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1.L'acceptation du premier numéro d'une nouvelle année est considérée
comme un réabonnement payable dans le courant du mois, à moins
que l'on ne préfère payer à domicile, par voie postale, dans Je cou-
l'ant du mois suivant.
2. Les fascicules parus dans le courant des années 1893,1894, 1895 et 189(5
ont été réunis en volumes et sont en vente aux bureaux de la Revue,
222, faubourg Saint-Honoré, au prix de 12 fr.
3. Les ouvrages déposés aux bureaux de la Revue seront annoncés par
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lyser, etc. doit être adressé au R. P. COCONNIER, Fribocrg (Suisse). - Tout ce qui
concerne l'administration, abonnements, annonces, changements d'adresse, etc., au R. P.
SERTILLANGES, 222, faubourg St-Honork, Paris.
DE LA
DOCTRINE CATHOLIQUE
PAR
LE R. P- WILMERS, S. J-
Ancien préfet des études à la Faculté de théologie de Poitiers.
Ce livre est destiné à tous les esprits cultivés, croyants ou incrédules, qui cherchent
en peu de pages l'exposition précise et les preuves des vérités enseignées par la théo-
logie catholique. Tout en étant plus court que certains caléchismes, ce précis est
" cependant plus complet; c'est un ouvrage d'un autre ordre. Le catéchiste peut se con-
£'.; tenter d'enseigner les dogmes, le théologien doit en e'tablir la preuve, les défendre
h contre les malentendus de l'ignorance et les objections de l'hérésie oh de la mauvaise
'' foi, en montrer l'enchaînement, les rapports et les conséquences.
Dans la mesure où l'esprit s'éclaiie et se fortifie par les sciences profanes, il doit,
sous peine de mettre sa foi en péril, s'éclairer et se fortifier par l'étude de la reli-
gion.
C'est à ce besoin de science religieuse qu'ont répondu dans notre siècle les magni-
fiques travaux d'exposition dogmatique et d'apologétique : conférences de Notre-Dame
du 11. I'. Monsabré et de Mgr d'Hulst, apologétique d'Heftinger, elc. C'est aussi pour
coopérer à cette grande oeuvre de salut qu'a été écrit ce livre. Ecartant avec soin les
fermes exclusivement techniques de la scolasfiquo, ne faisant connaître les objections
qu'en donnant les principes pour les résoudre, ce livre est tout à la fois un résumé de
la théologie et une initiation à une science approfondie de la religion. Le théologien
s en servira arec fruit pour se rendre compte rapidement d'un traité ou pour s'en
I
refaire une idée nette. L'homme du monde, le savant, l'écrivain, s'y instruiront facile-
ment des vérités catholiques, souvent si ignorées d'esprits distingués sous d'autres
rapports, parfois si défigurées par l'ignorance, la légèreté et la mauvaise foi. Ceux qui
?nseignent la religion dans les classes supérieures y trouveront pour eux-mêmes un
vaille sûr et méthodique, pour leurs élèves un texte précieux, thème inépuisable d'ex-
plications et de développements.
Nous ne croyons pas qu'il y ait meilleure méthode d'enseignement que celle qu'ont
-uivie toutes les universités catholiques, et. que saint. Ignace expose dans ses Constitu-
tions (part. IV, ch. vi), méthode que se sont appropriée dans ce siècle, sans en en dé-
guiser la source, nombre de prolesseurs de l'Université. Cette méthode suppose entre
'es mains de l'élève un texte court, précis, substantiel; en un mot, une Somme que le
professeur explique et développe en faisant un cours proprement dit. Aidé de quel-
ques notes prises en classe, l'élève s'assimile le cours par une rédaction vraiment per-
sonnelle. Le professeur se contente d'y effacer les erreurs.
Xous n'avons pas à faire l'éloge de l'auteur :'le fi. P. WiJmcrs. Un de ses ouvrages de
dieologie, en qualre volumes in-S", en est à sa sixième édition Ce précis a déjà eu
'rois éditions en Allemagne; même succès pour la traduction anglaise qui a été adoptée
i'ar de nombreux collèges. Si ce livre est adopté dans les pays de langue française,
' .'ance, JJelgique et Canada, l'enseignement de Ja religion dans les classes supérieures
nira l'ait un grand pas vers l'unité.
C'est à dessein que nous n'avons pas parlé du traducteur. Elève du R. P. AVi! mers, il tient
|'e lui toutes les idées de ce livre et toute la science théologique qui lui a permis de
le comprendre et de le rendre français. Non content d'approuver notre entreprise,
en
'j' 1\ Wifmers a pris encore la peine de nous signaler certains remaniements de détail.
'' n'y a donc vraiment pas place dans le titre pour un autre nom que le sien.
(?rA.ce à la permission de MM. Roger et Chernoviz,
nous nous sommes toujours servi, .
pour la sainte Ecriture, de la traduction si autorisée de M, l'abbé Claire. Nous avons
complété le livre par l'encyclique de Léon XIÎI sur l'étude de l'Ecriture sainte.
C'était la coutume en Egypte de juger solennellement les
morts.
N'est-ce pas un devoir de cette sorte que vient de remplir
M. Boutroux à l'égard de Kant? Son cours des deux années uni-
versitaires 1895 et 189fi n'est il pas comme la stèle justificative
qui défendra le grand mort devant un tribunal plus redoutable
que celui d'Osiris, la postérité (1)?
Lisons l'inscription de la stèle : c'est bien le langage d'une jus-
tice à la l'ois respectueuse et impitoyable, telle qu'on l'exerce
envers les seuls morts. « Je ne veux, dit le juge philosophe,
ni construire la Critique ni l'interpréter d'après ce qu'elle est
devenue, d'après les systèmes auxquels elle a donné naissance.
Non, j'entends me placer au point de vue même de Kant,
tâcher d'expliquer sa philosophie comme il l'expliquerait lui-
même. » EL dans sa quatrième leçon : « Pour étudier une pen-
sée vivante et créatrice comme celle de Kant, il faut d'abord,
sans doute, l'éclaircir, la transposer dans une certaine mesure,
de manière à s'assurer qu'on ne s'en tient pas aux formules.
Mais il faut surtout y entrer le plus franchement possible,
repasser par les chemins mêmes qu'a parcourus l'auteur, re-
constituer le mouvement de son esprit. En apparence, Kant
est rempli de répétitions : ce sont les retours qu'il a cru devoir
(1) Nous suivons le texte donné par la Revue des Cours et Conférences, 1895-1896. Les
chiffres III, IV, V indiquent les années de cette revue. Les chiffres qui suivent se réfè-
rent aux numéros des fascicules et des pages qui contiennent les textes cités.
EEVBE THOMISTE. 5° ANNÉE. - 1.
REVUE THOMISTE
nel est d'autant plus grave que l'unité du système est plus
parfaite.
(î) v, 3, p. m.
(2) III, 7, p. 194.
(3) Ibid.
- IV, U, p. 626. - V, 3, p. HO.
(4) V. 3, p. 110.
APRÈS LE COURS DE M. BOUTHOUX
(1) V, 3, p. 111.
(2) Ibid.
(3) V, 3, p. 112.
(4) IV, 12, p. 534.
(5) Ibid.
10 REVUE THOMISTE
(1) Ibid.
(2) V, 3, p. «1.
(3) IV, 12, p. 535-536. - Cf. in, 10, p. 303.
APRÈS LE COURS DE M. B0UÏR0CJX 11
En résumé :
1° Il ya des jugements synthétiques a priori dans les mathéma-
tiques et la physique.
2° Ces jugements s'expliquent très bien dans Vhypothèse de l'idéa-
lisme.
Donc l'idéalisme est la condition de la possibilité de la métaphy-
sique.
Tel est le premier aspect de la démonstration kantienne dont
nous allons suivre dans le cours de M.Boutroux l'examen critique.
Ci} m, », p. 328.
(2) I P., q. lxxxv, 2, c.
APRÈS LE COURS DE M. BOUTROUX 13
a priori, qu'il n'y ait qu'un espace réel, l'espace euclidien de Kant,
alors que d'après la métagéométrie plusieurs espaces sont pos-
sibles ? La doctrine péripatéticienne le conteste également au
point de vue philosophique. Et nous ne voyons pas que M. Bou-
troux, dans sa leçon 17% où il montre que l'esthétique se suffit à
elle-même, ait réussi à établir clairement que l'intuition mathé-
matique est comme telle a priori (1). Et nous ajoutons que nous
ne croyons pas possible de le faire.
Ce point est important à relever, car une fois admis le carac-
tère synthétique a priori de cette intuition, « la seule explication
possible est la suivante : il y a en nous une faculté d'intuition s'cxer-
çant par les sens. Si nous admettons que cette faculté a un fonds
propre, une certaine nature, une loi spéciale en vertu de laquelle
I'-' elle s'exerce, alors nous pourrons admettre que l'intuition a priori
dont il s'agit n'est autre chose que l'intuition de la forme même
de notre sensibilité (2). » Une telle intuition est a priori puisqu'elle
est, comme notre sensibilité, antérieure aux choses ; elle est
i-W objective puisque rien n'est perçu qu'en s'adaptant à cette forme,
en se moulant sur elle.
L'explication est plausible. Mais la question reste entière. Il
1, faudrait tout d'abord savoir si l'intuition a priori exigée par les
principes synthétiques a priori est comme telle a priori. On ne
peut le faire qu'en supposant ce qui est en question et ce que l'on
?
prétend découvrir, à savoir que notre intuition ne porte que sur
les formes de notre sensibilité. La conclusion est incluse formelle-
ment dans les prémisses. Nous sommes en présence d'une dé-
monstration circulaire qui suppose l'idéalisme pour mieux le
conclure.
Passons aux jugements synthétiques de la physique. Ces lois,
remarque M. Boutroux, portent non pas sur la matière et le détail
des choses, mais sur leur marche générale, leur forme. Comme
telles, nous les concevons comme objectives et nécessaires. En
tant qu'objectives, elles relient ensemble des choses distinctes et
sont par conséquent synthétiques. En tant que nécessaires, elles
doivent être a priori. Comment expliquer ce double caractère ?
« Il s'agit de savoir, répond M. Bouiroux, comment j'arrive à
t;
l'idée d'objectivité. J'ai en moi la faculté de dire : je pense. Le
« je pense » doit pouvoir accompagner toutes mes représentations.
Mais comment dire Je sans s'opposer à quelque chose qui n'est
pas soi ? Sujet suppose objet. Or, que] est d'un tel objet la condition
nécessaire et sufiisante? Il suffit que j'aie en face de moi des intui-
tions liées entre elles par des relations universelles et nécessaires.
Or, des intuitions, ma sensibilité m'en fournit. Mon entendement,
qui est la faculté de lier, pourra lier ces intuitions, Cette théorie
me donne juste ce que je demande : l'objectivité de la nature en
tant que liée au moi qui me constitue (1). »
C'est de nouveau, quoique par une autre voie, l'idéalisme. Tout
à l'heure une intuition comme telle à priori nous interdisait toute
vue d'un objet au delà de la forme de notre sensibilité, maintenant
c'est le sujet qui vient témoigner qu'une objectivité idéale lui
suffit. Comme précédemment, un doute plane sur les limites des
prétentions objectives du sujet tel que Je conçoit Ivan t. Ce sujet
qui se conlente d'une objectivité idéale n'aurait-il pas été aupa-
ravant stylé -'je veux dire idéalisé? Existe-t il un je pense tout
court. Le véritable point de départ de la connaissance du sujet
ne serait-il pas un : je pense quelque chose ?
S'il en est ainsi, comme nous le démontrerons plus amplement
ailleurs, nous ne saurions nous rendre à la sentence par laquelle
Ivant interprété par M. Boutroux conclut au rejet de la chose en
soi : « Nous n'avons que faire de* telles entités ; notre théorie
explique l'objectivité des mathématiques, au seul sens où elle
soit admise. » Quant aux objets de la physique, « ce que nous
affirmons, c'est qu'il existe dans les choses, en tant qu'objet de
notre connaissance, des lois correspondantes aux lois de notre
intelligence. C'est nous-mêmes qui, dans la sphère de l'apercep-
tion transcendantale, constituons l'objet qui apparaît comme
chose à la conscience empirique. »
(1) Nous avons été particulièrement frappés de trouver ces idées sous la plume de
l'un des éditeurs de la plus importante revue philosophique américaine. Dans un article
de mars 1896 sur la Nature de la synthèse intellectuelle 31. J. E. Croighton écrit en
substance ceci : La distinction entre les fonctions réelles ou logiques de la pensée est
une fiction. L'essence môme du jugement consiste à aller au delà des idées et à pré-
tendre spécifier quelque chose de réel... Il n'y a qu'une différence de degré entre la
perception et la conception, celle-ci n'étant que la première pleinement systématisée...
Toutes les fois que nous pensons, nous dépassons la perception sensible quoique, sans
elle, il ne puisse y avoir matière à pensée. Dès lors il n'est pas possible de poser des
limites à laportée de notre connaissance. Et il n'y a pas lieu de distinguer avec Kant
le phénomène et le noumène.
22 REVUE TJIOMISÏE
Une faculté à priori serait donc une faculté acquise, mais par le
déploiement d'une loi interne de noire esprit.
Les scolastiques souriront en reconnaissant, dans celte manière
d'entendre l'a priori, la conception qui leur est si familière de la
genèse de l'habitus des premiers principes. Et les deux questions
qui suivent : Une telle faculté existe-t-elle? Que vaut-elle? ne
sont pas l'ai les pour les dérouter. Quxstiojuris, Quoestio focti, cons-
tate M. Boutroux, comme un simple scolastique.
l" Qusestiofacti.
« Est à priori, dit Kant, toute affirmation portant que quelque
chose existe universellement et nécessairement. » Et la preuve en
est que de telles connaissances ne sauraient venir comme telles de
l'expérience. D'accord!
« Mais, ajoute l'interprète de Kant, il ne suffit pas que je cons-
tate en moi de telles affirmations pour que je considère comme
certaine l'existence d'éléments à priori dans mon esprit. Celte
existence veut être démontrée' Elle le sera si je prouve que ces
affirmations sont liées à la nature de mon esprit. » D'accord !
Or c'est ce que prouve, selon Kant, la déduction métaphysique
(1) III, 10, p. 300. Ceci ne semble pas tout à fait exact. A priori chez Aristote signifie
à la fois cause d'être et cause de connaissance, c'est-à-dire principe. Pour les scolas-
tiques les deux ordres de causes se correspondent, la vérité n'étant que l'adéquation de
l'esprit et de l'être (III, Posl. Anal., lect. I).
REVUE THOMISTE
traction sur les données sensibles. Kant tient, nous savons pour-
quoi, à ses formes à priori. Peu importe pour le moment. Il
appert en touL cas que la thèse idéaliste n'est pas liée à la dis-
tinction de la sensibilité d'avec l'entendement, mais à une ma-
nière particulière de concevoir la sensibilité, à savoir comme
obstacle et non comme intermédiaire de la connaissance.
Un dernier point commun à relever entre les scolastiques et
Kant est la possibilité d'un usage non empirique de l'entendement.
Les scolastiques distinguaient entre l'objet adéquat et l'objet
propre de notre connaissance. L'objet propre ce sont les idées,
les principes nécessaires conçus à partir des sens. L'objet adéquat,
c'est l'être, lequel n'est jamais représenté dans l'expérience que
par morceaux. Mais les scolastiques, adversaires décidés de l'on-
tologisme, partisans non moins affirmatifs du principe : Nihil
est in intellectu quod non priusfuerit in sensu, ne reconnaissaient
pas de fait l'affranchissement des services des sens. Selon eux,
l'aperceplion immédiate de l'être n'était pas donnée. Comme théo-
logiens, ils admettaient cependant l'usage autonome de la raison
vis-à-vis de l'essence divine dans la béatitude. Mais cet usage
n'était pas une croyance, comme l'usage non empirique de la
raison kantienne, c'était une vision.
En résumé, la méthode de Kant est loin d'être originale. Dans
sa partie acceptable elle est un emprunt à la philosophie de
l'Ecole. L'idée de ne pas s'arrêter nu fait, de l'analyser mélaphy-
siquement, de ne pas séparer la psychologie de la métaphysique ;
Fapriorité de la faculté qui conçoit les jugements universels, sans
recourir à l'innéité, la distinction irréductible de la sensibilité et
de l'entendement, le rôle de la première de ces facultés, la possi-
bilité d'un usage non empirique de la raison, tout cela est pure
doctrine d'Ecole. Nous ne dirons pas que nous retenons de Kant
ces théories : nous les lui reprenons, ou plutôt nous ne les lui
avons jamais abandonnées. Par elles, nous nous distinguons des
dogmatistes ontologistes et cartésiens, Mais, ce que nous ne pou-
vons admettre, c'est le point de dépari préconçu, l'idée phénomé-
niste à la base du système et se retrouvant, naturellement, à l'ar-
rivée, ce sont les déformations subies par le système, si parfaite-
ment un d'Aristote, à qui tout cela est emprunté, en vue de ces
fabuleux principes synthétiques, comme tels à priori !
APRÈS LE COURS DE M. BOUTHOUX 29
CONCLUSION.
Avant -
Kant passait encore, quoi qu'on en eût, pour le
Copernic heureux qu'il s'était donné, retournant les termes du
problème philosophique pour les replacer clans leur véritable
sens. Après -
le voilà relégué avec les anthropocentriques,
avec les Tycho Brahé et les Ptolémée ; car, pour retoui'ner le
problème, il eût fallu d'abord le bien poser, et Kant ne l'a
point fait.
Avant -
les principes synthétiques à priori, points de départ
des Prolégomènes et de la Critique, étaient admis presque sans con-
testation dans les Mathématiques, et tenaient bon contre les objec-
tionsqui tentaientde les débusquer du poste capital de la Physique.
-
Après leur existence dans la Physique n'est plus qu'une illu-
sion ; les thèses du jugement, de l'objectivité idéale, des caté-
gories, sont nécessairement exilées avec elles. On leur laisse
un réduit central dans l'Analyse (1), dans la Métagéométrie que
Kant n'a jamais connues et sur lesquelles, par conséquent, il
n'appuyait pas leur existence. Kant s'est donc trompé en po-
sant comme un fait évident les principes synthétiques à
priori.
Avant -
Kant est proclamé auteur d'une méthode originale
et qui sauve le Réalisme en l'idéalisant ; après il appert que -
les éléments de sa méthode sont dans ce qu'ils ont de solide
empruntés à la scolastique ; la Critique n'est qu'un plagiat, et
encore il est mal fait. Kant n'a pas su retrouver le réel : l'oeu-
vre de la Critique est d'avoir systématisé l'illusion ; tout reste
à faire pour donner un sens à ce mot : vérité.
Voilà ce que M. Boutroux la plupart du temps déclare sans
réticence, laisse parfois deviner, permet toujours de conclure
Fr. A. Gahdeil/O.P.
(1) V. 3, p. 114.
L'HYPNOTISME FRANC
(1) A ces grenouilles factices. Michel d'Eplièse et, après lui, les autres commentateurs
expliquent ceci : d'ordinaire on avait, dans cette petite expérience assez ingénieuse, cinq
grenouilles do bois enduites de sel, qu'on déposait successivement dans l'eau (en lessuper-
posant) ; quand le sel était fondu, elles remontaient à la surface dans l'ordre inverse où
on les avait fait descendre au lond. Note do M. Barthélémy Saint-Hilaire, Psychologie
d'Arislote, Opuscules, p. 199.
(2) IIEPI ENTITN1QN V.
38 REVUE THOMISTE
(1) De Somno et Vigiliâ, lil). II, tract. II, cap. 2. Cf. 'Mil. Iract. I, cap. iv.
(2) Jliid, tract. I, cap. vi.
(3) Aliîiîiit. Magn., De Somno et Vigiliâ, lib. II, tract. I, cap. vu.
(i) Ibid., cap. ni.
40 kevuë thomiste
III
faire au pied d'un enfant une porte de fer qui se referme sur lui,
et, selon le mot populaire mais si juste, elle reçoit elle-même un
coup de sang au pied; une mère voit, par l'imagination, le cou de
son fils tranché par le rideau métallique d'une cheminée, et un
cercle érythémateux et saillant se forme autour de son cou à elle-
même; un homme voit, en imagination, qu'un spectre le saisit
par le pied, et la rougeur, le gonflement, la suppuration, suivent;
un autre voit, par l'imagination, toute l'horreur d'une opération
à subir, clun liquide séreux coule abondamment de tout son corps ;
un autre enfin, toujours par l'imagination, ressent toutes les affres
du naufrage et de la mort, et il sue une sueur de sang. Quelle est
la conclusion qui s'impose, et que tous ces faits démontrent? La
conclusion qui s'impose, c'est que l'intaçination vivement frappée
a le pouvoir de projeter le sang sur un point donné du corps avec
une telle violence et d'impressionner de telle manière les divers
tissus de la périphérie, qu'il en résulte une rupture des vaisseaux
capillaires, des boursouflures e: de l'inflammation, de la suppura-
tion, un écoulement de sérosités, une transpiration sanguinolente,
parfois subitement, h l'improviste. Pouvons-nous encore, après
cela, soutenir raisonnablement que les phénomènes présentés par
ElisaF... ou par Louis V...exigentrinlervenliond'un agent prélcr-
naturel? Ces phénomènes sont les mômes exactcmenlqueles obser-
vations rapportées nous ont mis sous les yeux. Dira-t-on que l'i-
magination des deux sujets n'était pas surexcitée? Mais nous sa-
vons au contraire, par vin récit authentique, que l'on avait déployé
la plus grande mise en scène pour la frapper aussi vivement que
possible ; mais nous savons que les deux sujets avaient été dès
longtemps entraînés par des manoeuvres hypnotiques répétées :
nous savons enfin que tous les deux étaient hystériques, à un
degré exceptionnel. L'on ne saurait donc prétendre que leur ima-
gination n'avait pas été vivement frappée et surexcitée. Et dès
lors, exsudations et hémorragies ne nous offrent plus rien que de
naturel, et la loi du raisonnement scientifique, qui prescrit d'ex-
pliquer toujours les phénomènes par leur cause minima suffi-
sante, nous interdit d'affirmer qu'il y ait eu autre chose.
(1) A". le Commentaire de saint Thomas sur les Sentences : III, lj, 2, 1, I.
[2) Summa theoloff., III, q. 13, a. 3, ad ;!.
«... Quand les saints opèrent des miracles, ils agissent par la
vertu de Dieu qui opère dans la nature. Car l'action de Dieu sur
toute la nature est comparable à l'action de l'âme sur le corps. Or
le corps peut être modifié et changé en dehors des agents phy-
siques, principalement par une imagination fixe, en suite de
laquelle le corps s'échauffe soit par les désirs, soit par la colère,
ou même est altéré jusqu'à la fièviîe et a la lèpre, corpus autem
transmutatur proeter ordinem principiorum naturalium, proecipue
per aliquam imaginationem fixant, ex qua corpus calefacit per
concupiscentiam vel iram, aut etiam immutatur ad eehkem vel
LEPRAM (2)... »
(1) Se servormn Beileatificalione et Bealorum canonizatione, lib. IV, part. I, cap. xxvi 7.
Voici cetle phrase, qui suit immédialement les paroles que je viens
de citer :
(1) Ibid.
(2) L'âme humaine existence et nature, chapitre v, L'union de lame et du corps.
56 REVUE THOMISTE
(1) Iliid.
(2) Le corps et l'esprit, p. 213.
(3) Cf. Deiiiehiîe, La moelle épinière et Vencéphale, p. 422.
(i) ToussuNT-rUnTiiKUïMï, Etude sur le Dermographisme, p. 19.
de môme : « Je m'étonne de voir ce que peut produire l'imagina-
tion sur le sang, et avec quelle rapidité une préoccupation vio-
lente, une terreur, une anxiété, cause l'anémie, par exemple (1). »
Ce fait malheureusement trop avéré n'aide-t-il pas à comprendre
qu'il se soit produit une certaine corruption du sang, à la place où
Élisa F... s'imaginait qu'on lui avait appliqué un vésicatoire?
Si l'espace neme manquait, j'en dirais davantage. Mais ces quel-
ques indications suffisent à mon but, qui était de montrer que l'on
s'exagère parfois le mystère qui entoure la genèse des phénomènes
transcendants de l'hypnose; et je ne veux pas faire attendre plus
longtemps à nos lecteurs mes conclusions.
CONCLUSIONS
Pour répondre à de nombreux désirs qui m'ont été exprimés de différents pays,
je compte publier tout prochainement en volume la série de mes articles sur
Vhxjpnolisme. Ce sera comme la seconde édition de cette étude, « revue, corrigée,
considèrublemeiit augmentée ».
L'APOLOGÉTIQUE CONTEMPORAINE
(1) Le Silloii, 10 février 1897, p. 103.- Ii est juste de féliciter l'auteur de cet article
'les soins qu'il a pris de s'inspirer avant tout des documents authentiques de la foi, et
ensuite des doctrines autorisées de saint Augustin et de saint Thomas ; ou ne saurait
-ïïioux faire, même et surtout à propos d'apologétique contemporaine.
REVUE THOMISTE. - 5e ANNÉE.
- 5.
66 HEVUE THOMISTE
(1) P. H3 à 117.
l'apologétique contemporaine 71
intellectum. -
Unde etiam impossibile est quod idem ab eodem slt
scitum et creditum » (4 ).
Il y a cependant une certaine entrée de ta croyance dans le
domaine de la science, nous l'accordons volontiers à M. Fonse-
grive, mais c'est dans le domaine de la science inachevée ou infé-
rieure.
Bien souvent -
ont observé les scolastiques
la démonstration qui nous donneraient l'évidence de l'intelligible
-
l'induction ou
III. - Peut-il
dl"
y avoir une Apologie scientifique
Christianisme (!_)?
\
___-.
Seulement, pour que la vérité en
_
redevienne
___
percevable et
i admissible, il faudra entreprendre cette cure intellectuelle dont
-
parle justement M. Fonsegrive. Il faudra faire précéder l'apiolo-
gotique de la vraie religion, d'une apologétique de la raison
pure, et restaurer de base on base les preuves métaphysiques de
l'existence de Dieu : « Après le kantisme, la philosophie tout
entière et dès lors l'apologétique doivent revêtir une colora-
lion différente et comme changer d'accent. La valeur objective
des principes, admise jadis d'emblée dès qu'ils se présentaient à
l'esprit, a besoin maintenant, non pas certes d'être prouvée, mais
d'être éprouvée au contact de notre être môme analysé par la
réflexion. »
Une oeuvre d'apparence toute philosophique rentrera ainsi de
plein droit dans l'enseignement et dans lo ministère des apolo-
gistes. Ils seront les sccourables samaritains do ce pauvre esprit
humain, dépouillé parle kantisme de la force de sa raison spécu-
lative, et laissé par lui, comme le voyageur de Jéricho, à demi-
mort sur sa route.
Le voyageur moderne, rendu à sa vie complète et remis en bon
chemin, retrouvera pour monter vers la foi l'antique chaussée
de nouveau consolidée sur le double fondement de la preuve par
miracies et de la prouve par vertus: celle-ci soutenant mieux
l'élan du coeur et de la conscience vers l'idéal et le désir d'une
vie surnaturelle; celle-là nécessaire à poser clairement devant la
raison spéculative le Christ réel, le Rédempteur vivant, l'Hôte
divin qui nous attend en famille au bout du voyage ; le Dieu sau-
veur dont la réalité seule, pratiquement nécessaire et théorique-
ment vérifiée, provoque, soutient, console l'homme qui marche.
Ce ne sera plus cette pauvre petite voie contournée, périlleuse,
suspecte, que nous offre une philosophie mutilée par le kantisme;
cette voie où de phénomène en phénomène, la raison et la vie n'a-
boutissent qu'à l'impalpable mirage d'un surnaturel sans réalité.
Ce sera l'apologétique intégrale d'une raison rendue à son inté-
grité : au terme l'Hôte divin attend l'homme qui, sur son appel,
a monté, et qui s'agenouille en son impuissance de passer outre,
ni d'un pas, ni d'un bond; l'Hôte divin s'avance, tendant cette
main-là dont un signe a fait marcher Pierre sur les vagues.
94 REVUE THOMISTE
(1) A propos des preuves traditionnelles, M. Fonsegrive tente de mettre d'accord avec
le canon I De Révélations ceux de nos contemporains qui n'admettent pas l'existence
de Dieu comme démontrable. Y a-t-il réussi? Selon son interprétation, le Concileaurait
« parlé de la raison tout entière » pure et pratique, qui en sont une seule. Il me semble,
au contraire, que le Concile, en définissant « per ea quoe facta sunt, naturali ralionis
humante lumine cognosci posse », a clairement désigné des démonstrations métaphy-
siques fondées sur le principe de causalité « per oa quoe facta sunt » ; c'est aussi le sens
du texte de saint Paul, auquel se réfère le chapitre h « Invisibilia enim ipsius a crealura
mundi, per ea quas facta sunt, intollecta, conspiciuntur ». En outre, le Concile ,< se
servant de la terminologie scolastique », comme dit très bien M. Fonsegrive, ne confon-
drait pas sous le nom de « lumière naturelle de la raison connaissant ce que Dieu a
fait » la raison pratique et la raison spéculative ; la raison pratique, c'est la lumière
dirigeant ce que fait l'homme ; tandis que le Concile parle avec saint Paul d'une lu-
mière où l'homme contemple ce que Dieu a fait.
POLÉMIQUE AVERROISTE
DE S1GKR DE BRADANT
liée aux années 1256-57, des points fixes pour aller à la recherche
,
' <les écrits d'Albert déjà composés à celte date.
Le de Motibus progressais nous renvoie surtout, comme il fal-
lait s'y attendre, aux traités des sciences naturelles qu'il indique
comme étant faits. Albert cite ainsi, à un plus ou moins grand
nombre de reprises, huit de ses écrits. Or, comme les livres de
,
charice d'y voir Albert citer une partie plus considérable de son
oeuvre au cas où elle serait exécutée. JNous ne sommes pas trompés
dans notre attente. Albert indique dans sa Métaphysique un grand
nombre de ses écrits comme composés. C'est ainsi qu'il nomme
quatorze de ses traités sur les*sciences physiques et naturelJes (1).
La plupart sont désignés un bon nombre de fois. La physique pro-
prement dite l'est le plus fréquemment. Le de Animalibus, le der-
nier traité du groupe, est mentionné dix-huit fois. Nous sommes
donc certains qu'au moment où Albert écrit sa Philosophie pre-
mière, toute la série des sciences physiques et naturelles est com-
posé, ce qui confirme le résultat déjà obtenu par un autre procédé.
Nous savons aussi que les Mathématiques ont été traitées avanl
la Métaphysique. Cette dernière nous en fournil une nouvelle
preuve en nous renvoyant au moins cinq fois h la géométrie (2).
Ainsi donc, non seulement les livres de sciences physiques et
naturelles ont été écrits avant 1264, comme l'établissait A. Jour-
dain, mais encore les Mathématiques et la Métaphysique, c'est-à-
dire, toute la philosophie réelle ou spéculative, étaient achevées
en 1250.
Bien plus, dans sa Philosophie première, Albert, cite assez sou-
vent ses livres de logique comme déjà publiés. Il les désigne neuf
fois sous la formule générale in libris logicis (3). Il renvoie aussi
à plusieurs livres particuliers, six fois aux Prédicaments ou Caté-
gories (4), douze fois aux Postérieurs Analytiques (5) et trois fois
aux Topiques (6). Il cite même une fois sa Poétique, qui, comme
nous le savons, se rattachait à la Logique ainsi que la Gram-
maire et la Rhétorique.
(1) Les seuls traités non cités sont : De causisproprietatum elementorum; de mineralibus ?
(1) Les écrits de Bacon qui ont fait, depuis le srai" siècle seulement, sa réputation,
sont des écrits de critique sur les hommes et les choses de son temps. 11 est diffus et
répète fréquemment les mêmes faits et les mêmes idées, tombant en cela dans le défaut
qu'il relève si vertement chez Albcitle Grand.
(2) « Koger Bacon n'est pas ordinairement
un narrateur fidèle; ses témoignages
doivent toujours être contrôlés. H.vubéau, Hist. delà Philos. Scolaat., t. II (1880), 216;
« p.
f
Dgnifle, Archiv. Literotur-U-Kirchengeachichie, t. IV, p. 277, n° 1.
108 ' REVUE THOMISTE
(1) C'est ce qu'observe son historien, E. Charles, quand il dit que pas un docteur
du xm° ou du xiv° siècle ne le cite pour approuver ou combattre ses doctrines. {Roger
Bacon, sa vîa, ses ouvrages, sa doctrine, Bordeaux, 1861, p. 42.) Pierre Dubois, vers 1305-7
recommande cependant de firer quelque chose de ses écrits {De Recvperatione Terre
Sancte, éd. Langlois, Paris, 1891, p. 65), et. dans sa pensée très éclectique et dénuée de
passion, il recommande pour l'étude des sciences naturelles Albert, Thomas et Siger,
pour les mathématiques Hacon (pp. 60-61-03). Jérôme d'Ascoli, général des Franciscains,
condamna, en 1278, les doctrines de Bacon, les fit défendre dans l'ordre et demanda à
Nicolas III de s'employer à les faire disparaître (Wadding, Annales Minorum, ann. 1278,
c. xxvn) ; la source de ces renseignements est la chronique des vingt-quatre généraux,
voy. S. Antonin. Chmnic, P. m, lit. xxim, cap. ix, n. 7.
(2) Jam cestimatur avulgo sludentium, et a multis qui valde sapientes a^stimantur, et
a multis viris bonis, licet sint decepti, quod philosophia jam data sit Latinis, eteomposita
in Iingua latina, et est lacta in tempore meo et vulgata Parisius, et pro auctore alle-
gatur compositor ejus. Nam sicut Aristoteles, Avicenna, et Averroès allegantnr in
scholis, sic et ipse : et adlmc vivit, et habuit in vita sua auctoritatem, quod nunquam
homo habuit in doctrina. Nam Christt.s non pervenit ad hoc, eum et Ipse reprobatus
fueril cum sua doctrina in vita sua. » [Rogeri Bacon opéra qiisedam hactenus Inedïta, éd.
Brewer, London, 1859, p. 30.) Bacon écrit encore : « Dolendum est quod sfurlium philo-
sophia» per ipsum est corruptum plus quam per omîtes qui fuerunt unquam inter Latinos.
Nam alii, licet defecerunt, tamen non prtesumpserunt deauctoritate, sed iste per modum
authenticum scripsit libros suos, et ideo totum vulgus insanum allegat eum Parisius,
sicut Arislolem, aut Avicennam, aut Averroém et alios auctores (p. 30). »
« Vere laudo eum plus quam omnes de vulgo stuclentium, quia homo studiosissimus
est, et vidil infinita, et habuit expensum ; et ideo multa potuit colligere in pelago actorum
infinito (p. 327) » « Vulgus crédit quod omnia sciverunt, et eis [Alexandre de Halos et
vingtaine d'années après qu'Albert avait commencé à asseoir sa
réputation scienliiiquc.
Avec le témoignage d'un ennemi recevons encore celui d'un
adversaire, celui de Siger de Brabant. Siger, comme nous le ver-
rons plus loin, est le grand représentant de l'arislotélisme aver -
roïste au xui° siècle. Il forme l'antithèse la plus forte et la plus
brillante de la philosophie indépendante à l'égard de la philoso-
phie christianisée par Albert le Grand et Thomas d'Aquin. A rai-
son de sa réputation, Dante l'a placé au Paradis et en a fait faire
l'éloge par saint Thomas, comme de la personnification par excel-
lence de la science philosophique. Siger ne déclame pas à la façon
de Bacon contre les personnes et les doctrines; il met la main à
l'oeuvre et a à son service une argumentalion froide, nerveuse,
mathématique. Pour lui, il n'y a que deux adversaires sur le ter-
rain philosophique, parce qu'il n'y a dans le siècle que deux auto-
rités : Albert et Thomas. Dans son traité du Anima intellectiva, qui
paraît être Je manifeste le plus important de l'averroïsme au
xme siècle et composé à Paris vers 1270, Siger s'en prend à Albert
et à Thomas, qu'il cite ou qu'il allègue selon l'expression de
Bacon, au risque de se mettre parmi le vulgus insanum, le vulçus
philosophantimn de ce dernier. II les désigne par ces mots signi-
ficatifs dans leur brièveté : Prxcipui viri in philosophia Albertus et
Thomas (1). Les hommes, les maîtres qui excellent en philosophie,
c'est Albert et Thomas. La formule employée par Siger est d'au-
tant plus remarquable qu'elle est une reproduction littérale de
celle qu'Albert avait lui-même déjà appliquée à Arislote et à Pla-
lon. Il avait, en effet, parlé des prxcipuos viros in philosophia sicut
fuit Aristoles et Plato (2), et il semble qu'en retournant la formule
pour désigner Albert et Thomas, Siger ail voulu faire entendre
que ces deux maîtres avaient renouvelé dans la société latine le
spectacle que Platon et Aristote avaient donné à la Grèce par l'é-
clat de leur enseignement et la profondeur de leur doctrine.
Albert le Grand] adbceret sicut angelis. Nam illi allegantur in dispulationibus et lec-
lionibus sicut auctores. Et maxime i!le [Albert] qui vivit habet nomen doctoris Pari-
m'us et allegatur in studio sicut auctor (jj. 327). »
(1) Bibl. des Dominicains, Vienne, ms. 120.
(2j De Nainra ïjocorum, tr. 1, c. i.
110 REVUE THOMISTE
P. Mandoknet, 0. P.
i>r [A suivre.)
REVUE CRITIQUE DES REVUES
Janvier-février 1897
I. - BPISTEMOLOGIE.
J.-J. Gourd : Les trois dialectiques. -La vérité scientifique con-
siste dans la cooi'dinalion : l'erreur est la résistance à la coordination.
Toute doctrine étant précisément une coordination, il n'y a pas de doc-
trine absolument vraie non j>lus que de doctrine absolument fausse. La
philosophie, la morale, la religion seront donc essentiellement dialectiques
et éclectiques. Dialectiques, c'est-à-dire qu'étant donné un point de vue,
elles en poursuivront toutes les conséquences positives. Eclectiques,
il
car y a pour chacune des trois dialectiques (philosophique, morale,
religieuse) dos points de vue différents. Par suite de ce caractère
éclectique, les dialectiques devront s'abstenir de tirer les consé-
quences par lesquelles elles s'opposent explicitement les unes aux
autres.
M. Gourd, dans ce premier article, applique ces idées à la dialectique
théorique ou philosophie spéculative. Il poursuit successivement le
déroulement des trois points de vue successifs, l'empirisme point de vue
initial, le rationalisme qui marque un progrès, le phénoménisme enfin qui
embrasse les deux premières doctrines en les complétant.
Sans admettre, en aucune manière, cette idée de la philosophie, nous estimons
que l'auteur a bien rendu le rôle de la dialectique. Son tort est d'en faire le
dernier mot de la Philosophie, au lieu d'y voir une méthode. Nous croyons
d'ailleurs que le point de vue le plus comprèhensif'n'estpas le phénoménisme,
qui n'est qu'un excès du rationalisme. Le réalisme aristotélicien embrasse
bien plus avantageusement l'empirisme et ce rationalisme dont Platon et Des-
cartes sont les représentants.
En somme, travail très original, style clair, piquant, quelque peu humou-
112 REVUE THOMISTE
S. Thoma eonfutatus. Cette étude écrite dans un latin facile vient ré-
pondre à point nommé à ceux qui prétendent que saint Thomas n'a pas connu la
position des idéalistes. L'auteur est au courant des travaux les plus récents
qu'il -lit dans leur langue. Dans un premier article il donne l'historique de
la question des Éléates à IIerb.ul, de Descarlcs à Schulze, Schuppe, Le-
clair, Baumann, Fischer, et Dohner, pour ne citer que quelques noms.
Dans un second article il expose la doctrine de saint Thomas, et fait
preuve d'une érudition consommée, en même temps que d'art dialectique
et de sens critique, par la manière dont il va chercher, et trouve dans
saint Thomas lanlôl des réfutations explicites, tantôt les éléments d'ar-
ounients originaux. Parmi ces arguments, il en est sans cloule plusieurs
de caractère métaphysique, et que refuseraient les critiques. Il en est
d'autres tirés du pur point de vue critique et qui, comme tels, sont ad
rem et ad hominem.
Nous souhaitons que ces articles et ceux qui suivront soient réunis en un
volume déformât commode. La quantité de documents èpars qu'ils co7wentrent
sur une même question et la lanque internationale dans laquelle écrit l'auteur
rendent ce jwtil livre très précieux pour le débat ouvert entre scolastiçues et
critiques. [D. Thomas, VII, fasc. 7 à 10.)
cpnscience n'est connu lui-même avec certitude qu'en vertu de son évidence objec-
tive. Celle-ci est le critère général de la connaissance réflexe et spontanée : l'in-
tériorité toute ontologique du phénomène de conscience n'empêche pas son
extériorité comme objet. M. Fonsegrive, à ne considérer que les phénomhmcs
subjectifs, s'expose à se voir retourner l'objection qu'il fait à M. Le Dantec :
a c'estpar une inévitable conséquence de ce parti pris initial qu'il ne sait plus
rien découvrir en dehors d'eux. i>
Entre Vexcès de M. Le Dantec qui réduit l'esprit à un épiphénomène, et. l'excès
de M. Bergson qui débute par faire de la matière un phénomène, il y a un
f
milieu. M. Gardair s'y maintient et si peut-être, ce que ignore, il n'a pas
en soi, par celle loi de volonté ou d'adaptation de l'acte à son objet. C'est
ce qui montre que l'homme est au petit bout des choses et que l'ordre
d'efficience ne se confond pas avec l'ordre humain de connaissance, comme
l'a cru Fichte, poussant à bout les idées de Kant.
Mais, tant qu'on ne philosophera vjas à coups de choses en soi, la volonté
qui est pour l'esprit une chose en soi, ne sera pas la garantie de l'exté-
riorité. Cette garantie, pour les réalités exlérieures ou intérieures
au môme litre - ne peut être pour nous que l'Evidence objective.
-
R, P. X.-M. Le Bachislet : Questions d'apologétique. -
de la controverse suscitée par la lettre de M. Maurice Blondel sur les
Résumé
'
qui prélude ainsi secrètement à l'acte de foi surnaturel. - Excellente étude,
très bien informée et de la meilleure inspiration. Nous sommes heureux, comme
théologiens, de voir le Sillon s engager dans cette voie. (Sillon, février, 1897.)
tème fermé est d'autant moins vite dissipée que le système renferme des
êtres vivants plus élevés. L'évolution ne dildonc pas accroissement d'éner-
gie utilisable, mais utilisée. Cet accroissement a une limite, l'énergie utili-
sable devant décroître en sens contraire jusqu'à devenir nulle.
La conception du monda comme système conservatiffermé est purement scien-
tifique et, au point de vue absolu, hypothétique. Pour le fJhilosophe spiritualiste,
le monde n'est pas un système conservatif, mais conservé. La notion de l'évo-
lution ne ressort donc,pas nécessairement du principe de Garnot. Il peut y avoir
et il y a sans doute afflux d'énergie du fait de la liberté, humaine ou divine.
{Revice de mèlaph. et de mot:, janv. 1897.)
leraent qu'un tel fait n'est pas uni à l'être par nature, mais comment est-il
uni?... » Ce lien est le terme de l'action, répond M. D. de V. (On n'en
peut, en effet, trouver d'autre ni de plus explicatif. Et dès lors on voit
comment fait contingent et action ou cause se répondent. « L'un donne ce
que l'autre reçoit. » [Annales de Ph. chrét., 15 févr. 1897.)
III. - PSYCHOLOGIE
La Totjii : L'admiration. -
Etude sur les causes de l'admiration.
Dans le monde sensible et dans le monde moral nous admirons succes-
sivement : la force physique, la souplesse, l'agilité, l'adresse, l'esprit de
combinaison, l'intelligence et lafaculté de prévoir qu'elle donne,l'élégance,
la grâce.
Chacun de ces attributs éveille chez celui qui le considère le sentiment
soit de la puissance d'une volonté (force), soit de l'empire qu'un pouvoir
d'organisation ou de direction exerce sur la matière.
L'auteur poursuit avec beaucoup de perspicacité et de charme la vérification
de cette loi, traduction psychologique des doctrines de saint Thomas sur
VEsthétique. [Revue néoscol., février 1897.)
(1) Sous presse : G. Tards: L'opposition universelle. Essai sur la théorie des contraires.
(Alcan, 10 fr.)
fondeur. - C'est une étude de psycho-physique sur ce qu'Aristote
nommait les sensibles communs.
D'ajji'ès M. Bourdon, la vision monoculaire ne donne pas la sensation de
la profondeur si on l'abstrait de la perspective cl des jeux de lumière.
profondeur apparaît sous l'influence de la convergence, ou mieux de la
- La
IV. - METAPHYSIQUE.
mas : « Amiens Thomas sed magis arnica veritas », telle est l'épigraphe de
cet article, de l'aveu même de l'auteur (p. 2) (1).
Le DT Rolfes ne semble pas avoir saisi la position purement dialectique choisie
par saint Thomas dans cette question. De là vient que ses arguments tombent à
faux, comme ceux de Suarez lui-même, qui surgit en bonne dernière page comme
leDeus ex machina de l'opuscule. L'argumentation de Suarez (XXIX. Metaph.,
sec. 1, n° 9) ou suppose ce qui est en question, -ou procède d'une supposition
fausse, à savoir que Lieu ne puisse pas créer un être en mouvement. On ne sort
de cette impasse qu'en rangeant la question parmi les problèmes. C'est ce qu'a
fait saint Thomas. (Philosophisches Jahrbuch,X, 1er janvier 1897.)
V. - PHILOSOPHIE MORALE.
(1) Die Lelire des hl. Thomas v. Aq. ûber die Moglichkeit einer aufangslosen
Schopfung. Munster. Aschendorff. 1895.
plus une certaine conception de la société. La thèse des criminalistes italiens
procède à ce point de vue de la thèse du contrat ou de celle des sociologues èvo-
lutionnist.es. Pour être complet, il semble nécessaire de la réfuter. [Rev. nèo-
scol., février 1897.)
non est Devs, que cet article d'un libre-penseur à moitié panthéiste! » [Revue des
Deux Mondesy 15 févr.)
M. Spronck :
--
La Crise de l'Université. Cte A. de Mun : Lettre
à M. Spronck sur la Crise de l'Univ. P. Bubxichon : Les mé-
comptes de l'Université. -
Bis jambes et Ott : Lettres sur la
Crise de l'O. ?- Le rapport de'M. Bouge sur le budget de l'instruction
publique établit que l'enseignement congréganisle est sur le point de dé-
passer quant au nombre des élèves renseignement de l'Etat. Quelle esl
la cause de ce fait ? M. Spronck opinerait pour une accumulation de causes
partielles, mais ne parvient pas, malgré tout, à découvrir la cause du
mal diagnostiqué" par M. Bouge. - M. de Mun, invité à répondre dans la
Revue bleue à M. Bouge, fait voir que les causes alléguées se retrouvent,
elles ou leurs équivalents, dans l'enseignement congréganisle. La seule
différence est celle que M.Lavisse a avouée lorsqu'il a dit : Nous avons
oubliéï'éducation.Cette éducation, l'enseignement congréganisle la donne.
Or, c'est par elle, selon Guizol, qu'au v" siècle déjà le christianisme l'a
emporté sur les moyens d'instruction et le développement intellectuel de
la société civile. -Le R. P. Burnichon dans un article de verve sou-
tient cette même thèse par une série de documents et de tableaux de
moeurs, qui ne laisseront aucun doute sur la vraie cause du discrédit de
l'Université. La lettre de M. Béjambes, président de l'Association des
maîtres répétiteurs, ne décharge ceux-ci que pour faire retomber sur le
gouvei'nemenl et les chefs de l'Université les responsabilités. -
M. Aug.
Oit dislingue entre la partie de l'éducation qui regarde la vie privée (su-
périeurement comprise dans l'enseignement congréganisle) et celle qui
regarde la vie sociale. Les congréganisles ont jusqu'ici refusé de se
rendre aux principes modernes. Les jésuites sont particulièrement sus-
pects à M. Oit. Celle dernière lettre fait la partie belle au R. P. Burni-
chon, si toutefois sa bonne plume du 1-i novembre dernier n'est pas per-
due. [Revue bleue, 13 et 27 février. .- Etudes, 5 février.)
René Bazix : De toute son âme. - Ce n'est pas sans raison que
nous inscrivons ce roman sous la rubrique : Philosophie morale. Depuis
longtemps la Revue des Deux Mondes nous avait déshabitués de lui deman-
der dans ce genre des oeuvres d'aussi pure inspiration. Et, mentant an
nom de son auteur, le premier roman de M. de Vogué Jean d'Ai/rève, ré-
cemment encore, faisait tomber une illusion de plus chez les amis de l'au-
teur des Cigognes.
De toute son âme esl le roman à thèse d'Octave Feuillet, mais christia-
nisé. M. Bazin nous initie à la vie d'un atelier de modiste en vogue. Une
~'"S
II. la théorie des idées forces; III. la force des idées : le moi; IV. la
liberté.
Excellente étude critique, qui a l'avantage de mettre au point de la phi-
losophie des idées claires, une philosophie qui ne l'est guère. Ce sera
peut-être un défaut aux yeux de M. Fouillée. Car, on sait que «les idées
confuses ont plus de réalité que les idées claires ». Et peut-être pensera-
l-il que M. de Margerie n'a pas enserré dans les mailles de sa critique
toute la réalité de son système, et n'a épingle dans sa collection que le
cadavre d'un système vivant. Moyen de défense, à la vérité fort commode,
et qui défie toute critique, en la récusant.
Nous iiensons que M. de Margerie a sur la plupart des points rendu ce qui
était intelligible de la pensée de l'auteur, que les critiques qu'il luifait du point
de vue du spiritualisme classique et chrétien [plutôt que du point de vue scolas-
iique) sont remarquables de logique, de finesse diataclique et d'élévation. (An-:
nales de Philos. chrét., oct. 1896, janv. 1897.)
- -
Parodi : L'Idéalisme scientifique. Etude sur M. Durand de
Gros. L'idéalisme, qui arrive aujourd'hui seulement jusqu'à la littéra-
ture et par là au grand public, n'est pas contre la science : il est né de la
science. Il procède d'une libre interprétation des théories expérimentales.
Ses initiateurs s'ajipellcnt Cauchy, Faraday, Cl. Bernard, Darwin,
Helmholtz, et enfin Durand de Gros.
M. Durand est avant tout philosophe. Ses recherches techniques
s orientent toujours vers une fin commune : montrer dans l'union de la
métaphysique et de la science le nécessaire et légitime instrument de la
128 REVUE THOMISTE
RE"VUE THOMISTE.
- Se ANNÉE. - 9.
LA VIE SCIENTIFIQUE
II.- Les RR. PP. Chartreux donnent une nouvelle édition des oeuvres
de leur «Doctor Extaticus ». Dom A. Mongel publie, à cette occasion, une
brochure intéressante et bien documentée, sous ce litre : Denys le Char-
treux (1402-1471). Sa vie, son rôle (Montreuil-sur-Mer, imprimerie de la
Chartreuse de N.-D. des Prés, in-8°, j>. 88).
sa journée religieuse : onze ou douze
-
heures,
Noté : Denys divisait ainsi
à Dieu ; trois heures au
sommeil ; quelques instants aux repas, le reste à l'étude. « Je ne conseil-
lerais à personne d'en faire autant, disait-il ; mais j'ai une tête de fer, el
un estomac de bronze. - Ses maximes sur l'étude : « Elle est pour les
clercs une obligation stricte ; pour les princes temporels un moyen de bon
gouvernement ; pour les religieux., le soutien de leur vocation ; pour les
jeunes gens, la meilleure sauvegarde contre les orages de l'adolescence ;
pour tous, le plus bel ornement de notre nature; c'est la porte de toutes
les vertus ; aussi l'un des premiers devoirs de ceux qui ont autoi'ité csl
LA VIE SCIENTIFIQUE 131
renfermeront les Dubia, les Inedita, dissertations, enfin les tables géné-
rales. - Le premier volume de cette vaste encyclopédie a paru, et com-
prend les Commentaires sur la Genèse et les 19 premiers chapitres de
l'Exode. Le texte a été soigneusement revu sur les éditions de Cologne .
le format est commode, les caractères nets et d'oeil approprié, l'index ana-
lytique très complet. - Pareil début fera bien augurer d'une publication
à laquelle exégètes, théologiens et ascètes, historiens et prédicateurs ne
peuvent manquer de prendre le plus vif intérêt. -Prix du volume, pour
les souscripteurs, 8 fr. : après la souscription close, 15 francs.
N.-B. -Denys, parlant de saint Thomas, pour lequel il avait une dévo-
tion et une admiration profondes, dit (In Sentent., t. I. distinct. VIII.
q. VII : « In adolescentiâ meâ, dum in studio et via Thomvtï instruerer, etc.
Signalé à ceux qui ont suivi la récente discussion entre le P. Brucker
et le P. Berthier, au sujet d'une lettre de saint Ignace.
III. .-
Communication de Mgr Kirsch. -
L'Académie de Berlin s'occupe
depuis plusieurs années de la préparation d'une édition critique complète
des auteurs chrétiens grecs des trois premiers siècles (jusqu'à l'historien
Eusèbe inclusivement). Les premiers volumes seront consacrés à saint
Hippolyte et au grand Origine. On commencera la publication par les
ouvrages suivants, qui vont paraître prochainement : saint Hippolyte^
t. I, Ouvrages exégétiques et homilétiques : Ir0 partie, Commentaire du
livre de Daniel, fragments du Commentaire du Cantique des Cantiques,
éd. N. Bonwetsch; II" partie, De Antechristo, Petits traités exégétiques.
éd. II. Achelis.
éd. P. Koetschau.
-- Origine, t. I, Eîç [Aapxijpiov rcpoTpe7rax<5ç ; y.azà KéXuov,
La série complète formera environ 50 volumes.
L'un des principaux promoteurs de cette nouvelle édition des auteurs
chrétiens grecs fut le prof. Ad. Harnack, de Berlin. Il en a pour ainsi dire
développé le programme et jeté les fondements dans le Ier volume de s.i
grande Histoire delà littérature chrétienne jusqu'à Eusèbe, volume qui con-
tient 1,020 pages et nous donne la série complète de tout ce qui est connu
et de tout ce qui est conservé en fait d'écrits chrétiens des trois premiers
siècles de l'Eglise, avec l'énumération de tous les manuscrits connus jus-
qu'ici. Le sous-titre de ce premier volume est : Die Ueberlieferungund
der Bestand der altchristlichen Lilleratur bis Eusebius (Leipzig, 1893). -?
La première partie du second volume, qui vient de paraître, est consacrée
à la chronologie des ouvrages chrétiens jusqu'à saint Irénée (Die Chro-
nologie der altchristlichen Lilleratur bis Eusebius. I. Band, die Chrono-
logie der Litteratur bis Irenaeus. Leipzig, 1897. Cet ouvrage mérite d'au-
tant plus d'être signalé ici, que l'auteur y traite également les livres cano-
niques du Nouveau Testament. Notons l'aveu précieux pour nous catho-
LA VIE SCIENTIFIQUE 133
.
V.
- L'inspiration des divines Ecritures d'après l'enseignement traditionnel
et Vencyclique « Providentissimus Deus ». Essai théologique et critique, par
M. l'abbé C. Chauvin, professeur d'Écriture sainte
au grand séminaire de
Laval, in-12, p. xv-1-230. Lethielleux, Paris. Ce livre témoigne d'une
--
science étendue et sûre, et révèle un esprit philosophique et théologique
qui manifestement sort du commun. Titres des chapitres : I, La notion de
l'inspiration. II, La psychologie de l'inspiration. III, Fausses théories sur
l'inspiration. IV, Les critériums de l'inspiration des Écritures. VI, L'éten-
due de l'objet de l'inspiration. VII, Controverse relative à l'inspiration
verbale. VIII, Conséquences de l'inspiration plénière des saintes Écri-
tures.- Particulièrement remarquable, le chapitre sur la psychologie de
'inspiration, où l'auteur, s'aidant de la philosophie et de la théologie de
134 REVUE THOMISTE
saint Thomas, montre comment l'action divine s'exerce de telle sorle sur
la volonté, l'intelligence, l'imagination de l'écrivain sacré, que le livre
que celui-ci écrit est proprement et principalement le livre de Dieu, la
parole de Dieu, et non pas seulement, comme quelques-uns le pensent, « un
enseignement garanti par Dieu. - La thèse soutenue au chapitre vu esi
que « Dieu a inspiré dans l'Ecriture les mots avec les pensées ». -.
Mgr l'évêque de Laval écrit à M. Chauvin : «... Je suis fier de penser que
mon grand séminaire est entre les mains de professeurs qui se montrenl
dignes, comme vous, de figurer parmi les maîtres des sciences ecclésias-
tiques qu'ils enseignent. » Tout le monde conviendra que l'éloge est aussi
mérité que flatteur.
l'éclat des fêtes qui tous les ans se célèbrent en l'honneur de saint Thomas
d'Aquin, et favoriser le triomphe de la vraie philosophie thomiste, un
LA VIE SCIENTIFIQUE 138
concours aura lieu chaque année dans l'une des Universités espagnoles,
(fui permettra aux étudiants catholiques de se connaître et de resserrer
entre eux les liens de l'amitié. Article 2. Celte année le concours se tiendra
à Valence ; et les années suivantes, dans l'Université qui aura eu le plus de
iravaux récompensés, sans qu'il soit permis cependant de réunir deux fois
le concours dans la même Université, avant que toutes aient eu l'honneur
de le posséder; 3° Seront mis au concours des sujets philosophiques, his-
toriques, littéraires et artistiques; 4° Un tribunal composé d'hommes
compétents, nommés j>ar la commission d'organisation, proposera les
sujets, jugera les travaux, et distribuera les prix en la forme convenable... »
Les autres ai'ticles déterminent avec précision et sagesse plusieurs autres
points pratiques. - Le jury nommé pour présider à l'organisation des
fêtes qui doivent se célébrer à Valence cette année, est ainsi composé :
Dr Miquel Sirvent, chanoine théologal ; R. P. Vila, dominicain ; Dr Ra-
phaël Rodriguez de Cepeda, professeur à la Faculté de droit; Dr Vicente
Catalayud, professeur à la même Faculté ; Edouard Soler Llopis, profes-
seur à l'École des Beaux-Aiis ; Dr Salvador Giner, du Conservatoire de
musique ; Dr Julio Magraner, de la Faculté de médecine. -? Président ;
Raphaël Marin. Secrétaires : Ricardo Mur, Ventura Montlor, Manuel
Albive. - Honneur aux étudiants espagnols el aux maîtres catholiques
cfui les inspirent et les dirigem !
X. -
M. l'abbé Chabot vient d'ajouter à la liste déjà longue de ses
publications de textes syriaques inédits un ouvrage d'une importance con-
sidérable pour l'histoire du dogme et de l'exégèse : Commentarius 2'heo-
ilori Mopsuesteni in Evangelium D. Joannis in libros VII partitus, Versio
fyriana juxlq, rodictm Parisiensem CCCVIII édita, in-8°, p. vin-1-412.
Paris, Ernest Leroux. Ce premier volume ne contient que le texte
136 REVUE THOMISTE
Raconter, sans être banal, des événements présentés tant de fois et sous
J42 REVUE THOMISTE
Il a réussi.
Un Thomiste,
en vacances.
LIVRES NOUVEAUX
Bakkail (général du). Mes Souvenirs. T. III (et dernier). 1864-1879. In-8.
Pion.
IliïCKEDonN (baron). Bismark. In-12. Dentu.
Langlois (Gli.-V.). Manuel de bibliographie historique. T. I. Instruments.
In-12. Hachette.
Pjïkiîy (Lucien). Une princesse romaine au xvnc siècle : Marie M:incini
Golonna. In-8 avec portrait. G. Lévy.
Saint-Simon. Mémoires, collalionnés par A. de Boislisle. T. XII. In-8.
Hachette.
Soiiel (Albert). Bonaparte et Hoche en 1797. In-8. Pion.
CitoisET. Histoire de la littérature grecque. T. I, in-8. Fontemoing.
PiÉni (Marius). Le Pètrarquisme au xvi° siècle. In-8 (Marseille). Leche-
vallier.
Baunard (Mgr). Le Cardinal Lavigerie. 2 vol. in-8. Poussielgue.
Bittaiîd des Portes. Histoire de Tannée de Condc. Gr. in-8. Dentu.
Duroun (M.). La Constitution d'Athènes et l'OEuvre d'Aristote. In-8.
Hachette.
GiiANnniAisoN (Geoffroy de). Napoléon et ses récents historiens. In-12.
Pcrrin.
Lecoy de la Marche (A.). A Travers l'histoire de France. In-12. Téqui.
