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' l»F. I\
THKSK
pour le Doctoral es lotIris
présentée n In Faculté des lotîtes de VUniversité de Paris
PAR
Victor DELBOS
Ancien élève do l'Kcolc normale supérieure
Professeur do pliilosojiliie au Lycée Henri IV
l'A IUS
FÉLIX ALCAiN, EDITEUR
ANCIENNE MURA1U1E'GERMER BAILMERE ET C
1()8, UOl'l.KVAKIJ SAIM'-tiKHMAIN, Î08
I903
Tout droits réservis.
l^SSAI\u\\ LA FORMATION
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DE LA
THÈSE
pour le Doctoral es lettres
présentée à la Faculté des lettres de l'Université de Paris
PAR
Victor DELBOS
Ancien élève de l'Ecole normale supérieure
Professeur do philosophie au Lycée Henri IV
PARIS
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAli/.lERE ET C
Io8, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, Io8
lfj03
Tout droit* réservés.
AVANT-PROPOS
É'iNilLE
B-OUTROUX
';Metnbrc de l'Institut,
Professeur h la Faculté des Lettres de l'Université de Paris,
Directeur de In Fondation Thiers,
HOMMAGE
DKLBO»
CHAPITRE PREMIER
1. Ibid., §5, p. 6.
2. Ibid., § 20-§22, p. i5-i6.
3. Ibid., § i5-§ 20, p. i3i5.
°LBOS. 2
l8 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
DKLUOS
CHAPITRE 11
i. Wasianski, p. 3i6.
a. Borowski, p. 156-107. — Jachmann, p. 48-55. — Cf. Kritik der ptak-
tischen Vcrnunft, V, p. 81.
3. Jachmann, p. 57, 67.
4. Wasianski, p. 317.
f\f\ LV PHILOSOPHIE PRATlQl E DE KANT
El la raison de vivre il la trouvait dans la raison môme.
Lu raison, co n'est pas seulement pour lui lo concept d'une
faculté à analyser : là raison, c'est uno conviction, c'est la
conviction absolue Donnant aux espérances optimistes de
son.siècle leur expression la plus profonde, il entend quo lu
raison soit pratique, qu'ello soit capahlo à la fois do déter-
miner les lois du vouloir ot d'établir la société dos êtres rai-
sonnables : do là l'outhousiasmo avec lequel il salue dans la
Révolution françaiso lo plus grand effort qui ait élô tenté
pour constituer l'Etal selon un idéal rationnel 1. Maiscommo
on lui l'esprit patriotique s'unit à l'esprit cosmopolitique,
l'esprit d'ordre s'unit A l'esprit do liberté, 11 s'efforce do po-
sor on principe l'inviolabilité du pouvoir établi ; avec l'apô-
tre, il recommande la soumission A l'autorité existante*.
11 lempôro donc sa conception idéalisto des droits de la per-
* •
* *
Les qualités do son intelligence tiennent do très près A
colles do son caractère. La règle do son silencieux et per-
1. Ilriefvcchscl, I, p. 66.
/|6 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
t. Jachmann, p. 20-21.
2, Krilik der rcinen Vcrnunft, Vorrcdc sur zwciten .lusgabe, lit,
p. 28.
LA PERSONNALITÉ DE KANT /»7
i. Jachmann, p. 4o.
:». VA. Was ist Aufkliirung,
IV, p. 161-168.
3. Borowski, p. i8i-t88. — Jochmpnn, p. a6-38. — Cf. Nachricht von
der Einrichtung sciner Vorlcsungcn in Wintcrhatbjahr 17GÔ-1766, II,
p. 3i3-3i5 ; Krilik der teincn Vemunft, III, p. 55o-55a.
/|8 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
*
* *
Tandis que Kant travaille h former sa doctrine, la philo-
sophio wolffienne en Allemagne se révèle incapable do main-
tenir plus longtemps contre la disposition croissante des
intelligences A un banal éclectisme l'intégrité de son ordon-
nance et de sa signification : l'empirisme anglais, le sen-
sualisme et le matérialisme français la pénètrent do divers
côtés. Ceux-IA mômes qui en observent le plus fidèlement
les maximes essentielles ne sont plus solidement rattachés
l. On n'a qu'fa se rappeler les pages do divers écrits, dans lesquelles Leibniz fait
si bien sentir la logimto vivante de son esprit et l'enveloppement spontané de ses
idées les unes duns les autres. Voir notamment lune des lettres au duc Jean
Frédéric (Ptiit. Schr., Ed. tîerhardt, I, p. fn sq), l'une des lettres à Atnauld
(11, p. i35i30), l'écrit pour Hémond (III, p. Oaa-Oai), surtout le brillant
exposé qui ouvre le premier livre des Nouveaux essais (V, p. 03- 06), etc.
MODE DE FORMATION DU SYSTÈME .57
produit qu'au terme de la lulto engagée en divers sens
conlro l'obstacle le plus invincible A sa verlu organisatrice,
à savoir la contradiction : mais c'est cette lutte môme qui a
pou à peu orienté l'esprit de Kant vers elle, et lui en a
découvert la force et l'autorité souveraines. De bonne
heure, en effet, Kant a excellé à saisir les oppositions des
doctrines entre elles comme les oppositions dos doctrines
avec les faits : c'est la conscience vivo do ces oppositions
qui a excité sa pensée, et lui a prescrit la formule des
problèmes à résoudre : il est le philosophe des antinomies '.
Expérience et raison, mathématiques et philosophie natu-
relle, science el moralité, certitude et croyance : les con-
tradictions surgissent do partout, et les contradictions exi-
gent d'ôtre surmontées. N'avait on pas, il est vrai, dès
longtemps travaillé A los faire évanouir ou A les comprendre,
et n'était-ce pas comme la destinée normale du génie spé-
culatif de l'Allemagne de découvrir derrière les oppositions
de surface lo fond concordant des systèmes ? Leibniz en
particulier no s'élail-il pas donné pour tAchc do ramoner A
l'accord les doctrines antagonistes ? Et no sonl-cc pas
comme des paroles lcibni/icnncs que Kant fait entendre
dans son premier ouvrage, quand il dit : « C'est dans une
certaine mesure défendre l'honneur de la raison humaine
que do la réconcilier avec elle-même dans les diverses per-
i. Uno lctlro do Kant fa Garvo, du ai septembre 1798, publiéo par Albert
Stem dans son livre, Ueber die lieziehungen Chr. Garves su Kant, p. 43*
4'», nous renscigno sur te rote prépondérant qu'ont joué les antinomies dans lo
développement de la pensée kantienno : « Co ne sont pas Ici- recherches sur
l'cxislcnco do Dieu, I immortalité, etc.., qui ont été le point dont josuis parti,
mais l'antinomio do la raison pure : « Lo monde a un commencement : il n'a
pas do commencement, etc.. jusqu'à la quatrième (sic)'. Il y a uno liberté
dans l'hommo — il n'y a au contraire aucune libellé en lui, tout est en lui
nécessité naturelle » ; voilà ce qui me réveilla en premier lieu du sommeil
dogmatique et me poussa fa la critique mémo de la liaison, afin de fairo dispa-
raître lo scandale d uno contradiction manifeste de ta liaison avec elle-même. »
Ilriefweehscl, III, p. a55(cf. Prolegomena, § 5o, IV, p. 86). A des points do vue
différents, Kiehl(/ter tdtilosophische Kriticismus,l,p. 27:1-375; Il,a,p.a8i)
et Menno Erdmann (Reflexionen Kants sur kritischen Philosophie, II,
p. xxxtv sq.) ont montré la portéo décisive qu'a eue (tour l'esprit cl la doc-
trine do Kant la conscience des antinomies do la raison. V. tes Réflexions do
Kant, n° 4 et n° 5, ucntio Erdmann, ibid., p. 4*&>
58 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. 1, p. 39-,.
a. I, p. an.
PREMIÈRES CONCEPTIONS MORALES ^5
prondro sur lo fait, no saurait so retourner conlro l'idéo
d'uno Cause intelligente de la nature Au contrairo, la
meilleure démonstration do l'oxistcnco do Dieu est collo
qui ost.tiréo do l'onch dnemont nécessaire et do l'influence
réciproquo des éléments do l'univers : leur commune
liaison prouve leur commune dépendance A l'égard do la
suprême sagesse Uno mémo erreur est au fond profosséo
par ceux qui nient l'action divino et par ceux qui no la
conçoivent qu'extraordinaire ou arbitraire ; et ectto erreur
consiste A so figurer la matière commo étant par elle-
même aveugle et sans lois: d'où, chez les uns, la pensée
quo lo hasard gouverne tout, c'cst-A-diro quo rien
n'est gouverné, chez les autres, la pensée quo tout
n'ost gouverné que du dehors, par arrangement artificiel
el sans suite. En réalité, lo passage du chaos A l'ordre
n'exige rien do plus que les lois qui agissent au sein
du chaos même, et co qui prouve qu'il y a un Dieu,
c'est quo, jusque dans lo chaos, la nature procède selon des
lois 1.
Kant estime il est vrai, quo s'il est permis do dire sans
présomption : Donnez-moi la matière, jo vais montrer
comment un monde va on sortir, il est plus téméraire
d'ajouter : Donnez-moi la matière, je vais montrer com-
ment un être vivant, une chenille ou un brin d'herbe va en
sortir 2. Mais, selon uno vue qu'il reproduira plus tard,
l'impossibilité d'expliquer ainsi l'apparition de la vie
marque moins l'impuissance du mécanisme en lui-même
que la limite do nos facultés'. Au fond la conception qu'il
i. I, p. ai3-3i8, 3i3-3i6.
a. Kritik der Urtheilskraft, V, p. 4is: « Il est tout h fait certain que
nous no pouvons en aucune façon apprendre à connaltro suffisamment, à plus
forte raison nous expliquer les êtres organisés et leur possibilité interne uni-
quement d'après les principes mécaniques de la nature, tellement certain en
vérité, quo l'on peut dire hardiment qu'il est insensé pour des hommes, mémo
d" concevoir seulement uno telle entreprise, ou d'espérer qu'il puisse surgir
!que nouveau Newton qui rendrait compte do la production d'un brin
rbe par des lois naturelles que n'aurait ordonnées aucun dessein. »
6. I, p. 319-330.
7G LA PHILOSOPHIE PRVTIQl'E DE K\NT
1.I, p. 3o4.
a. 1, p. 331-33a.
7»S LA PHILOSOPHIE PIUTIQIE DE KANT
i. I, p. 343. — C'est par des vues dumémegenro que Fcchncr, dans son
/.end. Avcsta, préludait aux idées constitutives de la psycho-physique.
a'. I, p. 345. On songo tout naturellement à la phrase si souvent redite qui
commence la conclusion de la Critique de la raison pratique : « Deux
choses remplissent l'âme d'une admiration et d'un respect toujours nouveaux
et qui s'accroissent à mesure que la réilexion s'en occupe plus souvent et avec
plus d'insistance: le ciel étoile au-dessus de moi et la toi morale en moi »,
V, p. 168. Mais la suite du développement montre bien comment dans l'in- -
tervalle Kant a pris conscience d'un autre infini que l'infini du monde visible,
à savoir l'infini du monde intelligible, qui est l'infini véritable, où règne la
personnalité.
3. Paul Menzer, Der EnUvicklungsgang der kantischen Elhik, I Ttieil
(Inaug.-Diss), p. 19-20.
So IA PHILOSOPHIE PRVUQIE DE KANT
i. I, p. 378.
a. I, p. 38a.
DÉTERMINISME 83
nécessité par des molifs tirés do l'intelligence L'apporanlo
indifférence do certaines do nos résolutions A l'égard des
mobiles conscients dissimule simplement uno repriso do
noire volonté par les forces inférieures ot obscures do nolro
ôlre, commo la foi dans l'égalo possibilité dos contraires
n'csl qu'une imposture do l'imagination qui nous repré-
sente la londanco A varier nos étals commo lo pouvoir do
modifier A noire gré les raisons objectives de nos actes. En
réalité, quand des actes s'accomplissent sous l'empire dos
sollicitations et des impressions extérieures, sans qu'il y
ail inclination spontanée, on peut dira qu'ils sont l'oeuvro
do la fatalité ; ils sont libres dès qu'ils dépendent d'uno né-
cessité intérieure A nous-mêmes. Or, comme Leibniz, Kant
marque deux moments principaux do celte nécessité, un
momont inférieur où il s'agit do spontanéité plutôt quo do
liberté véritable, où, bien quo la conception monadologique
do la substanco soit exclue 1, l'Ame est conçue comme un
principo interne d'aclion, et un moment supérieur, où la
liberté est définie commo la puissance d'agir conformément
A la représentation claire du meilleur possible, où c'est
précisément la nécessité rationnelle do co genre d'aclion
qui en fonde la valeur. Dans un dialogue qu'il institue entre
Titius, partisan du déterminisme rationaliste, et Caïus, par-
tisan do la liberté d'indifférence, Kant essaie do résoudre
selon la plus pure inspiration lcibnizicnno les dilficultés
que l'on oppose A la doctrine do la nécessité morale : la
liaison des effets cl des causes dans l'ordre des acles volon-
taires, loin d'être un motif d'excuso, rond l'action essen-
tiellement dépendante de l'agent ; elle rattache intimement
en l'homme ce qu'il fait A ce qu'il est ; elle l'assure en
quelque sorte du bien et du mal qu'il accomplit. « Ton ac-
tion n'a pas été inévitable, comme tu parais lo soupçonner,
i. I, p. 384.
a. Dans celte façon d'accorder la liberté et la nécessité Kant ne verra plus
lard qu'un « misérable subterfuge », qu'une « pure duperie de mots » ; tic la
liberté identifiée à la nécessité des représentations claires, de cette liberté pu-
rement psychologique et relative, il dira qu'« elle ne vaudrait guère mieux au
fond que la liberté d'un tourne-broche qui, lui aussi, une fois qu'il a été
monté, exécute de lui-même ses mouvements. » Kritik der praktischen Ver-
nunft (ire partie, livre I, ch. m), V, p. 101-102.
3. Sur la double affirmation du déterminisme et de la responsabilité moralo
dans l.i doctrine ultérieure, v. Kritik der reinen Vernunft (Dialectique trans-
ccurianlulc. litre II. ch. 11, section IX, 3), III, p. 383-384; Kritik derprak-
tischen l'vrnunft (iro partie, livre I, ch. 111), V, p. ioa-io5.
OPTIMISME 85
qui n'eussent pu disparaîtra qu'avec do très glorieuses
images do sa sagcsso et do sa bonté. Si Dieu détoslo lo
mal, il a oncoro plus d'amour pour les perfections plus
considérables qui on peuvent provenir. Dion cnlcnduo, la
doctrine do la nécessité moralo no porlo pas plus d'atteinto
A la honte et A la sainteté do Dieu qu'A la liberté et A la
responsabilité do l'homme '.
i. I, P. 385387.
s. Il faut noter cependant quo Kant semble n'avoir pas adopté tout d'abord
sans quclquo restriction l'optimisme Icibnizicn. En 1753, l'Académio do Berlin
avait mis au concours pour 1755 uno éludo sur lo systèmo do Popo résumé
dans ectto formulo: tout est bien, et elle engageait clairement dans son pro-
gramme à lo comparer avec lo systèmo do Leibniz. Co sujet qui provoqua les
critiques et les railleries do Lcssiug dans l'écrit auonymo qu'il publia avec
Mcndclssohn sous lo titre « Pope ein Melaphysiker! » (Damig, 1/55) attira
au contraire sérieusement l'attention de Kant. En cela peut-être Kant cédait
au souvenir «lo renseignement d'un professeur do l'Université de Koenigsbcrg,
Happolt, qui en 17^1 avait expliqué les Essays on man do Popo, qui, l'annéo
suivante, avait annoncé commo sujet do cours uno Tltéodicée d'après Popo(V.
Benno Erdmann, Martin Knutzen, p. lio, note). On no sait lias s'il concou-
rut effectivement. Toujours est-il quo nous avons dans les Feuilles détachées,
publiées dans ces derniers temps par Iteicko (Lose Hlâller aus Kants
iVachlass, Koenigsbcrg, I, 1889; II, 1895; 111, 1898) des fragments du tra-
vail qu'il avait préparé. Est-ce par condescendance pour les intentions qu'avait
pu avoir l'Académio en proposant co sujet? Co qui est certain, c'est que la
doctrine do Leibniz est jugée par Kant inférieure à celle do Popo. Ello encourt
selon lui les objections suivantes: i° si l'on peut accorder avec la sagesse do
Dieu lofait d'avoir accepté lo mal commo moyen pour un plus grand bien, com-
ment accorder avec son infinie puissance h fatalité métaphysique qui lui impose
celte condition ? Lo défaut du systèmo Icibnizicn, c'est qu'il représente lo plan
du meilleur univers tour à tour comme dépendant et comme indépendant de la
volonté divine : il y a là un dualisme inacceptable ; 3" c'est aussi une faiblesse
pour le système, que lo mal existant dans le monde no puisse être expliqué que
par la supposition préalable do l'existence do Dieu ; on perd lo bénéfice de la
preuve quo pourrait fournir pour l'existenco do Dieu lo monde justifié tout
d'abord dans son ordre et dans sa perfection. D 3a, D 33, I, p. 2Q3-3O3. V.
aussi la premièro page de E 69, il, p. 335-336, qui parait so rapporter au
môme sujet et à la môme époque.
8fi t.\ PHILOSOPHIE PRATIQl'E DE KANT
1. H, p. 37.
a. II, P. 38.
3. H, p. 38-4i.
88 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. Il, p. 4i.
3. Il, p. .43-43.
3. Ilauuinn, h qui Kant atait adressé un exemplaire do son livre, lui faisait
remarquer peu après qu'il y a contradiction à admettre uno Providence dont
les cll'cls ne se révèlent que dans le Tout, non dans les plus petites des parties
qui servent à composer ce 'l'ont. « Quand on allègue comme Housseau un
monde qui est le meilleur dos mondes, el que l'on nie une Protidenco indivi-
duelle, atomislique, momentanée, ou se contredit soi-même. » Itricfvechsel,
1, p. 38. Ailleurs, dans une lettre à Lindiier du 13 octobre 1709, il jugeait
ainsi la doctrine que Kant avait exposée : « Je ne comprends pas ses raisons...
S'il valait la peine de le réfuter, j'aurais pu sans doute me donner la peino de
lo comprendre. Il se fmdo sur le Tout pour juger du monde... Conclure dil
Tout aux parties, c'est conclure do l'inconnu au connu. Un philosopho qui me
commande de regarder au Tout me crée une exigence tout aussi lourde quo
celui qui me commande de regarder au coeur dont il écrit : lo Tout m'est aussi
caché (pic ton coeur. » I/ainann's lî'erkc, Ed. Holh, I, p. ipt. — Lindiier,
au contraire, dans une lettre h Kant du t5/a6 décembre 1709, adhère aux
Considérations sur l'optimisme. Ilrirfvechsct, I, p. 33.
4. Borowski raconte que, quelques années avant la mort dcKant, il lui avait
demandé pour les cotumuniqtu r à un nmi les Considérations sur l'opti-
misme, que Kant, avec un sérieux solennel, lui répondit do no jamais faire
mention de cet écrit, de n'en donner a personne les exemplaires qu'il pourrait
trouver, de les faire disparaître do la circulation. Darstellung des Lebens und
Ckaratilcrs Imir.a.iuel Kanls, p. Û8-09 note. Kant, du •.este, s'était appliqué
OPTIMISME SQ
i. Ce passage fait partie de l'un des fragments signalés plus haut, qui se
rapportent à la question de l'optimisme. E 69, I. Lose Blâltcr, II, p. s35-
330.
CHAPITRE II
1.
P-7°7i-
a. Kant avait. compris ...
Briefwcchsel, 1, p. 5s. — V. la lettre à Herdcr du g mai 1767, Ibid.,
. la philosophio moralo dans te programme de ses
leçons dès 1756-57. >oici, d'après les recherches d'Emil Arnoldt, Krilische
Fxcursc im Gebiele der Kant-Forschung, p. 517 et suiv., les semestres
pour lesquels Kant avait annoncé des leçons sur la morale ; à l'exemple d'Ar-
noldt, jo rapporte sans parenthèses les semestres pour lesquels il est démontré
quo Kant a fait réellement ces leçons : je mets entro parenthèses ( ) les semes-
tres pour lesquels il est démontré que Kant a annoncé ces leçons sans qu'on
puisse affirmer autrement quo par vraisemblance qu'il les a faites ; jo mets entre
crochets ( ] lo semestre pour lequel il est démontré que ces leçons, quoiquo
onnoncées, n'ont pas été faites : (56-57), 0>9)» (69-60), (60-61), (6i-6a), (63-
64), (64-65), (6566), (66), 6667, 67-68, (68-69), 70, 71, 71-73, r73], 73-
7'i. (T'i'jà). 70-76, 76-77. 77' 78-79- 8o;8i, 83-83, (8384). (84-85), (86-
87), 88-89, gS-g.i. Lorquel'on trouve une indication de l'auteur d'après lequel
03 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
Kant enseigne la morale, c'est Haumgarlcn qui est désigné ; une seule fois
(1700-j'i), Hiumcisler est mentionné î> ta placo do Baumgarlcn. Que Kant se
soit rendu, dans son enseignement même, de plus en plus indépendant do son
auteur, c'est ce qu'indique, commo on lo verra plus loin, son Programme des
leçons pour le semestre d'hiver 1765-1766, c'est co dont témoignent égale-
ment deux rédactions manuscrites de leçons sur la morale, relatées par Arnoldt
et rappariées p:ir lui ù l'une des années do ta période 1780*1790, dans les-,
quelles los ditorgcnso* avec liaumgarteti sont, sur plusieurs points, fortement
mmpiccs p. 6o.»-6ii.
1. Der einzig môgliche lh*'eisgruni su ciner Démonstration Acs
Daseint Colles, 1^63. — On peut tenir pour indifférente a nolro sujet la
question de savoir dans quel ordre ont été composés les trois ouvrages do Kant
CRITIQUE DE LA MÉTAPHYSIQUE 03
nols et en particulier l'argument ontologique en établis-
sant que les caractères d'un concept ne permettent pas de
conclure A l'existence de la chose exprimée par ce concept,
que l'existence n'est pas un prédicat, mais une absolue
position ; il soutient en conséquence qu'une démonstration
a priori de l'existence de Dieu, pour être légitime, doit,
non pas déduire l'être du possible, mais prouver que le
possible suppose l'être nécessaire comme sa condition.
Cependant comme s'il pressentait, non sans raison ', que
sa critique des arguments des autres pourrait se retourner
contre son propre argument 8, il prend soin de procla-
mer l'affirmation de Dieu indépendante de toute dialecti-
que. « Je n'ai point une assez haute opinion de l'utilité
d'un travail tel qu'est celui-ci, pour croire que la plus im-
portante de nos connaissances, A savoir QU'IL Y A UN DIEU,
soit chancelante et en danger, si clic ne reçoit l'appui do
profondes recherches métaphysiques. La Providence n'a
pas voulu que des connaissances extrêmement nécessaires A
notre bonheur pussent dépendre de la subtilité de raison-
parus en 1763 et 1763, ainsi quo YEtude sur l'évidence des principes,
SHibliéeen 1764 (Cf. IL Cohen, Die systematischen Dégriffé in Kants vor-
\ritischen Schriften, p. i5 et suiv.; Paulscn, Versuch einer EnUvicklungs-
geschichte der kantischen Erkennlnisslheorie, p. 68 et suit-.; Kuno
Fischer, Geschichte der neuern Philosophie, IV, 1, p. 300; Benno Erd-
mann, Reflexionen Kants sur kritischen Philosophie, II, p. xvn et suiv.).
