouse , le ciel te fit un cœur plus dur qu'à toutes les au
« tres femmes ; nulle autre n'auroit le courage de se tenir
«་་ loin d'un époux qui jadis lui fut si cher, et qui , après
«་་ vingt ans d'absence et de malheurs , reviendroit comme
" moi dans sa patrie. Allons , ma bonne Eurycléc , dresse
CHANT XXIII . 697
« moi un lit , que j'aille reposer loin d'elle ; son cœur est
" dur comme le fer.
――― «< Oh !... quel nom dois-je te donner ? lui répond Pé
" nélope ; je n'ai ni hauteur ni bassesse , mais je ne me laisse
"( point surprendre par les apparences . Je sais ce qu'étoit
་་ Ulysse quand il partit d'Ithaque pour cette funeste guerre.
(( Va , ma chère Euryclée , dresse-lui son lit hors de la
peines.
Minerve , quand elle crut qu'Ulysse avoit assez goûté les
douceurs du repos et du lit conjugal , appelle l'Aurore du
sein de l'Océan , pour rendre la lumière au monde.
Le héros se lève : « Chère Pénélope , nous sommes tous
་ deux , dit -il , rassasiés de malheurs ; toi fatiguée de pleu
« rer et d'attendre mon retour ; moi , d'errer si long-temps ,
" et d'être si long-temps enchaîné loin de ma patrie , loin de
« tous les objets de ma tendresse . Aujourd'hui que nous
« sommes réunis au sein de nos foyers , continue à veiller
« sur nos affaires domestiques ; moi , je reconquerrai ce que
« nous ont ravi ces odieux prétendants : les Grecs aussi
s'empresseront de réparer nos pertes , et bientôt nos
་
« établ es et nos bergeries seront repeuplées . Je vais revoir
« nos champs et les arbres de nos vergers ; je vais surtout
702 L'ODYSSEE .
" revoir et serrer dans mes bras ce tendre père , l'objet de
' On croit, avec les critiques les plus éclairés , que tout ce qui est im
primé ici en italique ne doit point appartenir au vingt-quatrième chant.
Les vers sont d'Homère , mais des vers empruntés des autres chants; et tout
n'est guère qu'une répétition des choses déja dites.
·
CHANT XXIV. 703
Ainsi sur les traces du Dieu voloient ces ames désolées.
Elles côtoient les bords de l'antique Océan, franchissent
les rochers que le soleil colore de ses derniers rayons , et
les portes par lesquelles il va se plonger dans les eaux,
et traversent la région des songes. Elles s'arrêtent
dans une prairie d'Asphodèle, où errent des fantômes
légers, images vaines des mortels qui ont cessé de par
courir le cercle pénible de la vie.
Là, elles trouvent et le fils de Pélée et son cher Patro
cle, et le vertueux Antiloque, et cet Ajax, après Achille,
le plus beau, le plus vaillant des Grecs. Ils conversoient
ensemble ; à eux vient se réunir le fils d'Atrée, le grand
Agamemnon, triste, couvert d'un voile de douleur: « Fils
« d'Atrée, lui dit Achille, nous l'avions cru, jusqu'à
« ton dernierjour, l'objet heureux des faveurs du Mai
« tre du tonnerre. Tu commandois à des peuples nom
<
" breux ; les plus vaillants guerriers marchoient sous
« tes drapeaux dans ces plaines de Troie, si fameuses
« par nos exploits et par nos revers. Et toi aussi tu de
« vois subir les rigueurs de cette destinée à laquelle au
« cun mortel ne peut échapper ! Ah ! que ne périssois-tu
" aux champs d'Ilion, dans tout l'éclat de ta gloire ! la
" Grèce t'eût élevé un tombeau célèbre ; tu aurois laissé
« à ton fils une immortelle renommée ; et tu as été con
―― Heu
« damné à périr de la mort la plus déplorable.