Masson [F.). Cavaliers de Napoléon. In-12. Ollendorff.
Muller (Paul). U Espionnage militaire sous Napoléon I"'. Ch. Schulmeister.
In-12. Berger-Levraull.
Nouiiuisson. Voltaire et le voltairianisme. In-8. Lethielleux.
Paguelle de Follenay. Vie du cardinal Guiberi, archevêque de Paris.
2 vol. in-8. Poussielgue.
Vauchan (Diana). Le 33° .'. Crispi. Unpalladiste homme d'Etat démasqué.
Histoire documentée du héros depuis sa naissance jusqu'à sa deuxième
mort (1819-1896). In-8. A. Pierret.
J'Ouvexcoukt (le comte de). Les trésoreries de France de la généralité de
Picardie ou d'Amiens. Gr. in-8. Picard.
I'Audon de Mony (Ch.). Relations politiques des comtes de Foix avec la Ca-
talogne,jusqu'au commencement du xvc siècle. 2 vol. in-8 avec cartes.
A. Picard.
J-'Snault. Inventaire des minutes anciennes des notaires du Mans (xvn* et
xvinc siècles). In-8. E. Lechevalier.
150 REVUE THOMISTE
Le Gérant : P. SERTILLANGES.
LA CONSERVATION
ou plus simplement
T désigne toute l'énergie actuelle développée par un système après un certain temps. II
ï
exprime l'énergie potentielle à ce moment. -f- II est donc l'énergie totale. La seconde
parenthèse ï0 -f- Ho exprime l'énergie totale avant le temps qu'on considère. Enfin le
second membre STFe signifie la somme des travaux des forces extérieures.
Quelques mots d'explication ne seront pas inutiles à plusieurs de nos lecteurs :
On entend par « système » un ensemble de points matériels, considéré comme une
unité, sujet à une force motrice et capable de produire sous l'action de cette force un tra-
vail ou un effet q-aelconque.
On divise les forces en intérieures et en extérieures. Les forces intérieures, comme l'in-
dique d'ailleurs leur nom, sont celles qui résultent des actions réciproques des particules
intégrantes du système. Les forces extérieures procèdent d'agents moteurs situés en
dehors du système.
L'énergie actuelle on force vive à un instant donné est représentée algébriquement mv2;
c'est donc le produit de la masse par le carré de la vitesse. Il sera peut-être plus clair
de dire que la force vive est l'activité et le mouvement réels, appréciés par une mesure
et rapportés au travail qu'il peut produire.
L'énergie potentielle est la quantité de force vive qu'un corps au repos déploierait pour
passer de sa position actuelle à sa position d'équilibre stable. Par exemple : un objet
pesant, suspendu au-dessus du sol, possède de l'énergie potentielle : il ne faudra lui
imprimer aucune vitesse; pour le mettre en mouvement, il suffira de rompre le fil sus-
penseur. Le mouvement qu'il acquerra depuis la rupture du fil jusqu'au moment où son
centre de gravité coïncidera avec le centre do gravité de l'univers, mesure son énergiu
potentielle. Un second exemple, en relation plus intime avec la question qui va nous
occuper, achèvera d'eelaircir cette notion : L'éther triazotique de la glycérine
C3II[, (Az03)3 détone par le moindre choc et produit ainsi un énorme volume de gaz ; il
est évident qu'il y a ici un équilibre très instable. Le travail fourni par les particules
gazeuses au moment de la déflagration mesure l'énergie potentielle emmagasinée dans la
nitroglycérine.
Cet. énoncé sert de point de départ à l'argument des détermi-
nistes.
Or, ajoutent-ils, l'énergie totale de l'univers ne varie pas.
Par conséquent, il n'y a pas de travail deforces extérieures.
Or, si la volonté était la cause libre et indépendante des actes
humains, elle produirait un travail ^j- qui s'ajouterait à l'énergie
cos-
.
inique.
Par conséquent, la volonté humaine n'est pas libre.
Je ne crois pas qu'on puisse donner une forme plus rigoureuse
à l'argument. Tâchons d'en préciser le sens et d'en mettre
en
yaleur toute la force.
Tout d'abord, on ne peut pas contester sérieusement l'exacti-
tude absolue de l'équation. Elle dépend, il est vrai, de cette
suppo-
sition que les points matériels d'un système agissent, en raison
directe de leur masse et suivant une fonction quelconque de leur
distance : mm/fr). C'est là sans doute un élément plus ou moins
hypothétique qu'on introduit dans le calcul. Mais il faudrait
renoncer à donner la moindre vraisemblance à toute théorie qui
s'inscrirait en faux contre cette « hypothèse ». Toutes les probabi-
lités sont pour elle : il ne serait ni raisonnable ni habile de chicaner
sur ce point. Acceptons donc la formule dans toute sa teneur. On
peut sans doute ne pas oublier la certitude relative de son point de^
départ; la logique nous le défend. Mais cette considération est
complètement stérile pour le problème qui nous occupe.
Cependant par lui-même, et séparé du fait d'observation
que
nous avons posé comme mineure, le théorème des forces vives ne
prouve ni la constance réelle de l'énergie cosmique, ni par consé-
quent l'impossibilité de l'acte libre. Des mathématiciens très
sérieux s'y sont trompés, lis s'imaginent qu'il suffit d'appliquer le
théorème à J'univers tout entier, de considérer celui-ci
comme un
système pour en conclure que son énergie est invariable (1). Mais
quelle preuve les autorise à envisager l'univers matériel comme
un
Le travail n'est pas un effet quelconque d'une force; il est représenté le produit
de la projection de la force
par
sur la trajectoire du mobile par cette même trajectoire. Si
donc
une force opère sans imprimer une vitesse, en se bornant, par exemple, à modifier
'a direction, elle
ne produit aucun travail, bien que son effet puisse être très considé-
rable.
(i) Cfr.
par exemple Gilbert : Cours de mécanique analytique.
156 BEVUE THOMISTE
Bref, sous plus d'un rapport et pour plus d'un motif, la conser-
vation de l'énergie est un fait d'observation, dont la certitude et la
précision atteignent exactement le même degré que celles do
toutes nos connaissances empiriques. Or, en supposant ce fait
exact, la formule mathématique prend une singulière importance.
Il devient évident, en effet, que les forces extérieures à l'univers,
si tant est qu'elles existent, n'introduisent absolument aucune
variation dans l'énergie; et si certains facteurs des phénomènes
matériels s'appellent Dieu, anges, volontés, ce ne peuvent être
que des agents matériels, des forces ou des sources de forces maté-
rielles, ne développant jamais en force vive que le potentiel
emmagasiné, et ne passant du repos au mouvement que sous l'ac-
tion inéluctable d'un mouvement étranger.
Mais ce fait d'observation, dont les conséquences paraissent si
étranges et si embarrassantes pour les défenseurs résolus de la
liberté morale, est-il bien établi? En cherchant son origine et la
base qui lui communique sa stabilité, on trouve la détermination
de l'équivalent mécanique de la chaleur. Mayer émit le premier ce
principe que les différentes formes de l'énergie se convertissent
l'une dans l'autre sans jamais se détruire. Oa parvient même faci-
lement à déterminer le rapport d'au moins deux de ces formes :
l'énergie cinétique et la chaleur. Certes, personne ne pourrait cal-
culer l'énergie de l'univers tout entier: personne ne pourrait donc
établir directement sa constance. Mais dans tous les échanges par-
ticuliers d'énergie, observés depuis Mayer, on n'a jamais pu
trouver qu'une rigoureuse équivalence. Constance quantitative au
travers des variations qualitatives sans nombre, voilà la loi géné-
rale de cet échange ininterrompu d'énergie qu'est l'activité du
monde matériel. Le mouvement devient chaleur, lumière, élec-
tricité (t); ces divers agents reproduisent du mouvement; tantôt
(1) Je,n'entends ni défendre ni rejeter ici une véritable transformation réciproque dos
phénomènes calorifiques', lumineux, cinétiques, etc. Il suffit pour le moment d'admettre
une relation de causalité,- relation qui est incontestable.
celui-ci est en acte, tantôt il est en puissance; ces substitutions
s'opèrent d'après les lois souveraines de la substance corporelle;
niais toujours ces différentes formes sont complémentaires l'une
de l'autre; quand une première disparaît, elle semble engendrer
par sa destruction une seconde en quantité équivalente, de façon
que la somme de toutes les énergies cosmiques, tant potentielles
qu'actuelles, reste constante et invariable.
C'est en 1842 que Mayer a énoncé son principe; en 1843 que
Joule a fait ses recherches sur l'équivalent mécanique de la cha-
leur. Voilà donc un demi-siècle d'expériences toujours plus déli-
cates et plus minutieuses, qui ont invariablement confirmé le
principe. Dès lors, ne peut-on pas le considérer comme définiti-
1 vement acquis, l'admettre dans sa forme la plus générale et
l'étendre par analogie aux phénomènes qui échappent encore à
nos mensurations directes?-- Je le répète, c'est un fait d'obser-
vation ; la loi ne peut donc avoir que la certitude et la précision
d'une loi empirique ; mais, dans cet ordre do lois, elle en a autant
que la plupart de celles que physiciens et philosophes admettent
sans l'ombre d'une hésitation.
Voilà donc les prémisses de l'argument justifiées. Il n'est pas
impossible d'y montrer l'absence de certitude métaphysique, mais
toutes les probabilités se trouvent de leur côté ; rien de positif ne
peut être allégué pour en diminuer la valeur. Je les considère donc
comme pratiquement inattaquables.
La conséquence immédiate qu'on en peut déduire est évidem-
ment l'absence de tout travail extérieur. -Mais une source d'acti-
uté libre est une force extérieure, soustraite aux lois de la ma-
tière, ébranlant, de sa propre initiative et sans y être déterminée
physiquement par aucune cause créée, les mobiles matériels mis
à sa disposition pour l'exercice de son activité. Dans l'espèce, la
volonté humaine doit pouvoir ébranler un centre nerveux de la
couche corticale du cerveau ; elle doit pouvoir lui communiquer,
sans qu'aucune force matérielle ne l'y contraigne, une vitesse
cinétique, une vibration, une forme quelconque de l'énergie. Il ne
nous reste donc qu'à répudier la liberté morale de l'homme comme
une pure et simple illusion.
Pour les déterministes, l'homme n'est donc qu'une machine,
- très complexe, très parfaite, il est vrai, -? mais au bout du
188 REVUE THOMISTE
(- -
peut nous contraindre d'admettre que la volonté opère sans pro-
duire du travail, mais quoique le « comment » d'une telle opé-
ration nous échappe peut-être, aucune argumentation ne pourrait
nous faire conclure à son impossibilité.
II
(!) Cf. Revue des questions scientifiques, 1878 à 1880 : « l'Aveuglement scientifique. »
160 REVUE THOMISTE
(1) Le Père Carbonelle rcjelte h bon droit l'existence réelle de systèmes admettant des
solutions singulières. Nous en dirons un mot plus loin.
l'angle de réflexion, par exemple, parce que des fractions de
seconde échappent peut-être à nos mesures ?
D'ailleurs, personne n'est plus compétent en ces questions que
le P. Carbonelle, et lui-même nous fournit des considérations
qui rendent son idée absolument inacceptable. - A propos de la
contraction musculaire, dans laquelle, d'après le savant auteur,
la constance de l'énergie est entièrement respectée, il éci'it : « Il
ne nous reste qu'à signaler un défaut réel dans notre démonstra-
tion. Les mesures faites jusqu'ici de ces quantités d'énergie ne
sont pas assez exactes pour exclure rigoureusement toute action
extérieure. Un esprit déterminé quand même à soutenir la thèse
contradictoire, peut parfaitement se dire qu'il n'est pas encore
forcé de l'abandonner. Il pourra supposer que, même dans les
phénomènes non volontaires, il existe à notre insu des actions
excitatrices dont l'énergie est si faible qu'elle nous échappe, mais
il n'aura aucune raison positive à faire valoir enfaveur de cette hypo-
thèse. Les anciens raisonnements perdent toute leur force, quand
on cherche à les mettre d'accord avec la mécanique. Cette absence
d'arguments positifs en faveur d'une thèse qui a compté tant
d'illustres défenseurs, n'est-elle pas un argument de plus pour la
probabilité de la nôtre? » ?- Ailleurs il considère
coup d'exactitude du reste - - avec .beau-
le principe de la constance de
l'énergie totale comme un précieux moyen de contrôle « pour pré-
server d'erreur l'esprit d'invention et de découverte. » -En effet,
« supposons que, pour édifier une explication scientifique quel-
conque, il faille hasarder une hypothèse. Jadis on n'eût pas reculé
devant des hypothèses qui, bien examinées, auraient supposé des
variations dans l'énergie universelle, devant des créations et des
anéantissements d'énergie. On sait aujourd'hui que toute hypo-
thèse semblable doit être rejetée sans examen; et souvent cette
connaissance déblaie fort utilement le champ des conjectures
scientifiques. »
Ne m'est-il pas permis d'appliquer ce précieux moyen de
contrôle à l'hypothèse du P. Carbonelle, et par conséquent ne
suis-je pas autorisé à la rejeter sans examen? Le savant auteur n'a
aucune raison positive à faire valoir. Le témoignage du sens intime
n'en est pas une ; il ne porte que sur la réalité du libre arbitre et
nullement sur son mode opératoire. Le principe reste donc intact;
162 REVUE THOMISTE.
(I) Toutes les affiraiations de M. Fouillée sont ici d'une étrange inexactitude. Il ne
suffit pas de rapprocher l'idée de Cournot du clinamen épicurien pour la rendre inac-
ceptable. Il s'agit de savoir si, oui ou non, il y a des forces directrices qui n'augmentent
en rien la force-vive. Or cela ne peut faire l'ombre d'un doute. M. Fouillée le nie ; mais
ses preuves, ou plutôt ses assertions catégoriques sont entièrement erronées. Il nous
dïC, par exemple, que « pour modifier mécaniquement la direction d'un mouvement, et la
résultante d'un parallélogramme de forces, il faut de toute nécessité ou détruire un des
mouvements composants ou introduire et créer un mouvement nouveau». Or, comment
créer ou annuler du mouvement sans créer ou annuler do la force-vive, par conséquent
sans faire varier la somme d'énergie qu'on supposait constante ? L!auteur oublie cer-
tainement les forces agissant normalement à la trajectoire; la force-vive qu'elles com-
muniquent au mobile est certainement nulle, et l'on pourrait les introduire en nombre
indéfini clans un système sans modifier sa somme d'énergie. Considérons, par exemple,
la gravitation de la terre autour du soleil. Si tout à coup l'effet de l'attraction était
suspendu, la terre s'en irait par la tangente avec exactement la même somme de force-
vive qu'elle possédait en tournant autour du soleil. Cette modification aurait son reten-
tissement quelque part dans l'univers, et l'état du centre de gravité n'en serait nullement
affecté. Quant au principe des aires, que M. Fouillée croit également compromis, il ne
devrait plus s'appliquer, puisque par rapport au soleil il n'y aurait plus d'aires.
166 REVUE THOMISTE
(1) Nous ne voulons rien préjuger ici sur l'action de l'Infini dans la volonté libre.
LA CONSERVATION DE L'ÉNERGIE ET LA LIBERTÉ MORALE 167
(1) Cf. S. Tiiom. Summacontra Gent., II, c. 16; et Ferraji. in II. L. - Iliid., III, c. 23
discussion avec Ips déterminisles cesserait, puisque leur théorie
serait admise dans toute son intégrité. Mais alors quel être, quel
agent ou quelle puissance sera la cause de cette incontestable
réalité qu'est l'actuation du pouvoir locomoteur ? Lisons-le nette-
ment, la volonté détermine le mouvement local. Par un influx,
qui ne peut être que physique, elle réduit en acte la puissance loco-
motrice, principe élicitif et immédiat du mouvement. Elle est la
cause principale et véritablement efficiente de ce mouvement ; et
c'est ainsi que l'atteste le sens intime, et c'est ainsi que Je procla-
ment et la raison et le sens commun. Influx physique on harmo-
nie préétablie, il faut admettre l'un ou l'autre. Et puisque
Mgr Mercier refuse si onergiquement d'accepter cette dernière, il
ne lui reste que la doctrine de l'influx physique.
Il est évident que l'acte de la volonté n'est pas le principe direct
delà locomotion, la puissance locomotrice étant interposée entre
lui et le mouvement. Mais ce n'est certes pas une raison pour ne
pas reconnaître la volonté comme cause efficiente proprement dite.
Mgr Mercier lui-même, avec tous les philosophes et tous les théo-
logiens, parle des actes commandés par la volonté, et cette expres-
sion est absolument correcte. Cependant il ne peut pas ignorer,
lui si compétent en philosophie scolastique, que dans la pensée de
saint Thomas ce n'est pas la volonté, mais l'intelligence, qui est
le principe élicitif de ce « commandement ».
Après ces considérations, quelle est la valeur de l'idée du savant
philosophe ? A mon sens, elle est plutôt incomplète qu'erronée; et
jo crois pouvoir la considérer comme la plus sérieuse tentative de
conciliation entre la liberté morale et la constance de l'énergie,
qui ait jamais été publiée.
II est très exact que l'activité extérieure de nos organes n'est que
l'énergie potentielle réduite en acte par la volonté. Il est tout aussi
incontestable que le « branle » doit venir de la volonté, et ne peut
impliquer la création d'aucun travail. La solution de Mgr Mercier
a en outre le très sérieux avantage de ne contenir-aucun élément
hypothétique gratuitement affirmé. Une fois l'imagination éveillée,
u n'y a aucune raison pour qu'elle s'arrête, et l'on pourrait multi-
plier presque à l'infini les «arguments ex machina », dont le
moindre défaut est d'être dépures conceptions a priori. Mgr Mercier
3- vu l'inconvénient de cette tendance, et a pu se défendre de cette
174 REVUE THOMISTE
III
(1) Le lecteur remarquera que je me sers ici du langage des atomistes les plus con-
vaincus. Qu'il veuille bien remarquer que ce n'est pas une raison pour rien préjuger sur
met opinions à ce sujet. Les termes employés ne sonl ici que l'image de faits incon-
testables; et si on ne leur attribue pas une plus grande portée, ils ne présentent pas le
moindre inconvénient. - Deux circonstances m'obligent d'ailleurs à parler ce langage :
lout d'abord, il est universellement usité et l'on s'exposerait à ne plus être entendu si
ion s'efforçait de s'en affranchir; et ensuite, il faut bien l'avouer, la terminologie du
système hylémorpliiste est déplorabloment incomplète. Les philosophes se sont trop
exclusivement préoccupés du fait central de l'unité substantielle, et ont perdu de vue
'lue la théorie atomique est le point de dépari d'une foule d'interprétations, d'hypothèses
°u de théories subsidiaires, explicatives de faits que les scolastiques ont négligé de ratta-
cher à leur théorie.
- Tels sont, par exemple, les phénomènes thermiques accompa-
gnant les réactions. Quelles sont les expressions scolastiques équivalentes à ces termes
«un usage journalier : composés endothermiquos, composés exothermiques? Il est cer-
tain que ces mots, transportés comme tels dans la théorie hylémorpliiste, ne signifieraient
Pas tout ce que l'irypothése atomique nous permet d'y comprendre.
convaincu qu'il y aurait quelque chose à faire sur ce terrain.
- Aussi je suis
176 REVUE THOMISTE
vation se trouve une surface plane, la masse s'y arrêtera dès qu'elle
y sera parvenue. Car alors la réaction de la surface est exactement
opposée et égale à la force qui sollicite le mobile à descendre.
Quelque chose de semblable doit évidemment se trouver dans
tous les composés, dont la destruction provoque l'apparition
d'énergie actuelle, telle que la chaleur. Cette énergie calorifique
n'est évidemment pas créée par la décomposition, et il faut
admettre - ce qu'on peut d'ailleurs vérifier- qu'elle s'est amon-
celée dans le produit, lors de la combinaison des éléments. Si, par
exemple, la combustion de l'acétylène C2 H, donne un excédent
d'environ soixante calories sur la chaleur de combustion de ses
éléments, c'est évidemment parce que, lors de la combinaison du
carbone et de l'hydrogène, celte chaleur y a été accumulée; et si
elle ne se manifeste pas aussi longtemps que la combinaison sub-
siste, c'est-à-dire aussi longtemps que le carbone et l'hydrogène
restent associés par les liens qui les unissent dans l'acétylène, c'est
incontestablement parce qu'il est de la nature de l'acétylène de
s'opposer à son actualisation, c'est parce que ce produit comporte
essentiellement une force antagoniste à celle qui sollicite le mobile
au mouvement calorifique.
L'existence de cette force me paraît si évidente que je m'étonne
qu'au moins les théoriciens de la chimie ne l'aient pas précisée
davantage. Ils parlent de ligatures, de soudures, et d'une façon
générale d'affinité; mais ces expressions s'appliquent tout aussi
bien aux composés exothermiques, et ne désignent d'ailleurs que
le fait général de la combinaison. Ce qu'il s'agit de constater, c'est
que pour l'énergie potentielle chimique comme pour le mouve-
ment potentiel cinétique, il faut de toute nécessité admettre une
force antagoniste s'opposanl à leur actualisation. En raison de sa
fonction et de sa généralité, il me paraît opportun de donner un
nom. générique à cette force et je crois que celui de forée prohibante
ne serait pas trop mal choisi. Comme nous venons de le dire, cetle
force prohibante s'identifie avec la nature chimique du composé,
ou, en langage scolastique, avec sa forme substantielle, quand il
s'agit d'énergie chimique.
11 me semble que l'énergie potentielle, qu'elle soit d'ailleurs de
Fr. M. P. De Mbnnynck, 0. P.
Professeur de philosophie au collège de Louvain.
(1) V. 3, p. HE.
DEVONS-NOUS « TRAVERSER KANT » ? 181
a
ébranlée » dans ses fondements, « artificielle » dans sa méthode,
ne saurait avoir aucun résultat sérieux. Il n'est pas besoin de la
traverser pour la dépasser, mais peut-être pour n'être plus tenté
d'y revenir.
Quant au résultat qu'on lui attribue, il faut en rabattre. La
méthode d'immanence, au sens absolu qu'on lui donne, ne sau-
rait être qu'un résultat obtenu par surprise. C'est le résultat d'une
critique incomplète, ayant négligé de considérer le point de vue
dogmatique qui s'opposait, au sien pour ne considérer que les
excès des dogmatistes. Il y a un milieu au dilemme kantien :
Tant que l'on n'aura pas réfuté l'intuition intellectuelle telle
que l'entendent Aristote et l'Ecole, il ne sera pas avéré qu'il
soit nécessaire, pour être philosophe, de traverser la critique
d'un bout a l'autre.
(1) P. 4i.
(2) IV, 18, p. 16.
(3) IV, 22, p. 199.
(4) IV, 12, p. 537.
(5) IV, 22, p. 19Ô.
(C) IV, 18,
p. 1C.
188 REVUE THOMISTE
(1) V, 3, p. 112.
(2) V, 3, p. 112.
(3) IV, 12, p. 537.
(4) TV, 18, p. 16.
(5) V, 3, p. 114.
(6) III, 34, p. S28.
(7) Cf. De Vidée delà loi naturelle, p. 44.
DEVONS-NOUS « TRAVERSER KANT )) ? 189
2° Critique.
Les données centrales de cette théorie sont assurément celles du
phénomène-être d'une part, et de l'autre, celle de résultante inté-
rieure des choses extérieures. Tout le travail de l'esprit pour ressaisir
l'être et ses déterminations est situé dans les limites de ces deux
.
données. L'esprit part de l'être qu'il trouve au plus profond de la
conscience pour questionner la résultante intérieure des choses
extérieures, et aboutit par la confrontation de ces deux sortes de
données aux lois de la nature et aux concepts métaphysiques.
Mais M. Boutroux est-il bien sûr qu'il y ait deux sortes de don-
nées ? Comment, après avoir traversé la critique, parler encore de
la résultante intérieure des choses extérieures? que savons-nous de
(1) IV, 18, p. 46.
(2) IV, 22, p. 200.
(3) III, 34, p. S29.
190 REVnE THOMISTE
LIGITUR ?
Fr. A. Gardeil, 0. P.
LA PROVIDENCE
[Suite)
Lé mal en général. -
La présence du mal dans le monde oblige
à une étude plus approfondie de la Providence. Ce n'est qu'en
voyant mieux ce qui appartient à Dieu et ce qui est le fait des
créatures, qu'on peut justifier la cause première de toute solida-
rité avec le mal.
Le mal est Je contraire du bien; il en est l'absence, comme
l'obscurité est l'absence de la lumière. On ne peut connaître le mal
que par Je bien dont il est l'opposé, comme on ne connaît la mala-
die que par la santé qu'elle détruit ; le repos, que par le mouvement
dont il est la cessation. N'étant pas une réalité, le mal n'existe pas
par lui-même, mais par le sujet qu'il défigure. La surdité n'est
possible que dans une oreille. De cause efficiente du mal, il n'y en
a pas. « Que personne, dit saint Augustin, ne cherche la cause
efficiente d'une mauvaise volonté, une mauvaise volonté n'a pas
de cause efficiente, elle n'a qu'une cause déficiente (d). Il en est
»
do même de tout défaut. Le défaut est réversible
aux causes qui
ont produit l'être où il se trouve; parce que ces causes ne lui ont
pas donné tout ce qu'il doit avuir. ')
Le mal n'existe pas en Dieu, puisque Dieu est acte pur et par-
fait; il n'est possible que dans la créature. Quand le mal apparaît-
û* ? Comparée à Dieu toute
créature, si parfaite qu'elle soit, ren-
ferme toujours de l'imperfection, car une créature n'a qu'un être
dérivé et fini. Cependant,, tout être dérivé n'est pas mauvais
en
0) Nemo igitur quoerat efficientem causam mal» voluntatis : non onim est efficiens
sed deficiens. Civ., lib. XII, c. vu.
196 REVUE THOMISTE
Mal physique. -
Salomon nous paraît bien rendre ce qui se passe
dans le monde quand il dit : Contre le mal, le bien ; contre la
mort, la vie ; semblablemr.nt contre le juste, le pécheur. Regardez
toutes les oeuvres du Très-Haut, vous verrez deux et deux, un
(1) Hoc scio, naturam Dei nunquam, nusquam, nulla ex parte posse deficere; et ea
posse dcficere, quao ex niliilo facta sunt. Civ., lib. XII, c. vin.
(2) ïïàvrav v.cù tûv v.axôiv àçyji v.oà téXoç éo-u xb cq-aOàv '
zov yàp àyuQov êvsxa Ttâvra
v-cù ciaa àyaBà -/ai ôaa àvavTÔc. De div. Nom., c. iv, § 31.
(3) Ad prudentem gubernalorem pertinet negligere aliquem defectum bonitatis in
parte, ut faoiat augmentum bonitatis in tolo. O. G., lib. II, c. lxxi.
198 REVUE THOMISTE
faudrait que Dieu n'eût créé que des êtres incapables de défaillir;
ou qu'il les rendît tels par les soins de sa providence. La raison
peut-elle demander qu'il soit ainsi ? Non, ce serait une erreur pire
que celle des optimistes : car les optimistes n'excluent pas tout
mal de ce qu'ils appellent le meilleur des mondes. La vérité est que
Dieu a le droit de créer tous les mondes possibles, c'est-à-dire tous
ceux qui n'impliquent pas de contradiction. Dieu ne pourrait pas
vouloir un monde où le mal dominât, ce monde serait irréalisable,
attendu que pour le choisir il faudrait vouloir le mal pour le mal,
ce qui est une contradiction, la volonté ne pouvant se porter que
sur le bien.
Les défauts de la créature proclament à leur manière la perfection
du Créateur. La raisonne peut qu'admirer comment Dieu, avec des
êtres périssables, a su construire un monde qui dure et comment,
dans les rapports échangés, il remédie à l'imperfection des activités
secondes. Sitoutmouvementestimpossiblesans un premier moteur,
l'impossibilité augmente quand, à la contingence du mouvement,
s'ajoutent l'inlermittence et l'irrégularité qu'il rencontre dans son
existence. Si la science nous dit qu'il n'y a pas de mouvement
spontané dans la nature, nous sommes mis en demeure de cher-
cher plus haut son origine première : nous le sommes bien davan-
tage quand elle nous montre qu'il n'y a pas de mouvement véri-
tablement continu et régulier. Il faut un sage et puissant modéra-
teur. Combien de fois la croûte terrestre ne s'est-elle pas déchirée
sous de violentes contractions? Les tremblements de terre nous en
donnent encore de terribles exemples ; c'est cependant grâce à ces
mouvements, que tant de ruines accompagnent, que les continents
ont acquis et gardent leur relief. Annibal a imité cette sagesse à la
bataille de Cannes, en mettant dans son centre des troupes qui
devaient fléchir et attirer -les Romains sous les coups des ailes.
C'est surtout dans le monde de la vie que le défaut devient l'oc-
casion du bien. Non seulementDieu sait combler par les naissances
les vides que produit la mort, et perpétuer les espèces malgré la
fragilité de leurs représentants;,mais il sait encore produire des es-
pèces qui vivent sur les restes et les débris des autres êtres. Tels
sont les champignons qui végètent sur la pourriture, les vers qui
pullulent dans les cadavres. Ces êtres ont la double mission d'é-
tendre la vie à de nouvelles régions et de faire disparaître des sub-
200 REVUE THOMISTE
(1) Nam et corpus non est unum membrum, sed multa. I Cor. xn, 14.
LA PROVIDENCE 201
Mal moral. -
L'homme est sujet aux calamités de ce monde :
à la douleur, à la maladie, à la mort. AccusjerJDieu de ne pas nous
avoir préservés de ces maux, c'est ne pas considérer l'homme dans
ce qui lui est propre, c'est le confondre avec les êtres périssables.
Il y a quelque chose en nous qui ne meurt pas, l'âme raisonnable;
et quelque chose qui dépasse toute force créée, la volonlé libre.
C'est à cette partie de notre être que s'applique la providence qui
nous est spéciale.
On ne peut pas dire que la volonté humaine est supérieure à la
cause première d'où elle émane, mais elle est incontestablement
au-dessus de toute autre puissance et le champ d'action que Dieu
lui donne est pour elle sans limite. La limite ne vient pas de notre
vouloir qui jouit de tou te liberté, mais de notre pouvoir qui n'est
(1) Iicce nos concedimusmeliorem esso naluram quse omnino pooearc nolit, concédant
cl ipsi non osse nialain naluram- qua> sic facta est, ut posscl non peccarc si nollol, et
jufjtam esse sententiam qua punita est, quoe volimtale non necessilato poccavil. Sicut
ei'go ratio vera docet jueliorem esse naluram quam prorsus niliil délectai illicitum; ila
''alio vera nihilominus docel etiam illam bonam esse quai habcl in potestate illicitam
deleclalionem, si extiterit, colnbere... Cum orgo lioec natura bona sit, illa melior,
cur
dlam solain, et non utramque polius i'acerot Deus? De Gen., ad lit. lib. XI,
c. ix.
?
204 REVUE THOMISTE
Elle ne peut le savoir que par les fails et les faits de cette nature
lui échappent, parce qu'elie ne pénètre pas les volontés humaines.
Ce que la raison sait, c'est que le mal ne prévaudra jamais contre
le bien. De même que l'auteur de la nature a fait une oeuvre
bonne, malgré les désordes partiels qui s'y rencontrent,. de même
l'auteur du genre humain n'a pas fait une oeuvre mauvaise, malgré
les vices qui s'y rencontrent. Dieu a prévu tous les ravages que le
mal peut faire et sa providence y apporte le remède convenable.
« Dieu, continue saint Augustin, ne créerait pas non seulement un
ange, mais même un homme, dont il prévoit la méchanceté, s'il ne
voyait en même temps de quelle utilité ils seront pour les bons, et
comment la suite des siècles, semblable à un beau chant, sera
honorée parleur contraste » (1).
C'est par le châtiment que Dieu réprime le mal et l'ordonne au
bien. La peine infligée à la faute a le double avantage de provo-
quer le coupable au repentir et d'empêcher l'innocent de préva-
riquer. Le premier effet est un bien pour celui qui a commis le
mal; le second, pour ceux qu'il empêche de tomber. Aux maux
physiques Dieu remédie d'autre façon. Il ne peut pas châtier des
créatures incapables de prévariquer, ni disposer au delà do la mort
d'êtres qui périssent tout entiers. La matière seule demeure sous
le va-et-vient des composés naturels, comme toute substance
demeure sous la succession des phénomènes qui la modifient.
L'homme, au contraire, se survit dans son âme,et il est complète-
ment libre dans ses actions, de là sa culpabilité. L'homme est
responsable de ses oeuvres envers celui qui lui donne d'être et
d'agir, comme tout dérivé est tributaire de sa source. Il est donc
juste que l'homme rende compte à Dieu de sa conduite, et qu'il en
reçoive récompense ou punition. Tout législateur doit à ses lois
une sanction, sans laquelle il n'induirait pas suffisamment à leur
observance et ne détournerait pas de leur transgression; Dieu n'a
pas oublié la sanction et il charge sa providence de l'appliquer.
La raison comprend qu'il doit en être ainsi, c'est pourquoi elle
(1) Neque enim Deus ullum, non dico Angelorum, sed vel hominum crearet, quem
malum futurum esse praescisset, nisi pariter nosset quibus eos bonorura usibus comrao-
daret, atquc ita ordinem soeculorum tanquam pulcherrimum carmen ex quibusdam quasi
antithésis honestaret. Civ. lib. XI, c. xvm.
LA PROVIDENCE 20o
(1) Sed ea ipsa est vcl maxima nostri causa inoeroris, quod cum rerum bonus rector
existât, vel esse omnino mala possint, vel impuiiita proetereunt. At huic alquid majus
adjungitur. Nam imperante, ftorentequenoquitia, virtus non solum praemiis caret, verum
etiam sceleratorum pedibus subjecta calcatur, et in locum facinorum supplicia luit. Qua;
fien in regno scientis omnia, potenlis omnia, sed bona tantum volentis Dei, nemo satis
potest nec admirari, nec conquori. De Consol., lib. IV, pros. 2.
(2) Mei pêne motisunt pedes : pêne effusisunt gressus mei, quia zelavi super ini-
quos, pacem peccatorum videns. Psa. lxxii, 2 et 3.
Ut quid, Domine, recessisli ionge, despicis in opportunitalibus, in tribulatione; ditm
superbit impius, ineenditur pauper. Psa. x, 1, selon l'hébreu.
Justus quidem es, Domine... quare via impiorumprosperatur : bene est omnibus, qui
prssvaricanlur, et inique agunt ? Jei\, xn, \.
Et ego quando recordatus fuero, pertimesco, et concul.it earnem meam tremor.
Quare impii vivunt, sublevati sunt, confortalique divitiis ? Job., xxi, 6.
206 RKVDE THOMISTE
(i) Interest autem plurimum, qualis sit usns vel earum rerum quoe prospéras, vel
earum quoe dicuntur adversoe. Nam bonus temporalibus nec bonis extollitur nec malis
frangitur ; malus autom ideo hujuscemodi infelicitate punitur, quia felicitate corrumpitur.
Ostendit tamen Dcus ssepe etiam in his distribuendis evidentius operationem suam. Nam si
mine omne peccatum manifesta plecteret poena, nihil ultimo judicio servari putaretur :
ruisus, si nullum peccatum nunc puniret aperte divinitas, nulla esse providentia divini
crederctur. Similiter in rébus secundis, si non eas Deus quibusdam petentibus evidentis-
sima largitate concederet, non ad eum ista pertinere diceremus : itemque si omnibus eas
petentibus daret, nonnisi propter talia praemia serviendum illi esse arbitraremur ; nec pios
nos faceret talis servitus, sed potius cupidos et avaros. Civ., lib. I, c. vm-2.
LA. PROVIDENCE 209
Dieu n'accordait parfois les biens temporels à ceux qui les deman-
dent, on dirait qu'il n'en est pas le maître, et s'il les accordait tou-
jours, on croirait qu'il faut le servir uniquement pour les avoir :
son culte ne rendrait pas les hommes pieux, mais plutôt cupides et
avares. » Toujours le bonheur ou le malheur de l'homme dépen-
dront de la possession ou de la perle du souverain bien.
Satisfaite sur ce point, l'objection s'adresse à l'éternité des
peines qui attendent le pécheur au sortir de cette vie. 11 n'y a pas
de proportion, dit-elle, entre la faute d'un instant, mettons qu'elle
dure toute la vie, et un châtiment qui ne doit pas finir. Ne valait-
il pas mieux laisser ce malheureux dans l'oubli du néant que de
l'appeler à un éternel supplice? Dieu prévoyait sa faute et son
obstination, cependant,il n'a pas hésité à le créer : comment n'est-
il pas responsable de sa perte?
Il n'y a que ceux qui méconnaissent la grandeur de l'homme et
ignorent ce qu'est une épreuve, pour s'étonner que la punition
comme la récompense doivent être définitives. Une épreuve est
forcément un état transitoire, préparant l'état définitif. L'épreuve
ne fait pas la durée de l'être, elle prend une partie de cette durée
ponr fixer l'autre partie. La créature raisonnable sera pour tou-
jours ce qu'elle aura choisi d'être pendant son épreuve, car la
créature raisonnable ne périt pas, elle en a le témoignage au plus
profond de son être.
Quant à ne pas créer ceux qui se perdent, déjà nous avons vu
que Dieu n'y est pas tenu. Pour eux, peut-être, eût-il été mieux de
ne pas être, bien que l'excellence de leur nature l'emporte toujours
sur le mal de la faute et du châtiment ; mais l'esprit n'hésite pas à
confesser la sagesse et la bonté divine, quand il considère que les
peines éternelles sont nécessaires pour maintenir les bons dans la
vertu et ramener les pécheurs au repentir. Quelle effroyable licence,
si les prévaricateurs n'avaient à redouter que des peines tempo-
relles, et quel désespoir pour les justes s'ils n'avaient à compter
que sur des biens périssables? Le mal de la partie est largement
compensé par le bien du tout. Incontestablement, si Dieu ne créait
qu'un seul homme et si cet homme se perdait, on pourrait croire
que le Créateur a manqué de prudence et de bonté. Il ne pourrait
le faire sans un bien plus grand que la raison n'a pas à connaître
et qui viendrait compenser ce malheur. Si Dieu crée deux hommes
210 REVUE THOMISTE
(1) At enim si Deus vcllct. etiaro isli boni essent. Quanto melius hoc Deus voluit, ut
quod vellent essent; sed boni infructuose, mali autem împimè non essent, et in eo ipso
aliis utiles essent? Sed praîseiebat quod eorum futura essel voluntas mala. Praesciebat
sanè, et quia falli non potest ejus proeseientia, ideo non ipsius, sed eorum est voluntas
mala. Cur ergo eos creavit, quos taies futuros esse praesciebat? Quia sicut prsevidil
quid mali essent facturi, sic etiam praevidit de malis factis eorum quid boni esset ipse
facturas. Sic enim eos fecit, ut eis relinqueret unde et ipsi aliquid facerent, quo quid-
quid etiam culpabiliter eligerent, illum de se laudabiliter operanlem invenirent. A se
quippe habent voluntatem malam, ab illo autem et naturam bonam et justam poenam;
sibi debitum locum, aliis exercitationis adminiculum et timoris exemplum. De Gen. ad
lit., lib. XI, c. xn.
LA PROVIDENCE 211
Puisqu'ils sont divers et multiples, aucun des agents crées n'est le premier agent,
(1)
comme aucun des êtres particuliers n'est le premier être.
212 REVUE THOMISTE
mier moteur lui imprime. Toute l'activité que fournit une jambe
boiteuse vient de laforce motrice de l'animal ; mais le vice de cette
activité n'envient pas, il est dû à la conformation de la jambe qui ne
lui permet pas de suivre l'impulsion donnée par la force motrice. »
On démontre de la môme manière que Dieu n'est pas l'auteur du
mal moral.
« Il faut dire, continue saint Thomas, que Dieu étant le premier
principe de tout ce qui se meut, il meut, certains êtres de telle
sorte que ces êtres meuvent à leur tour : tels sont les agents libres.
Si donc ces agents sont dans la bonne disposition et dans l'ordre
requis pour recevoir la motion divine, les actions qu'ils produiseiil
sont bonnes et remontent totalement à Dieu comme à leur cause.
Mais si les agents blessent l'ordre voulu, l'action est désordonnée,
c'est un péché. Dans cette action, ce qu'il y a d'être est réversible
à Dieu comme à sa cause ; mais ce qu'il y a de désordonné et de dif-
forme ne peut appartenir qu'au libre arbitre et non à Dieu. C'est
pourquoi on dit que l'acte est de Dieu et que le péché n'en est
pas. » (1)
La raison doit remonter jusqu'au néant pour trouver la source
de tous les maux, comme elle remonte à Dieu pour contempler la
cause de tous les biens.
Fr. A. Villard 0. P.,
(1) Quidam enîm dixerunt antiquitus, actionem peccati non esse a Deo, attendentes
ad ipsam peccati deformilatem, quoe a Deo non est. Quidam vero dixerunt actionem
peccati esse a Deo, attendentes ad ipsam essentiam actus quam oportet ponere a Deo
duplici ratione esse... Sed tamen atlendendum est quod motus primi moventis non reci-
pitur uniformités in omnibus mobilitms, sed in unoquoque secundum modum pro-
prium... Cum enim aliquid est in débita dispositione ad recipiendum motionem primi
moventis, consequitur actio perfecta secundum intentionem primi moventis; sed si non
sit in débita dispositione et aptitudine ad recipiendum actionem primi moventis, sequitur
actio imperfecta, et tune ibi quod est actionis, reducitur ad primum movens sicut in
causam, quod autem est ibi de defectu, non reducitur in primum movens sicut in cau=
sam, quia talis det'ectus consequitur in actione ex hoc quod agens déficit ab ordine primi
moventis, ut dictum est; sicut quidquid est de motuin claudicatione, est ex virtute motiva
animalis ; sed quidquid est ibi de defectu, non est a virtute motiva, sed a tibia secundum
quod déficit ab opportunitate mobilitatis a virtute motiva. Sic ergo dicendum quod cum
Deus sit primum principium motionis omnium, quaedam sic moventur ab ipso quod etiam
ipsa movent, sicut quoe habent liberum arbitrium : quaj si fuerint in débita dispositione
et ordine debito ad recipiendum motionem qua moventur a Deo, sequentur bonss actionem
quoe totaliter reducuntur in Deum sicut in causam; si autem defleiant a debito ordine,
sequetur actio inordinata, qusc est actio peccati : et sic ibi quod est de actione, reducitui-
in Deum sicut in causam : quod autem est ibi de inordinatione vel deformitate, non habet
Deum causam, sed solum liberum arbitrium. Et propter hoc dicitur, quod actio peccali
est'a Deo, sed peccatum non est a Deo. De Malo, 9, m, a. 2, c.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT
CINQUIEME ARTICLE
OU
(1) « Nescitis quia templum Dei estis, et Spiritus Dei habitat in vobis ?» I Cor., ni,
16.
Christum habitare per fidem in cordibus vestris. » Eph., m, 17.
(2) o
(3) « Si quis diligit me, sermonem meum servabit, et Pater meus diliget eum, et ad
eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus. » Joan., xiv, 23.
214 REVUE THOMISTE
(1) « Per hune (Spiritum) quilibet sanctorum deus est; dictum esl enim ad eos a Deo :
Kgo dixi, dii ostis et filii Excelsi omnes. Necesse est aulem eum qui diis causa est ut dii
sint, Spiritum esse divinum et ex Deo. Ut enim quod cremantibus causa est ut sin! cre-
mantia, id cremans esse necesse est, et quod sanclis causa est ut sint sancti, id necessa-
rio sanctum est; ita et eum qui diis causa est ut dii sint, Deum esse necesse est. » S. Ba-
sil., Contr. Eunom., 1. V.
(2) « Spiritus eum anima conjunolio non fit appropinquando secundum locum... Hic eis
qui ab omni sorde purgati sunt illucescens, per communionem eum ipso spirituales red-
dit. » S. Basil., de Spir. Sanct., cap. ix.
(3) « Sicut ignis calor alius est qui ipsi inest, alius quem aquse aut alteri hujusmodi
rei impertit, ita etiam Spiritus et in se habet ipsam vitam ; et qui ejus sunt participes,
divine vivunt, vitam divinam et coelestem habentes. » S. Basil., Contr. Eunom., 1. V.
(4) « Quatenus Spiritus sanctus vim habet perficiendi rationales creaturas absolvens
lastigium earum perfectionis, formw rationem habet. » S. Basil., de Spir. Sanct.,
cap. xxvi.
216 REVUE THOMISTE
Non potest Spiritu sancto pi'oesenle non adesse Cliristus. Ubi enim iraa Trinita-
(1) «
tis hjpostasis adest, Iota adest Trimlas. » S. Jovv Ciirys., in Epht. ad liom... vm, 9.
(2) « Quis poi'ro andeal opinari, nisi quisquis inseparabilitatem ponilus Trinilalis igno-
l'al, quod in aliquo habitai'e possit Paler aul, Filius, in quo non habitet Spiritus sanetus,
aut m aliquo Spiritus sanetus, in quo non et Pater et Filius !» S. Auo., lib. de Prsssen-
tia Dcit cap. v, n. 10.
(?i) « Cum missio importe! origincm
personoe missoe, ot inhabitationem per gratiara, si
loquamur de missione quantum ad originem, sic missio Filii distinguitur a missione Spi-
ntus sancti, sicut et generalio a processione. Si aulem quantum ad elïectum gratiaj, sic
communicant dure missiones in radice gratioe, sud distinguuntur in efl'ectibus gratioe, qui
sunt illuminatio intelleclus et inflammatio alïeclus. Et sic manifcslum est quod una non
potest esse sine alia, quia neutra est sine gratia gratum faciente, nec una persona sopa-
ratur ab alia. » S. Tu., Summ. Theol., I, q. xliii, a. 5, ad 3.
REVUE THOMISTE. - 5° ANNKE. 15.
218 REVUE THOMISTE
(1) « Pater ecoe, atque Spirilus sanclus in homine Chrislo non minus manet, quam Ver-
bum; sed dissimilis est c5k èvimâplcioç modus. Verbum enim, proeter communem illum,
quem cum reliquis eumdom habet, peculiarem alterum obtinet, ut sil formoe instar, divi-
num, vel Deum potius faoientis, et hune Pilium. Sic in homine justo très utique person*
>-
II
habitant. Sed solus Spiritus sanctus quasi forma est sanctificans, et adoptivum reddens
sui communicatione filium... Relegantur omnia veterum Pairum testiraonia, queo superius
exposita sunt : et quod iis proestantius est, Scripturoe loca illa recenseantur, quai cum
justis conjungi, vel in iis hobitare atit Ueum simpliciter, aut privatiin Filium docent;
inveniemus eorum pleraquc testari, per Spiritum sanclum hoc fieri, velut proximam cau-
sam, et, ut ita dixerim, formalem. » Petav., de Trin., I. VIII, cap. vi, n. 8.
(t) « Ut cum deauratur oes, aut lignum, ipsa auri substantia per sese cum materia
copulatur... His enim et aliis similitudinibus, veteres theologi Spiritus sancti cum justo
lum animis conjunctionem, atque Ëvuxnv déclarant. » Petav., de Trin., 1. VIII, cap. vi,
n. 2.
Ml.
220 REVUE THOMISTE
(1) « Magister ponit quod chantas non est aliquid creatum in anima, sed est ipse Spi-
ritus sanctus mentem inhabitans. » H. Tir., ÏÏ-II, q. xxiii, a. 2.
(2) « Dictum est supra (dist. X), et sacris auctoritatibus ostensum, quod Spiritus
sanctus araor est Palris-et Filii, quo se invicem amant et nos. Ilis autem addendum est,
quod ipse idem Spiritus sanctus est araor, sive charitas, qua nos diligimus Deum et
proximum. » P. Lomis., 1. I Sent., dist. :.vn.
(3) « Sed ne forte aliquis dicat, illud dictum esse per expressionem causoe, Deus chari-
tas est, eo scilicet quod charitas sit ex Deo et non sit ipse Deus, sicut dicitur Deus nos-
tra palicntia et spes, non quod ipse sit ista, sed quia ista ex eo sunt; occurril Augusti-
nus oslendens non esse hoc dictum per causam sicut illa... Ex pra:dictis clarescit quod
Spiritus sanctus charitas est, qua diligimus Deum et proximum. » Ibid.
(4) « Alios actus atque motus virlutnm operatur charitas, id est Spiritus sanctus, me-
diantibus virtutibus, quarumaclus sunt, uipote actum iidei, id est credere, fide média; et
actum spei, id est sperare, média spo. Per fldem enim et spem proediclos operatur actus ;
diligendi vero actum per se lanlum sine alicujus virlutis medio operatur, id est, diligere.
Ailler ergo hune actum operatur quam alios virtutum actus. » Ibid.
(5) a Et hoc dicebat propter excellenliam charitalis. » S. Th., II-II, q. xxnr, a. 2.
cevail pas que sa doctrine tournait, en réalité, au détriment de la
plus éminente des vertus théologales; car, pour produire un acte
d'amour d'une manière parfaite, promptemcnt, facilement, avec
plaisir, et d'une façon connaturelle, la volonté humaine a besoin,
en outre de la motion divine, d'une vertu surnaturelle et infuse
qui perfectionne sa puissance opérative (1).
Des disciples de Pierre Lombard, théologiens sans notoriété,
dont les théories sont parvenues jusqu'à nous grâce aux commen-
tateurs des Sentences, mais dont le nom n'a point échappé à l'oubli,
voulant mettre en lumière l'opinion singulière de leur maître sur
la nature de la charité, disaient, au rapport de saint Bonaventure,
que « le Saint-Esprit peut être considéré sous un triple aspect :
« en lui-même d'abord, et, à ce point de vue, il est l'amour du
« Père et du Fils ;
puis, en tant qu'il habite en nous, et comme tel
« il est désigné sous le nom grâce ; enfin, en tant qu'il est uni
de
« à notre volonté, et, dans ce cas, il est la charité par laquelle nous
« aimons Dieu. Ainsi, disaient-ils, l'Espril-Saint est notre charité,
« non par appropriation, mais par son union avec notre volonté.
« Car de même que le Fils seul s'est incarné, s'est fait homme, et
« s'est uni à l'humaine nature, quoique toute la Trinité ait opéré le
« mystère de l'Incarnation; ainsi toute la Trinité opère l'union de
« l'Esprit-Saint avec notre volonté, mais ce divin Esprit est seul
« uni à elle; et c'est pourquoi lui seul est charité » (2). Ce qui
avait déterminé ces théologiens à proposer cette hypothèse, c'était
la parole de l'Apôtre : Celui qui est uni à Dieu ne forme qu'un même
esprit avec lui (3)
(1) « NuIIus autem aclus perfeele producitur ab aliqua potentia acciva, nisi sit ei con-
laturalis per aliquam formam, quoe sil principium actionis... Unde maxime necesse est
quod ad actum charitatis in nobis existât aliqua liabifualis forma superaddita potentioo
naturali, inclinans ipsam ad charitatis actum, et facions eam prompte et delectabiliter
operari. » S. Th., ibid.
(2) « Spiritus sanctus potest considerari in se, cl sic est amor Patris et Fi'ii; potest
rursum considerari ut in hurnana anima inhabitans, et sic Spiritus sanctus dicitur gratia;
potest etiam considerari ut unitus voluntati, et sic est charitas, qua nos diligimus Deum.
Unde dicunt quod Spiritus sanctus est nostra charitas, non per appropriationem, sed
per unionem. Quemadmodum enim solus Filius est homo vel incarnatus, et tamen tota
Trinitas est incarnationem operata, sed tamen soins Filius unitus ; sic quamvis tota
Trinitas faciat unionem Spiritus sancti cum voluntate, solus tamen Spiritus sanctus uni-
tur voluntati, et ideo solus est charitas. Ratio autem movens ad ponendum hoc, est auc-
toritas apostoli : Qui adhxret Deo, mms spiritus est. » S. Bonav., in I Sent., dist. xvn,
q. 1, a. 1, q. I.
(3) I Cor., vi 17.
,
222 REVUE THOMISTE
(1) « Quamobrcra jure Patres eosdem asseveranles audivimus, cum nullo inferjecto
medio sanctos nos iîeri per ipsam Spiritus substantiam, lum nullam id creaturam possc
perlîcere; tametsi substanlios Dei, qua sanctificamur, cornes sit infusa qualitas, quam vel
graiiam, vel charitatem dicimus... Quamobrem catenus ille (Magister sententiarum)
nobis audiendus est, quoad Spiritum sanctum doceat, ipsum per sese < ommunicari
infundique justis, ac veluti formam esse, qua tanctï Deoque grati, et adoptivi Jilii smit; quo
fit, ut « Dco nos Deum diligere, » Fulgentius affirmet; quod autem nullum prrcter (pive-
terea) charitatis habitum inesse putat, vehementer errât, et communi tbeologorum, imo
vero fidei decreto nofatur. Utrumque enim ir,tervenit : et Spiritus ipse sanctus, qui lîlios
facit, adeo ut, si nulla infunderelur creata qualitas, sua nos ipse substantia adoptivos
filios efficeret; et charitatis habitus ipse, sive gratia;, quae est vinculum quoddam, sive
nexus, quo cum animis nostris illa Spiritus sancti tubstantia copulatur. » Petav., de
Trin., 1. VIII, cap. vi, n. 3.
(2) Ju'stilîeationis causa? sunl : finalis quidem, gloria Dei, et Christi, ac vita osterna;
efficiens vero, misericors Deus; meritoria autem, dilectissimus unigenitus suus, Dominus
poster Jésus Ohristus..: demum unica formalis causa est justitia Dei; non qua ipse justus
est, sed qua nos juslos facit ; qua videlicet ab eo donati, renovamur spiritu mentis nos-
trse; et non modo reputamur, sed vere jusli nominamur, et sumus, justitiam in nobis
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 223
III
recipientes, unusquisque suam secundum mensuram, quam Spiritus sanctus partitur sin-
gulis prout vult, et secundum propriam cujusque dispositionem, et cooperationem. »
Trid., sess. VI, cap. vu.
22-4 REVUE THOMISTE
(1) «Omnia surit unum, ubi non obviât relationis oppositio. » Ex Conc. Florent. De-
cretum pro Jacobitis.
(2) « Dicunt quod sicut Filius univit sibi naturam lmmanam solus, quamvis ibi sit ope-
ratio totius Trinitatis ; ila Spiritus sanctus solus unit sibi voluntatem, quamvis ibi sit
operatio totius Trinitalis. Sed hoc non potest stare ; quia unio humanso naturoe in Christo
terminata est ad unum esse personoe divinae... Sed voluntas alioujus sancti non assumi-
tur in unitatem suppositi Spiritus sancti. » S. Tu., lib. I Sent., dist. 17, q. i, a. 1.
incarné et fait homme. Or l'EsprU-Saint n'a poinl assumé la
volonté humaine, il ne s'est point uni hypostatiquement à elle ;
comment dès lors lui attribuer en propre les actes de cette faculté
sans violer le dogme catholique, d'après lequel toutes les oeuvres
produites en dehors de la Trinité sont communes aux trois per-
sonnes? On ne peut donc admettre une présence spéciale de l'Es-
pril-Sainl, pas plus qu'on ne peut regarder comme son oeuvre per-
sonnelle la motion divine exercée sur notre volonté en vue de lui
faire produire des actes d'amour ; le même dogme de l'unité
d'opération ad extra s'oppose à cette double prétention. Tout ce
qu'une saine doctrine autorise ici, c'est l'appropriation faite à la
troisième personne d'une oeuvre qui lui est commune avec le Père
et le Fils.
Dans un autre passage, l'Angélique Docteur se montre l'adver-
saire sinon plus résolu, du moins plus formel encore, de l'habitation
personnelle du Saint-Esprit; car il y déclare en propres termes que
la venue ou l'inhabitation divine par la grâce convient à toute la
Trinité : Et ideo adventus vel inkabitatio convertit toti Trinitati (1).
Si elle est commune aux trois personnes, elle n'est donc pas la
propriété, l'apanage exclusif de l'Esprit-Saint. Cette conclusion
dont la clarté ne laisse rien à désirer, est formulée par le saint
Docteur à propos de la question suivante : Toutes les personnes
ilivines sont-elles susceptibles démission? Utrum missio conve-
niat omnibus personis. La réponse de saint Thomas est néga-
tive, el la raison qu'il donne péremptoire. Voici comment nous
pouvons proposer son raisonnement. La mission d'une personne
divine suppose deux choses ; en premier lieu, son origine éter-
nelle d'une autre personne; puis, un nouveau mode de présence
au terme de sa mission, et, comme fondement de celte présence,
un effet produit, un don conféré à la créature à laquelle elle est
envoyée (2). Cet effet n'est autre que la grâce sanctifiante; car
seule, avec les dons qui l'accompagnent, elle est capable de nous
unir immédiatement à Dieu comme à l'objet de notre connaissance
et de notre amour.
La mission d'une personne divine est donc le signe authentique,
la preuve irrécusable que cette personne procède d'une autre.
Aussi le Fils et le Saint-Esprit peuvent bien être envoyés, mais
non le Père, ni la Sainte Trinité (1). Il en va autrement de
l'inhabitation qui convient à toutes et à chacune des personnes
divines, voire à la Trinité elle-même; car si elle suppose un nou-
veau mode de présence, elle n'implique pas nécessairement
mission.
IV
(1) « Unde in missione persoiue cognoscitur persona ab alia esse. Et quia hoc non
convenit toti Trinitati nec ipsi Patri, ideo non potest dici Pater vel Trinitas mitti. »
Ibid., ad 2.
(2) « Cum Pater sit in Filio, et Filius in Pâtre, et uterque in Spiritu sancto, quanrlo
Et pour qu'on ne soit pas tenté de dire avec Petau que, si la
grâce nous vaut la présence effective des trois personnes, seul pour-
tant le Saint-Esprit est le terme direct et immédiat de l'union, le
Père et le Fils n'étant en nous que par concomitance et indirecte-
ment, saint Thomas se hâte de faire observer que la venue et la
présence en nous de l'hôte divin se produisent en raison d'un effet
qui nous unit non pas au Saint-Esprit, ou h telle autre personne
en particulier, mais à la Trinité elle-même. Et ideo adventu* vel
inhabitatio convertit toti Trinitai : quoe non dicuntur nisi ratione effectua
conjungevtis ipsi Trinitati (i).
ï*our bien comprendre le sens de ces paroles, il faut se rappeler
que, d'après la doctrine de saint Thomas, la présence de Dieu dans
les choses créées est fondée sur son opération, et suppose par
conséquent dans la créature un effet qui requiert pour sa produc-
tion et sa conservation l'action immédiate du Créateur, l'applica-
tion do son activité, et partant le contact de sa substance. Et s'il
s'agit non pas simplement de la présence ordinaire de Dieu à
titre d'agent, mais de sa présence spéciale comme objet de connais-
sance et d'amour, en d'autres termes, de son inhabitation dans une
âme, aucune perfection créée antre que la grâce sanctifiante avec
les dons qui l'accompagnent n'est capable de produire en elle un
si précieux résultat. Or la grâce, comme toute oeuvre extérieure,
procède de la Trinité tout entière, de Dieu en tant qu'un, et c'est
à Dieu un et trine, à Dieu en tant que souverain bien et fin der-
nière de tout être qu'elle nous unit : qux non dicuntur nisi ratione
ejfectus conjungentis ipsi Trinitati. Que conclure de là, sinon que
l'union de Dieu avec nos âmes qui est le fruit de la grâce, l'inha-
bitation divine en un mot, appartient indistinctement aux trois
personnes, à la différence de l'union opérée en Jésus-Christ entre
l'humanité et la divinité, union qui est propre à la personne
du Verbe?
Filins mitlitur, simul et venit Pater et Spiritus sanctus, sive intelligatur de adventu Filii
"i carnem, cum ipse dicat [Jean, vm, 16) : Solus non sum, sed ego, et qui misit me Pater ;
&ive intelligatur de adventu in mentem, cum ipse dicat (Joan. xiv, 23) : Ad etim venie-
"»'», et mansionem apud eut» faciemus. Et ideo adventus vel inhabitatio convenit toti Tri-
nitati... Sed missio super hoc addit auctoritatem alicujus respectu personoe quac mitti
Oicitur; et ideo non potest convenire nisi personoe quaî est ab alio principio.
» Ibid.
ad i.
(1) Ibid., ad i.
228 REVUE THOMISTE
VI
(1) « Tota Trinitas in nobis habitat per gratiam, sed specialiter alicui personoe appro-
pi'iari potest inbabitatio per aliquod aliud donum, quod habet similitudinem cum ipsa
porsona, ratione cujus persona mitti dioitur. » S. Th., De verit., q. xxvn, a. 2, ad 3.