La question a-tellc en elle-même l'importance qui lui a été attribuée? 11 est
assez arbitraire de supposer, comme le remarque Paulscn (p. 69), que des écrits
aussi rapprochés marquent chacun un moment particulier cl distinct dans le
développement de la pensée de Kant, et que ce qui a été exprimé en premier
lieu a été conçu en premier lieu.
1. Paulscn, Versuch einer Entwicklungsgcschichte der kantischen
Erkenntnisstheorie, p. 61.
a. La formule de cet argument, que Kant jugeait nouvelle, avait été déjà
employée par Leibniz, dans une note sur ta preuve ontologique qu'avait insé-
rée en 1701 lo Journal de Trévoux. «... Si YEstre de soy est impossible,
tous les estres par autrui le sont aussi, puisqu'ils ne sont enfin que parY Estre
de soy : ainsi rien ne «caurait exister. Co raisonnement nous conduit hune
autre importante proposition modale égale à la précédente, et qui jointe avec
elle achève la démonstration. On la pourrait énoncer ainsi : si VEstre néces-
saire n'est point, il n'y a point d'Eslre possible. Il semble que cetto
démonstration n'avait pas élé portée si loin jusqu'icy. » Philos. Schr., Ed.
Gcrhardt, IV, p. 4o6. — Mais ecl écrit de Leibniz était sans aucun doute
inconnu de Kant.
p/| LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. H, p. i58sq.
9. Versuch den Regriff der negativen Grôsscn indie Wcltweisheit ein-
zufûhren, f)M.
0,0 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE, KANT
Cy, - '""-^/^>\
D,:LB0S- '' f ) I ]
^\ '
g8. LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. lî, p. 3o63o7.
3. Il, p. 3o8.
100 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
t *
Le mérite d'avoir inauguré les éludes qui doivent mettre
en lumière ce rôle du sentiment revient, selon Kant, A
lIulchcsonctAquclquesauircsqui ontdcjA préscntélA-dcssus
i. II, p. 307.
a. H, p. 3o7*3o8.
102 M PIIIIOÔOPIIIE PRATIQUE DE KANT
i. Borowski témoigno du soin tout particulier avec lequel Kant avait, sur
les questions morales, étudié Hutchcson. Darstcllung des Lebens und Cha-
raktcrs Immanuel Kants, p. 170. — Hutchcson disait : « L'auteur do la
Nature nous a portés à la vertu par des moyens plus sûrs quo ceux qu'il a plu
à nos moralistes d'imaginer, jo veux diro par un instinct presque aussi puis-
sant quo celui qui nous oxcito à veiller à la conservation do nolro ôtro. H a
mis eu nous des affections assez fortes pour nous porter aux actions vertueuses
et ilonné à la vertu uno apparenco assez aimable pour quo nous puissions la
distinguer du vico, et devenir heureux par son acquisition. » Recherches sur
l'origine des idées que nous avons de la beauté el de la vertu, traduit
sur la quatrième édition anglaise, a vol., Amsterdam, 1749. L L p> 7* « Le
sentiment moral quo nous avons do nos actions ou do celles des autres a
cela do commun avec nos autres sens, quo, quoiquo lo désir d'acquérir la vertu
puisse étro contrebalancé par l'intérêt, lo sentiment ou la perception do sa
Iwaiité
no saurait l'être » Ibid., t. H, p. 3o (ainsi Kant professera quo si nolro
volonté est faillible nolro jugement moral est nuasi-infailliblo). « Co sentiment
moral, disait encore llulchcson, non plus quo les autres sons no présupposo ni
idéo innée, ni connaissance, ni proposition pratique. On n'entend par là
qu'uno détermination de l'esprit a recevoir tes idées simples de louange
ou de blâme à l'occasion des actions dont il est témoin, antérieure à
toute idée d'utilité ou de dommage qui peut nous en revenir. Tel est le
plaisir quo nous recevons do la régularité d'un objet ou do l'harmonie d'un
concert, sans avoir aucune connaissance des mathématiques, el sans entrevoir
dans cet objet ou dans celte composition aucune utilité différente du plaisir
ï
J[u'clle nous procure. » Ibid., t. II, p. 47* « Ce sentiment moral n'est point
bndé sur la religion. » Ibid., t. II, p. 35.
a. La première mention que fait Kant de Hume so trouve dans lo dernier
chapitre des Observations sur le sentiment du beau et du sublime, qui
traite dos Caractères nationaux, II, p. 376, et elle se rapporte à une note
do VEssai do Hume sur les Caractères nationaux, éd. Black et Tait, 1836,
Edimbourg, III, p. a36. H est bien visible quo lo chapitre de Kant a été ins-
piré par VEssai de Hume. — A co moment, il n'est pas douteux quo Hume
n'ait agi sur Kant : mais do quelle façon et jusqu'à quel point? Benno Erd-
mann, pour confirmer sa thèse d'après laqucllo l'interruption du sommeil dog-
matique, par Ilumo, dont il est parlé dans les Prolégomènes, doit étro placée
après 1773, vraisemblablement au commencement de 177-i, prétend quo l'in-
fluence de Hume, dans la période de 1760, a été restreinte à des questions do
morale et d'observation sociale, quo Kant à celte époque, voit dans Hume,
lOfi |.V PHILOSOPHIE PRVTIQUE DE KANT
i. H, p. 239.
1IO LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. Il, p. 339.
LE SENTIMENT COMME PRINCIPE DE LV MORALE 111
mêmes, mais l'état qu'on fout los autres, commo si lo juge-
ment des autres pouvait par lui seul décider do notre mé-
rite. Si co sentiment de l'honneur a élé heureusement mis
en nous par la Providonco pour servir do contrepoids A dos
impulsions grossières, s'il doit ôtro estimé pour la délica-
losso qui lui est propre, il no peut cependant produira
qu'une brillante apparence do verlu 1. H faut maintenir quo
la vertu récllo, sans spontanéité aveugle commo sans éclat
d'emprunt, est celle qui est fondée sur des principes.
Ces diverses espèces do sentiments moraux correspon-
dent, selon Kant, aux diverses espèces do tempéraments,
toiles qu'elles sont distinguées d'ordinaire. 11 y a peu A dira
du tempérament flegmatique auquel est lié lo défaut do
sentiment moral. Mais considérons l'Ame vertueuse en qui
so trouvo un sentiment intime de la beauté et do la dignité
de la naluro humaine, avec la résolution et la force d'y
rapporter toutes ses actions comme A un principo univer-
sel. 11 est certain quo ces dispositions jureraient avec l'cn-
jouement ou la mobilité d'un étourdi. De fait, la véritable
vertu, la vertu par principe, a en soi quelque chose qui
parait s'accorder avec le caractère mélancolique, dans lo
sens adouci du mot. H y a dans la mélancolie, bien entendu
dans la mélancolie active et virile, comme une conscience
frémissante des obstacles que rencontrent les grandes réso-
lutions cl de l'énergie qu'il faut déployer pour s'en rendre
maître ; c'csl moins un renoncement aux joies de la vio et
un abandon de soi qu'une tension vers les objets les plus
hauts du vouloir. L'homme mélancolique so laisse moins
toucher par les frivoles attraits du beau, qu'il ne se laisse
émouvoir par la grandeur inaltérable du sublime ; s'il est
plus d'une fois mécontent do lui-même et dégoûté du
monde, ce n'est pas par caprice d'humeur, c'csl par celle
fermeté rigide qui se refuse A subir l'inconstant empire des
circonstances extérieures, du jugement d'autrui, et jusque
i. H, p. 339-3.41.
113 l\ l'Illl.OSOl'IUF. t'IUTIQl'E DE KANT
i. H, p. a49*a5o.
a. Publiées pour la première fois par Schubert dans le t. XI de l'édition
Roscnkranz-Scnubcrt, sous le tilre : Remerkungen zu der Reobachtungen
ûber das Gefùhl des Schônen itnd Erhabenen, reproduites dans le t. VIII
de l'édition Ilartcnstcin (1868), ainsi quo dans lo t. VIII do l'édition Kirch-
mannsousle titre : Fragmente ans dent Nachlasse. Le premier éditeur a cru
pouvoir faire un choix parmi les notes do Kant : son oeuvro sera donc à compléter
et peut-être mémo à rectifier dans l'édition de l'académie do Berlin. Il reporto
les réilexions qu'il publie aux années 1763-75 sans fournir de raisons à l'appui:
la date initiale parait très vraisemblable, la date finale plus arbitrairement
choisie. Nous n'usons ici de ces fragments que pour représenter uno suito
d'idées de mémo sens, dont l'origine est certainement dans la période quo nous
étudions et qui a correspondu à un état de la pensée kantienne d'assez longue
durée. Sur cette influence de Rousseau, v. outre les écrits de Kuno Fijchcr,
Diclrich, HôlTding, Foerstcr et Menzer précédemment cités : D. Nolen, Les
maîtres de Kant : Kant et Rousseau, Revue philosophique, IX, p. 370-
398; II. von Slein, Rousseau itnd Kant, Deutsche Rundschau, LVI, p. 306-
317; Richard Fester, Rousseau und die deutsche Geschichtsphilosophie,
IlG I.V PIIII.USOPIIIB PRATIQUE DE KANT
i. VIII, p. G3o.
a. VIII, p. GtS.
3. VIII, p. Oa.'j.
!\. Notons surtout une dissidence dans la conception de la méthode a appli-
quer: « Rousseau, dit Kant, procède synlhéliqucmcnt et part de l'homme à
létal de nature ; jo procède analytiqucment et jo pars do l homme civilisé »,
VIII, p. 0i3. Cette remarque montre bien la disposition de Kant à vérifier par
des procédés réguliers les intuitions de Rousseau; elle est d'autre part con-
forme h lu thèse soutenue dans l'écrit sur VEvidence des principes de. ta
j
théologie naturelle et de la morale, d'après laquelle les définitions en phi-
| losophic no peuvent èlro obtenues qu'en partant du donné et
par voie d'ana-
j Use, tandis
que les seules définitions des mathématiques sont synthétiques et
originairement construites. II, p 28'i sq.
INFLUENCE DE ROUSSEAU Il Q.
i. VIII, p. 6i3.
a. VIII, p. 6ia.
3. On sait le grand retentissement qu'eurent en Allemagne les idées pédago-
giques do Y Emile, et comment elles vinrent accélérer le momement qui se
produisait de divers côtés pour la réforme des écoles. L'intérêt quo prenait
Kant à ces questions, ainsi que la persistance de son attachement aux principes
de Rousseau, apparaissent bien dans l'enthousiasme avec lequel il salua la fon-
dation du Philanthropinum de Rascdow. Co fut sur le Methodenbuch do
Rasodow qu'il fil ses premières leçons do pédagogie en 1776-1777 (Aruoldl,
Kritischc Excurse, p. 57a). Il se constitua le patron de l'Institut do Dcssau
dans trois articles de la Cazette savante et politique de Ka'nigsberg,
a8 mars 1776, w] mars 1777, a'i août 1778. — Sur l'authenticité do ces
articles, v. Reicke, Kantiana, p. 68-70. — lians l'appel nu public du 37 mars
1877, il disait : « Dans les pays civilisés de l'Europe ce ne sont pas les établis-
sements d'éducation qui font défaut, pas plus que le zèle bien intentionné des
maîtres a être sur co point au service Je tout le monde, et cependant il est
bien aujourd'hui clairementdémontré que, comme on travaille là dans un sens
contraire à la nature, on est bien loin de faire produire à l'homme lo bien
auquel la nature l'a disposé ; que, puisque les créatures animale* que nous
sommes no s'élèvent & l'humanité que par la culture, nous verrions sons peu
de tout autres hommes autour de nous, si l'usage se répandait partout de celle
méthode d'éducation qui est tirée sagement de la nature même, au lieu de
suivre servilement la routine des siècles grossiers et ignorants. .Mais c'est en
vain qu'on attendrait ce salut du genre humain d'une amélioration graducllo
des écoles. Il faut qu'elles soient complètement transformées, si l'on veut qu'il
en sorte quelque chose de bon ; car elles sont défectueuses dans leur organisa-
tion première, cl les maîtres eux mêmes ont besoin de recevoir une nouvelle
culture. Ce n'est pas une lente réforme qui peut produire cet effet, mais une
prompte révolution. » II, p. tfy]. Ni les bizarreries do Raseddw, ni sa pre-
mière retraite, ni sa querelle avec Mangclsdorf n'ont ébranlé la confiance de
Kant : « Les attaques qui s'élèvent do va de là contre l'Institut cl parfois mémo
les écrits injurieux ne sont que les pratiques habituelles h cet esprit de critique
qui s'exerce sur tout et b l> vieille routine qui se défend sur son fumier ». Il,
p. /|58. —Cf. Rcnno Krdmann, Refiexionen Knntszur kiitischen Philoso-
phie, II, n° a55, p. 78..— La nouvelle éditiondcla Correspondancede Kant
INFLUENCE DE ItOUSSEAU 121
dans la médecine que le médecin est le serviteur de la
nature; mais la môme maxime vaut en morale. Ecartez
seulement le mal qui vient du dehors : la nature prendra
d elle-même la direction la meilleure. Si le médecin disait
que la nature est en elle-même corrompue, par quel moyen
voudrait-il l'améliorer ? Le cas est ie même pour le
moraliste. ' » « C'est la différence de la fausse morale et do
la saine morale, que la première ne recherche que des res-
sources contrôles maux, tandis que la secondé veille à ce
complète abondamment le témoignage de la sollicitude active avec laquelle
Kant suivait uno entreprise « dont l'idée seule dilate lo coeur »(Rriefwechsel,
I, p. aao), qui méritera « la reconnaissance de la postérité » (Ibid., p 181).
V. les lettres de Kant à Wolke (p. 178, aao), à Rasedow (p. 181), à Regge
(p. 187), à Campe (p. 199, aoi). à Crichton (p. 317). On savait d'ailleurs que
Kant était intervenu pour faire admettre au Philanlbropinum des jeunes gens
ù qui il s'intéressait. « La porte est étroite, écrivait Hippcl le 39 avril 1777 & un
candidat ; elle n'a été ouverte à Schcrres pour ses deux fils que sur las prières
réitérées de.M. Kant » (Hippel, llricfe, n" 83). —Nous voyons ici une inter-
vention du même genre se produire, avec un commentaire qui la rend signifi-
cative. En recommandant a Wolke le fils d'un de ses amis, Kant prévient qu'il
a été élevé jusque-là selon les principes do l'éducation négative, la meilleure,
ajoute Kant, qu'il mit recevoir jusqu'à cet âge. On l'a laissé développer ses
facultés en toute liberté, en se bornant à écarter ce qui aurait pu leur impri-
mer une fausse direction ; en matière religieuse, le père est d'accord avec l'es-
prit du Philauthropinutn, selon lequel la connaissance de Dieu doit s'accomplir,
quand le moment est venu, par une sorte de révélation naturelle de l'enten-
dement sain, et être telle qu'elle ne réduiso jamais la moralité à n'être qu'un
étal subordonné ou accessoire (Riiofwechsel, I, p. 178-179). — Lorsque
Campe a quitté l'Institut, Kant lui en exprime de très vifs regrets, avec l'es-
poir do l'y voir revenir (/£*>/., p. aoi sq.). — Au moment où le conflit de
Wolke et de Rasedow compromet gravement la prospérité de l'école nouvelle,
il félicite Wolke du courage avec lequel il persévère dans son couvre en dépit
des difficultés accumulées, et en même temps il lui confie les moyens tout
diplomatiques dont il a usé pour convertir à la bonne cause le prédicateur do
la cour, Crichton, \ août 1778 (Ibid., p. aao-saa). A ce dernier il avait dit
entre antres choses : « Sous la direction de Wolke, cet Institut doit devenir
avec le temps l'école-mère de toutes les bonnes écoles du monde, pourvu qu'on
veuille du dehors le soutenir et l'encourager dans ses débuts » {Ibid., p. 317).
—
Sur Rasedow et le Pliilanlhropinismc, v. Pinloche, La réforme de l'édu-
cation en Allemagne au xvin*' sièclr. A supposer que Rasedow, comme le
prétend M. Pinloche, relève moins do Rousseau qu'on no croil (p. 386-388),
c'est certainement par les idées qui lui sont venues de Rousseau que Kant a été
conduit à prendre tant «1 coeur l'essai de Rasedow.
1. VIII, p. 616. —« Les moralistes du jour supposent beaucoup de maux
et veulent apprendre à en triompher ; ils supposent beaucoup de tentations
pour lo mal, et ils prescrivent des mobiles pour en triompher. La méthode de
Rousseau nous apprend n ne pas tenir les premiers pour des maux, ni les
secondes pour des tentations ». VIII, p. 5i'|.
122 LA PHILOSOPHIE PIUTIQUE DE KANT
i. VIII, p. 617.
a. VIII, p. 6a8.
3. VIII, p. 619; p. 6ao.
.'1. Renno Krdmann, Reflexionen Kants sur kritischen Philosophie, II,
n» i',8, p. .',',.
INFLUENCE DE ROUSSEAU
123
i. VIII, p. 6a4-6a5.
a. Dans ses Conjectures sur le commencement de l'histoire de l'huma-
nité (1786), Kant énoncera l'idée qui, selon lui, concilio les droits de la nature
avec ceux de la culture, et qui permet du même coup de comprendre les
aspects opposés de la pensée do Rousseau. C'est quand on considère la civilisa-
tion dans son rapport avec la félicité et la moralité instinctive de l'individu,
qu'elle apparaît inférieure à l'étal de nature ; mai? s'est par rapport à l'espèce
humaine et * son progrès indéfini que la civilisation doit être considérée, et
alors, bien qu'elle soit faite pour une grande part des misères physiques et
morales des individus, bien qu'elle ne soit possible que par cette inégalité dont
se plaint Rousseau, elle n'en' est pas moins justifiée par l'oeuvre d'ensemble
qu'elle réalise graduellement au sein de l'espèce; à ce point de vue, elle est
supérieure à l'état de nature. « Do celte façon on peut mettre d'accord entre
elles et avec la raison les assertions souvent mal comprises et en apparence
contradictoires do l'illustre J.-J. Rousseau. Dans ses écrits sur YInfluence des
sciences et sur YInégalité des hommes, il montre très justement l'inévitable
conflit de la culture avec la nature du genre humain, considéré comme espèce
animale, dans laqueHe chaque individu devrait ac nplir pleinement sa desti-
née ; mais dans son Emile, sonContrat social et d'autres écrits, il cherche en
retour à résoudre le difllcilo problème quo voici : comment la culture doit se
poursuivre pour développer les dispositions de l'humanité, en tant qu'espèce
morale, dans le sens do leur destination, de telle sorte que l'humanité, comme
espèce morale, no soit plus en opposition avec l'humanité, commes espèce natu-
relle ». Mulhmasslichcr Anfang der Menschengeschichte,IV, p. 3aa.—Cf.
Idée zu einer allgemeinen Geschichte, IV, p. i5o. — B. Erdmann, /te-
flexionen Kanls zur krilischen Philosophie, I, n° 609, p. 307. — Dans
YAnthropologie au point de vue pratique (1798). après avoir redit quo la
sombre peinture faite par Rousseau de la condition des hommes hors do l'étal
de nature n'est pas une invitation à retourner dans les forêts, Kant ajoute : « Les
trois ouvrages do Rousseau sur le dommage qu'ont causé : i° l'abandon par
notre espèce do l'état de nature pour l'état de culture, par l'affaiblissement do
notre puissance ; a0 la civilisation, par l'inégalité et l'oppression réciproque;
3" la prétendue moralisation, par uno éducation contre nature et uno forma-
tion vicieuse do la pensée ; — ces trois écrits, dis je, qui représentaient l'état
do nature comme un étal d'innocence (ou le gardien de la porto do cette espèce
do paradis, avec son glaivo de fcu,£cmpccho de retourner), 110 devaient servir
quo de fil conducteur à son Contrat social, a son Emile et & son Vicaire
savoyard, pour sortir de ce labyrinthe de maux où nolro espèco s'est engagée
par sa propro faulo. —• Au fond Rousseau n'entendait pas quo l'homme dût
opérer un retour, mais, du point de vue où il so trouve maintenant, regarder
I2/| LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
en arrière dans l'état de nature. Il admettait que l'homme est bon par nature
(de la façon dont la nature se transmet), mais bon d'une manière négative,
c'eslà dire qu'il n'est pas de lui-même et volontairement méchant, qu'il est
seulement en danger d'être gâté et corrompu par des exemples et des guides
mauvais ou maladroits. Mais comme il faut encore pour cela des hommes
bons, qui auraient dit être élevés pour cette fin même, et comme il n'en est
sans doute aucun qui n'ait en lui uno corruption (innée ou acquise), le pro-
blème de l'éducation morale pour notre espèce reste insoluble, non seulement
quant au degré, mais encore quant à la qualité du principe. » Anthropologie
in pragmatischer llinsicht, VU, p. 65i-65a. — En établissant dans a Doc-
trine de la vertu que l'homme doit cultiver ses facultés, Kant repousse comme
principe de celte obligation l'avantage qu'on relire de celle culture : car il est
possible, comme l'n dit Rousseau, quo I avantage soit plus grand h rester dans
l'étal de nature : c'est pour obéir au devoir que l'homme doit 'tacher de per-
fectionner ses apliludes. I)ic Metaphysik der Sillon, II. Th'cil, VII, p. aôa-
3Ô3.
i. VIII, p.6ai.
a. VIII, p. 610.
3. VIII, p. 6aa, p. 6a'|.
1MFLUKNCE DE ROUSSEAU I2Ô
i. VIII, P. 03o'G3t.
a. Kant déclarera plus tard que l'état de nature révèle aussi bien que l'état
de civilisation un penchant primitif au mal. Die Religion innerhalb der
Grenzen der blossen Vernunfl, VI, p. 137. Et il interprétera aussi dans un
sens rationaliste les principes d'éducation posés par Rousseau : « En quoi l'idée
do la raison cstello différenlo de l'idéal delà faculté d'imaginer? L'idée est une
règlo universelle 1/1 abstracto, l'idéal est un cas particulier quo jo fais rentrer
sous celle règle. C'est ainsi par exemple quo l'Emile do Rousseau, que l'édu-
cation a donner à Emile est une véritable Idée «le la raison. » Vorlesungcn
uber die philosophische Rviigionslchre, éd. par Pûlitz, aL" éd., p. 3.
I2Ô LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. VIII, p. 63Q-63o.
a. VIII, p. 611.