" reuxfils de Pélée, lui répond Agamemnon, mille fois
« heureux d'être tombé dans Troie, loin d'Argos et de
" sesfunestes rivages ! Les plus vaillants des Grecs etdes
«< Troyens tombèrent à tes côtés. Loin de ces superbes
" coursiers qui faisoient ton orgueil, tu gisois noblement
« étendu sous des tourbillons de poussière. Nous com
" ballmes un jour tout entier pour défendre tes restes, et
« nous n'eussions cessé de combattre, si Jupiter, par une
« horrible tempête, ne nous eût forcés de nous retirer.
Nous te reportâmes sur tes vaisseaux, nous lavâmes
704 L'ODYSSÉE .
" mais nous n'osions plus espérer ton retour. Salut ! que
« tes jours soient désormais des jours de joie , et que les
" Dieux te comblent de félicités ! Mais dis-moi , la sage Pé
་་ nélope est-elle instruite de ta venue? Faut-il lui envoyer
« un courrier pour lui annoncer son bonheur? -- Elle le
(( sait , mon bon vieillard ; laisse là ces soins qui te travail
« lent. » Dolius s'assied ; ses fils , à leur tour , se pressent
autour d'Ulysse , lui baisent les mains , et vont se placer au
près de leur père.
Cependant la Renommée a publié dans Ithaque la mort
funeste des prétendants. A sa voix tout s'émeut ; de tous
côtés on court au palais ; partout on entend des cris et des
sanglots. On enlève les cadavres ; on rend à ceux d'Ithaque
les devoirs funèbres ; ceux des autres îles , on les charge
sur des bateaux de pêcheurs , pour les rendre à leur patrie.
Après ces lugubres soins , les citoyens se rendent à la
place publique. Quand ils sont réunis , le vieil Eupithès se
lève , plein de la mort de son Antinoüs , qu'Ulysse a im
molé le premier ; la douleur dans l'ame , et fondant en lar
mes , il s'écrie : « O mes amis , cet homme a toujours été le
CHANT XXIV. 713
« fléau de notre patrie. Il court à Ilion , il y entraîne avec
« lui nos plus braves guerriers ; il perd tous ses vaisseaux ,
་་ il perd toute son armée , et , à son retour , il égorge tout
FIN.
8
(°
9
5
2
7
La Bibliothèque d'Auteurs classiques contiendra : HOMERE , l'Iliade
et l'Odyssée, en françois , 1 vol .; HORACE , en latin et en françois ,
1 vol .; VIRGILE , en latin et en françois , 1 vol.; SALLUSTE et TACITE ,
en latin et en françois , 2 vol.; SÉNEQUE , en latin et en françois , 3 vol.;
CICERON , en latin et en françois , 10 vol .; DANTE , l'Enfer, en italien
et en françois , 1 vol.; LE TASSE , la Jérusalem délivrée , en italien
et en françois , 1 vol ; L'ARIOSTE , Roland furieux , en italien et en
françois , 2 vol .; CERVANTES , Don Quijotte , en espagnol et en françois ,
2 vol .; MILTON , le Paradis perdu, en anglois et en françois , 1 vol.;
CAMOENS , la Lusiade , en portugais et en françois , 1 vol .; AMYOT ,
sa traduction de Plutarque , 10 vol .; MONTAIGNE , 2 vol .; CHARRON ,
1 vol .; PASCAL , 1 vol.; LA BRUYÈRE , 1 vol.; DESCARTES , 1 vol.;
CORNEILLE , 6 vol.; MOLIÈRE , 4 vol .; RACINE , 3 vol.; BOILEAU ,
1 vol .; LA FONTAINE , 3 vol .; BOURDALOUE , 7 vol.; BOSSUET , sest
Chefs-d'OEuvre, 9 vol.; FENELON , 7 vol .; MASSILLON , 5 vol.;
MONTESQUIEU, 3 vol.;J.-J. ROUSSEAU, 5 vol .; LE SAGE , son Gil Blas,
1 vol .; BERNARDIN DE SAINT -PIERRE , 2 vol . , etc.
La collection sera de 100 vol . format in-8 ordinaire ; le Prospectus
en sera publié dans quelques mois.
OUVRAGES PUBLIÉS :
A
W
BIBLIOTECA CENTRAL
1.88-8
-550
80
BIBLIOTECA DE CATALUNYA INSTITUT
D'ESTUDIS CATALANS