232 REVUE THOMISTE
(1) « Quamvis sanctissimoe Triniialis opéra, quoe extrinsecus iîunt, tribus peraonis
communia sint, ex iis tamen multa Spirilui sancto propria tribuuntur, ut intelligamus
''la in nos a Dei immensa charitate proficisci : uam, cum Spirilus sanctus a riivina vo-
'untate, velufi amorc inflammata, procédât, perspici potcsl. eos effecitus, qui proprie ad
Spiritum sanctum rcferunlur, a summo erga nos Dei amore oriri. » Ex Catech. Rom.,
P. I, art. vm, n. 8. '
VII
(1) «Kxplicari non potest, quse sit illa tandem oùtK'àoyjç proesentia, vel existentia pro-
pria justorum, el ab naturali, communique diversa. Nain si justos istos eadem jam qui
creatas res omnes occupât, substantif sua Deus implet, quoe potest esse nova illa prsesen-
tioe allci'ius accessio ? » Petav., de Tria., ]. VIII, cap. v, n. 21.
(2) Proprie ergo, et singulari modo Spiritus sanctus cum iis quos sanctos facit, con-
jungitur, etinest ipsis. Proinde secundum hypostasim, non secundum essentiam dumtaxat
hoc illi convenit. Nam quidquid proprium est personoe cujuspiam, hoc rationem hypo-
stasis, non essentiae sequitur. » Jbid., cap. vi, n. 6.
238 REVUE THOMISTE
Esprit dans les justes, nous n'y avons pas trouvé la moindre allu-
sion aux doctrines de l'Angélique Docteur sur celle question;
partout il se contente d'opposer son opinion personnelle, qu'il
attribue aux anciens Pères, au sentiment commun de l'Ecole. Nous
exposerons, dans un autre article, les raisons sur lesquelles le
célèbre jésuite cherche à établir sa théorie de l'union personnelle
de l'Esprit-Saint avec les justes, il nous sera de la sorte plus facile
d'en apprécier la valeur.
I
OU EST LE MALENTENDU ?
I. - Un Rationalisme oiplicite.
Il est vrai que saint Thomas met ici une solidarité logique et
nécessaire entre la constatation du miracle et la conclusion à la
présenceet à l'action surnaturelle deDieu. Et alors :«La vérité sur-
ce
naturelle peut-elle donc découler de la vérité naturelle, comme
« les propriétés d'une notion géométrique découlent l'une de
« l'autre? »
Que le lecteur se rassure, si toutefois il en a besoin. Nous affir-
mons l'existence de certains faits extraordinaires, comme consé-
quente à une libre opération de la volonté divine. Nous suspen-
dons ainsi logiquement toute la série de nos conclusions apologé-
tiques-sur le miracle et sur la grâce,et toute la nécessité de ces con-
clusions,à un premier principe qui n'est point,pournous,nécessaire
à priori et dont aucune détermination nécessaire ne peut assigner
les causes. Miracle et grâce nous manifestent logiquement par ma-
nière de signes et d'effets, le bon jjlaisir de Dieu, comme dit saint
Paul. Nous n'aspirons donc point, même inconsciemment, à trou-
ver entre le naturel et le surnaturel « un lien de nécessité analo-
gue à celui qui unit les différentes propriétés d'une notion géomé-
trique » ; bien au contraire. Admettons, si l'on veut, que les pro-
priétés du triangle se déduisent de sa notion essentielle par une
nécessité immanente et absolue de leur être et du sien. Il y aurait là
cette nécessité de déterminisme a priori que les scolastiques ont si
justement nommée : nécessitas consequentis. En tout cas, peut-on en
trouver trace dans la thèse Ihéologique des manifestations néces-
saires de la présence du surnaturel, par le miracle? On ne le peut
pas : l'examen critique des signes de L'action divine nous fait re-
monter par voie de conséquence nécessaire à l'affirmation d'une
intervention souverainement libre. Il v a là une nécessité de con-
séquence, nécessitas consequentioe; nécessité logique, nécessité méta-
physique analogue à celle qui relie infailliblement tout effet réalisé
d'une cause libre à la liberté même de sa cause. Nous sommes en
plein contraire de l'espèce de solidarité logique et nécessaire qu'on
nous attribue l'illusion de chercher entre le naturel et le surnatu-
rel. Nous arrivons à une nécessité hypothétique, en laquelle nous
apercevons les signes nécessaires du libre décret de bon plaisir
d'où procède ici-bas toute participation de notre vie au surna-
turel.
On. peut donc se rassurer sur le péril où
nous serions de rendre
les deux ordres solidaires, comme le sont deux prémisses éviden-
tes et une conclusion démontrée.
(1) Pliysicorum
niatur »
lib. II, lec. xv. - « Quomodo nécessitas in rébus naturalibus inve-
confond donc pas indûment avec ces faits naturels dont nous
pouvons acquérir la science achevée ; elle le constate scientifique-
ment, ce qui en somme est aussi légitime que nécessaire. Décidé-
ment, la première antinomie dont on nous accablait, s'en est
allée en fumée !
saints ont vécu » (1). Or, il a vécu, saint Thomas,de son intellectua-
lisme péripatélicien etdesafoi catholique ;il enavécu.seservanlde
ses données et de sa méthode intellectualistes, pour justifier ration-
nellement la crédibilité de sa foi ; il a vécu de celle synthèse, tou-
jours plus nette et plus lumineuse à ses yeux, car il travaillait
plus encore auxpieds du Christ en croix qu'au milieu de ses livres.
.
Et il savait néanmoins laisser Arisloto à sa place d'auxiliaire
humain et du dehors, bien loin au-dessous de saint Augustin et de
saint Paul, de la Tradition et de l'Ecriture. Mais, au point de vue
même de la théologie la plus orthodoxe, il jugeait le Philosophe
un auxiliaire de premier rang en sa place secondaire. Et telle est
la tradition d'Intellectualisme qu'il a laissée à son Ordre et à ses
disciples. Depuis longtemps noire foi et notre raison s'y meuvent
à l'aise et sans heurt; et comme Ecole théologique el philosophique
accréditée dans l'Eglise, nous auh'es scolastiques, nous vivons sur
cette grâce d'état « de penser méthodiquement et explicitement »
et de vivre, pour notre petite part, une synthèse d'intellectualisme
philosophique et de foi orthodoxe, que saint Thomas a pensée et
vécue. Et c'est pourquoi héritiers d'un tel ancêtre, nous pouvons,
sans présomption ni injure, traiter de «jeunes » certaines tenta-
tives de destruction de notre intellectualisme et d'organisation
d'une « Ecole nouvelle », en apologétique el en théologie.
(11 P. 628.
262 REVUE THOMISTE
rait, aux yeux de tout théologien sûr, à nous laver de tout soupçon
de supprimer, par notre Intellectualisme, l'objet de la foi.
(A suivre.)
REVUE CRITIQUE DES REVUES
Mars-avril 1897
I. - EPISTEMOLOGIE.
J. Ticeh : De la méthode cartésienne. Aristote et Descartes.
- Nous sommes heureux de féliciter sans réserve l'auteur de ce travail clair
et synthétique.
M. l'abbé J. Tiger établit le caractère essentiel de l'oeuvre de Des-
cartes : c'est la recherche des natures simples. Il examine à la lumière de
ce principe les quatre règles de la Méthode. Cet exposé est une véritable
résurrection de ces règles: sèches et sans originalité lorsqu'elles sont con-
sidérées isolément, elles sont mises en pleine valeur par ce retour vers
leur principe. Mais l'auteur ne fait valoir ainsi la méthode cartésienne que
pour mieux en montrer le vice. C'est une exagération de vouloir tout
reconstituer avec des idées claires « sans demander à l'expérience autre
chose que des vérifications trop sommaires et trop vite arrêtés. » (H. Jolyj
M. Tiger trouve Aristote plus complet et plus vrai. Il définit sa méthode :
l'observation de l'expérience interprétée par l'intelligence. Nous ferons
une observation sur le mot : interprète. On interprète des signes; et la
nature nous livre dans l'expérience autre chose que des signes : elle se livre elle-
même. Ainsi du moins l'entendait Aristote. Le rôle de l'esprit est selon lui, non
pas d'interpréter, mais de reproduire, de généraliser et de combiner.
{Annales de PMI. chrét., avril.)
J. Segond : Essai sur l'identité. -? La logique ruine le principe
d'identité : l'amour le sauve et le restaure, telle est la thèse de M. Segond.
Suivons pas à pas à pas cette thèse en intercalant nos observations.
I. La logique ne justifie pas le principe d'identité À=A, parce que A
prédicat ne saurait être la répétition de A sujet. Preuves :
1° Parce que A est dédoublé dans le principe A=A. Qui dit dédouble-
ment dit rupture de l'identité. Donc. - Réponse : rupture matérielle des
termes, je le concède : rupture formelle du concept, je le nie.
272 EEVUE THOMISTE
2° Parce que A prédicat est opposé à A sujet. Or qui dit opposition nie
-
identité. Réponse : opposition formelle, je le concède : opposition
logique, je le nie.
3° Parce que A prédicat (représentant le possible) est supérieur en exten-
sion à A sujet (représentant le réel). -Réponse: en extension logique je
le concède; en extension réelle, je le nie.
-4° Parce que A prédicat équivaut à nonnon A. Donc il est supérieur en
compréhension à A sujet. - Réponse : en compréhension logique, je le
concède, mais j3as en compréhension réelle.
5° Parce que A sujet devant être posé avant A prédicat, est essentiel-
lement premier. Et ainsi pas de réversibilité, donc pas d'identité.
Réponse : pas de réversibilité entre les termes logiques une fois posés, C.
-
entre les idées, N.
Le vice de toute cette argumentation est donc de conclure de la différence
des propriétés logiques des termes comme tels, à la non-identité des con-
cepts signifiés par les termes. C'est juger du contenu par le contenant, de la
qualité de la liqueur par la grandeur du vase. Toute preuve pour être efficace
doit en effet procéder ex propriis et non ex communibus. La question présente
est : que sont les termes pour l'esprit dans tel jugement, A=A par exemple :
et non pas : que sont les termes en général ? L'identité n'est donc pas rompue
par les arguments de M. Segond : 1 opposition qu'il relève est d'un attire ordre
que celui ou s'agite la question.
II. Maisil faut que le jn'incipe d'identité soit. Autrement c'est le scepti-
cisme. Et M. Segond n'en veut j3as. Comment le justifier ?
1° Ce n'est pas par la nature des termes qui auraient un élément sem-
blable, car, si quelque chose de commun aux deux existe, nous voilà en
présence de trois êtres et la difficulté d'opérer la transition augmente.
M. Segond prévoit qu'on lui dira : ce troisième élément est une idée.
- Cette idée est-elle perçue ou créée par l'esprit? répond-il. Nous n'admet-
-
tons pas qu'elle soit perçue, dit-il (p. 14). Mais pourquoi ? parce que ce
qui existe n'existe que dans la pensée. Et l'idéalisme apparaît enfin
comme Vidée de derrière la tète de l'article.
Par quel argument nouveau et vainqueur M. Segond appuiera-t-il ce
vieux chef de file ? Par ce paralogisme éclatant : II est absurde d'admettre
des existences non perçues par la pensée. Admettre leur existence c'est,
en effet, les penser. Donc tout ce qui existe est intelligible. Donc rien
n'existe en dehors de la pensée (p. 15-10). L'identité, si elle existe, ne
saurait être qu'un produit de l'esprit/
Inconséquence étrange. M. Segond ne veut pas que A=A. Et il veut qu'exis-
tence -- connaissance ! Et c'est pour prouver le néant de la première équiva-
lence qu'il allègue la deuxième ! Il est cependant facile de voir que le concept de
REVUE CRITIQUE DES REVUES 273
-
dialectique. Soit le principe d'identité A est A, l'être est l'être. Dans
cet énoncé je répèle deux fois A et être ; je ne puis donc pas prouver que
le premier A et le pz-emier être soient identiques à A prédicat et à être
prédicat. L'énoncé du principe d'identité est, semble-l-il, en contradiction
avec son contenu.
Si celle contradiction était réelle, c'en serait fait de la pensée et de la
vérité. Nous aurions une dialectique sans repos. C'est à tort que Hegel,
parti de celte supposition, s'est arrêté à l'Idée comme principe concilia-
teur suprême. Il devait logiquement aller jusqu'au scej>ticisme absolu.
Donc la contradiction n'est qu'apparente. - On l'explique en remar-
quant que le jugement est un acte premier. Il ne dépend, en soi, d'aucun
autre jugement. D'où, « quand on nie l'identité exprimée par le jugement
A est A, cette identité subsiste en réalité sous sa négation. » La contra-
diction ne saurait être que dans les termes qui sont la matière du juge-
ment. La pensée qui joint A et A est d'accord avec elle-même, et cela
suffit pour assurer la réalité logique de l'identité affirmée. Dédié à M. Se-
gond!
Mais les termes, matière d'un jugement, sont eux-mêmes définis dans
d'autres jugements. Par ses termes, un jugement entre en relation "avec
d autres jugements. L'affirmation : la terre est immobile, n'a en soi rien
274 REVUPI THOMISTE
II. - PHYSIQUE.
G. Miehaud : L'infini mathématique d'après M. Couturat.
Critique de la thèse de M. Couturat faite d'un point de vue qui se
-
rapproche des théories aristotéliciennes et scolastiques sur le même
sujet.
M. Coutuiiat substitue aux deux premières antinomies cosmologiques
de Kanl les conclusions suivantes : 1° L'espace et le temps sont infinis;
donc le monde peut être infini dans le temps et l'espace. 2° L'espace est
continu et divisible à l'infini; donc la matière étendue peut être continue
et divisible à l'infini. Il croit nécessaire, pour maintenir ces thèses, (con-
tradictoires des thèses finitistes des ncocriticistes,) de dégager le nombre
et la grandeur de l'intuition sensible. Dans ce but : 1° il recourt à une
définition nouvelle de la raison : faculté du réel rationnel, et donc du réel
indépendant de l'expérience ; 2" il donne une nouvelle définition du
nombre entier comme nombre-collection, constitué par le simple fait qu'un
Hen synthétique existe entre les unités rien dans
: cette définition ne rap-
pelle l'intuition sensible; 3° il fait de même pour la grandeur : c'est
une
idée rationnelle pure, parce que les notions essentiellement impliquées
dans celle de grandeur, divisibilité et infini du continu n'appartiennent
pas à l'intuition sensible. En effet, on ne peut ni opérer la divisibilité des
continus concrets, ni leur désigner de limites expérimentales.
M. Milhaud n'admet
pas non plus l'opinion des néocriticistes touchant
276 REVUE THOMISTE
quer à une matière indéfinie ; la matière concrète limite, de fait, cette commu-
nicabilité de la forme. L'existence, du moins l'existence matérielle, est donc
finie comme nombre et comme grandeur. L'infinité est la propriété des abstraits
de la matière. [Revue philos,, mars.)
J. M. Ghosjkan: Science et Métaphysique. IV. Les résultats.
Le but extrinsèque de ce dernier article est de présenter au jeune clergé un
-
modèle à suivre dans l'élude des questions philosophiques (p. 06). Ce
modèle est M. Mannequin, kantien à j>eu près intact (p. 660). Les jeunes
clercs répondront par là aux intentions de Léon XIII, louchant la restau-
ration des études philosophiques (p. 667). On leur permet d'ailleurs de
poursuivre la touchante exhumation d'ouvrages scolastiqucs dont il y a à
profiler comme de toute pensée humaine (p. 667).
Le but direct est de situer la thèse de AI. Ilannequin. Intelligente conci-
liation du leibnizianisme el du kantisme (p. 661-663), sa théorie des atomes
a pour origine immédiate la notion de liberté, entendue comme qualité
pure (13ergon) avec les modifications de M. Fouillée (j>. 662). Elle est en
Physique le pendant de Y Action de M. Blondel (p. 664). M. Blondel
trouve dans l'action le fil conducteur pour résoudre le problème pratique :
M. Ilannequin trouve, dans la pure qualité contingente qu'est la réalité, la
raison de son expression dans la quantité sous forme symbolique (p. 665).
Et dès lors la connaissance de la chose en soi, telle que la pratique la
science, n'est pas une illusion absolue (p. 666).
En rendant hommage aux qualités intellectuelles de l'auteur de cet article, on
no peut s'empêclier de regretter l'absence complète de données philosophifues
traditionnelles chez un prêtre philosophe.
Oui, certes, monsieur l'abbé, il y a pour le clergé une question philosophi-
que comme il y a une question biblique. Mais, sérieusement, pensez-vous que
ce soit une solution de cette question, que de se mettre à la remorque de
professeurs qui, ignorant notre théologie, soutiennent des doctrines phi-
losophiques en opposition avec elle?
Je vous signalerai une autre question, puisque, aussi bien, vous êtes en
quête de directions pour le jeune clergé. C'est celle des clercs candidats à la
licence et à l'agrégation en philosophie dans l'Université. Ces jeunes gens,
pourvus d'études de philosophie traditionnelle souvent fort élémentaires,
sont mis sous la dépendance de professeurs d'une supériorité intellec-
tuelle incontestable, et qui se présentent à eux avec l'ascendant qu'a néces-
sairement pour l'aspirant la position officielle du maître. Si vous désirez
savoir ce que pense Léon XIII de cette question, lisez un document émané
le 21 juillet 1896 de la Sacrée Congrégation des Évéques
et Réguliers.
Seule une éducation théologique et scolastique supérieure peut permettre
.i nos jeunes clercs d'aborder, avec dignité et sans danger, l'enseignement
supérieur des philosophes de l'Université. Le clerc en état déjuger l'ensei-
gnement qu'il reçoit, voilà le modèle du jeune clergé.
(Annales de philosophie chrétienne, mars 1897.)
278 REVUE THOMISTE
III. - PSYCHOLOGIE.
R. P. Bhkmond: M. Brunetière et la Psychologie de la foi.
M. Brunetière a dit que la base de la croyance est l'irrationnel. Peut-on
-
entendre dans un bon sens ce mot d'irrationnel, devenu une pierre de
scandale : M. Brunetière est-il nécessairement catalogué sceptique ou
rationaliste ?
Le R. P. Brémond pense qu'il n'en est rien. Très agréablement il nous
initie à la connaissance d'une logique naturelle et de sentiment, bien diffé-
rente de l'aride logique A =
B, B = Direz-vous jamais que vous
C.
sentez l'égalité A = C. Eh non ! Eh bien, il y a des égalités que l'on sent.
Telle l'analogie de Virgile et de Racine. Tout le monde est d'accord à son
sujet: j>ersoime ne l'a démontrée. Cela se sent. Essayez de justifier à votre
classe de rhétoriciens, par raison démonstrative, la faute de goût que vous
avez marquée du crayon rouge.
De tels actes, dit Fauteur, sont à la fois des actes d'intelligence et des
actes irrationnels. D'eux, un vieux magistrat disait à un juge novice et
ignorant, mais d'un grand bon sens : « Donnez vos décisions avec con-
fiance, mais n'avancez pas vos raisons. »
Le R. P. Brémond conclut que,si M. Brunetière a voulu parler de l'irra-
tionnel total, il n'est pas avec lui. Mais il n'a probablement voulu exclure
que la logique savante, non la logique naturelle. Et donc, dit le révérend
Père, il est des nôtres! (P. 762.)
J'avoue, mon révérend Père, que l'analogie entre Virgile et Racine, votre
crayon rouge ei surtout le bon sens de votre juge novice et ignorant ne me rassu-
rent qu'à demi sur les bases de nos croyances.
[Etudes, mars 1896.)
-
J. J. Gourd : La dialectique pratique. Le but de la dialectique
pratique est de diriger l'action. Elle passe par trois phases : la morale
du bonheur, la inorale du bien, la morale de l'obligation. Ces phases
correspondent aux trois moments de la dialectique spéculative ; empi-
risme, rationalisme, idéalisme. (Voir notre précédente Revue critique.) La
première est aussi subjective que l'empirisme est réaliste; la troisième
est aussi objective que l'idéalisme est subjectif; la seconde est mélangée
comme le rationalisme de subjectif et d'objectif. Selon M. Gourd, la
morale de l'obligation embrasse les deux premières, comme l'idéalisme
réunissait l'empirisme et le rationalisme.
Nous Vavons déjà dit, le rationalisme aristotélicien embrasse bien plus avan-
tageusement Vempirisme et l'idéalisme bien entendu. De même la morale du
Bien résume et comprend la morale du bonlieur et la morale de l'obligation. En
effet, le bien n'est pas seulement une idée, cause exemplaire de notre activité
volontaire : comme être il est aussi sa fin. Or, il est de la nature de la fin de
commander les moyens propres à l'obtenir et par suite toide notre activité volon-
taire est sous l'empire du Bien. L'impératif catégorique se déduit donc du Bien.
Et, d'autre part, en cherchant son bonheur dans le Bien, le sujet se trouve
transformé et comme converti en Lui.
Lies scolastiques, spécialement saint Thomas, ont exploré à fond ce double
aspect de lafinalité et en ont fait la pierre angulaire de leur Morale. (Cf. Ia IIac,
q. i, a. 5.)
Notons quelques bonnes observations de M. Gourd. Lia nature de la raison
pratique, jugement sous l'influence de la volonté est bien saisie (p. 157).
M. Gourd eut cependantgagné à lire dans saint Thomas les questions des Actes
humains, de la Syndèrèse, de la Prudence. La difficulté, pour la morale de
l'obligation, de rejoindre le réel individuel est avouée sans détour (p. 164). Cette
difficulté est précisément abordée et, croyons-nous, résolue dans les questions
que nous venons d'indiquer. Nous sommes heureux de relever de bonnes pages
sur la nécessité et le caractère de la Casuistique, si décriée par ceux qui n'ont
jamais eu à aborder deprès les cotés pratiques de la Morale (p. 161).
[Revue de Mélaph. et de Mor., mars 1896.)
De Gryse : les Socialistes et les citations des Pères de
l'Église. - L'auteur établit d'après les Pères le droit de propriété pri-
vée, mais en faisant ressortir les limites de ce droit. Dans sa détermi-
nation générale la propriété est de droit natui'el : puisque les biens infé-
rieurs sont faits pour subvenir aux besoins de l'homme. Mais c'est le
droit positif qui applique ce droit et détermine les titres à la propriété
privée. Or, le droit positif ne saurait détruire le droit naturel. L'admi-
nistration de la propriété privée étant dévolue à l'individu, l'usage ne
saurait lui appartenir exclusivement. Voilà pourquoi, dans le cas d'ex-
trême nécessité, l'homme ne vole pas, il use d'un droit en prenant ce qui
lui est nécessaire (p. 31).
Dans le cas d'indigence ou de nécessité commune, ce droit subsiste-t-il?
Les Pères,dit M. de Gryse, apportent à l'usage de la propriété un tempé-
rament : le devoir strict de l'aumône pour les riches (p. 131). Quel est le
caractère de ce devoir? C'est un devoir de pure charité, répond l'auteur
(p. 131-132).
M. de Gryse, qui est généralement d'accord avec saint Thotnas dans l'inter~
prétation des Pères, ne nous semble pas avoir connaissance d'un passage
capital pour l'intelligence des textes de saint Basile qui sont surtout en question.
Saint Thomas appelle le devoir qu'a le riche de donner son superflu au pauvre
ujsiiiTUM légale. (II" II"8, q. cxvHi, art. 3, ad 2nm. - Cf. art. Zad 2Bm.)
Certains commentateurs, frappés des conséquences d'un tel mot, ont voulu y voir
une interpolation. Sylvius,après avoir confronté un grand nombre d'éditions,
n'a trouvé aucune variante et déclare qu'il faut s'en tenir au mot légale. (Syl-
vius in IIam II"0, q. xxxii, quoeretur 3°.
Or, la justice légale réside essentiellement dans l'Etat, exécutivementdans les
particuliers. (IIa IIae, q. lviii, a. 4 et 5). Dans le second cas elle porte le nom
plus parlant de devoir social. Ce serait donc un devoir social que rempliraient
les riches en venant au secours des pauvres. L'acte d'aumône reste en lui-même
un acte de charité, mais il est dominé par une ordination supérieure au bien
commun de la société, ce qui lui donne son caractère d'acte de justice légale.
L'obligation de justice légale ne crée d'ailleurs pas chez le pauvre un droit
strict de justice au superflu du riche, comme contre-partie du devoir social de '
celui-ci. La justice commutative connaît, en effet,cette réciprocité absolue du droit
et du, devoir. Les prétentions des socialistes sont ainsi écartées. Le droit de distri-
bution du superflu reste également une attribution du riche; cette distribution
°st, en effet, un acte de gestion et la gestion de son bien appartient sans res-
triction au propriétaire (IIa lla0, q. lxvi, a.7). Il faut dire cependant que si
h classe riche ne remplissait pas son devoir social et s'il en résultait un danger
pour le bien commun de la société, la notion du devoir social telle que nous la
comprenons avec saint Thomas, permettrait à l'autorité publique d'intervenir
REVUE THOMISTE. - Se ANNÉE. - 19.
282 REVUE THOMISTE
pour obliger les riches à faire leur devoir, soit par la force dans les cas extrêmes
[famine, paupérisme exaspère, etc.), soit, plus ordinairement, par des mesures
administratives, des prélèvements sur les Mens des riches en vue de l'assistance
publique, impôts, souscriptions obligatoires, etc.
Cette explication de saint Thomas nous semble plus conforme que celle où
se tient M. de Gryse, à la rigueur des paroles des Pères, particulièrement de
celles de saint Basile qu'elle a pour but d'interpréter.
plus équitable.
-
Elle nous semble aussi
son âme, et voilà sans doute le plus redoutable obstacle que rencontre ici
l'Université ». Malgré cela le professeur de Rodez conclut par un
superbe : Moriamur in simplicitate nostra. « On ne fonde rien sur l'hypo-
crisie. La question est celle-ci : le catholicisme qui se prétend la vérité
est-il la vérité ? » Voilà une franchise qui ne fera pas cesser la crise de
l'Université, à Rodez. - M. Fonseckive, dans la Quinzaine, met en cause
le caractère indécis du mouvement de réforme inauguré il y a vingt ans
dans l'Université. Parmi les facteurs secondaires il signale justement l'hé-
rédité, « les pères confiantplus volontiers leurs fils aux maîtres qui les ont
élevés eux-mêmes ». Si l'on ajoute que dans les classes aisées, les familles
nombreuses n'existent guère, et pour cause, que chez les chrétiens prati-
quants, on donnera toute sa valeur à ce facteur de l'hérédité, qui suit les
lois non d'une simple substitution, mais d'une proportion géométrique,
ainsi qu'en témoignent les palmarès et les annuaires.
De ce chef, et des autres, la crise de l'Université ne semble pas devoir bientôt
toucher à sa fin.
(Revue Bleue et Quinzaine, mars-avril 1896.) '
V. - SYSTÈMES PHILOSOPHIQUES.
adresse à la Revue bleue cette pièce retrouvée dans les papiers. d'Àry
Scheffer.
Ce testament, d'un accent indiscutable de sincérité, met à nu l'insuffi-
sance philosophique de Broussais. Broussais croit à une intelligence
ordonnatrice de l'univers. « Je sens comme beaucoup d'autres qu'une
intelligence a tout coordonné. » Mais cette intelligence n'est pas créatrice.
« Dès que je sus par la chirurgie que du pus accumulé à la surface du cer-
veau détruisait nos facultés et que l'évacuation de ce pus leur permettait
de reparaître, je ne fus plus maître de les concevoir que comme les actes
d'un cerveau vivant. » Donc l'intelligence divine, sorte d'intelligence
humaine multipliée, ne saurait être séparée de la matière [sorte de pus uni-
versel, sans doute !)
De tels raisonnements sont sans conséquence et n'ajoutent rien à la valeur
intellectuelle du matérialisme.
[Revue bleue, 6 mars).
A. G.
LA VIE SCIENTIFIQUE
-
I, Le comité d'organisation du prochain Congrès international des
savants catholiques à Fribourg déploie une grande activité. Des négocia-
lions vont être ou ont été déjà entamées avec les principales Compagnies
de chemin de fer afin d'obtenir, s'il est possible, quelques réductions en
faveur des congressistes.
un des vastes pavillons
-
qui
Le gouvernement de Fribourg, ayant acheté
se voyaient à l'exposition de Genève, le met à
la disposition du Congrès pour les réunions plénières et les séances
solennelles du soir. - Des commissaires parcourent la ville pour
s'assurer du nombre et de la qualité des logements que peuvent offrir
les propriétaires et les bourgeois. - Pendant ce temps, les dissertations
arrivent ou s'annoncent : le nombre de 200 est bien dépassé maintenant.
J'en cite, au hasard, quelques-unes :
Dr Biginelli, professeur de théologie, Turin : De l'influence exercée par
Vliérèsie deBèrenger sur le mouvement des esprits dans le moyen âge; Maurice
de AVulf, professeur à l'Université de Louvain : L'art et la morale devant
l'histoire de la pJdlosophie; Dr Adam Miodonski, prof. Universitatis
Krakau : Quo jurefldesHier?onymianilibelli«.de virisillustribus »impugnetur?
Mariano Amador, professeur à l'Université de Salamanque : La concepeion
ftlosofica en India; Lauro Clariana-Ricart, professeur de mathématiques à
l'Université de Barcelone : Sur la variabilité; Matthoeus Merchich, paro-
chus in Horvat-Kirnle, in Hungaria : Utriim in dialectica arisiotelica recte
distinguanturfigurée modique syllogismi? Charles Huit, professeur à l'Uni-
versité catholique de Paris : Le Platonisme en France au xvn" siècle;
P. Sertillanges, O. P. : Preuve» de l'existence de Dieu en dehors de l'idée de
commencement; Abbé Vacant : Pourquoi Dans Scot conçoit-il la volonté autre-
ment que saint Thomas d'Aquin? Lescoeur : De la protection de lafemme et des
enfants dans le droit romain; Edward Me Sweeny, Mont Sainte-Marie,
Maryland, Etals-Unis d'Amérique : La science sociale, la religion et le bien-
être despeuples; P. A. Bolsius S. J., Ondenbosch, Holland : Le mesurage
rationnel des solides et l'indication absolue de détails microscopiques dans les
préparations; Dr Rich. von Kralik, Wien : Der Nachlass des Sohrates; Abbé
Duchesne, membre de l'Institut : De quelques dossiers justificatifs au iv° et
au ve siècle; P. Batiffol : La morale encratite et la discipline pènitentielle;
288 HEVUE THOMISTE
-
de conclusions théologiques. « Le critérium de toutes les propositions qui
sont objet de preuve, c'est la résolution ou rédaction qu'on en tait à leurs
principes ». L'expérience le prouve : que nous voulions nous convaincre,
ou convaincre les autres de la vérité d'une proposition, nous n'employons
jamais d'autre moyen que celui de montrer qu'elle se rattache à des prin-
cipes sûrs et préalablement accordés... Telle est la doctrine constante
d'Aristote et de saint Thomas... (I, p. 134-149.)
On le voit, la question du critérium reste ouverte et se recommande à
l'attention des philosophes du Congrès. -Caractéristique de l'ouvrage de
Mgr Lorenzelli : procédé scientifique très personnel et en même temps
scrupuleuse fidélité à suivre Aristote et saint Thomas. Son livre est une
initiation, non pas seulement à la doctrine, mais aux ouvrages mêmes des
deux grands maîtres de la philosophie. L'auteur va aux sources, et il les
fail connaître et aimer.
- A ciler, comme particulièrement remarquables :
la théorie du syllogisme et celle de l'induction; la thèse sur la distinction
réelle entre l'essence et l'existence dans les choses créées ; l'exposé de la
notion de personnalité ; la preuve de l'existence du premier moteur ; la
défense de l'hylémorphisme; l'explication de ce fameux argument d'Aris-
tote : l'âme humaine est immatérielle, par cela seul qu'elle peut connaître
toute nature corporelle; l'origine de l'âme humaine et le temps où elle
vient informer le corps.
III.- M. le chanoine J. B. Rohm, professeur à la faculté de théologie
de l'Université de Passau, avait publié en allemand, il y a moins de deux
années, la réfutation d'un livre de M. le Rev. von Mallzew, docteur en
théologie, prévôt fle l'Église orthodoxe à l'ambassade impériale russe de
Berlin et de Potsdam. M. R. M. Ommer vient de traduire cette réfutation,
sous le titre : « L'Eglise orthodoxe gréco-russe, controverse d'un théologien
catholique romain avec un théologien orthodoxe schistnatïque, in-12, p. ix-198,
Société belge de librairie, Bruxelles. - Cette étude est divisée en
24 chapitres qui traitent brièvement des doctrines communes à l'Eglise
catholique et à l'Eglise orthodoxe, ainsi que des points sur lesquels ces
deux Églises diffèrent. -Un chapitre intéressant sur l'origine du schisme.-
Détails peu connus sur le saint-synode, l'Eglise d'État et les persécutions
religieuses, la liberté de conscience, le piétisme russe, la vie monastique.
- La discussion de M. le chanoine Rohm est courtoise et serrée ; la tra-
duction de M. Ommer, claire et de lecture agréable.
vient : « une doctrine divine légitimée par des signes divins et des mi-
racles ». Le catholicisme et le protestantisme primitif ont élevé d'accord
«cette construction si légère et si artificielle qu'elle s'écroule dès
« qu'on y touche ». Dans la phase critique,où nous sommes, la révélation,
au sens dogmatique de tout à l'heure est tenue et démontrée : comme
« toute païenne », puisqu'elle pourrait éclairer et ne pas être sanctifiante ;
« amené, contre le cours naturel des choses, par l'intervention d'une vo-
lonté divine particulière », Au moyen âge, le miracle est un événement
« qui esl au-dessus et au delà de l'ordre de toute la nature créée ». Pour
la science de nos jours, le miracle n'existe pas. Il serait, par définition,
« une intervention positive de Dieu dans l'ordre phénoménal et sur un
point particulier. Or la science ne connaît que les causes secondes ». A
quoi servirait le miracle ? Il ne peut rien prouver, puisqu'on ne peut l'é-
tablir . la science ne connaissant pas toutes les énergies de la nature, et
devant expliquer demain peut-être ce qui lui est encore inexplicable
aujourd'hui. « Le prodige proprement dit reste étranger à la conduite
toute morale de la vie du Christ et à la conception strictement religieuse
de son oeuvre. II n'a point fondé sa religion sur le miracle, mais sur la lu-
mière, la consolation, le pardon. » - La prophétie et l'inspiration, n'étant
qu'un miracle d'ordre psychologique, tombent avec le miracle en général.
« Les voyants hébreux n'ont pas eu plus que les sibylles ou que le devin
Tirésias le don miraculeux de lire dans l'avenir ». Prophétie, inspiration,
glossolalie, « toutes ces manifestations, tenues pour surnaturelles, autre-
fois, sont reconnues comme des phénomènes morbides, dont la pathologie
mentale décrit les causes physiologiques, le cours naturel et l'issue fatale ».
L'inspiration religieuse « n'est pas psychologiquement différente de l'ins-
piration poétique » [p. 66-102J. - Développement religieux de l'humanité. La
conscience religieuse de l'humanité a réalisé d'étonnants progrès à travers
d'étranges aventures. La religion est d'abord domestique; puis elle devient
nationale : « les cultes primitifs sont tous des cultes de clan et de tribu...
Trois seulement finissent par être franchement universalistes : le boud-
dhisme, le mahométisme et le christianisme ». Au commencement la reli-
gion est « un animisme fétichiste » ; ensuite vient l'idolâtrie et le poly-
292 REVUE THOMISTE
) -
LA VIE SCIENTIFIQUE 293
catholique, qui se croit infaillible, le dogme est une vérité élevée au-dessus
de toute discussion et immuable. C'est l'asservissement des esprits, et
l'antithèse du progrès etde la science. Dans le protestantisme, le dogme
est « contingent et mobile ». Les églises protestantes « ne s'attribuent
jamais qu'une autorité pédagogique et relative... Les confessions de foi
qu'elles promulguent sont toutes révisables en principe. » -
essayé de déterminer un certain nombre de dogmes immuables et absolus
« L'on a bien
dans l'une ou l'autre des églises protestantes. Les théologiens les plus
subtils s'y sont employés ; tous ont échoué. Cet échec a été aussi éclatant
et inévitable dans l'église anglicane et le luthérianisme allemand, très voi-
sins du catholicisme, que dans les églises de France, de Suisse, d'Ecosse
ou d'Amérique. C'est que partout la tentative implique contradiction »...
« C'est le procédé superficiel d'une orthodoxie infidèle à son principe, qui
prétend séparer les dogmes ecclésiastiques et les classer en articles fon-
damentaux et en articles accessoires ou même superflus. Au nom de quelle
autorité se fait cette séparation? » (p(. 404). Les dogmes, quels qu'ils
soient, ne peuvent donc avoir, d'après le principe protestant, « qu'une
valeur disciplinaire et pédagogique » [\>. 203-296). - De la vie des dogmes
294 REVUE THOMISTE
VI. -A Paris, sous la direction des RR. Pères Maristes, 104, rue de
Vaugirard, s'est fondée une réunion d'Étudiants (1), oeuvre remarquable
par la largeur qui préside à son organisation et l'opportunité du but
qu'elle poursuit.
Le dimanche à neuf heures, messe suivie d'un cours de théologie,
dont la matière est distribuée de façon à durer quatre ans. Forme didac-
tique et scientifique, On peut y prendre des notes. Les jeunes gens ont
(1) Ceux qui désirent faire partie de la Réunion sont priés de se présenter, dès leur
arrivée à Paris, au R. P. Peillaude, directeur, 104, rue de Vaugirard. Il leur donnera
tous les renseignements utiles concernant leur installation et leurs inscriptions.
296 REVUE THOMISTE
Quoniam très sunt, qui testimonium étant in coelo : Pater, Verbum, etSpiri-
«
tus sanctus : et hi très unum sunt. » -
Respons. -Négative.
Cette réponse donnée le 13 janvier dernier fut confirmée par Sa Sain-
teté Léon XIII, le 15 du même mois.
toute sorte, on pourrait croire que les problèmes, grands et petits, sou-
levés par la Divine Comédie et son auteur, sont à peu près épuisés. Il n'en
est rien cependant. Dante en effet, par le cycle intellectuel dans lequel se
meut la hardiesse de sa pensée, est un homme du moyen âge. Pour cela
même il a subi auprès de nos contemporains cette mauvaise fortune,
attachée à tous les grands penseurs d'alors : celle d'être insuffisamment
compris. Dante n'est pas qu'un poète; il est philosophe et théologien dans
le mode de son temps; et la philosophie et la théologie du xni" siècle sont
presque des énigmes pour la plupart des lettrés de nos jours. Il restait
donc à aborder l'étude de la Divine Comédie à la lumière de la philosophie
et de la théologie scolastique, pour faire rendre à cette oeuvre tout ce
qu'elle contient, pour en entendre le plan original, suivre la distribution et
la signification de ses parties. C'est ce travail énorme, mais fécond, qu'a
entrepris le R. P. Berthier.
Le commentaire de l'Enfer ainsi qu'une préface générale à l'oeuvre et une
inli'oduclion spéciale à cette partie contiennent les vues personnelles de
l'auteur sur la Divine Comédie et leur application aux chants de l'Inferno.
On peut dire sans exagération qu'elles introduisent une révolution dans
l'intelligence du poème dantesque. Le poème avec sa mise en scène dra-
matique, avec ses nombreux et incomparables épisodes, avait voilé cette
vérité fondamentale, à savoir qu'il est une allégorie recouvrant un ensei-
gnement moral, ainsi que Dante lui-même et de nombreux commentateurs
l'avaient affirmé. Le voyage de Dante en compagnie de Virgile et de
Béatrix n'est autre que l'itinéraire de l'âme pécheresse en compagnie de
la Raison et de la Foi, prise aux trois étapes du péché, de la régénération
et de l'état de grâce, représentées par l'enfer, le purgatoire et le paradis.
L'auteur n'a pas de peine à montrer jusqu'à l'évidence l'application de ce
point de vue en retrouvant dans tout le détail du poème les éléments
méthodiques qui témoignent que Dante était un théologien consommé, et
que son poème recouvre avec une exactitude rigoureuse un plan théolo-
gique préconçu et admirablement exécuté. C'est là incontestablement
l'élément le plus nouveau et le plus important de l'oeuvre du P. Berthier.
Elle ne se borne cependant pas à cela.
Le texte de la Divine Comédie est accompagné incessamment de nombreux
et riches commentaires philologiques, historiques, critiques, qui four-
nissent toutes les données nécessaires à l'intelligence du texte. Une illus-
tration abondante et soignée faite surtout au point de vue archéologique
et historique complète l'ensemble du travail. L'auteur a écrit son ouvrage
dans la langue même de Dante. Cette publication, sortie des presses de
l'OEuvre de Saint-Paul, ne laisse rien à désirer quant à la qualité du
papier et à la beauté des caractères.
304 REVUE THOMISTE
Nous ne pouvons que faire des voeux pour que le public lettré fasse à
cette oeuvre l'accueil qu'elle mérite. P. M.
Le Gérant : P. SERTILLANGES.
PARIS - IMPRIMERIE F. LEVÉ, RUE CASSETTE, 17
REVUE THOMISTE
-
II. Le Christ, notre Rédempteur, est la merveille où il nous
faut admirer d'abord la vertu de l'Esprit-Saint. Bien que tout y
soit l'oeuvre de la Trinité entière, cependant c'est à l'Esprit qu'est
attribuée la conception de Jésus au sein de la Vierge. L'Incarna-
tion n'est-elle pas en effet, par excellence, oeuvre d'amour? Cette
union du Verbe avec la nature humaine, n'est-elle pas un pur
effet de la grâce ?- A FEspril divin est attribuée de même la
sanctification de l'âme du Christ, où il a répandu tous les trésors
de la sagesse et de la science, toutes les vertus, tous les dons. C'est
lui encore qui, au jour de la Pentecôte, descendit sur les apôtres
sous forme de langues de feu, et suivant la promesse faite par le
Christ, leur enseigna toute vérité. La vérité, il l'enseigne à l'Eglise
et l'enseignera jusqu'à la lin, demeurant toujours avec elle pour la
préserver de toute erreur et lui faire développer les germes delà
doctrine qui féconde et sauve les âmes. C'est l'Esprit-Saint qui
établit les évoques et, par eux, les prêtres, chargés de nourrir
l'Église du sang du Rédempteur et de remettre les péchés des
hommes. C'est l'Esprit-Saint toujours qui couvre l'Église de tant
de gloire et de splendeur qu'elle apparaît oeuvre vraiment divine...
Ce que l'Esprit-Saint opère dajis les âmes justes n'est pas
moins admirable. Si les hommes, suivant le langage des Saintes
Lettres et des Pères, engendrés à la vie de la grâce, deviennent
des créatures nouvelles, sont rendus participant? de la nature
divine et élevés à la dignité de fils de Dieu, c'est à l'Esprit qu'ils
le doivent ; c'est lui qui rend témoignage à notre propre esprit
que nous sommes enfants du Père céleste; de même que par lui
le Christ a été conçu dans la sainteté pour être le fils de Dieu par
nature, ainsi les autres sont sanctifiés par lui pour être les fils de
Dieu par adoption.
Cette génération toute spirituelle a lieu dans le baptême. C'est
là que le Saint-Esprit commence son oeuvre. Il la parfait dans la
308 REVUE THOMISTE
SIXIEME ARTICLE
OU
(1) « Itaque conjectura et interpretatione est opus, cauta illa quidem et circumspecta,
ne aut anguste nimium de tanio iJIo bénéficie- sentiamus, aut ultra modum illud effera-
mus. » Petav., de Trm , 1. VIII, cap. vr, n. 6.
(2) « Nostram igitur, quoe privatim sit opinio, vel non dico, quia rem nondum comper-
tam satis liabeo ; vel hoc loco non dico. » Ibid.
entraîner à exposer son opinion en l'attribuant aux Pères de
l'Eglise. Il pense donc que la personne du Saint-Esprit s'unit aux
âmes saintes d'une union directe et immédiate qui lui est propre,
et qui ne convient pas de la même manière aux autres personnes ;
quse eseteris personis eodem modo non cotnpetit (1).
Son argument fondamental, c'est que l'Esprit-Saint est person-
nellement le don de Dieu, la puissance sanctificatrice, le lien entre la
Trinité et nos âmes. Voici comment il raisonne.
C'est une propriété personnelle du Saint-Esprit d'être Don,
c'est-à-dire, suivant l'explication de saint Augustin, de pouvoir
être donné. Si lui seul, à l'exclusion des autres personnes, est
susceptible de pouvoir être donné, lui seul aussi sera effectivement
donné. Or, en quoi consiste cette donation, sinon à venir dans Jes
âmes par suite de la mission invisible reçue du Père et du Fils, à
habiter en elles, à les informer en quelque sorte par l'application
de sa propre substance et à les rendre par là justes et saintes?
Donc ce mode de présence est propre à l'Esprit-'Saint, et ne sau-
rait être attribué à une autre personne (2).
Même conclusion est tirée des paroles de quelques Pères attri-
buant à l'Esprit-Saint la vertu sanctificatrice des âmes. Ce qui
donne, dit Petau, à nos conjectures sur le sentiment des anciens
un appui très solide, c'est qu'un certain nombre de Pères grecs, et
les plus recommandables par l'autorité et le savoir, saint Basile,
saint Cyrille, Euloge, saint Jean Damascène, considèrent comme
une propriété personnelle du Saint-Esprit la puissance qu'il a de
sanctifier les créatures. Au jugement de saint Basile, cette vertu
sanctificatrice serait un des caractères distinctifs de la troisième
(1) « Certa qusedam ratio est, qua se Spiritus sancti persona aanctorum justorumque
mentibus applicat, quoe ceteris personis eodem modo non competit. » Ibid.
(2) « Donum cssc, personalis est Spiritus sancti proprietas, id est, ut Augustimis es-
paçât donabile esse... Si donari posse, singulare est Spiritui sancto, neque alteri perso-
na; congruat ; erît actu donari proprium ejusdem. Hoc autem est informare veluti fide-
lium animos, et sanctos justosque facere. Proprius estergo sancti Spiritus iste ipse mo-
<lus; neque personae alteri potest adscribi. Nam si eodem modo dari potest saltem Filius,
ut omittam modo Patrem; période donabilis est Filius, ac Spiritus sanctus, et ideirco
non minus, quam hic, erit ille Spiritus sanctus, quoniam idem est donabile esse, quod
est esse Spiritum sanctum. Hoc vero falsum est, et impium dictu. Igitur non est solum
donabile, sed etiam donum, vel potius datum, eo modo, quo non est Pater, aut Filius.
Porro datum esse, nihil aliud est, quam missum et applicatum esse, et in justis habitare.
Proprie ergo et singulari modo Spiritus sanctus cum iis quos sanctos facit, conjungitur,
etinest ipsis. » Petav., de Trin., 1. VIII, cap. vi, n. 6.
312' REVUE THOMISTE
II
(1) « Habitante in nobis Servatore nostro Christo per Spiritum sanctum, erit quoque
omnino nobiscum et Genitor; nara Spiritus Christi idem est et Patris... Libenter autem
interrogaverim eos, qui prrc multa inscitia hoercsim complexi adversus gloriam Spiritus
lmguam armant... Si creatus est Spiritus et a Dci substantia, ut vultis, alienus, quomodo
habitat in nobis per ipsum Deus? » S. Cyril., in Joan., xiv, 23.
(2) « Relegantur omnia veterum Patrum testimonia, quae superius exposita sunt...,
mveniemus eorum pleraque testari, per Spiritum sanctum hoc fieri, velut proximam
causam, et ut ita dixerim, formalem. » Pet.vv., de Trin., ]. VIII, cap. vi, n. 8.
314 REVUE THOMISTE
Ce nom de don est du genre de ceux qui ont une double signi-
fication : l'une, absolue et essentielle, par laquelle il convient aux
trois personnes; l'autre, relative et notionelle, par laquelle il
désigne une personne en particulier comme ayant un titre spécial
à cette dénomination. Pris dans son acception absolue, il convient
à Dieu considéré dans sa nature et sans distinction de personnes;
car, suivant la remarque de saint Thomas, « le don est, à propre-
« ment parler, une donation faite par pure libéralité et sans
« espérance de retour, par conséquent, une donation gratuite.
« Et comme la raison d'une donation gratuite n'est autre que
« l'amour, car, si nous donnons quelque chose à quelqu'un, c'est
« que nous lui voulons du bien, il en résulte que l'amour par
« lequel nous voulons du bien est la première chose que nous
« donnons (1). » Don et amour sont donc deux expressions corré-
latives et en quelque sorte synonymes. Or, Dieu est amour, Deus
ckaritas est (2), c'est le fond de sa nature; est-il étonnant qu'il
nous aime et que, non content de déverser en nous, comme autant
de témoignages de dilcction, des bienfaits sans nombre, il veuille
être lui-même notre bien, le don par excellence, dont la pleine
possession doit faire un jour notre béatitude, ego merces tua magna-
nimis (3), et dont la communication réelle, quoique imparfaite,
constitue dès ici-bas comme un avant-goût de la félicité future?
Le Père, lui aussi, est amour et, comme tel, susceptible d'être
donné; et, de fait, en venant dans les âmes justes, il se donne à
elles comme, objet de connaissance et de fruilion commencée.
Le Fils est amour comme le Père, et, après avoir été donné aux
hommes dans l'Incarnation, suivant cette parole de saint Jean :
« Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique (4) »,
il leur est donné encore chaque jour dans la mission invisible qui
a pour but l'illumination et la sanctification des âmes. Le Saint-
Esprit, ayant une seule et même nature avec le Père et le Fils,
(1) « Sciendum est quod donum proprie est datio irredibilis, id est, quod non datur
intenlione retributionis, et sic importât gratuitam donationem. Ratio autem donationis
gratuit» est amor; ideo enim damus gratis alicui aliquid, quia volumus ei bonum. Pri-
mum ergo quod damus ei, est amor quo volumus ei bonum. » S. Th., Stanma theolog.,
J, q. xxxvm, a. 2.
(2) Uvan., iv, J 6.
(3) Gen., xv, 1.
(i) « Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenilum daret. » Joan., m, 16.
est conjointement avec eux amour et don : il est donné et il sc-
donne aux justes.
Mais, en outre de cet amour essentiel et de cette aptitude à être
donne, qui lui sont communs avec les deux autres personnes,
l'Esprit-Saint est don à un titre spécial, qu'il ne partage ni avec
le Père ni avec le Fils. La raison en est que, procédant par amour,
il procède en qualité de premier don : Cum Spiritus Sanctus pro-
cédât ut amor, procedit in ratione primi dont (1); c'est là son carac-
tère personnel et distinctif. Si le Père peut être donné, non par
un autre, il est vrai, car il ne procède de personne, mais par
lui-même, ce n'est point parce qu'il est don à un titre personnel,
mais parce qu'il s'appartient et peut, en conséquence, librement
disposer de soi. Quant au Fils, il peut être donné par le Père,
parce qu'il lire de lui son origine, et il est effectivement donné
aussi réellement que le Saint-Esprit; mais, comme il procède non
par amour, à l'instar de la troisième personne, mais par voie d'in-
telligence et de génération, il est, en vertu de son mode d'origine,
Verbe et Fils, et non amour ou don.
Seule la troisième personne, procédant des deux autres par voie
de volonté et comme terme de leur amour, procède en qualité de
don, c'est-à-dire comme apte à être donnée. De là cette parole de
saint Augustin : « l'Esprit-Saint procède non comme né, mais
comme donné, c'est pourquoi il n'est pas Fils » : Exiit non quomodo
natus, sed quomodo datus; et ideo non est Filius (2). Cette aptitude
à être donné constitue la propriété particulière de l'Esprit-Saint,
sa note caractéristique. Mais, si celle propriété est une raison qui
autorise les représentants de la science théologique à lui attribuer,
par une sorte d'accommodation, le grand don de Dieu aux hommes
el le principal effet de son amour, c'est-à-dire le don de lui-même
qui accompagne la grâce et qui en est comme le couronnement,
elle n'est point un motif suffisant pour affirmer l'existence d'une
union spéciale de ce divin Esprit avec les justes, laquelle n'appar-
tiendrait ni au Père ni au Fils; car, si la donabilité implique un
mode de procession qui est l'apanage exclusif de la troisième per-
sonne, elle n'entraîne aucune relation spéciale, aucun rapport d&
III
laticai), est communis ex parte principii, non autem ex parte lermini. » III, q. m; a. 4,
ad 3.
318 BEVUE THOMISTE
(1) « Cum eadem virtus sit Patris et Filii et Spiritus sancti, sicut et eadem essentia,
oportet quod omne id quod Deus in, nobis efficit sit, sicut a causa efficiente, simul a Pâtre et
Fïlio et Spiritui sancto. » S. Tu., I. IV. Contra Gentes, cap. xxr. - Et iterum : « Facere
quemeumque effectum in creaturis est commune toti Trinitati propter vmitatem naturai,
quia ubi est una natura, oportet quod sit una virtus et una operatio. Unde Dominus dicit
(Joan., v, 19): Qu:ecumque Pater facit, hoec et Filius similiter iacit. » S. Th., III, q.
xxiii, a. 2.
(2) « Incarhationem quoque hujus Filii Dei tota Trinitas opérasse credenda est, quia
inseparabilia sunlopera Trinitatis. Solus tamen Filius formam servi acoepit insingularitate
personoe, non in unitate divinse natures, in id quod est proprium Filii, non quod com-
mune Trinitati. » Ex symbolo fîdei Conc. Tolet. vi, an. 675.-
320 REVUE THOMISTE
IV
(1) Firmiter credimus et feimphcil.er coufitemur, quod unus solus est verus Deus...,
«
Pater etFilius et Spiritus sanctus : très quidem porsonee, sed una essentia... unum uni-
vorsorum principium. » Conc. Lalcr., iv cap. Firmiter.
(2) Hee 1res persona? sunt unus Deus ei non très dii. quia trium est una substantia, una
essenlia..., Omniaque sunt unum, ubi noiiobviat reîationis oppositio. Propter banc unitatcm...
Pater et Filius et Spiritus sanctus non Iria principia creaturoe, sed unum principium. »
Conc. Florent., Ei decreto pro Jacobitis.
(3) Ex Gonc. Laler.. an. 649, sub Martino I, can. 1.
(4) Art. 2.
Jl n'est pas rare, nous dit-on, de rencontrer dans les écrits des
anciens les expressions suivantes : C'est par l'Esprit-Saint que Je
Père et le Fils habitent en nous ; ce divin Esprit est le lien qui
nous unit aux deux autres personnes. Or, de telles expressions
n'indiquent-elles pas ouvertement que l'habitation de Dieu en
nous se fait par l'intermédiaire du Saint-Esprit, en qui et par qui
nous possédons le Père et le Fils? Si l'on refuse de voir dans ces
paroles la preuve d'une union contractée directement avec la troi-
sième personne, et, par elle, avec les deux autres, quel autre sens
peut-on légitimement leur donner ?
Le sens que tout le monde s'accorde à attribuer à des formules
analogues employées fréquemment par l'Ecriture ou les Pères.
Ainsi, quand saint Jean nous dit dans son Evangile que tout a été
fait par le Verbe, Omnia per iiisum facta sunt (l), nul ne songe à
voir dans cette expression l'indice d'une opération ou d'un mode
d'agir exclusivement propre au Verbe ; nul ne prétend que Je
Verbe soit ou l'instrument du Père dans la production du monde,
ou la cause formelle par laquelle il agit, ou le principe direct et
immédiat des choses à l'exclusion des autres personnes; chacun
comprend que la préposition dont se sert l'apôtre désigne simple-
ment l'ordre des personnes divines et la pz*ocession du Fils ,. chacun
se rend facilement compte que cette façon de parler a été
employée pour nous faire entendre que la puissance active par
laquelle tout a été fait, quoique commune aux trois personnes,
leur appai'tient cependant, comme la nature divine elle-même,
dans un certain ordre : au Père, comme à sa source primordiale,
au Fils par communication du Père, au Saint-Esprit comme à
celui qui la tient des deux autres personnes. L'unité d'opération
n'est donc pas détruite par cette formule qui semble rattacher le
monde à Dieu par l'intermédiaire du Verbe; il n'y a là qu'une
appropriation fondée sur la procession de la seconde personne et
sur la propriété qui lui appartient, en qualité de Verbe, d'être
l'expression, la cause, et, d'une manière spéciale, le type et l'exem-
plaire de toutes choses (2).
(1) Jban., i, 3.
(2) « Verbura Dei, cjus quod in Deo Pâtre est, est expressivum tantum , creaturarum
-«
vero est expressivum et operalivum ». S. Tn.,I,'q. xxxiv, a. 3, Verbura Dei com-
paratur ad res alias intelleclas a Deo sicut cxemplar, (et) ad ipsum Deum, oujus est
Verbum, sicul cjus imago, » H. Th., I. IV. Contra Gentes, cap. xi.
BEVUE THOMISTE. - Se ANNÉE. - 22.
322 REVUE THOMISTE
De même, quand nous lisons dans les écrits des docteurs, que
le Père et le Fils aiment par l'Esprit-Saint, nous nous écarterions
manifestement de la vérité en faisant du Saint-Esprit le principe
formel de l'amour du Père et du Fils, et en lui attribuant en propre
un acte qui est en réalité commun aux trois personnes. A parler
rigoureusement, le Père et le Fils aiment formellement par la
nature divine, ou parla volonté qui s'identifie avec cette nature; on
peut dire néanmoins qu'ils aiment par l'Esprit-Saint, comme par
le terme intrinsèque de leur amour, parce que, en s'aimant l'un
l'autre, ils produisent le Saint-Esprit, et que, de leur mutuelle
dilection, jaillit la charité personnelle, comme la fleur de sa tige.
Pater et Filius dicuntur diligentes Spiritu sancto, vel amore proce-
dente, et se, et nos (\).
C'est dans le même sens qu'ils habitent en nous par l'Esprit-
Saint. Sans doute, l'inhabitafion par la grâce appartient propre-
ment à la Trinité entière: Inhabitatio convenit toti Trinitati (2); mais
parce que,en nous aimant, en nous voulant ce bien infiniment pré-
cieux qui est la possession de Dieu même, le Père et le Fils
produisent l'Esprit-Saint, on peut dire qu'ils habitent en nous par
le Saint-Esprit, comme parle terme intrinsèque de leur dilection.
liecte Pater et Filius dicuntur inhabitare nos Spiritu sancto (3).
Mais, ajoute-t-on, l'Esprit-Saint est encoi'e appelé le lien qui
(1) « Seiendum est qûod cum res communiter denominetur a suis formis..., omne iJlud
a quo aliquid denominalur, quantum ad hoc habet habitudinom formée... Contingit
autem aliquid denominari per id quod ab ipso procedil, non solum sicut agens actione,
sed etiam sicut ipso termino actlonis, qui est effectus, quando ipse effectus in intelleclu
aclionis includitur. Dicimus enim quod ignis est calefaciens calefactione, quamvis cale-
factio non sit calor, qui est forma ignis, sed actio ab igné procedens : et dicimus quod
arbor est ilorens floribus, quamvis flores non sint forma arboris, sed quidam effectus
ab ipsa procedentes. Secundum hoc ergo dicendum quod cum diligere in divinis dupli-
uiler sumalur, essenlialiter scilicet, et notionaliter : secundum quod essentialiler sumitur,
sic Pater et Filius non diligunt se Spiritu sancto, sed essentia sua...; secundum vero
quod notionaliter sumitur, sic diligere nihil estaliud quam spirare amorem, sicut dicere
est producere verbum et fJorere est producere flores. Sicut ergo dicitur arbor florens
floribus, ita dicitur Pater dicens Verbo vel Filio, se et creaturam; et Paler et Filius
dicuntur diligentes Spiritu sancto, vel amore procedente, et se, et nos. » S. Th., I,
q. xxxmi, a. 2.
(2) S. Th. in I Sent., dist. xv, q. n, a. 1, ad i.
(3) « Pater et Filius... diligendo necessario producunt Spiritum sanctum. Recte igilur
dicuntur... diligere Spiritu sancto. Cum autem inhabitatio sit opus dilectionis, ergo
reste Pater et Filius dicuntur inhabitare nos Spiritu sancto... Hoc tamen non significat Spi-
ritum sanctum speciali modo nos inhabitare prse ceteris porsonis. n R. P. Pëscu. S. J.