3. VIII, p. 63o.
INFLUENCE DE ROUSSEAU I27'
artifices qui la recouvrent, ou même pour une part la com-
posent. Rousseau, lui, n'arrive pas par l'analyse à l'idée
du sentiment; il est lui-même tout sentiment dans tout
son être ' ; aussi n'est-ce pas seulement une autre façon
d'expliquer la vie qu'il découvre, mais une autre façon de
la juger et de la vivre. Il ne se contente pas de prendre de
ci de là chez lui et chez les autres de quoi caractériser l'es-
pèce humaine ; il se retranche au plus profond de lui-
même, et c'est dans l'isolement de sa conscience qu'il reçoit
la révélation de ces instincts divins que n'ont pas dénaturés
la civilisation et la société. S'il se préoccupe de traduire
en idées ce que lui suggèrent sa puissance d'émotion et ses
facultés d'intuition, c'est pour montrer aux hommes qu'ils
doivent changer entièrement les objets de leur eslime,
c'est-à-dire retrouver la sincérité de leur jugement naturel :
sans celle conversion ou cette restauration complète, vai-
nement ils essaieraient de fixer leurs opinions, d'assurer
leur conduite, de découvrir le principe suprême de toute
vérité et de toute justice. C'est par cet ardent besoin de
rénovation intérieure, par cette aperception pénétrante
d'un rapport plus immédiat entre l'âme humaine et ses
motifs d'agir, d'avoir foi, d'espérer, que Rousseau put con-p
quérir la fière nature morale de Kant. A Rousseau Kant
dut sans aucun doute d'éprouver plus vivement qu'il fallait
ressusciter la moralité véritable pour être à môme d'en
trouver la véritable explication ; il lui dut d'entrevoir qu'un
lien plus solide et plus intime que celui des déductions
métaphysiques ordinaires pouvait rattacher la conscience
humaine aux croyances dont elle réclame le soutien. Sous
le simple effort de sa réflexion, il avait déjà senti chanceler
le vieil édifice de la métaphysique ; il s'était laissé séduire
par les sagaecs observations des Anglais qui dégageaient
prudemment, pour leur faire un sort à part, certaines incli-
par Starke: elles ont pu ôtro faites par Otto Schlapp, avec le concours bien-
veillant do M. le Prof. O. Kfilpe, do Wûrzburg, chargé de préparer la publi-
cation des diverses Leçons d'Anthropologie dans l'édition do l'Académie do
Berlin. V. Otto Schlapp, Kants Lehre vont Génie und die Enlstehung der
« Kritik der Urtheilskraft », p. 8 sq. Sur co point donc, il n'y aurait rien à
redire à la date proposée par Hôflfding. Mais d'après une communication que
je dois à l'extrême obligeance de M. le Prof. Kûlpe, il existe dans l'un des manus-
crits encore inédits de Leçons sur l'Anthropologie, professées en 1775-1776,
et rédigées par un certain Charles-Ferdinand Nicolaï (V. O. Schlapp, Ibid.,
1). i3-1/1), un chapitre intitulé : Du caractère de l'humanité en général, dans
equel Kant conçoit, sous l'influence avouéo de Rousseau, une organisation
sociale de l'humanité qui supprimerait les vices de la civilisation actuelle, et
3ni préparerait par la contrainte légale le triompho de la moralité. Je renro-
uis, en lo traduisant, lo résumé du chapitre qu'a bien voulu m'envoyer M. le
Prof. Kûïnc : le chapitre débute ainsi : « Ceci est une partie importante, sur
laquelle bien des auteurs déjà se sont hasardés à écriro; le principal d'entre
eux est Rousseau. » Partant do là, Kant montre d'abord quelle place appar-
tient & l'homme dans la série animale: c'est un animal habile, disgracieux,
intraitable, méchant. Ces propriétés servent à disséminer l'homme Sur toute la
terre et à fonder un droit uni à la force. Entre la destination animale cl la
destination humaine il y a opposition. Le problème le plus important de Rous-
seau est celui-ci : quel est l'état vrai de l'homme? est-ce l'étal do nature ? est-
ce l'état de société civile? Ses inclinations semblent so rattacher au premier.
Ceci nous donne lieu do rechercher comment l'état de société civile doit être
organisé pour que le conflit avec l'état de nature soit supprimé. L'hommo &
l'état de naturo est plus heureux et plus pur que l'homme civilisé dans un sens
seulement négatif. Il n'a pas la misère, il n'a pas le vice, sans être pourtant heu-
reux cl vertueux dans notre sens à nous. Rousseau n'a pas voulu dire que la des-
tination do l'homme fut l'état sauvage, mais que pour la culture tous les avan-
tages do l'état do nature no devaient pas être sacrifiés. L'homme est destiné,
comme membre de la société, a devenir parfaitement heureux et bon. Cet état
ne sera atteint que lorsque tous les hommes, toute la société seront pénétrés
de la mémo culture. Provisoirement ce qui règne parmi nous, c'est la contrainte
du droit cl des convenances extérieures ; il manque encoro la contrainte morale
311 i fait quo tout homme redoute le jugement moral d'autrui, cl la contrainte
c la conscience personnelle, par laquelle il juge et agit selon la loi morale.
C'est seulement quand cet idéal est atteint quo le royaume de Dieu est institué
sur terre, car la conscience est le « vicaire do la Divinité ». Dos moyens impor*
DKMIO?. y
!.3o I.A riUIOSOPIUK PltATIQUE PK KANT
métaphysique1. On dirait quo Kant conclut par uno néga-
tion l'oxamcn qu'il a poursuivi depuis 1760, Loin quo la
métaphysique- puisso légitimement prétendre à uno exten-
sion do notre savoir au delà do l'expérience elle dovrait ôlro
plutôt la scionco des limites do la raison humaine *, Ainsi
comprise elle no manquerait pas do nous apprendre quo
co qui échappe invinciblement à notre connaissant est
aussi co qui est inutile pour régler noire conduite et fondor
les croyances indispensables à la vie morale Cotto pensée
est admirablomcnt oxpriméo à la fin do l'ouvrage :
« Parmi les innombrables problèmes qui s'offrent d'eux-
mêmes, choisir ceux dont la solution intéresse l'hommo,
c'est là lo mérite do la sagesse. Lorsque la scienco a achevé
le cours do sa révolution, elle arrivo naturellement au
point d'une modeste défiance, et, irritée contre clle-mômo,
ello dit : Que de choses cependant que je ne connais pas!
Mais la raison mûrie par l'expérience, et devenue sagesso,
dit d'une Amo sercino par la bouche do Socrato, au milieu
des marchandises d'un jour de foiro: Que de choses cepen-
dant dont je n'ai nul besoin!,.. Pour choisir raisonnable-
ment, il faut auparavant connaître l'inutile, et jusqu'à
l'impossible; mais finalement la science parvient à la dé-
termination des limites qui lui sont fixées par la nature do
la raison humaine ; et toutes les tentatives sans, fondement
qui peuvent d'ailleurs n'avoir en elles-mêmes d'autre tort
que celui do so trouver hors de la portée de l'homme,
vont se perdre dans les limbes de la vanité. Alors la méta-
physique môme devient co dont clic osl encore aujour-
d'hui pas mal éloignée, et ce qu'on devrait au moins
attendre d'elle, la compagne de la sagesse. Tant que subsiste
en cflet l'opinion, qu'il est possible de parvenir à des
lants pour ce but sont l'éducation, l'établissement d'un sénat universel dés
peuples chargé d'arranger tous lesdilférends, afin que lo développement interne
vers la perfection puisse se poursuivre sans trouble et sans arrêt.
1. Tràume eines Geistersehers erlâutert dureh Trâume der melaphy-
sik, 1766.
2. II, p. 375-376.
CIUTIQUF. DE f/ANCIENNE MÉTAPHYSIQUE |3|
connaissances si lointaines, vainement la sage simplicité
crio quo do si grands efforts sont inutiles 1. » L'inévitable
conclusion do la ponséo philosophique, dès qu'elle jugo
ses procédés propres d'investigation, dès qu'cllo s'ofibreo
de connailro, non pas seulement les objets, maie leur
rapport h l'entendement humain, c'est do marquer plus
étroitement los limites dans lesquelles elle doit so mouvoir,
Comment la raison pourrait-elle dépasser l'oxpérionco,
alors qu'incapable do rion définir autromont quo par lo
principo d'idonlité ou do contradiction, elle ne peut expli-
quer, par oxomplo, comment uno chose donnéo pout ôtro
causo d'une autre'? Qu'cllo no so plaigno pas au reste do
cos invincibles ignorances, sans dommago pour les inté-
rêts moraux qui sont les plus nobles mobiles do sa curio-
sité. « De mômo quo, d'une part, on apprend à voir, par
uno rechercho un pou plus profonde, que la connaissance
évidente et philosophique, dans lo cas dont il s'agit, est
impossible, do mômo aussi, d'autre part, on sera forcé
d'avouer, avec uneâmo tranquillo ot libre do préjugés, qu'cllo
est inutile ot sans nécessité. La vanité do la science excuse
volontiers son genre d'occupation sous prétexte d'impor-.
tance, et l'on prétend communément en ces matières que
la connaissance rationnelle de la nature spirituelle do
l'ûmo est tout à fait indispensable pour assurer la convic-
tion de l'oxistenco après la mort, que cette conviction l'est
à son tour pour fournir le mobilo d'une vie vertueuso.
Mais la véritable sagesse est la compagne do la simplicité,.
et comme chez elle lo coeur commande h l'entendement, J
elle rond d'ordinaire inutiles tous les appareils du savoir!
appris, et ses fins n'exigent pas de ces moyens qui ne|
peuvent ôtre jamais a la portée de tous les hommes. Com- •
ment ! N'est-il donc bon d'ôtro vertueux que parco qu'il y a
un autre monde? Ou n'est-il pas vrai plutôt quo les actions
i. Il, p. 376-377.
2. il, p. 378.
ilta i.\ Piui.osopjin: WATIQIE DE KANT
i. H, p. 3So 38i.
l3/| LA PHILOSOPHIE l'HATIQl'E HE KANT
désir do s'appliquer quand mômo a l'objet quo la criliquo
lui dérobait, qu'il fui enclin a so représenter selon sos
oxigenecs ou ses inclinations propres, d'un côté, l'origine
do ces principes moraux qui étaient attribués a uno inspi-
ration du sentiment, do l'autro, la constitution do co
mondo qui restait ouvert h la croyance moralop
Lo sérieux et la profondeur do celte tendance so dissi-
mulent mal dans la « philosophie secrète)) qu'esquissent les
Hâves d'un visionnaire 1. Kant cherche h so figurer ce quo
peut ôlre ce mondo des esprits avec lequel Swedenborg
prétend ôtro, par privilège porsonnel, en communication
directe: la matière morte qui remplit l'espace est do sa-
naluro inerte, et c'est son inertie qui permet do donner
des explications mécaniques doses propriétés; au contraire,
les ôtres vivants paraissent doués d'une spontanéité essen-
tielle qui s'exerce d'ellc-mômo hors des lois du cpntact et
du choc : n'est-on pas ainsi amené a croire, « sinon par la
clarté d'une démonstration, du moins par lo pressentiment
d'une intelligence exercée 3 » qu'il y a des ôtres imma-
tériels qui communiquent entre eux, non seulement par
| l'intermédiaire des corps auxquels ils sont unis en vertu
| des lois organiques, mais encoro directement en vertu
de lois spéciales dites pneumatiques. « Commo ces ôtres
immatériels sont des principes agissant d'eux-mômes, par
suite des substances et des natures subsistant pour soi, la
conséquence à laquelle on arrive de suite est celle-ci :
qu'étant immédiatement unis entre eux, ils sont peut-ôtro
capables de constituer un grand tout que l'on peut nommer
le mondo immatériel (mundus intelligibilisy.y) «L'Ame
i
humaine devrait donc nécessairement ôlre regardée commo
liée déjà dans la vie présente aux deux inondes à la fois: do
ces mondes, en tant qu'elle forme par son union avec un
i. H, p. 34o.
2. II, p. 34i.
|30 LA PHILOSOPHIE PUVHQl'E HF. KANT
i. II, p. 3.12-313.
PRESSENTIMENTS I/UXU MÉTAPHYSIQUE .NOUVELLE 137
Do co quo Kant a développé ces pensées on l.os rappro-
chant des visions do Swedenborg suit-il on olfot qu'il les
ait jugées en lui-môme do nullo portéo ' ?11 scmblo qu'on ait
exagéré lo sons négatif do son ironie, trop pris à la lettre
sa profession do so divortir 9. Qu'il no veuille point, admet-
tre la prétention do Swedenborg à recevoir dos révélations
sensibles du mondo des esprits, ceci no peut guèro ôtro
contesté sérieusement 3 : qu'il soulienuo nettement l'impos-
sibilité do saisir par uno intuition appropriée l'existence
d'un mondo situé hors des limites do notre expérience,
cela est encore certain, ot l'on peut ajouter quo pour lui la
raison no fait quo rôver quand elle croit apercevoir la naturo
et les rapports dos ôtres qui peuplent lo mondo intelligible ;
mais le rôvo est moins sans doute dans la suite des concep-
tions qu'elle développe ot qui répondent à un plan systé-
matique quo dans la puissanco spontanée d'illusion qui leur
allribuo uno sorto do vérité sensible et uno certitude maté-
riellement démontrable 4. C'est un jeu, si l'on veut, quo
celto philosophie secrèto de Kant, mais dans un sens qui
n'est peut-être pas si éloigné do celui que Leibniz donnait
un jour au « jeu » de sa Théodicéc : « 11 no convient pas
i. Kuno Fischer, Geschichte der neuern Philosophie, IV, i, p. 276.
2. Richl en particulier s'est élevé conlro l'opinion do Kuno Fischer qui
attribue à Kant uno intention de pur persiflage, qui dit quo Kant a fait en
riant d'une pierro deux coups, a Le riro dans cet écrit n'est pas le riro aban-
don n6,lo rire de simple moquerie, c'est un riro humoristique mêlé do sérieux. »
Der philosophische Kriticismus, I, p. 229, note. V. Km. Bonlroux : Les
idées morales de Kant avant la Critique, Uovuo des Cours et Conférences,
9" année, 2e série, p. G.
3. Dans Y Introduction qu'il a mise en tète d'une réédition d'une partie do
la Métaphysique publiéo par Pôlilz, Cari du Prcl s'est appliqué à montrer
dans Kant un précurseur do la « mystique moderno », et il assigno commo
objet à la mystique moderne « les domaines du magnétisme, de l'hypnolismo,
du somnambulismo et du spiritisme », Immanuel Kant.s Vortesitngen ûber
Psychologie, p. xi. Celle thèse, contraire à l'esprit et à la lettre du Kantisme
(v. en particulier le chapitre m de la première parlio des Rêves) dénature,
pour l'amplifier démesurément, l'influence réelle que Swedenborg a pu exercer
sur Kant.
4. On ne saurait, je crois, objecter la lettre à Mcndclssohn du 8 avril 1766,
dans laquelle Kant déclare qu'il ne faut considérer ses conceptions sur les
esprits quo comme uno Action (ficlio heurislica, hypothesis')/qu'il no faut
pas prendro au sérieux le rapprochement qu'il a fait entre l'attraction maté-
iS3 iv PHILOSOPHIE PHATIOLI: HÉ KANT
aux philosophes do traiter toujours los choses sérieuse-
ment, eux qui dans l'invention do Jours hypothèses, commo
vous lo remarque/, si bien, font l'essai des forces do leur es*
prit 1. » Dès ses premières tentatives do spéculation, Kant
a ou lo gotil très vif, qu'il a toujours quolquo pou gardée
dos conjectures qui représentent sous uno formo à demi
fictive ou problématique quelque londanco essentielle ou
quelque pressentiment profond do la pensée. Happclons-
nous les brillantes ot aventureuses imaginations qui termi-
nent, comme par un mylho platonicien, la Théorie du Ciel,
Do mômo quo lo mylho intervient souvent chez Platon par
delà lo savoir proprement dit pour on combler los lacunes,
pour annoncer aux hommes, en un langago qu'ils puissent
saisir, uno vérité probable ou impossible à justifier scientifi-
quement*, ainsi, pour Kant, il y a des vues do l'esprit qui
no sauraient so fairo valoir comme connaissances et qui en-
veloppent cependant des idées vraies en un sens, — vraies
par leur rapport à ccrlains intérêts do l'Ame. Et ces vues so
produisent tout naturellement, comme il le semble aussi
des mythes do Platon, dans des discours à double en tonte,
univers réel particulier; c'est lo monde intelligible qui doit être distingué du
monde sensible quo voici. Il dit: toutes les natures spirituelles sont en rap-
port les unes avec les autres ; seulement la communauté et l'union des esprits
ne sont pas liées au corps commo condition ; un esprit n'y sera pas loin ou près
d'un autre, mais c'est uno liaison spirituelle. Or nos âmes, en tant qu'esprits,
soutiennent co rapport et participent do ccllo communauté, et déjà mômo dans
co monde-ci; seulement nous ne nous voyons pas dans celto communauté, parce
quo nous avons encore uno intuition scnsiblo ; mais bien que nous ne nous y
voyions pas, nous n'y sommes pas moins. Quand une fois l'obslaclo à l'intui-
tion spirilucllo sera levé, nous nous verrons dans ccllo communauté spirituelle,
et c'est là l'aulro mondo: et co no sont pas d'autres choses, co sont les mêmes
choses quo seulement nous voyons autrement », Vorlesunsen ûher die Mela-
physik, p. 257. —! Un peu plus loin (p. 259), Kant objecto à Swcdonborg
qu'une intuition présente, c'est-à-dire sensible, du mondo intelligible est uno
faculté contradictoire. — Dans la partio correspondante do Leçons sur la Mé-
taphysiquo qui sont vraisemblablementdo 1790-1791 (manuscrit désigné par
lleinze sous la rubrique L2 et édité partiellement par lui) Swedenborg est
mentionné sans éloge, et ses idées sur la communication desesprits licitement
repoussées, commo échappant à tout contrôle et à toulo règle d'analogie sé-
rieuse, lleinze, Vorlesungen Kants ûber Melaphysik, p. 678 {198).
1. II, p. 357.
, 3.2. II, p. 35o.
Kanl parlera plus tard do l'univers do Leibniz commo d'« uno sorte de
mondo enchanté » (eine Art von bezauberler IVelt), Veber die Eorlschrille
der Melaphysik, VIII, p. 5'i0. et no'..s avons déjà vu comment un fond do
conceptions lcibnizicnncs soutient les conjectures qui terminent la Théorie du
Ciel. La pensée do Leibniz est apparue à Kanl, en co qu'cllo avait à coup sûr
de plus superficiel, comme un thème à imaginations séduisantesplus ou moins
plausibles, qu'il s'est plu un moment à développer pour son compte qu'il a do
plus en plus condamnées comme impossibles à justifier ; mais en ce qu'elle
avait do plus profond, cllo a pénétré très avant dans l'esprit de Kant et n'en a
pas été facilement rejetée. Des idées de Leibniz, destituées par la Critique- do
toute certitude rigoureusement démontrable, sont demeurées chez Kant, soit par
PRESSENTIMENTS pYxE METAPHYSIQUE NOUVELLE 11\ l
iniluenco naturelle d'éducation, soit pour des raison» dont lui-mémo a donné
la formulo excellente, à litre d'« opinions privées »(Privatmciniingen), Kritik
der reinen Vernunft, lit, p. 517. A l'arrière-plan do la conception kantienne
du mondo intelligible so trouvent des vues empruntées à la doctrino leibnizienno.
C'est co qu'a montré Honno Erdmann, Kants Krilicismus in der ersten
und sweiten Auflage der Kritik der reinen Vernunft, p. 78-75,.et,d'après
lui Otto Ricdol, Die monadologischen Reslimmungen in Kants l.ehre vont
Ding an sich. C'est ce dont témoignent quelques-unes des Réflexions do Kant
publiées par lui. En voici une notamment: «Mundus intclligibilis est monadum,
nonsecundum formant inluiluscxtcrni.scd intorni representabilis. »lï,n° n5i,
p. 328. Lo rapport aperçu par Kant enlro la conception leibnizienno des mo-
nades cl la conception platonicienne des idées fait liénéficicr la première, en
lui enlevant lo caraclèro d'uno explication physique, de la valeur métaphysique
cl praliquo do la seconde « La monadologio ne so rattacho point à l'explica-
tion des phénomènes naturels; cllo est uno notion platonicienne du mondo
développée par Leibniz, et du resto exacte en elle-même dans la mesuro où lo
mondo, considéré non pas comme un objet des sens, mais commo une chose
en soi, est un pur objet do l'entendement, qui toutefois sert de fondement aux
phénomènes sensibles. » Metavhysische Anfangsgrûnde der Naturwissen-
schaft, 178G, IV, p. 399. — Leibniz d'ailleurs a lui-mémo employé l'expres-
sion de monde intelligible pour définir le mondo des monades (Epislola ad
Ilanschium, Op. ph., Ed. Erdmann, p. M5) ou encore lo monde des fins
(Animadversiones in partem gêneraient principiorum Carlesianorum,
Phil. Schr., Ed. Gcrhardt, IV, p. 389). 11 aimait aussi, commo on le sait, à
se rapprocher do Platon : « Si quelqu'un réduisait Platon en système, il ren-
drait un grand service au genro humain, et l'on verrait que j'y approche un
peu. » Lettre à ltemond, 11 février 1715, Phil. Schr., Ed. Gernardt, III,
p. 637. — Ainsi, à des moments et à des degrés divers de sa penséo, Kant est
resté lié à Leibniz soit par un sens Imaginatif do l'action et de la destinéodes
Êtres hors do la réalité donnée et do la vie présente, soit par une adhésion
pcrsonncllo à des thèses spiritualistcs qui renforcent pour lui les conclusions
publiques cl officielles do la Critique contre lo dogmatisme matérialiste, soit
enfin par la reconnaissance de ce qu'il y a de fondamentalement vrai dans lo
platonisme inhérent à la monadologio. « Les doctrines do Leibniz, a dit juste-
ment le philosophe anglais Thomas Ilill Grecn, forment l'atmosphèro perma-
nente de l'esprit de Kant. » Works, t. III, p. i34.
1. Un texto caractéristiquedo la Critique de la Raison pure montre bien
comment l'idée do la communauté des esprits, revêtue d'abord aux yeux de
Kant d'une forme mystique, s'est déterminée par la suito chez lui dans un
sens pratique. « L'idéo d'un mondo moral a donc une réalité objective non
pas comme si elle so rapportait à un objet d'intuition intelligible (nous ne pou-
vons en rien concevoir clés objets de co genro), mais par son rapport au mondo
sensible, considéré seulement comme un objet de la raison pure dans son
usago pratique, et à un corpus mysticum des êtres raisonnables en lui, en tant
que leur libre arbitre sous l'empire de lois morales a en soi uno unité systéma-
tique universelle aussi bien avec lui-mémo qu'avec la liberté de tout autre. »
III, p. 53'». — Un peu plus loin, Kanl identifie l'idéo d'un accord des êtres
raisonnables selon des lois morales avec l'idéo leibnizienno du règne de la grâce,
III, p. 530.