Prselect dogmat., de Deo trino, sect, v, n. 689.
nous unit au Père et au Fils ; n'est-ce pas une preuve manifeste
que, dans la pensée de ceux qui parlent ainsi, notre union à Dieu
se fait d'abord avec la personne du Saint-Esprit, et, par elle, avec
les deux autres? Nullement. Car il est appelé aussi le noeud qui
rapproche le Père et le Fils, nexus Pairis et Filii (1), leur baiser
mutuel, leur indivisible unité (2); ce qui semblerait, à première
vue, indiquer qu'il tient le milieu entre Je Père et le Fils; el cepen-
dant, nul ne se base sur ces expressions pour soutenir que le Saint-
Esprit est la seconde personne de la sainte Trinité, mais chacun
comprend qu'il est ainsi nommé parce que, étant le terme de la
dilection mutuelle du Père et du Fils, il procède des deux
comme d'un seul principe et d'un spirateur unique, et qu'il les
unit par l'amour (3). De même, quand les Pères le représentent
comme le lien entre les deux premières personnes et les âmes
justes, leur but n'est autre que d'indiquer sa subordination
d'origine vis-à-vis du Père et du Fils et son mode de procession
par voie d'amour.
Tel est J'enseignement de toute la scolastique, telle l'interpré-
tation qu'elle a toujours donnée des textes de l'Écriture et des
Pères mis en avant par les tenants de l'habitation personnelle du
Saint-Esprit. La conséquence qui en découle, c'est que la grâce
n'établit pas de rapports spéciaux, d'union particulière avec ce
divin Esprit, et que l'habitation, dont parlent si fréquemment les
Livres saints, appartient à toute la Trinité et n'est attribuée à la
troisième personne que par appropriation.
Mais cette union de nos âmes avec Dieu est-elle la dot commune
de tous les justes, ou, au contraire, l'apanage exclusif des saints de
la nouvelle alliance?
Ici encore, nous nous heurtons à une opinion singulière de
Petau qui voyait, dans l'habitation du Saint-Esprit par la grâce,
un privilège de la loi évangélique. Ce n'était là, du reste, qu'une
conséquence et un corollaire de sa doctrine sur la cause formelle
de notre adoption en qualité d'enfants de Dieu. Distinguant, à la
suite de Lessius, la sainteté ou la justification par la grâce de la
filiation adoptive, au point que, d'après lui, l'une peut se séparer
de l'autre, et que l'homme peut être juste, 'd'une justice surnatu-
relle, sans être enfant de Dieu, Petau prétend que la véritable
cause, la raison formelle de notre adoption divine, n'est point la
grâce sanctifiante, mais la substance même de l'Esprit-Saint appli-
quée à notre âme. Car, de même que la cause formelle de la filia-
tion naturelle n'est autre que la communication, par voie de géné-
ration, d'une nature semblable à celle du générateur; de même, la
vraie cause de la filiation surnaturelle et adoptive, c'est la nature
divine elle-même, s'identifiant avec la personne de l'Esprit-Saint,
librement communiquée à l'homme.
Ainsi, d'après Féminent jésuite, la participation à la nature
divine qui fait de nous des justes et des enfants de Dieu, ne
consiste point, comme l'ont toujours cru et enseigné les théolo-
giens catholiques, dans le don créé de la grâce sanctifiante, mais
dans la personne même de l'Esprit-Saint, s'unissant directement
et Sans intermédiaire à nos âmes, et les divinisant par l'applica-
tion de sa propre substance (1). A l'entendre, la grâce et la charité
(1) « Patres eosdcrn asseverantes audivimus, cum nullo interjecto medio sanctos nos
fîeri per ipsam Spirilus substantiam, tum nullam îd creahiram posse periicere: tametsi
substantiae Dei, qua sanctifieamur, cornés sit infusa qualitas, quam vel gratiam, vel cha-
ritatem dicimus. » Petav., de Trin., ]. VIII, cap. vi, n. y. - « Neque vero, cum hoc
asserunt Patres, ipsam, qua justi sumus, sanctitalem, ac velut sanctificantem formam
esse Spiritum sanctum, eamque &pc;<i>ç, nullo interposito medio, sanctos ac Dei iilios nos
facere, quod per crealuram eflici posse Cyrillus negat ; ideirco gratiam et charitatem...
exoludi putandum est, quod in sola charitate Magister senlentiarum perperam existima-
vit. » Ibid.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 325
(1) « Utrumque enim intervenil: cl Spirilus ipse sanctus, qui filios facit, adeo ut, si
nulla infunderetur creata qualitas, sua nos ipse substantia adoptivos filios efficeret ; et
charitatis habitas ipse, sive gratioa, quoe est vinculum quoddam, sive nexus, quo cura
auimis nostris ïlla Spiritus sancti substantia copulatur. » Ibid.
(2) Gai., iv, 23.
(3) « Non dubito quin, si quis ista ipsa loca veterum accurate considerare velit, ita
sonsisse illos existimet, propriam quamdam, post adventum Christi, atque obitum, com-
326 REVUE THOMISTE
municationem coepisse esse Spiritus sancti, qualis antea non erat; cujus etiam ab eo lem-
pore iactum initium docent, quo in aposlolos sub ignis specie descendit, tanquam liac-
tenus, >kxt' èvlp'yeiav, id est operatione tenus, in sanctis fucrit; deinceps autem ovïuùoûc,
id est iv.hstantiali.ter. » Petav., de Trin., 1. VIII, cap. vu, n. 1.
(1) « Quos (Patres) qui attente pervestigare voluerit, intelliget occultum quemdam, el
inusitatum missionis commumeationisque modum apud illos celebrari, quo Spiritus ille
divinus in justorum sese animos insinuans, cum illis copulatur..., ita, ut substantia ipsa
Spiritus sancti nobiscum jungatur, nosque sanctos, ac justes, ac Dei denique filios effi-
ciat. Ac nonnullos eliam antiquorum illorum dicentes audiet, tantum istud tamque stu-
pendum Dei beneficium tune primum homimbus esse concessum, postquam Dei Filius
homo factus ad usum hominum, salutemque descendit, ut fructus iste sit adventus, ac
mentorum, et sanguinis ipsius, veteris testamenli justis bomnibus nondum attributus ;
quibus nondum erat Spiritus datits, quia Jésus nondum fuerat glorificatus, ut evangelista Joan-
nes scribit. » Petav., de Trin.,\. VIII, cap. vi, n. 5.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 327
(1) « Cum in die Pentecostes discipulos Domini Spiritus sanctus implovit, non fuit in-
choatio muneris sed adjectio largitatis; quoniiim et patriarche et prophetse et sacerdotes
omnesque sancti, qui prioribus fuerc temporibus, ejusdem sunt Spiritus sancti sanctifica-
tione vegetati..., ut eadeni semper fuerit virtus charhmalum, quamvis non eadem «eniper fuerit
mensura denorum ». S. Léo M., de Pentec, serm. il, c. 3.
(2) « Unus idemque Spiritus est, qui tune (in veteri Test.) et qui nunc sanctificat et
consolatur eos, qui eum recipiunt; quemadmodum unum est et idem Verbum Filius ad
adoptionem promovens etiam tune eos, qui digni erant. Nam erant et in veteri Testa-
Jiiento filii, non per alium quam per Filium adopli. » S. Atiian., Orat. S5, contr. Arian.,
n. 25-26.
(3) Lac, i, 13.
(i)Luç, i, il.
(5) Luc, n, 25.
328 REVUE THOMISTE
« n'avait pas encore été donné, il ne faut pas entendre ces paroles
« dans ce sens que nul, avant la résurrection du Christ, n'avait
« reçu l'Esprit sanctificateur, mais bien dans ce sens que, à
« partir de cette époque, la donation de ce divin Esprit fut plus
« abondante et plus commune (3) » ; il ajoute ailleurs : « et
Vil
(1) « Quomodo ergo Spiritus nondum oral datus, quia Jésus nondum eral clarificatus,
rûsi quia illa datio, vel donatio, vel missio Spiritus sancti habitura erat quamdam pro-
prietatem suam in ipso advenlu, qualisantea nunquam iuit? Xusquam enim legimus, lin-
guis quas non noverant homines locutos, venienle in se Spirilu sancto, sicut tunefactum
est, cum oporteret ejus adventum signis sensibilius demonsirari (Act., n, 4), ut ostende-
retur totum orbem terrarum atque omnes gentes in linguis variis constitutas, credituras
in Christum perdonum Spiritus sancti. » S. Aug.., de. Trhi., ]. IV, cap. xx, n. 29.
(2) « Ad patres autem veteris Teslamcnli missio visibilis Spiritus sancti fieri non
debnit; quia prius debuil perfici nifsrdo visibilis Filii quam Spiritus sancti, cum Spiritus
sanctus manifestet Filium, sicut Filius Palrcm. Fuorunt autem factaa visibiles appariiio-
nes divinarnm personarum patribus veteris Teslamenli ; quoe quidem missioaes visibi-
les dici non possunt; quia non fuorunt factoc, secundum Augustinum (lib. II, de Trin.,
cap. xvn), ad designandam inbabirationem divinoe personae per gratiam, sed ad aliquid
aliud manifestandum. » Summ. Theol., I. q. xliii, a 7, ad 6.
330 REVUE THOMISTE
(1) «Jlissio invisibilis fit ad sanclificandara creaturam. Oninis autem crealura habens
gratiam sanotificatur. Ergo ad omnem creaturam hujusmodi fît missio invisibilis. »
Summ. Theol , I, q. xljii, a. fi.
(2) Uid., ad 1.
(3) Jac, II, 23.
(4) « Justificalio non est sola peccalorum remissio, sed et sanctiflcatio, et renovatio
inlerioris hominis per voluntariam SHseeptionem gratise, et donorum; unde homo ex in-
juste* fit justus, et ex inimico amicus, ut sit hasres secuudum spem vitoe alternée Unde
..
in ipsa justifieatione cum remissione peccatorum hsec omnia simul infusa accipit homo
per Jesum Christum, cui inseritur, fiderri, spem, ol cliai'ilatem. » Trid., sess. VI,
cap. vu.
DE L'jJABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 331
(1) « Ad patres veteris Testamenti missio visibilis Spiritus sancti fieri non debuit
?luia prius debuil, perfici missio visibilis Filii quam Spiritus sancti. » S. Th., Summ.
Theol., I, q. xliii, a. 7, ad 6.
(2) Dent., vi, 4.
-M
VIII
(1) L'Apôtre dit formellement des anciens patriarches qu'ils étaient enfants de Dieu ;
« Qui sunt Israelitse, quorum adoptio estfiliorum. » Rom., ix, 4.
(2) « Hcec omnia in figura contingebant illis. « I Cor., x, H.
(3) « Adnihil perfectum adducit lex. » Hebr., vu, 19.
(5) «Per legem cognitio peccati. » Rom., .m, 20.
(5) « Impossibile est sanguine taurorum et liircorum aul'erri peecata. » Hehr., x, 4.
(6) Ibid., ix, 13.
0) « Non justificatur homo ex operibus logis, nisi per fidem Jesu Cliristi. » Gai., n,
16.
334 REVUE THOMISTE
(1) « Fuemnt tamen aliqui ia statu veteris Testamenti habentes charitatem et graliam
Spiu'tus sancti, qui principaliter expectabant promissiones spiritualeS et teternas; el
secundum hoc pertinebant ad legem novam. » Summ. Thecl., I«-II», q. cvii, a. 1, ad. 2.
(2) « Quanto tempore hoeres parvulus est, nihil differt a servo cum sit dominus om-
nium. Sed sub tutoribus et actoribus est nsque ad proefinitum tempus a pâtre : ita et
nos, cum essemus parvuli, sub elementis mundi eramus servientes. » Gai., iv, 1-3.
(3) « Lex poedagogus nosterfuit in Christo. » Gai., ni, 24.
(4) «At ubi venit plenitudo lemporis, misit Deus Pilium suum..., ut eos qui sub lege
eiant, redimeret, ut adoptionem filiorum reciperemus. » Gai., iv, AS.
(5) « Quoniam autem estis filii, misit Deus Spiritum Filii sui in corda vestra claman-
tem : Abba, Pater. » /èid., 6.
DE L HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 33S
IX
(1) «Umbram habens les futurorum bonorum, non ipsam imaginera rerum:per singu-
los annos eiadem ipsis hostiis, quas offerunt indesinenter, nunquam potest accedentes
perfcclos facere ; alioqum cessassent offerri, ifieo quod nullam haberent ultra conscien-
liam peccati, cultores semel muudati. » Hebr., x, 1-2.
(2) h Una enim oblatione consummavit in sempiternûm sanctiiîcatos, » Ibid., 14.
(3) « Novaslegis septem sunt sacramenta... Qurc multum asacramentis différant antiques
legis. Illa enim non causabant gratiam, sed eam solum per passionem Christi dandam.
esso fîgurabant; hoec vero nostra et continent gratiam, et ipsam digne suscipientibus
conférant. » Conc. Florent., ex decreto pro Armenis.
(4) Gai., iv, 9.
(5) « Infirma quidem, quia non possunl a peccato mundare; sed hoec inflrmitas prove-
nu ex eo quod sunt egena, id est, eo quod non continent in se gratiam. » Summ. Tkeol.
Ml"», q. cm, a. 2.
336 REVUE THOMISTE
(1) « Sancti veteris Testamenti dupliciter possunfc considerari : vel quantum ad gra-
tiam personalem, et sic per fidem Mediatoris consecuti sunt gratiam aoque plenam his
lui sunt in novo Testamento, et multis plus et multis minus; vel seoundum statum natu-
''se illius temporis, et sic cum adhuc continerentur obnoxii divinse sententias pro peccato
pnmi parentis, nondum soJuto pretio, eral in eis aliquod impedimentum, ut non ad eos
''a plena missio fîeret, sicut fîtinnovo Testamento etiam per traductionem in gloriam, in
qua omnis imperfectio naturoe amovetur. » Ibid., ad 2.
REVUE THOMISTE, - 5° ANNÉE. - 23.
LA CRISE DE L'APOLOGÉTIQUE
II
OU EST LA SOLUTION?
(1)P. 616.
(2) P. 616, cf. p. 307.
340 KKVUiS THOMISTE
((
n'y font rien. Si en un sens penser c'est vivre pour tout le
« monde, croire ce n'est toujours que croire pour soi, parce que
« croire c'est vivre et que personne ne peut vivre à la place de
personne. »
«
«
« Voilà,
position
j'espère,
que l'on
-conclut
ne contestera
le P.
pas.
Laberthonnière,
On dira plutôt que
-
une pro-
c'est une-
« banalilé. Oui assurément, une banalité. Néanmoins cette bana-
« lité pourquoi la méconnaît-on? Pourquoi parle-t-on sans cesse
« de la foi comme si elle était la conclusion d'un raisonne-
« ment? » (1).
C'est ce que nous demandons, nous aussi, mais en nous adres-
sant au P. Laberthonnière. Pourquoi parle-t-il de la foi comme si
elle était la conclusion d'un raisonnement? Car c'est en parler
ainsi que de l'appeler « la solution d'un problème »; c'est con-
fondre à tort deux questions distinctes, qu'il est cependant d'usage
de bien distinguer, entre théologiens. Ramenons donc ici cette
banale mais utile distinction, dont le Concile du Vatican lui-même
n'a point dédaigné de faire usage.
11.
- Les motifs de crédibilité et le motif formel de l'acte de foi.
(1) P. 508.
342 BEVUE THOMISTE
ilî '
Il y a, en elle, à la différence de l'opinion, et à l'opposé du doute
une ferme adhésion consentie par la volonté et acceptée par
,
« solution ».
« Solution » c'est dénouement logique, par voie de science, de
ce lien de la pensée spéculative qu'est un problème non résolu;
c'est l'élimination certaine des inconnues primitives de l'équation,
dans une dernière formule ramenée à l'évidence. Et le P. Laber-
thonnière, si prompt à blâmer ceux qui, selon lui, parlent sans
cesse de la foi comme si elle était la conclusion d'un raisonnement,
emploie sans scrupule ce terme de mathématiques. Il oublie ce
qu'il a dit lui-même : « La vérité surnaturelle peut-elle donc
« découler de la vérité naturelle comme les propriétés d'une
« notion géométrique découlent l'une de l'autre? (2) » Il est le
premier, il est le seul à user des expressions qu'il condamne.
Et, à ce propos, faisons-lui observer que, nous autres Intellec-
tualistes, nous avons toujours soigneusement exclu de l'analyse
Nous ne nions point cependant, pour cela, qu'à côté de la« solu-
tion » apologétique universelle et typique, il y ait « des solu-
tions ». Selon le tempérament, le caractère moral, le degré
de culture intellectuelle, les circonstances de milieu propres à
chaque individu, l'impersonnelle démonstration de la crédibilité
du dogme, par les miracles ou par les vertus, reçoit en chacun de
nous les développements accidentels les plus variés. Il n'est pas
348 REVUE THOMISTE
nécessaire
« d'avoir
- et nous le concédons au P. Laberlhonnière
appliqué les facultés logiques de son esprit à la vérité
-
surnaturelle en vue de l'organiser méthodiquement à partir de
certains principes ou de certaines données » (1). 11 n'est pas
nécessaire d'avoir « méthodiquement » suivi un cours complet
d'apologétique. Il suffit d'un motif évident de crédibilité, conçu
et admis en la forme accessible à celui qui croit (2). Et ainsi, cha-
cun, en face du même objet croyable et dans la même disposition
de foi, peut s'attacher de préférence aux aspects de la crédibilité
qui lui sont les plus intelligibles et les plus sympathiques. Il peut
les grouper dans un ordre qui est à lui : celui-ci, à partir des
faits extérieurs ; celui-là à partir de son expérience intime et de
i-r ses aspirations secrètes au surnaturel. Chacun choisira encore
dans son expérience personnelle ou autour de soi, quelque fait
préféré dont la valeur probante lui est plus sensible. Le chemin
de Damas change d'aspect pour chacun de ceux qui s'y engagent ;
et le même Christ qui y terrasse l'âme récalcitrante ou y éclaire
l'àme docile, sait varier pour chacun la touche de sa main et le
rayon de sa lumière.
Que l'on n'exagère pas, néanmoins, cette individualisation de
l'apologétique et de l'adhésion à la foi. En notre temps deréaction,
assurément souhaitable, contre les idées et les pratiques admises
toutes faites, par entraînement en masse, il ne faut pas oublier que
la vie humaine complète, que la vie normalement chrétienne
doivent intimement harmoniser ces deux choses : la personnalité
propre et la nature commune. La personne, elle aussi, c'est la
nature, et la nature à son état parfait, en lequel elle subsiste
' comme un tout indivis et complet, maître de ses actes (3). De
même donc qu'une solution scientifique admise par un savant,
doit être à la fois l'universelle vérité, et la vérité devenue à force
d'assimilation personnelle la vérité de cet homme ; de même les
solutions apologétiques doivent-elles participer en chacun de nous,
et à l'impersonnelle vérité des principes de la raison et de la foi,
et à la vie personnelle de notre esprit. Bien mieux, les solution?
(1) P. 307.
(2) Joannhs a s. TiiomA. Curus theologicas, tom. VII : De IHin, Quscsst. I, Disp. n,
art. 3, nos 4 et S.
-De
(3) Ia Pars, Qusest. xxix, art. 1. Potentla, Quteçt. ix, art 3 ; Of. art. 1, ad 3'"-
><,v?$???-
?
«
«
à tout appétit naturel, mais il
que pénétrée par la grâce ». Et
« -
ainsi,
» ;
appartient
l'analyse
à la nature en tank
scientifique de
noire action vivante nous manifeste l'action surnaturelle de Dieu,
« puisque l'action humaine est en môme temps notre action et
l'action de Dieu ». -Un second fait, c'est la correspondance de
notre « bonne volonté » à l'action de Dieu. Sans elle « ni révéla-
« lions, ni miracles, ni raisonnements d'aucune sorte ne produi-
« ront la lumière dans l'esprit et n'amèneront à la foi explicite ».
C'est elle qui « ratifie librement ce que la grâce met en nous » ;
« c'est par elle que « le surnaturel devient raisonnable pour nous
« dans notre vie voulue et réfléchie, c'est-à-dire qu'avec la bonne
« volonté le surnaturel prend un sens pour nous qu'il n'aurait
u pas sans elle ». Et ainsi l'analyse intégrale du fait immanent de
la vie surnaturelle nous fait découvrir en nous la synthèse réelle
de l'action de Dieu et de la nôtre, librement faite de part et d'autre.
Et, comme le problème de la foi se ramène au problème du libre
arbitre et de la grâce, une telle analyse résout le problème de la
foi. « Puisque c'est par la bonté qu'on possède la vérité, et puisque
« c'est par la volonté qu'on est bon, c'est donc du point de vue de
« de la volonté qu'on doit envisager la vérité, c'est-à-dire d'un
« point de vue subjectif et immanent » (1).
il: Il y a une autre faute à dire, sans explication, que « la foi est
affaire de volonté». Non seulement on renonce à la distinguer même
en gros d'avec n'importe quelle autre vertu ; mais on méconnaît
positivement sa différence spécifique. L'acte de foi est volontaire,
c'est entendu ; la foi réside donc de quelque manière en la volonté,
c'est encore entendu ; et saint Thomas en tombe d'accord avec saint
Augustin dont il cite la parole : « Fides consista in credentium
« voluntate ». Mais, toujours avec saint Augustin, il se souvient
que la foi est assentimentfixe et pensée obscure; et qu'elle l'est immé-
diatement, par sa propre nature de foi, puisqu'elle conçoit et
admet des vérités, objet d'intelligence avant d'être objet d'amour :
« Credere est actus immediatus intellectus, quia objectum hujus actus
« est verum, quodproprie pertinet ad intellectum. » Et quand saint
(1)
(2)
August. De Proei Sanctorum., cap. v.
I Cor. XIII, 9, 12. Hebr xi, 1.
- lia IIae'qUoes(. iV] art. 2, corp. et ad lm.
Voilà les [trois notes qu'en toute loyauté nous croyons devoir
maintenir devant le tribunal de l'opinion théologique,
-
devant lui seul, on entend bien.
et -
Nous ne refusons point, cependant, de reconnaître une « âme
de vérité », égarée parmi tant d'erreurs. A mesure que nous
lisions le travail du P. Laberthonnière et que nous le comparions
!
à d'autres, pareillement inspirés de préoccupations criticistes,
morales, apologétiques, nous nous rappelions celle remarque
déjà ancienne de M. Ollé-Laprune: « Dans la pensée et dans le
« style, je ne sais quoi de hardi et de profond, de subtil et
« d'éblouissant, avec une hardiesse engageante, de belles obscu-
rites et de poétiques enchantements qui rappellent les Platoni-
«
« ciens d'Alexandrie ({) ï>. Quel -
est donc ce je ne sais quoi
hardi et.de profond ? Tout simplement, comme je l'ai déjà indiqué,
de
;'l^. une vieille idée chrétienne dont saint Augustin et saint Thomas
ont rendu depuis longtemps familière aux théologiens la hardiesse
et la profondeur. Expliquons cette idée, elle ne vient pas d'Alexan-
drie, et encore moins de Koenigsberg.
-1
moral qui nous relève de nos faiblesses innées ou volontaires, et
qui nous surélève à un certain idéal de vie pure et forte. Si nous
résistons à ces attraits, le remords nous avertit ; et si le remords
ne nous amende, il nous châtie. Si nous sommes dociles à ces
attraits, notre idéal s'élève et prend consistance, en raison même
de notre docilité. Nous concluons donc avec le P. Laberthonnière :
« N'est-ce pas Dieu qui agit en nous tous par cette inquiétude, par
« cet inassouvissement, par ce besoin d'infini qui nous empêche
c partout de trouver le repos, et qui nous donne toujours du mou-
« vement pour aller plus loin et plus haut » (1) ?
Mais nous tenons qu'il soit fait à qui de droil honneur de ces
idées.
A saint Augustin d'abord. On connaît, entre cent autres, l'admi-
rable apostrophe des Soliloques : « Je le confesse, je le sais,
« Seigneur mon Dieu, partout où je suis sans vous, je suis mal,
« soit hors de moi, soit en moi : toute richesse qui n'est point mon
« Dieu m'est pauvreté. Je ne serai rassasié qu'à l'apparition de votre
gloire » (2).- Et il y a plus grand encore que saint Augustin, pour
nous apprendre cette faim de Dieu. Paul, « debout au milieu de
l'Aréopage », disent les actes des Apôtres, prêchait aux Athéniens
« ce Dieu inconnu » qui n'habitait point le Parlhénon, ni la cellule
d'aucun autre temple, mais leurs âmes. « Il veut, ce Dieu, que
« tous les hommes le cherchent, qu'ils s'efforcent de le trouver à
« tâtons, bien qu'il soit tout près de chacun de nous ; car en lui
« nous avons le mouvement, la vie et l'être. Un de vos poètes l'a
« dit : « De Dieu même nous sommes la race » (3). Idée géniale
donc, si Ton veut, que l'idée de l'appétit du divin dans le vouloir
humain ; mais due à ce génie tout surnaturel qui vient à l'homme
des dons infus d'intelligence et de sagesse, lui donnant de pénétrer
et de juger, sur les données encore énigmatiques de la foi, les
raisons divines du sens de la vie humaine. Idée géniale que devine
et saisit le coeur même des enfants et des simples, refait par la
grâce sanctifiante à une image plus parfaite de Dieu, et, dès lors,
capable de le comprendre et de comprendre sa parenté avec lui,
(1) P. 616.
(2) Boliloquiorum Liber, cap. xm.
(3) Act. xvii, 21 et 45.
362 BEVUE THOMISTE
(1) Jou, ix, 26. - I Con. iv, i. - 1a 2oe, qusest. cxn, art. 5.
LA CRISE DE L'APOLOGÉTIQUE 363
Faisons-le pour lui ; car nous avons à coeur, en tant même que
théologiens, de donner à l'autorité des mystiques la place qui lui
est due. Cette place, avons-nous dit, n'est point, à proprement
parler, en apologétique; nous pouvons cependant les y amener,
mais, à ce qu'il nous semble, non au titre magistral où viennent
des docteurs comme saint Augustin et saint Thomas, mais au titre
inférieur de témoins par expérience personnelle des manifestations
de la grâce en l'âme chrétienne. Ils onl vécu en grand ce que
nous vivons en petit :
leur expérience corrobore la nôtre, comme
l'expérience consommée du vieillard corrobore l'expérience com-
mencée de l'homme jeune encore, et déjà suffisamment mûri pour
consulter sérieusement la sagesse d'autrui. L'expérience des saints
est sûre, car leur témoignage est loyal et clairvoyant, et leur
foi était admirablement pure; mais nous ne la comprendrons
sûrement bien que par l'interprétation des docteurs et de la
théologie, qui jugent de leurs expériences mystérieuses par la
certitude des principes révélés. Si donc on veut nous citer des
mystiques, on fera bien d'être avant tout théologien ; et de même
que les vrais mystiques ne voulaient point de confesseurs et de
directeurs qui ne fussent théologiens, ils ne voudraient point non
plus d'interprètes qui ne le fussent aussi. Et ces interprètes en
devront toujours revenir à l'inexorable maxime de saint Thomas :
« Cognoscitur aliquid conjecturariter per aliqua signa et hoc modo
« coqnoscere potest quis se habere gratiam(l). »
On ne saurait donc, sans danger, réduire toute l'apologétique à
cet argument conjectural, et cela, sous couleur de précision et de
rigueur philosophique ! Aussi le Concile du Vatican a-t-il con-
damné, comme ébranlant les fondements de la foi, ceux qui vou-
draient ne l'établir que sur l'expérience immanente et sur les
aspirations personnelles des âmes à la vie divine : « Si quis diocerit
(1) P. 623.
(2) In Joannis, Év., Tract. IX. nD 1.
LA CRISE DE L'APOLOGÉTIQUE 369
(1) Stuaut Mill, Logique, trad. Peisse, p. 205, 208, 214, 230.
372 REVUE THOMISTE
! ',4
LE SYLLOGISME : STUART MILL ET M. RABIER 373
II
il
m
vaste filet où se trouvent pris tous et chacun des singuliers, comme
tels, mais un « universel ».
m
m
passagers, appartiennent à l'être particulier, et par son intermé-
diaire seulement, se trouvent en union insolite avec la nature.
D'autres, au contraire, appartiennent d'abord à la nature, ils sont
m ses caractères inaliénables, ils découlent d'elle, ils lui conviennent
?Il i >
1ÏM de soi, de parce qu'elle est, per se ; par elle, ils se propagent dans
le groupe entier dont elle est le prototype et dont ils deviennent les
^'?'Si'"- « canons », les lois.
vf S-' -*- C'est ici qu'intervient l'induction. « L'acquisition des principes,
tes-
m
m
dit saint Thomas, débute par la sensation. » Et il répète le
fameux exemple d'Àristote, « comme dans une déroute, un fuyard
s'arrête, puis un autre, et bientôt le combat recommence (1) ».
m- Induire, c'est chercher dans quelques singuliers les attributs
m nécessaires du type commun.
?If Le résultat de cette opération -
sur laquelle insister
hors d'oeuvre- est une proposition abstraite, essentielle, univer-
serait
I
*
i
espèces A, B, C, etc. La première manière, ajoute-t-il, paraît Être
celle d'Aristote (1). La timidité de l'affirmation en excuse la
fausseté. C'est si peu l'opinion d'Aristote qu'il range parmi les
fautes de logique « l'attribution d'un prédicat à toutes les espèces,
sans passer par le genre primitif universel » (2).
Elle est proposition essentielle, car l'attribut ne convient pas au
sujet, à raison des êtres singuliers et subordonnés. Ces derniers
n'ont servi que de matière d'expérience, et Je but de celle-ci dépas-
sant ceux-là, a été la découverte des caractères propres de l'uni-
versel. Aussi, dans l'attribution, les singuliers ont disparu, incon-
nus et inutiles; le prédicat bourgeonne, pour ainsi dire, sur le su-
jet.
Elle est proposition universelle, car le sujet est un universel,
un abstrait, dont le prédicat est un caractère inaliénable. A
priori, le prédicat suivra donc le sujet dans la multitude où celui-
ci s'imprimera comme un sceau, et à laquelle le prédicat convient
ainsi d'avance par l'entremise du sujet abstrait, de même
comparaison est rigoureuse - - et la
que les lignes et les proportions
artistiques d'une statue grecque se retrouveront, immuablement
identiques, dans toutes les copies fidèles. Connaître l'original,
c'est les connaître toutes.
Elle est proposition causale, non sans doute qu'il existe
une relation de causalité de prédicat à sujet. Mais la majeure
mérite ce nom parce qu'elle est une proposition abstraite qui,
dans l'ordre de la connaissance, expressif de l'ordre des réa-
lités, exerce une influence de causalité sur les propositions
concrètes qu'elle domine. Savoir, dit Arislole, c'est connaître la
cause, et la démonstration, c'est le syllogisme qui fait savoir (3).
Mais ici intervient une importante distinction dont s'éclaire la
nature du syllogisme. Savoir, c'est connaître et la cause et la
causalité de cette cause. Deux conditions qui à un regard su-
perficiel pourraient; se confondre. Mais non. On peut connaître
une cause en elle-même, dans sa nature, dans sa vertu, et, en
elle on connaît d'une certaine manière générale et éloignée les
effets qu'elle peut produire. On peut connaître cette cause en
il
ut: S*Vj
Mm
III
Celte analyse de la majeure syllogistique nous permet de
répondre à Stuart Mill et de combler les desiderata laissés par la
Mm
'?# réponse de M. Rabier.
m
1
m
La majeure n'est point un total des cas observés et des cas
inférés; elle est une loi abstraite des cas observés et qui vaut
'T'f'» $'?
pour tous les cas observés ou non, car, loin de se prouver par les
lï'Viilr premiers, elle est Tunique preuve des uns et des autres. « Selon
Mill, on ne prouve pas que le prince Albert mourra en posant que
tous les hommes sont mortels, car ce serait dire deux fois la
même chose, mais en posant que Jean, Pierre et compagnie, bref,
tous les hommes dont nous avons entendu parler, sont morts. -
Je réponds que la vraie preuve n'est ni dans la mortalité de Jean,
Pierre et compagnie, ni dans la mortalité de tous les hommes,
, -, .
r mais ailleurs. On prouve un fait, dit Aristote, en montrant sa
cause. On prouvera donc la mortalité du prince Albert, en mon-
trant la cause qu'il fait qu'il mourra. Et pourquoi mourra-1-il,
sinon parce que le corps humain, étant un composé chimique
instable, doit se dissoudre au bout d'un temps; en d'autres termes,
parce que la mortalité est jointe à la qualité d'homme. Voilà la
cause et voilà la preuve. C'est cette loi abstraite, qui, présente
dans la nature, amènera Ja mort du prince, et qui, présente dans
mon esprit, me montre la mort du prince. C'est cette proposition
abstraite qui est probante ; ce n'est ni la proposition particulière,
ni la proposition générale.. Elle est si bien la preuve qu'elle
prouve les deux autres... Ici, une fois de plus, le rôle de l'abs-
traction a été oublié... Le syllogisme ne va pas du particulier au
particulier, comme dit Mill, ni du général au particulier, comme
disent les logiciens ordinaires, mais de l'abstrait au concret,
c'est-à-dire de la cause à l'clfct. C'est à ce titre qu'il fait partie
de la science... (1). »
L'inférence serait terminée à la majeure, proposition collective,
résumé et généralisation de l'expérience. Elle commence à la
majeure, proposition abstraite et causale.
On omet parfois la majeure. Dans le langage, sur le papier, peut-
être, dans l'esprit, jamais.Exprimée ou sous-entendue, elle est ton-
jours présente par sa nature de causalité. Aussi jamais Aristote
n'a-t-il défini l'enthymème : un syllogisme tronqué, un syllogisme
de deux propositions -
il y en a toujours trois pour l'esprit
mais bien : syllogisme formé de propositions seulement pro-
-
bables (2).
D'ailleurs sur quel principe baser cette inférence de quelques
cas observés à tous les cas ? Sur quoi repose la possibilité d'at-
tribuer à tous ce qui n'a été reconnu vrai que de quelques-uns?
Sur l'induction « qui semble le triomphe de la pure expérience.
Et c'est justement l'induction qui est le triomphe de l'abstraction.
J'ai l'air de considérer vingt cas différents, et dans le fond, je n'en
considère qu'un seul; j'ai l'air de procéder par addition, et, en
somme, je n'opère que par soustraction (3). »
- -
Cette loi abstraite, but de l'induction, mais preuve évidem-
ment perçue ou forcément supposée de tous les cas singuliers,
est formulée dans la majeure. Celle-ci est comme le lourd balan-
cier qui frappe à son effigie toutes les médailles présentées à son
choc.
Que Stuart Mill rejette et traite de «simple échappatoire» la
distinction d'explicite et implicite, proposée par Whately, entendue
en ce sens qu'admettre la majeure, c'est admettre en gros ce
qu'on admettra en détail dans la conclusion, celle-ci faisant bien
sentir et connaître à une personne toute la portée de ce qu'elle
a admis (4), soit! Mais cette distinction est susceptible d'une
meilleure interprétation. L'exposé de la théorie aristotélicienne
nous a déjà mis sur la voie. Le sujet de la majeure est un abstrait,
un universel; en lui est comme ramassée et réduite à l'unité la
multitude dont il est le type. L'attribution du prédicat tombe
(1) Taîne, Litt. angl,. t. V, p. 402, 403.
(2) Premiers Analyt., 1. II, c. 29.
(3) T.uîie, op. cit., p. 407.
(4) Stuart Mill, cp. cit., p. 206.
380 REVUE THOMISTE
M. Rabier qui, dans l'exemple : Tous les Athéniens sont Grecs, etc.,
a raison de tenir que le sujet de la conclusion est différent du
sujet de la majeure, et aussi que Socrate est ignoré comme Athé-
nien, alors que la majeure est connue, a torl de prendre ces
distinctions pour la preuve; elles ne sont que des conséquences.
La vraie et seule justification du syllogisme est la nature de la
majeure, telle que nous l'avons établie, dont la vérité subsiste
par elle-même, en dehors et au-dessus des singuliers, qui peuvent
être ignorés, ne pas exister, sans infirmer ni sa connaissance, ni
sa vérité.
« La conclusion, dit M. Rabier, qui n'est pas enfermée même
dans les prémisses, à plus forte raison n'est pas enfermée dans
la majeure... Les prémisses sont les raisons de la conclusion,
raisons nécessaires seulement, pas suffisantes. En d'autres termes,
supposez qu'un esprit pense les prémisses et dès lors demeure
inerte, il ignorera éternellement la conclusion. La conclusion est
un acte de synthèse mentale. Deux rapports sont présents à la
pensée; au moyen de ces deux rapports et à travers ces deux
rapports, en apercevoir un troisième, différent des deux premiers,
(1) Quinzaine, 1er févr. 1897, p. 412.
LE SYLLOGISME : STUART MILL ET M. RABIER 381
- -
phique nous y avons fait d'assez fréquentes et claires allusions
et à laquelle Arislote consacre la iin du chapitre premier du
Ier livre des Derniers Analytiques, et saint Thomas toute une leçon
de son commentaire. La conclusion, avant d'être énoncée, est-elle
préalablement connue, dès lors qu'on est en possession du principe?
« Avant l'induction et le syllogisme, la conclusion, qui en sera
le fruit, est déjà connue d'une certaine manière, mais, d'une autz*e
manière, ignorée. Celui qui ignore l'existence de ce triangle, com-
ment saurait-il que ses trois angles sont égaux à deux droits? Et
cependant il le sait d'une manière générale, mais non point par-
faite et déterminée. Refuser d'admettre cette distinction, c'est
s'engager dans l'impasse du Ménon : ne rien apprendre ou
apprendre ce qu'on sait déjà. En effet, une certaine solution pro-
posée n'est pas sérieuse. Ses fauteurs vous tentent : « Savez-vous
par avance que tout nombi'e binaire est pair? » Si vous l'affirmez,
ils vous montrent deux objets dont vous ignoriez l'existence; et
croyant votre opinion suffisamment éliminée, proposent la leur:
(1) Rabier, Psychologie, p. 332, 329.
(2) Rabier, Psych., p. 326.
382 REVUE THOMISTE
leurs très claires : ce qu'il appelle son temps c'est l'âge occidental,
l'opposant à l'antiquité grecque et latine. Il est donc constant que
dans le monde scolaire, dont Hugues est une des sommités, c'est-
à-dire dans les quarante premières années du xn° siècle, Jean Scot
était considéré comme un maître moderne, nostri temporis; les
gens un peu au courant ne se méprenaient pas sur la portée de
l'expression. L'auteur de la chronique anonyme est un contempo-
rain de Hugues, mais n'étant vraisemblablement pas versé person-
nellement dans la connaissance du mouvement nouveau qui se pro-
duit dans les écoles, et entendant nommer Jean le Sophiste comme
le chef, l'initiateur du mouvement philosophique, le voyant qualifier
d'auteur nostri temporis, le chroniqueur l'a rapproché matérielle-
ment des hommes qui, les premiers, ont remis en honneur la phi-
losophie à la fin du xi° siècle. L'auteur de Y Historia-Jrancica a
commis la bévue d'un homme parlant de choses qu'il ne connaît
pas assez, rien de plus.
La question chronologique soulevée par le texte si longtemps et
si diversement discuté depuis Du Boulay nous paraît donc à peu
près liquidée. Mais le texte de la chronique et celui de Hugues de
Saint-Victor nous fournissent encore divers renseignements qu'il
est bon d'utiliser.
A côté du nom de Jean Scot, Hugues de Saint-Victor place les
mots : de clecem categoriis in Deum, voulant indiquer, comme il le
faii pour les autres auteurs, son titre littéraire principal. On ne
connaît pas d'ouvrage de Jean Scot portant ce titre; mais il n'est
pas difficile de l'etrouver ce que Hugues a prétendu désigner. Il
s'agit de l'écrit qui résume sa célébrité et qui a troublé tout le
moyen âge, De divisions naturoe, Hep\ <Ï>Û(jsg>ç [-tepiq-ioo (i). C'est là en
effet, au livre premier (2), que Scot Erigène parle de la division des
choses en catégories établie par Aristote, et qu'il en fait succes-
sivement l'étude pour voir ce qu'elles permettent de dire en les
appliquant à la cause première, à Dieu ; c'est bien, comme le dit
Hugues, de decern categoriis in Deum. Mais laissons parler Scot lui-
même : Aristoteles acutissinius apud Grsecos, ut aiunt, naturalium,
rerum discretionis repertor, omnmm rerum qux p>ost Deum sunt, et ab
eo creatse, innumerabiles varietates in decern, universalibus generïbus
(i) Pair. Int. p. 122, 139.
(2) A partir de la fin du n» 15, col. 462.
concluait, quoe clecem categorias, id est prxdicamenta vocavit. Nihil
enim, ut ei visum, in multitudine creatarum rerum, variisque animo-
rum motibus inveniri potest, quod in aliquo prsedictorum generum
includi non possit (462-3). - Quemadmodum fere omnia quse de
natura conditarum rerumjoroprie prsedicantur, de Conditore rerumper
metaphoram, signiftcandi gratia, dicuntur : ita etiam categoriarum.
significationes, quse proprie in rébus conduis dignoscuntur, de Causa
omnium non absurde possunt proferri, non ut proprie significent quid
ipsa sit, sed ut translative, quid de ea, nobis quodammodo eam inqui-
rentibus probabilité?- cogitandwn est (463). - Quid dicendum est de
kis decem generibus prsedictis... Numquid credibile est, ut vere ac pro-
prie de divina atque ineffabili naturaprsedicentur ? C'esl toute la ques-
tion que se pose Scot Erigène et qu'il examine ensuite très au
long.
On pourrait se demander pourquoi Hugues de Saint-Victor a
désigné sous le titre en apparence étrange de De decem categoriis
in Deum, le De divisione naturoe. La raison en paraît simple.
Hugues veut indiquer le titre que possède Jean Scot à prendre
place permis les autours classiques qui ont écrit sur les arts libé-
raux. Or c'est précisément par cette partie que l'ouvrage entre
spécifiquement dans cette catégorie. L'indication de Hugues nous
fournit indirectement une preuve que Scot n'avait pas écrit ex pro-
fessa sur les arts, sans quoi Hugues eût vraisemblablement men-
tionné ses écrits. En tout cas, Hugues n'en avait pas connaissance.
Le texte de YHistoria francica a été l'objet d'une autre discus-
sion. Elle écrit en effet : In dialectica quoque Ai potentes extiterwnt
sophistoe Joannes : qui eamdem artem sophisticam vocalem esse disseruit.
Que pouvaient bien signifier ces paroles au point de vue des doc-
trines attribuées à Jean Scot? Là encore nous sommes dans le
domaine des confusions. Les mots eamdem artem sophisticam se
rapportent à dialectica, comme l'implique le mot eamdem, et en
sont l'équivalent. Les personnes qui traitent de l'histoire de la
philosophie scolastique devraient d'ailleurs savoir qu'au xnR siècle
on emploie comme mots équivalents les termes de Logique, Dia-
lectique et Sophistique, bien que se rapportant strictement à des
conceptions spécifiques diverses et à des traités particuliers de
YOrganon d'Aristote. La traduction littérale est donc que Jean a
enseigné que la cophistique ou la Dialectique n'est qu'une science
392 REVUE TUOMISTE
LA VIE SCIENTIFIQUE
Ces séances sont, chaque année, réparties en trois sessions ; deux d'entre
elles, en janvier et en octobre, n'occupent chacune qu'une seule journée;
la principale, fixée à la semaine qui suit le dimanche de Quasimodo, dure
trois jours.
Chargé, en avril dernier, de représenter, à la session principale de celle
année, une Société savante, soeur de la Société scientifique et son aînée
dans l'ordre chronologique, la Société bibliographique de Paris, nous
voudrions esquisser ici, en traits rapides, les travaux de celte session.
Elle a occupé les journées des mardi, mercredi et jeudi, 27,28 et 29 avril,
les matinées étant remplies par les travaux des sections, les après-midi
par les séances générales, Enfin, sur les trois soirées, la première a été
occupée par une conférence avec projections, dont il sera parlé plus loin,
la seconde par le banquet qui, chaque année, à pareille époque, réunit,
dans de fraternelles agapes, les membres de la Société présents.
ASSEMBLÉES GlÏNÉllALIÏS
est bon pour se développer. Les animaux domestiques, les rats, les souris,
les mouches elles-mêmes sont aisément atteints j>ar le fléau et en devien-
nent aussitôt agents de transmission. Nul être humain n'en est à l'abri, et
les seuls chez qui l'on puisse constater une immunité relalive sont les pes-
tiférés guéris, lesquels forment malheureusement une très faible minorité
parmi les personnes atteintes, car la mortalité de la peste, rarement infé-
rieure à 80 p. cent ! monte parfois à 95 p. cenl!
Cette maladie revêt du reste des formes variables, pouvant être pneumo-
nique, hémorragique, typhoïdique, maligne (c'est-à-dire foudroyante), ou
bien encore relativement bénigne mais d'une durée plus grande. Les
lésions les plus apparentes - -
non les seules produites par la maladie,
sont des gonflements ganglionnaires ou bubons, et des sortes d'anthrax
charbonneux.
Il n'y a pas, jusqu'ici, de traitement médical capable de guérir de la
jjcsle, sauf, peut-être celui du Dr Yersin dont il sera dit un mot plus bas ;
on n'a guère contre elle que des traitements préventifs, consistant soit à
l'empêcher de pénétrer en Europe au moyen d'une police internationale
qui s'exerce sur les navires partant des ports infectés ou arrivant dans les
nôtres, soit à la circonscrire si elle est parvenue dans nos contrées et à
l'empêcher de s'étendre, soit enfin à inoculer aux personnes saines un
sérum anlipcstilcntiel.
D'une manière générale, une bonne hygiène tant publique que privée,
est la meilleure garantie.
Haffkinc cl Yersin sont entrés dans cette voie. Le premier vaccine ses
sujets avec des cultures du bacille pestilentiel chauffées pendant une heure
à 70 degrés, de manière à tuer les germes sans enlever au liquide sa pro-
priété antimorbide ; sur 2,000 personnes ainsi vaccinées par lui, quatre
seulement auraient été atteintes par le fléau.
Le Dr Yersin suit une autre voie. En immunisant des chevaux par
iujection de cultures du bacille de la peste, il obtient un sérum qui a, sur
les rongeurs, un effet préventif et curatif. Sur 26 pestiférés soignés par lui
à l'aide de ce sérum, il en a guéri 24. Il continue ses essais au centre
même de l'épidémie actuelle, à Bombay. On verra par la suite si ces pre
miers succès seront confirmés. Mais le Dr Lamelle estime que, dans tous
les cas, c'est dans cette voie qu'il faut chercher le remède à la peste, voie
où l'on trouvera peut-être encore le remède à toutes les maladies tropi-
cales.
II
(1) Nouvelle lecture, et la seule admise aujourd'hui, du nom propre qu'on avait
d'abord formulé Izdubar.
BEVUE THOMISTE. 5e ANNÉE. 27.
402 REVUE THOMISTE
séder un empire africain s'étendant sans lacune des bouches du Nil au Cap
semble n'être pas irréalisable.
Quant aux Etats constitués et autonomes, en dehors des peuplades indi-
gènes sans gouvernement bien défini.il n'y a guère à citer que le Maroc au
Nord-Ouest, la république de Libéria à l'Ouest, au Sud l'État libre
d'Orange et le Transvaal, et enfin à l'Est l'empire Ethiopien.
M. le capitaine Van Ortroy conclut que, la région Nord-Est exceptée,
le partage politique du Continent noir est presque achevé, et que, bientôt,
il ne restera plus qu'à faire succéder, à la conquête matérielle, la conquête
méthodique du sol et de ses habitants.
Fort bien. Mais cette seconde conquête ne sera-t-elle pas incompara-
blement plus longue et plus difficile que l'autre ?
A la séance du 28 avril, le R. P. Bolsius, professeur au collège d'Ou-
denbosch en Hollande et particulièrement versé dans l'anatomie et l'histo-
logie zoologiques, a présenté, avec mémoire à l'appui, un petit mécanisme
de son invention destiné à apporter un grand perfectionnement à l'usage
du microscope. C'est une espèce de chariot pouvant s'adapter à tout
exemplaire de cet instrument et permettant à l'observateur de parcourir
le porte-objet d'un bout à l'autre. Il l'appelle chariot universel. Le R. P.
Hahn, naturaliste belge éminemment compétent en pareille matière, est
chargé par la section d'examiner le mémoire de son confrère hollan-
dais.
Puis, un autre naturaliste, M. Proost, directeur général au ministère
de l'agriculture de Belgique, qui a eu occasion de se livrer à des analyses
optiques du sang, expose que soit chez des enfants, soit chez des adultes
présentant les caractères du tempérament lymphatique, la proportion des
globules rouges du sang est inférienre à la proportion normale, et qu'il a
pu constater sur les mêmes sujets, par l'analyse optique, qu'après un
séjour suffisamment prolongé au grand air de la campagne avec un exer-
cice approprié, la proportion des globules rouges était notablement
augmentée. D'où il conclut qu'il doit être facile, au moyen d'une hygiène
rationnelle, de rétablir le rapport normal entre les globules rouges, élé-
ment respiratoire du sang, et les leucocytes ou globules blancs, la vitalité
des personnes diminuant avec le ralentissement de la combustion orga-
nique.
Messieurs Briart, l'un membre de l'Académie royale de Belgique, l'autre
ingénieur, avec son confrère M. Maury, aux charbonnages de Bascoup, à
Chapelle-lez-Herlaimont. ont découvert un nouveau banc houiller à troncs
debout ; cette découverte, venant à la suite de plusieurs autres du même
genre, est d'un grand intérêt dans la discussion entre les partisans de la
houillification sur place et ceux de la houillification par transport. Le
406 REVUE THOMISTE
Pour une l'aison analogue ;ï relie qui nous a obligé à passer très rapi-
dement sur les travaux de la première section, nous serons non moins
bref sur ceux de la quatrième : ils sont tous consacrés à des questions
médicales exclusivement techniques, On y discute sur le cas d'un malade
atteint de paralysie faciale double à la suite d'un tamponnement de la
tête entre deux wagons de chemin de fer; MM. Glorieux et le Dr De Buck
croient à une nécrose traumatique, M. Guylits y voit une lésion anato-
mique pouvant impliquer des conséquences graves. Suit une discussion
beaucoup plus étendue, exjiosée par M, le Dr De Buck, sur un cas
d'héinatomyélie spontanée chez un homme atteint de dégénérescence
athéromasique profonde de toutes les artères, et qui, à la suite d'un effort
violent, s'était fait un mal intense dans la région dorso-lombaire, princi-
palement à gauche de la colonne vertébrale. La discussion d'un tel cas est
exclusivement du ressort des hommes de l'art, qui pourront du reste la
lire in extenso dans le prochain volume des Annales.
DISCUSSION
LETTRE DE M. J. SEGOND
au R. P. directeur de la Revue Thomiste
Mont-de-Marsan, 30 mai 1897.
Mon Révérend Père,
La Revue Thomiste de mai présente quelques observations sur un article
que j'ai publié dans les Annales de philosophie chrétienne d'avril sous ce
titre : Essai sur Videntité. La lecture de ce compte rendu très critique m'a
convaincu d'une chose : c'est qu'il y a malentendu entre mon contradicteur
et moi. Il faut croire que ce malentendu m'est imputable; c'est de ma faute
si je n'ai pas été compris. Je m'adresse donc à votre courtoisie pour pré-
senter aux lecteurs de votre Revueles explications nécessaires.
Cette thèse est fort mal posée par mon contradicteur. « La logique,
dit-il, ruine le principe d'identité. » Encore faudrait-il indiquer, ce qui est
la fin de ma démonstration, qu'elle le ruine en le prenant pour un principe
analytique, alors qu'il est synthétique par nature. Quels sont les argu-
ments que l'on oppose à cette démonstration ?
J'ai dit, en premier lieu, que le sujet A n'est pas identique à lui-même,
en second lieu que cette identité n'existe pas non plus que le prédicat A.
On résume ainsi ces deux preuves : « A est dédoublé dans le principe
A = A. Qui dit dédoublement dit rupture de l'identité. » Je défie qui-
conque n'aura pas lu mon article de retrouver dans ce compte rendu
l'argumentation que je viens de résumer. Or, pour une question si déli-
cate, il me semble indispensable d'être intelligible. On me répond :
« Rupture matérielle des termes, je le concède : rupture formelle du con-
cept, je le nie. » J'ignorais, je l'avoue, que l'on pût séparer ainsi les
termes des concepts. Et c'est bien le dédoublement du concept que j'ai pré-
tendu prouver. Je ne me suis pas borné, en effet, comme mon contradic-
teur, à concéder ou à nier sans preuves.
De même, lorsque je montre que A prédicat est opposé à A sujet, on me
répond: « Opposition formelle, je le concède; opposition logique, je le
nie ». Ici encore je demanderai qu'on me démontre que cette opposition
n'est pas logique (1). Oui ou non,pen.se-t-on ta même chose quand on pose le
(1) M. Segond prend ici à contresens les termesJde notre distinction. (Cf. Rev. th.
p. 272, no 2). N. A. Q.
.410 REVUE THOMISTE
la façon la plus inexacte. J'avais cru, avec Berkeley, que l'existence était
une notion de la pensée, et qu'affirmer l'existence là où l'on supprime la
pensée, c'est à la fois poser la pensée et s'imaginer qu'on la supprime.
On me répond « qu'il est facile de voir que le concept de connaissance
n'entraîne pas celui d'existence, mais d'existence perçue ». Je vois dans
cette réponse une ignorantia elenchi manifeste. Ai-je dit que le concept
de connaissance entraîne celui d'existence? Et j'attends encore que l'on
m'explique ce que peut être une existence nonperçue : « Tout ce qui existe est
intelligible actuellement et par nous, je le nie ; en puissance par nous,
ou actuellement par une pensée parfaite, je le concède». Faire dire aux
gens ce qu'ils n'ont pas dit, c'est le plus sûr moyen de les trouver en
faute. Où a-t-on vu que j'aie affirmé l'intelligibilité actuelle et par nous de tous
les phénomènes? J'ai dit seulement : Tout ce qui existe ri'existe donc que
dans la pensée. Cette pensée est-elle une pensée jwfaite? Ceci n'importe
guère pour l'instant ; il suffit que ce ne soit nécessairement ni la vôtre, ni
la mienne.
Par une nouvelle suppression des intermédiaires, aussi peu justifiable
que les précédentes, mon contradicteur passe à la solution que je donne
du problème : L'identité est créée par l'amour. Ici encore même confusion
entre la pensée et notre pensée. J'ai cru que l'identité s'expliquait par
l'attrait exercé par la pensée première sur les pensées dérivées, attrait qui
explique en même temps l'existence de ces pensées. On traduit cette thèse
de la sorte : « C'est l'amour de Dieu agissant sur nos esprits qui produit
l'identité. » Nouvelle ignorantia elencM. Où a-t-on vu que je parlais de nos
esprits? Il me serait difficile de le faire et de professer en même temps le
phénoménisme, comme je le fais à plusieurs reprises dans mon étude. Et si
toute identité est l'oeuvre de l'attrait divin, comment pourrais-je poser jwant
cet attrait, l'identité des éléments de ce prétendu esprit? Il ne faudrait
pas
prêter à ceux que l'on réfute des absurdités gratuites. Je dis : que Von
réfute, bien qu'à vrai dire j'attende encore la réfutation. On
se borne à me
dire que ma thèse est une contrefaçon idéaliste de la doctrine réaliste de
l'émanation des choses. Apparemment prononcer le mot : Idéalisme, cela
suffit pour réfuter une doctrine ! Descartes et Kanl ne m'ont point habitué
à des procédés aussi sommaires. Ajouterai-je qu'il n'y
a pas trace d'éma-
nation dans ma thèse? Ici encore, de quel coté est le paralogisme?
On m'exhorte, en terminant, à laisser la Trinité aux théologiens. Que
ne donnait-on ce conseil à Leibnitz ! J'ignore si mon contradicteur est
théologien; mais il est certainement distrait dans
ses lectures. On me fait
dire que « le Verbe est premièrement ce' qui est aimé
». Or j'ai dit qu'il
était ce qui aime. Commencez par établir que la pensée diffère de l'amour
en son fond, et l'on pourra m'opposer alors cette définition. Le Verbe est ce
412 REVUE THOMISTE
REPONSE DU R. P. GARDEIL
Et, dire qu'une existence pour être doit être perçue, que le concept
d'existence entraîne celui de connaissance, que l'existence est une notion
de pensée, comme je l'ai dite, insinué, - équivaut à prétendre comme le
dit M. Segond que tout ce qui existe est intelligible actuellement.
- Ce
n'est pas nous qui avons cette connaissance toujours actuelle, ai-je dit.
Cette réserve ne préjugeait en rien l'opinion de M. Segond. Elle indi-
quait seulement la [mienne.
Et je suis heureux de donner ce témoignage à M. Segond qu'il la par-
lage et ne prétend pas à l'intelligibilité par nous, de toute existence. Mais
quelle est cette pensée en général, qui n'estpas nôtre, dans laquelle existe
tout ce qui existe ? D'où vient que les idéalistes en parlent comme d'une
raison impersonnelle et que, cependant, quand ils veulent l'étudier, c'est
en eux-mêmes, dans les formes de leur propre pensée qu'ils la rencontrent?
416 BEVUE THOMISTE
penser que le terme, ce qui aime répondait au Père, el le terme, ce qui est
aimé au Verbe. D'où il suivait que l'Amour étant intermédiaire entre ce
qui aime et ce qui est aimé, dans la Trinité de M. Segond, le Verbe (ce qui
est aimé) procédait du Saint-Esprit.
M. Segond me demande de prouver que l'amour diffère de la 2>ensée en
son fond. Ce n'est pas à moi de le prouver. La Sainte Écriture, les Con-
ciles, les Saints Pères, les théologiens el le plus grand d'entre eux, saint
Thomas, ont tous admis que le Verbe procédait du Père par voie de géné-
ration purement intellectuelle, et que l'amour suivait la conception et l'ex-
pression du Verbe. Cela suffit pour une question tbéologique.Les dogmes
sont faits, el ce ne sont pas « nos preuves » qui les referont.
M. Segond, en finissant, déclare ignorer que le rapport qui unit deux
termes les engendre. Je nie fais un plaisir de lui apprendre qu'il en est
ainsi dans la théologie des relations de la Sainte Trinité.
En voilà assez, je pense, mon très révérend Père, sur une question
aussi abstruse. Je crois avoir élucidé toutes les difficultés soulevées
par M. Segond au sujet de mon compte rendu. Je ne m'engage
pas à répondre aussi prolixcmenl à tous les auteurs qui se trouveront
visés : il est bien difficile de dire ce qu'on croit être la vérité sans atteindre
l'homme, j'allais dire lepère. Si M. Segond, au lieu de réclamer l'insertion
de sa lettre, avait bien voulu me demander directement des éclaircisse-
ments, je me serais fait un devoir de les lui donner, sans avoir recours à
la Revue. Une lettre ouverte manque souvent le but que l'on se propose,
lequel, dans l'espèce, serait certainement, en ce qui me regarde, moins de
f
réfuter, ce que espère avoir fait, que de convertir.
A. G.
I. -
PHYSIQUE.
-
Delboeuf : Notes sur la Mécanique. Article posthume. Dans l'in-
troduction, l'illustre auteur avoue n'avoir jamais vu clair dans les éléments
annotions fondamentales de la Mécanique. Aussi il qualifie son travail
d' « excursions d'un ignorant aux abords delà Mécanique »,el il constate
avec joie que des spécialistes, des professeurs de Mécanique se trouvent
dans le même état d'esprit. Il attribue l'obscurité qui enveloppe les notions
de k force, de travail, d'énergie, etc. » à l'ordre défectueux dans lequel
sont présentées « les catégories fondamentales
**e les présenter dans l'ordre naturel.
». -
L'auteur se propose
i -
signification de termes aussi usuels que celui de « science », ni surtout d'exa-
gérer encore le culte du chiffre, pour la plus grande gloire de Pythagore.
3° L'auteur parle de substitution et de compensation entre les différents fac-
teurs dont le produit mesure l'énergie et le travail. Il trouve notamment que
le temps est assimilable à une source d'énergie. »-Ceci rappelle immédiatement
«
-
la solution inadmissible à notre avis (1) - qu'a donnée Delboeuf de l'argu-
-
Cfr. Rev. Thomiste, mai 1897.
(1) - La conservation de l'énergie et la liberté morale.
i
É
Je saisis cette occasion pour faire remarquer que dans cet article (pp. 163 et 164) il
m'est arrivé -je ne sais par quelle distraction - de supposer à la terre une orbite
circulaire, seule hypothèse dans laquelle le travail du soleil sur notre globe serait nul.
?\\ ?
le doute cartésien, fictif dans la pensée de son auteur, est réel jiarce qu'il
est universel.
I. Dans la jjensée de Descaries, son doute n'est pas réel. (Preuve par
les internions, les aveux du philosophe; par le caractère de ce doute : il
n'est ni négatif comme celui de Jouffroy, ni positif comme celui de Sexlus
Empiricus ; c'est un étal de vide imaginé, bien différent d'un état de vide
constaté).