I Ï'J LA PHILOSOPHIE WATIQIE DE KANT
lo fondementdernier do co sentiment moral par lequel notre
volonté se sont subordonnéo a uno volonté universelle, si
Jusqu'à quel point peut-on parlerdu mysticismodo Kant ? Dans quelle mesure
lo myslicitmo al il été un ingrédient de sa penséo? Ilamann, après l'appari-
tion do la Critique, parlo d'un amour mystique pour la formo cl d'une haino
gnoslique contro la matièro comme do traits saillants dans la philosophie kan-
tienne Melakritik ûberden Purismunt der reinen Vernunft, Ed. Hoth,
VU, p. 7. Voir également sa lettre à Heichardl du 25 août 1781, ibid,, VI,
t2i2-2i3, et sa lettre à llerder du 2 décembre 1781, ibid., p. 337-228. —
n élève de Kant, Willmans, avait écrit uno dissertation : De simititudine
inler ni)-sticisinmn purum e\ Kantianam rcligionis Joctrinam, 1797, dans
laquello il faisait ressortir l'analogio des idées do Kant avec celtes do ces sépa-
ratistes qui se nomment eux-mêmes mystiques, nui veulent avant tout uno vie
nouvcllo et sainto et interprètent la Uiblo par lo seul moyen de ce Christia-
nisme intérieur, éternellement présent en nous. Kant inséra, avec quelques
réserves, mais en sommo avec uno approbation très élogieuso, une lettre do
Wilmans joinlo à collo dissertation dans son livre sur La Dispute des Fa-
cultés, Der Streit der Facullâlen, 1798, VII, p. 387-392. Mais d'autro
part Jachroann rapporte une déclaration expresse do Kant, selon laquelle il
faudrait no jamais prendre aucune de ses paroles dans un sens mystique et tenir
toute sa pensée pour étrangère au mysticisme, Immanuel Kant in Itriefen
an einen Freund, p. 118. V. aussi la Préface de Kant à l'ouvrage de Jach-
mann, Priifung der kantischen Religionsphilosophiein llinsicht auf die
ihr beigelegte Aehnlichkeit mit dem reinen Mystizism, 1800, reproduite
dansRcicko, Kantiana, p. 81-82. En outre, à mainles reprises, Kant a directe-
ment répudié cette oxallation mysliquodos facultésqu'il appelle Schwârmerei. Y.
Ueber Schwârmerei iind die Mittel dagegen. 1790. lia parlé notamment du
saut mortel que fait lo mysticisme dans l'inconnu et l'incompréhensible (Ko«
einem neuerdings erhobenen vornehmen Ton in der Philosophie,\l, p. 473
sq.), de cet illuminisme des révélations intérieures qui aboutit aux visions d'un
Swedenborg (Der Streit der Facultâten, VII, p. 363), tandis que le Cri-
licismo do la Raison pratiquo tient le milieu entre l'orthodoxismo sans Ame et'
le mysticisme mortel à la raison a zmschen dem seelenlosen ORTHODOXISMUS
und dem vernunptôdlenden MYSTICISMUS »(Ibid„ p 376). Il semble bien
par là quo l'on commette, en parlant du mysticisme do Knnt, un grave contre-
sens. V. Robert Iloar, Der angebliche Mysticismus Kants. — Il y a lieu
cependant do distinguer dans lo mysticisme entre les conceptions dont il s'ins-
pire et les facultés qu'il met en oeuvre ; Kant assurément s'est refusé, pour des
raisons qui sont essentielles à la doctrine criticisto, à admettre au moins dans
l'intelligence humaino des facultés capables do saisir, soit par uno intuition
intellectuelle qui nous dépasse, soit par une intuition ' sensible qui irait
contre son objet, des vérités supra-sensibles, et il a du même coup exclu cotte
puissanco de communication directe qui no so ramène à aucun des deux types
définis d'intuition ; mais si des conceptions supra-sensibles peuvent être appelées
mystiques, alors même qu'elles comportent une expression rationnelle, ctysi
elles peuvent l'être parce qu'elles posent a priori uno unité ou une (commu-
nion des choses, des êtres ou des personnes, antérieures et irréductibles à l'en-
tendement analytique autant qu'à l'oxpéricnco-sensible, il paraît difficile de
contester que des conceptions de co genre, à titro d'inspirations primitives,
n'aient contribué à former le système kantien. Plus particulièrement manifestes
dans l'idée que Kant s'est faite d'uno société spirituelle des êtres raisonnables,
PRESSENTIMENTS I)'lNE MÉTAPHYSIQUE NOUVELLE l/|3
elle no peut pas so déterminer ainsi dans l'idéo d'une répu-
blique spirituelle dos Ames ? Ainsi so trouvent déjà rappro-
*
positive quo par l'usage qui en est fait. Sur l'usage qu'en a fait Rousseau,
M. Renouvîer a dit non sans justesse : « On confond ordinairement (c'est un
grand tort, dont on serait préservé si l'esprit do la raison pratique du crili-
cisme étail mieux compris^ lo sentiment, en tant que nom familier de l'un des
éléments do conscicnco qui entrent dans l'afllrmation des postulats dépendant
do la loi morale et dans la croyance à la réalité suprémo da cette loi elle-même,
cl le sentiment commo principe do l'éthique, tenant lieu do tout co qui s'ap-
pelle devoir et primant toulo règle des relations humaines. C'est dans lo pre-
mier do ces deux sens du mot seulement qu'on peut dire quo le sentiment a
dicté les croyances de Rousseau exprimées dans la Profession de foi du
vicaire savoyard. Rousseau, dans cet ouvrage, s'est éncrgiqucmcnl prononcé
contre l'cudcmonismc et contre le système qui fait de l'intérêt ou du plaisir le
mobile unique des actes. Il a formulé l'opposition entre lo « principe inné do
justice cl de vertu » et le « penchant naturel à se préférer à tout. » U a rat-
taché cette opposition à l'existence d'une loi univcrscllo de justice et d'ordre,
dont la conscience porto témoignage. Il a on fin expliqué lo devoir par la liberté,
établi la responsabilité, subordonné le bonheur «t regardé lo mal comme
1' R ouvrage » do l'hommo. Si c'était là une philosophio du sentiment, la doc-
trine de Kant en serait donc une aussi. » Esquisse d'une classification sys-
tématique des doctrines philosophiques, cinquième partie, dans la Critique
Religieuse, septième année, i885, p. 166-167, ,,olc' Et plus loin : « La vraie
doctrine de Rousseau en appcllo du dogmatismo philosophique au sentiment,
dans lo sens critlcistc, et n'opposo pas lo sentiment à la raison et au devoir, »
P. in^, note. — V. également: Philosophie analytique de l'histoire,
t. III, p. 618-651.
Voici, d'autre part, uno réflexion do Kant qui dato très vraisemblablement
de cette époque, cl qui montre comment l'adoption du terme do sentiment
pour désigner la faculté du jugement moral s alliait dans son esprit avec ta
tendance h déterminer cette faculté par uno conception rationnelle et systéma-
tique. « Lo sentiment spirituel est fondé sur co quo l'on se sent prendre sa
part dans un Tout idéal. Par exemple l'injustice qui frappe quelqu'un me touche
aussi moi-même dans le Tout idéal. Lo Tout idéal est 1 idée fondamentale do la
raison aussi bien que de la sensibilité qui lui est unie. C'est le concept a priori
dont doit être dérv^Jo jugement juste pour tout te monde. Le sentiment
L)F.l.lt09, 10
l/|6 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
moral, mémo dans les devoirs envers soi-même, so considère dans l'humanité
et so juge, en tant qu'il a part à l'humanité. La faculté qu'a l'hommo de no
pouvoir juger le particulier que dans l'universel est le sentiment (dus Senti-
ment). La sympathie en est tout à fait distincte, et elle ne se rapporte qu'au
particulier, quoique elle s'y rapporte chez autrui ; on ne se met pas dans l'idée
du Tout, mais à la place d un autre. » Extrait de Réflexions de Kant encore
inédites, communiquées par Rcnno Erdmann à Focrstcr : Der Enlwicklungs-
gang der kantischen Ethik, p. 29. ,
1. Pour écarter celte surprise, plusieurs hypothèses ont été proposées.
Mentionnons ccllo do Windelhand {Die verschiedenen Phastn der kanti-
schen l.ehrevom Ding an sich, Viertctjahrsschrift fur wissenschaftlicho Phi-
losophie. I, p. 233-330; Geschichle der neuren Philosophie, II, 1880,
p. 3o sq.), d'après laquelle la lecture des Nouveaux Essais do Leibniz, partis
pour la première fois en 1765, aurait ramené Kant à un rationalisme qu'il
avait senli plus profond et plus décisif que celui de l'écolo wolflicnne. Vai-
hinger (Commentai; I, p. 48, H, p. 1^29) so rallie à cette hypothèse. Rcnno
Erdmann la repousse (Kants Heflexionen, II, p. XLVIII) en raison de'la
différence qu'il y a entre la doctrine leibnizicnne et les idées do la Disserta-
tion sur le fondement de la distinction des deux mondes; et il est bien certain
qu'établir co fondement a été l'objet principal des pensées do Kant à cette
époque V. encoro là-dessus, Adickcs, Kant-Studicn,y. 162 sq.Ce oui parait
plus justo, co quo soutient Adickcs et ce quo no contredit pas Rcnno Erdmann
c'est quo la lecture des Nouveaux essais a pu renouveler et fortifier dans
Kant la notion d'une connaissance pure et de principes a priori j mais l'élabo-
ration do la formo spécifique de son rationalisme l'a vraisemblablement
beaucoup plus préoccupé alors que la simple acceptation du rationalisme en
général.
PRESSENTIMENTS D'U'E MÉTAPHYSIQUE NOUVELLE I/47
la tendance à soutenir que le monde donné est la mesure
du connaissablc et du concevable, de l'autre la tendance à
user plus ou moins inconsciemment des figures et des
notions suggérées par les sens pour représenter le monde
intelligible. Mais pour renverser ce dogmatisme il fal- '
lait autre chose qu'un acte de foi arbitraire, ou qu'un,
vague sentiment des limites de l'expérience. C'était préci-
sément le grand défaut de l'école wollïiennc que do n'avoir
pas su approfondir la distinction qu'elle établissait, selon
la tradition platonicienne et métaphysique, entre une partie
empirique et une partie pure do la connaissance, que de
l'avoir bien souvent elle-même effacée par une application
banale du principe de continuité, que de l'avoir réduite à
n'être qu'une différence de clarté dans la perception des
objets. Supposons au contraire que l'on découvre des con-
ditions de l'expérience sensible, qui du môme coup en j
limitent strictement la portée, et l'empêchent d'étendre ;
au delà d'elle son modo propre de connaissance : dès lors
les concepts intellectuels, purs de tout mélange, exempts
de toute fausse application, reprennent leur valeur origi-
naire : il y a deux mondes véritablement distincts sans
communication équivoque de l'un à l'autre. Or ce résultat
d'extrême importance était préparé par la thèse purement [
spéculative soutenue dans le petit écrit de 17C8, sur le Fon-
dement de la différence des régions dans l'espace Kant y \
aflirmait, eu vertu do considérations géométriques, qu'il
y a un espace absolu, ayant une réalité propre, a tel point
distincte de l'existence des corps, qu'elle csl la condition
première sans laquelle les corps no pourraient ni être don-
nés, ni être en rapport les uns avec les autres * : ainsi les
déterminations de l'espace no dépp* lent plus des positions
des parties de la matière, mais le* positions des parties de
la matière dépendent des déterminations de 1 espace 3;
1. « Das Jahr 69 gab mir grosses Lichl. » Renno Erdmann, Kants De-
(lexioncn, II, n°4, p. 4.
2. Renno Krdmann, Kants Reflexionen, H, n* fi, n» 5, p. A-5. V. Ibid,
l'Indroduction, p. xxxiv sq. — Richl, Der philosophische Kriticismus, I,
p. 272*275, lt2. p. a8î. — V. le § t do la première section dota Disserta-
tion de 1770 (De la notion du monde en général), où sont signalées les
contradictions auxquelles se heurte l'esprit dans la régression des com|K>sés au
simple et dans la progression des parties au tout, quand il ne respecto pas la
distinction essentielle do la sensibilité et de l'entendement.
PRESSENTIMENTS D'UNE AlÉTAPHYSIQUf. NOUVELLE I/|Q
intelligible est, on môme temps que la vérité requise par la
morale, la vérité théorique essentielle qui affranchit la
science de la contradiction. Fondé en principe, l'idéalisme
transccndantal sert à la fois à justifier et à définir le ratio-
nalisme, et le rationalisme va revendiquer dans la pensée
de Kant le droit qu'il a de garantir par lui seul la certitude
do la moralité, comme toute certitude en général.
CHAPITRE III
1. Ibid.
LA PRÉPAPARATIOX DE LA CRITIQUE 167
1. Ihiefivechscl, I, p. 117.
l58 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
1. Driefwechscl, I, p. n4.
a. Hriefvcchsel, I, p. ia5.
3. Rricfivcchsel, I, p. ia0-ia7.
L'OPPOSITION DE LA NATURE ET DE LA RAISON 169
essai sur la philosophie morale. Jo souhaiterais cependant
que vous n'y fissiez pas valoir ce concept de réalité, si im-
portant dans la plus haute abstraction de la raison spécula-
tive, si vide dans l'application à ce qui est pratique. Car
ce concept est transcendanlal, tandis que les éléments pra-
tiques suprêmes sont le plaisir et la peine, qui sont empi-
riques, de quelque provenance quo soit la connaissance de
leur objet. Or il est impossible qu'un simple concept pur
de l'entendement fournisse les lois et les préceptes do ce
qui est uniquement sensible, parce qu'au regard de ce qui
est sensible, il est entièrement indéterminé. Le principe
suprême de la moralité ne doit pas seulement faire conclure
au sentiment du plaisir ; il doit produire lui-même au plus
haut degré ce sentiment ; c'est qu'il n'est pas une simple
représentation spéculative ; il doit avoir une force détermi-
nante : aussi, bien qu'il soit intellectuel, il n'en doit pas
moins avoir un rapport direct aux mobiles primitifs de la
volonté '. » Ainsi, co qui semble préoccuper Kant, c'est
qu'ayant attribué au principe moral un caractère intellec-
tuel et a la volonté qui s'en inspire un pouvoir direct d'ac-
tion, il se demande comment la raison peut, au point do
vue pratique, se rapporter h la sensibilité, comment la eau- j
salité du vouloir peut être efficace. Préoccupation très na-
turelle on soi et très considérable, puisqu'elle avait pour
objet l'accord a établir entre l'idée pure et les moyens de
réalisation de la vie morale, fortifiée peut-être encore par lo
souci qu'avait Kant do définir, dans un autre domaine, la
relation exacte des concepts purs de l'entendement à l'expé-
rience sensible.
» *
1. Ilriefwechscl, I, p. i3;-i38.
l60 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. P. i85.
2. P. i83.
3. P. t86. — V. plus liant, Première partit, Ch. H. p. 99'
l66 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. P. 187.
2. P. 204, 207-208.
3. P. i33.
LES LEÇONS SUR LA MÉTAPHYSIQUE 167
s'efforce d'établir a priori dans sa psychologie rationnelle
que l'âme selon son pur concept est une'substance*, de
même, après avoir admis que la liberté requise pour la mo-
rale est saisie par une expérience directe, il s'efforce de
démontrer comment le concept de la spontanéité incondi-
tionnée convient au moi. Il écarte d'abord comme illusoire
ou insuffisante celle spontanéité interne relative, cette spon-
tanéité automatique qui tient finalement d'une cause
extérieure l'action qu'elle parait produire du dedans, la
spontanéité de l'horloge ou du tourne-broche. La liberté
transcendantalc exclut ces limitations et ces relations. Le
moi la possède, parce qu'il est sujel, et qu'étant tel, il
rapporte à lui-même, non pas seulement ses actes volon-
taires, mais toutes ses déterminations en général. Quand je
dis : je pense, j'agis, ou bien le mot « je » est employé
à contre sens, ou je suis libre. Pour nier la liberté, il fau-
drait, montrer que le sujet n'en est pas un, et cette démon-
stration serait encore l'affirmation d'un sujet *.
Seulement, de l'aveu de Kant, s'il est possible de prou-
ver ainsi la liberté transccndanlalc, il est impossible de la
comprendre. Comment un ôlre créé peut-il produire des
actions originaires ? C'est ce que nous n'avons pas la
faculté d'apercevoir. Il nous faudrait saisir les raisons
déterminantes de ce qui, par définition, doit être indépen-
dant de ces raisons. Mais celte difficulté ne saurait être
tournée contre l'affirmation do la liberté ; car elle tient, non
à la nature do la chose, mais à celle de notre entendement
qui ne peut comprendre que ce qui arrive dans la série
des causes et des effets, qui ne peut saisir do premier com-
mencement. Au surplus, à ce point de vue, le fatalisme
ne peut pas plus être démontré que réfuté. L'opposition dia-
lectique des thèses contraires, que Kant parait déjà signaler
ici, mois sans la dégager pleinement, ne saurait faire pré-
valoir le doute spéculatif sur ce qu'a de certain la liberté
1. P. 2O1-202.
2. P. 206. — Cf. BctinoErdmann, Reftexionen Kants, Il,n° 1517, p. .'|35.
iGS LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
théologiques. II, n° 1270, p. 36i, n° 1282, p. 365. Les Leçons sur la Méta-
physique no font pas celte distinction.
1. P. 238-241. — C'est la preuvo par analogie, en tant qu'elle porte sur
J! l'obstacle opposé en co mondo à notre effort moral, qui fournira surtout dans
h la Critique de la Raison pratique lo contenu du postulat de l'immortalité,
que la preuve morale fournira surtout le contenu du postulat de l'exis-
j1 tandis
i. P. 241-243.
2. p. 260-261.
I7I EA PHILOSOPHIE PIUTIQI'E DE KVNT
à admettre l'argument ontologique selon la formule qui con-
clut do l'idée, c'est-à-diro du possible conçu, à l'existence,
car ro\istcnco est uno position, non un prédicat' ; il oxposo
avec do visibles préférences lu prouve solon laqucllo lo pos-
sible conçu par la penséo suppose l'Etre souverai nement réel *.
Mais cette démarche par laquelle la raison remonto, dans
l'usagodo ses facultés, à co qui en estla condition suprêmo,
n'a qu'un caractère hypothétique, puisqu'elle aboutit sim-
plement à une supposition qui lui est indispensable pour
no pas so démentir, qui donc reslo relalivo à ello et no
saurait jamais représenter adéquatement un Etre nécessairo
on soi, Co quo Kant appellera plus tard YIdéal de la Raison
pure ne s'affirme que par uno supposition relative 3 : la
raison no peut pas plus conclure par concept à l'exis-
tence absolument au-dessus d'elle qu'à l'oxistcnco absolu-
ment en dohors d'elle, La preuve transcendantalc do l'oxis-
lencc do Dieu resto donc frappée do subjectivité, et bien
qu'elle exprimo une tendance légitimo do la raison, elle no
peut malgré tout produire en nous qu'une croyance. Kant
arrive ainsi à surmonter le dralismo qu'il avait autrefois
admis do la croyance et do îa raison et à constituer l'idée
de la croyance rationnelle. Seulement tandis que plus tard
il fera valoir cette idée principalement dans lo domaine de
la raison pratique, réservant le nom do maximes régula-
trices aux hypothèses de la raison quand elles répondent
à une exigence théorique, ici il l'applique aussi bien'
aux démarches suprêmes de la raison théorique qu'aux
convictions dépendantes do la raison pratique. « La con-
naissance de Dieu n'a jamais été plus qu'une hypothèse
nécessaire do la raison théorique et pratique... Ello
n'en a pas moins une certitude pratique ou un titre de
créance tel que, alors môme qu'elle no pourrait pas être dé-
montrée, celui qui veut user de sa raison et de sa libre
1. P. 281.
2. P. 277.
3. Cf. Kritik der reinen Vernunft, III, p. 455-4Ô7, p. 46o.
LES LEÇONS SIR LA MÉTAPHYSIQIE 1^5
volonté doit nécessairement la supposer, s'il no vout pas
agir commo un animal ou un méchant. Or co qui est une
supposition nécessaire do notro raison est tout commo s'il
était lui-mômo nécessaire. Ainsi les principes subjectifs do
lu supposition nécessaire sont tout aussi importants quo los
principes objectifs de la certitude Uno tello hypothèse, qui
est nécessaire, so nomme croyance... La forme croyance
qui résulto simplement do co quo quelque choso est une
condition nécessaire, est quelque chose do si complètement
sûr, de si bien fondé subjectivement, quo rien de ce qui
reposo sur dos raisons objectives no peut être mieux affermi
dans l'urne que cela. — La solidité de cette supposition est
tout aussi forte subjectivement que la première démonstration
objective de la mathématique, quoiqu'elle no soit pas aussi
forte objectivement. Si j'ai uno fermo conviction subjective,
jo no lirai jamais les objections quo l'on élèvo contre...
Cette foi subjective est en moi tout aussi fermo et môme
plus ferme encore quo la démonstration mathématique.
Car sur cette foi je peux tout parier ; tandis que si jo devais
tout parier sur une démonstration mathématique, je pour-
rais hésiter ; il pourrait so faire en effet qu'il y eût ici quel-
quo point sur lequel l'intelligence se fût trompée1.»
Précisément parce qu'il admet ce rôle de la foi jusque
dans la connaissance théoriquo do Dieu, Kant peut faire
une place, tout en la limitant, aux preuves qui no préten-
dent pas à une forme rationnelle aussi pure. Même la
théologie transcendantalc, qui a l'avantage do nous présen-
ter dans sa pureté le concept de l'Etre) nécessaire ou de
l'Etre souverainement réel, a le défaut de nous priver du
Dieu vivant, que réclament l'intelligence commune et la
conscience'; et puisque d'autre part elle ne peut malgré
tout son effort produire que des affirmations relatives aux
besoins spéculatifs de la raison, elle ne saurait cm-
i. P. 266-267.
2. P. 270-271.
17^> U PHILOSOPHIE PIIATIQUE l»E K\XT
pécher, tout on gardant un droit do censure, les autres
formes do théologie, dont les affirmations sont relatives
aux intérêts pratiques de cette raison même. C'est ainsi
que la théologio naturelle qui présente Dieu commo causo
du monde par intelligence et liberté, si ello n'atteint pas à
uno puissance do démonstration parfaite, a du moins uno
puissanco do persuasion très profonde ; l'ordro qu'cllo so
plail à découvrir dons l'univers excile l'activité et contri-
bue à la culluro do l'esprit ; c'est un ordro do fins, plein
d'attrait pour uno volonté'. Assurément la théologie na-
turelle est oxposéo à l'anthropomorphisme, puisqu'elle
omprunto à l'oxpéricnco do la nature humaine les princi-
paux attributs do Dieu'; mais dès qu'elle prend gardo
que son procédé est purement analogique et no doit pas
aboutir à dos assertions dogmatiques,, ello a lo droit d'en
user 3. Enfin la théologie morale présente Dieu commo un
Etre souverainement bon et parfaitement saint; elle est
fondée sur la nécessité d'admettre que la loi morale, aussi
certaine quo les autres connaissances de la- raison, oxigo
pour les actions bonnes qu'elle ordonne un bonheur en
proportion avec elles. Si l'on no reconnaît pas que, graco
à un Dieu qui gouverne le monde par une volonté mo-
rale, lo bonlieur est assuré à celui qui par sa vertu s'en est
rendu digne, la loi morale peut être un principe servantj\
juger, ello n'est pas un principe servant à agir. Cette sorto
do preuve n'est seulement tirée do raisons pratiques, clic
produit elle-même un effet pratique : d'où son importance
extrême dans l'éducation do l'homme 4. Ainsi, malgré do
fréquents retours aux traditions dogmatiques en la matière,
surtout sur la question de l'optimisme 5, Kant incline à
faire prévaloir la théologie populaire sur ce qu'il appelle
i. P. 287-288.
2. P. 272.
3. P. 3oj) sq. — V. plus loin deuxième partie, chapitre 11.
4. P. 288-294.
5. P. 334 sq.
LES LEÇONS SDH LA METAPHYSIQUE 177
la théologio arroganto : la théologio arroganto, dit-il 1, so
targue de son érudition ot do sa scionco ; mais pour me-
surer la hauteur d'uno étoilo, à quoi sert la hauteur d'uno
tour par rapport à la vallée ? Do mômo la théologio érudito
cl raisonneuso apporte bien pou pour la oonnaissonco do
Dieu on comparaison do la croyance crééo par la consi-
dération do la loi moralo ; ou plutôt ollo est souvent uno
sourco do sophismes*.