II. Différence d'un doute réel et d'un doute méthodique. (Celui qui
doute réellement juge que ce dont il doute est douteux. Celui qui doute
méthodiquement se comporte à l'égard d'une proposition donnée, comme
si elle était douteuse. - Cette distinction, moins claire en réalité qu'en
apparence, demande exj3licalion. Première explication possible. De même
qu'il y a distinction entre ce qui est et ce qui pourrait être et les jugements
correspondants, il y a distinction entre le doute réel et le doute métho-
dique : celui-ci est placé sous la dépendance de la volonté ; l'autre s'impose
à la volonté. Mgr Mercier n'admet pas celte explication, la volonté étant
extrinsèque à l'intelligence. Deuxième explication possible. Dans le doute
réel, l'étal intellectuel est simple : absence d'adhésion déterminée.Dans le
doute méthodique, l'état intellectuel est complexe, l'adhésion est appuyée
sur un premier motif, autorité, foi, etc., le doute est appuyé sur l'absence
d'un deuxième motif, évidence, raisonnement, etc., qu'on cherche à établir.
Au fond il y a toujours certitude, puisqu'il reste toujours un metif d'adhé-
sion.)
III. Le doute cartésien est universel. (De concession en concession au
doute, il ne reste plus que le doute lui-même.) Donc il est réel. (Le doute
méthodique, pour demeurer tel, dans la seconde exjDlicalion, doit toujours
laisser un motif à la certitude ; du moment qu'il est universel, aucun motif
ne subsiste, et le doute méthodique dégénère falalemenl en doute réel.)
Les conclusions suivent aux principes avec ordonnance et clarté parfaite.
Mais Vèminent auteur nous permettra deux observations. 1°) Que la volonté soit
extrinsèque à Vintelligence en ce sens qu'elle soit incapahle d'empêcher l'adhé-
sion de l'intelligence à un objet évident, rien déplus vrai. Mais ne pourrait-elle
pas intervenir pour donner lieu « ce que j'appellerais un doute intellectuel
pratique .- on est certain, mais on agit intellectuellement comme si l'on dou-
tait. Etat d'espritfort commun et que traduit la locution : si, par impossible ;
par exemple, passant outre volontairement à une raison certaine, on en cherche
volontairement une autre ; délaissant volontairement un moyen certain, on se
demande volontairement s'il en existe un autre. Et n'est-ce pas la position très
simple où s'est placé Descartes, si simple qu'elle tient dans quelques lignes du
Discours : « Je résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais
entrées dans l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes
422 REYUE THOMISTE
songes. Mais aussitôt après je pris garde que pendant que je voulais ainsi
penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais
fusse quelque chose, et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis,
était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions
des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler... » Descartes agit volon-
tairement, lui qui se défend d'être sceptique, comme un sceptique. Il se dit : si,
par impossible, tout était douteux,... reste mon doute dont je ne puis douter;
et sur ce point de roc, inexpugnable au scepticisme le plus subversif, ilfonde une
philosophie, en dépit du scepticisme lui-même.
2°) Comment le doute méthodique, défini 'par un état complexe d'intelligence
qui suppose à la même connaissance en question deux criteria ?- la présence
de l'un fondant la certitude, l'absence de Vautrefondant le doute méthodique -
est-ilpossible dans le cas de Descartes qui se place devant ses connaissances et
les envisage successivement à la lumière d'un seul critérium ?
TJ71 dernier coup de pic dans un filon riche et neuf aurait découvert quelques
nouvelles pépites.
[Revue néo-scolastique, mai 1897.)
J.-D.-F.
Lechalas : Matière et mémoire d'après le livre de M. Berg-
son. -
Delhos : Matière et mémoire par M. Bergson. (1).
L'ouvrage de M. Bergson commence à défrayer la critique pour le plus
-
grand avantage de l'auteur et du lecteur. Ainsi, on ne saurait plus douter
de l'intention qu'a l'auteur d'être réaliste. M. Delbos le constate
(pp. 355-356). M. Lechalas fait mieux : il a interviewé M. Bergson lui-
même sur la signification du mot image qui revient d'un bout à l'autre du
1 livre, et il a obtenu celte réponse : « les images telles que je les entends
sont véritablement des choses, c'est-à-dire des réalités indépendantes de
m toute connaissance. »
Au point de vue de la doctrine elle-même, cette déclaration nous laisse
assez froids. Nous regardons moins à la conclusion qu'aux motifs sur les-
quels elle s'appuie. Les matérialistes sont plus réalistes que M. Bergson
et leur réalisme n'a rien qui nous tente. Un réaliste de plus en philoso-
phie ne nous étonne point. Mais, ce qui donne quelque importance à la
position prise par M. Bergson c'est la sorte de conversion qu'elle mani-
feste. Rien n'autorisait à penser que M. Bergson ne fût pas idéaliste. S'il
avait appliqué aux données immédiates de la conscience sa méthode d'épura-
tion, l'on pouvait croire (ce travail s'opérant sur des données intérieures)
qu'il acceptait la donnée commune de l'immanence. Aujourd'hui, il
applique la même méthode à la perception, et le premier résultat qu'il
1
Reid, avec la théorie scolastique ci-dessus exjjosée. Celle-ci
de la confusion - - par suite
est devenue justiciable de la vindicte 2~>hilosoj>hique...
la plus légitime !!
m-
f- L'auteur semble admettre une espèce expresse dans la perception sensible :
« Secundus autem hic processus [reactionis ad actionem objecti sensibilis)
vocatur species expressa; unde fit, ut duabus appcllalionibus speciei
impressoe et expressa? duo aspectus unius et ejusdem phoenomeni melius
designentur. »
Cette donnée est an moins discutable. (Cf. Jean de saint Thomas PMI. Nat.
III. P. Q. VI gui discute la question et expose Vopinion de saint Thomas
absolument rèfractaire à toute espèce expresse dans l'acte de perception sensible.)
Léger nuage dans uneparfaite clarté^ léger oubli dans une abondante et sûre
information.
(Divus TJwmas. vol. vi. fasc. 1 et 2).
.f.-D.-F.
LA VIE SCIENTIFIQUE 425
III
QUESTIONS SOCIALES ET RELIGIEUSES
11. P. Soiîtais : Les fonctions de l'État dans la Société civile.
lettre susdite d'une plume un peu aiguisée parfois, mais avec le souci
constant et couronné de succès de rendre la pensée du texte. Mentionnons
une biographie du Père Barberis par le chanoine Glossner, une étude sur
le Probabilisme du Professeur Jansen rédemptoriste, enfin une mono-
graphie sur les enfants dans les prisons, du Père Zastiéra O. P.
A. G.
L'Ami du clergé : F. Pkriuot, directeur.-- C'est vraiment l'Ami du
clergé que cette excellente revue. Le prêtre y trouve sous une forme sou-
vent attrayante, jamais banale tous les renseignements dont il a besoin.
Dogme, morale, liturgie, droit canon, écriture sainte, patrologie, histoire
sacrée- législation civile ecclésiastique-pastorale, prédication, caté-
chisme, tout est tenu au courant, apprécié avec compétence, esprit pra-
tique et sens théologique. Nous signalerons les Revues mensuelles des
Livres et des Revues où les questions actuelles sont traitées d'une plume
alerte, par un critique bien informé autant que judicieux théologien.
LA VIE SCIENTIFIQUE 431
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
giques sont les lois qui règlent les colonies animales (p. 30), etc., etc.
D'un amasdiffus de notions entremêlées nous voyons sortir tout à coup
cette trouvaille : « En somme, on aboutit de toutes parts à concevoir le
monde entier sous la catégorie de société. Restera à élucider le grand pro-
blème qui est celui de l'individuation dans son rapport avec la socialisa-
tion » (p. 320).
M. Fouillée aime à instruire en amusant. Dans son précédent ouvrage,
en voyait l'inconnaissable surgir tout à coup du fond de l'immanence et
s'écrier : « Me voilà, à tous présents et avenir salut! » (p. 16G). Et c'était
une manière de le ridiculiser. La Catégorie de société émerge ici d'une
manière tout.aussi désidante. C'est un échantillon de ce que M. Brunetière
appelait l'autre jour « de petites drôleries ». En somme, la science nou-
velle «dont M. Fouillée prophétise l'avenir n'est pas près d'être tirée au
clair.
3e crains, à vrai dire, qu'elle ne le soit jamais. Car enfin la comparaison
de l'ensemble des êtres avec les touts sociaux, pour réelle qu'elle soit,
n'«st qu'analogique. Admettons qu'une certaine appétition soit à la base et
un certain objet de celte appétition au sommet, il restera toujours que le
monde n'est pas une colonie animale, ni la loi d'attraction une loi sociolo-
gique. Et dès lors, pourquoi nous cantonner dans la sociologie, pourquoi
expliquer le général par un cas particulier ? Disons finalité et appliquons
cette notion générale proportionnellement aux touts physiques et aux
touts sociaux. C'est mettre les esprits sur une piste étroite sinon absolu-
ment fansse que de ramener la cosmologie à la sociologie. La vérité est
que toutes deux reposent sur des appétitions, là naturelles, ici volontaires,
et que toutes deux sont commandées par l'Idée qui est la raison de leur
ordre, par le but qui assure leur unité. Le primat de la sociologie est une
chimère. Le véritable primai c'est le primat de la Cause finale.
Fr. A. Gahdeil.
Ludovicus Coutdhat. - Deplaionicis mytfiis. Alcan, 1896.
Quel est le rôle du Mythe dans la doctrine platonicienne ? Un dogma-
tisme intransigeant, un dilettantisme littéraire manqueraient également le
point. Le premier prendrait tout au sérieux, le second serait enclin à ne
voir dans le mythe qu'un artifice de rhétoricien. La vérité est entre les
deux. Telle -est la thèse de M. Couturat.
Nous trouvons dans YIntrodmtion la définition du Mythe. On entend par
là une histoire pour les enfants, une légende ancienne, d'un caractère poé-
tique et religieux. Un mythe se raconte : il ne se prouve pas. C'est l'op-
posé d'une thèse dogmatique.
La première section du présent ouvrage passe en revue avec un appa-
IA VIE SCIENTIFIQUE 435
reil scientifique considérable, les divers mythes platoniciens. Les uns, les
plus importants, occupent des dialogues entiers. Tels les mythes de
l'amour dans Phèdre et le Banquet, les mythes infernaux dans Gorgias,
Phédon, la République, les mythes de la nature et sociaux dans Protagoras,
la Politique, Gritias, le Timèe, les Lois. D'autres mythes sont répandus
au hasard des Dialogues.
M. Couturat distingue avec finesse les parties mythiques des Dialogues
de celles qui ne le sont pas. Le chapitre cinquième sera lu avec un profit
particulier. Il résume et recense les différents mythes : il met en présence
et compare leurs caractères principaux.
La seconde section est consacrée à l'interprétation des mythes. Ques-
tion brûlante et dont l'intérêt n'est pas purement historique. Témoins ces
en-tête des chapitres : Doctrina de Deis mythim est; mundifabrica mytkka
esti reminiscentia mythica est; immortalitas animai mythica est; vila futura
mythica est. Qu'est-ce à dire et les thèses des platoniciens contemporains
seraient-ils ainsi controuvés dès leur origine ? M. Couturat nous répond
dans ce chapitre : Quanta fides, secundum Platonem ipsum, mythis habenda
sit ?- En voici le résumé :
Respect- -
en paroles très profond de Platon pour l'autorité des
prêtres, sages, poètes auxquels les mythes sont empruntés. Mais ils ont
parlé métaphoriquement : Platon n'en doute pas, car sans cesse il les plie
à ses idées. C'est donc qu'il faut lire dans le sérieux avec lequel il les
cite une intention ironique. « Plus grande même est la gravité de l'auteur
plus le sens mythique doit être accusé ».- Cependant le mythe n'est pas
absolument faux : il contient une part de vérité. Dans quelle mesure ?
M. Couturat cherche à le préciser. Les dieux, par exemple, semblent bien
n'être que des Types de la nature humaine (p. 73); - la production du
monde est conçue comme un travail humain avec ses trois éléments : un
plan, un ouvrier, une oeuvre. L'âme est l'ouvrier. Elle permet aux idées
-
d'actionner la matière ; le mythe de la réminiscence serait l'expression
de ce fait que nous ne recevons les idées ni de l'expérience ni de l'ensei-
gnement (p. 89) ; l'immortalité de l'àme est présentée dans le Phédon
comme une opinion louable, qu'il faut admettre « comme on s'engage sur
un radeau à ses risques et périls ».
interprétation ;- - Phèdre et les Lois confirment cette
enfin, la vie future, fond commun de tous les mythes se-
lon Zeller, n'est pas plus dogmatique que ie reste. Tout a une saveur my-
thique d'un bout à l'autre de l'oeuvre de Platon.
M. Couturat justifie par cette thèse l'impression que l'on ressent à la
lecture de Platon. Ce charmeur sait éveiller le feu de la curiosité dogma-
tique : et voilà que semblable à une pluie froide et fine, l'ironie fait
son
H'1' ?.?'?
i oeuvre : sans cesse alléchés, nous sommes au fur el à mesure déçus. Nous
1
croyions à un prophète et nous ne trouvons qu'un charmeur.
Il a fallu le sérieux d'Arislote pour transformer en thèses les ironiques
envoyées de Platon. Celui-ci a agité les problèmes ; il a multiplié les
points d'interrogation autour de l'esprit de son puissant disciple. C'est
par là qu'il demeure son maître. Lui-même semble n'avoir été qu'un
sublime dilettante. C'esl l'impression que laisse la lecture de M. Coutural.
Qui sait cependant si son athénien sourire ne cacha jamais celte honte
des larmes, qu'éveille dans les âmes assez mélancoliques pour sentir, trop
affinées pour avouer, la conscience des tragiques problèmes qu'elles se
sentent impuissantes à résoudre. Tous ne sont pas des Pascal, et Platon
fut peut-être l'ancêtre de sir Arthur Balfour !
Donc, nomenclature aussi complète que possible des chances d'erreurs qui
limite laporlée des inductions.
2° Le défaut de cet ouvrage, et il est grave, c'est une psychologie défec-
tueuse. El pourtant c'est de toute nécessité pour un graphologue. Car ce
qu'on reproche le plus souvent au faiseur de portraits, c'est le vague des
termes. Qu'est-ce que cette sensibilité, celte activité, « ce mode d'action ni
anguleux, ni très doux » ? Il a des définitions qui sont d'un matérialisme
grossier, celle de la morale par exemple (p. 191).
B.
plaisir qu'on lit les premières pages de notre manuel dans lequel tout se
déroule et s'enchaîne avec ordre.
La première partie est intitulée « Du concept » et non pas « De l'ap-
préhension ou de la première opération de l'intelligence » comme les
autres ouvrages de Logique, parce que le logicien s'occupe surtout du
concept qui est le résultat de l'appréhension. « La première forme de la
pensée, dit notre auteur, qui est l'objet de la recherche logique, s'appelle
« concept ». Or, continue-t-il, pour connaître la nature du concept il
faut avant tout savoir ce qu'on entend par signe en Logique, car le con-
cept n'est pas autre chose que le signe logique par lequel s'exprime l'idée
de l'objet qui se trouve dans notre intelligence. Pour cette raison il nous
explique en premier lieu la nature et les différentes espèces de signes.
Seulement ensuite il nous parle du concept : de sa formation et de son
objet, du concept comme image et comme signe ; de sa compréhension et
de son extension, du concept objectif et formel. Et ainsi il achève la ques-
tion « quid sit? »
La question « quoluplex sit? » est divisée à son tour en quatre
paragraphes :
1° Objet du concept : a) par rapport à sa compréhension, il est concret
ou abstrait, simple ou composé; [1) par rapport à son extension, il est sin-
gulier ou universel. L'universel est collectif ou distributif; le dislributif est
univoque ou analogue.
2° Perfection du concept : de ce côté nous trouvons le concept adéquat
ou inadéquat, clair ou obscur, distinct ou confus, complet ou incomplet.
3° Relation du concept : ici nous avons le concept identique ou non
identique, associé ou non associé, compatible ou incompatible.
A" Origine du concept. Et à cet égard il y a celui qui s'obtient par
intuition ou par abstraction, le concept direct ou réfléchi, ultime ou non
ultime.
Au chapitre troisième de la première partie, l'auteur passe au signe par
lequel nous pouvons manifester à nos semblables le concept interne, signe
qui n'est autre que la parole, ou, si l'on veut, le terme parlé. Et dans un
premier paragraphe il signale la différence qui existe entre la parole et le
son et dans un deuxième il donne la division du terme parlé.
Le terme parlé ou le mot se divise :
1° Par rapport à son contenu en univoque, équivoque ou analogue;
2° Par rapport à la désignation en catégorématique ou syncatégoréma-
tique. Le mot catégorématique est complexe ou incomplexe.
3° Par rapport au mode de la désignation en commun, singulier, col-
lectif, transcendental, non transcendental, abstrait, concret, absolu,
440 REVUE THOMISTE
?
C'est avec plaisir que nous en saluons l'apparition, et que nous le
signalons aux lecteurs de la Revue Thomiste.
Il est, dans la pensée de son auteur, appelé à combler un vide : car il
.#
n'existait pas jusqu'à présent, nous dit-il, pour l'Ontologie d'Aristole, de
compendium de ce genre en langue allemande.
La préoccupation évidente de l'auteur est de faire un travail qui soit à la
fois un manuel et une source où la pensée du maître soit reproduite, con-
densée, mais exposée en faisant la part des notions complémentaires intro-
duites par saint Thomas cl les scolastiques de son école.
Le grand souci du Dr Kaufmann est donc d'être concis, clair, fidèle ;
laisser parler le maître, exprimer sa pensée sans la commenter ni l'am-
plifier, être simjslemenl son porte-voix, son interprète en langue alle-
mande.
La doctrine qui y est reproduite n'occupe pas plus de cent cinquante
pages, et cependant toutes les notions qui appartiennent à la substance de
la métaphysique aristotélicienne y sont analysées avec clarté.
Le traité se divise en trois parties.
(1) Ehmente der arislotelischen Ontologie, etc. tyâber und Cie. Luzern.
LA VIE SCIENTIFIQUE 441
OBSERVATION
INFORMATIONS
LA VIE SCIENTIFIQUE
sera d'autant plus, sans cloute, que beaucoup cle savants catholiques seront
heureux d'avoir ainsi l'occasion de visiter le tombeau du Bienheureux
Pierre Canisius, dont Fribourg célébrera cette année, par de grandes
fêtes, le troisième centenaire.
II. - Un homme n'assistera point à notre Congrès, dont la présence
pourtant eût été vivement appréciée : je veux parler de Mgr Duilhé de
Saint-Projet. C'est lui qui le premier avait eu l'idée de ces assemblées
solennelles des savants catholiques de tous pays, et il n'avait cessé de
demeurer, avec le regretté Mgr d'Hulsl, l'âme de celte grande oeuvre. Le
15 mai dernier, après de longues et horribles souffrances supportées avec
une foi et une patience admirables, le pieux el savant ecclésiastique quit-
tait le rude combat de la vie, pour entrer dans le repos et la gloire qui ne
finissent point. -Mgr Duilhé de Saint-Projet s'est assuté une belle page
dans l'histoire religieuse du xix° siècle. Esprit vif el brillant, nature entre-
prenante et généreuse, les oeuvres et la science l'attirèrent également, et
2>artagèrcnt toute sa vie. - Son Apologie scientifique de la foi chrétienne, qui
a été traduite dans toutes les langues littéraires, et fut, le résumé de
quinze années d'éludés assidues et obstinées, demeurera comme le glorieux
témoignage de son talent, de son savoir, de son attachement et de son
dévouement sans réserve à la vérité religieuse.
Que l'Institut catholique de Toulouse, qui depuis deux ans possédait en
Mgr Duilhé de Saint-Projet un recteur digne des hommes éminents qui
composent son collège professoral, veuille bien recevoir ici, avec cet
humble hommage rendu aux mérites de son illustre chef, l'expression de
nos jilus sincères et de nos plus sympathiques condoléances.
III. - La collection des « Sirassburger Theologischc Studieii » vient cle
s'enrichir d'un nouveau fascicule : Die Wunder Jesu in ihren innern Zusam-
menhange betrachtet, von Florenz ChcMe weilancl Doctor cler Théologie, Pries-
ter der Dioecese Strasshurg, in-8° p. xn-lOG. Frciburg im Br. llerder.
La mort a empêché l'auteur de donner à son travail les développements el
-
toute la perfection qu'on pouvait espérer de son talent. Les éditeurs ont
pensé quandmème qu'il valait la peine d'être imprimé ; et ils ont eu raison.
M. Chable se place résolument sur le terrain des maîtres du rationalisme
moderne el, en faisant ressortir le but et la portée morale des miracles de
Jésus, il résout avec succès plusieurs cle leurs objections. Cette élude
complète heureusement l'ouvrage plus étendu, et remarquable, publié en
1892, par M. le Dr Eugène Mùller, sous ce titre : Natur und Wunder, ihr
Gegensatz muiihre Harmonie.
S mand du Campo Santo à Rome, d'où sont sortis tant d'hommes remar-
quables, célébrait son onzième anniversaire séculaire. A cette occasion,
m fut publiée une superbe Feslschrifi, composée de U travaux originaux,
parmi lesquels se trouvent une étude de Mgr Kirsch ; Die christlkhen cul-
tusgeliaude in der vorlconslantinischen Zeil, et deux autres écrites par deux
Dominicains, le P. Dr Prof. Wehofer : Dus K1TIE EAEHZON bei EpMeî.;
le P. Reichert : Bas Itinerar des Ziveiten Dominikancrgenerals J'ordanis von
Sachsen :
La Revue littéraire protestante « Lilerarisches Gentralblatt » de Leipzig-,
(n° 9 de l'année courante) après avoir parlé du « contenu si riche de cette
Festschrift » du Campo Santo, ajoute : « Le jugement d'ensemble sur laj
publication ne peut être que favorable. Les travaux y sont, en grande
partie, appuyés sur des documents nouveaux et inconnus jusqu'ici, tirés
principalement des Archives Romaines. »
IX. - L'on parle encore, à l'étranger, du courageux article que
publiait, il y a trois mois, dans la Revue générale des sciences, M. Haller,
directeur de l'Instilut chimique de Nancy, sur l'enseignement de la chimie
LA VIE SCIENTIFIQUE 449
REVUE BIBLIQUE
R. P. Lagrange.
Mgr Lamy. - -
L'innocence et le péché.
Les commentaires de saint Ephrem sur le prophète Za-
charie.
R. P. Condamin.
M. Bourlier,
-
-Les
Le texte de .Térémie xxxi, 22, est-il messianique?
paroles de Jésus à Cana.
Mélanges. -Baïiffol. -
Les origines du Nouveau Testament d'après un livre
Les psaumes de la captivité. R. P. Dom Pa-
récent. M.
-
rîsot. L'âge de pierre en Palestine. R. P. Germer Durand. Jéru-
salem d'après la mosaïque de Mâdaba. R. P. Lagrange. - -
La prise de
Jérusalem par les Perses à propos d'un document nouveau. R. P. RnÉ-
TORÉ.
Chronique de Jérusalem. - Recensions. - Bulletin.
REVUE PHILOSOPHIQUE
Juin 1897.
Majldidier.
F. Pillon.
--
Le hasard.
La philosophie de Secrétan.
III. Observations historiques et critiques.
Notes et documents : Recherches expérimentales sur l'excitation et la
dépression.
Analyses et comptes rendus.
Revue des périodiques étrangers.
Livres nouveaux.
Juillet 1897.
Dunan.
G. Le Bon.
--
L'âme et la liberté.
Le socialisme suivant les races.
F. Pillon. -La philosophie de Secrétan.
IV. Observations historiques et critiques (fin).
Analyses et comptes rendus.
SOMMAIRES DES REVUES 451
M. Maurice Talmeyr.
- Les femmes qui enseignent.
M. Georges Lafekestre, de l'Académie des Beaux-Arts.
-
Les salons
de 1897. La peinture aux Champs-Elysées.
M. Gabriel Vicaire.
M. H. Valbert. - - Poésie. Le Lit clos.
M. Lombroso et sa théorie de l'homme de génie.
M. Jules Lemaitre, de l'Académie française.
-
Revue dramatique.
Frédégonde à la Comédie-Française. Dégénérés à la Bodinière.
M. Francis Charmes.
tique. - Chronique de la Quin/.aine. -
Histoire poli-
Bulletin bibliographique.
M. Ian Maclaren.
M. Jean Cruppi.
-- Cas de conscience, dernière partie.
La cour d'assises de la Seine. Les assises correc-
tionnelles.- L'échevinage. Conclusion.
Mme Isabelle Massieu.
- Une Française au Ladak.
M. Georges Lafenestre, de l'Académie des Beaux-Arts.
-
Les salons
de 1897. La sculpture aux deux Salons. La peinture au Champ de
Mars.
M. G. Valbert.
- Pierre le Grand et son dernier biographe.
M. Jules Lemaitre, de l'Académie française.
-
Revue dramatique.
Mme Eléonora Duse. Rosine au Gymnase.
452 REVUE THOMISTE
M. Francis Charmes.
tique. -
Chronique de la quinzaine. Histoire poli-
Bulletin bibliographique.
LA QUINZAINE
Le Géiîant : P. SEPtTILLANGES.
PARIS - IMPRIMERIE F. LEVK, EUE CASSETTE, 17
REVUE THOMISTE
LA
tion l'un à l'autre d'un môme influx. Et ainsi l'on ne peut plus
dire : Si la série des pères et des fils va h l'infini, la paternité n'a
plus de source; caria source delà paternité du fils est en lui et
dans les influences extérieures, elle n'est pas dans le père. On ne
peut plus dire : Il faut un premier parent pour communiquer l'in-
flux générateur à tous les autres, puisque cet influx ne passe pas,
en réalité, de l'un à l'autre. Et quand on demande la raison de
l'existence actuelle de Pierre ou de la production actuelle de Paul,
ce n'est pas la chaîne des ascendants qu'il faut remonter, c'est la
chaîne .des causes directement cl actuellement nécessaires à la
production de cet effet. Homo et sol ganertmt hominem, disaient les
scolastiques. Au-dessus du soleil, c'est-à-dire, pour nous, de la
machine universelle qui concourt à toutes nos oeuvres, placez la
cause première, où toute efficience puise son aliment, et vous
aurez une explication suffisante de chacune des générations hu-
maines. Toutes, à ce point de vue, sont dans le même cas; la der-
nière est aussi près de la source commune que le fut la première,
s'il en existe. Qu'importe, dès lors, le nombre de ces générations,
et qu'importe leur infinitude ? Chacune suffit à l'explication de la
suivante et n'a de rapport de causalité qu'avec elle. .N'est il pas
clair qu'il peut y en avoir autant qu'on voudra, et que leur dérou-
lement, peut remplir l'infini des siècles ? Si, en tout cas, un tel
infini est impossible, vous devrez en chercher ailleurs la raison ;
elle ne découle en aucune façon des nécessités de l'efficience. La
preuve de Dieu par la causalité se ruine donc elle-même à emprun-
ter celte notion (1).
Du moins se relèvera-t-elle par le secours d'un principe nouveau
introduit subrepticement dans la preuve? Et s'il n'est pas néces-
saire de trouver un terme au passé pour expliquer l'existence et
les activités des êtres, cet arrêt du temps ne sera-t-il pas rendu
nécessaire par d'autres motifs ?
Il est vrai qu'en ce même article, Ja solution des objections donne lieu à une difficulté
apparente. L'auteur s'objecte que si le monde a toujours dure, et que l'homme ait tou-
jours habité le monde, il s'ensuit qu'il existe actuellement un nombre infini d'âmes, ce
qui est impossible. A quoi il répond simplement que cette difficulté est particulière, et
qu'elle ne peut Imposer une solution a l'égard de l'ensemble des choses. Plus tard,
reprenant cette question, il ajoute que la concession insinuée dans sa première réponse
dépasse même ce que l'objection est en droit d'attendre, et qu'à la rigueur on pourrait
admettre l'homme « ab oeterno », à condition de tupposcr qu'il n'ait engendré que dans
le temps Cette réponse est évidemment de celles qu'on fa.it en souriant, et elle montre
même combien sainl Thomas considérait les objections de ses adversaires comme peu
Nous verrons plus loin à résoudre ces objections après leur
avoir donné toute leur force; m.iis nous tenons à présenter dès
maintenant quelques observations qui nous semblent de nature à
diminuer la répugnance qu éprouvent certains esprits à admettre
notre thèse.
On semble craindre, en premier lieu, que le monde n'échappe à
Dieu, si on lui accorde une durée sans limites. A quoi bon un
Créateur, si à aucun moment l'univers n'a manqué d'être? Et
comme,en vertu de l'inertie de la matière et delà conservation de
l'énergie, aujourd'hui trouve son explication dans hier, hier dans
avant-hier et ainsi de suite, s'il y a eu toujours des jours, il y a eu
toujours une explication suffisante des choses, et une cause pre-
mière ne sert de rien.
Nous venons de voir combien ce raisonnement eslcnfnntin, et
comme il résiste peu à l'analyse. Aujourd'hui ne s'explique point
suffisamment par hier; bien que les événements d'hier aient sur
ceux d'aujourd'hui une influence déterminante. Le temps est une
mesure, ce n'est pas un principe; l'évolution est un procédé, ce
n'est pas une cause : or nous cherchons la cause de ce qui est.
Nous demandons pourquoi l'univers se développe ainsi d'âge en
âge. Dire qu'un véhicule vient du bout du monde, ce n'est pas
rendre compte de sa force de propulsion, à plus forte raison expli-
quer son existence. Le monde est, le monde se meut ; il faut à cela
une raison, et qui plus est une raison actuelle, car la permanence
des êtres a besoin de raison comme leur devenir. Répondre qu'il en
fut toujours ainsi, c'est spécifier un comment, ce n'est pas fournir
un pourquoi. Un effet éternel postule une cause éternelle el, d'au-
tant plus haute, bien loin que celte éternité le dispense do toute
raison.
Autre motif de crainte de la part de certains esprits en face de
sérieuses. On a voulu cependant y voir une « indication » dans le sens que nous no-
tions tout à l'heure. Saint Thomas admettrait comme possible l'existem e étemelle
d'ime créature, non celle de perpétuelles générations. Nous avouons ici ne pas com-
prendre. Loin que saint Thomas veuille faire ici une conect-sion, il en relire une qu'il
semblait avoir faite, et ce qui ressort de l'ensemble de sa discussion, c'e>l qu'à ses
veux l'univers peut avoir existé « ab seterno » aussi bien que d'une existence temporelle,
et que, s'il faut en excepter l'homme, ce n'est pas même sans discussion. Remarquons
d'ailleurs que cette difficulté spéciale est aujourd'hui complètement hors de cause.
Chacun sait aujourd'hui que l'homme n'a pas toujours foulé le sol, et ainsi la thèse du
grand Docteur se débarrasse d'une objection, bien loin de perdre un atome d'évidence.
464 REVUE THOMISTE
(1) « Esse infinilum non est actus vel perfeclio, sed imperfeotio ». (Albert le Grand,
IIIPhys., tr. II, c. x.)
n'est pas dans le temps, puisque sa durée est inétendue comme son
ôtre et d'un ordre supérieur au temps.
La possession absolue de sa vie, dans une plénitude que ni le
passé, ni le présent, ni l'avenir ne divisent, telle esl en Dieu
l'Eternité. Le recommencement sans fin et comme sans but des
mêmes chemins, dans une multiplicité inutile et informe, telle
serait pour la vie du monde l'infinité. Qu'on ne se laisse donc pas
tromper par les mots, et qu'on ne voie pas dans cette expression
fatidique, l'infini, une vertu capable d'égaler à Dieu tout ce qu'elle
touche. Infini signifie parfait ; mais il signifie aussi indéterminé,
et c'est en ce dernier sens seulement qu'il est applicable à la vie
du monde. On peut lui accorder donc sans crainte l'immensité, si
l'on n'a pas pour la lui refuser des raisons plus fortes; cette im-
mensité, telle qu'il la peut revêtir, ne sera jamais que le voile
splendide de sa misère. Le temps, ainsi étiré hors de toute limite,
ne sera encore, selon la belle expression du philosophe, que
l'image mobile de l'immobile éternité.
Enfin la raison principale, croyons-nous, qui rebute les esprits
en face de notre hypothèse, c'est l'obscurité de cette notion d'in-
fini, éternel scandale de la raison humaine. Il faut bien avouer en
effet qu'il y a quelque chose de troublant et comme d'aveuglant
pour l'esprit dans cette supposition d'une succession infinie de jours
et de siècles. Tous les changements que nous observons partent
d'un terme pour aboutir à un autre terme. Un univers qui marche
et qui ne vient de nulle part; une durée qui s'écoule et qui ne
s'approche ni ne s'éloigne d'un point de départ ou d'un but, il y a
là quelque chose qui confond. Mais qu'on veuille bien remarquer
d'autre part, et cette observation, à notre sens, est capitale, que
la création du monde dans le temps estime notion tout aussi diffi-
cile à comprendre. Comment se représenter, en effet, le passage
du néant absolu à l'être? Que se passe-t-il, à ce premier instant?
Dirons-nous que le monde devient? Mais alors il n'est pas. car ce
qui est n'a pas besoin de devenir. Dirons-nous qu'il est? Mais alors
il ne devient pas. Et ainsi nous devrons concevoir à l'origine un
double instant: l'un où le monde devient et n'est pas; l'autre où
son devenir aboutit à l'être. Mais ce premier devenir, comment le
concevoir? Que peut-il se passer là où il n'y a rien ? Peut on se
représenter un devenir sans sujet? Et n'est-il pas impossible par
466 REVUE THOMISTE
(1) « Deus, creando producit res sine motu. Substraclo autem motu ab actione el pas-
sione nihil remanet nisi relatio, ut diotum est. Unde relinquilur quod creatio, in crea-
tura, non sit nisi relatio quoedam ad Creatorem, sicut ad principium sui esse. » (I» Pars,
q. xlv, art. 3.)
(2; Creatio, active significata, significat actionem divinam, quse est ejus essentia, cum
relatione ad creaturam. (Ibid., ad lm.)
la difficulté se déplace, el passe do noire thèse à la Ihèse adverse.
11 est infiniment plus facile de concevoir un monde coéternel à
l'action élernelle qui le cause qu'un monde temporel résullal d'une
action posée dès l'éternité (I).
Concluons et résumons-nous en quelques mots. La preuve de
l'existence de Dieu n'a nul besoin de supposer un commencement
du monde. Elle s'établit indépendamment de celte notion et se
compromet, loin de se fortifier, quand elle veut l'appeler à son
aide (2). La supposition d'un monde éternel ne supprime pas la
nécessilé d'une Cause Première. Elle n'égale pas la créature au
Créateur en durée, et si elle écrase notre esprit par sa grandeur,
c'esl le cas de tant de choses qu'il n'y a pas lieu de s'en émouvoir.
Placés comme un néant au milieu de tout, nous serions mal venus
à exiger ici des clartés parfaites. L'étincelle de vie qui est la nôtre
et la portion infime du temps qui la mesure ne peuvent pas nous
donner une idée assez large de la durée pour que nous ne soyons
pas eiï'rayés à la supposer sans mesure. Le silence éternel de ces
(1) Qu'on veuille bien prendre garde au sens exact de cetle affirmation. Nous n'avons
nullement entendu dire comme on nous l'a prêté, que de toute manière l'hypothèse de
l'éternité du monde fût plus facile à concevoir que la thèse adverse, mais seulement
eu égard à la causalité divine. Nous ne serions pas éloigné de prétendre, toutefois, que,
tout compte fait, les difficultés soulevées par l'idée de création dans le temps sont aux
yeux du philosophe du même ordre et presque du même degré que celles que provoque
l'idée d'une succession infinie. Ce qui fait la différence pour le peuple
sophie beaucoup sont peuple - - et en philo-
c'est que l'infini déroute l'expérience et que l'idée de com-
mencement est vulgaire. Par là l'hypothèse d'une durée infinie nous effraie et celle du
commencement de tout nous paraît simple. Mais si, dépassant la sphère de l'expérience,
qui ne nous présente que des changements, nous envisageons, comme nous le faisions
tout à l'heure, l'idée d'un commencement absolu, elle nous jettera dans le trouble, tout
comme celle d'une durée éternelle. Quelqu'un nous disait à Fribourg : Nous n'avons
nul intérêt, comme apologistes, à aggraver ainsi les difficultés de nos thèses. Nous avons
dû répondre qu'il ne s'agit pas ici d'intérêt, mais de vérité; que l'idée de création dans
le temps, que nous recevons de la foi, n'en reste pas moins pour nous, comme philoso-
phes, extrêmement obscure, et que, si nous avions à choisir librement entre ces deux
hypothèses : ou le monde temporel, creé de Dieu par une action en quelque sorte nou-
velle, ou le monde éternel, dépendant éternellement de Dieu, c'est vers cette dernière,
peut-être, que nous inclinerions
(2) Encore, ici, une rectification à faire : on nous a objecté que, d'après saint Thomas,
la nécessité d'un Dieu est beaucoup plus manifeste, dans la supposition de la durée limitée
du monde. Cette remarque du saint Docteur est l'évidence même. A qui admet le commen-
cement de toutes choses, rien n'est plus facile que de démontrer Dieu, mais encore faut-
il établir cette hypothèse. Il n'est pas fréquent qu'elle soit admise par les athées dont
l'éternité de la matière est au contraire le grand refuge, et s'il est vrai que la raison â
elle seule soit impuissante à l'établir, il importe grandement de séparer sa cause de
celle de l'existence de Dieu.
468 REVUE THOMISTE
(A suivre.)
Fr. A.-D. Sertillanges,
des Frères Prêcheurs.
(1) « Et hoc utile est ut consideretur ne forte aliquis quod fldei est demonslrare proesu-
mens, raliones non necessarias inoucat, quae Jpraebeant materiam irridendi infidelibus,
existimanlibus nos propter hujusmodi ratîones credere quoe fldei sunt. »
LA LUMIÈRE DANS LES OEUVRES DE DIEU
Dieu est lumière par nature; sa première action est une parole
et une lumière. Sa première parole dans l'éternité, c'est son Verbe,
splendeur de la lumière, splendeur de la gloire, lumière de
lumière. Candor lucis alternée (1), splendor glorise (2), lumen de
lumine (3). Sa première parole dans le temps est le sublime fiât lux,
dont la beauté ravissait le païen Longin. La dernière parole qui
terminera les temps sera celle qui invitera les élus à cette Jéru-
salem céleste t^ont il est dit : Claritas Dei illuminavit eam (4). Du
Ciel au Ciel, de l'éternité à l'éternité, voilà l'étendue et le royaume
de la lumière. Chaque fois que Dieu produit une créature, il dit
de nouveau : Fiat lux! que la lumière soit! Et le nouvel être sort
radieux du foyer divin, il montre à la terre et au Ciel son éclat
virginal; c'est une lumière qui est faite. Et facta est lux.
INous voulons essayer de montrer que, en effet, tout être est
lumière par nature ; il y a en lui comme une triple splendeur :
l'éclat de l'essence créée, le reflet de l'essence divine, et même un
cerLai» reflet du Dieu-Trinité. Nous étudierons ensuite la lumière
spéciale qui se trouve dans les créatures raisonnables, soit dans
l'ordre naturel, soit dans l'ordre surnaturel.
II
»..
::V
II
encore dans les Séraphins. Les Anges supérieurs sont par rapport
aux inférieurs ce qu'est le maître par rapport aux élèves. Un génie
puissant comme saint Thomas verra dans ce seul principe : Quid-
quidmovetur ab alio movetur-, une foule de vérités qui, pour être
saisies de l'esprit novice, ont besoin d'être divisées en propositions
particulières et expliquées successivement. De même, les concepts
de l'ange supérieur sont plus vastes, plus universels que ceux de
l'ange inférieur, ils dépassent le diamètre de celui-ci ; et c'est
pourquoi l'ange supérieur doit diviser, multiplier ses idées, les
ajuster à la mesure de l'intelligence plus faible qu'il veut éclairer.
C'est dans ce sens que les anges d'en bas sonl illuminés par ceux
*
d'en haut.
Quoique les idées des séraphins soient ramenées à un petit
nombre, une seule ne suffit pas. En Dieu, il n'y en a qu'une :
l'essence infinie-représente le réel, l'idéal, le possible avec tous
leurs multiples détails. L'éternité embrasse dans son orbe immense
les temps et toutes les modifications des temps; comme tous les
points de la circonférence sont présents au centre, tous les points
du temps sont présents à l'éternité.
Dans le séraphin, l'idée n'est pas l'intelligence, celle-ci n'est
pas la nature, et la nature se distingue de l'existence; en Dieu,
comme nous l'avons déjà dit, idée, intelligence, existence et
nature sont une même et immobile réalité. C'est ici que notre
principe se vérifie dans toute sa plénitude : ce qui est divisé en
bas est uni en haut.
Le troisième principe est ainsi exposé par saint Thomas : « Ce
que Dieu cherche avant tout dans la création des choses, c'est la
perfection de l'univers; il faut, pour obtenir cette fin, que les
êtres les plus parfaits soient créés avec une sorte d'excès sur les
autres. Dans les corps, cet excès consiste dans l'immensité de
l'étendue; dans les substances spirituelles, qui n'ont pas d'étendue,
il faut y suppléer par l'immensité du nombre. De même donc que
les corps célestes l'emportent incomparablement par l'étendue sur
les corps terrestres, de même il est raisonnable de penser que les
substances immatérielles l'emportent incomparablement par leur
multitude sur les substances matérielles (1). »
Cette doctrine paraît contredire l'expérience. Il est évident que
III
- -
les idées sont l'oeuvre totale des sens Matérialisme, Empirisme,
Sensualisme, ou elles sont en nous indépendamment du corps,
soit que l'intelligence les crée d'elle-même, soit qu'elles soient
innées, soit enfin que nous voyions toutes choses dans l'essence
- -
divine Subjectivisme transcendantal, Innéisme, Ontologisme,
ou bien elles viennent à la fois et des sens comme cause instru-
mentale et de l'esprit comme facteur principal. C'est le système
aristotélicien et scolastique.
Nous ne nous attarderons pas à combattre la première opinion,
puisqu'elle nie la supériorité de l'âme sur le corps, de l'esprit sur
les sens. La seconde exigerait de longues considérations; mais,
comme nous ne faisons pas ici une thèse sur l'origine des idées, il
nous suffira de signaler un raisonnement de saint Thomas qui
réfute ce système et prouve en même temps la doctrine scolas-
tique. Si les idées sont eh nous indépendamment des sens, l'union
de l'âme avec le corps n'a pas sa raison d'être. Il est évident que
cette union doit tourner au profit de la partie la plus noble, c'est-à-
diro que le corps doit servir à perfectionner l'âme ou dans son
être ou dans son opération. Mais le corps n'est pas nécessaire à
l'âme pour son être qui vient directement de Dieu : ce sera donc
pour l'opération, c'est-à-dire la connaissance qui se fait au moyen
des idées. Donc, le corps est nécessaire à l'âme pour l'acquisition
des.idées. Donc, si les idées sont en nous indépendamment des
sens, l'union de lame avec corps n'a pas sa raison d'être.
le
Une fois admis que le phénomène empirique est la base des
idées, comment expliquer le voyage de l'objet jusqu'à l'esprit ?
Des sens externes, l'objet arrive à l'imagination, où il est conservé
à l'aide de l'espèce intentionnelle. Ici va se produire un travail
mystérieux. Il est clair qu'il ne saurait y avoir de passage matériel
du cerveau à l'intelligence, et que ces images de l'ordre sensible
sont incapables d'agir directement sur notre esprit. C'est plutôt
l'intelligence qui doit agir sur elles, leur faire subir un véritable
changement. Cela suppose dans l'esprit une activité énergique
capable de dégager l'universel, d'abstraire le concret et de trans-
former le sensible. D'autre part, nous savons que l'intelligence
humaine est passive, dépendante : ce n'est pas elle qui est le prin-
cipe et la mesure des choses, mais, au contraire, les choses sont la
mesure de notre esprit, et, pour être vraie, notre connaissance
doit s'ajuster et se. rendre conforme à son objet. « Ce ne sont pas
nos connaissances qui font leurs objets, dit Bossuet, elles les sup-
posent. » Nous sommes ainsi amenés à distinguer dans la partie
intellectuelle de notre âme deux vertus distinctes : l'une active qui
élève et transforme l'objet de l'imagination, intellect agent ; l'autre
passive, à qui appartient l'acte de la connaissance, intellect pos-
sible.
Le rôle de l'intellect agent est d'abstraire et d'illuminer. L'uni-
versel existe dans le phénomène empirique, comme la nature
humaine existe dans l'individu humain. De même que dans un
fruit, dit saint Thomas, la vue se porte sur la couleur, le goût sur
la saveur, sans s'arrêter aux autres détails, ainsi dans le phéno-
mène de l'imagination l'intellect ne regarde que la nature de
I 484 REVUE THOMISTE
IV
(l)HOw. iv, U.
(2) Eph. v, 8.
(3) 1 Petr. u, 9.
(4) Is. j.-x, i.
naissant de l'homme, nous avons reçu la nature humaine; pour
naître de Dieu, il nous faut une nature divine. Par la naissance
corporelle nous reproduisons la figure de nos parents ; par la grâce
nous devons reproduire le visage deDieu. Aussi, d'après les saints
Pères, la grâce est le miroir brillant dans lequel Dieu se contemple
et se reconnaît. Mais Dieu ne peut se reconnaître que dans un
dieu, la lumière ne peut se contempler que dans la lumière.
La grâce nous donne donc les propriétés de Dieu. Quand on
plonge l'or dans la fournaise, il devient feu, il prend la couleur,
la chaleur, la lumière du feu. La grâce nous plonge dans l'èlre
divin, et l'homme, sans perdre sa propre nature, esl tout pénétré
de Dieu : il est flamme comme Dieu, il esl amour comme Dieu, il
est lumière comme Dieu.
Nous avons déjà une participation de la lumière incréée, mais
ce n'est pas encore Dieu en personne. Eh Lien! l'amour a Irouvé
le moyen de nous donner la personne même de Dieu : c'est le suave
mystère que les théologiens appellent l'habitation de la sainte
Trinité dans l'âme du juste. Comme le calice contient véritable-
ment le sang de Jésus, ainsi nos âmes contiennent véritable ment
l'Esprit-Sainl. Calice de l'autel, calice de l'âme juste, l'un et l'autre
vou^ êtes sacrés, l'un et l'autre vous abritez un Dieu !
Nous ne nous arrêterons pas à parler de ce mystère: une plume
compétente l'a expliqué dans la Revue Thomiste avec autant de
clarté que de profondeur. Faisons seulement observer que cette
présence de (a Trinité, communique à notre âme un merveilleux
éclat. Le Père est la source de la lumière, Forts teri luminis; le Fils
est la lumière qui procède de la lumière, Lumen de lumvne; l'Espril-
Saint est la lumière qui chasse les ténèbres de nos coeurs, Veni
lumen cordïuru. Et ces trois splendeurs ne sont qu'une splendeur,
ces trois lumières ne sont qu'une lumière, Et M très unum sunt.
Cette lumière de l'auguste Trinité ne demeure pas inactive dans
notre âme: elle transfigure notre intelligence, et nous fait voir
toutes choses avec les couleurs de l'éternité. Les savants du siècle
ne voient dans les événements de ce monde que le hasard ou que
de simples lois physiques ou morales ; l'humble ignorant qui a la
grâce y aperçoit la marche de Dieu. D'une part, en effet, la Trinité
esl dans l'âme du juste ; d'autre part Elle est dans l'événement qui
s'accomplit : c'est le Seigneur, pour ainsi dire, qui esl en présence
488 REVUE THOMISTE
ile Lui-même, c'est lui qui se reconnaît dans les événements, c'est
Lui qui dit par la Louche du juste : Ecce Dominus transit! Voici le
Seigneur qui passe !
Elle transfigure même notre corps. Il y a, en effet, dans le corps
des Saints une beauté secrète, une sorte de majesté cachée qui se
révèle parfois à l'heure de la mort. Du moment que nous sommes
les temples du Saint-Esprit, nous sommes marqués d'une onction
sainte : la lumière du visage divin s est projetée sur notre visage :
nous sommes sacrés pour l'éternité. La mort, tout en nous frap-
pant, respectera le signe que nous portons. Jusque dans la corrup-
i: tion, il y aura dans nos membres comme une inscription invisible
qui dira : Respectez cette poussière, c'est un immortel qui som-
meille! les membres furent jadis le temple de la Trinité; ils sont
destinés au royaume de la lumière, ils sont sacrés pour la résur-
rection de la gloire.
Cette transfiguration radieuse s'achève dans l'éternité. Au ciel,
tout est lumière. La Jérusalem céleste est toute resplendissante de
clarté, elle n'a pas besoin que le soleil luise sur elle : Dieu lui-
même l'éclairé, l'Agneau est sa splendeur.
La vision héatifique, c'est la lumière dans la lumière. Nous
pouvons considérer ici l'objet qui est vu, la faculté qui voit,
l'espèce ou idée qui le fait voir, le verbe mental qui l'exprime.
L'objet contemplé, c'est la divinité elle-même, face à face, sans
voile, sans nuage ; par conséquent c'est l'infinie clarté. La faculté
m
qui voit, c'est, l'intelligence, mais élevée- par une vertu surnatu-
relle toute faite de clarté, la lumière de gloire. Cette lumière est
une qualité habituelle et permanente qui transforme l'esprit et le
met au niveau de la Vérité Première, comme la charité met notre
volonté au niveau du Souverain Bien ; c'est, pour ainsi dire, le
regard de l'aigle qui nous est donné pour fêter l'éternel soleil.
L'espèce intelligible, c'est encore l'infinie clarté. Aucune image
créée n'est assez vaste pour représenter l'infini, ni assez immaté-
rielle pour représenter l'acte pur: l'essence divine s'unit donc
immédiatement à notre esprit, elle devient notre idée; nous
voyons Dieu par Dieu lui-même.
Enfin, d'après l'opinion de beaucoup de Thomistes, il n'y a pas
dans la vision béatifique d'autre verbe mental que l'essence
divine: Ja Parole par laquelle Dieu dit sa connaissance devient, en
I.
ut-
quelque manière, la parole des Bienheureux, le terme ineffable
qui exprime leur vision. Voici la raison de ces auteurs. Le verbe
mental est l'image de Fobjet en l'absence de celui-ci, et il doit
représenter la chose d'une manière plus vive, plus actuelle que ne
le fait l'espèce intelligible. Or il est inconcevable qu'une chose
créée soit l'image de l'infini ; d'autre part,l'essence divine est inti-
mement présente à l'esprit des Bienheureux; il n'y a pas de verbe
qui puisse la rendre plus vive, plus actuelle qu'elle ne l'est en elle-
même. Le verbe créé est donc superflu et même impossible. Et, si
l'on objecte qu'il ne peut pas y avoir d'action sans terme, les
Thomistes répondent: Gela est vrai seulement de l'action prédica-
mentale, qui est toute transitoire et tend essentiellement vers un
terme extérieur. Or la connaissance intellectuelle n'appartient pas
au prédicament de l'action, qui suppose un mobile et un patient;
elle se ramène plutôt au prédicament cie la qualité ; son rôle, en
effet, n'est pas de tendre vers un terme, mais seulement de perfec-
tionner le sujet qui opère.
Ceux qui admettent un verbe créé conviennent, du moins, qu'il
exprime admirablement la splendeur divine. Ainsi, à tous les
points de vue, la vision béatifique est la lumière dans la lumière.
LE R1SAL1SMK METAPHYSIQUE
1° Principes de
la Méthode.
En apparence, M. Thouverez, attaque énergiquement le Criti-
(1) La doctrine de la genèse du mouvement dans le mobile par action transitive est
précisément combattuepar tous scolastiques anciens et modernes.
les
m*
h"
800 REVUE THOMISTE
La modalité nu juu-is-ukxt.
I. - Exposé :
II. - Critique :
Seconde proposition. -
J'en emprunte la teneur à ce passage
caractérislique: a Tout ce qui est en dehors de la pensée, étant la
négation de la pensée, n'est qu'un néant pour la pensée. »
Cela est-il logique? N'y a-t-il pas entre la négation de la pensée
et l'affirmation de la pensée un intermédiaire? Qu'est-ce que
l'affirmation de la pensée : c'est la pensée en exercice, en acte.
Entre la pensée en acte qui est l'affirma (ion de la pensée et le
néant de la pensée, n'y a-t il pas encore une fois un intermédiaire,
la possibilité de la pensée? Je ne me demande pas ce que peut
être cette possibilité. Je me place au point de vue purement
logique : entre un fait et sa négation, n'y a-l-il pas la possibilité
du fait ?
Cette possibilité est-elle une possibilité réelle et réellement
distincte de la pensée. N'est-elle pas au contraire, comme possibi-
lité de pensée, essentiellement relative à la pensée? Je demande la
permission de distinguer. Elle est essentiellement relative à la
(1) « Avec Kanl nous constatons une liaison invincible entre les deux idées. Mai.-,,
entre les deux données que ces idées ont pour objet et auxquelles i! refuse toute liai-
son intrinsèque, nouis avons démêlé une liaison intrinsèque; car la première d'une façon
latente contient la seconde et... avec Stuart Mill, nous admettons que à l'origine et dans
beaucoup d'esprits, les deux données ne sont liées que par induction, mais nous avons
prouvé qu'elles peuvent l'être encore autrement. ... De cette construction on extrait les
propriétés incluses et l'on forme ainsi par analyse la proposition qu'on a formée d'a-
bord par induction. Grâce à ce second procédé, la portée de notre esprit s'accroît à
l'infini. Nous ne sommes plus capables seulement de connaissances relatives et bor-
nées ; nous sommes aussi capables de connaissances absolues et sans limites. » (Taine.
De l'Jnlcllig. Il, p. 383.)
pensée; à une pensée toujours actuelle, soit à une pensée inter-
mittente comme sont nos jugements, je distingue de nouveau:
d'une référence toujours actuelle, je nie; d'une référence po-
tentielle, je concède. C'est l'équivoque de la thèse de con-
fondre Ja pensée et nos jugements, et de vouloir englober toute
réalité dans nos jugements, parce que toute réalité est dépendante
d'une pensée.
On a conçu diversement celte possibilité de penser. Les uns y
ont vu les pensées de Dieu même, d'autres des Idées séparées,
subsistantes, d'autres les essences des choses sensibles. C'est à
cette dernière conception que nous nous rallions avec Aristote. Ce
n'est pas, dans une réfutation nécessairement limitée, le lieu d'en
établir les preuves. Il suffit de rappeler que la possibilité de
pensée extérieure à nos jugements, que la logique nous invite à
poser comme intermédiaire entre les deux allernatives du dilemme
de M.Brunschvicgh n'est pas une chose en l'air. La vérité objective,
a dit saint Thomas (il entend parler des essences), est à la fois
mesurée et mesurante, mesurée par la pensée de Dieu, mesure des
jugements intermittents de l'homme.
Donc, il peut y avoir un milieu entre la négation de la pensée
et la fonction actuelle de la pensée. L'en dehors de Ja pensée
n'implique pas une opposition négative à la pensée.
2° Thèse seo1astique.
Le premier point sur lequel il faut qu'on s'entende est celui-ci :
quand j'examine les jugements humains, les seuls qui soient à
notre portée, ai je conscience de quelque chose de réel : si non, et
si le jugement par lequel j'examine mes jugements est affecté par
rapport à eux de « la forme d'intériorité », il faut cesser au plus
vite ce jeu puéril. Il est donc entendu que nos jugements sont
réels; donc, quelque chose en dehors de mon acte de jugement est
réel, purement et simplement, il n'y a pas pour ce premier jugement,
le jugement critique, de modalité qui tienne.
a son objet en lui-même ! dira-t-on.- - Mais ce jugement
Pardon ! l'acte que j'examine
elle jugement par lequel je l'examine sont deux actes. Comme
connaissance et .comme objet connus ils s'opposent. Mais peu
importe, pourvu que le'jugement spontané, que j'examine, soit consi-
déré comm- une réaidé.
512 REVUE THOMISTE
I' comparer entre elles, je puis comparer entre eux les éléments que
j'en ai extraits Si ces essences ou éléments d'essences apparais-
sent parties les unes des autres, le jugement par lequel je déclarerai
cette appartenance sera un jugement analytique et nécessaire. Si
je trouve au contraire un rapport d'exclusion entre elles, le juge-
ment sera négatif et nécessaire dans son genre : ce sera un juge-
ment d'impossibilité ; si, enfin, je ne découvre ni inclusion ni
exclusion, j'aurai des jugements de possibilités lesquels seroni
absolus si l'analyse des termes a été poussée jusqu'au bout, d'une
possibilité éventuelle dans le cas contraire. Comme vérification,
l'expérience pourra intervenir, et prouver à posteriori la possibi-
lité déduite, abactu adposse valet consecutio. L'induction pourra
même s'élever jusqu'à des liaisons constantes, des lois, --simple-
ment possibles au point, de vue analytique, quoique relativement
nécessaires du point de vue synthétique à posteriori.
Ainsi, le contenu des propositions modales précède les juge-
ment modaux. L'esprit ne les fait pas, ces propositions ; il lof-
reconnaît par une sorte de lecture dans les liaisons objectives que
manifestent les essences réelles qui posent devant lui. Les juge-
ments ne sont modaux qu'objectivement. Et partant, la réalité et
la nécessité ne sont pas opposées comme deux pôles intérieurs enlrr-
lesquels oscille le jugement.
M. Brunschvicgh a bien dit : Nos jugements sont enfermés dans
la sphère des possibles. Mais cela ne veut pas dire qu'il est possible
qu'il y ait des réalités, des nécessités, des possibilités ; cela veut
dire que les réalités distinctes avec lesquelles nos jugements
sont en relation, ne sont pas (de par leur relation avec le juge-
ment du moins) des existences concrètes, mais seulement des
essences réelles (1) impliquant des rapports nécessaires, possibles
ou de simple fait.
3° Les résultats au point de vue de la vérité scientifique. Ce
qui fait la force de la doctrine de M. Brunschvicgh, ce sont les
adversaires qu'il combat : matérialistes hypostatisant naïvement
jusqu'à des existences concrètes, prêtant aux lois scientifiques une
nécessité absolue; idéalistes rationalistes, retrouvant la réalité en
arrière du sujet, dans fine «ynlhêse abstraite et vidée. Elle est sans
efficacité en face d'une doctrine qui ne prétend pas directement à
des existences en soi : qui se contente d'essences, pourvu qu'on les
lui concède réelles et distinctes (dans leur être d'essences), du ju-
gement lui-même.
Au point de vue de la vérité scientifique, la doctrine de M. Brun-
schvicgh est un leurre. C'est une systématisation de l'illusion. Le
jugement est dominé par les modalités qui l'affectent. Ou, s'il en
est maître, si, selon le docte langage, on le postule comme liberté,
il est une liberté aveugle qui n'a pas de raison de choisir entre les
modalités qu'elle met en oeuvre. Que peut devenir la science livrée
à un semblable arbitraire" La philosophie elle-même n'est-elle
pas réduite à enregistrer les résultats des caprices de la liberté
déclenchant et entremêlant, comme les jeux d'un orgue étrange,
ses modalités à travers les actes du jugement spontané.
Tout autrement positive, et solidenous apparaît la doctrine aris-
totélicienne du jugement. Sans trancher la question de la science
concrète, rien qu'en posant le jugement comme une synthèse vi-
vante entre l'esprit et des essences sans lesquelles le jugement ne
serait pas, elle invite à la recherche positive du mode d'existence
des essences. Les essences sont, on n'en peut douter : comment
sont-elles? Quelle est la signification de ce travail de l'esprit, per-
ception sensible, induction, abstraction, qui semble bien précéder
leur acquisition ? La chose sensible serait-elle avec l'objet du juge-
ment, comme le veut Taine, dans le rapport du contenant aucon-
SEPTIEME ARTICLE
Non cesso, gratias agens pro vobis, memoriam vestfi faciens in orationibus meis,
(1) «
ut Deus, Domini nostri Jesu Chrisli pater glorias, det vobis spirilum sapientise el revela-
tionis in agnitione ejus: illuminâtes oculos cordis vestri, ut sciatis quEP sit spes voca-
tionis ejus, et quse divitioe gloriïe lioereditatis ejus in sanctis ». £phes., i, (6-18.
Quand Dieu, voulant sauver le genre humain perdu par la faute
de notre premier père, daigna, dans sa miséricorde, envoyer son
propre Fils pour opérer notre rédemption, ce témoignage d'infinie
bonté arrachait à l'évangéliste saint Jean ce cri d'admiration :
« Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour
que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie
éternelle (1) ». Toutefois, si étonnante que puisse paraître cette
mission, elle s'explique, dans une certaine mesure, par l'impor-
tance du but à atteindre et la grandeur du résultat qu'il s'agissait
d'obtenir.