L'oxposition des preuvos do l'immortalité et do l'exis-
tence do Dieu onveloppo l'idée quo Kant so fait do la mo-
ralité. Colle idée est bien loin encoro d'ôlro épuréo do
tout alliage cudémonisto. Si Kant n'admet pas quo la
rechorcho du bonheur soit lo mobilo direct do notro con-
i. Passago qu'on no trouvo pas dans lo manuscrit édité par Pôlilz, mais dans
les doux autres manuscrits qui fournissent a quelques variantes près lo mômo
toile, ~citô par lleinzo, Vorlesungen Kants ùber Melaphysik, p. Gi
2, C'est uno théologio philosophique qu'oxposo Kant ici, malgré les ten-
dances et les idées nouvelles par lesquelles il modifie- les doctrines religieuses
du rationalismo ordinaire II no mentionno qu'en passant lo Christianisme. —
Dans la nouvelle édition de la Correspondance se trouvent, parmi des lettres
do Kant à Lavaler, uno lettro du 28 avril 1770, ainsi qu'une lettre complé-
mentaire simplement en projet, qui indiquent ce qu'était alors IcChristianismo
pour la pensée do Kant. Kant distinguo cnlro la doctrino fondamentale cl la
doctrine subsidiaire do l'Kvangilo : la doctrine fondamcntalo, la pure doctrino
du Christ, c'est quo nous devons avoir uno foi absoluo dans l'assistance do
Dieu pour achever do réaliser co qui dans lo bien voulu et énergiquement pour-
suivi par nous dépasse notro pouvoir ; la doctrine subsidiaire, quo constituent
les dogmes du Nouveau Testament, définit la nature des pratiques j>3r lesquelles
nous pouvons obtenir lo secours divin. Il est arrivé quo les Apôtres ont fait do
ccllo doctrino accessoire la doctrino principale, en raison do la nécessité où ils
étaient do s'approprier à l'étal des esprits, d'opposer aux miracles anciens dos
miracles nouveaux, aux conceptions dogmatiques juives des conceptions dog-
matiques chrétiennes. 11 y a lieu de rétablir dans sa puro vérité le principe do
la foi, qui est essentiellement moral, do so convaincre» quo des statuts religieux
peuvent imposer la stricte observance mais non produire la puro disposition
du coeur, quo la Religion ajouto uniquement à la moralo la pleine cl enlicro
confiance dans l'accomplissement, gràco à Dieu, du bien conformo à nos in-
tentions, mais qu'cllo n'a pas à nous fournir la fausso et inutile science des
voies par lesquelles nous pouvons solliciter avec succès l'assistance divine. Au
surplus, aucun livre, aucun enseignement extérieur no peut se substituer à
l'autorité do la loi sainte qui est en nous. Rrief\vechsel, I, p. 167 172. H
somblo que lo contenu do ces lettres ruino les arguments do porléo d'ailleurs
Eeu décisivo par lesquels Km Arnoldt a essayé d'établir une iulluenco do
essing sur la formation des idées religieuses do Kant. V. Kritische
Excurse im Gebiete der Kant-Forschung, p. 193 sq.
DEI.BOS. 12
178 LA MHLOSOPHIE PIUTIQUE DE KANT
1. P. 321-322.
2. /.ose Blàlter ans Kants Nachlass, n° G, I, p. g-iG.
l8û LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KAXT
pure. V, l'article cité do llôffding dans YArchiv fur Geschichte der Philo-
sophie, VU, p. 461. — D'après Hiehl (Compto rendu do YArchiv fur Ge-
schichte der Philosophie) io fragment constitue un document important pour
la connaissance do l'évolution do la moralo de Kanl et doit avoir été composé
au plus lard vers lo milieu do la période 1770-1780. IV, p. 720. — Fôrster (Der
Enlwicklungsgang der kantischen Ethik, p. 3g) place lo fragment aux
environs do 1774. — Adickcs, dans lo compto rendu du travail do Fôrslcr
(Deutsche Litteraturzeitung, 21 avril I8Q/|, p. /187) lo placo aux environs do
1781, probablement avant 1781. — Menzer, dans l'éludo déjà citéo (Kant-
studien, III, p. 70) le placo avant la Critique. — En revanche, Thon (Die
Grundprinzipicn der kantischen Moralphilosophie in ihrer Entwicke-
lung, p. 35) lo place entro 1781 et 1784, plus précisément en 1783 ; les
raisons qu'il invoquo se ramonent à celle-ci : la Critique de la Raison pure
a insuffisamment défini les rapports du problème do la'liberté et du problèmo
moral ; lo fragment apporto uno définition plus exacto de ces rapports, qui sera
elle-même remplacéo par uno nouvcllo définition, celle-ci décisive, dans la
Grundlegung sur Metaphysik der Sitien. — Il est vrai quo la Critique de
la Raison pure est loin d avoir constitué définitivement, mémo les parties
essentielles do la moralode Kant, cl qu'cllo n'est pas, dans les indicationsqu'cllo
fournit là-dessus, pleinement cohérente ; mais la conception do la liberté, et
incidemment do la moralité, qui est exposéo dans la Dialectique, origine dô
la systématisation future, marque un progrès sur les idées du fragment. Thon
a invoqué surtout comme termo de comparaison lo Canon de la Raison
pure dans la Méthodologie transcendantale; mais outre que lo rapproche-
ment ainsi opéré no serait pas aussi concluant qu'il le croit, il y a, comme nous
le verrons (deuxièmo partie, chapitre premier), des motifs sérieux do penser
ESQUISSE n'iïSB THÉORIE MORALE l8l
dos manières d'êtro, individuelles ou spécifiques, du sujet ;
par suito ils no dépendent pas do causes nécessairement et
universellement valables. Au contrairo, los lois qui moltont
la liberté en accord OYCO ollc-mômo dans lo choix do co qui
causo lo plaisir, fondent pour tout étro raisonnablo, doué
do la faculté do désirer, la réalité objective du bonheur ; et
dans co bion général so trouvo aussi son bien 1.
« La matière du bonhour est sensible ; mais la forme on
est intellectuelle ; or cetto forme ne peut ôtro quo la liberté
sous des lois a priori do son accord avec cllc-mômo, et cola
non pas pour rendre lo bonheur réel, mois pour quo l'idéo
en soit possible 1. » « La fonction de l'unité « priori do tous
les éléments du bonheur est la condition nécessaire do sa
possibilité et do son essence Or l'unité a priori est la
liberté sous les lois universelles do la volonté do choisir,
c'est-à-dire la moralité 3. » « La moralité est l'idéo de la
liberté conçue comme principe du bonheur (principo régu-
lateur du bonheur a priori). Aussi faut-il quo los lois do la
liberté soient indépendantes do toulo intention qui aurait
pour but lo bonheur propre, bien qu'ils doivent en conte-
nirla condition formelle a priori \»Lo principequi renferme
la condition formelle du bonheur est, dit Kant dans uno
note en marge, « parallèle à raperception ° ».
Quels rapports plus précisément Kant établit-il entre la
matière et la forme du bonheur ? D'abord il y a des don-
nées ou des exigences naturelles do la sensibilité contre les-
quelles la libre volonté ne saurait aller 6 ; Kant parait môme
quo les idées et les formules do cetto dernièro partio do la Critique sont d'un
moment antérieur à l'élaboration délinitivo des thèses du resto do la Critique
qui concernent lo problème do la liberté et le problème moral. — 11 nous
scinblo donc quo lo fragment a du étro écrit au moins peu do temps avant la
Critique.
i. P. 9.
2. Ibid.
3. P. 10.
4. P. i3.
5. P. 14.
6. P. 10.
iS'J LA PHILOSOPHIE PHVTIQIE DE KANT
soutenir que lo principe formel du bonheur n'en saurait
créer la matière, qu'il n'en fermo pas en lui do mobiles pra-
tiques d'action 1. Mais on ne saurait non plus composer lo
bonheur do la .somme des plaisirs sensibles ; car il manque-
rait toujours co qui est capable do les unir enlro eux et do
les rattachera l'action du sujet. Kn co sens mômo on pont
diro quo lo bonheur n'est rien do senti, qu'il est quclquo
chose de conçu * ; il est plutôt dans la forme intellectuelle
d'unité que dans la matière sensible. D'autre part, il se dis-
tinguo profondément de cesplaisirs qui dépendent do la salis-
faction apportée par le hasarda des besoinstoujours exigeants,
do ces plaisirs mal assurés par la contingence des circon-
stances favorables et par la brièveté do la vio ; il est uno
disposition développée parla raison, qui se privo sans peino
des causes extérieures de jouissance, qui peut, sans en ôtro
atteinte, supporter tous les maux et les tourner même à son
profit, au regard de laquelle la mort est un état passif, inca-
pable d'en diminuer la valeur inlernoYll est, en d'autres
termes, le fonds qui ne doit pas manquer pour que l'on puisse
s'éprouver véritablement heureux, hors de ces accidents do
la fortune qui no donnent du bonheur quo l'apparence*. Car
au-dessus du bonheur apparent il y a lo bonheur réel ; lo bon-
heur réel est défini par des catégories morales, Ces catégo-
ries, au lieu de porter sur des objets particuliers, compren-
nent les objets de la vie et du monde dans leur ensemble ;
elles en établissent l'unité, qui est l'unité d'un bonheur
empirique possible ; elles représentent donc moins un bien
réel que cette forme de la liberté qui convertit les don-
nées empiriques en vrais biens ou biens objectifs. Ainsi, par
la moralité, l'homme non seulement so rend digne d'ôlrc
heureux, mais il se rend capable de produire son bonheur
ainsi que le bonheur d'autrui, sans que cet effet de sa vertu
i. P. i3.
2. P. 11-12.
3. P. IO-II.
4. P. 10-12.
ESQUISSE I)'UXE THÉORIE MORALE l83
en soit lo mobile Lo bien, c'est la conscience d'ôlrc soi-
mêmo l'auteur do son propro conlentoment, c'est uno sorto
\
d'aperceplio jucunda primitiva Mais la liborlé d'où dérivo
lo bonheur no peut être cause on co sens quo si cllo s'oxerco
conformément à uno loi ; une liberté sans loi, co serait la
faculté do so contredire, d'aller contrôla liberté mémo ; co
serait la source du plus grand mal. 11 doit donc y avoir uno
loi nécessaire a priori d'après laquelle la liberté est res-
treinte aux conditions qui définissent l'accord do la volonté
avccollc-mêmo. Cette loi, posxéo par la raison d'un point do
vuo universel, détermine co que l'on peut appeler uno vo-
lonté puro, un bien praliquo pur, qui, quoique formol,
mérite lo nom do souverain bien ; c'est celte union do la
liberté et do la raison dans l'homme qui constitue sa valeur
personnelle et absolue *.
Kant explique par ces considérations pourquoi il est dé-
fendu de mentir. Dira-t-on avec les Epicuriens que lo men-
songe doit ôtro évité parco qu'il porto préjudice, soit à mon
bonheur, soit au bonheur d'autrui? Mais je peux ètro assez
prudent pour ne mentir que dans des cas qui no m'expo-
sent point ; et quant au bonheur d'autrui, qu'autrui y veille
1
i. P. u.
P. i4-i5.
2.
l8'| LA PHILOSOPHIE PRATIQUE UE KANT
1. P. I3I4.
2. P. iG.
3. V. dans les « Lose Rldller » un aulro fragment, qui est commo intermé-
diaire cnlro lo sens do celui-ci et les vues analogues des Leçons sur la Méta-
physique. E, Gl. II, p. 223-224.
LES ÉLÉMENTS DU PROCHAIN* SYSTÈME MORAL l85
vail définitivement lo principo do la moralité. Ello motlait
ainsi hors du système la théorio quo Kant avJt esquissée
dans co frogmont.
* •
Actuollomcnt il n'est pas d'autres sources auxquelles on
puisso so reporter avec quelquo confianco pour achover do
so représenter co qu'a pu ôtro la penséo do Kant sur les
problèmes pratiques avant 17S1 8. Nous possédons toute-
fois des éléments considérables du futur système moral, et
voici co quo nous on savons : co système doit être fondé sur
la raison ; la raison a un doublo usogo, un usago théorique
ot un usago pratiquo ; l'affirmation suprêmo à laquelle la
conduit son usage théorique, l'affirmation do l'existence do
t. Ht, p. 553. —- tl va sans dire que, sauf avis contraire, tous les textes
cités ou visés dans co chapitro sont do la première édition do la Critique.
2. Kritik der praktischen Vernunft, Vorrede, V, p. 4.
192 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KAXT
contrairement a ses propres vues. » lit, p. 25T .Soit ; mais il se peut quo la
doctrine des plus grands philosophes ne soil jamais achevée au point de rie
contenir aucune cause de dissidence avec elle-même ; et l'achèvement qu'on lui
impose peut la détourner de sa direction réelle. '
1. Par là s'explique que Kanl ait paru tour à tour conclure à l'existence
des choses en soi en partant du concept des phénomènes, et conclure au carac-
tère phénoménal des représentations en partant de l'affirmation des choses en
soi. Il n'y a pas pour cela cerclo vicieux dans sa pensée. Ce qui esl fonda-
mental à ses yeux, c'est la nécessité de distinguer les choses en soi et les phé-
nomènes, nécessité qui est déjà manifeste quand on présuppose, commo il le
fait, l'existence des choses en soi et que par là on détermine négativement ce
que sont ces phénomènes, mais qui est réellement fondéo lorsque, selon l'idéa-
lisme transcendante!, on définit positivement les phénomènes par les condi-
tions qui les font apparaître à l'esprit,
2. Y. Benno Erdmann, Kant's Kriticismus, p. 45-47- — Volkelt, Imma-
nuel Kant's Erkenntnisstheorie, p. g3 sq.
If)8 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. Ht, p. 207.
2. III, p. 260.
aoG LA PHILOSOPHIE PRVTIQIE DE K \>T
i. IH, p. 25n.
2. III, p. 258-25Q.
3. III, p, 259-260; p. 265-266.
LA CRITIQUE DE LA RAISON PIRE 807
jets do pensée on général 1. Do ces trois idéos, l'âme, lo
mondo, Dieu, nous no pouvons tirer aucune connaissance
proprement dite ; mais outre qu'il y a un intérêt théorique
à développer la connaissance commo si les états internes
dérivaient tous d'uno substance simple oxistant en elle-
mémo, commo si los phénomènes naturels devaient se ra-
moner los uns aux autros do façon à fournir dos détermina-
tions causales complètes, comme si tous les objets donnés
ou concevables formaient une unité absolue dépendant d'uno
raison originelle et créatrice, cet intérêt théorique laisse
apercevoir un intérêt pratique essonticl ; personnalité, cau-
salité libre, finalité, tels sont les aspects sous lesquols l'idée
psychologique, l'idée cosmologiquo, et l'idée théologiquo
so rapportent directement au système do la vie. moralo.
A dire vrai, dans la première édition do la Critique, —
erceci est une marque do l'inachèvemont de la doctrine, —
la signification pratique de la nolion de personnalité est in-
suffisamment dégagée de l'examen des paralogismos do la
psychologie rationnelle*. Kantsignalo surtout los tendances
et les convictions morales qui cherchent dans la connais-
sance dogmatique de l'âme uno garantie aussi illusoire
qu'inutile pour l'indépendance do la vio spirituelle à l'égard
do ses conditions matérielles, et pour la continuation do no-
tro existence après la mort ; ces lendanccset ces convictions
tirent d'ailleurs leur force et leur valeur ; elles no peuvent
trouver tout au plus dans la Psychologie rationnelle qu'un
secours négalif contre le dogmatisme matérialiste qui les
attaque 3.
Avec l'explication de l'idée cosmologique et de l'anti-
1. m, P. 269.
2. Dans la deuxième édition, Kant montrera quo par le concept do la
volonté autonome nous pouvons nous considérer comme une spontanéité pratique
déterminant par des lois a priori notro propre existence, que par là peut être
résolu le problème, insoluble à la spéculation, du rapport du moi en soi à ses
étals. III, p. 291. Mais ce concept do la volonté autonome n'était pas encore
constitué au moment de la première édition.
3. III, p. 588; p. 6i3;p. 606.
3o8 L\ PHILOSOPHIE PIUTIQIE DE K\NT
i. 111, p. 33o-338.
DELCOS I4
»IO l.\ PHILOSOPHIE PIUTIQI'E DE KANT
i. III, p. 332.
LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE ïtl!
quo la liberté n'est qu'uno illusion do son moi, quo tout est
nature uniquement. Mais s'il venait à la pratiquo et à l'ac-
tion, co jeu do la raison simplement spéculative s'évanoui-
rait comme les fantômes d'un rôvo, et il choisirait ses prin»
cipes seulement d'après l'intérêt pratiquo 1. »
En invoquant pour les Ihôses, antérieurement h l'oxamon
critique des antinomies, dos titres do créanco fournis sur-
tout par l'intérêt pratiquo, Kant témoigno à quel point les
principes do la moralo lui paraissaient liés au sort du ratio-
nalisme métaphysique. Car lo fond do l'augmentation en
faveur des thèses est emprunté à dos déterminations
d'idées par la raison, toiles qu'elles s'opéraient dans l'écolo
do Leibniz et do WollF, affectées seulement on outre d'uno
application empiriquo spéciale qui alors les met on opposi-
tion directo avec les antithèses ; et la solution dos antino-
mies consiste pour uno pari à supprimer colto affectation spé-
ciale commo illégitime, do façon à laisser subsister en un
certain sens la valeur des affirmations rationnelles. Kanl
du reste a découvert lui-même son procédé quand il a dit
qu'à l'invcrso des antithèses qui no développent qu'uno
maxime, la maxime du pur empirisme, les thèses s'ap-
puient, non seulement sur lo modo d'explication empiriquo
des phénomènes, mais sur des principes intellectuels,
qu'elles révèlent uno dualité do maximes 2. La vérité est
que les thèses dérivent-essentiellement des principes intel-
lectuels, si bien qu'elles seront finalement sauvegardées
par celte dérivation même ; qu'elles ne deviennent la contre-
partie des antithèses que parce que Kant suppose ces prin-
cipes engagés dans uno connaissance, et dans une connais-
sance qui selon lui ne peut so réaliser que par l'intuition
sensible ; qu'en Arortu do l'impossibilité de tout savoir
rationnel pur, ces principes sonl contraints provisoirement,
pour devenir des termes d'antinomie, à se déterminer daus
i. III. p. 337.
2. m, P. 332.
2IU l\ PHILOSOPHIE PRVTIQtE DE KANT
i. III, p. 3u.
LA CRITIQUE DE L\ RAISON ai3
PIRE
convertissant les monades en atomes : c'est ainsi qu'il
crée « lo principo dialectique do la monadologio » on impo-
sant rétablissement d'uno monadologio physique 1.
Toutefois pour la solution de» doux promières antinomies
lo moment n'est pas venu <lo déployor enlièro cetto affir-
mation d'un monde intelligible qui, plus ou moins trans-
posée, inspire los arguments des thèses. Selon lo procédé
quo nous avons lAehé d'analyser, Kanl approprio cetto affir-
mation à la diversité des questions qu'il doit résoudre. Or
les problèmes des limites du mondo cl do l'existence du
simple sont des problèmes essentiellement théoriques, dont
la portéo pratique n'est qu'indirecte. Dos thèses quo doit-il
donc rester a co point do vuo? Négativement, la puissance
d'opposition rcslrictivo qui ompêeho los objets des anti-
thèses do s'ériger on absolus et l'entendement do so prendro
pour la faculté de l'inconditionné; positivement, la notion
do principes régulateurs qui imposent à la science do no pas
s'arrêter dans la poursuite sans fin des limites du mondo
et des éléments simples du réel, qui aiguillonnent ainsi
l'entendement sans lui permettre do so croire jamais en
possession d'uno explication totale el suffisante. Le rap-
port cnlro lo monde intelligible et le monde sensible, que
l'interprétation dogmatique des thèses et des antithèses
fausse également, devient lo rapport outre les problèmes
dont la solution adéquate, impossible pour nous, consti-
tuerait l'achèvement rationnel du savoir, et les solutions
effectives qui, dans les conditions de notre science finie,
doivent tendre à cet achèvement sans y prétendre 3.
Mois avec la troisième antinomie, comme d'ailleurs avec
la quatrième qui par la nature des arguments opposés n'est '
guère qu'une reproduction de la troisième, la conception
d'un mondo intelligible, au lieu de se resserrer en des
maximes théoriques i.léalcs, s'identifie avec' lo principe
i.-III, p. 3i3-3i7.
a. III, p. 356 sq. -
2l/| LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
transccndantal do la réalité. Lo rationalisme métaphysique,
qui reste l'inspirateur des thèses, est reconnu dans sa vérilé
totale et essentielle ; sans doute la relation du monde intel-
ligible au monde sensible est autrement exprimée ici que
dans les doctrines traditionnelles ; la pensée criticisle inter-
vient, selon laquelle celle relation doit ôlre mise à la portée
de la raison finie qui csl la noire, et qui ne saurait être, ni
intuitive, ni créatrice; mais l'identité, ailleurs plus ou
moins latente, de la chose on soi et de la causalité ration-
nelle pure se découvre ici avec évidence.
C'csl en parfait accord avec les tendances et les exigences
du rationalisme moderne que lo problème de la liberté est
énoncé maintenant comme un problème cosmologique ;
dès le jour où la science a aperçu ou réclamé l'universelle'
solidarité des choses, il n'a pas été possible de poser et de
résoudre le problème de la liberté en fonction des simples
données de la conscience ; il a fallu se mettre en quête
d'une espèce de liberté qui fût apte comme la nécessité, et
concurremment avec elle, à être constitutive du tout
cosmique ; de là, au détriment très visible des formes spéci-
fiquement humaines de la liberté, du libre arbitre notam-
ment, la conception d'une liberté en quelque sorte univer-
selle, capable de se réaliser, à des degrés divers, on tous les
êtres. En tous les êtres se rencontrent ainsi cl se combinent
les efi'cts de deux sortes de causalité : de la causalité
externe, qui met les étals do chaque être sous la dépendance
des autres étals do l'univers ; de la causalité interne, qui
pose chaque être par une opération spontanée dans sa
nature propre, qui le fait Ici et non pas tel. La principale
difficulté devait consister dès lors a définir les rapports de
la causalité interne et do la causalité externe en observant
scrupuleusement leur signification respective ; on les dis-
tinguait en les rapportant à deux mondes dill'érents, lo
monde des substances ou des essences d'un côté, le monde
des apparences ou des phénomènes de l'autre ; on les rap-
prochait en admettant que la causalité externe exprime la
LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE 2l5
causalité interne, comme des apparences bien liées, des phé-
nomènes bien fondés expriment des êtres en soi. Enfin les
déterminations morales étaient ajoutées par une relation
analytique plus ou moins implicite à la reconnaissance
rationnelle de la causalité interne, de la causalité libre. Tel
csl, si l'on peut dire, le fond? que le rationalisme moderne
offrait à Kant sur le problème de la liberté : la solution que
lui-même en propose consiste moins à exclure ies concepts
traditionnellement usités qu'a les approfondir, les épurer,
et réformer le genre de relation établi entre eux. Sur quoi
se fonde la distinction des deux mondes, le monde de la
causalité externe et de la nécessité, le monde de la causalité
interne cl de la liberté? Do quelle manière peut-on con-
cevoir l'expression des êtres en soi dans et par les phéno-
mènes? Comment les déterminations morales se réfcrcnl-
elles à la liberté?