Mais, quand il est question d'un enfant qu'on baptise, d'un pé-
cheur qui se convertit, d'un juste qui croît en sainteté, où sont
les grandes choses pour l'accomplissement desquelles il faille
envoyer l'Esprit-Saint ? Où les intérêts majeurs qui réclament sa
présence? D'autant plus qu'il ne s'agit point ici d'une mission
passagère, d'une visite de courte durée, non pas môme d'un sé-
jour temporaire plus ou moins prolongé. Quand le Saint-Esprit
vient dans un coeur, c'est pour s'y établir à demeure et n'en plus
sortir, à moins qu'on ne l'y contraigne par le péché. Ad eum venie-
mus, et mansionem apud eum Jaciemus (2). Qu'est-ce donc, encore
un coup, qui l'amène ? et pourquoi vient-il? Serait-ce uniquement
pour recevoir dans ce temple vivajit et saint nos adorations et nos
louanges, nos prières et nos actions de grâces ? Serait-ce pour
nous encourager par sa présence dans nos luttes et nos combats
de chaque jour, un peu à la façon d'un aïeul vénérable qui suit
d'un regard sympathique et rajeuni par l'amour les ébats de ses
petits-fils, sans toutefois y prendre une part active? Non. S'il
vient, c'est pour agir, car Dieu est essentiellement actif; il est,
disent les théologiens, un acte pur.
Aussi, loin d'être stérile et infructueuse, la présence en nous de
l'Esprit sanctificateur, son union avec nos âmes est, au contraire,
souverainement féconde. Nous arracher à l'empire des ténèbres et
nous transférer dans le royaume de la lumière; créer en nous
l'homme nouveau et renouveler la face de notre âme en la revè-
(1) « Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suuni unigenitura daret, ut omnis'qui crédit
in eum, non pereal, sed habeat vitam coternam ». Joan., ni, 16.
(2) Joan, xiv, 23.
520 REVUE THOMISTE
II
(1) Ephes., n, %.
de sa vengeance? Sans doute nous ne devons point trans-
porter en Dieu nos passions ; et, quand nous parlons de colère et
de vengeance divines, il est manifeste qu'il en faut écarter tout ce
qui sent le trouble, l'émotion, le désordre; mais aussi que de
vraies, de saintes, de terribles réalités se cachent sous ces mots
qui reviennent si fréquemment dans l'Ecriture !
C'est que, en effet, Dieu ne serait pas la bonté absolue s'il ne se
montrait l'ennemi implacable du mal ; il ne serait pas la justice et la
sainteté mêmes, s'il laissait impuni un acte dont la malice est à cer-
tains égardsinfmie (1). S'il est grand dans les oeuvres de sa miséri-
corde, il ne l'est pas moins dans les manifestations de sa justice;
s'il récompense magnifiquement tout ce qui est fait pour sa gloire,
il tire une vengeance éclatante des outrages commis contre sa
Majesté sainte. Toujours il agit en Dieu, quand il rémunère la
vertu, comme lorsqu'il châtie le crime. Quelle perspective cette
simple considération ouvre devant un regard attentif! Aussi le
saint homme Job, pénétré du sentiment profond de la justice divine
se déclarait-il « incapable d'en supporter le poids, comme s'il avait
sur sa tète les flots d'une mer en furie » : semper quasi tumentes
super mejluctus timui Deum, et pondus ejusforre nonpotui (2). Et le
grand apôtre disait de son côté que c'est une chose épouvantable
de tomber entre les mains du Dieu vivant : Ttorrendum est incidere
in manus Dei viventis (3).
Tomber entre les mains des hommes, d'un ennemi puissant et
cruel, paraît une chose déjà singulièrement effrayante. Et pour-
tant, que peut un faible mortel en comparaison de celui
qui porte le monde et auquel nul pécheur ne saurait échapper?
Aussi, Notre-Seigneur disait-il à ses disciples : « Ne craignez
« pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent ensuite plus
« rien contre Je
vous. vous dirai, moi, qui vous devez craindre :
« c'est celui qui, après vous avoir ôté la vie du corps, peut encore
(1) « Peccatum contra Deum commissum quamdara infinitatem habet ex infinitate di-
vin» Majestatis » S. Th., III, 9. i, a. 2, ad. 3.
(2) Job., xxxr, 23.
(3) Heit., x, 32.
h"
(1) Ne terreamini ab his qui occiuunt corpus, et post hoec non habent amplius quid
faciant. Ostendam auteni vobis quem timealis." timele eum qui, postquam occident, h.i-
bet potestatem mittere in gehennam : ita, dico vobis : hune timete ». Luc. xn, 4-5.
(2) Vultus autem Domini super facientes mala ». Ps., xxxm, 17.
(3) Sap., xiv, 9.-
?>..
les insignes de son grade : ses décorations d'abord, s'il en a, car
ayant forfait à l'honneur, il est indigne de porter le signe de l'hon-
neur; puis son épée : cette épée, dont il était si fier et qui lui avait
été confiée pour la défense de la patrie, est brisée sous ses yeux,
et on en jette au loin les tronçons déshonorés, car c'est Fépée d'un
traître. On lui arrache ses épaulettes, ses galons, tout ce qui rap-
pelle l'uniforme, et on le livre ainsi dépouillé et couvert d'igno-
minie au peloton d'exécution. Faible image de la dégradation spi-
rituelle infligée dès cette vie au pécheur.
Extérieurement, il est vrai, rien ne trahit l'affreux changement
qui vient de s'opérer dans son âme ; il va, il vient, il vaque à ses
affaires, et peut-être qu'en voyant sa santé aussi florissante qu'au-
paravant, sa fortune intacte, sa réputation sauve, il serait tenté de
croire dans son aveuglement que, après tout, le péché n'est pas
un si grand mal ; peut-être que, nonobstant l'avertissement de
l'Esprit-Saint, il aurait la témérité de dire : « J'ai péché, et que
m'est-il arrivé de fâcheux (1) ? » Ce qu'il lui est arrivé de fâcheux?
Ah ! s'il pouvait contempler les ravages épouvantables opérés
dans son âme par un seul péché mortel, bien autre serait son
langage ! Cette âme, auparavant si belle aux yeux de Dieu et de
ses anges, a perdu soudain tout son éclat (2) et ne présente plus
maintenant que l'aspect hideux et repoussant d'un visage rongé
par la lèpre. Cette âme, naguère encore toute resplendissante des
clartés de la grâce, tout imprégnée du parfum des vertus (3), s'est
couverte tout à coup d'affreuses ténèbres et répand autour d'elle
l'infection d'un cadavre; car elle est morte devant Dieu, morte et
corrompue comme les cadavres des tombeaux; morte, non pas
sans doute à la vie de la nature
telle- -
dans cet ordre elle est immor-
mais à la vie plus haute et incomparablement plus pré-
cieuse de la grâce.
En perdant la grâce, le pécheur a tout perdu : l'amitié de Dieu,
le droit à l'héritage éternel, les mérites précédemment acquis, et
jusqu'à la possibilité d'en acquérir de nouveaux, tant qu'il n'aura
pas recouvré la divine charité. Tout a péri, tout a sombré dans le
naufrage.
(1) « Ne dixeris : Peecavi, et quid mihi accidit triste ? » Eccli., v, 4.
(2) « Egressus esta filia Sion omnis décor ejus. » Threii., i, 6.
(3) a. Christi bonus odor suraus Deo. » 7/ Cor., n, 1S.
524 REVUE THOMISTE
(1) « Deus, cui proprium est misereri semper, et parcere. » Ex Breviar. Ord. Prsed.
de l'habitation du SAINT-ESPRIT DANS LKS AMES JUSTES 525
III
(1) « Iniquilates veslra; diviserunt inter vos et Deum vestrum. » /*., lix, 2.
(2) « Eripuit nos de potestate tenebrarum, et transtulit in regnum Filii dilectionis
-
surc. » Col. i, *3. /
Cf. etiam Petr., n, 9.
REVUE THOMISTE
(1) Ne terreamini ab his qui occidunt corpus, et post hoec non habent amplius quid
faciant. Ostendam autem vobis quem timeatis: limete eum qui, postquam occiderit, ha-
bet potestatem mittere in gehennam : ita, dico vobis': hune timete ». Luc. xn, 4-5.
(2) Vultus autem Domini super facienles mala ». Ps., xxxni, 17.
(3) Sap" xiv, 9.-
les insignes de son grade : ses décorations d'abord, s'il en a, car
ayant forfait à l'honneur3 il est indigne de porterie signe de l'hon-
neur; puis son épée : cette épée, dont il était si fier et qui lui avait
été confiée pour la défense de la patrie, est brisée sous ses Yeux,
et on en jette au loin les tronçons déshonorés, car c'est l'épée d'un
traître. On lui arrache ses épaulettes, ses galons, tout ce qui z*ap-
pelle l'uniforme, et on le livre ainsi dépouillé et couvert d'igno-
minie au peloton d'exécution. Faible image de la dégradation spi-
rituelle infligée dès cette vie au pécheur.
Extérieurement, il est vrai, rien ne trahit l'affreux changement
qui vient de s'opérer dans son âme ; il va, il vient, il vaque à ses
affaires, et peut-être qu'en voyant sa santé aussi florissante qu'au-
paravant, sa fortune intacte, sa réputation sauve, il serait tenté de
croire dans son aveuglement que, après tout, le péché n'est pas
un si grand mal ; peut-être que, nonobstant l'avertissement de
l'Esprit-Saint, il aurait la témérité de dire : « J'ai péché, et que
m'est-il arrivé de fâcheux (1) ? » Ce qu'il lui est arrivé de fâcheux?.
Ah ! s'il pouvait contempler les ravages épouvantables opérés
dans son âme par un seul péché mortel, bien autre serait son
langage ! Cette âme, auparavant si belle aux yeux de Dieu et de
ses anges, a perdu soudain tout son éclat (2) et ne présente plus
maintenant que l'aspect hideux et repoussant d'un visage rongé
par la lèpre. Cette âme, naguère encore toute resplendissante des
clartés de la grâce, tout imprégnée du parfum des vertus (3), s'est
couverte tout à coup d'affreuses ténèbres et répand autour d'elle
l'infection d'un cadavre; car elle est morte devant Dieu, morte et
corrompue comme les cadavres des tombeaux; morte, non pas
sans
telle -
doute à la vie de la nature -
dans cet ordre elle est immor-
mais à la vie plus haute et incomparablement plus pré-
cieuse de la grâce.
En perdant la grâce, le pécheur a tout perdu : l'amitié de Dieu,
le droit à l'héritage éternel, les mérites précédemment acquis, et
jusqu'à la possibilité d'en acquérir de nouveaux, tant qu'il n'aura
pas recouvré la divine charité. Tout a péri, tout a sombré dans le
naufrage.
(1) « Ne dixeris : Peccavi, et quid mihi accidit triste ? » Eccli., v, i.
(2) « Egressus est a fîlia Sion omnis décor ejus. » Thren., i, 6.
(3) « Christi bonus odor sumus Deo. » 77 Cor., n, 15.
524 EEVDE THOMISTE
(1) « Deus, cui proprium est misereri semper, et parcere. » Ex Brcviar. Ord. Proed.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 525
III
(1) « Et hase quidem fuistis : sed abluti estis, sed sanctificati estis, sed justificati estis,
in nomine Domini nostri Jesu Christi, et in Spiritu Dei nostri. » I. Cor., vi, 11.
(2) « Lavabis me, et super nivem dealbabor. » Ps., L, 9.
ut coccinum, quasi nix dealbabuntur. » Is., i, 18.
-« Si fuerint peccata vestra
que par les bonnes qualités et les perfections que l'on a remar-
quées dans l'objet aimé; plus tard, il pourra se traduire par des
bienfaits, mais dans le principe, il est causé par le bien préexis-
tant. « L'amour de Dieu, au contraire, crée et verse dans les
choses le bien qui les lui rend aimables : » Amor Dei est infundens
et creans bonitatem in rébus (1). Et suivant la nature du bien con-
féré, on distingue en Dieu un double amour : l'un commun et
général, s'étendant à tout ce qui existe et ayant pour effet l'être
nature] des choses ; l'autre spécial et d'un ordre plus sublime, par
lequel Dieu élève la créature raisonnable au-dessus de sa condi-
tion naturelle et l'appelle à la participation de sa propre félicité.
C'est ce dernier genre de dilection qui est en cause quand on
affirme simplement de quelqu'un qu'il est aimé de Dieu, parce
qu'alors Dieu lui veut le bien souverain et éternel qui est lui-
même. Lors donc qu'on dit d'un homme qu'il a la grâce et l'ami-
tié de Dieu, le mot grâce n'indique point ici un simple sentiment
de bienveillance, une faveur extrinsèque provoquée par le bien qui
se trouve en lui, mais il désigne un don surnaturel, provenant de
Dieu, et transformant d'une façon merveillleuse celui qui le reçoit
et qui devient parla l'objet des divines complaisances (2).
C'est quelque chose d'ineffable que le changement opéré dans
l'âme par la grâce. Le. péché lui avait donné la mort, la grâce lui
rend la vie. Le péché avait fait d'elle une criminelle, une esclave
de Satan, un sarment destiné au feu ; la grâce lui confère, avec la
justice et la sainteté, le titre d'enfant de Dieu et le droit à l'héri-
tage éternel. Le péché l'avait enlaidie, souillée, enténébrée; avec
(1)8. Tn.,I, q. xx, a. 2.
(2) « Quantum ad primum (sumendo scilioct gratiam pro dileclione) est diflerentia
attendenda circa gratiam Dei et gratiam hominis : quia enim bonum creatura) provenit
ex volunlate divina, ideo ex dileclione Dei, qua vult créatures bonum, profluit aliquod
bonum in creatura. Voluntas autem hominis movetur ex bono praexistente in rébus ; et
inde est quod dilectio hominis non causât totaliter rei bonitatem, sed proesupponit ipsam
vel in parte vel in toto. Patet igitur quod quamlibet Dei dilectionem sequitur aliquod
bonum in creatura causatum quandoque, non tamen dilectioni oelernas cosBlernum. Et
secundum hujusmodi boni différaitiam differens consideratur dilectio Dei ad creaturam :
una quidem communis, secundum quam diligit omnia quoe sunt, ul dicitur Sap. xi, 25, se-
cundum quam esse naturale rébus creatis largitur ; alia autem dilectio est specialis,
secundum quam trahit creaturam rationalem supra conditionem naturso ad participa-
tionem divini boni ; et secundum liane dilectionem dicitur aliquem diligere simpiiciter,
quia secundum hanc dilectionem vult Deus simpiiciter creaturée bonum coternum, quod
est ipse. Sic igitur per hoc quod dicitur homo gratiam Dei habere, significatur quiddam
supernaturale in homme a Deo proveniens. » S. Th., I» IIa0, q. ex, a. 1.
la grâce elle est belle, elle est pure, elle est lumineuse. Oh ! s'il
nous était donné de pouvoir contempler une âme en état de grâce !
IY
(1) Gen., m, S.
532 REVUE THOMISTE
nérateur que le baptême dépose dans nos âmes et qui fait de nous
des êtres déiformes ? En quoi consiste ce principe radical de vie
surnaturelle qu'un sacrement nous communique et que d'autres
signes sacrés sont destinés à entretenir, à développer et à ressus-
citer si nous avons le malheur de le perdre ? Et puisque ce don
précieux, cause formelle de notre justification et de notre déifi-
cation, n'est autre que la grâce sanctifiante, qu'est-ce que la grâce
qui nous sanctifie ?
Notre Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ daigna s'en expli-
quer lui-même un jour en faveur d'une pécheresse qu'il voulait
convertir. Nous avons nommé la Samaritaine. Seulement, au lieu
(1) «Induite novum hominem, qui secundum Deum creatus est in justitia et sanctitate
veritatis. » JTphes., IV, 24.
(2) « Qui non ex sanguinihus, neque ex voluntate camis, neque ex voluntate viri, sed
ex Deo nati sunt. » Joan. i, 13.
(3) Jac, i, 18.
(i) I.Petr., i, 23.
(5) o Nisi quis renatus fuerit ex aquaet Spiritu saneto, non potest introire in regnum
Bei. Quod natum est ex came, caro est, et quod natum est ex Spiritu, spiritus est. »
Joan., m, 5-6.
(6) «Nisi in Ghristo renascerentur (homines), nunquam justificarentur ; cumearenas-
centia per merifum passionis ejus gratia, qua justi fiunt, illis tribuatur. » Trid., sess.
vi, cap. 3.
536 REVUE THOMISTE
(1) « Si scires donum Dei, et quis est qui dicit tibi : da mihi bibere ; tu forsitan petisses
ab eo, et dedisset tibi aquam vivara. » Joan., iv. 10.
(2)1. Cor., iv, 7.
aimée, il n'y a point de tache en vous (1). » L'eau tempère la cha-
leur, elle rafraîchit l'atmosphère qu'un soleil brûlant avait con-
vertie en fournaise, elle soulage nos membres fatigués : symbole
de la grâce, celle rosée céleste qui amortit l'ardeur des passions et
diminue peu à peu, sans toutefois parvenir à l'éteindre complète-
ment ici-bas, la fièvre de la concupiscence. L'eau désaltère et calme
la soif: image de la grâce, qui étanche la soif inextinguible du
coeur humain. Créé pour le bonheur, l'homme y tend sans cesse
avec une avidité insatiable, et il n'est rien qu'il ne mette en oeuvre
parvenir. Mais trop souvent, hélas ! il cherche le bonheur
pour y
dans les biens terrestres et périssables, dans les jouissances sen-
sibles, qui ne font qu'irriter sa soif, au lieu do l'apaiser. C'est ce
que Notre-Seigneur voulait donner à entendre à la Samaritaine
quand, lui montrant l'eau matérielle, figure des biens fugitifs de
ce monde, il lui disait : « Quiconque boit de cette eau aura encore
<v
soif; mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura
« plus jamais soif (2). » <
Mais que signifie cette expression d'eau vive, aquam vivam (3),j
employée par le Sauveur pour désigner la grâce ?
On donne ordinairement, dit saint Augustin, le nom d'eau vive,
par opposition à l'eau stagnante des citernes ou des marais, à
celle qui jaillit de terre, qui coule, qui se meut, tout en demeurant
en communication avec sa source, et qui offre ainsi l'apparence de
la vie. Si cette eau, quoique provenant d'une fontaine, est
recueillie dans un réservoir, si son cours est interrompu, si elle
est séparée de sa source, elle ne peut plus porter le nom d'eau
vive (4). Or, quelle est la source de la grâce sinon l'Esprit-Sainl ?
Si donc elle est appelée une eau vive, c'est, suivant la réflexion de
saint Thomas, parce qu'elle ne se sépare pas de son principe, c'est-
(1) « Tota pulchra es, arnica, mea, et macula non est in te. » Gant., iv, 7.
(2) iOmnis qui bibit ex aqua hac, sitiet iterum : qui autera biberit ex aqua quam
ego riabo ei, non sitiet in aeternum. » Joan., jv, 13.
(3) Joan., iv, 10.
(4) « Viva aqua dicitur vuigo illa quoe de fonte exit. Illa enim quoe colligiturde pluvia
in lacunas aut cisternas, aqua viva non dicitur. Et si de fonte manaverit, et in loco alïquo
collecta steterit, nec ad se illud unde manabat admiserit, sed interrupto meatu, lanquam
a fontis transite separata fueril; non dicitur aqua viva : sed illa aqua viva dicitur, qurc
manans excipitur. » S. Ane, In Joan , tract, xv, n. 12.
538 REVUE THOMISTE
(1) « Hujusmodi autem fiumina (de quibus mentio fit in Joanne vu, 38) sunl aqurc
vivoe, quia sunt continuât!» suo principio, scilicet Spiritui sancto inhabitanti. » S. Th.,
In Joan., vu, lect. 5.
(2) « Aqua, quam ego dabo ei, fiet in eo fons aquse salientis in vitam selernam. >>
VI
(1) « Donum gratioe excedit omnem facultatem naturte creatso, cum nihil aliud sit
quam quoedam participatif) nalurae divinoe, quoe excedit omnem aliam naturam ». S. Th.,
-
IaIIa0, q. cxn, a. 1. Ilinc prop. 21 damnala in Baio : « Humanao natui'tc sublimatio
et exaltatio in consortium divin» naturoe débita fuit integritati prima? conditionis, el
proinde naturalis dicenda est, et non supernaturalis. »
(2) « Non est conveniens quod Deus minus provideat lus quos diligit ad supernaturale
bonum habendum, quam creaturis quas diligit ad bonum naturaie habendum. Creaturis
autem naturalibus sic providet, ut non solum moveat eas ad actus naturales, sed etiam
Mais, bien que la grâce joue dans l'ordre surnaturel le rôle de
l'âme dans celui de la nature, bien qu'elle soit un principe de vie,
une semence divine (1), suivant l'expression de saint Jean, la-
quelle demeure en nous pour nous préserver du péché et nous
faire porter des fruits de sanctification et de salut; ce serait se
tromper que de la considérer comme un être subsistant en lui-
même, une sorte de substance ou du moins d'élément substantiel
que Dieu surajouterait à notre âme. Car, suivant la remarque de
sainL Thomas, la substance d'un être se confond avec sa nature (2).
Or la grâce est quelque chose d'essentiellement supérieur non
seulement à la nature humaine, mais à toute nature créée ou
oréable. Elle ne saurait donc être ni une substance, ni une forme
substantielle (3). Resle qu'elle soit un accident surnaturel, une
forme non snbsislante (4), une qualité d'ordre divin inhérente à
notre âme, suivant la notion que nous en donne le catéchisme du
concile de Trente, une sorte de lumière, de splendeur, comme un
reflet de la beauté de Dieu tombant sur les âmes et les rendant
toutes belles el toutes resplendissantes (y). De là cette parole de
saint Thomas : « Ce qui est en Dieu substantiellement existe sous
forme d'accident dans l'âme qui participe à la bonté divine : M
quod aubsta/ntialiter est in Deo, accidentu.liter fit in anima partici-
jiante divinam bonitatem (6).» C'était exprimer en d'autres termes ce
qu'avait déjà dit le chef du collège apostolique, quand il appelait
la grâce une participation de la nature divine (7).
largiatur eis formas et virtul.es quasdam, quae sunt principia actuum, ut secundum
seipsas inclinontur ad hujusmodi motus ; et sic motus quibus a Dco moventur, fîunt
creaturis connaturales et faciles, secundum illud Sap. vin, I : Et disponit omnia suaviter.
Multo igitur magis illis quos movet ad consequendum bonum supcrnaturale eeternum,
infundit aliquas formas, seu qualitates supernaturales, secundum quas suaviter et
prompte ab ipso moveantur ad bonum oetermim consequendum ; et sic donum gratioe
qualitas quaedam est. » S. Tn., I" II"0, q. ex, a. 2.
(1) Jean., I m, q.
(2) « Omnis substantia vel est ipsa natura rei, cujus est substantia, vel est pars na-
turre; secundum quem modum materia vel forma substantia dicitur. » Ibid., ad 2.
(,'î) « Et quia gralia est supra naturam humanam, non potest esse quod sit substantia
aut forma substanlialis; sed est forma acciclentalis ipsius animoe. » Ibld.
(4) u Gratia est forma accidentalis, animam vere informans. » S. Th., I, q. xlv, a. 4.
...
(5) « Gralia est qualitas divina in anima inhoerens, veluti splendor quidam et lux,
quaj animas puIcUrioros et splendidiores reddit. ?» Catech. Rom., part. 2, cap. 2, n. 50.
(G) S. Th., I» II'% q. ex, a. 2, ad 2.
(7) « Maxima et pretiosa nobis promissa donavit, ut per \ioec efficiamini clivincc con-
sortes natura!. » //. Pelr., i, ï.
5-Ï2 REVUE THOMISTE
«
«
disciples.
même les
» -
âmes
« Par là
humaines,
Dieu
en
transforme
imprimant,
en quelque sorte en
en gravant en elles
lui-
(1) « Falsum est discipulos non posse esse unum cum Deo, nisi voluntatis concordia.
Nam supra illa, est unitas illorum cum Deo per quandam .Deitatis conformitatem, quac
participations divinitatis eis communicata, in Deum (ut ita dixerim) transeunt atque
transferuntur, servata suoe naturas veritale : periude atque ferrum ignitum et caudens,
per ignis comraunionem fit igniforme, videturque, sublata ferri substantia, omnino esse
ignis. Et hujusmodi unione, petit Dominus noster discipulos esse unum in Deo, ut
scilicet ei inserantur et intime conjungantur, per Deitatis in se susceptionem atque
participationem. » « Unio cum Deo non aliter in quoquam esse potest quam per spiritus
sancti participationem, propriam, nobis sanctificationem inserentis... Ideirco transfor-
mans in seipsum quodammodo hominum animas, divinam eis similitudinem imprimit,
et supremas omnium substantias effigiem insculpit. » S. Cyril. Alex., in Joan., lib. xi.
544 REVUE THOMISTE
.
VII
(1) Art. 1.
rement de la matière dans l'exercice de son activité est une grave
défectuosité; de même, si c'est le privilège fort appréciable de
l'ôtre raisonnable de pouvoir atteindre la vérité, par contre, n'y
arriver que par de longs circuits, à l'aide de déductions pénibles et
multipliées, est un signe d'imperfection. Aussi l'ange, plus par-
fait que nous, ne raisonne pas, il voit, il lit dans le principe toutes
les conclusions qui y sont contenues. Ainsi en est-il, à plus forte
raison, de Dieu.
Les perfections de cette seconde catégorie, appelées mixtes par
les philosophes, ne sauraient exister formellement en Dieu, c'est-
à-dire suivant leur raison spécifique, mais seulement d'une façon
plus éminente. Ainsi la raison n'existe pas en Dieu comme faculté
discursive, elle ne s'y rencontre qu'à l'état plus parfait
de pure intelligence. Quant aux perfections proprement et stricte-
ment dites, rien ne s'oppose à ce qu'elles soient formellement en
Dieu. Or la grâce est de ce nombre, car elle n'implique aucune
imperfection : nullam in sut ratione imperfectionem importât (4).
Donc la grâce est une participation d'une perfection qui se trouve 1
(1) « Non potest aliquis habere spiritualem operationem, nisi prias esse spirituale
acoipiat; sicut nec operationem alicujus naturoe nisi piïus habeat esse in natura illa. »
S. Th., De Verit., q. xxvi, a. 2.
(2) « Ipsam essontiam anima? in quoddam divinum esse elevaus, ut idoaea sit ad
divinas operationcs. » S. Th., II. Sent., dist. xxvi, q. i, a. 5.
(3) S. Cïhill., lib. II, in cap. n, Isaiaî.
' (4) S. Tu., II' IIae, q. xxiv, a. 3. ad. 2
(5) Rom., vr, 23.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 547
VIII
Nos lecteurs ont appris par la presse des différents pays les principales
phases du IVe Congrès scientifique international des catholiques tenu à
Fribourg pendant le mois d'août. Il a dépasse, semble-t-il, les esjîérances
qu'on en avait conçues, du moins en ce qui concerne le nombre des adhé-
rents qui a pu atteindre le chiffre de trois mille et au delà : adhérente
honoraires, si l'on peut ainsi parler, mais dont 680 sont venus prendre une
part active à ces savantes assises. Disons tout de suite que, pour notre part,
nous avons regretté l'absence forcée de plusieurs sommités du monde
catholique. Evidemment on ne peut ici donner le compte rendu des dix
sections scientifiques du Congrès : c'est là le but d'une jaublication offi-
cielle où nos lecteurs pourront non seulement compléter par la lecture
des travaux imprimés leurs renseignements, mais suppléer à ce que ces
notes un peu rapides ont nécessairement d'inachevé ou à ce qu'elles
peuvent même contenir d'inexact : elles n'ont de prétention que
celle d'être rédigées avec sincérité et on les présente très disposé
d'avance à réparer toute blessure involontairement faite à la vérité ou
à la justice. Au surplus ce carnet de notes ne peul-il être qu'un pal-
marès de distribution des prix. Il suffira donc d'apporter à nos lecteurs
un écho de la IIIe section, celle des sciences philosophiques, où, de 51 tra-
vaux annoncés, plus de 20 ont été lus au cours des séances. Faut-il dire
que beaucoup ont été discutés, et quelques-uns même assez vivement? II
est telle après-midi où le public a manifesté une véritable effervescence
et,en goût de joutes d'idées, ne s'est pas fait scrupule de résister à l'hono-
rable président qui, invoquant les statuts, voulait que le combat finît, faute
de temps : il est vrai qu'en pays démocratique, les catholiques étrangers
?'i la Suisse ont voulu s'offrir tour à tour le luxe d'un référendum
et du
-
droit d'initiative en petit. Ajoutons toutefois qu'il faut regretter, malgré
d'incontestables bonnes volontés, une certaine prodigalité dans l'emploi
552 REVUE THOMISTE
-
Mgr dTïuîst - sa mémoire n'a cessé de planer sur notre dernier congrès
et le R. P. Poulain firent successivement de très brillants assauts
d'armes : celui-ci, avec beaucoup de compétence en chimie sur les archi-
tectures d'atomes et l'équilibre des forces des combinants, par où se rui-
nait la distinction vieillotte du rémanent virtute ; celui-là avec beaucoup
d'esprit, puisqu'à l'en croire, Ja matière et la forme devaient désormais
être reléguées au musée des curiosités enfantines de la pensée humaine,
en conrpagnie du mouvement j>erpétuel, et de la quadrature du cercle.
L'hylémorphisme répugnait en ce temps-là à la science, à ses hypothèses
le mot de Mgr d'Hulsl fut relevé prestement et le coup paré
- -
ou à ses
quasi-certitudes placées sous le patronage autorisé du R. P. Poulain. Le
R. P. de Munnynck a repris le procès : on avait proclamé la répugnance,
l'antipathie entre l'hylémorj)hisme et l'atomismc ; que dire s'il y avait com-
patibilité, si bonne entente était possible ? Notre jeune confrère a tenté cet
accord ou mieux, sans vouloir reprendre les preuves métaphysiques de
l'hyléniorphisme, il a cherché à combler des lacunes, à redresser des
inexactitudes préjudiciables au tenace système, et dont la seule présence,
dans les manuels scolastiques ou autres livres, autorisait pour ainsi dire
les hommes de vraie science à le disqualifier. II est indispensable, a-t-il
dit, d'asseoir sur des bases expérimentales sérieuses un système philoso-
phique qui prétend expliquer la nature intime des substances corporelles.
Il est donc d'une souveraine importance de soumettre à un examen minu-
tieux les faits observés par les chimistes pour choisir, en connaissance
de cause, un système sur la constitution des corjîs. Or certaines propriétés
de quelques corps ne s'expliquent nullement dans la théorie atomique :
cette affirmation résulte de l'examen comparatif du butane normal C4 H10,
de l'acétone méthyl-éthylique, et du diacétyle; de la comparaison entre
les deux atomes de chlore de l'oxyde de méthyl-élhyle bichloré bÏ23rimaire,
du caractère acide de CH2 Br OH, etc. D'où : 1" il faut admettre l'unité
substantielle et individuelle, non seulement dans les molécules composées,
2° mais encore dans les molécules simples ^polyatomiques : les faits qui
l'établissent pour les premières, s'appliquent de tout point aux secondes.
3° Cependant l'unité substantielle n'implique pas l'unification complète,
l'homogénéité, soit dans les propriétés soit dans les distinctions quantita-
tives. Des faits dûment expérimentés nous obligent à admettre, dans les
0S6 REVUE THOMISTE
molécules, une distinction analogue à celle qu'on tient entre les différents
membres du corps humain, distinction secondaire qui ne s'oppose en
aucune façon à l'unité substantielle de l'individu humain. Le R. P. de
Munnynck insiste sur la nécessité d'accorder l'unité substantielle et indi-
viduelle, même à la molécule simple polyatomique, à l'atome non pas, et
contre la thèse du professeur Nys de Louvain, il serre de près la définition
de l'individu, utilise la loi d'Avogadro comme celle des chaleurs spéci-
fiques, et résout l'objection qu'on peut tirer de la décomposition de l'acide
chlorhydrique où il semblerait que l'hydrogène ne pût renaître qu'à l'état
d'atome. Signalons aussi la brillante manière dont l'auteur a dégagé, cla-
rifié la notion scolastique de la permanence virtuelle appliquée à l'atome
dans la molécule. Entendre par cette virtualité que les atomes ne sont plus
aucunement distincts dans la molécule, mais qu'ils le seront si la forme
substantielle disparaît, c'est là une solution inadmissible. Qu'ils ne soient
plus essentiellement distincts, le P. de Munnynck l'accorde ; mais il nie
qu'à côté de l'union substantielle, il n'y ait pas des distinctions acciden-
telles, la quantitative par exemple, dont les atomes sont affectés. Cette
explication, doublée d'une subtile exégèse d'un texte de saint Thomas
d'Aquin(l), est véritablement originale : elle nous débarrasse une fois pour
toutes du vague odieux d'un terme scolastique, et il faut féliciter le R. P.
de Munnynck de l'art qu'il possède d'ouvrir les mots. Dira-l-on encore
que les tenants de l'hylémorphisme - je parle de. ceux qui se rallient au
jeune professeur de Louvain .-- contestent « aux savants les résultats una-
nimement admis » ? Nous pensons que cette fois il y a progrès : et nous
aimons à le dire, c'est Yesprit des grands j>enseurs du xmc siècle qui en
est le secret principe. Il est passé de mode de chicaner toujours la science
contemporaine, on fait mieux en l'interprétant, et c'est une bonne poli-
tique en môme temps qu'une bonne fortune d'agréer pour le compte de la
philosophie la dot de vérités qu'elle apporte avec soi. Le succès du R. P.
de Munnynck n'a pas empêché les difficultés, ni les objections, ni les
demandes d'éclaircissement. De la part du R. P. Serlillanges, des Frères
Prêcheurs, l'attaque a porté sur les transformations substantielles : les
chimistes les entendent-ils comme les philosophes ; et les démonstrations
de l'auteur, valables aux yeux des premiers, trouveraient-elles les seconds
aussi dociles ? Substantiel et accidentel sont des termes relatifs, en science.
Or, au point de vue envisagé ici, le mot substantiel se rapporte à la pre-
mière division de l'être et revêt un caractère absolu. Cela étant, les
remarques du rapporteur sont-elles suffisantes pour imposer la notion de
transformations substantielles?- On en peut douter. - L'auteur répond
(1) I. q. 76, a. 4 ad 4.
LA VIE SCIENTIFIQUE 557
qu'il n'entrait pas dans son intention de porter le débat sur ce j>oint, et
qu'il lui suffit d'avoir établi celle proposition : s'il y a des transformations
substantielles, il faut en voir dans les cas indiques.
Le problème cosmologique est à l'ordre du jour, et l'étude de M. Miellé
sur « la matière première et l'étendue » lui apporte de nouveaux dévelop-
pements. Quelle est la relation du premier substrat matériel el delà quan-
tité ? On répond : Tilciienci prima est tûUu, rudix quu/tililuîùi. i_<'est là le
sclième commenté par le savant professeur du séminaire de Langres. Il
prend position très franchement entre ceux des philosophes du moyen
âge qui ont exagéré la connexion indiquée, nominalistes ou averroïstes,
et ceux qui l'ont amoindrie jusqu'à l'exténuer peut-être, comme Scot et
d'autres seolasliques postérieurs à Suarez : cette situation intermédiaire
est celle de saint Thomas, etprend pour base la doctrine du principe d'indi-
viduation. La matière reçoit la forme, mais elle la resserre, la contracte, la
fait incommunicable : on doit trouver là l'origine rationnelle de l'étendue,
car, si une nature spécifique est apte à exister en plusieurs sujets-indivi-
dus, c'est qu'elle est, de soi, communicable, et comme après l'immersion
de la forme se fait l'incommunicabilité, et logiquement la division
ou la
pluralité ou bien la divisibilité qui caractérise l'étendue, si la matière pre-
mière est le principe d'individuation, elle est aussi la raison de l'étendue.
Nulle opposition n'est faite aux conclusions de l'auteur
peut-être - - il en viendra
et M. le professeur Kaufmann, de Lucerne, donne aussitôt
lecture de sa dissertation sur le « Monisme » (1) : on trouvera
y une cri-
tique de la méthode suivie dans ce sj^stème réductible au panthéisme
matérialiste. Si Dieu et le monde sont identiques et unifiés, si Dieu
est immanent à la matière pour la mouvoir et être l'âme du monde, le
monisme, qu'est-ce autre chose qu'un panthéisme codifié? Pour les
monistes, cette conception du monde est un postulat de la raison, et
une
donnée scientifique fournie par l'induction des faits. M. Kaufmann,
pour
montrer qu'un certain dogmatisme joue un grand rôle dans le système
- puisqu'il repose sur une certaine foi à d'indémontrables hypothèses
matérialistes, et sur les déductions qu'on en tire
.- prend ses sources dans
le livre de Haeckel : « le Monisme, accord entre la Religion la Science
et »,
et dans celui du professeur Forel, de Zurich : « Cerveau el Ame ». Après
quelques notions historiques, l'auteur, relativement à la doctrine du
monisme, institue une méthode de critique. Pour conclure il revient à
l'étude des faits dûment constatés, et d'une/lfiahière apologétique, il s'ap-
plique à signaler le confirmatur qu'ils donnent
aux doctrines théistes et
chrétiennes, au détriment du monisme. On applaudit le
savant professeur
du lycée de Lucerne : ce n'est pas pour déplaire à ses amis les thomistes
du Congrès.
Après les études de cosmologie, le programme annonce des questions
psychologiques. Nous ne saurions dire pourquoi il y a si peu de produc-
tions dans cette partie : serait-ce que, parmi les catholiques, on se lasse de
faire des conciliations hâtives avec les conclusions trop changeantes de
la psycho-physiologie, ou bien que ce qui est dans l'air le porte davantage
vers la métaphysique, la météorologie et l'apologétique ? La liste des tra-
vaux présentés au Congrès avait pourtant annoncé j>lusieurs sujets inté-
ressants : beaucoujj de participants ont regretté les motifs divers qui ont
enrpêché nos psychologues les plus réputés de satisfaire leur curiosité et
leur attente. Ils en ont écouté avec d'autant plus d'intérêt le R. P. Peillaube
sur « la Conscience des sensations », dont nous reproduisons les conclu-
sions aussi fidèlement que possible. Le sens prend une certaine cons-
cience de son acte dans l'expérience de son activité. Il est incapable de se
réfléchir sur son acte, et de le percevoir comme objet de connaissance, par
un acte nouveau distinct. La conscience sensible est un sens distinct des
sens propres en tant que pouvoir de saisir et de comparer les sensations.
Et enfin, la conscience des sensations est une faculté dont l'organe prin-
cipal situé dans le cerveau est étendu et différencié. Aucune discussion :
quiconque a ouï ainsi parler le jeune professeur de l'Institut catholique de
Paris, supposé l'initiation aux doctrines psychologiques d'Arislotc et de
saint Thomas d'Aquin, n'a pu qu'approuver cette interprétation philoso-
phique du « sensorium commune » : elle n'est peut-être pas nouvelle, sauf
au point de vue physiologique, mais elle est « neuve ». N'oublions pas
que le psychologue explorateur qu'est le R. P. Peillaube a voulu établir
ses conclusions « dans l'état actuel de la science » : notre remarque n'est
pas qu'une banale formule.
Voici, dans une autre manière, « le concept thomiste de l'instinct des
animaux » j>ar le R. P. de Langen-Wendels, des Frères prêcheurs. Com-
munication intéressante à des points de vue divers. On a là tout ensemble
un travail d'érudition thomiste et albertine, d'analyse si l'on entend par ce
mot le développement d'une idée primordiale sur la nature de l'animal, et
de synthèse si l'on y voit l'application d'un principe simple à la multiple
variabilité des faits. L'auteur a répondu au voeu autrefois émis par
Mgr d'Hulst de voir produire une étude approfondie de l'instinct, afin d'en
manifester lanature et les limites. Les lecteurs du compte rendu officiel vou-
-
tifiques !
-
dront bien à quelles équivoques ne prêtent pas les formules même scien-
se placer au point de vue de l'auteur : sa méthode n'est pas
a posteriori, d'après les faits.- qu'on ne se récrie pas - mais a priori,
et, sans déprécier l'autre, nous la croyons bonne, n'eût-elle d'autre résultat
LA VIE SCIENTIFIQUE 539
f\ tombent si rapides, si perlées, qu'il faut une attention prodigieuse pour les
recueillir et apprécier leur valeur. En quoi consiste l'abstraction intellec-
tuelle? L'intellect, se fondant sur ce qu'il reçoit des sens, remonte de
l'accident un sujet substantiel, de la propriété transitoire, passante, à l'es-
sence, de l'opération à la nature, des phénomènes à leurs causes, du tem-
porel à l'éternel, du contingent au nécessaire, du fini à l'infini, bref de ce
Preuves 1° Nulle
: connaissance humaine n'est indépendante de la sen-
sation : donc tous les objets connaissables se manifestent à l'intellect par
la sensation ; c'est pourquoi ils doivent être triés, séparés de la sensation
et des conditions sensibles. 2° Tout ce qui existe est individuel; indivi-
duels, par conséquent, les éléments constitutifs de chaque chose et en
définitive, nul besoin pour l'intellect de les dépouiller des principes d'indivi-
duation. Aussi l'intelligence humaine est-elle à la fois possible et active.
Si nous avons bien compris l'éminent prélat, toute sa thèse, où il veut
apporter une modification aux doctrines scolastiques,revient à ces deux chefs
d'idées : l'essence singulière des choses est intelligible par elle-même,
car l'auteur n'admet pas le principe d'individuation des thomistes ; l'uni-
versel n'est que le possible en Dieu, point réel, d'où suit la suppression
radicale de l'intellect agent : l'auteur en conserve bien le nom et l'étiquette,
mais non la réalité. M. Marzocco demande à l'auleur jDourquoi il n'a pas
fait mention du procédé intellectuel tel que l'entendent les philosophes
écossais. Un autre congressiste qui ne veut pas être nommé veut s'assu-
rer de la doctrine de Mgr Kiss sur l'intellect agent : connaîL-il ? (L'auteur
avait dit : intuetur: examinât). S'identifie-l-il avec l'intellect possible? Or
cela ne peut être. Une faculté unique ne peut être dans deux genres divers :
y a-t-il pour les puissances une distinction plus large que celle qui les
;place dans des genres opposés, irréductibles, bien avant la distinction
spécifique? Etre actif, au sens thomiste, c'est-à-dire modifier et en quel-
que sorte faire son objet, est-ce conciliable avec la passivité qui suppose
l'objet tout fait et en subit une modification? Mgr Kiss réj>ond qu'il
n'admet pas deux intellects dans l'homme : un même intellect est « pos-
sible » en tant qu'imparfait et agent en tant qu'il regarde, qu'il perçoit la
substance sous l'accident, le nécessaire sous le contingent, etc.. D'ail-
leurs il n'est pas impossible qu'une faculté appartienne à deux genres de
puissances, les sens externes par exemple. Celte réponse appelait une
instance qui n'a pas été faite : agissant et actif n'ont pas la même signifi-
cation. Jamais saint Thomas n'a nié que les puissances j>assives telles que
les sens, puissent agir et opérer. Mais cette réaction vitale ne les fait
LA VIE SCIENTIFIQUE 561
point passer dans le genre des (acuités actives (1). Le R. P. Léo Michel,
S. .T., professeur de philosophie à l'Université de Fribourg, engage avec
son compatriote Mgr Kiss une subtile discussion sur deux sortes
d'abstractions qu'il faut se garder de confondre : faute de temps, elle n'a-
boutit pas, et c'est partie remise. Nous espérons bien que la Revue Tho-
miste y reviendra : l'escrime est attirante avec un adversaire tel que
Mgr Kiss.
M. le Dr Schiitz, professeur à Trêves, présente son étude : Sur le mo-
ment où l'âme humaine entre dans son corps, et la vraie doctrine de saint
Thomas à ce sujet. Question toujours reprise, jamais définitivement résolue.
Est-ce bien la vraie doctrine de saint Thomas qu'a exposée le Dr Schiitz?
Ce n'a pas été l'avis du R. P. Michel (2).
Quoi qu'il en soit, il esl bien difficile d'avoir une opinion de préférence
sur des motifs sérieux : le sujet esl d'ailleurs d'une importance secondaire.
M. le président a donné la parole au R. P. de la Barre, de la Compagnie
de Jésus, professeur de dogmatique à l'Institut calholique de Paris,
licencié es sciences. L'orateur se conquiert les sympathie comme il gagne
les intelligences, par la lecture de son mémoire intitulé : « Points de
départs scientifiques et connexions logiques en physique et en métaphy-
sique. » Nous voilà montés beaucoup plus haut que la vulgarisation, et,
pour comprendre l'auteur, il faut n'être cantonné ni dans la métaphysique,
ni dans la science positive : nul n'entre ici s'il n'est physicien et philo-
sophe. A-t-on cette double compétence, on saisira la portée des conclu-
sions suivantes : 1° lorsqu'on transforme la simple connaissance physique
en connaissance mathématique, on passe par voie d'analogie d'une caté-
gorie à une autre catégorie, d'une certitude à une autre certitude, ou plus
exactement, on recourt à un procédé mixte où coexistent, pour ainsi dire,
les certitudes et les objets formels divers. Lorsqu'on opère ce passage en
partant de certaines lois physiques très simples, familières à l'observation
vulgaire, on passe d'une connaissance vulgaire
commun - - donnée de sens
à un mode de connaissance scientifique plus parfait quant à la
précision, moins parfait en tant qu'il n'est pas « immédiat », mais «. ana-
logique ». 2° De même, lorsque partant de la simple connaissance méta-
physique, c'est-à-dire de conceptions très générales très peu compréhen-
sives et très extensives, on passe par voie d'analogie aux concepts caté-
goriques des sciences spéciales, on transpose les notions communes par
voie d'analogie. Seulement le passage ne se fait plus de catégorie à caté-
gorie, il se fait de l'être commun à l'être limité. De même, encore, ce pas-
(1) Voir Q. Disput. de Verit., q. xxvi, de passionibus, art. 3. ad 4.
(2) « Ueber den Zeitpunkt in Welchom die menschliche Seele in ihren Korper eintritt,
und die Walire Lehre des hl. Thomas darùber. »
562 RKVUE THOMISTE
-
enfermé l'analyse. A la fin de cette séance, c'est le président du bureau,
M. le comte Domet de Vorges, qui fait part aux congressistes de ce qu'il
pense sur Les certitudes de l'expérience. La certitude expérimentale et la
réalité du monde extérieur est une vérité primitive : de fait personne n'y
échappe. Mais la certitude des sens est discutable, à cause de leurs mé-
prises. Pourquoi la première certitude est-elle inébranlable, alors que les
sensations sont plus ou moins l'objet de contestations ? M. Cornet de
Vorges en apporte pour raison qu'il est un acte intellectuel soudé à la
sensation, par où se révèlent au moins les éléments génériques de la subs-
tance corporelle, pendant que les sens saisissent les accidents. L'auteur
développe sa manière de voir sur la fonction de l'intelligence ; elle avoi-
sine celle de Mgr Kiss. Par essence l'intellect est le pouvoir de saisir
l'être intime des choses, mais il n'agit que déterminé par un caractère
précis emprunté aux données sensibles. C'est encore lui qui rend l'intel-
-
ligible actuel en cela M. D. de V. sous-entend l'intellect agent -
trouvant ainsi assimilé à l'objet connaissable, il exerce son acte propre.
et,se
sique - -
logique même sans entrer dans les réfutations tirées de la métaphy-
que le R. P. M. lui fait son procès. Spinoza veut bâtir l'édifice
philosophique par la seule méthode mathématique : et de fait, avec ce fil
d'archal, on devient sensible aux moindres nuances de sa pensée. En eifet.
Spinoza, procurant des démonstrations par la cause formelle, doit négli-
ger la cause efficiente et la cause finale, car, en mathématiques, ces causes
ont-elles jamais eu cours ? El par voie de conséquence, comme la cause
formelle ne laisse aucun jeu à la contingence ni à la liberté, il suit que le
fatalisme et le panthéisme doivent imprégner tout le système de Spinoza
et le vicier. Le malheur est qu'une pétition de principe commande toute-
cette création philosophique : il incombait au penseur Israélite de faire la
preuve, impossible d'ailleurs, que sa méthode était légitime. Et, comme dit
Aristote, « invoquer tacitement un principe dès le début, comme s'il était
démontré, c'est commettre un sophisme ».-Beau succès pour le R. P. Mi-
chel. Pour nous reposer des questions abstraites, voici l'oeuvre de M. le
Dr Baeumker, professeur à l'Université de Breslau : « Dominions Gundis-
salvus traducteuret philosophe » (2), qui paraîtra également en article dans
la Revue Thomiste. Recherche fort curieuse et très documentée sur un
point d'histoire demeuré obscur. Cette lecture est suivie d'une autre sur
« la manière d'être de Dieu d'après saint Thomas d'Aquin (3) », de M. le
Dr von Sclimid, professeur à l'Université de Munich. Lucide commentaire
de la doctrine du théologien angélique. Comment Dieu est-il dans les
choses, comment les choses sont-elles en Dieu ? Idées, style, diction,
tout a été pour charmer les étrangers même : ils auraient volontiers lon-
guement savouré leur bien-être s'il n'avait fallu passer. Pour clore
la séance, une communication du P. Magnus : 0. Cap. « Esthétique ci
éthique » (4), titre peu harmonieux d'une étude qui a néanmoins eu le mé-
rite d'être assez instamment discutée par le R. P. Michel.
« les excès du travail et d'appliquer les conseils que Nous avons donnés
'<
dans Notre Encyclique... Il est bien évident que les ouvriers ne trou-
« veront jamais une protection efficace dans des lois qui varieraient avec
soient spécifiées dans chaque pays sur une liste dressée par voie d'or-
donnance. L'autorité ne permettra la mise en exploitation d'une industrie
dangereuse que lorsque toutes les mesures prescrites auront été prises
pour écarter ou diminuer les dangers autant que possible. Les jeunes gens
au-dessous de 18 ans et les femmes ne doivent en aucun cas être em-
ployés dans les industries dangereuses. Dans ces industries, la journée
de travail devra être inférieure à la durée légale de la journée de travail
normale. Les patrons seront absolument responsables de toute atteinte à
la santé et à la vie des ouvriers travaillant dans des industries malsaines.
La dernière séance générale offrit un spectacle particulièrement im-
pressionnant par la satisfaction qui se lisait sur toutes les ligures et par
l'intensité avec laquelle les résolutions finales se pressaient les unes sur
les autres, accusant de tous côtés la volonté d'agir et de ne laisser aucune
décision à l'état de lettre morte. Les sections avaient adopté les propo-
sitions suivantes sur les voies et moyens de réaliser la protection ouvrière :
1° Inspection sur une base uniforme embrassant la grande et la petite
industrie, les mines, les entreprises de transport, l'industrie domestique et
les exploitations agricoles qui emploient des machines, par des fonction-
naires indépendants choisis plus que par le passé parmi les experts. Ces
inspecteurs auront comme aides des ouvriers, et seront assez nombreux
pour pouvoir inspecter chaque établissement tous les six mois. On devra
instituer pour l'agriculture des inspecteurs spéciaux. Le contrôle de l'exé-
cution des prescriptions relatives au travail des femmes sera exercé par des
insjDectrices salariées par l'Etal et choisies en partie parmi les ouvrières.
2° Droit absolu de coalition pour tous les ouvriers et employés des deux
sexes ; notamment reconnaissance officielle de tous les secrétariats, com-
missions et chambres institués par les ouvriers pour le contrôle de la pro-
tection ouvrière, reconnaissance également des syndicats et de leur droit
de contrôle. La violation du droit de coalition est punissable.
3° Introduction du suffrage universel égal, direct et secret pour les élec-
tions à tous les corps représentatifs, afin d'assurer l'influence que la classe
ouvrière peut revendiquer sur tous les parlements.
4° Propagande active pour la protection, par les organisations syndi-
dicales etpolitiques, au moyen de conférences, d'écrits, de journaux, de
réunions, et avant tout de l'action parlementaire.
5° Organisation de Congrès internationaux périodiques ; présentation en
même temps dans les divers Parlements de projets des lois identiques.
Outre ces propositions, l'assemblée décide que, si trois Étals se décla"
raient prêts à collaborer à la création d'un office international pour la pro-
tection ouvrière, il serait immédiatement fondé. Elle chargea le bureau du
Congrès de prier le Conseil fédéral suisse de renouveler à bref délai ses
576 REVUE THOMISTE
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
libre; la violence fait des hypocrites, non des chrétiens ; donc, 2° l'on ne
doit point baptiser les enfants des Juifs si leurs parents s'y opposent : tant
qu'ils n'ont pas l'usage du libre arbitre, les enfants, de par le droit naturel,
dont à la garde des parents ; l'on ne peut, sans injustice, disposer d'eux
contre leur bon plaisir. Quels périls, du reste, n'aurait pas à courir plus
lard la foi de tels baptisés ? Donc, 3° laissons les Juifs libres d'exercer
leur culte ; d'autant plus que leurs rites rendent témoignage à notre foi.
- Mais il faut protéger les Chrétiens contre les Juifs. Donc, 1° l'on doit
régler et restreindre les rapports entre les uns et les autres de telle sorte
qu'ils soient réduits au strict nécessaire, et que la foi des simples soit
mise à l'abri de toute séduction. Donc, 2° l'on, ne doit pas permettre que
les Juifs exercent une autorité ou une supériorité quelconque dans la
société chrétienne, qu'ils feraient « fonctionner en mode subversif», puis-
que l'idéal, la devise de la société chrétienne est : de Lieu, à Lieu, par le
Christ, et que les Juifs blasphèment le Christ.
se garder, dans l'application des lois édictées
- Par exemple, il faut bien
contre les Juifs par les États
chrétiens, de blesser les prescriptions supérieures de la loi naturelle, con-
580 REVUE TJ10MISÏE
tre laquelle les lois civiles ne peuvent jamais prévaloir, et d'aller jusqu'à
une sévérité extrême. Ainsi, la loi civile portant que les Juifs sont serfs el
comme tels taillables à merci, il faut user de ménagements, ne point les
exaspérer ni les aigrir, ne point leur imposer de charges nouvelles sans
nécessité, et leur laisser toujours, pour eux el leurs familles, ce que
réclame une honnête subsistance. - L'État doit empêcher qu'ils se livrent
à l'usure : et s'ils se sont enrichis' par leurs prêts usuraires, il doit les
faire restituer, non pas pour bénéficier, lui Etat, de celte restitution, ce
qui serait substituer sirerplement un voleur à un autre, mais afin de faire
rentrer en j>ossession de leur bien les victimes de l'usure : ou, à leur défaut,
employer les sommes recouvrées en oeuvres pies et en établissements d'uti-
lité publique. Que si les princes trouvent dur d'avoir ainsi à faire rendre
gorge aux Juifs, ils ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes : car, jsour
s'éviler un tel ennui, il leur eût suffi d'obliger les Juifs à vivre comme les
autres, d'un travail honnête... El qu'ils n'oublient pas que ce qu'ils ont pu
recevoir des Juifs usuriers, impôts, amendes, présents, ne leur appartient
pas : les princes ne peuvent garder ce qui est le fruit de l'usure ; il faul
rendre...
Tel est l'antisémitisme que professe saint Thomas, dans la. Somme thèolo-
gique, le De regimimprincipum, la Lettre à la duchesse de Bràbant. M. Dc-
ploige sait en faire ressortir le bien-fondé et la grande modération. II ne
manque pas non plus, quand il parle des droits du Juif père de famille à
l'égard de ses enfants, droits si hautement proclamés jJar saint Thomas au
nom de la loi naturelle, d'opposer ce vrai libéralisme thomiste au libéra-
lisme menteur de la philosophie séparée, et démontrer comment ces droils
sacrés ont été méconnus par Rousseau, el sont indignement violés par
l'État sans Dieu imposant l'École sans Dieu aux parents catholiques. Il re-
lève aussi, à l'occasion, certaines idées fausses imputées à saint Thomas par
des écrivains modernes qui ne l'ont pas compris, et établit une compa-
raison intéressante entre la doctrine de saint Thomas et celle des antisé-
mites les plus en vue de nos jours. - Il termine en exprimant le désir que
ces derniers étudient la solution du grand docteur el en souhaitant aux
Juifs « de ne pas voir le iriomphe de solutions plus sévères ».
voeux j'en ajouterai
- A ces
un autre : c'est que l'étude de M. Deploige trouve un
nombre de lecteurs proportionné à son importance el à son mérite.
-
Du même auteur : Le Boerenbond. Le Boerenbond -Ligue des paysans
est la Fédération nationale des Boerengïlden. La Boerengilden -
cor-
poration de paysans - est : Une confrérie religieuse en même temps
qu'une association d'intérêts matériels, formée par les familles agricoles
d'une paroisse. La présente brochure raconte l'histoire du Boerenbond
LA VIE SCIENTIFIQUE 581
REVUE NEO-SGOLAST1QUE
Août 1897.
M. D. Nys.
M. H. Hallez.
--
La notion du temps d'après saint Thomas d'Aquin (suite).
La vue et les couleurs (suite et fin).
M. AiiM. Thiéuy. -La vue et les couleurs.
réponse à M. Hallez.
-
Quelques observations en
M. EiiN. Pasquieiî. - -
M. Lkon de Lantsheehe.
Sur les Irypothèses cosmogoniques.
L'évolution moderne du droit naturel.
M. V.-A. Thiéuy.
M. D. Nys. - - Notes psychologiques.
Bulletin cosmologique.
DIVUS THOMAS
Fascicules xvii-xvm.
M. A.-M. Vespigna.ni.
.-
In Liberalismum universum Doctore Angelico
duce et Pontiflce summo Leone XIII Trutina.
M. G. Ramkllini. - Gommentaria in quajstiones xxvii-lix. III P.
Summoe théologie» De Mysterbis Ghristi in lectiones distributa.
Schol. Theol. Moral.
Docloris. Gasus morales.
-
De genuino systemate S. Alphonsi Ecclesi»
Rr M.
- DoctrinaS. Thomoe de natura Theologias speculativa;.
Lïibliographia.
REVUE PHILOSOPHIQUE
Septembre 1897.
t
.
Analyses et comptes rendus.
Correspondance.
Revue des périodiques étrangers.
Nécrologie.
M. P. Lapiiî. -- -
M. L. Brunschvicg. Spiritualisme et sens commun.
Morale déductive.
M. P. Lacombe. Du comique et du spirituel.
M. G. Remacle.
M. G. Lechalas.
- La mélaphysique de « Scotus novanlicus ».
De l'infini mathématique, par M. Louis Gouturat
(suil.e et fin).
M. Gh. Andler. -
M. Antonio Labriola.
La conception matérialiste de l'histoire, d'après
M. Francis Charmes. -
Bulletin bibliographique.
Chronique de la Quinzaine, histoire politique.
Le Gérant : P. SERTILLANGES.
PARIS. IMPRIMERIE F. LEVÉ, RUE CASSETTE, 17.
REVUE THOMISTE
NOTES
SUR
l'as pour l'établir. Un jour peut-cire nous aurons l'occasion do traiter la question ex
profuso.
BEVUE THOMISTE. - 5° ANNÉE. - 40.
586 REVUE THOMISTE
III
n'a pour toute chaleur que les 6,4 réglementaires. Il est donc
manifeste que la quantité en rapport avec la chaleur spécifique
n'est autre que la quantité numériquedes alomes. Je conclus donc
derechef que les atomes existent dans la molécule.
Cette thèse, défendue devant des hylémorphistes, a paru en con-
tradiction avec la théorie scolastique. Il n'en est rien cependant.
CeJie-ci n'affirme que l'unité essentielle de la substance compo-
-
sée. Or, -
je l'ai établi plus haut une distinction essentielle
entre les différents atomes d'une même molécule est inadmissible.
Contre l'opinion d'auteurs hylémorphistes de très grande valeur,
j'ai refusé de reconnaître l'individualité des atomes, même dans
la molécule simple. Mais, je le répète, l'unité substantielle n'exclut
pas l'existence réelle de parties quantitatives ou potestatives ; et
je puis parfaitement défendre la première, tout en reconnaissant
dans les atomes des parties de cette nature.
Rappelons-nous que l'argument classique, fondamental, de
rhylémorphisme est l'unité substantielle de l'homme. S'il est vrai
que, dans l'ordre logique comme dans l'ordre réel, l'etTet ne peut
pas surpasser la perfection de la cause, nous ne devons admettre
dans la molécule qu'une unité comparable à celle de l'homme. Ce-
pendant la diversité entre les différentes parties du corps, tant au
point de vue numérique qu'au point de vue fonctionnel, la diver-
sité entre les puissances de l'âme sautent aux yeux. Il est donc
évident que l'unité substantielle du composé matériel, proclamé
par le concept hylémorphiste, ne saurait exclure une diversité
analogue de la molécule composée.