Tout d'abord, selon l'antithèse de la troisième antinomie,
la nécessité des lois naturelles ne peut souffrir aucune
exception; comme c'est elle qui fonde l'objectivité des évé-
nements, si elle venait à se laisser interrompre en quelque
endroit, tout moyen nous manquerait de distinguer le rêve
de la réalité. Or la liberté implique une dérogation absolue
à la nécessité des lois naturelles ; elle est en cfiet un pou-
voir de commencer inconditionnellement une action, c'est-
à-dire de produire un état qui, étant dynamiquement premier,
n'ait aucun rapport de causalité avec l'étal antécédent
de la même cause ; donc la liberté s'oppose à la nécessité,
comme l'irrégularité sans loi à la régularité de la loi;
cllo rend impossible l'unité do l'expérience ; cllo ne nous
affranchit do la conlrainto do la nature qu'en nous privant
du fil conducteur qui guide sûrement notre pensée. Dira-t-
on qu'on ne peut comprendre celle dérivation de phéno-
mènes se poursuivant à l'infini sans se rattacher à aucun
terme originaire ? Mais la nature a bien d'autres énigmes
que celle-là : comprcndrail-on mieux le changement, c'est-
à-dire une succession perpétuelle d'être et de non être, si
3l6 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. III, p. 3iG-3a3.
LA CRITIQUE DE LA R\1S0N PURE , 217
qu'avait déjà soutenu la métaphysique rationaliste, et
aussi que la liberté fonde le réel On son principe, tandis
que la nécessité lo fonde en ses dérivations. Celle solution
n'était grosso de l'antinomie développée par Kant quo
parce que la liberté et la nécessité étaient des concepts
objectivés sans critique sous la forme d'une connaissance,
et que le rapport en était établi in abstraclo en dehors de
leurs usagC3, uniquement selon le degré du savoir conco-
mitant. Et ainsi, pour s'unir, la liberté et la nécessité no
pouvaient que se contredire. Car les phénomènes, aux-
quels s'appliquait plus spécialement la nécessité externe,
étaient pris pour des choses en soi à l'état de manifestation
confuse: comment donc, hors d'un incompréhensible
syncrétisme, la nécessité pouvait-elle s'accorder avec la
liberté?
Entre la nécessité et la liberté l'accord n'est possible que
gruçc à la doctrine par laquelle Kant a définitivement
justifié la vieille distinction du mondo intelligible et du
inonde sensible. Du monde sensible il y a uno réalité em-
pirique certaine, fondée sur cette double condition, que
les phénomènes sont donnés en intuition sous les formes
a priori do la sensibilité et qu'ils sont enchaînés selon des
bis imposées par les catégories de l'entendement; mais
< ommo les formes do la sensibilité ainsi que les catégories
de l'entendement expriment la nalurc du sujet, il so trouve
que les phénomènes ne sont que des représentations ; étant
tels, ils reposent sur l'existence des choses en soi. 11 serait
donc faux do prétendre réduire l'existence du monde à sa
réalité empirique, puisque ce serait porter à l'absolu notre
entendement et notre sensibilité. En outre, c'est le sens
strict de la causalité, d'établir des rapports dynamiques
du conditionné à la condition, sans être tenue de repré-
senter ces rapports dans l'intuition sensible, dès qu'elle no
vise pas à uno connaissance ; commo alors clic ne conclut
a des objets quo pour leur existence, elle peut poser la
condition hors do la série des termes conditionnés. Ainsi,
2l8 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
grâce au caractère phénoménal, désormais pleinement
garanti, du monde sensible, grâce au caractère essentielle-
ment synthétique en lui-même du concept de causalité,
capable de souffrir l'hétérogénéité la plus extrême du
conditionné cl de la condition qu'il lie, le monde a à la
fois une réalité empirique et une réalité transccndanlale, et
les choses en soi qui constituent sa réalité transcendantalc
peuvent être considérées comme les causes de sa réalité
empirique'.
Hicn n'empêche donc d'identifier la liberté avec la causa-
lité des choses en soi. La liberté, en ell'el, au sens cosmo-
logique, c'est « la faculté de commencer de soi-même un
étal dont la causalité n'est pas subordonnée à son lour,
suivant la loi de la nature, à une autre cause qui la déter-
mine quant au temps. La liberté est, dans celle signifi-
cation, une idée transccndanlale pure qui d'abord ne con-
tient rien d'emprunté à l'expérience, et dont, en second
lieu, l'objet ne peut ôlre donné d'une façon déterminée
dans aucune expérience 2 ». C'est, en d'autres termes,
« l'idée d'une spontanéité qui pourrait commencer d'elle-
même à agir, sans qu'uno autre cause ait dû la précéder
pour la déterminer à l'action selon la loi de l'enchaînement
causal 3 ». Sur celle liberté transcendantalc est fondée la
liberté pratique, ou indépendance de notre volonté à
l'égard de toute contrainte des mobiles de la sensibilité. A
vrai dire, celle liberté pratique, telle que nous la révèle
l'expérience psychologique, a un contenu plus compliqué
et plus divers que celui qui est exprimé par l'idée de la
liberté transccndanlale ; et de plus, elle est directement
t. III, p. 309-370, p. 373-373. — Cairtl, qui dans sou livre The critical
philosophy of Immanucl Kant, expose cl critique lo kantisme d'un point do
vuo hégélien, note à co propos (II, p. G\) que la penséo puro chez Kant, hors
do l'intuition sensible, csl nnalvliquo, nue par conséquent un lel usage du con-
cept do causalité esl contradictoire. Niais il semble hicn que pour Kant les
concepts peuvent avoir un sens synthétique qui n'a besoin de 1 intuition sen-
sible que pour se convertir eu connaissance.
a. III, p. 371.
3. Ibid.
LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE 210
certaine. Mais elle suppose une spontanéité de l'action qui,
théoriquement envisagée, esl un problème, jusle le pro-
blème impliqué dans la conception d'une liberté transcen-
dantalc, comme condition première et inconditionnée
d'une série de conditions. Les difficultés inhérentes à la
question de la liberté sont d'ordre cosmologiquc et trans-
ccndantal, non d'ordre pratique; la certitude de la liberté
pratique nous avertit seulement qu'elles doivent être
résolues '.
Mais nous voyons comment elles peuvent l'être, cl nous
.
i. III, p. 374-375.
LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE 22 ï
schèmc du caractère intelligible ; ce que le caractère empi-
rique a de constant à co point do vue no lient pas à l'uni-
formité des conditions phénoménales, mais à l'unité do la
règle par laquelle se traduit la causalité do la raison !: il y
a donc un rapport pratique des deux caractères qui se
définit sous leur rapport spéculatif: mais c'est le rapport
spéculatif qui, selon la marche de la penséo kantienne, est
premier.
De la sorle, sous l'idée métaphysique des choses en soi
et de leur rapport avec les phénomènes, se développe une
interprétation de la causalité du vouloir humain, déter-
minée d'un côté par cette idée, de l'autre par co que con-
tient de nouveau la conception criticistc. Commo l'origi-
nalité do la conception criticistc est déjà dans la façon do
distinguer le monde sensible et le monde intelligible, elle
apparaît encore dans la façon d'établir la communication
des deux mondes ; tandis que les doctrines métaphysiques
restaient embarrassées dans leur effort pour relier la causa
sui ou les essences réelles à la réalité donnée, qu'elles
recouraient à des explications vainement subtiles, Kant
découvre dans la volonté la faculté qui, au lieu de repré-
senter cette liaison, l'accomplit; parla, on peut dire
qu'il soustrait son platonisme aux objections d'un Aris-
lolc ; il so défend d'inventer des symboles plus ou moins
arbitraires pour expliquer le passage du transccndantal à
l'empirique ; il les remplace par lofait do la démarche pra-
tique qui enveloppe une raison capable, non pas de com-
prendre par connaissance lWiginc des actes, mais d'en ôlre
cllc-mômo l'origine. Dès lors, si les concepts métaphysiques
dont il est parti n'ont pas subi en eux-mêmes do transfor-
mation radicale, s'ils pèsent encore de tout leur sens tra-
ditionnel sur le sens nouveau qu'ils peuvent recevoir de
leur application immanente, c'est par une tout outre mé-
thode qu'ils se vérifient et se fournissent un contenu.
i. Ht, p. 378.
3. III, p. 378.379.
LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE 223
rique ne peut prétendre à connaître dans la nature quo ce
qui a été, est, ou sera; en d'autres termes, ils impliquent
un rapport de nos actions, non pas à d'autres phénomènes
qui les conditionnent, mais à de purs concepts. Sans doute,
les actions en rapport avec ce qui doit être, avec de purs
concepts, ne se réalisent empiriquement que sous l'empire
des circonstances naturelles ; seulement ces circonstances
ne concernent pas la détermination de la volonté en elle-
même ; elles n'ont Irait qu'aux phénomènes qui la tradui-
duisent. Ainsi la raison, en tant que productrice de con-
cepts cl do principes, est douée de causalité ; loulou moins
devons-nous, pour expliquer le sons des impératifs, nous
la représenter comme telle 1.
Celte causalité de la raison apparaît donc en co que la
volonté procède selon une règle indépendante des lois de
la causalité empirique ; elle n'est pas garantie uniquement
par la valeur morale de celle règle. Même l'apparente
adoption des maximes suggérées par la sensibilité implique
leur subsomption sous une règle par pur concept ; elle fait
donc intervenir la causalité de la raison. « Que ce soit un*
objet de la simple sensibilité (l'agréable) ou un objet de la
raison pure (le bien), la raison ne cède point ou principe
qui est donné empiriquement ; mais elle se fait à elle-même
avec une parfaite spontanéité un ordre propre selon des
idées auxquelles elle va adapter les conditions empiriques,
et d'après lesquelles cllo considère même comme néces-
saires des actions qui cependant ne sont pas arrivées et
peut-être n'arriveront pas, en supposant néunmoiii.i de
toutes qu'elle possède la causalité à leur égard, car sans
cela elle n'attendrait pas de ses idées des effets dans l'expé-
rience*. » Tous les impératifs, quels qu'ils soient, four-
nissent donc la preuve immanente d'un caractère intelli-
gible dans l'homme, sans préjudice, bien entendu, de la
t. HI, p 3™.
a. Ht, p. 38o.
22/| l'V PHILOSOPHIE PRVTIQUE DE KANT
i. Ht, p. 38V
LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE 225
intelligible de la raison pure..... Cette liberté de la raison/
on ne peut pas la considérer seulement d'une façon néga-
tive comme l'indépendance à l'égard des conditions empi-
riques (car alors cesserait la facullé qu'a la raison d'être
uno cause do phénomènes), mais on peut aussi la caracté-
riser d'une manière positive commo uno faculté de com-'
mencer d'elle-même une série d'événements, de telle sorte
qu'on elle-même rien ne commence, mais que comme
condition inconditionnée de tout acte volontaire, elle ne
souffre sur elle aucune des conditions antérieures quant au
temps, bien que son effet commence dans la série des phé-
nomènes, mais sans pouvoir y constituer jamais un com-
mencement absolument premier 1. » Ainsi, bien que dans
le monde des choses en soi, rien strictement ne commence,
l'idée de premier commencement est tout à iail légitime
dans son application à la causalité du^vouloir ; elle exprime
cet usage analogique do la raison, dont parle Kant
ailleurs, et qui consiste à interpréter la réalité empiriquo
comme si elle devait répondre aux exigences des idées.
« Dans te cas où la raison même est considérée comme dé-
terminante (dans la liberté), par conséquent dans les prin-
cipes pratiques, nous devons faire comme si nous avions
devant nous, non un objet des sens, mais un objet de l'en-
tendement pur, où les conditions ne peuvent plus être po-
sées dans la série des phénomènes, mais hors d'elle, et où
la sérié des étals peut être considérée comme si elle com-
mençait absolument (par uno cause intelligible)'.'» Dans
un monde de phénomènes, qui, soumis aux lois de la cau-
salité naturelle,' ne comporte que des commencements re-
latifs et conditionnés, les actes volontaires doivent être
traités comme s'ils étaient des commencements absolus et
inconditionnés.
El c'est ainsi que les Iraito le jugement moral. « Pour
éclaircir le principe régulatif do la raison par un exemple
i. Ht, p. 383-383.-
a. III, p. 46o.
DELBOA I5
/
22Ô LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. III, p. 383-38',.
LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE 227
doit pourquoi l'objet tronscendantol do noire intuition sen-
sible externe ne donne quo l'intuition dans l'espace et pas
une autre : tout ce que l'on peut dire, c'est que pour un
autre caractère empirique, il eût fallu un autre caractère
intelligible'.
Ainsi la solution du problème de la liberté Iranscendan-
talc se termine par une nouvelle formule de la conception
qui en a élé le point de départ, à savoir l'identité essentielle
de nature entre les causes inconditionnées des phénomènes
naturels et les causes libres des actions humaines. En dé-
pit de la tendance que manifeste Kant à réclamer pour les
idées comme telles une vertu pratique efficace, l'idée de la
liberté reste sous l'empire de la chose en soi à laquelle elle
emprunte certaines de ses plus importantes déterminations;
avant d'être le principe rationnel dont la signification im-
manente est déterminée par la pratique, elle est la chose en
soi vuo sous l'aspect do sa causalité réelle, quoique incom-
préhensible. Aussi est-ce justement que l'on a montré la
métaphysique leibnizienno contribuant encore à déterminer
dans l'esprit de Kant la pensée du monde intelligible '.
Ces êlrcs en soi, qui se déterminent d'eux-mêmes à ôlre
ce qu'ils sont, sonl bien voisins des monades de Leibniz, con-
çus à la source éternelle de leur existence. Môme il faut
remarquer que sans l'inspiration rationaliste qui pénètre
l'affirmation des choses en soi, le rapport do l'idée à la choso
ne pourrait que frapper l'idée d'impuissance ; c'est la secrète
affinité do l'idée cl do la choso en soi, qui permet à l'idée
delà liberté do se rapporter aux choses en soi, non seule-
ment sans y perdre, mais plutôt pour y puiser d'une cer-
taine façon sa causalité. Parla on peut dire que l'existence
i. III, p. 381-385.
a. Renno Erdmann, Kant's Kriticismus, p. 73-74. V. également son édi-
tion des Prolégomènes, Einleitung, p. LXV. — II. Cohen donne indirectement
raison à cetto llicso quand il dit que le progrès do la critique a consisté a trans-
former les conceptions fantaisistes do la inonadologio on idées limitatives et
régulalives (Kants Rcgrùndung der Ethik, p. lia). Seulement, au moment
de la Critique de la liaison pure, ccllo transformation est loin d'être
accomplio
228 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE RVXT
i. III, p. 385.
LA CRITIQUE DE LA RAISOX PIRE 221)
i. III, p. 386-38g.
230 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KAXT
I. 111, p. '|23-.'l28.
a. « Cet argument mérito toujours d'èlro nommé avec respect. C'est lo plus
ancien, lo plus clair, le mieux approprié à la commune» raison humaine. Il
vivifie, l'élude do la nature en même temps qu'il en tient sa propre existence,
et qu'il y puiso toujours par la do nouvelles forces. 11 introduit des (lus et des
desseins là où noire observation ne les aurait pas découverts d'elle-même, et il
étend notre connaissance do' la nature au moyen d'un fil conducteur d'uno
unité particulière dont le principo est en dehors do la (îaturo. Or ces connais-
sances agissent à leur tour sur leur cause, c'est-à-diro sur l'idée/qui les pro-
voque, et elles fortifient la foi en un suprême auteur du mondo jusqu'à en
faire une irrésistible conviction. » III, p. 4a3-4a4>
3. II. Cohen (Kants Degrùndung der Ethik, p. g5) cl Aug. Stadlor
(Kants Tcleologie und ihro erkenntnisstheoretischeBedeulung, p. 36-43)
LA f.RITlQlE HE l.\ RALSOX PIRE stôl
do l'oxpérionco no roposo pas sur los phénomènos eux-
mêmes (sur la sensibilité touto seulo), mais sur l'en-
chalnomont do co qu'il y a do divers en eux par rentonde-
mout (dans uno aporcoption), et qu'on conséquence l'unité
do la suprémo réalité ot do la complèto détorminahilité
(possibilité) do toutes choses semblent résidor dans un en-
tendement suprémo, par suito dans uno intelligence'. »
Kant, selon uno tendanco dont nous voirons d'autres effets
dans la constitution de son syslèmo moral, no s'en tient pas
à co quo l'on pourrait appolcr lo formalismo vide do l'idée ;
il ost convaincu quo l'idéo tond à conquérir, selon uno dé-
duction progressive, dos déterminations do plus en plus
riches, on rapport seufomont avec l'usago positif de nos fa-
cultés.
Ainsi l'usago do l'idéo théologiquo est avant tout dans la
supposition a priori d'un ordre des fins tel qu'uno intelli-
gence peut lo concovoir et lo fonder , et grâce auquel, dans
la naturo mômo, uno voie sVmvre a la volonté pratiquo ot
à la moralité. Mais co qui laisse à cotte supposition, priso
dans son sons général, un caractèro hypothétique, c'est
qu'cllo no nous confère pas la puissance do déduire le par-
ticulier do la règle universelle ; cllo énonco comme un pro-
blème la tâche de l'y ramenor : do là, dans la relation de
l'ordre dos fins à l'affirmaliondo Diou, un certain caractèro
do subjectivité : on satisfait par là à un intérêt do la raison.
Mais s'il existe des règles universelles do la raison, posées
a priori, dont lo particulier doive so déduire (ot il on existe,
ont bien montré comment la théorie do la finalité dans la Critique du Juge-
ment n'a fait quo développer lo sens do la iroisiemo idéo transccndanlale.
Qu'impliquo en cfTet l'idéal transccndantal de la raison spéculative? D'abord
l'absoluo délorminabililé des choses; ensuite et en conséquence leur rapport à
l'idée d'un tout do, la réalité; enfin lo schémed'uno intelligence par laquollo on
atteint la plus haute unité formelle. Or la notion do finalité, selon Kant, a pour
objet d'établir l'intelligibilité du réel dans ses formes particulières les plus
éloignées do la généralité du mécanisme ; elle pose l'idéo du loul comme con-
dition da l'oxlstenjçe de; parties; et elle enveloppe l'affirmation d'uno intelli-
gence par laquelle seulo nous pouvons expliquer l'appropriation de la naturo à
nos facultés de connaître
i. III. p. 4oo, noie.
»3a LA PHILOSOPHIE PRATIQlE HE KANT
i. III, p. 429-430.
LA CRITIQI'E PB LA RAISON PPRE î»33
a. III, p. 4o3-4o4.
2.V| LA PHILOSOPHIE PRITIQI'E OE K \NT
rail moins d'en altérer lo naturel ; cl cetto miso à part do
la morale répondrait assez aux façons do voir plus anciennes
quo Kant dovait surtout à l'influence do lloussoau. Main-
tenant c'était surtout l'idéal ralionalisto systématique qui
était le plus fort : mais il était d'autant moins capablo do se
réaliser dans son intégrité quo pondant plus longtemps la
penséo do Kant avait considéré la valeur des conceptions
pratiques commo indépendante do toute organisation ration-
nelle. Aussi la Critique de la Raison pure, outre qu'elle
déclaro la moralo étrangère à la philosophie transcendan-
\
talo préscnto-t-cllo dans lo chapitre II do la Méthodologie
uno osquisso de philosophie moralo et religicuso qui, sur
certains points, est on désaccord ou no concorde qu'oxté-
ricuroment avec los tendances et les conclusions do la Dia-
leclique ; on maint endroit on remonto, somblc-t-il, vers
les conceptions et los formules des Leçons sur la Métaphy-
sique *.
D'abord l'intérêt spéculatif des idées do la raison y est
considérablement atténué au profit presquo exclusif do leur
intérêt pratique; la liberté du vouloir, l'immortalité do
l'Ame et l'existcnço de Dieu y sont conçues comme les fins
i. III, p. 538-5ag.
a. III, p. 5aG.
a. 111, p. 539.
4. III, p. 371..
236 l.\ PHILOSOPHIE PRATIQl'E DE KANT
i. III, p. 53i.
a. III, p. 53o.
3. III, p. 3ao.
4. III, p. 53i.
l\ CRITIQUE DE IV RAISON PURE 287
sensible do désirer '. )) Quolquo relation qu'elle ait aveo la
raison, cotto liberté qui s'on inspiropour savoir co qui, par
rapport à nous, mérita d'élro désiré, « co qui est bon et
profitable », n'ost quo la liberté fondéo sur la clarté intol-
lecluollo dos motifs ; o'ost dono par une superposition assez
injustifié quo Kanl passo do la raison qui nous instruit sur
les meilleurs objets du désir à la raison qui promulgue des
lois pratiques pures, nettement distinctes do tout comman-
dement empiriquement conditionné • : lois do la liberté
vraiment objectives, exprimant co qui doit arriver, tandis
quo les lois naturelles no portent quo sur co qui arrivo 3.
« J'adniots qu'il y a réollement dos lois pures, qui déter-
minent entièrement a priori (sans tenir compte des mobiles
empiriques, c'est-a-diro du bonheur) ce qu'il faut fairo et
no pas fairo, o'ost-à-dire l'usage do la liberté d'un ôlre rai-
sonnable en général, quo ces lois commandent absolument
(et non pas seuloment d'uno façon hypothétique sous la
supposition d'autres fins empiriques), et qu'ainsi elles sont
nécessaires à tous égards. Je puis supposer à bon droit
celte llièso on m'autorisant, non seulement dos preuves
fournies par les moralistes les plus éclairés, mais encoro du
jugement moral do tout homme, quand il veut se repré-
\
senter clairement uno loi do ce genre » Ces lois morales
pures témoignent do la puissance qu'a la raison de faire
plus qu'unifier on des formules pragmatiques des maximes
ompiriques de prudence, do constituer une unité systéma-
tique absoluo des actes humains.
Mais entre ces lois pures et la liberté pratique, telle que
Kant l'a entendue, quel rapport peut-il y avoir? Une cer-
taine hétérogénéité subsiste évidemment, et ne pourrait ôtre
effacée que si, dans la liberté pratique, la faculté de se
déterminer indépendamment des impulsions sensibles était
1. III, p. 53o.
a. III, ». 5ao.
3. III, P. 53o.
4. III, p. 533.
a38 i..\ riinosoruiF. PRATIQUE DE KANT
i. III, p. 53a.
'
a. III, p. 533.
3. III. p. 53G.
•
'.
4. « Ces problèmes (la liberté, l'immortalité, Dieu) ont à leur tour uno fin
plus éloignée, savoir ce qu'il faut faire, si la volonté est libre, s'il y a un Dieu
et une vie future. » III, p. 5ao.
5. III, p. 53a.
I.A CRITIQUE DE l\ RAIS0X PURE flSfl
i. III, p. 534-535.
9^0 I.A PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KAST
i. III, p. 535.
a. III, p. 536..
IV CRITIQUE DE I.A RAISON PIRE U^l
i. Ibid.
s. III, p. 538.
DKLBOS IG
2/| 2 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KAXt
t. III, p. IV'IO.
a. III, p. 64i'5.t?.
3. M, p. 5',3-ô.vl
^2/|4 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. lit, p. 510.
LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE 2^5
F
leure preuve de la vérité d'une philosophie, quo sur les fins
essentielles de l'action humaine, elle justifie des idées qui
ne sauraient être, sans perdre leur sens, conférées par
privilège 1?
• *
Est-ce la môme pensée qui a institué cette discipline
savante et compliquée de la raison théorique, et qui ac-
cepte ti son terme, dans leur signification la plus spontanée
et la plus simple, les convictions pratiques do l'humanité?
Oui certes, et il ne se peut que l'on no soitpas frappé do la
grandeur de l'effort qui a lié en une doctrine deux disposi-
tions d'esprit aussi diverses. Un système nouveau est
fondé, nouveau à coup sur par rapport aux philosophics
antérieures, nouveau aussi a bien des égards par rap-
port aux conceptions précédentes de Kant. Ce n'est pas
seulement une certaine organisation d'idées qui a prévalu :
organisation importante d'ailleurs déjà par son seul for-
malisme, puisque l'on sait h quel point la « systéma-
tique » de Kant a agi sur la détermination doses concepts1,
C'est une idée mai tresse qui se produit, et qui s'établit
désormais, comme une force h la fois de combinaison et
d'expansion, au centre de l'oeuvre kantienne : c'est l'idée,
que la raison, la raison souveraine, est pour nous acto,
non représentation, et qu'elle ne peut faire valoir ses
notions propres que dans des usages définis par les condi-
tions mémo do notre expérience scientifique et de notre
action pratique. Cependant ces notions mêmes restent celles
qu'ont reconnue les métaphysiciens de tous les temps,
surtout Platon et Leibniz, et il arrive que le sens tradi-
tionnel en domine encore la méthode qui les actualise 3.
i. m, n. 540-547.
a. Cf. Adickes, hanta System a lit; als sytlembildcnder Faclor.
3. Il Y a une part de vérité dans rinlcr|tr<$taliotfmjoPflulsena donnée du kan-
tisme (V. Kant, surtout p. a37-a8a, — V. aussi l'article justificatif des Kant-
sludion, h'anls Vcrlt&Uniss tur tMelnphysik, IV, p. 4»3-M7), malgré les cri*
tiques plu» yic vives qu'elle a soulevées (V. notammentl'article do Goîdsclimidt,
2^6 LA riIILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
Ainsi la notion d'un mondo intelligible, c'est essentielle-
ment la notion d'un monde do choses en soi qui, tout en
restant inconnaissables, n'en imposent pas moins h l'usago
delà raison certaines do leurs déterminations î le monde
des idées, dans l'acception que Kant donne a ce dernier
mot, demeure au-dessous du monde des choses en soi, et,
au lieu de le réduire, doit l'exprimer analogiquement ;
c'est donc par delà elle-même que l'idéo de la liberté,
expression suprême do la raison dans son application im-
manente, cherchera le fondement de sa réalité, et tournée
vers la chose en soi, elle laissera subsister entre clic et la
liberté pratique un dualisme encore irrésolu. On com-
prend par la quo la pensée de Kant ait dû se porter dans
la suite avec insistance sur lo point on s'établit» avec la
limitation, la communication possible du monde des phé-
nomènes et du monde des choses en soi, au 'point on
les idées de la raison s'exercent activement ; les choses en soi
ont été plus positivement intégrées dans le système, mais
en se laissant déterminer davantage par la fonction des
idées au lieu de la déterminer davantage. Enfin la loi
morale, dans la Critique de la Raison pure, apparaît assez
imparfaitement définie entre la liberté transcendantalc
qu'elle justifie pour ainsi dire en dessous et la liberté pra?
tique qu'elle règle en dessus ; elle est encore caractérisée
par des attributs trop formels pour établir entre les deux
sortes do liberté la relation interne ou l'identité par la-
quelle so constituera lo principe suprême de la philosophio
pratique do Kant, et indirectement de la spéculative : la
Critique de la liaison pure no contient pas encore lo mot,
ni explicitement l'idée d'autonomie.
Kants Voraussetzungen und Professor Dr. JPr. Patdsen dans l'Archtv fur
svilomatisclio Philosophio, Y, p. a86-3a3.) La pensée do Kant s'est certaine-
ment dévoloppéo sur un fonds do concepts métaphysiques qu'cllo a,retenus;
mais Paulsen a tort do croire quo la méthode kantienne en justifiant autrement
ces concepts n'en a pour ainsi dlro pas modifié lo sons; il est ainsi amené à
représenter commo des pensées après la Critique des pensées certainement
antérieures, dont les principes posés par la Critique devaient réduiro peu à
peu la signification traditionnelle.
CHAPITRE II
i. p. 653.
111,
a. Lo 17 novcmhro 1781, Harlknoch, l'éditeur do 1A Critique, demandait
à Kant do tut réserver la publication do sa Métaphysique des moeurs et do sa
Métaphysique do la nature, firiefwechsel, I, p. aOi.
3. Nous savons p?v Hamann qu'au commencement de 178a, Kant s'occupait
activement d'établir tes principes de la Métaphysiquodes moeurs. — Ed. Hotli,
VI, p. a30.
2/|8 l.A PHILOSOPHIE P1UTIQIE DE KANT
exposé plus simple et plus clair do sa pensée. Dès lo mois
vd'auût 1781, il songeait à un résumé populaire de la Cri-
tique. On sait combien il fut ému, lorsque le compte rendu
des « Gôttinger gelehrle Amcigen, » écrit par Garvc, rac-
courci et modifié par Fcdcr, vint en janvier 1782, entre
autres objections, lui reprocher son idéalisme. Au besoin
do se faire comprendre s'ajoutait pour lui le besoin de se
justifier. De là sortirent les Prolégomènes. Elait-cc le ré-
sumé auquel il avait songé, uniquement corrigé et complété
pour répondre h l'article en question'? Toujours est-il
que l'ouvrage nouveau, plus élégant et plus lucide, s'ap-
pliquait h présenter sous une forme analytique co que la
Critique de la liaison pure avait présenté sous uno forme
synthétique.
Sur les problèmes moraux et religieux, les Protégomènes
n'ajoutent sans doute strictement rien de nouveau a ce que
contenait la Critique ; mais par ce qu'ils omettent ou co
qu'ils font ressortir, ils indiquent en quel sens Kant pour*,
suivait la détermination de sa pensée, llemarquons d'abord
que les conceptions auxquelles ils se réfèrent ne sont pas
celles qui so trouvent dans le Canon de la Raison pure,
mais celles qui sont comprises dans la Dialectique ; ils rat-
tachent la moralité au système des idées; ils ne définissent
pas la liberté pratique en dehors de la liberté transcendan-
talc*. Le souci plus direct ou plus technique que Kant
avait h ce moment des questions morales a pu, de concert
avec lo désir qu'il avait de défendre son oeuvre contre les
méprises des critiques, lo pousser a traduire en formules
plus réalistes la notion des limites de l'expérience et a
établir plus catégoriquement, a l'intérieur de sa doctrine,
i. 111,p. dpo.
a. ttenno Erdmann, Prolegomena, Ëinleitung, p. VIJ Kants Kritieif
mus, p. 80.
3. Y. surtout la dernièro partie, dans laquelle Philon semble retirer certaines
des objections qu'il avait faites. — V. aussi la lettre do ltcme à Gilbert
Elliot do Minto (to mars 1751). dans laquelle il déclaro avoir voulu fairo do
Cleantho (l'orthodoxe anthropomorphlsto) lo héros do ses Dialogues. Burlon,
Life and Correspondenee of David Hume, tidinburg, i8.iû, I, p. 331.
4. The philosophieal Works of David Hume, Ëdinburgh, 11 (tSGÔ) ;
a» partie, p. \\o.
5. a* partie, p. Ut sq.
2Ô2 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. 5e partie
a. 10e et tic parties.
3. 4e. 5<\ G1', 7e et 8* parties.
4. Vorlesungcn nber die Metaphysik, p. a-ja.
5. « Aucune créature no peut d'aucune manière saisir Dieu dans une Intui-
tion, elle peut le connaître seulement par le'rapport qu'il a au monde. Par con-
séquent nous no pouvons pas connaîtra Dieu comme il est, mais commo il se
rapporte au monde en tant que principo do co monde ; c'est co qu'on appelle
connaître Dieu par analogie... L'analogie est uno proportion entre qualro
termes dont trois sont connus et le qualricmo inconnu... Nous disons donc i Le
rapport qu'il y a entre les objets des choses et ce que nous hommons en
nous entendement, c'est le rapport même qu'il y a entre tous les objets
possibles et l'inconnu en Dieu, que nous ne connaissons nullement et qui,
loin d'être constitué comme .notre entendement, est d'un tout autre genro »,
p. 3io-3u.
LES PROLÉGOMÈNES 253
piriqucs, même pratiquesl. Mais en même temps il justifiait
une autre sorle d'anthropomorphisme, un anthropomor-
phisme, comme il disait, « plus subtil ». En effet l'affirma-
tion de Dieu, comme principe de l'unité systématique du
monde, ne peut poser son objet qu'en idéo ; elle no se laisse
pas déterminer par les catégories puisque les catégories ne
conviennent qu'aux phénomènes et requièrent, pour êtro
appliquées, une intuition ; mais elle peut se laisser sché-
matiser par analogie avec des objets do l'expérience ; dire
en ce sens quo nous concevons Dieu comme uno intelli-
gence suprême, ce n'est pas dire qu'il est tel en soi, mais
que nous devons nous le représentai' comme tel par rapport
au monde 8.
Les Prolégomènes confrontent directement les idées de
Kant avec la critique de Hume. La raison conçoit Dieu
comme l'Ltrc qui contient le principe de toute réalité. Mais
veut-elle le penser par de purs concepts de l'entendement ?
Elle ne pense alors rien de déterminé. Selon la juste re-
marque de Hume, il faudrait ajouter aux prédicats ontolo-
giques (éternité, omniprésence, toute-puissance) des pro-
priétés qui définissent l'idée de Dieu in conereto. Or ces
propriétés ne pourraient être qu'empruntées h l'expérience ;
elles seraient dès lors en contradiction avec l'idée à laquelle
elles apporteraient un contenu/Sij'attribue il Dieu unenten-
dement, sous quelle forme sera-ce? Je no connais positive-
ment qu'un entendement tel qu'est le nôtre, assujettie rece-
voir les objets de l'intuition sensible avant de les soumettra
aux règles do l'unité de conscience. Si je sépare l'entende-
ment de la sensibilité pour obtenir un entendement pur, je
n'ai plus qu'une forme de la pensée sans intuition, incapable
pur conséquent de saisir des objets ; car d'un entendement
qui comme tel aurait une intuition immédiate des objets je
n'ai aucune idée. De même, la volonté que je poserais en
t. 111, p. 433.
a. 111, p. 45t-45a, 40o-4Gi, 4O8-4Û0.
2É>/|
LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. Kant no semble donc pas êtro encore arrivé a la pleine conception d'une
volonté puro.
LES PROLÉGOMÈNES s55
termine Dieu par des concepts contradictoires avec son
essence, ni qu'on le laisse indéterminé au point où uno
détermination est possible pour nous et nous intéresse. A
l'origine de cette critique il y a un principe juste, mais in-
complet : à savoir, quo nous no devons pas pousser l'usage
dogmatique de la raison au delà du domaine do l'expé-
rience possible. Un autre principe doit intervenir, qui a
entièrement échappé à Hume : à savoir, que nous ne devons
pas considérer le domaine de l'expérience possible comme
une chose qui, au regard de la raison, se limite elle-même ;
ce qui limite l'expérience doit être en dehors d'elle, et peut
soutenir avec elle des rapports délcrminablcs par analogie \
L'insistance avec laquelle Kant marque sur ce sujet l'op-
position de sa pensée à celle do Hume, dans l'ouvrage où il
a dit le plus explicitement ce qu'il devait à Hume, s'explique
sans doute par la crainte do voir opérer quelque rappro*
chôment entre les réserves de sa Dialectique contre lo dog-
matisme et les aperçus sceptiques de Hume en matière
religieuse. Le public eût pu croire quelo« Hume prussien»
suivait en tout lo Hume écossais. Et d'autre part Kant, en
train do poursuivre les conséquences pratiques de sa doc-
trine générale, se devait à lui-même do signifier qu'elles
l'entraînaient dans une tout autre voie *.
Cependant les Prolégomènes n'esquissent môme pas une
doctrine positive do la moralité ; ils so bornent à rappeler
les services quo la discipline critique rend à la morale ;
gr&co à cette discipline, les idées transccndantalcs no doivent
plus nous égarer dans des connaissances spécieuses et dia-
lectiques ; mais la nécessité de les concevoir n'en reste pas
moins bien fondée et témoigne d'une disposition métaphy-
sique do la raison qui, comme telle, est invincible. Il reste à
découvrir le vrai domaine d'application do ces idées, qui
est la morale, « Ainsi les idées transccndantalcs, si elles no
t. IV, p. io3'ton.
a. Cf. uenno Erdmann, Prolegomena, tiinleilung, p. cviu.
256 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
a. tre édition,
1817 ; ac édition, i83o. — Nos renvois se réfèrent à la deuxième édition.
3. Ed. îloth, VI, p. 354. — Cf. Em. Arnoldt, Kritische tixeurse,
p. 59i«5nG.
4. V. Waltcr B. Watcrman, Kant's Lectures on the philosophical theory
of Religion, Kantstudicn, lit, p. 3oi-3io.
5. Jo m'étais adressé a M. lo Prof. Iteinte, chargé do préparer uno partie do
l'édition nouvclto des oeuvres do Kant, pour savoir s il n'avait pas quelque
manuscrit permettant do fixer par des signes externes la dato dos Leçons sur
la doctrine philosophique de la Iteligion ; M. lo Prof. Hcinzo a Lion voulu
me répondre qu'un cahier qui a été conservé, et qui donne presque entière-
ment le même texte que tes Leçons, indique commo dato du commencement
des leçons, lo t3 novembres 1783. Go renseignement est confirmé dans la de.'*
ntero édition (IXe) du Grundriss d'Uehcrweg Itoinzc, 111, 1, p. ag5. — À
remarquer que ces Leçons contiennent quelques passages, p. 05*07, 70-71»
littéralement reproduits do la Critique de la liaison pure, 111, p. 4i3-tt4,
/I7-.Î18.
LES LEÇONS SUR LA DOCTRINE DE LA RELIGION 9.5f
Ces Leçons faites d'après Baumgarten et Eborhard ont de
grand4flWnités avec la partie des Leçons sur la Mélaphy-j
sique commo avec la partie de la Crilique*de la Raison pure
qui sont consacrées à la théologie rationnelle. Elles repro-
duisent les mômes grandes divisions do cette théologie en
théologie transcendantale, théologie naturelle et théologie
morale. La théologie transcendantale, qui essaie de dériver
d'un concept l'existence d'un Être nécessaire.1, nous pré-
sente de Dieu uno idée à coup sûr très épurée, mais très
pauvre; elle est surtout, par rapport aux autres sortes do
théologie, propédeutique ; par son caractère strictement
rationnel, elle exclut l'anthropomorphisme, mais au prix de
toutes les déterminations de Dieu qui nous intéressent ; le
déiste qui s'en contente n'est guère en accord avec la con-
science du genre humain 2. La théologie naturelle nour^four-
nit, elle, an lieu d'une substance éternelle agissant aveuglé-
ment, un Dieu vivant, cause do toutes choses par son
intelligence et sa liberté 3. Elle ne peut d'ailleurs nous en
présenter le concept que comme une hypothèse nécessaire
de la raison, qui ne saurait sans danger se convertir en une
explication directe des phénomènes de la nature. Elle do.t
se tenir en garde contre ce qui est son vice naturel, l'anthro-
pomorphisme, non seulement contre l'anthropomorphisme
grossier qui, en prêtant à Dieu une figure humaine, trahit
trop visiblement son défaut, mais encore contre l'anthro-
pomorphisme subtil, qui en rapportant à Dieu des attributs
de l'homme, néglige d'affranchir ces derniers de leurs
limites \. Co n'est pas à dire cependant qu'il nous soit dé-
fendu de rien aflirmer de Dieu qui nous intéresse ; et, comme
dans les Prolégomènes, Kant combat les objections de Hume
contre le théisme. Ici, il les combat comme contradictoires
avec la finalité de l'univers. Le monde en général, surtout
t. P. a3; p. 36osq.
a. P. lO.
3. P. i5t p. oO.
4. P. o3*of.
DKI.HO» 17
258 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. P. Q4;
Si. p. 133-190.
a. P.
3. P. 3t*3a; |>. i39»iio; p. 150-157.
LES LEÇONS SUR LA DOCTRINE DE LA RELIGION 200
de pouvoir réaliser cette union, les preuves spéculatives
n'ont pas résisté à la critique. Mais, à défaut d'une intuition
qui la vérifie, et qui, si elle nous était donnée, aurait pour
effet de nous soumettre aux mobiles de l'espoir et de la
crainte, l'idée de Dieu peut se rapporter à la condition de
l'agent qui doit obéir au devoir, et c'est par là qu'elle se
détermine, non plus théoriquement, mais pratiquement.
Elle est donc justifiée dès qu'elle se rattache, non pas seule-
ment à des besoins subjectifs, mais à des données objectives
de notre raison ; or les impératifs moraux constituent des
données de ce genre, aussi certaines que celles qui en ma-
thématiques érigent des suppositions en postulats. Nous
dirons donc que'l'existence de Dieu est un postulat néces-
saire des lois irréfragables de notre nature propre et que la
foi qui s'y attache est en elle-même aussi certaine qu'une
démonstration mathématique 1. Cette évidence pratique ne
crée pas dans le sujet une disposition à mettre l'affirmation
de Dieu au-dessus de la loi morale prise en elle-même *,
mais simplement à rendre la loi efficace comme mobile \
Kant insiste sur le danger qu'il y aurait à faire dépendre la
morale de la théologie, à confondre par exemple la théologie
moralcaveclamoralethéologiquel;maisilneparaîtpascncore
avoir découvert* parmi les motifs de notre conduite en con-
formité avec le devoir, ceux qui doivent,nous déterminer
immédiatement. Ce 4u'il met en relief, c'est lo caractère à
la fois rationnel et pratique de la croyance en Dieu, pour
laquelle se trouve désormais tout à fait consacré le terme de
postulat.
La croyance morale porte plus que sur l'affirmation de
Dieu ; elle porte également sur l'affirmation de la liberté et
sur celle d'un monde moral ; par ces trois affirmations,
d'ailleurs étroitement connexes, clic nous élève à une idée
i. P. 39-34 ;p. i4» » p. 159-tGo.
9. » Dieu est en quelque sorte la loi morale même, mais personnifiée »,
p. i40.
3. P. 4 5 p. th
4- P. 17:
260 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
t. P. i45.
9. P. n3-n4.
2Ô2 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. P. 189.190.
3. P. i45.
LES LEÇONS SI II LA DOCTRINE DE LA RELIGION 2Ô3
LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE
1. IV, p. 135-139.
LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE 267
naissance, toute affirmation implique une part de vérité,
même l'affirmation d'apparence la plus erronée ; il n'y a
pas d'erreur absolue ; ce que l'homme affirme, au moment
oùil l'affirme, est pour lui une vérité :1e redressement d'une
erreur se lait par l'apparition d'idées qui manquaientencore;
la vérité d'autrefois devient erreur parle progrès môme do la
science ; 3*il y a uno critique de la raison par elle-même,
elle ne saurait avoir lieu tandis que la raison affirme, mais
plus tard, quand la raison n'est plus au même point et
qu'elle a acquis do nouvelles lumières. Enfin, dans l'ordre
de l'action pratique, la vertu et le vice n'ont rien d'essen-
tiellement distinct ; ils n'expriment qu'un degré inférieur
ou supérieur de perfection ; ils résultent d'une inclination
fondamentale, qui est l'amour de soi, déterminée, tantôt
par des sensations obscures, tantôt par des représentations
claires ; le repentir est absurde, dès qu'il signifie, au lieu
d'une disposition à agir désormais autrement, la croyance
quo l'action aurait pu être autre dans le passé. Il n'y a pas
de libre arbitre ; la volonté est soumise à la loi stricte de la
nécessité : heureuse doctrine, selon l'auteur, et qui donne
à la morale tout son prix, qui justifie la sagesse et la bonté
divines par lo progrès assuré de toutes les créatures vers
la perfection et le bonheur. Et il est fort vrai que l'on peut
avec do pieuses intentions aller jusqu'à une telle doctrine,
et même plus loin : témoin Pricstley en Angleterre. Mais
ce n'est pas une raison pour adhérer à ce fatalisme univer-
sel, qui « convertit toute ta façon d'agir de l'homme en un
simple jeu de marionnettes » et qui «détruit entièrement
le concept d'obligation». « Le devoir (das Sollen) ou l'im-
pératif qui distingue la loi pratique de la loi naturelle nous
place aussi en idée tout à fait hors delà chaîne de la nature,
tandis que si nous no concevons pas notre volonté comme
libre, cet impératif est impossible et absurde1.» Tout en
ne voulant considérer ici quo la liberté pratique, liée à la
i. IV, p. i38.
268 LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
i. Ibid.
a. IV, p. i3o.
LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRB 269
i. IV, p. i56.
a. JVerke, IX, p. 4i- — V. également IX, p. a6 sq. ;-VI, p. 38a.
I.A l'Illl.OSOpHII' |)K l.'lllSTOIHK 373
considérant en gros lo jou do la liberté do la volonté hu-
mai no, ollo puisse on découvrir uno marcho régulière ot
quo, do la sorto, co qui dans los sujots individuels frappo
les yeux par sa confusion ot son irrégularité, dans l'onsom-
blo do l'espèce puisse être connu commo un développe-
ment continu, quoique lent, dos dispositions originelles.
Ainsi, los mariages, les naissances qui on résultant, et la
mort, en raison de la si grande influence qu'a sur ces phé-
nomènes la libre volonté des hommes, paraissent n'étro
soumis h aucune règle qui permette d'en déterminer d'a-
vanco lo nombro par un calcul ; et cependant les tables
annuelles qu'on en drosse dans les grands pays démontrent
qu'ils so produisent d'après des lois naturelles constantes,
aussi bien que ces incessantes modifications de l'atmosphèro,
dont aucuno no peut être prévuo en particulier, mais qui
dans l'ensemble no manquent pas a assurer dans un train
uniforme et ininterrompu la croissance des plantes, lo
cours des fleuves et tout lo reste do l'économio naturelle.