Je crois donc pouvoir me représenter celle-ci comme une masse
corporelle, d'une quantité essentiellement fixe, d'une étendue
déterminée, et dont les différentes parties comparées entre elles ne
sont probablement pas plus homogènes que le bras et l'oeil dans
le corps humain. L'ensemble ne forme qu'une essence et qu'un
suppôt {suppositum) ; mais, de même que les différentes facultés
sensitives s'exercent par des organes différents, ainsi les fonctions
de cette substance corporelle s'exercent parles différentes parties
-
moléculaires, parties qui correspondent parleur nombre el cer-
taines de leurs propriétés aux atomes constitutifs.
Pour qui d'ailleurs a réfléchi aux faits chimiques, il est bien
difficile de se dégager de cette conclusion. Il y a certains corps
dont il est impossible d'expliquer les propriétés, dans l'hypothèse
- car ce n'est là qu'une hypothèse - dans l'irypothèse, dis-je,
d'une unification complète de la molécule. Si, au contraire, on
admet une vraie distinction de quantité et de puissance, on com-
prend pourquoi certaines dispositions d'atomes produisent toujours
des propriétés déterminées; on comprend la merveilleuse coïnci-
dence, signalée par van't Hoiï, entre l'asymétrie moléculaire et
J'activité optique des corps organiques en solution. Or ce sont là
des faits dont les partisans de l'homogénéité ne sauraient, à mon
sens, fournir la moindre explication.
SUR LB
DE CAUSALITÉ
dédaigner, - -
contradiction, quelle que soit leur valeur, que je suis loin de
ne sont pas les seuls arguments possibles.
La queslion est trop haute et trop abstraite, pour qu'il ne soit
pas possible de l'aborder par plusieurs côtés ou par un grand
nombre de procédés différents. Aussi est-il permis de croire qu'ils
n'ont pas encore été épuisés.
L'important sera de choisir ensuite parmi ces procédés le plus
simple, le plus clair et le plus saisissant, car c'est lui qui aura
chance de rallier un plus grand nombre d'esprits.
Le procédé que je vais exposer m'a paru réunir ces qualités à un
degré tel, qu'il m'a toutd'abord
en défiance et m'a
-je -
l'avouerai sans détour mis
paru suspect. Sa simplicité môme et sa subti-
lité me donnaient lieu de soupçonner en lui quelque sophisme
caché.
Mais je suis peu à peu revenu de ces premières craintes, et une
étude plus approfondie des notions fondamentales de l'ontologie,
a fini par me donner la confiance qu'il n'a rien de sophis-
tique.
Le lecteur lui-même en jugera.
(1) Voici comment saint Thomas parle de ces habitudes intellectuelles : Sunt cognitio
a. 2, c) ; - -
naturalitor indita (I" II"0, q. xci, a. 3, c) ; impressio divini Juminis (Ia Iae, q. xci,
-
semina scientiarum ; raliones séminales (De Verit., q. xi, a. d, o) ; certiludo
principiorum... est ex lumine rationis divinitus inlcrius indito, quo nobis loquitur Dous :
-
(Ilid. ad d3, et ad 17). Inlellectuf. primorum principiorum consequitur ipsam naluram
humanam qua3 oequaliter in omnibus invenitur (2a II»0, q. v, a. 4, ad 3, -q. vin, a. d,
ad d, - -
q, XLVO, a. 6, c). Cf. Aiustot. Pkysiq. VII, c. ], fin.- Voir le beau U-.ulù
« De Hdbitibus » que vient do faire paraître S. Em. le Gard. Satolli, 1 vol. in-8°, Rome,
typog. do la Propagande.
dci'nes ne semblent pas se douter que les Anciens, depuis Aristote,
l'exprimaient le plus souvent dans une formule d'apparence très
différente, quoique an fond identique à la formule moderne.
N'ayant pas su reconnaître l'antique formule, ils ont dû se tromper
dans leur jugement sur l'ignorance apparente des anciens.
Aristote, le premier, a employé le plus souvent la formule
devenue célèbre dans l'Ecole : « quidquid movetur ab alto movetur» ;
tout ce qui est mû l'est par un autre, ou par une autre partie de
lui-même.
La raison de cette préférence du Stagirite est facile à com-
prendre, dès qu'on se place à son point de vue. Le mouvement
étant le fait universel et fondamental de la Nature, son étude est
le point de départ et le fondement de cette philosophie toute expé-
rimentale et scientifique qui est celle d'Aristole. Or l'analyse du
mouvement donne aussitôt les notions fondamentales d'acte et de
puissance, de passage de la puissance à l'acte, et le principe
fameux : « quidquid movetur ab alio movetur ».
Ce principe, Aristote l'analyse et le prouve non seulement par
l'expérience, soit l'expérience des corps inorganiques qui sont
inertes, soit l'expérience des vivants où chaque organe est tou-
jours mis en mouvement par un autre organe, une faculté par une
-
autre faculté; mais encore et surtout par la raison qui ne sau-
rait admettre que le même être ou la même partie d'un être soit à la
fois, sous le même rapport, moteur et mobile, en acte et en puis-
sance (1), ce qui serait la contradiction même : zéro égale-
rait un.
Le principe « quidquid movetur... » est donc facilement ramené
par Aristote à celui de contradiction. Mais ce principe « quidquid
movetur... » n'est qu'une des nombreuses formules du principe de
causalité, comme il est facile de s'en convaincre.
En effet, pour Aristote, « tout ce qui est mû » signifie : tout ce
passe delà puissance à l'acte, tout ce qui change et qui par consé-
quent commence, au moins à un certain point de vue. Donc tout
ce qui commence est mû par un autre, c'est-à-dire a une cause.
L'identité fondamentale de l'antique formule avec la formule
(1) Nihil idem est simul in aclu et in polcnlia, respecta ejusdom. » S. Tiiom., Contra
«
-
a"nt., 1. I, c. 13, 3°. AmsT., Phys., 1. VIII, c. 5.
608 REVUE THOMISTE
A. Farges.
LA
de textes du grand docteur pour qu'on soit édifié sur sa pensée. Notons seulement ce pas-
sage où saint Thomas montre sur quel meilleur terrain s'établit la preuve de l'exis-
tence de Dieu quand elle abstraie de la notion de durée ou suppose même, au bénéfice
de l'objectant, l'éternelle durée du monde : « Hase enim via (scilicet ex oeternitate motus)
est efficacissima, cui resisti non potest. Si enim mundo et motu existente sempi-
terno, necesse est ponere unurn primum principium, multo magis sempiternitale
eorum sublata : quia manifestum est quod omne novum indiget aliquo principio inno-
vante. Hoc ergo solo modo poterat videri quod non est necessarium ponere primum prin-
cipium si res sunt ab oeterno. Unde etiamsi hoc posito, sequitur primum principium esse,
ostenditur omnino necessarium primum principium esse. » (Pkys., liv. VII, lect. I)
inépuisable et par là môme une puissance égale de multiplication,
l'infini est partout dans la nature?
Si l'on s'inscrit en faux contre ces thèses, nous n'avons ici plus
rien à dire. Nous ne pouvons pas reconstituer la notion de l'éten-
due, analyser l'idée de nombre, défendre l'une et l'autre contre
les attaques des subjeclivistes d'une part, des dynamistes ou des
idéalistes de l'autre. Qu'il nous suffise de dire à ceux qui com-
prennent comme nous la quantité : l'infini existe.
Comment existe-t-il, c'est une autre question, et c'est ici que la
plupart des adversaires nous attendent. L'infini susnommé,
disent-ils, n'est pas un infini réel, un infini en acte. L'étendue, le
mouvement, le temps sont divisibles à l'infini, et pour autant mul-
tipliables, c'est vrai ; mais précisément parce que la division ne
s'épuise jamais, l'infini n'est jamais dans les choses mêmes. Il n'y
a ici d'infini que la jniissmice à la division; or une telle puissance
ne répugne guère, Mais, dans le cas du passé infini, il en va autre-
ment. Il s'agit bien, ici, d'un infini en acte. Le passé est actuellement
écoulé, le passé est réel; il n'y a même, en un sens, rien de réel
que cela ; car le présent n'est qu'une limite et le futur n'est pas
encore. Le passé c'est l'acquis, l'irréformable, l'intangible même à
Dieu, et par conséquent le réel et l'actuel par excellence. C'est la
récolte faite par la faux du temps pour les greniers de l'éternité, et
rien, jamais ne prévaudra contre elle. Par conséquent, si l'on sup-
pose le passé infini, c'est un infini actuel qu'on suppose. Il est
actuellement vrai que le monde a vécu un infini de jours, et qu'un
infini d'événements s'y déroulèrent. Une créature permanente,
comme un ange, qui aurait été créée elle aussi aboeterno (1), aurait
pu les compter au passage, et elle aurait actuellement en tête un
nombre bel et bien infini. Or l'infini actuel répugne, soit qu'on le
suppose réalisé en nature, soit qu'on le suppose réalisé dans un
esprit.
Voilà l'objection dans toute sa force, nous le pensons du moins.
()) Qu'il soit entendu uno fois pour toutes qu'en parlant de création ab oeterno, d'uni-
nivers éternel, il ne s'agit point de donner à l'être créé l'éternité de Dieu pour mesure.
W s agit du temps infini, nullement de la durée indivisible de l'Absolu. Nous nous sommes
('u reste longuement expliqué
sur ce point.
612 REVUE THOMISTE
ramener par le
diverses façons.
secours d'une hypothèse? On -l'a essayé de
(1) « Non invenitur in rébus materialibus infinitum in actu, sed solum in potentia,
secundum quod unum succedit alteri ». In Phye. Lib. III, lect. x.)
(2) Le présent n'est pas une partie du temps, c'en est un moment, une limite; les
parties du temps sont les heures, les jours, les minutes, etc., et ces parties, si petites
soient-elles, n'ont jamais une existence d'ensemble, une existence actuelle; elles n'exis-
tent Cfue successivement. C'est le mystère du temps.
(3) Nihil est temporis in actu nisi nunc, neque aliquid motûs est in actu nisi quoddam
indivisibile. Sed intellectus apprehendit continuitatem temporis et motus, accipiendo
ordinem prions et posterions: ita tamen quod id quod primo fuit acceptum de tempore
vel motu non perrranet sic : Unde non oportet dicere quod totus motus iniînitus sit in
actu, vel quod totum tempus sit infinitum. » {In Phys. lib. III, lec. xm.)
Est-il besoin de remarquer que si l'on parle non plus du temps, mais des phénomènes
qu'il mesure, le cas est identiquement le môme? La naissance et la destruction des choses
vont en cercle. Toute destruction est une génération, toute génération une destruction;
la matière contient en puissance une infinité d'êtres, ils en sortent successivement, puis
fournissent à la nature, en périssant, la matière d'autres oeuvres, et ainsi sans terme. Il
n'y a donc que dans l'esprit que les choses passées forment un tout, en elles-mêmes
elles se succèdent et ne s'ajoutent pas. Comment formeraient-elles un infini en acte?
614 KËVUE THOMISTE
(1)Le R. P. Poulain, S. S., dans un article fort intéressant (Eludes du 5 août 1897), a
repris à son compte cet argument. Nous lui dédions la réponse suivante.
sans limites; mais du côté de la nature de l'objet, qui est ou qui
n'est pas réalisable.
Une infinité successive d'êtres périssables est-elle possible? Oui,
car elle ne constitue qu'un infini en puissance et aucune contra-
diction ne s'y relève : Dieu pourra la faire.
Une infinité successive d'êtres permanents est-elle possible ?
Non ; car elle aboutit à un infini en acte et par là à une impossibi-
lité véritable. Dieu ne pourra pas la faire.
IJ en est ici à peu près comme en morale lorsqu'on demande :
Est-il possible d'éviter tous les péchés? Oui assurément, s'il s'agit
de l'un d'eux quel qu'il soit; non, s'il s'agit de l'ensemble. Il est
question, ici, d'impossibilité morale, là d'impossibilité métaphy-
sique; mais le cas est le môme, et les objectants tombent dans ce
que l'école appelle le sophisme a sensu cliviso adcompositum (1).
Une autre forme d'objection est celle que nous notions plus haut
et qui a pour but de ramener l'infini du passé à un infini en acte
non plus en nature, mais dans un esprit Un ange qui aurait été
créé « ab aeterno » ce -
qui
compté les jours au passage
est possible
ce qui-ne
:
et
l'est
qui
pas
-
aurait
moins
toujours
aurait -
actuellement en tète un nombre positivement infini, c'est-à-dire
un indéterminé déterminé, ce qui est une contradiction dans les
termes.
Môme réponse à peu près que ci-devant : Un groupe quelconque
de jours peut être compté, si grand qu'il soit; l'ensemble, à sup-
poser le temps infini, n'est pas nombrable. Pour nombrer, en
effet, il faut partir d'une unité qui sert de base au calcul et dont la
répétition plus ou moins fréquente produit le nombre.
Dans l'hypothèse d'un infini, cette unité première n'existe point:
donc pas de total possible. Tout ce qui se peut faire, c'est de nom-
brer une série de jours, d'années, de siècles, à partir d'un point de
départ arbitrairement choisi, ce point de départ pouvant remonter
dans le passé plus loin que toute distance assignable. Mais compter
(1) Saint Thomas oppose à cette forme d'argument un autre exemple : «Sciendum etiam
quod forma arguendi non valet. Potest enim Dous quamlibct creaturam facere meliorem,
non tamon potest facere infiniltc bonitatis creaturam : infinita enim bonitas rationî crea-
tuca; répugnât, non autem determinala bonitas quantacumque. »
616 REVUE THOMISTE
(I) Voici pourtant ce qu'en disait Albert le Grand, un connaisseur en fait de preuves:
« Oorie nihil valet quamvis a mullis pro fortissima habeatur, et est in
ea peccatum mul-
lil'iex. (VIII. Phys., tr. I.)
»
-
et il commence par supposer que le monde se met en route pour tra-
verser un infini Il est inouï qu'on puisse se laisser prendre à un
!
(1) « Quamlibet circulationum proecedentium transiri potuit, quia finila fuit; in omnibus
autem simul, si mimdus semper fuiisset, non esset accipere pi'imam et ita noc Iransilum,
qui semper exigit duo ex tréma ». [2. C. Gent. c. xxxyiii.) - «' Transitus semper inlel-
ligitur a termino in lerminum. Quoecumque autem proeterita dies signotur, ab illa us>(|ue
ad islam surit fîniti dies, qui pertransiri poterunt. Objectio autem procedit ac si posilis
extremis sint média inlinita. » (Summ. TAeol., q. xlvi, art. 2.)
contraire la détermination. « Totum habct rationem formse », dit
saint Thomas d'Aquin ; « iniinitum autem est sicut materia non
habens formam. »
Quand donc on parle de traverser le passé, cela ne peut s'enten-
dre que de deux manières : ou en suivant le cours du temps, à
partir d'un point quelconque jusqu'ici, ou à partir du jour présent,
en rétrogradant dans Je passé. Dans le premier cas, on a devant
soi un espace fini, qui peut être traversé, si grand soit-il. Dans
le second cas, on a un infini intransible; mais il n'y a là d'incon-
vénient d'aucune sorte (1).
Quant à parler de l'éloignement infini du point de départ des
choses, point de départ d'où le monde n'aurait pu venir, c'est une
pétition de principe et une illusion manifeste. Puisqu'un tel point
de départ n'existe pas, nous n'en pouvons Être ni près ni loin, il
n'y a pas de terme de comparaison possible. Le point où nous
sommes est quelconque par rapport au tout ; il en est de lui comme
du point qu'on pose sur une ligne infinie, en mathématiques. Tout
géomètre sait qu'un tel point n'a pas déposition. Pour Jui en créer
une, il faut le mettre en relation avec un autre point de la droite ;
jusque là il est quelconque et il n'est en réalité ni ici ni là. C'est
pourquoi certains géomètres contemporains ont avancé ce para-
doxe que toute droite infinie est un cercle ; car, dans le cercle,
chaque point, qui est antérieur ou postérieur par rapport à un
autre point, est quelconque et n'a pas de position, par rapport à
l'ensemble. Or, tel est le présent dans notre hypothèse. Si vous
le comparez à une date du passé ou de l'avenir, vous pourrez dire
qu'il en est près ou loin, qu'il s'en éloigne ou qu'il s'en rapproche ;
(1) Tempus prretentum est ex parte anlei'iori infinitum et ex posteriori finilum; tempus
autem fulurum e contrario. Unicuique autem ex parte iila qua finitum est, est ponere
erminum et principiuin vel iinem. Unde ex hoc quod infinitum est tempus preoteritum
ex parte anteriori, secundum eos, sequitur quod non habeat principium, sed finem. Et
idoo sequitur quod si liomo incipiat numerare a die islo, non poterit numerando pervenire
ad priraum diem, et e contrario sequitur de future (// Sent. dist. i, q. i, art. H ad !Sm,
arg. contr.)
On voit par ce dernier texte qu'un passé intransible n'effraie pas plus saint Thomas
que l'avenir de môme sorte que tous admettent. Et si on lui objecte que le passé ne doit
pas se compter à partir d'aujourd'hui, mais à partir du cnmmencemenl, il répondra
(
qu'il n'y a de commencement que du bout où nous sommes ; que par conséquent il
laut commencer là ou nulle part, à moins qu'on ne prenne pour point de départ un
terme quelconque de la série, aussi éloigné qu'on voudra, mais qui sera toujours séparé
'lu présent par un intervalle fini.
620 REVUE TEOMISTE
Si le passé est infini, rien ne peut lui être ajouté ; car lui ajouter
c'est le grandir, et l'on ne grandit pas l'infini. Or le monde a
aujourd'hui un jour de plus qu'hier, donc, conséquence absurde,
un jour de plus que l'infini.
Cette objection, très prônée par quelques-uns, est assurément
des plus faibles. « Débile est », dit saint Thomas d'Aquin. Et en
effet, raisonner ainsi, c'est montrer qu'on n'a pas la première
idée de cet infini qu'on repousse. L'infini n'est pas une substance,
c'est un attribut, et comme tout attribut, il suit la loi du sujet
auquel il s'applique. Or qu'apporte avec soi l'attribut d'infinité ?
-11 apporte simplement la privation de limite ; par suite, un
sujet pourra être dit infini d'autant de manières qu'il peut être dit
limité. L'être, universellement conçu, peut être limité par une
nature spécifique : il pourra être dit infini par la privation d'une
telle limite ; c'est l'infini d'essence, c'est Dieu. La qualité peut
être limitée par un certain degré qu'elle ne dépassera point : elle
pourra être dite infinie en intensité, par la privation de cette
limite. Le nombre a pour limite sa dernière unité : il sera infini
si on la supprime. L'étendue à son tour pouvant être limitée de
diverses manières : soit dans toutes les directions, comme le
solide est limité par sa surface ; soit dans un plan seulement,
comme le polygone est limité par son périmètre ; soit dans une
seule ligne, comme la droite est limitée par les deux points qui la
terminent,il y aura autant de façons d'être infini quantitativement
qu'il y a de ces limites quantitatives. On pourra supposer un solide
infini, qui restera limité néanmoins par sa nature spécifique. On
pourra supposer une surface infinie, qui sera limitée à un plan ;
mais ce plan ne comportera pas de bornes. On pourra supposer
une ligne infinie, qui sera limitée à une dimension unique, mais
qui dans cette dimension ne sera point bornée. Enfin, comme
une ligne est susceptible de deux fermes, il y aura encore pour
elle deux façons d'être infinie : ou par la suppression de l'un de
ces termes, ou par la suppression des deux, et ainsi elle pourra
être infinie dans les deux sens ou seulement dans une direction.
C'est ce dernier cas qui s'applique le plus directement à notre
problème.
622 REVUE THOMISTE
(J) C'est ainsi que le raisonnement suivant de notre auteur renferme un grand fond de
vérité, bien qu'il soit équivoque et par là rendu inutile : « Il est inadmissible que tous
les êtres de la série prétendue infinie soient à la fois causés et non causes; chacun aurait
une cause et leur ensemble n'en aurait point : ce qui est contradictoire, car l'addition ne
saurait changer la nature des êlres additionnés et faire avec dos êtres produits un total
d'êtres non produit. » L'argument ainsi présenté ne prouve rien contre personne; car
l'athée répondra : Tous les êlres de ma série infinie sont causés, puisque chacun dépend
de celui qui le précède. Ce qui est « non causé » c'est leur succession, et leur fond com-
mun, la matière. Il n'y a donc pas de contradiction dans ma thèse, puisque « causé » et
« non causé » ne se rapportent pas au même objet.
Quant au theislo qui admet l'élcrnité du inonde, il répondra: Tous les êlres de ma
".ôrie sont causés; l'ensemble qu'ils forment est lui-même causé; mais chaque être est
626 REVUE THOMISTE
limité dans sa durée, comme dépendant d'une cause particulière et temporelle; l'en-
semble au contraire est infini en durée, comme dépendant d'une cause universelle et
éternelle. Il est parfaitement vrai que « l'addition no saurait changer la nature des êtres
additionnés »; mais la durée n'est pas une question de nature : « Quod quid est ab»lra-
hit ab hic et nunc. » (S. Tu. I» Pars, q. xlvi, art. 2.)
Mais si la durée n'est pas une question do nature, la nécessité ou la contingence en
est une, et c'est pourquoi 1 auteur a parfaitement raison de dire que si chacun est « dé-
rivé » dans le sens de dépendant, ùi contingent, tous le sont, et le tout de même, que ce
tout soit d'ailleurs fini ou infini. Par là on peut prouver,, Dieu invinciblement et c'est h-
1
troisième preuve de saint Thomas dans la Somme; mais on n'en peut rien tirer contre
nous.
LA CROYANCE NATURELLE
ET LA SCIENCE l"
jugement. Nos concepts ne sont donc pas tout ce que nous con-
naissons, mais ce par quoi nous connaissons l'être. Tel est le sens
de cet axiome : « objectum intellectds est jsns (1). »
J'ai dit axiome. Il faut tenir, en effet, cette proposition comme
évidente de soi; ce que j'en ai dit à l'instant, ne la démontre pas ;
mais seulement la suppose et l'explique; car elle est nécessaire-
ment déterminalive de notre adhésion, dès que nous en avons
conçu les deux termes et, analytiquement, perçu l'identité. Quels
que soient, en effet, nos actes d'intelligence, tout ce que nous
concevons et affirmons ne se représente à nous que sous la forme
de l'être ; la privation et le néant eux-mêmes s'y réduisent, tant
il est vrai que le mouvement tout entier de notre intelligence
ne saurait être autre chose qu'une recherche de l'être. Etre el
intelligible sont synonymes, parce que être el pensée se recher-
chent el s'ajustent : c'est d'un côté le soleil qui se lève et de
l'autre le miroir, dans toute la pureté d'un poli achevé, mais le
miroir vivant.
Evidente, cette identité de l'intelligible et de l'être ne se
démontre pas; mais, sur quiconque en voudrait nier la vérité,
après en avoir rationnellement pesé les termes et constaté l'évi-
dence, comme nous venons de le faire, sur quiconque la nierait
après l'avoir comprise,'elle exercerait ces représailles de l'acculer
à une invincible contradiction. Si nos jugements sont impropres
à nous représenter l'être qu'ils affirment être, ils sont des signes
et ils n'en sont pas; nous les tenons pour vrais et ils ne le sont
pas; et, puisqu'ils sont substantiellement incapables de nous
informer si l'être est, il n'y a plus ni vrai ni faux. Nous ne pou-
vons même plus nous contenter de chercher la vérité dans
l'accord de notre pensée avec elle-même ; car, si nous affirmons
cet accord, nous le posons comme de l'être, et l'être est hors de
nos prises.
Tenons donc, comme s'imposant à nous par la force directe de
sa propre évidence, la représentation formelle de l'être par nos
jugements ; c'est, en effet, la propriété commune de nos jugements
scientifiques et de nos jugements de croyance. Que je croie ou que
II
(d) III Sentent., dist. xxm, q. m, art. 2, Solutio. Polest considerari intellectus
«
noster secunrlum ordinem ad ralionem, quoe ad inlellectum torrainatur, dum resolvendo
conclusiones in principia per se nota, earum certitudinem efficit, et hoc est assensus
»cienti«. - Alio modo consideratur intellectus in ordinc ad volunlalein, quoe quidem
omne animte vires ad aclus suos movet; et hase quidem volunlas déterminât inLellectam
ad aliquid, quod neque per seipsum videtur, neque ad oa quco per se videnlur, resolvi
posse déterminât; ex lioc quod diguum reputat illis esse adhoercndum, propter aliquam
rationem, qua bonum videtur esseilli adhîerere, quamvis illa ratio ad intellectum termi-
nandum non sufficiat propter imbecillitatem intellectus, qui non videt per se hoc cui
assentiendum ratio judicat, neque ipsum ad principia per se nota resolvere valet, et hoc
assentire proprie vocatur credere. »
638 REVUE THOMISTE
III
(huitième article)
(1) « Quoniam autom estis lim, misit JJeus bpiritum rmi sui m corda vestra ciaman-
lom : Abba, Pater. » Ibid., 6.
(2) « Ipae enim Spiritus testimonium reddit spiritui nostro, quod sumus filii Dei. »
lïom., vnr, 16.
I Joann,, m, 1.
(3)
(i) « Charissimi, nunc iilii Dei sumus, et nondum apparaît quid erimus. Scimus quo-
niam, cLim appartient, similes ei erimus : quoniam videbimus eum sicuti est. Et omnis,
qui habet banc spem in eo, sanctificat se, sicut et ille sanctus est. » Ibid., 2-3.
648 REVUE THOMISTE
(1) « Quis non exsultel, si nescio cui peregrmanti et ignoranti genus suum, palienli
aliquam egestatem, el in oerunina eL laborc consLiluto diceielur : Films senatoris es;
pater tuus araplo palrimonio gaudet in re veslra : rovoco le ad patrem tuum? Quali
"gaudio cxsultarel, si hoc non fallax promissor ilicoret ? Venit ergo non fallax: aposlolus
Christi, et ait : Quid est quod de vobis desperalis? qmd est quod vos afl'ligitis, et
moerore conteritis? quid est quod concupiscenlias vestras sequendo, in egestate istai'um
voluptatum conter! Tultis? Jlabetis patrem, habetis patriaai, Labetis patrimonium. Quis
est iste pater? Dilectissimi, fllii Dei sumus. » S. Aug., JLnarrat. in Ps. u.un,
n. 9.
(2) « Omnia dona excedit hoc donum, ut Deus hominem vocet filium, et homo Deum
nominet Patrem. » S. Léo. M., serai. VI de Nativ.
(3) « Et quidam Deitatis erganos diguatio tanta est ut scire nequeai quid potissimum
mirari debeat creatura : utrum quod se Deus ad nostram deposuit servitutem, an quoi!
nos ad divinitatis sua? rapuit digaitalem. Pater- noetar qui es in ccelis... Quo te, homo,
repente provexit gratia? quo te rapuit coelestis natura? Ut in carne et in terra posilus
adhuc, et carnem jam nescias et terrain, dicondo : Pater noster, qui es in coelis. Qui
e.rgo se tanti Patris filium crédit et confitetur, respondeal vita goneri, moribus Patri et
mente atque actu asserat quod ccelestem consecutus est per naturam. » S. Pem.
Chrysol., serm. LXXII in Oral. Domin.
Pour Lien mettre en lumière la nature de notre adoption divine,
il ne sera pas hors de propos de la comparer avec l'adoption
humaine et d'en étudier successivement les analogies et les dis-
semblances.
Ici-bas, adopter un enfant, c'est le faire entrer dans sa famille,
c'est lui conférer librement, gratuitement, le titre et les préroga-
tives de fils qui ne lui appartiennent pas en vertu de sa naissance,
notamment le droit à l'héritage de son père adoptif. On peut
inférer de là qu'une triple condition est requise pour une véri-
table adoption : il faut tout d'abord que l'adopté soit étranger par
son origine à la famille qui l'introduit dans son sein, et n'en fasse
pas naturellement partie ; il faut, en second lieu, que son entrée
clans sa nouvelle famille soit le résultat d'un choix libre et gra-
init; enfin il est nécessaire qu'avec le titre de fils l'adopté reçoive
un droit strict et légal à l'héritage de qui l'adopte.
Ces diverses conditions sont faciles à établir. Ainsi, qu'un
étranger soit seul susceptible d'adoption, c'est une chose mani-
feste; il y aurait contradiction à adopter son propre fils. Comment,-
en effet, dire du fils légitime, du fils par nature, qu'il a élé intro-
duit gratuitement dans une famille à laquelle il n'appartenait
point par sa naissance, qu'il a reçu par libre choix le nom et le
droit à l'héritage de son père? Mais tout cela lui revient naturelle-
ment, en vertu même de son origine. Le fils légitime peut, il est
vrai, démériter; il peut être chassé du toit paternel pour son incon-
duile et à cause des désordres de sa vie ; il peut même, dans cer-
taines circonstances exceptionnelles, être légitimement déshérité;
mais quand, instruit par le malheur et repentant, ce nouveau
prodigue rentre à la maison paternelle, il reprend sa place au
loyer de la famille et n'est pas adopté. Le lien du sang est indes-
tructible, et il restera toujours une profonde différence entre le
fils par nature, quels que soient ses torts, et celui qui n'est entré
dans la famille que parle bon plaisir de son chef.
En outre, l'adoption est essentiellement volontaire et gratuite :
volontaire tant delà part de l'adoptant que de l'adopté; gratuite,
parce qu'elle n'est fondée sur aucun droil naturel ou acquis. C'est
11ncontrat par lequel deux personnes naturellement indépendantes
c^ libres de disposer l'une de son nom et de sa fortune, l'autre de
ha personne, s'engagent réciproquement : la première, à conférer
II
Si donc notre adoption par la grâce n'est pas un vain mot, elle
doit réaliser cette triple condition qui, provenant de la nature
même des choses, se rencontre nécessairement dans toute adop-
tion véritable. Qu'il en soit réellement ainsi, c'est ce qu'il est
facile de prouver.
En effet, ce sont bien des étrangers que Dieu introduit dans sa
race, quand il daigne accorder à des êtres raisonnables la grâce
sanctifiante, et leur communiquer par là une participation de sa
nature et de sa vie. Sans doute, « considéré dans sa nature et
« quant aux biens de l'ordre naturel, l'homme n'est pas étranger
« a Dieu, puisqu'il tient de lui tout ce qu'il possède; mais quant
« aux biens de la grâce et de la gloire, il lui est étranger; et c'est
« en cela justement qu'il est adopté (1). » L'homme de la nature,
l'homme privé de la grâce ne saurait donc être considéré comme
étant du nombre de ceux auxquels il a été dit : « Vous êtes des
dieux et les fils du Très-Haut (2) ; » il ne fait point partie de Ja
famille divine, il n'a aucun droit à la possession des biens propres
à Dieu ; c'est vraiment un étranger. Les rapports qui l'unissent à
l'auteur de son être, ce sont les rapports de l'effet à la cause, de
l'ouvrage à l'ouvrier, et nullement ceux du fils au père, attendu
qu'il existe par voie de création et non par voie de génération,
qu'il procède du néant et non du sein de Dieu. S'il a, comme tout
(1) « Homo in sua natura comsideratus non est extraneus a Deo quantum ad boaa
naluralia quoe recepit; est tamen extraneus quantum ad bona gratioe et gloria; : et sc-
cundum hoc adoptatur. » S. Th., III, q. xxm, a. 1, ad 1. *
(2) « Ego dixi : Dii estis, et filii Excelsi omnes. » Pt, lxxxi, 6.
effet, une certaine ressemblance avec sa cause, il ne participe
cependant pas à la nature de son principe ; s'il a été fait à l'image
de Dieu, il ne vit pas de la vie divine; il n'a, dans ses éléments
constitutifs, rien de vraiment divin, ni par essence, ni par partici-
pation. Sans doute, dans ce sens large et très impropre, suivant
lequel tout ouvrier peut se dire, d'une certaine façon, Je père de
son couvre, Dieu peut être appelé notre Père dans i'orure naturel,
et toutes les créatures, surtout les créatures intelligentes qui por-
tent d'une manière plus saisissante l'empreinte de la divinité,
peuvent être dénommmées les filles de Dieu (1); mais, à parler
rigoureusement, elles ne le sont point par défaut de cette simi-
litude de nature qui doit exister entre le père et les enfants.
Aussi la tradition catholique a-t-elle toujours considéré l'adop-
tion divine comme un appel fait par Dieu à des êtres qui lui sont
étrangers par nature, et qui, par suite de leur condition native,
sont vis-à-vis de lui des serviteurs, non des enfants. Voici com-
ment s'en explique saint Cyrille d'Alexandrie : « Nous qui, par
« nature, sommes des créatures produites et de condition servile,
« nous obtenons par grâce et au-dessus des exigences de notre
« nature la dignité d'enfants de Dieu. » Nos qui natura censemur
effecta servaque creatura, iidem supra naturam et per gratiam nancis-
cimur prsestantiam Jiliorum Dei (2). Saint Athanase exprime la
même pensée dans les termes suivauts : « Les hommes étant, par
leur nature, des créatures, ne peuvent devenir fils de Dieu qu'en
recevant l'Esprit de celui qui est le vrai Fils de Dieu par nature. »
N~ec alio modo posaient filii fieri cum ex natura sua sint creati, nisi
bpiritum ejus, qui est naturalis et verus Films, acceperint (3).
Le Souverain Pontife Léon XIII n'était donc que l'écho de la
doctrine traditionnelle lorsque, dans sa belle encyclique sur le
';aint-Esprit, il disait : « La nature humaine est nécessairement
<< servante de Dieu : Par nature, noies sommes les serviteurs de
« Dieu {ii). En outre, à cause de la faute commune, notre nature
il) Numquid non ipse est pater tuus, qui posséda le, el fecit, et creavit le? » Deut.,
vvvn, 6.
«
-
« Quis est pluvioe paier? rel quis genuit slillas roris? » Job. xxxvui, 28.
{-) S. Cyn. Alex., in Joan. Iib. I.
'?'*) S. Aman., O/'at. 2 contr. Arian.
III
(1) « Multi homines cum fllios non habuei'int, peracta a?tate adoptant sibi; et voluntalf
faciunt quod natura non potuerunt : hoc faciunt homines. Si aulem aliquis haheat filiun
unicum, gaudet ad illum magis; quia soins omnia possessurus est, et non habebit qui
cum eo dividat haereditatem, ut panpei'ior remaneat. Non sic Deus. » S. AuG.,«n Joan.
tract. 2, n. 13.
(2) « Quem constituit hseredem universorum. Itebr., 1. 2.
>>
tion (J). De là ces paroles de l'Apôtre : « Ceux que Dieu a connus
«
dans sa prescience, il les a prédestinés à être conformes à l'i-
« mage de son Fils (2). »
Il fallait effectivement que, avant de nous adopter, Dieu com-
mençât par nous conférer une participation de sa nature en nous
engendrant spirituellement; car la conformité de nature entre
l'adoptant et l'adopte s'impose si manifestement qu'il ne vient
même pas à l'idée qu'un homme puisse prendre pour fils une créa-
ture autre qu'un être humain. Or, tandis que l'adoption humaine
suppose cette communauté de nature, l'adoption divine doit la
créer, car la divinité n'appartient naturellement qu'à Dieu. Aussi,
pendant que l'homme choisit à son gré parmi ses semblables celui
dont il veut faire son fils adoptif et son héritier, Dieu ne peut
adopter un être raisonnable qu'à la condition de le déifier au préa-
lable en lui faisant part de sa nature.
De plus, parmi les hommes, l'étranger que l'on adopte est apte
par lui-même à recueillir l'héritage qui lui est dévolu; s'il n'y peut
prétendre en vertu de sa naissance, une simple formalité juridique
suffit pour lui constituer un droit et l'envoyer en possession des
biens qui lui ont été légués. 11 n'en va point ainsi dans l'adoption
divine. Au lieu de se borner à désigner la personne appelée à
recueillir l'héritage céleste, Dieu doit d'abord créer, dans l'élu de
son choix, l'aptitude à entrer en possession et à jouir des biens
divins; car nul être créé, laissé à lui- même et abandonné à ses
seules forces, n'est capable d'atteindre à de telles hauteurs; il y
faut l'appoint de la grâce et de la gloire (3). Sans doute, dès là
qu'il a été fait à l'image de Dieu et qu'il possède une nature intel-
ligente, l'homme a la puissance radicale d'être élevé à la vision
béatifique et à la participation de la béatitude divine qui consiste
(1) « Ilominis est operari ad supplendam suam indigentiam; non autem Dei, cui con-
venit operari ad commuaicandam sus perfectionis abundantiam. Et ideo sicut per actum
creationis communicatur bonitas divina omnibus creaturis secundurn quamdam simili-
iudinem, ita per actum adoptionis communicatur similitudo naturalis filiationis homi-
nibus, secunduni illud (Rom., vin, 29) : Quos prxscivit conformes Jîeri imaginis Filiisui.»
S. Th., III, q. xxm, a. d, ad 2.
(2) « Quos praiscivil et prasdestinavit conformes fieri imaginis Filii sui. » Rom, vm, 29.
(3) «Hoc autem plus habet adoptatio divina quam humana, quia Deus hominemquem
adoptât, idoneum facit per gratiae munus ad hoereditatem coelestem percipiendam; homo
autem non facit idoneum eum quem adoptât, sed potius eum jam idoneum eligit adop-
lando. » S. Th., III, q. xxm, a. 1.
656 REVUE THOMISTE
« ergo cumsimus Dei (4), parce que notre filiation n'est pas pure-
« ment nominale, mais rigoureusement vraie et réelle, nous deve-
« nons héritiers de plein droit et à titre de stricte justice, héritiers
« du Père commun que nous avons avec Jésus-Christ, cohéritiers
ce qui fait leur gloire. Est-ce qu'un fils de famille, un jeune homme
de noble extraction rougit du nom de ses ancêtres ? Est-ce qu'il
cache ou dissimule son blason? Il fait, au contraire, sonner l'un
bien haut et s'ingénie à mettre l'autre en évidence. Eh bien! nous
tous qui avons été baptisés, nous sommes de la plus grande race
du monde, nous sommes de race divine, nous sommes enfants de
Dieu.
« Apprenez, disait jadis saint Jérôme à la vierge Euslochium,
« en l'invitant à ne pas fréquenter les matrones superbes enflées
« de l'importance de leurs maris, apprenez à concevoir ici un
« saint orgueil ; sachez que vous valez mieux qu'elles. » Disce,
sanctam superbiam; scito se illis majorera (1). Si l'humilité chrétienne
nous sied en tant que créatures, et surtout en tant que pécheurs,
il ne nous convient pas d'avoir, touchant les choses de la grâce,
des pensées médiocres ou de bas sentiments. Une sainte fierté
paraît ici tout à fait de mise, celle qui respecte les dons de Dieu cl
refuse de déroger. Que des hommes étrangers à noire foi réservent
leur estime pour les biens et les avantages de l'ordre naturel,
qu'ils exaltent plus que de raison les conquêtes de la science, cela
se conçoit; car « l'homme animal, suivant l'énergique expression
«de saint Paul, ne connaît pas les choses qui sont de l'Esprit de
Dieu (2) » ; quant au chrétien, s'il ne le cède à personne dans
l'estime et la culture des sciences naturelles et humaines,
loin d'être une dépression de la nature, la grâce en est, au con-
car -
traire, la plus splendide exaltation - il fait par ailleurs profes-
sion de croire à une science plus haute et plus nécessaire, la
science du salut.
Aussi écoutez avec quels nobles accents saint Cyprien répond à
tous ces preneurs de la nature qui ont sans cesse à la bouche les
grands mois de progrès, de civilisation, de découvei'tes modernes,
et qui, non contents de s'extasier eux-mêmes devant ce qu'ils
appellent les chefs-d'oeuvre de la pensée et les conquêtes de la
science, semblent vouloir imposer leur admiration aux autres :
« Jamais il n'admirera les oeuvres humaines celui qui se sait fils
« de Dieu. C'est déchoir du faîte de la grandeur que d'admirer
«
«
royaume
hautes
éternel
pensées
;
qui
retire-toi,
siéent à
:
Satan.
des
-
enfants
Ne
de
déchois
Dieu
jamais
(2). » - «
des
0
« chrétien, ajoute saint Léon, reconnais la dignité et, devenu par-
« ticipanl de la nature divine, ne va pas retourner par une con-
« duite indigne de ta céleste origine à ton ancienne bassesse (3). »
IV
Mais, dans sa bonté infinie, il n'a pas voulu être seul à jouir de
son bonheur ; et sans autre intérêt que celui de faire des heureux,
il a daigné appeler les créatures raisonnables à partager ces biens
divins qui surpassent absolument tout ce que l'intelligence
humaine et même angélique est capable de concevoir; car « l'oeil
« de l'homme n'a point vu, son oreille n'a point entendu, son
« coeur n'a pu même pressentir ce que Dieu tient en réserve pour
« ceux qui l'aiment (1) ». En nous appelant à l'ordre surnaturel,
il nous offre et nous confère les moyens de parvenir à cette béati-
tude; en nous adoptant par la grâce, il nous y donne un Aéritable
droit. Ainsi donc, la vision de la beauté infinie, l'amour et la jouis-
sance du souverain bien, la participation du bonheur même de
Dieu, voilà l'héritage souverainement jwécieux, le patrimoine
incomparable qui est destiné à ses enfants adoptifs (2). Gomment
ne pas chanter avec le Psalmiste ; «
L'héritage qui m'est échu est
« vraiment magnifique; splendide et enivrante est la part qui me
« revient. Funes ceciderunt mihi in proeclaris, etenim hoereditas mea
« prseelara est milti. Le Seigneur lui-même doit être mon partage :
« Dominus pars hsereditatis mess, et callcis mei. Aussi mon coeur est
« dans l'allégresse, et ma langue tressaille; ma chair elle-même
« reposera en paix, car vous ne m'abandonnerez pas dans le tom-
« beau, et vous ne laisserez pas votre saint la proie perpétuelle de
« la corruption. Vous m'avez fait connaître les voies de la vie,
vous me remplirez de joie en me montrant votre visage, et mes
«
«
«
délices n'auront point de fin » (3). -
« Qu'y a-t-il pour moi au
ciel, et que désiré-je sur la terre sinon vous, ô Dieu de mon
« coeur et mon partage pour l'éternité? Mon coeur et ma chair
« défaillent dans cette attente (4) ».
(1) « Oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit, qute proepara-
vit Deus iis qui diligunt illum. » I Cor., II. 9.
(2) « Ad participationem bonorum suorum creaturas admittit (Deus), et prascipue
rationales creaturas, quas in quantum sunt ad imaginent Dei factas, sunt capaces beati-
tudinis divinae: quse quidem consislit in fruitione Dei, per quam ipse Deus beatus est,
et per seipsum dives, in quantum scihcet seipso fruitur. » S. Tu., III, q. xnn.'a. 1.
(3) « Propter hoc lsetatum est cor meum, et exsultavit lingua mea: insuper et caro
mea requiescet in spe. Quoniam non derelinques animam meam in inferno: nec dabis
sanctum tuum videre corruptionem. Notas mihi fecfsti vias vitse, adimplebis nie loetitia
cum vultu tuo: delectationes in dextera tua usque in finem. » Ps., xv, 5-11.
(4) « Quid mihi est in ccelo, et a te quid volui super terram? Uefecit caro mea, et cor
meum : Deus cordis mei, et pars mea Deus in feternum. » Ps. lxxii, 25-26.
DE-L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 663
Un jour les élus verront le Roi éternel des siècles dans tout l'éclat
de sa gloire et de sa majesté: Regem in décore
suo videbunt(i) ; ils le
verront, non plus seulement, par reflet, dans le miroir des créa-
tures, per spéculum, non plus au travers d'un voile et dans l'obs-
cur ité de la foi, in oenigmate, non plus par derrière comme Moïse,
mais face à face, facie adjaciem, directement, immédiatement, tel
qu'il est, sicuti est, comme il se voit et se connaît lui-même,
cognoscam sicutet cognitas sum (2) ; ils contempleront éternellement
d'un regard toujours avide quoique perpétuellement rassasié cette
beauté infinie, source féconde, idéal souverainement parfait de
toute beauté, de toute bonté, de toute perfection. Et comme Dieu
est un bien infini, le bien universel, bonum universale (3), suivant
l'expression de saint Thomas, le bien de tout bien, bonum omnis
boni (4), l'océan, la plénitude de la bonté,
en se faisant voir aux
bienheureux, il leur montrera véritablement tout bien: Kgo
osten-
dam omne bonum tibi (5).
Si les Apôtres, admis sur le Thabor à voir la gloire de la sainte
âme de Notre-Seigneur rayonnant à travers
son corps mortcJ,
s'écriaient, dans un saint transport mêlé de crainte et d'allégresse
et sans savoir ce qu'ils disaient (6) : « Seigneur, il fait bon ici
» :
Domine, bonum est nos hic esse (7) ; que sera-ce quand, fortifié
par la
lumière de gloire, notre esprit pourra contempler à loisir
non
seulement l'Humanité transfigurée du Verbe fait chair, mais la
divinité elle-même dans toute sa splendeur ; quand, embrassant
d'un seul coup d'oeil toutes et chacune des perfections divines
que
nous sommes obligés maintenant d'étudier séparément pour les
mieux connaître, il les verra se fondre dans une simple et unique
perfection infinie: spectacle enivrant et vraiment ineffable, dont
rien ici-bas ne peut nous donner une idée? Que sera-ce quand
son regard, devenu plus ferme et plus perçant que celui de l'aigle,
pourra scruter les mystères de la vie intime de Dieu, sonder les
VI
Dieu (1) », a daigné nous fournir sur ce point des données pré-
cieuses, qu'il importe de ne pas.laisser dans l'ombre. Afin de nous
aider à concevoir quelque peu les ineffables délices du ciel, il nous
l'a représenté sous des noms multiples et des figures variées:
tantôt comme un royaume, tantôt comme la maison du Père céleste
et la vraie patrie des âmes. Ici, c'est un banquet, un festin de
noces; un là torrent de délices; puis, c'est le repos, la paix, la vie,
la vie sans terme et sans limite, la vie éternelle. Parcourons briè-
vement ces diverses appellations, pour essayer d'en pénétrer
quelque peu la profonde signification.
Et d'abord, le ciel nous est représenté sous le nom et la figure
d'un royaume, le royaume de Dieu promis à ceux qui l'aiment (2).
«: Venez, dira un jour Notre-Seigneur aux élus, venez, les bénis
c<
de mon Père, prenez possession du royaume qui vous a été
'<
préparé dès le commencement du monde. » Venite, benedicti
Fatris mei, possideteparatum vobis regnum a constitutione mundi (3).
Qui dit royaume, dit richesses, puissance, honneurs, gloire,
affluence de tous les biens. Or. tel est précisément le ciel, cette
demeure opulente, kabitationem opulenta?n (4), comme parle le pro-
phète, où se trouvent réunis tous les biens désirables du corps ef
de l'esprit. « Quelle félicité, s'écrie saint Augustin, quand tout
« mal cessant, tout bien sortant de l'obscurité, on ne se livrera
« plus qu'aux louanges dé Dieu, qui sera tout en tous!... C'est là
« que résidera la vraie gloire, qui ne sera donnée ni par l'erreur
« ni par la flatterie, Là, le véritable honneur qui ne sera refusé à
« qui le mérite, ni déféré à l'indigne ; et il ne saurait y avoir de
coeur! Comme on est heureux d'y revenir après une absence plus
moins longue ! C'est là que se trouve tout ce qu'on a aimé, tout
ou
ce qu'on aime encore : parents, amis, connaissances, le toit pater-
nel, la cendre des aïeux. Là, l'air est plus pur, le soleil plus
joyeux, la campagne plus riante, les fleurs plus belles, les fruits
plus savoureux. Là. au lieu d'être seul, inconnu, oublié, on se voit
entouré, on se sent aimé, on est heureux.
Et pourtant, ce que nous appelons présentement notre patrie,
n'est en réalité qu'un lieu de passage ; c'est l'hôtellerie où l'on va
demander un gîte pour la nuit et que l'on abandonne le lendemain;
c'est la tente du nomade qui se dresse le soir pour être repliée au
matin. La patrie véritable, c'est celle que les anciens patriarches
considéraient et saluaient de loin et qu'ils faisaient profession de
chercher, s'appelant volontiers des exilés et des voyageurs (1);
celle après laquelle nous devons soupirer nous-mêmes, car nous
n'avons pas ici-bas de demeure permanente: Non habemus hic
manentem civitatem, sed futuram inquirimus (2) ; « c'est la cité du
Dieu vivant, la Jérusalem céleste, l'innombrable société des
anges, l'assemblée des premiers-nés dont le nom est inscrit au
livre de vie (3) ». Quelle incomparable famille ! Quelle délicieuse
société !
Là, nous trouverons l'aîné de notre race, celui qui a daigné
nous adopter pour ses frères, et nous appeler à partager avec lui
son héritage, Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont les anges ne se
lassent pas de contempler la beauté : In quem desiderunt Angeli
prospicere (4). Nous pourrons, nous aussi, considérer à loisir cette
face adorable empreinte d'une si douce majesté, reposer notre tête
sur ce Coeur qui nous a tant aimés, coller nos lèvres émues sur ces
plaies trois fois saintes que nos péchés ont creusées dans les mains
et les pieds du Sauveur. Comme les apôtres sur le Thabor, nous
entendrons le divin Maître nous redire les excès auxquels il s'est
(1) « A longe aspicientes, et confitentes quia peregrini et hospites sunl super terram.
Qui enim haec dicunt, significant se patriam iuquirere. » Hebr., xi, 13-14.
(2; Hebr., xm, 14.
(3) « Accessistis ad Sion montem, et civitatem Dei viventis, Jérusalem coelestem, et
multorum millium Angelorum frequentiam, et Ecclesiam primitivorum, qui coiiserip'!
suntin coelis. » Hebr., xii, 22-23.
(i) I. Petr., i, 12.
livré pour nous (1) : excès d'humiliations et de souffrances,
endurés pour notre salut pendant sa sainte passion, ou plutôt pen-
dant sa vie tout entière; excès de miséricorde, pour pardonner des
fautes sans cesse renaissantes; excès de charité, que rien n'a pu
lasser : ni oublis, ni ingratitudes, ni trahisons. Et notre âme se
fondra de reconnaissance et d'amour en entendant ce très doux
Sauveur nous faire le récit des merveilles opérées en notre faveur,
nous raconter les saintes industries de sa tendresse pour nous
ramener à lui et nous conserver dans l'état de grâce.
Là, nous verrons, nous aimerons, nous bénirons la très douce,
très pure, très sainte Mère de Dieu, la bienheureuse Vierge Marie,
cette gracieuse souveraine dont la beauté virginale ravira les
saints, cette mère très aimante et si digne d'être aimée, dont la
tendresse se traduira par des témoignages capables d'enivrer le
coeur de ses enfants.
Là, nous jouirons de la société des anges, contemplant d'un oeil
ravi ces hiérarchies célestes qui forment un monde infiniment
supérieur en nombre et en beauté au monde matériel et sensible.
Là enfin, tout ce qu'il y a eu sur la terre de grandes âmes,
d'âmes saintes, d'âmes virginales, d'âmes héroïques, sera notre
société. Les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les
confesseurs, les vierges ne formeront plus qu'une immense famille,
dont tous les membres s'aimeront, se féliciteront mutuellement de
leur bonheur, jouiront ensemble. Et point de voix discordante,
point de procédés pénibles ou indélicats, point de spectacle attris-
tant; une joie toujours jeune, une allégresse que rien ne trouble,
des cantiques sans fin. Les pécheurs, les indignes sont bannis de
ce royaume, où l'on ne voit que des saints, louant d'une commune
voix leur Créateur et leur Rédempteur. 0 beau ciel, éternelle
patrie, quand pourrons-nous te voir? On nous raconte de toi des
choses si glorieuses et si belles! Gloriosa dicta sunt de te, civitas
Dei (2).
VII
VIII
1) '<Existimo quod non sunt condignac passiones hujus temporis ad futuram gloriara,
qu£e revelabitur in nobis. » Boni., vm, 18.
(2) « Id enim quod iti prsesenti est momentaneum et levé tribulationis nostroe, supra
modum in sublimitate oeternum glorioe pondus operatur in nobis. » // Cor., iv, 17.
(3) « Si tamen compatimur, ut et conglorificemur. » Rom., viu, 17.
(4) Is., xxxn, 18.
(5J « Relinquitur sabbatismus populo Dei. Qui enim ingressus est in requiem éjus,
etiam ipse requievit ab operibus suis, sicut a suis Deus. » Hebr., iv, 9-10.
(6) « Pater meus usque modo operatur, et ego operor. » Jban., v, 17,
676 REVUE THOMISTE
(1) « Gaudium et Iaetitia invenietur in ea, gratiarum actio, et vox laudis. » It. li, 3.
(2) Ps. lxxxiii, 5.
(3) « Desines laudare, si desines amare. Non autem desines amare, quia talis est quem
vides, qui nullo te offendat fastidio. » S. Aug.j m Ps. liiv.
(4) « lpse finis erit desideriornm nostrornm, qui sine fine videbitur, sine fastidio
amabitur, sine fatigatione laudabifur. » S. Aue., De Civil. Dei, 1. XXII, cap. xxx, n. 1.
(5) « Oves mesevocem meam audiunt.., Et sequunlur me : et ego vitam aeternam do
eis. » Joan., x, 28.
(6) S. Aus., Loc. cit. n. 6.
678 REVUE THOMISTE
« moins que l'on ne préfère dire qu'il n'y aura point d'hiver. Indi-
(1) « iEternitas vere et proprie in solo Deo est, quia oeternitas immutabilitatem con-
se.quitur. Solus autem Deus est omriino iramutabilis. Secundum tamen quod aliqua alj
ipso immutabilitatem percipiunt, secundum hoc aliqua ejus aeternitatem participant...
Quoedam autem participant de rationc aîternitatis, in quantum habent intransmutabili-
tatem vel secundum esse, vel ulterius secundum operationem, sicut Angeli, et Beali,
qui Verbo fruuntur, quia quantum aotillant visionem Verbi,non mnt in tandis volubiles coyl-
tationes, ut dicit Augustinus (xv de Trin., cap. l(j). Unde et videntes Deum dicuntur
habere vitam aîternam. » S. Tu., Summ. Theol., I, q. x, a. 3.
(2) Cant., i, 6.
(3) S. Bern., in Cant. serm. xxxm, n. 7. ,i ... ?
..
« quez-moi, ô mon bicn-aimé, ce lieu de clarté, de paix, de plé-
« nitude, afin que, moi aussi, je mérite de vous y contempler
«
dans votre lumière et votre beauté (1). »
{La fin prochainement.)
Fr. Barthélémy Fkogeï, O. P.
(1) « Heu! necolara lux, nec plena rel'eclio, nec mansiq tuta : et ideo indica mihi n'A
jxiscaSjUbi cubes in meridie... Vultus tuus meridies est... Overe meridies.plenitudo fervoris
et lucis, solis statio, umbrarum exterminalio, desiccatio paludura, fetorum depulsio !
0 pereimesolstitium, quando jam non inclinabitur dies ! O lumen meridianum, o ver- ?
nalis temperies, o rcstiva venustas, o aulumnalis uburtas ; et, ne quid videar praHeriisse,
o quies et feriatio hiemalis ? aut certe, si hoc magis probas, sola tune hiems abiit et
lecessit. Hune locum, inquit, tante clarilatis et pacis et plenitudinis indica mihi, ut...
''go quoque te in lumine tuo et in décore tuo per mentis excessum m'erear contemplari. »
të. Bern., loc. cit., n. 6-7.
LA VIE SCIENTIFIQUE
i
APOLOGÉTIQUE
R. P. X.-M. Lb Bacitelet : De l'Apologétique « traditionnelle »
et de l'Apologétique « moderne ». - Nous ne saurions trop louer
la science théologique, l'imparlialité loyale et la charité délicate de
cet examen rétrospectif du débat où se sont rencontrés tour à tour
M. Blondel, M. Yves Le Querdec, le R. P. Laberlhonnière, etc.
Le R. P. Le Bachclet ramène son examen à deux points. lre Question :
Pourquoi les théologiens n'admettent-ils pas le verdict portant con-
damnation de l'apologétique doctrinale ? On méditera dans sa réponse
les deux pages 156 et 437 du numéro de juillet, où les théologiens
sont péremptoirement justifiés de certains reproches de dogmatisme
étroit, d'intellectualisme routinier et ignorant des besoins actuels. Leur
position, aux théologiens, c'est la position même de l'Eglise au concile du
Vatican : 1° L'apologiste catholique doit fonder en dernière anarysc le
caractère obligatoire de la foi sur l'autorité de Dieu, maître et vérité
suprême. - 2° L'apologiste qui n'aboutit pas au fait concret de la révéla-
tion reste en deçà du but à atteindre. - 3e L'apologiste ne doit pas
prendre comme hypothèse unique et nécessaire celle de la foi vive et agis-
sante, etc. - 2e Question : Y a-t-il lieu d'opposer à l'apologétique « tradi-
tionnelle » historiquement entendue et pleinement comprise l'apologétique
« moderne » ; soit celle qui s'en lient à l'exposition de la valeur et de la
vertu intrinsèques du christianisme, soit celle qui s'appuie sur la méthode
philosophique d'immanence ? D'accord avec un écrivain de la « Revue
Thomiste », et sous les mêmes réserves doctrinales, dont il veut bien lui
emprunter les termes, le R. P. Le Bachelet répond : non.- Mais, grâce à
Dieu et à de fraternels rapprochements, bien des circonstances ont changé.
Il y a un an, comme l'observe le Rév. Père, l'opposition à certains tours
de pensée des nouveaux apologistes était un devoir : « un devoir pour toul
«
théologien ou tout philosophe catholique qui veut resterlidèle à la direc-
« lion donnée officiellement par le chef de l'Eglise, à l'enseignement de la
« théologie » (n° du 20 août, p. 4.55) ; mais aujourd'hui la période agres-
sive et polémique semble finie d'un commun accord. Il est heureux qu'un
LA VIE SCIENTIFIQUE 681
hors de soi, c'est son amour ; c'est Lui ; ce qu'il veut donc produire, là ou
il aime,- car aimer c'est agir, .- c'est quelque chose de parfait et d'a-
gissant, identique à Lui : un acte d'amour, conscient et libre, ayant Dieu
pour terme ; un acte d'amour déifiant. Mais l'amour parfait est parfait
dans son action, et donc efficace par lui-môme. Cet amour efficace et déifi-
ealeur, allant de Dieu à l'homme, « nous ne saurions lui donner un nom
plus approprié que celui de grâce divine ». Dieu donc, par le don de la
grâce, s'identifie l'homme.
Et l'homme à son tour s'identifie à Dieu, par l'amour qu'il lui donne
en vertu de la grâce. Si l'homme ne peut exister que par son lien de
dépendance envers Dieu, et si ce lien de dépendance est l'effet de l'amour
de Dieu pour lui, toute son existence, toute son action, toute sa nature
est suspendue à la grâce. La grâce est le fond même de la nature divine
et l'explication suprême de l'homme, et « nous pouvons ainsi compléter
la fameuse doctrine d'Aristote sur l'existence de l'homme et du monde ».
M. Segond n'ignore pas la difficulté que va lui soulever cette explica-
tion totale de la nature et de l'homme par la grâce : si la surnature explique
tout, que devient la nature? Et, réduisant le problème à ses termes
humains, si la grâce efficace et prévenante explique tout l'homme, que
devient le fait capital de la nature : la liberté ?
Réponse : la grâce, essentiellement libre en son origine et parfaite en
son action, ne 23cul engendrer un amour contraint elle nous laisse libres
dans le for de notre être. - :
Quant à la nature, si l'on entend bien ce
mol, elle la détruit si peu, que la nature modifie l'aciion de la grâce en
nous. Qu'est-ce que la nature? C'est l'égoïsme par rapport à Dieu,
dit M. Segond avec une réminiscence de La Rochefoucauld : la
nature vil dans le temps, le temps engendre l'habitude, l'habitude se
résoud en déterminisme inconscient, c'est la coutume, la machine, de
Pascal. Ainsi s'habitue l'homme à ne plus se sentir en union adive avec
Dieu : il cesse de vivre cette union, il la raisonne, s'opposant intellectuel-
lement Dieu et l'homme, comme deux substances immobiles, séparées,
tandis que ce sonl deux actes, deux amours qui se rejoignent. La nature
existe ainsi plus ou moins en chacun de nous dans la mesure de son oubli
de l'immanence divine par la grâce. La nature c'est une illusion, l'illusion
de notre réalité séparée, c'est une interprétation logique et illusoire :
Timage logique de la grâce. - Ainsi comprise, la nature amoindrit la liberté
humaine : ce n'est plus cette liberté irrésistible d'un amour parfait, infail-
liblement décidé au bien ; c'est l'amour imparfail, amoindri par l'habitude
et qui fait effort pour aimer ; l'amour imparfail qui a besoin de faire choix
entre aller à Dieu et aller à soi, entre l'égoïsme, cause du péché, et le
bien. Il lui faut donc, en plus de la //race prévenante qui incline l'homme
LA VIE SCIENTIFIQUE 683
vers Dieu, la grâce justifiante, création d'un être nouveau dans l'être même
de l'homme.