Les indÎA'idus humains et mémo les peuples entiers no
s'imaginent guère qu'en poursuivant, chacun selon sa
façon devoir et souvent l'un contre l'autre, sa fin propro,
ils vont à leur insu dans lo sens d'un dessein do la nature,
inconnu d'eux-mêmes, qui ost commo leur fil conducteur,
et qu'ils travaillent à l'exécuter, alors que s'ils le connais-
saient, ils n'en auraient qu'un médiocre souci. Comme
les hommes dans leurs efforts n'agissent pas dans l'ensem-
blo en vertu du seul instinct, tels que les animaux, qu'ils
n'agissent pas davantage selon un plan concerté, tels que
des citoyens raisonnables du monde, il no semble pas qu'ils
aient une histoire régulièrement ordonnée, comme celle,
par exemple, des abeilles et des castors... Il n'y a ici pour
le philosophe d'autre ressource que celle-ci : puisqu'il ne
.
peut pas supposer en somme chez les hommes et dans le
jeu do leur activité le moindre dessein raisonnable qui leur
soit propre, c'est de rechercher si dans cette marche absurde
des choses humaines il ne pourrait pas découvrir un dessein
DELBOS 18
•*mt!\ \.\ piniosopiiii: PIUTIQII: m: K\vr
de la /M/HIV: d'où résulterai! pour des créatures qui agissent
sans plan à elles la possibilité d'une histoire qui serait cepen-
dant conforme à un plan déterminé do la nature. Nous
allons voir si nous pouvons réussira trouver un fil conduc-
teur pour une (elle histoire, laissant à la nature le soin de
produire l'homme qui soil à même do la comprendra selon
celte idée. C'est ainsi qu'ello produisit un Kepler, qui sou-
mit d'une façon inattendue les orbites excentriques des pla-
nètes à des lois déterminées, et un Ncwlon, qui expliqua ces
lois par une cause générale do la nature l. »
L'application de la raison à l'histoire est tout d'abord
liée à l'aflirmalion de la finalité. Toutes les dispositions
naturelles d'une créature sont déterminées do façon à arri-
ver un jour à un développement complet cl conforme à
leur but. S'il élail possible d'admeltrc un organe sans
usage, une tendance manquant sa fin, la doctrine léléolo-
gique do la nature so trouverait contredite ; pour un jeu
sans dessein, il ne pourrait y avoir d'explication ; il n'y
aurait plus (pie le hasard « désolant». Mais chez l'homme
toutes les dispositions naturelles ont pour but l'usage delà
raison : d'où il suit que le développement de <ces disposi-
tions ne peut se produire chez lui commo chez les autres
êtres vivants. En effet, la raison est la facullé de dépasser
les limites de l'instinct naturel ; elle no peut pas être bornée
par avance dans son extension ; au lieu de s'exercer avec
une surelé et une précision immédiates, elle doit tâtonner,'
s'instruire, se créer des ressources, conquérir lentement sa
clairvoyance ; dès lors, pour qu'elle arrive à la plénitude
de son développement et de sa fonction, la vie de l'individu
apparaît infiniment trop courte ; il faut que son progrès se
poursuive à travers des séries innombrables de générations,
capables de se transmettre de l'une à l'autre leurs lu-
i. IV, p. I'I3-I/|.'|. — Lorsque Kant parle ici d'un dessein ou d'une loi do
la nature, qu'il traduit souvent aussi par la sagesse de la Providence, il n'a pas
dans l'esprit la nature telle qu'elle est comprise par lès catégories, mais pour
ainsi dire la nature en Idée, — l'ordre des choses selon la raison, non selon
l'entendement.
I..\ PHILOSOPHIE DK I.'lllSTOIHK 9^5
mièros 1, A l'ospèco seulo sont réservés los pouvoirs ot los
moyens do fairo épanouir les germes originairement déposés
on l'hommo ; l'cspèco soulo peut et doit assuror l'avènement
définitif do lo raison. « Autrement les dispositions natu-
relles devraient êtro considérées pour uno grande part
comme vaincs cl sans but; co qui détruirait tous les prin-
cipes pratiques cl co qui par là rendrait suspecta d'un jeu
puéril en l'homme seul la nalurc, dont la sagesso doit
servir do principe au jugement do tout lo reste do l'écono-
mie'. » D'autroparl, en dotant l'homme do la raison ot do
la liberté, la nature s'est dispenséo do pourvoir à tout co quo
la raison et la libellé sont en état do procurer; mesurant
ses dons aux stricts besoins d'uno existenco commençante,
elle no s'est pas préoccupéo do rendra l'homme heureux et
parfait ; elle a voulu que l'art d'organiser sa vio et de rem-
plir sa destinéo lui fût activement confié, et que sa pcrfcc«
lion fût son oeuvra commo son bonheur. Elle lui a laissé
lo mérita en mémo lemps quo l'obligation do l'effort sou-
vent pénible qui devait l'élever d'uno grossièreté oxtrômo
à la plus industrieuse habileté ; elle s'est souciée, non qu'il
eût une vie aiséo ot contente, mais qu'il pût s'en rendra
digne, elle a voulu qu'il pût conquérir moins des jouissan-
ces qu'une estimo do lui-même fondée sur la raison \
Pour le forcer à développer ses dispositions en so sens,
clic use d'un moyen détourné, mais sûr; elle stimule ces
deux penchants contradictoires qu'il y a en lui, et dont l'un
le porta à se réunir en société a\Tec ses semblables, dont
1. IV, p. i'17-1.',8.
2. Co progrès, selon VAnthropologie éditée par Starko, no peut aller quo
du mal au bien, car lo mal so détruit lui-même, n'étant capable de susciter
directement quo les moyens do lo surmonter, tandis quo lo bien s'étend et
s'accroît indéliniment, p. 36g.
978 i.\ Piiii.osopiiii: PHVIH.MI: m: K\NT
différence do Ilcrdcr qui so plaît à fairo ressortir dans leur
ensemble tous los facteurs cl tous les aspects do la civilisa-
tion humaine, no retient commo produit essentiel do révo-
lution des hommes en société que l'idée et lo fait d'un sys-
tème social régulier, c'csl-à-diro d'uno constitution civile
qui fonde cl fait régner universellement lo droit. Il subor-
donne en tous cas les autres formes de la vie spirituelle à
celle détermination pratique. Le progrès humain a pour
tenue spécifique l'établissement de la liberté. Mais la liberté,
si on la considère en chaque individu, ne peut s'exercer
qu'en subissant la limite do la liberté d'aulrui ; cllo n'échappe
à celle contrainte et elle ne conquiert la protection qui lui
est due qu'en se disciplinant elle-même, c'csl-à-diro en ac-
ceptant la règleextérictire, sanctionnée par un irrésistible pou-
voir, qui à la fois l'assure la plus grande possible cl en circon-
scrit l'usage pour chacun des membres de la société'. C'est
précisément celle transition de la liberté sauvage et sans
frein à la liberté gouvernée en mémo temps que garantie par
la loi, qu'opère la concurrence forcée des hommes. Ennemi
des penchants mêmes que d'abord elle croit servir, la vio-
lence doit de plus en plusse réduira elle-même au profit do
l'ordre juridique par lequel la volonté générale s'impose aux
volontés particulières*. Mais toujours prêle pendant long-
temps à faire de nouveau irruption , elle a besoin d'être con-
tenue par autorité: il faut à l'homme un înailrc. Cependant
ce maître, inlcrprèlcclgaraul delà volonté générale, chef su-
prême do la justice, qu'il soit un ou plusieurs, n'en est pas
moins un homme, sujet à se laisser entraîner par les mêmes
passions injustes qu'il est chargé de réprimer. Quel maître
aura-t-il à son tour pour le forcer à la justice 3? Si donc
c'est le plus grand problème pour l'espèce humaine d'arri-
ver à rétablissement d'une constitution fondée sur le droit,.
i. IV, p. i46-i4n.
a. V. Victor Dclbos, Les idées de Kant sur la paix perpétuelle, Nou-
velle llevuo, 1" août 1899, CXIX, p. 4io-4ag.
a8o i.\ PH.IMISOPIIII-: PHVTIQIK I»I: KA\T
conflit des peuples, au lieu d'apparaître commo un rêve im-
médiat do bonheur. « Si chimérique que puisso paraîtra cotta
idéo, et do quclquo ridicule qu'on l'ait poursuivie comme
telle chez, un abbé do Saint-Pierre ou chez un Housscau
(peut-être parce qu'ils la croyaient trop près do so réaliser),
c'est l'inévitable moyeu do sortir de la situation où les hom-
mes so niellent les uns les autres, et qui doil-forcor les Etats,
quelque peine qu'ils aient à y consentir, do prendre juste la
résolution a laquelle fut contraint, tout autant coulro son
gré, l'hommo sauvage ; je veux dira renoncer à sa liberté
brutalo cl chercher repos cl sécurité dans une constitution
régulière1-. » Ainsi l'histoire de l'cspèco humaino serait l'ac-
complissement d'un plan secret do la nature en vue de pro-
duire une constitution politique parfailo, réglant les relations
des Etats entre eux aussi bien quo les relations des indivi-
dus dans un Etat. La philosophie a son millénarismo, mais
qu'cllo peut affirmer autrement quo par uno prophétie de vi-
sionnaire; car, d'une part, l'idée qu'elle annonce peut êtro
dès à présent un principe de détermination pour les volon-
tés; et d'aulro pari, il est possible do reconnaîtra quo la
marche effective de l'humanité est en ce sens. En effet, lo né-
cessité même de soutenir lo lutta contre leurs voisins a forcé
les Etats à assurer le mieux possible toutes les conditions do
prospérité intérieure et de contentement général, et parmi*
ces conditions il n'en est pas de plus importante quo la li-
berté. Par le droit qu'elle reconnaît à chacun de conduire
ses affaires comme il l'entend, de professer les croyances
qu'il prélevé, de concourir pour sa part ^ la science et à
l'oeuvre de raison, la liberté civile est uno source de satis-
faction et d'énergie que l'on no saurait, dans la concurrence
des peuples, resserrer sans dommage ; elle est un intérêt
de premier ordre devant lequel s'inclinent forcément les vues
ambitieuses des politiques. 11 arrive donc que, développée
souvent et respectée pour accroître les chances de èùccès
i. IV, p. i5o.
i.v PHILOSOPHIE DE i.'iiis|oiiir. 381
dans la guerro, ollo fait triompher un principe d'organisa-
tion juridiquo qui n'aura qu'à s'étondro pour limiter la
guerro et finalement l'abolir. L'arbitrage qu'offrant spon-
tanément les nations voisines qui, sans participer à la lutte,
en subissent pour leur tranquillité cl leurs intérêts lo désas-
treux contro-coup, est comme l'essai d'institution do co
grand corps politique, sans modèle dans lo passé, quo com-
posera la fédération des peuples 1,
Tel est donc lo développement do l'espèce humaine, et
telle en est la fin. Cctto union juridique des hommes, qui
doit fairo do chacun d'eux un citoyen du mondo*, est l'idée
sous laquelle l'hisloiro universelle doit être traitéo, si l'on
no veut pas quo la suite des événements qui en sont la ma-
tière no soit qu'un chaos, on complète opposition avec
l'ordre qui règne partout ailleurs. En outra, toulo lentalivo
philosophique pour la traiter de la sorte, en nous donnant
uno. conscience plus nette do l'idée qu'elle aspire à dégager,
en favorise l'avènement et concourt do la sorte aux inten-
tions do la nature 3. Mais par rapport à cet idéal quel est
l'état du tomps présent ? Nous avons, répond Kant, à un
1res haut degré cette culture que donnent la science et l'art.
Nous avons jusqu'au dégoût cette sorte de civilisation qui
travestit l'idée de la moralité dans la dignité extérieure du
point d'honneur et dans la politesse conventionnelle des re-
lations sociales. Mais il nous manque cette éducation vrai-
ment morale, faute de laquelle tout n'est qu'apparence et
quo misère, mais que les Etats sont pou portés à favoriser,
parce qu'elle n'est possible que par un libre usago de la rai
son et qu'ils voient dans co libre usago do la raison une rcs-
1. IV, p. i5o-i5a.
2. Dans VAnthropologie do Starke, Kant exprime avec plus do réserves, —
et avec uno distinction curieuse, — l'idéal cosmopolitiquo. Co sont les chefs
d'États qui doivent avoir leur regard fixé, non seulement sur lo bien do leur
pays, mais sur celui du mondo entier. Quant aux citoyens, ils no peuvent et no
doivent pas avoir do vues cosmopoliliqucs, à l'exception des savants dont les
livres peuvent être utiles au monde, p. 073.
3. IV, p. i53-i57.
a8a i-\ riiii.osopiiiK ruvuo.ii; UE KANI'
i. IV, p. i5a.
a. licantwortung der Frace; Was ist Aufklârung, 1784, IV, p. 161-
168.
LA PHILOSOPHIE DE k'illSTOME 383
i. IV, p. 162.
a. IV, p. 166-168. — Cf. IVas heisst: sich im Denken orientiren, IV,
p. 35a-353, note.
2S/| LA PHILOSOPHIE PllATIQlK DE KANT
de la raison. Mais cet usage do la raison, il l'entend tout
autrement. Sa philosophie de l'histoire apporte une solu-
tion nouvelle au problème des rapports de la nature à la
culture de l'esprit et à la civilisation. La tendance du siècle
qui s'élait reflétée si fidèlement dans la philosophie des lu-
mières portait à croire que la culture de l'esprit et la civi-
lisation doivent conduire de plus en plus sûrement l'homme
au bonheur. Rousseau, par ses paradoxes, avait secoué cette
crédulité. Il avait montré une opposition radicale là où l'on
voyait une harmonie, et il avait paru souhaiter par endroits
un retour à cctélalde nature si malencontreusement aban-
donné. Kant s'inspire de Housscau, mais sans abandonner
la conviction rationaliste do son temps ; considérant que la
civilisation a rompu avec la nature, il n'admet pas qu'elle
puisse avoir pour fin le bonheur que la nature donnait; c'est
même le plus souvent aux dépens du bonheur qu'elle va
dans son sens véritable, qui est rétablissement de la liberté
dans les relations des hommes; c'est-à-dire qu'elle doit se
réformer de plus en plus en se rattachant' à un principe
intérieur: la pure disposition morale doit s'élever de plus
en plus au-dessus de la culture intellectuelle cl de la civili-
sation proprement dilc ainsi que des biens factices qui en
dépendent : là sera le plein usage de la raison. De là uno
tout autre interprétation que l'interprétation cudémonistc
pour l'ordre historique des événements humains. Ainsi
que Kant l'a noté', pour le plan d'une histoire universelle,
ce qui importe, c'est la nature de la constitution civile et
de l'Etat : l'idée qui l'explique, alors môme qu'elle ne serait
jamais complètement réalisée, c'est l'idée, non du bonheur,
mais du droit.
* »
1. IV, p. i8.'»ioi.
UKLUOS 10
29O LA PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
*
# #
i. IV, p. 3ao.
2. IV, p. 3i5-3ai.
LA PHILOSOPHIE DE L'iHSTOinE 20,3
1. IV, p. 321-332.
2p/l l'A PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
degré donc do culture où l'espèce humaine so trouve
encore, la guerre est un moyen indispensable de la con-
duire encore plus avant ; et ce n'est qu'après une culture
achevée (qui le sera, Dieu sait quand) quo la paix perpé-
tuelle nous serait salutaire, et no serait d'ailleurs possible
que pur clic 1. » De môme, la brièveté de la vie est cause
que l'homme s'abandonne moins à lui-môme, qu'il sur-
veille davantage, dans ses rapports avec autrui, les sollici-
tations dépravées de certains de ses penchants. En tout cas
les maux dont nous nous plaignons ne sont imputables qu'à
nous en tant qu'individus, et il y aurait injustice do notre
part à en accuser la Providence; ils ne résultent pas d'un
péché primitif qui se transmettrait comme une disposition
héréditaire ; car des actions volontaires ne peuvent prove-
nir de l'hérédité; ils résultent du mauvais usage que
chacun de nous fait de sa raison ; dans l'histoire de la chuta
primitive nous reconnaissons notre propre histoire ; en
d'autres termes nous confessons, sondant nos coeurs, que
dans les mêmes circonstances nous n'aurions pas agi autre-
ment. A litre individuel, nous sommes donc bien les
auteurs du mal dont nous subissons les conséquences;
mais il ne sufiît point que par là la Providence soit mise
hors do cause ; il faut reconnaître qu'elle a tourné au
bénéfice de l'espèce le mal accompli par l'individu *. *
Que l'on compare ce providcnlialisme h l'optimisme
lcibni/icn que Kant tenait de son éducation philosophique
et que naguère encore il juxtaposait à sa théologie morale :
l'inspiration en est certainement tout autre. H résulte d'une
application de la pensée rationaliste, non plus seulement
à co contenu de lo religion naturelle qu'elle-même avait
contribué à produire, mais au contenu de la religion posi-
tive : c'est un premier essai pour comprendre la religion
dans les limites de la pure raison. Cependant la raison reçoit
i. IV, p. 327.
a. IV, p. 321 ; p. 329.
LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIHE 20,5
*
* *
La philosophie de l'histoire a eu une extrême importance
dans la constitution de la philosophio pratique do Kant.
Issue d'observations exprimées dans les leçons d'anthro-
pologie, elle avait été pour la plus grande part publiée et
en tout cas pleinement conçue avant la Grundlegung. Elle
est uno combinaison singulière des influences quo Kant
avait reçues, et elle joue pour la morale kantienne un rôlo
médiateur entre les conceptions éparses de la période ante-
critique et lo système critique de la raison pratique. Elle
se présente d'abord avec toutes les apparences d'une spécu-
lation métaphysique et, comme telle, clle.no peut qu'avoir
beaucoup retenu de l'esprit rationaliste. De fait, elle pose,
comme expression suprême de la finalité, la nécessité pour
la raison de se réaliser ; clic admet en conséquence uno
loi de progrès qui gouverne les actions humaines, en dépit
des motifs individuels dont elles résultent, et pour laquelle
elle n'a pas craint, mémo plus tard, de prendre à son compte
la formule stoïcienno : fata volentem ducunt, nolcnlem
trahunt*. Cependant elle ne saurait êtro interprétée littéra-
lement, comme si la Critique de la Raison pure n'avait
pas été conçue avant ello ou en môme temps qu'elle ; il
serait donc inexact sans doute de voir dans cette loi des
événements autro chose qu'un fil conducteur, comme lo
redit Kaht, qu'une idée régulatrice ou uno maxime : d'où
i. Il y a tel passage qui montre bien lo rapprochement établi par Kant entre
ces deux conceptions : « Si c'est seulement dans une philosophie puro quo l'on
peut chercher fa loi morale dans toute sa pureté vraie (co qui est précisément
en matière pratique lo plus important), il faut donc qu'une mêlaphysique -
précède : sans cllo il ne saurait y avoir de philosophio moralo. Celle mémo qui
milo les principes purs avec los principes empiriques no mérite pas lof nom do
. philosophio...,
et bien moins encore celui de philosophie morale, puisque par
,
co mélange mémo elle altèro la pureté de la moralité mémo et va contre son
propre but. » Grundlegung zur Melaphysik der Sitten, IV, p. a38.
CONCLUSION 3o3
système complot do la raison pure on accord aveo les oxi-
gencos ot los restrictions do la Critique. La raison peutet doit
présupposer los choses en soi, ollo no f et t ^as romonlor
au delà d'ollo mémo pour los atteindra. Au iiou do s'oriontar
Yors colle détermination impossible, ollo doit s'oriontar vers
la détermination do ses idées propres, qui expriment pour
olles l'inconditionné: or, los idées no peuvent so délor^
miner quo par un certain usago immanent, et parmi ces
idéos, uno soulo, l'idéo do liberté, pout recovoir, du fait do
la loi pratiquo, un usago immanont constitutif, on mémo
temps qu'ello ne supposo pas son objet par dolà lo sujet,
mais au contraire l'identifie avec lui. Do la sorto, la liborté
deviont la clef do voûta do tout lo systèmo do la raison pure.
Cclto conception a rencontré un obstaclo dans le dualisme,
longtemps irrésolu, du transcendantolet du pratique; cllo
a triomphé du jour où lo principo d'un ordre universel des
personnes ost apparu commo la prouve do la causalité efiî-
caco do l'idée.
Enfin, la conception de la liborté sous la formo du droit
qu'a tout membre d'une sociétéidéale d'être législateur: c'est
par cette conception que l'idéo d'autonomie a été essen-
tiellement définie; elle nous présente, en effet, en termes
plcinoment clairs pour notre intelligence, et sous une
forme réalisable ici-bas par notre volonté, la réciprocité de
fonction par laquelle lo sujet institue la loi à laquelle il
obéit, obéit à la loi qu'il institue
Ces diverses conceptions de la liberté, Kant les a égale-
ment combinées; il a soutenu l'une par l'autre l'idée do
l'indépendance à l'égard des penchants sensibles, l'idéo do
l'indépendance à l'égard du mécanisme de la causalité
naturelle, l'idée do l'indépendanco à l'égard de l'autorité
despoliquo d'un chef. Il a appelé du mémo nom de
volonté, do volonté puro parfois, lo fait do meltro tout son
bien dans la bonté de l'intention, la détermination pratique
suprême do la raison, l'acte de constituer la législation du
règne des fins. La bonne volonté implique en elle la pro-
3o4 M PHILOSOPHIE PRATIQUE DE KANT
priélé do dicter dos lois universelles: par où l'on pout
entendra égalomonl (piclquo choso commo un ordre do la
naturo, au sons où l'idéalismo formol conçoit cet ordre
selon la raison, et un ordre pratique des volontés, au sons
du règuo dos fins; un ordro do la naturo selon la raison
n'est lui-mémo pratiquement détorminahlo quo par lo
systèmo des êtres raisonnables qui lo composent ot qui
eux-mêmes no sont positivement concevables pour nous
quo commo fins on soi.
Les divers aspects sous lesquels Kant a présenté dans sa
doclrino l'idéo d'autonomie résultent do la relation étroito
qu'il a établie entre ces diverses significations respectives
do la liberté et do la loi. C'est, nous l'avons vu, la dornièro
do ces significations qui a permis do définir los autres;
mais ollo n'a' pas, tant s'en faut, pleinement effacé la diffé-
rence des points do vue auxquels elles sont justifiées, Lo
sujet do l'impératif calégoriquo est autonome, surtout en co
qu'il no cherche pas pour la loi moralo un principo supé-
rieur et étranger à cllo, on co qu'il ploco dons lo seul
respect do cette loi lo motif do son action : en cela,
remorque Kant, la moralo chrétienne n'est ni (biologique,
ni hétéronomo, puisqu'elle ne donne pas la connaissance
do Dieu et do sa volonté pour fondement au devoir 1.
D'autro part, l'autonomie do la volonté, considérée dans
la Grundlcgung, commo l'oxpression pratique du mondo
intelligible conçue par la raison, devient plus décidément,
dans la Critique de la raison pratique, l'autonomie do la
raison puro pratique; et c'est sous cette forme que so
révèle bien l'intention spéculative qui restait malgré tout
dans l'esprit de Kant lorsqu'il découvrait dans l'usage
immanent pratique do l'idéo do liborté lo moyen do fonder
un systèmo complet de lo raison pure II n'est pas
jusqu'à la disposition matérielle du livre premier de lo Cri-'
tique de la raison pratique, avec la suite ordonnée do ses
Vu ET LV,
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER.
— Les antécédents de la Philosophio pratique de
Kant. Le piétisme cl le rationalisme 3
CHAPITRE II. La personnalité morale et intellectuelle de Kant.. 34
CHAPITRE
—
III. — Lo mode de formation du système. ...... ,
54
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER.
— Les premières conceptions morales de Kant. . 73
CHAPITRE II.
— Les éléments de ta philosophie pratique do Kant (de
1760 à 1770) — La critique de la Métaphysique. — L'influence
dos Anglais et de Rousseau. — Les pressentimentsd'une Meta*
physique nouvelle 91
, .
4)
CHAPITRE III. — Les éléments delà philosophio pratique do Kant (de' '
1770 a 1781). —r La préparation de la Critique. — La déter-
mination des principaux concepts métaphysiques ot moraux. . i5o
3l2 TADLE DES MATIERES
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE 111.
— La Philosophie de l'histoire. ./', \S.^S I
.
.
.
/\ .
aC4