Nous ne dirons rien de ces vues générales sur Tidcntité dont la thèse de
M. Segond vise à fournir une justification nouvelle. On ne peut cependant que
regretter Vemploi impropre d'un terme aussi absolu : cela donnera toujours lieu
aux équivoques, justement redoutées de l'auteur. L'amour réciproque ne fait
pas l'identité : il unit deux êtres restés distincts, bien que devenus un par leur
mutuelle sympathie; tous deux sont l'un à l'autre, sans que l'un devienne
totalement Vautre. Ces choses-là sont évidentes, et les plies enthousiastes mètha-
phores de la passion en extase ne trompent ici personne, pas même les philo-
sophes.
Mais, pour en venir au sujet de Z'Essai, il y faut reconnaître la commune
préoccupation des philosophes chrétiens contemporains, qui veulent étudier le
surnaturel, non plus seulement comme objet de connaissance, mais surtout
comme objet d'amour. Bien déplus légitime, en se souvenant toutefois rfesapere
ad sobrielalem. La Vérité Première auteur et objet, de la révélation et de la foi,
n'est-elle pas aussi, par essence, la Bonté Suprême et la Fin Dernière vers qui
gravitent la volonté et la vie humaines sous l'impulsion intime de la grâce ?
Nous avons dit ailleurs et nous tenons à redire ici la place nécessaire de ces
deux ordres de considérations dans une apologétique intégrale, scientifiquement
conçue (1). Nous sommes aussipersuadés que, les Iwmmes de ce temps ont éga-
lement besoin de l'un et de l'autre point de vue. C'est pourquoi nous rendons
volontiers hommage aux préoccupations qui inspirent TEssai^ M. Segond.
Mais pourquoi Essai au point de vue philosophique ? Je me demande ce
qu'en penseront les théologiens. M. Segond veid-il dire que la philosophie est
capable, par elle-même et toute seule, de nous amener à ses conclusions sur
''existence, la prévenance, l'efficacité de la grâce ? On le dirait, à le voir toul
amplement procéder de notions philosophiques sur l'homme, sur Dieu, sur
l'amour, sur la nature. Et alors, pense-t-il que la philosophie puisse découvrir
et démontrer la grâce ? La théologie catholique, d'un accord unanime, le lui
refusera : la grâce, don gratuit d'une libre volonté de Dieu, ne peut se ramener
'( aucune de ces causes nécessaires et évidentes qui fondent la certitude des
démonstrations philosophiques. Il est vrai qu'en fait, la grâce existe, divini-
sant la vie humaine, et se manifestant par des signes ; mais qu'est-ce que les
-ignés d'une réalité invisible, présente dans la nature, mais transcendante à
elle, et dont on ne détermine point nécessairement la cause adéquate ? Ce sont
'?'es probabilités et des conjectures; ce n'est pas rigoureusement et technique-
ment de la philosophie.
Mais, peut-être, 3/. Segond veut-il simplement dire, an fond, que les données
(1) Il semble aussi que, sous le terme d'amour de Dieu l'auteur désigne indifféremment
la grâce sanctifiante et la, charité. Nous aurions cneore à discuter celte autre conclusion :
« La liberté de choix e&i en somme l'acte combiné de la grâce prévenante et de la grâce
justifiante. »
LA VIE SCIENTIFIQUE 685
coeur de signaler sans rémission les équivoques dont ces généreux esprits ne
semblent pas assez se défier. C'est une tâche ingrate, mais salutaire et toute
fraternelle. Qui pourrait s'en blesser? Meliora sunt vulnera diligentis...
[Annales de PMI. chrét., sept. 1897.)
M.-B. S.
II
MORALE
P. Lapie : Morale déduetive. - Dans celte étude extrêmement
curieuse M. L^ie cherche à déduire d'un axiome premier, universel et
nécessaire, les « hypothèses » de la morale même matérielle. C'est « le
paradoxe » de la physique contemporaine que les déduclions d'une
science idéale, les mathématiques se rencontrent avec les inductions d'une
science positive. Pourquoi n'en serait-il pas de même en morale ?
La thèse comprend trois parties : 1° Les définitions, axiomes, théorèmes
fondamentaux d'une morale déduetive; 2° Examende Verreur intellectuelle, qui
fait de cette morale nécessaire en soi une morale irréelle. 3° De l'obli-
gation considérée comme effort pour rétablir l'ordre violé, le scandale
scientifique causé par les erreurs intellectuelles.
1° Le principe « A est A » est le principe premier. Appliqué à la quantité,
il devient l'axiome mathématique, par exemple : le tout est égal à la
somme de ses parties. A quels termes l'appliquerons-nous en morale? A
l'action d'abord el à l'action proprement humaine, car la morale étudie
les actions (p. 547). L'action proprement humaine est celle qui procède
d'un antécédent psychologique, la délibération. Les actions de l'homme
<|ui ont un antécédent physique, la faim par exemple, ne sont pas des
actions humaines. Elles ne le deviennent que lorsqu'elles sont modifiées
par la réflexion. Le corrélatif de l'action ainsi défini est l'agent libre. Peu
importe à la morale déduetive que cette liberté soit une illusion. « Quand
on s'est convaincu que l'homogène pur n'existe pas, croit-on moins aux
mathématiques!1» (p. 549). Admettons sa disparition, la morale sera-l-
ulle ruinée ? Pas plus que la géométrie n'est ruinée aux yeux du savant
qui nie le postulat d'Euclide. L'objet de la morale déduetive est donc fixé
par les ukfimtions des actions el des agents.
Quels sont leurs rapports ? Appliquons l'axiome d'identité. Il vient ;
« Une action identique a un antécédent identique el un conséquent iden-
tique, une action différente a un antécédent et un conséquent différents. »
Ce sont là les axiomes de la morale déduetive.
Ces axiomes, pour être fructueux, doivent être appliqués avec la lar-
geur que comportent les exigences de la matière où on les transporte.
686 REVUE THOMISTE
(1) La définition du vice comme erreur logique demanderait, elle aussi, un éclaircisse-
ment que les limites de ce compte rendu ne nous permettent pas de donner aujourd'hui.
688 REVUE THOMISTE
?
dentel, et encore de la moralité réalisée, non de la science morale. Ella intervient
pour réparer ses bévues, pour faire cesser les absurdités logiques dont elle est la
cause. Ainsi, la cause de Vobligation est au fond toute logique chez M. Lapie,
chez il. Dugas toute psychologique. Et la raison de ces divergences est la con-
fusion entre lefondement ciel'obligation morale et le fondement de la méthode
morale.
De ces deux tfièses, à notre sens, on en ferait une bonne. La morale étant une
cl/ose humaine, elle doit prendre son point d'appui dans la psychologie de nos
appétitions. Cest ainsi que saint Thomas pose la question dans la Prima se-
cundac. C'est ckms les exigences de notre dynamisme appëtitif qu'il recherche le
principe de la moralité. Kant du reste semble avoir fait de même lorsqu'après
avoir réduit dans sa première critique toute réalité, et donc ce que nous entendons
par notre nature à la raisonpure, il s'est demandé si cette raison pouvait deve-
nir piratique. Son tort est d'avoir demandé à une idée qu'aucun lien ne rattache
nécessairement à la raison pure, à une idée de simple fait {et encore?) le Devoir,
la preuve justificative de ce pouvoir. A l'inverse, le tort de M. Dugas nous semble
être d'accorder la raison de moralité à la nature brute,aux causes psychologiques
efficientes prises dans leur totalité, et de ne donner aucun critère général pour
expliquer la supériorité qualitative de certains « sentiments » sur les autres.
« D'une manière générale, dit-il, une règle morale est toujours conçue
comme supérieure en un sens aux actes particuliers qu'elle est destinée
à produire quoiqu'elle n'ait d'autre but de produire ces actes. » Il eût
fallu dire pourquoi la règle morale devait être conçue avec cette « supériorité »,
trouver clans notre dynamisme psychologique sa raison d'être. L'abstraction J
voilà qui est bien comme condition de cette supériorité, mais n'explique nulle-
ment sa cause. Une idée abstraite n'est pas toujours ni nécessairement impè-
raiive. Aussi M. Dugas a-t-il senti comme M. Lapie le besoin délayer ses
inductions sur des principes étrangers certainement à ses idées. Ne définit-il
pas la moralité (p. 398) : la conformité des penchants aune lin qnelconque.
Il est vrai qu'il n'entend pas par fin « un idéal déQni ». Mais peu importe. Il
reste que l'idée de destination n'est pas étrangère au travail de il. Dugas ; et
justement, puisque faire reposer la moralité sur la nature, c'est la faire reposer
m dernière analyse sur la destination quifournit la seule explication rationnelle
clelanature. (Cf. Aiust. IIPhysic.)
La destination, voilà, ce nous semble, V élément psychologique qu il importait
de dégager de nos appélitions immanentes. Que peut faire l'abstraction si l'être
n'est pas destiné à prendre pour règle de sa conduite et de ses appétitions les
tdées abstraites de sa conduite et de ses appétitions ?
Et voilà, ajouterons-nous, retrouvé au sein même de notre psychologie imma-
nente cefondement du devoir qui nous apparaissait déjà tout à l'heure, dans la
thèse de M. Lapie, comme l'axiome dissimulé de sa morale dëductive.
690 REVUE THOMISTE
III
LOGIQUE
Abbé Martin : La démonstration philosophique. -
Elle peut se
définir : l'exposé doctrinal qui traduit et montre comme.intelligible une
conception totale de l'univers. - Toute doctrine est condensée dans un
principe ; celui-ci a l'air de s'appuyer sur des preuves, mais ces.dernière;;
ne valent que par leur rapport avec le principe, donc la démonstratioii
philosophique est un cercle.
Oui. Toute expression de notre pensée est une répétition : proposition,
syllogisme, série de propositions ou de syllogismes ne sont que l'expres-
sion plus.claire, plus forte d'une pensée unique.
LA VIE SCIENTIFIQUE 691
-
II. Véritable contenu de l'idée de hasard.
a) L'événement fortuit doit être une coïncidence ; dû, non à une cause
694 REVUE THOMISTE
« La fortune n'a trait ni aux choses inanimées, ni aux bêtes, ni aux en-
fants, parce qu'ils n'ont pas d'intention. .- Le hasard se rencontre et dans
les animaux autres que l'homme et dans les êtres inanimés » (1). En
français, du reste, les mois fortuné, infortuné, s'appliquent surtout aux
hommes. La seconde expression, aùto^atov, casus, est un résultat de même
nature, mais ailleurs que dans les choses humaines.
c) Il doit y avoir mutuelle indépendance entre les causes dont dépend le
fait fortuit.
III.- Conséquences.
ci) Le Hasard n'est pas une essence métaphysique,
b) Ni une cause, énergie agissante, puissance créatrice,
c) Ni une cause, antécédent phénoménal, mais réel toujours, sous des
conditions définies, suivi d'un certain conséquent.
« Le hasard, dit à ce propos l'auteur, peut même, contrairement à une
affirmation très catégorique d'Aristote, être cause ou principe, non seule-
ment d'événements habituels et ordinaires, niais encore d'événements
constants. » Ainsi une condition de supériorité dans la lutte pour la vie,
due à un concours fortuit de circonstances, peut assurer la survivance
- constante - d'une espèce. Aristote ne parle pas ici du hasard comme
fait-cause, mais comme fait-effet. Il distingue trois classes d'effets : ceux qui
arrivent régulièrement, ceux nui arrivent ordinairement, ceux qui arrivent
extraordinairement. Les effets dus. cou hasard rentrent dans cette dernière classe.
L'auteur lui-même Va avoué plus liaut en déniant aux Jaits fortuits les carac-
tères de complexité et defréquence. Et voilà tout ce que dit Aristote dans le pas-
sage incriminé (2).
(î) Oijte c£^uX0V o'JÔàv oCrre ©Yjpiov oute jraiôtov oûSèv izoïzï cctzô t-uy^ç... To ô'aÛTOjxaxov
y.ai -coTç aXXotç Çwotç xa\ TtoXXoïç twv àfyiy&v. {Phys. liv. I, ch. vi, édit. Didot.)
(2) Phys. liv. II, ch. v, éd. Didot.
LA VIE SCIENTIFIQUE 695
PSYCHOLOGIE
Armand Thijîky : La vue et les couleurs.
Il nous est impossible dans ce court complu rendu de dire tout le bien que
nous pensons de la réponse jaile par M. A. Thièry à l'article de M. Hallez. Du
plus pur thomisme, l'étude du professeur de Louvain relève en même temps du
disciple distingué et du collaborateur de Wunclt. Les résultais certains de la psy-
chologie expérimentale s'entre-croisent avec les notions les plus rigoureusement
traditionnelles de la psychologie d'Aristote, de saint Thomas, de Gajetan, de Jean
de saint Thomas. L'Ecole de Louvain a bien mérité de la renaissance scolastique
en mettant en si limpide lumière l'une de nos plus importantes thèses, intimement
liée qu'elle est, à la doctrine delà i/ièse de la connaissance!ntellectuelle. Ce travail
restera comme un modèle de cette synthèse entre l'ancien et le nouveau, que la
Revue Néo-Scolaslique comme la Revue Thomiste se sont donné pour tâche
de présenter aux philosophes du temps présent. Nous le disons sans envie,
mais avec l'émulation que ne peut manquer de provoquer une oeuvre bien
faite, et dans un sujet aussi controversé, semble-t-il, définitive. M. A. Thièry a
montré par là que nos Universités et Collèges thomistes peuvent avec confiance
envoyer des disciples à son école pour acquérir un élément qui manque encore à
peu près généralement aux centres philosophiques, catholiques et aidres. Le
laboratoire de psycho-physique de ^'Institut philosophique de Louvain n'est
ilonc pas un ornement de luxe, un joujou coûteux comme on Ta dit. C'est un
instrument de travail sérieux, vraiment philosophique. La démonstration est
faite. L'aveu eu sera sans doute d'autant plus recevable qu'il vient sinon d'un
adversaire, du moins d'un opposant quijusqu'ici avait formellement réservé son
jugement.
- On me permettra de ne rien dire de l'article. Ce travail veut être lu.
690 1ÏEVUE THOMISTE
Le résumer serait l'amoindrir. Notre désir est qu'il soit tiré à part et répandu
dans tous les milieux philosophiques modernes et scolastiques.
{Revue nèo-scol., 1er août 1897.)
Fr. A. Gaudeil.
-
venance- au sens très large du mot soit avec du désappointement... »
On ne rit pas du vice en lui-môme, mais des mauvaises mesures qu'il
prend, du masque transparent derrière lequel il prétend se dérober. On
ne rit pas du malheur en lui-même ; le rire est alors du premier moment el
oublieux des conséquences pratiques, comme il l'était, pour le vice, des
conséquences morales.
Ne savent pas rire les esprits exclusivement préoccupés des consé-
quences pratiques ou morales el qui ne peuvent pas, môme pour un ins-
tant, d'en désintéresser.
Le burlesque consiste dans l'attribution d'un caractère el d'un lan-
gage ou trop bas ou trop haut à un type connu ou convenu; ex.: le Virgile
travesti.
Le grotesque aurait pour matière celle même du burlesque, mais arrangée
de façon à paraître un peu laide.
Le bouffon, c'est le comique mené à l'extrême par un trait d'inconve-
nance exagéré jusqu'au fabuleux, au merveilleux, à l'invraisemblable;
c'est une vérité poussée à l'impossible, mais en ligne droite..., dans le
genre d'une caricature à la fois exagérée et très ressemblante. « C'est
l'épique du rire. »
Le rôle du rire et de la littérature comique a pour formule cette vieille
devise : « Rien de trop ». II nous empêche de prendre l'homme appareilI
pour l'homme vrai. Le monde dépourvu du comique deviendrait trop sot.
Mais n'exagérons pas le rire jusqu'au point où la faculté de compatir et
de plaindre pourrait s'amoindrir.
II. Il est plusieurs manières d'avoir de ['esprit.
LA VIK SCIENTIFIQUE 097
« Tout est dit et l'on vient trop tard » depuis plus de quinze jours que
M. Brunelière a parlé. Hais, puisque le conférencier voyageur a touché la
question si vivante des Universités en France et en Amérique, on nous pardon-
nera quelques remarques émises dans la simple intention de dégager de leur
mâche impressionniste les résultais d'une aussi intéressante enquête, et de les
fixer pour ainsi dire dans un sclième qui en fera ressortir les /rails psycho-
logiques.
Les groupes des Universités américaines récentes iGornclI, Johns
Hopkins, Zeland Stanford et l'Université de Chicago) por.r lesquelles
M. Brunelière semble marquer une préférence ont sur nos Université-
?françaises trois avantages : elles sont maîtresses de leur budget, maîtresse-
de leur enseignement, et maîtresses du choix de leurs professeurs.
« Quelle raison aurais-je, dit l'auteur, de dissimuler qu'en appuyant sur ces
LA VIE SCIENTIFIQUE 699
trois points, je songe à nos Universités, qui seront tout ce <jue l'on vou-
dra, mais non pas, à mon sens, des Universités, vraiment dignes de ce
nom, aussi longtemps que les professeurs en [seront choisis, nommés,
appointés par l'Etat ; et surtout aussi longtemps que les examens qu'elles
feront passer seront des examens d'Etat, j'entends dont le programme sera
déterminé par l'État, et dont les diplômes constitueront, pour ainsi parler,
des titres d'Etat ».
Nous permettra-k-on de rapprocher de cette humiliante déclaration le souhait
que nous formions il y a tantôt quatre ans de voir les Universités libres fran-
çaises jouir de la liberté des programmes et des examens (1) ? Nous ajoutions :
« A quoi aboutit, en définitive, ce système renouvelé d'un autre âge? A humilier
devant les 'nombreux pays où la concurrence est reconnue comme la condition de
la supériorité réelle, des professeurs qui valent mieux souvent q ne Vinstitution à
laquelle ils appartiennent. » II est en effet plus qu'étrange (que non seule-
ment nos Universités libres n'aient pas la liberté comme en Amérique, mais
encore soientjusticiables de leur enseignement, qui est souvent celui de maîtres
comme MM. de Lapparent ou Merveilleux du Vignaux, devant les moindres
professeurs des Universités dites d'Etat, en réalité des Universités rivales.
II y a à cela un obstacle, c'est qu'en France les Universités « sont utili-
taires », elles confèrent des diplômes... et ces diplômes ont surtout et
d'abord une valeur d'Elal. « Ils sont à la fois,
vice,- -
et c'en est le grand
des sanctions d'études et le titre exigé pour entrer dans une car-
rière. » L'Etal ne saurait donc s'en désintéresser. En Amérique, c'est -
M. D. C. Gilmann, l'organisateur de l'Université Johns TTojîkins, qui parle
- la première fonction d'une Université est la conservation de la connais-
sance, « et, d'un mol, remarque M. Brunelière, on ne saurait faire plus
clairement entendre que la condition même du progrès scientifique est le
respect de la tradition. » La seconde fonction est d'étendre ou de reculer
les bornes de la connaissance humaine. El la troisième fonction est de
répandre la connaissance humaine. « Nous nous faisons en Franco une
idée plus pratique et plus mystique à la fois de la science », ajoute
M. Brunelière. Plus pratique, ce n'est que trop vrai : plus mystique, on ne
le saicrait dire, car est-il vrai que les savants français dédaignent et crai-
gnent, en répandant la science, de la « vulgariser » ? Mais M. Brunelière a
sans doute voulu insinuer que tels savants français qui gardent par la presse
« contact avec l'opinion », et qu'il a mille bonnes raisons de bien connaître,
ne sont que des vulgarisateurs, au double sens du mot. L'aveu n'est pas fait
pour nous déplaire.
Un détail d'organisation a vivement frappé M. Brunelière à Johns Hop
kins. C'est que l'enseignement d'une branche du savoir est confie à un
(1) Revue Thomiste, sept. 1893.
if
700 REVUE THOMISTE
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Gamm.
G. Tarde : La Graphologie.
L'article de M. Tarde à propos de la quatrième édition du livre de
M. Crépieux-Jamin : « l'Ecriture et le Caractère», contient des vues inlé-
ressanles et de fines remarques. Pourtant l'analyse n'est pas assez poussée
sur bien des points ; de là des erreurs, et des indications dont l'exactitude
laisse à désirer.
Dans une première partie, M. T. compare l'écriture au corps humain et
à ses mouvements, comme moyens d'expression, et note certaines condi-
tions qui influent sur le degré de signification de l'écriture. Les observa-
tions de M.T. sur ce dernier point sont une preuve de sa sagacité, mais les
raisons qu'il apporte j>our donner au graphisme la supériorité sur le visage
et sur le corps pour l'étude du caractère, ne semblent pas suffisamment
appuyées, ni prises d'un point de vue assez large. Je ne vois pas que
l'avantage reste à l'écriture, parce que les mouvements de la plume sont
plus libres vis-à-vis du type traditionnel que ceux du visage dont la direc-
tion et l'amplitude sont déterminées dans une certaine mesure par la
forme héréditaire. En effet plus l'être qu'on étudie offre de fixité, de
nécessité, plus il est facile d'en avoir la science ; et si les manifestations
libres ont une plus grande richesse d'expression, l'interprétation en est
aussi beaucoup plus difficile.
D'ailleurs la comparaison aurait dû être plus étendue ; il eût fallu
joindre les formes aux mouvements, car il y a un lien intime entre ces
deux espèces de signes. Dans l'écriture, le tracé propre à chaque lettre
qui est sa forme est effectué par le mouvement de la plume et des doigts.
Dans le corps humain, la forme est le résultat d'abord du mouvement qui
aboutit à la génération, puis de ceux d'augmentation et de diminution dont
l'origine n'est pas purement extérieure, et de môme qu'on ne peut quali-
fier les types humains de conventionnels, de môme ceux des écritures ne
le sont pas absolument, comme l'insinuent les faits apportés par M. Tarde
dans sa troisième partie.
Dans celte dernière partie, M. T. signale aux graphologues l'impor-
tance de la psychologie, comme nous l'avons fait nous-mêmes à propos du
livre de M. Crépieux-Jamin (cf. Revue Thomiste, juillet 1897), mais il y
aurait beaucoup à dire sur celle qu'il propose. Assez exacte dans sa divi-
sion de l'âme en « versant judiciaire » et « versant volontaire » elle mécon-
naît-la nature de l'intelligence, en faisant de la croyance et non de l'intui-
tion son acte principal et donne une idée très incomplète de la volonté en
y indiquant seulement le désir, sans parler ni des passions, ni des diffi-
cultés que crée la liberté pour la valeur des signes. M. T. n'a pas évité,
non plus,le défaut commun des graphologues de l'attacher une forme ou un
LA VIE SCIENTIFIQUE 705
tion que redoutent désormais les parlementaires aussi bien que les ennemis
déclarés de la religion.
Citons encore les paragraphes qui ont trait au « libéralisme », à la
« civilisation », à la « question juive », aux « libertés » tant vantées de la
conscience », de la « presse » et des « cultes ». Quelques-uns pourront
peut-être ne pas partager de tous points la doctrine de l'auteur, mais tout
homme sérieux sera obligé de reconnaître la valeur réelle des raisons
alléguées.
Le livre se ferme sur un aperçu très intéressant et très pratique touchant
la et Mission des laïques dans l'Eglise ». A la veille de la grande lutte élec-
torale, on ne saurait trop s'inspirer des principes qu'émet M. l'abbé
Duballet sur la nécessité, pour les catholiques, de prendre part à la vie
administrative et politique. Ce qui frappe surtout en ces quelques pages,
c'est la parfaite harmonie de la doctrine avec les enseignements de
Léon XIII.
Disons en terminant que ce « Cours de Droit canon » est plus qu'un
ouvrage de valeur, c'est une oeuvre qui contribuera certainement à resti-
tuer à cette science si nécessaire et trop délaissée la place qui lui appar-
tient dans les études ecclésiastiques.
SOMMAIRES DES REVUES
REVUE NÉO-SCOLASTIQUE
Novembre 1897.
H. Lebrun. - Les Nucléoles nucléiniens.
M. P. De Munnynck. -La section de philosophie au Congrès scienti-
fique de Fribourg.
D. Nys. - - -
Een. Pasquijkk. Les hypothèses cosmogoniques (suite).
La notion du temps d'après saint Thomas d'Aquin (suite et fin).
M. De Whlf. Quelques formes contemporaines du panthéisme.
D. Mercier. -
lastique (suite).
La psychologie de Descartes et l'anthropologie sco-
DIVUS THOMAS
Fascicules xix-xx.
M. A.-M. Vespignani. - In Liberalismum universum Doctore Angelico
duce et Pontifîce sunimo Leone XIII Trutina.
M. G. - Verbum orale seu vivens magisterium princeps et essentiale
organon revelationis christianoe.
M. J.-L. Jansen.
Dr M. - - De criterio Veritatis.
Doctrina S. Thomas de,natura Theologioe speculativa?.
M. J.-B. Vinati.
Bibliographia.
- De principio causalitatis Animadversiones criticoe.
REVUE BIBLIQUE
1" octobre 1897.
M. Batiffol.
R. P. Rose. -- Les logia du papyrus de Behnesa.
La question johannine : les aloges asiates et les aloges
romains.
708 REVUE THOMISTE
Mgr Lamy.
charie.
- Les commentaires de saint Ephrem sur le prophète Za-
M. Touzaed.
Mélanges,
-L'original hébreu de l'Ecclésiastique.
La voie romaine de Petra à Mâdaba. R. P. Germer Durand.
-?
- Inscriptions palmyréniennes. R. P. Jaussen. -- Un diplôme mili-
taire de l'armée de Judée. M. Héron »e Villefosse.
Chronique de Jérusalem.
cou ver***a
-Recensions. -Bulletin. -
Dernières dé-
ETUDES
S novembre 1897.
- -
P. Y. B. Un Russe calomnié.
P. S. Harent. La part de l'église dans la détermination du rite
sacramentel.
P. C.
P. L.
--
Antoine.
Méchineau.
La Banque de France pour ou contre le privilège
La Bible d'Ethiopie (troisième article).
?
P. E.
P. H.
--
Gapelle. L'éclairage à l'acétylène (suite).
Ciiérot. Revues : questions d'histoire.
Livres.
Evénements de la quinzaine.
récentes.
-
M. Camille Bos. Le pessimisme de Pascal d'après les études les plus
nisme. - -
Abbé Ch. Denis. Esquisse d'une apologie philosophique du Christia-
Le Christianisme en nous et le Christianisme en soi; l'acte
de foi ; le symbolisme ; le problème du doute et de l'irréligion, IV.
Comte Domet de Vohces.
gères.
- Revue des revus françaises et étran-
Variétés critiques.
A. Van Gehuchten,
-- 1. Anatomie du système nerveux de l'homme:
2. L'année philosophique : E. Pillon. - 3.
Précis de Philosophie : A. Penjon.
E. Rayot.
- 4. Leçons de morale pratique ;
Bulletin bibliographique.
SOMMAIRES DES REVUES 709
REVUE PHILOSOPHIQUE
Octobre 1897
M. G. Tarde.
M. G, Milhaud.
-- La graphologie.
Le raisonnement géométrique et le syllogisme.
M. Dugas. - -
M. B. Bourdon.
Analyse psychologique de l'idée de Devoir.
La sensibilité musculaire des yeux.
M. G. Dumas. - Gall et l'expression des émotions.
Analyses et comptes rendus.
Revue des périodiques étrangers.
Novembre 1897.
M. F. le Dantec.
M. Gorlot. -- - .
Revue critique.
-
M. J. Philippe. Un recensement d'images mentales.
LA QUINZAINE
1er novembre 1897.
M. PaulAllard. .-L'Histoire à la campagne.
bles sous l'Ancien Régime.
-
Paysans et petits no-
M. Paul Dubost. -
La Socialiste, III.
M. An. Hatzfeld. ?- La Polémique antichrétienne au xix° siècle. -
A
propos d'une nouvelle vie de Jésus, par Albert Réville.
M. le Comte Alphonse de Calonne.
M. Charles Loiseau. - -
Mentanaet l'Osteria del Grillo.
Les précurseurs de l'Unité balkanique.
M. Emile Hinzelin. ?- Poésie : Les flots de pain.
M. George Fonsegrive.
serie amicale sur la Revue.
-
Les Idées et les Faits : A nos lecteurs. Cau-
LA SCIENCE SOCIALE
Octobre 1897.
M. Paul de Rousiers.
en 1923.
- Questions du jour. -
Un évéque français
Brefs. - - -
Acta Sanctjj Sedis. -? I. Actes de Sa Sainteté. II. Secrétairerie des
III. S. C. de l'inquisition. S. C. du Concile. -
V. S, C.
des Évéques cl réguliers. - - -
VI. S. C. des Rites.
dulgences. .-VIII. S. C. de la Propagande.
VII. S. C. des In-
IX. S. C. de la Propa-
gande pour les rites orientaux.
tenecrie apostolique.
- X. S. C. de l'Index. -XI. S. Péni-
Bulletin bibliographique.
Le Gérant : P. SERTILLANGE S.
__
PARIS. IMPRIMERIE F. LEVÉ, RUE CASSETTE, 17
REVUE THOMISTE
LE SYSTEME DE SPINOZA
-
» «
qui a conquis le monde. Spinoza a créé la philosophie la Welt-
anschauung (3) philosophie à laquelle rendent hommage pleine-
-
ment et ouvertement tous ceux qui n'édifient pas sur le sable
d'une infructueuse métaphysique, mais sur le rocher de l'expé-
rience (4), de la science, de l'exacte connaissance de la nature.
Auquel des deux la palme? au Christ ou à Spinoza? On peul
davantage aimer le Christ, parce qu'il s'adresse plutôt au coeur.
Tout ce qui est homme comprend le Christ, ressent à sa parole
une parenté touchante avec ce coeur si pur. Mais Spinoza est le
penseur des penseurs. Il ne veut pas nous toucher, il veut nous
convaincre. Spinoza n'exige pas la foi en sa parole, il enseigne
tout simplement la vérité. Autant la vérité est supérieure à la foi,
et la connaissance consciente à une sensation inconsciente, au tan I
comme des lignes et des surfaces, que la connexion réelle des con-
ceptions et des choses répond à la liaison mathématique : ce qui est
faux. S'agit-il d'une proportion de quantité, de nombres, de gran-
deurs et de figures géométriques, la méthode mathématique est à
; mais l'objet de la philosophie est beaucoup plus vaste, et
sa place
c'est pourquoi la méthode mathématique ne peut êlre employée
exclusivement. N'est-ce pas la nature et l'objet d'une science qui
en déterminent la méthode ? dire l'inverse est une erreur.
Nos conceptions et nos affections ne sont ni des lignes, ni des
surfaces, ni des figures géométriques. Leurs combinaisons et leurs
proportions réciproques diffèrent essentiellement de celles des
lignes ou des surfaces, et ne peuvent être formulées par le calcul.
Ce que Hontheim dit de l'algorithme logique, peut se dire aussi de
la méthode mathématique en philosophie. II ne faut pas oublier
« que le calcul reste à la superficie et ne pénètre nullement dans
l'essence des choses. L'algorithme ne connaît que des propriétés.
Il ne fait aucune différence entre les propriétés essentielles et les
accidentelles, entre le genre et la différence spécifique, entre le
propre et l'accident. Les cinq prédicables dans leur ensemble ne
sont pour le calcul autre chose qu'un total uniforme (1). » Nos
jugements et nos conclusions ne sont pas davantage des équations
mathématiques. L'emploi de la méthode mathématique a dû
restreindre arbitrairement le domaine de la philosophie. Aussi
Harms dit-il avec raison : « Vouloir introduire partout le procédé
mathématique, de façon à en faire la méthode universelle de
toutes les sciences, restera une entreprise sans espoir : en effet,
les conditions du calcul, de l'esprit mathématique, ne se trouvent-
pas dans les autres sciences, et toutes les sciences ne sont pas à
tel point uniformes,que l'on puisse y adopter la même manière
de penser. Une méthode universelle présuppose l'uniformité des
sciences, et vient échouer à leur diversité (2). »
La méthode mathématique a, en outre, chez Spinoza,
des conséquences qui lui sont tout à fait propres. Un gran1'
nombre de questions et de problèmes philosophiques, parmi lcf>
(1) « Mathematica non demonstrat nisi per causam formaient. »Phys., TÀb. T. Leci. I.
(2) « In scientiis mathematicis non demonstralur aliquid
per causam agentem. » S. Th.
P. I, quaist. 44, a. 1, ad 3.
(3) «In scientiis mathematicis, quai abstrahunt a'materiaet motu, nihil probatur perhanc
causam (finalem) In mathematicis nulla demonstratio fit hoc modo, quod hoc modo
sit, quia melius est sic esse, aut deterius, si ita non esset. » Metapliys., lib. III, lect. IV.
(4) « Ordo et connexio idoarum idem est ac ordo et connexio rerum.
» Eth. P. II,
l'rop. vu.
718 REVUE THOMISTE
DE DOMINICUS GUNDISSALINUS
Cl) Au sujet du nom, cf. Paul Cohrens, Die dem, Boethius jâlschlich zugeschrkbenc
Abhanlundg des Dominions Gundisalvi: De nnitate, Munster, 1891. (JBaeumker und von
Ilertling: Beitràe zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, l'Heft, 31.
l'archevêque Raymond (1126-1151). Le sort de son ouvrage sur
Y Immortalité de l'âme est typique pour établir ses relations avec
Guillaume d'Auvergne. Cet écrit fut remanié, on ne peut dire amé-
lioré, par Guillaume et passa sous cette forme dans les éditions
imprimées de ses oeuvres, tandis que l'original même tombait dans
l'oubli. C'est Hauréau (1) qui a découvert le véritable auteur, et
dernièrement M. Btilow, avec l'édition de l'ouvrage de Gundïsalvi
et la réimpression de celui de Guillaume, nous a mis à même de
porter un jugement surles deux compositions etleurs relations réci-
proques (2). De même que le nom de Guillaume s'est substitué
ici à celui de Gundissalinus, pareillement la part qui revient à
ce dernier dans l'utilisation des nouvelles sources littéraires, a été
attribuée injustement à son successeur.
La raison de tout cela tient en premier lieu à ce que les écrits
de Gundisalvi étaient jadis inabordables. Il n'existe, en effet, point
d'édition,à part celle, d'ailleurs absolument insuffisante et souvent
inintelligible, du petit traité De unitate, qui s'estglissé et maintenu
parmi les oeuvres de Boëce (3). Amable Jourdain (4), Sal. Munk (5),
Hauréau (6) ont mis à profit quelques-uns des écrits de Gundisalvi
et nous ont aussi fourni quelques renseignements.
Mais ce n'est qu'en 1880 que Menendez Pelayo (7) a publié,
d'après un manuscrit de Paris, le traité important: De proce&sione
mundi. Plus tard on a eu une publication partielle du traité De
(1) A. Lôwenthal : Pseudc-Aristoteles ûber die Seele. Ein psychologische Schrift (lies 11
Jahrliunderts und ihre Beziehungen zu Salomo iben Gabirol (Avicebron), Berlin, 1S91,
p. 79-131.
(2) L. c, p. 3-11.
(3)£. c, p- 1-38.
(4) Voyez l'indication bibliographique dans Coréens, p. 3) et 31. notes. Depuis a
paru : Moritz Steinschneider, Die hibrâeschen Ubersetzuvgen des Mittelalters und dei Judmi
als Dolmetscher. Ein Beitrag zur Literaturgeschichte des Mittelalters neist nach hand-
schriftlichen Quellen. Berlin, 1893, p. 260 ss., 282, 292, 299.
(5) L. c, p. 395 ss.
(6) L. c, p. 39-49.
(7) L. c, p. 107-143.
(8) L. c, p. 14-22, 46-76.
dans ]a manière dont nous nous occuperons des différents traités.
Nous parlerons plus longuement de ceux qui sont moins connus
ou tout à fait ignorés, tandis que nous ne ferons que toucher à
ceux qui ont déjà fait l'objet d'études approfondies. Ce défaut de
composition trouvera donc son excuse dans l'intérêt même de la
question.
11 paraît impossible d'établir actuellement une chronologie des
{{) Âvencebrolis (ibn Gebirol). Fons vitre ex arabico in latintim translalus, àb Iohanne
Hispano et dominico Gundissalino. Ex codicibus Parisinis, Amploniano, [Columbino pri-
mum edidifc Clemeas Baeumkei'. Monasterii 1895 (Baeumkev und Hertling, Beiti'age I,
Heft. 2-4.)
(2, Comme dans le traité De divisione pkilosophis&\
(3) Dans le traité De immortalitate animai. Gundissalinus ne fait qu'effleurer, pour la
combattre, la doctrine fondamentale d'Avicebron sur la constitution des âmes et des
intelligences par matière et forme, doctrine qu'il ne peut assez souvent répéter dans les
écrits du premier groupe (v. Bulow, p. 103). Le fait que nous trouvons l'expression fons
vitas à trois endroits de notre traité (p. 2, 14, 37,2, 17, éd. Bûlow) n'a pas d'importance ;
car elle n'existe pas même ches Avincebron et elle ne se fouve pas dans la traduc-
tion de Gundisalvi (p. 340, 21), où nous lisons origo vital.
REVUE THOMISTE. - 3e ANNÉE. - 49.
728 REVUE THOMISTE
Bibl. nat. lat. 14 700; Digby 76 (Cal. Mss. Angl. I, 81, n. 1677);
Oxford, Corpus Christi, 86; outre ces manuscrits déjà signalés (1),
le Cod. Vaticanus, lat. 2 186, contient un texte très correct.
Il est hors de doute que Gundissalinus est l'auteur du traité en
question. Outre le Codex Digby 76 (2) et le témoignage de Jobanncs
Gualensis (3) déjà cité par Jourdain, nous possédons un passage do
Robert de Kilwardby où, en nommant Gundisalvi, il cite sa défini-
tion de l'astrologie qui se trouve dans notre ouvrage (4).
L'ensemble du traité forme une sorte d'introduction à la philo-
sophie. Il est divisé en deux parties, l'une générale (S), l'autre spé-
ciale (6). La partie générale établit la notion de la philosophie, sa
division, et l'objet de ses différents éléments. La partie spéciale
traite des arts libéraux et des matières connexes.
On pourrait donner à cette oeuvre le titre d'encyclopédie et la
placer à côlé de celle, plus connue, de Robert Kilwardby
(xuie siècle).
Toutefois le livre de Gundisalvi ne possède ni la solide structure
ni la vigueur d'exécution qui caractérisent la composition du domi-
nicain anglais ; carmalgrél'uniformitédelamélhodedans l'examen
de chacune des disciplines, le traitéde Gundisalvi présente une frap-
pante inégalité de détails, ce qui s'explique d'ailleurs aisément, une
analyse plus attentive nous révélant que le traité n'est pas homo-
gène, élaboré d'après un plan indépendant et soutenu, mais
est scientia quoe cursus et positionem ' stellarum secundum liominum opinionem
describit ad notitiam temporum, id est temporalium eventuum Nous lisons dan^
Gundissalvi, de divis. philos, (cod. Paris, Bibl. nat. 14700 fol, 322 v. a. Quid autem
ipsa sil, sic definitur : Astronomia est scientia quse cursus vel positionem stellarum
secundum hominum opinionem describit ad temporum notiliam. Il est vrai que Kil-
wardby cite cette définition comme celle de l'astrologie, tandis que Gundissalinus qui
définit l'Astrologie d'après Isidore, Etymol. III, 24, la donne comme celle de l'astronomie.
Mais Kilwardby dit lui-même : Notandum etiam quod, licet hsec quam diximus sit
diversa et propria acceptio astronomioe et astrologite, nonnunquam tamen nomen unius
pro alia ponitur.
(5) Cod. Par. 14.700 f., 297 a, 304 T b.
??
(1) F. 303T in ood. Paris. 14700 d'après lequel nous citerons toujours.
(2) Avicenka, Metaphys. tr. 1,1, I, c, 2.
(3) Par exemple, f. 303» col. b. non-materia, comme un mot, f. 304T b ; la formule doxo-
logique : Deus cuius gloria sublimis f. 297'' b.
(4) Huit parties de la philosophie d'après Alpharabius f. 311T a, sa définition de l'as-
tronomie f. 3221' b.
(5) F. 299r a. Secundum alios vero pra3clîcta divisio (scil. eorum quse non sunt ex
nostro opère) videtur aliter fieri, où il ajoute en marge (Cod. Par. 14700) : Algazel philo-
sophus. Dans le même manuscrit, f. 299v S, nous trouvons en marge deux renvois à
Algazel.
(6) F. 316v b. De quibus omnibus sufficienter tractatur in libro qui arabice Maha-
meleck vocatur.
(7) Munk, Mélanges, p. 313. Steinsciineideh, Al-Farali, p. 83; Hebràisehe Uberset
zungen, p. 292.
(8) Voy. Coréens, p. 34.
(9) Cet ouvrage se trouve dans le Ms. Paris. 14700, f.
notre traité De divisionibus phi/osophiee.
3231' a - 327r«, à la suite de
(10) Alpharabii... opéraomnia (le livre contient deux traités!) quoe latina lingua cons-
eripta reperiri potuerunt. Studio et opéra Gulielmi macerarii, Paris. 1638. La biblio-
thèque de l'université de Gotlingen possède un exemplaire de ce livre très rare.
STEiiNSCHNEiDER. Hebràisehe Ubersetzangen, p. 292.
730 REVUE THOMISTE
Il n'est pas également sûr que la seconde partie ait aussi pour
base un ouvrage arabe, mais le fait est vraisemblable.
C'est dans ce cadre d'emprunt, déjà dans la partie première ou
générale, mais bien plus encore dans la seconde, que Gundisalvi
intercale de nombreux morceaux provenant d'autres sources, de
sorte que son ouvrage a vraiment l'air d'une mosaïque. Quelques-
uns ces éléments sont eux-mêmes d'origine arabe (1).
de
Ceux qui proviennent de la iiitérature latine sont en bien plus
grand nombre. C'est ainsi qu'il s'appuie sur un passage du De Trini-
?
tate de Bofice (2), pour diviser les sciences en Physique, Mathéma-
tique et Théologie (il t'ait une allusion au même passage dans le
traité Deprocessione mundi) (3). Il cite Cicéron (4), Priscien (S), et il
renvoie à Quintilien (6) ceux qui désirent une connaissance plus
ample de la rhétorique.
L'auteur qui est mis à contribution le plus fréquemment, et
pour la seconde partie dans une très large mesure, c'est le compa-
triote de Gundisalvi, Isidore de Séville, sans qu'il soit du reste
généralement nommé (7). Dans le tissu de Gundisalvi l'ouvrage
arabe fournit pour ainsi dire la chaîne, tandis que la trame est
empruntée aux Etymologies d'Isidore.
Les développements du commencement de l'ouvrage sur la défi-
nition de la philosophie sont caractéristiques pour voir la manière
dont les intercalalions sont faites. Les philosophes, dit Gundisalvi,
ont donné deux définitions de la philosophie, l'une tirée de ses
propriétés, l'autre de ses effets. Il développe ensuite longuement
les deux définitions, mais, entre la première et la seconde des défi-
nitions annoncées, il en intercale deux autres (8) tirées d'Isidore (9).
Il emprunte aussi encore au même -
ces exemples sont pris au
hasard- les délinitions de la grammaire (10), de la musique (il), de
(1) P. ex. quand il cite des opinions divergentes d'Algazel.
(2) F. 299* b et /, 302'' où il cite Boêce De Trmitate, c. 2, p. 152 a, o, éd. Peiper.
(3) Voyez chez Cohrens, p. 36.
(4) F. 299' b.
(5) F. 307* a.
(6) F. 309* b.
(7) II est cité f. 306 * b et ailleurs.
(8) F. 297* *.
(9) Isidor Etytnol. II, c. 2i n°s 1 e<,9.
,
(10) F!'306* a : Etym. I, S. 1.
(11) F. 316* b : Etym. II, l.H, ms.
l'astrologie (1); pareillement beaucoup de ses données sur l'objet
et les genres de la poésie (2), sur les inventeurs de la médecine et
ses écoles (3); en outre, des étymologies grecques, comme celle de
la philosophie (4) et de l'histoire (5) ; probablement aussi l'in-
terprétation étrange de Musre pris pour Moysoe de mogs =.
aqua (6).
Abordons maintenant l'idée d'ensemble du traité. Après un
éloge enthousiaste, d'ailleurs sans rapport réel avec l'objet de
l'ouvrage, dans lequel il admire le passé pour avoir produit tant
de sages qui ont éclairé les ténèbres comme des étoiles, tandis que
le présent ne s'attache qu'aux choses terrestres et néglige la
culture de la sagesse (7), Fauteur aborde son sujet. Partant
d'une classification abstruse de tout ce que l'homme désire, il
arrive à la science, qu'il divise en science divine et humaine. Tandis
que la première est communiquée aux hommes par la révélation,
la seconde s'acquiert par les opérations de la raison. La science
humaine se subdivise en disciplines ou sciences relatives au,
discours et en disciplines relatives à la sagesse. Le premier groupe
est constitué parla grammaire, la poétique, la rhétorique et
-
chose curieuse par la jurisprudence. Le second groupe se compose
-
de toutes les disciplines qui éclairent l'âme humaine, lui font ou
connaître la vérité ou aspirer au bien : ce sont les disciplines ou
sciences philosophiques.
Ceci conduit Gundissalinus à déterminer la nature de la philoso-
phie. Il en dorme deux définitions, entre lesquelles se placenl,
(1) F. 297T a : Philosophia est assimilatio hominis "operibus creatoris secundum vir-
tutem humanitatis.
(2) Il distingue dans chaque cause, même dans la causa materialis, une cause spiri-
tuelle et une cause matérielle. Il assigne comme cause matérielle spirituelle le genre
dans ses relations à l'espèce. Si Gundissalinus, lors de la composition de son ouvrage,
avait déjà connu le Fons vitse d'Avicebron, il n'aurait pas manqué de faire un rappro-
chement avec la materia spirltualis, que ce dernier distingue de la substantiel decem prxdi-
camentorum.
(3) Voici ce que dit Algazel : Homo, cognosce teipsum et cognoscis omnia [Algnsellls
liber philosophiez Petrus Lichtensleyn, Venise, 1306, exemplaire delà Bibl. de Breslau.
Voyez aussi D. Kaufmann, Gesch. der Attributenlehre in der fudischen Religions
philosophie de Mittelalters, Gotha 1877, p. 390, n. 156.
(4) F. 298r a ? Philosophia est cognitio intégra hominis de"seipso.
(5) Alfarabi, en expliquant l'origine des différentes sciences, part de même de la diffé-
rence entre la substance et l'accident. Son livre De ortu scientiarum commence ainsi :
« Scias nihil esse nisi substantiam et accidens et creatorem substantioe et accidentis bene-
dictum in ssecula. (Ood. Par. 14700, f. 328 a.)
(6) F. 298r b : Sapienlia est veritas scientise rerum primarum sempiternarum.
intermédiaire, de la puissance créatrice. C'est par ces espèces et
ces genres seulement que les individus ont véritablement l'être.
L'auteur aborde ensuite la division de la philosophie. Il arrive
par des déductions quelque peu contournées à distinguer la philo-
sophie théorique et la philosophie pratique. Cette division repose,
et sur la division de tous les êtres en êtres qui dépendent de notre
activité et en êtres qui n'en dépendent pas (1), et sur la double fin
qu'a l'homme de connaître le vrai et de faire le bien. 11 distribue
ensuite la philosophie théorique d'après le rapport qu'ont les
choses avec le mouvement et la matière. Plusieurs dérivations
viennent ensuite, juxtaposées les unes aux autres : d'abord une
simple division en quatre parties, une autre en deux, qui se subdi-
visent en quatre (elle est empruntée à Algazel), enfin la division
d'Aristote en Physique, Mathématique et Théologie, avec la justifi-
cation qu'en donne Boëce.
La philosophie pratique est aussi tripartite. Le premier groupe
renferme les sciences qui règlent les relations de l'individu avec
ses semblables. Un rapprochement assez étrange réunit ici la
grammaire, la poétique, la rhétorique, la politique et le droit civil.
La seconde division comprend l'économique, c'est-à-dire la science
de l'administration domestique. La troisième est formée par
l'éthique, qui règle la conduite morale de l'individu. Une glose en
marge du manuscrit de Paris attribue ce groupement original à
Algazel. Toutes ces parties de la philosophie proprement dite sont
précédées de la logique, instrument de toutes les sciences, et la
logique elle-même est précédée de la grammaire qui, du reste,
figure encore comme partie de la philosophie pratique.
Le chapitre suivant, laissant de côté la logique et la philosophie
pratique, s'occupe des trois parties de la philosophie spéculative.
Elles sont traitées d'après le même plan : nature, genre, matière,
parties, espèces, rôle, but, méthode, inventeur (2). La division de
la philosophie naturelle est tirée des écrits d'Aristote ou pseudo-
aristoiéliciens cités dans l'ordre suivant : De naturali auditu, De
mundo, De generatione et corruptione, De impressionibus supe-
coelo et
rionbus, De numeris, De vegetabilibus, De animalibus, De anima, De
(1)
(2) F. 3031.
-
F. 302' b 303'' a.
(3) F. 30S', a.
(4) Bûlow, p. 104.
(B) Bûlow, p. 102 ss.
(6) Bûlow, p. 105 ss.
être l'oeuvre propre de Gundissalinus. La partie principale semble
contenir plusieurs éléments intercalés, ce qui établirait le carac-
tère de compilation de l'ouvrage.
Biilow a examiné au long l'idée fondamentale de l'ouvrage et la
place qu'il occupe dans l'histoire de la philosophie (1). Gondisalvi
prouve d'abord l'immortalité de l'âme d'une manière populaire,
par des arguments externes.
La preuve morale tirée de la justice rétributive de Dieu est
exposée dans un langage aisé, vif et varié. Cependant Gundissalinus
n'attache à cet argument qu'une importance secondaire,parce qu'il
n'est pas tiré de la nature même du sujet. Il n'admet comme
absolues que les conclusions qui procèdent, des principes internes,
c'est-à-dire de l'essence même de la chose dont on veut établir les
propriétés. Il assigne, en conséquence, comme principes desquels
découle l'immortalité de l'âme : le fait de l'indépendance de
l'âme à l'égard du corps dans l'exercice de son activité propre, sa
nature déforme immatérielle, son désir naturel, par conséquent
infrustrable, d'une perfection et d'un bonheur éternels, sa place
dans l'échelle des êtres, son inaccessibilité à toutes les sortes de
destruction, le caractère extra-organique d'une intelligence
capable de connaître sans aucune limite, et enfin l'union de
l'âme avec la source de la vie (2). Gundissalinus, ou plutôt l'auteur
qu'il suit, fait remarquer que ces preuves remontent à Aristote et
à ses successeurs. Il laisse de côté les arguments de Platon, parce
qu'il ne les trouve pas concluants, et, s'ils l'étaient, ils établiraient
l'immortalité de l'âme des bêtes (3). Combien cependant l'aristo-
télisme, qui fait le fond de cet ouvrage, se trouve être modifié et
compénétré par des idées essentiellement platoniciennes, c'est ce
que les initiés auront déjà remarqué avec cette simple esquisse.
(1) P. 282.
(2) Lowenthal, p. 33-52.
(3) Munk, p 172.
(4) Steinscheindeii, p. 23.
(5) Lowenthal, p. 36.
(li) Steinschneider, p. 23.
738 HE VUE THOMISTE-
Dr C. B\r.u.MKER,
Professeur à l'Université de Breslau.
LA
(1) Il ne fautpas oublier que la lin du monde décrite par les Livres saints est une fin
toute relative, dont il est difficile sinon impossible de préciser la portée au point de vue
cosmologique, et qui en tout cas n'est nullement le corrélatif du commencement enseigné
par la foi. Dieu crée, mais ne détruit pas, ainsi que tous les théologiens l'enseignent ;
de sorte que l'univers, en entendant par là la création prise dans son ensemble et dans
*>on fond, a commencé et ne finira point,
748 REVUE THOMISTE
(1) Ce root dégradation, emprunté aux auteurs anglais, sonne assez faux aux oreilles
françaises. Il semble indiquer une diminution, alors qu'il vise une dépréciation. C'est la
qualité, et non la quantité de l'énergie qui change.
750 HEVUE THOMISTE
(1) Clausius, Bévue des Cours scientifiques, 1er février 1838. Faye, l'Origine du monde
Hihn, la Vie future et la Science moderne, etc., etc.
dénué de toute valeur. Comme argument probable, ad hominem, il
a sa place dans l'arsenal apologétique. Au point de vue de cer-
tains savants et moyennant quelques hypothèses assez générale-
ment admises, il peul amener la conviction. Mais telle n'est point
la question présente. Nous recherchons, dans tout ce travail, non
pas si l'on peut convaincre tel ou tel, qui voudra bien se laisser
convaincre ; mais si l'on peut établir v.ne démonstration, à laquelle
doive se rendre tout esprit droit et certifiant le commencement du
monde. A la question ainsi posée, nous avons répondu et nous
répondons encore : Non.
(1) On a souvent demandé pourquoi on avait découvert si tard une loi si simple. La
réponse est facile.Dans le système péripatéticien, seul en honneur pendant de longs siècles,
les corps étaient censés avoir un lieu naturel, préparé pour les recevoir et les conserver.
Étaient-ils écartés de ce lieu par violence, ils y tendaient de tout le poids de leur
nature, et cette tendance était d'autant plus forte qu'elle était plus près d'atteindre son
objet : ainsi s'expliquait l'accélération. Dès lors il est clair que l'inertie dans le mouvement
était impossible. Le corps mû d'un mouvement violent devait s'arrêter peu à peu eu
vertu d'une résistance do nature ; le corps mû d'un mouvement naturel devait au bout
de sa course trouver Je repos.
bien que le mouvement local est le premier* des mouvements, façon
approchée de mettre au premier rang, comme nous aujourd'hui,
l'énergie /cinétique; et cette énergie, qui alimente toutes les autres,
était précisément celle qu'ils attribuaient à la source commune.
Le Premier Ciel, mû par un 5«qj.wv, par conséquent capable d'une
circulation éternelle, donnait le branle, par son mouvement
diurne, à toute la grande machine, et ranimait sans cesse l'acti-
vité près de défaillir. Qu'est-ce qui peut empêcher, même un
contemporain, d'imaginer un système semblable?
Sans faire appel à un Génie, ce qui n'est point le cas ordinaire
des athées, il est loisible de supposer, tout au sommet des choses,
et dans la forme qu'il vous plaira, un mouvement premier et indé-
fectible. On évitera ainsi les conséquences de la dégradation de
l'énergie, et l'on pourra croire le monde éternel.
Autr.e question. Il n'est pas admis de tout le monde
parmi ceux qui croient en Dieu -
que l'ensemble du monde soit
même -
fini. .Nous le croyons très fermement pour notre compte, et nous
pensons en tenir la démonstration; mais cette démonstration, des
esprits éminents, des spiritualistes, des théologiens même, ne la
trouvent pas valable. Leibnitz disait : « Je suis tellement pour
l'infini actuel, qu'au lieu d'admettre que la nature l'abhorre,
comme on dit vulgairement, je tiens qu'elle l'affecte partout, pour
mieux marquer les perfections de son auteur. » Saint Thomas
d'Aquin lui-même, dans ses premiers ouvrages, déclare que, selon
lui, « il n'est pas encore démontré qu'une infinité de choses
actuelles soit impossible ». 11 est vrai qu'il donna plus tard cette
démonstration (1) ; mais on avouera qu'il serait téméraire, en face
de telles divergences, de faire dépendre d'une pareille thèse la
preuve de l'existence de Dieu.
Or le raisonnement que nous critiquons en dépend manifeste-
ment.
Si en effet le monde est infini, infinie aussi est son énergie utili-
sable. Quelles que soient les pertes subies sur un point, il y aura
toujours de quoi réparer la brèche et reconstituer l'énergie poten-
(1) Cf. Suinm. Tkeol.,q. vu, art. H et i. « Op. lxv. De Concordantiis, où Fou trouve
cette déclaration: « Diximus,.. quod nondum erat ostensum infinila actu esse non posse ;
nec adversarii nobis hoc ostenderunl; quod tamen nos postea in prima parte Summoe
oslendimus. »
756 REVUE THOMISTE
thèse subsiste.
Nous le répétons, elle ne plaira point à tous. Quand sainl
Thomas d'Aquin, à sept reprises, la présentait, il entendait de
toutes paris des protestations et des murmures. Il devait écrire
contra murmurantes, s'entendre taxer presque d'hérétique. Nous
ne craignons pas un pareil sort ; mais peut-être aurons-nous
l'air, aux yeux de plusieurs, de jouer un étrange rôle ! Nous
n'avons guère attaqué que nos amis, et nous avons pu paraître,
naïvement, faire le jeu de nos adversaires. Nous espérons qu'on
voudra bien se défendre de cette impression et considérer de plus
haut les choses. Nous n'avons tous qu'un ennemi, c'est l'erreur,
et cet ennemi serait d'autant plus à craindre qu'il s'établirait dans
Ja place. Celui-là donc mérite bien de ses amis qui les défend de
l'erreur selon ses forces.
Si toutefois la chaleur de la discussion nous avait arraché, à
l'égard de ceux que nous vénérons et que nous considérons comme
nos maîtres, quelques paroles trop vives, ils voudront bien les
excuser et n'en rendre responsables que notre conviction profonde
et notre commun amour de la Vérité.
Fr. A.-D. Sertjllanges, 0. P.,
Lecteur en Sacrée Théologie.
LA MATIÈRE PREMIÈRE ET L'ÉTENDUE
(1) Les principes dela philosophie, 2° part., § u2, 64. Voir la même opinion dans Mâle-
branche, Delà recherche de la vérité, liv. III, ch. 8, § 2.
(2) Cosmologia, n° 226. Prop. VIII.
matière est la raison, la racine, du moins principale, de l'étendue
ou de la quantité : materia prima ratio etradix quantitatis.
C'est à cette relation entre la matière première et l'étendue,
telle qu'elle a été comprise dans la philosophie scolastique, que
de
nous nous proposons consacrer cette étude. Il nous semble que
la juste explication de celle relation donne la clef des difficultés
concernant l'étendue concrète de la substance corporelle, et môme,
par voie de conséquence, de celles qui regardent l'étendue abs-
traite et mathématique. Cette explication conlribuera aussi, nous
le croyons, à préciser et à éclairer les preuves principales qu'on a
coutume d'apporter en faveur de la composition substantielle des
corps. Nous ne voulons pas entrer ici directement dans le débat
touchant l'objectivité de l'étendue, que nous supposerons admise,
débal qui se rapporte plutôt à la question générale de la théorie de
la connaissance. Nos conclusions pourtant pourront peut-être
préparer une solution.
Ce rapport de connexion entre la matière première et l'étendue,
reconnu d'une manière générale par l'Ecole, est loin d'avoir été
compris dans le même sens par tous les docteurs scolastiques. On
constate chez eux des divergences notables et même des har-
diesses, que plusieurs ne soupçonnent pas au sein d'une philoso-
phie asservie, dit-on, au joug de l'autorité : plus d'un réforma-
teur moderne eût pu y trouver ses prétendues innovations.
Pour mettre de l'ordre dans la critique des opinions, nous
distinguerons deux classes parmi celles que nous rejetterons. Les
unes péchant par excès, ont exagéré cette connexion de l'étendue
avec la matière première, soit parce qu'elles tendent à l'identifier
avec celle-ci, ou du moins ne voient sa raison d'être qu'en elle
seule, soit parce qu'elles attribuent à l'étendue un effet sur la
substance, qui en dénature la véritable conception. D'autres au
contraire ont amoindri la nécessité de cette connexion, prétendant
que la matière n'a pas pour seule raison d'être d'expliquer
l'étendue, ou que l'étendue n'exige pas nécessairement la présence
de la matière première. Après la réfutation de ces opinions, nous
exposerons celle de saint Thomas, qui mieux que tout autre nous
semble avoir établi de quelle manière la matière première doit
être dite la raison et la racine de l'étendue.
766 REVUE THOMISTE
{{) Fonseca, par ex., dit que la quantité donne aux parties l'ordre dans le tout, ce
qui n'est autre chose que d'avoir des parties en dehors des parties. Mais on ne voit pas
ce que seraient des parties non placées les unes en dehors des autres, et qui ne sont
pourtant pas des parties constitutives, (hoc. cit.)
(2) In I. de Anima, lect. 14.
REVUE THOMISTE. 5° ANNÉE. 52.
776 HEVUR TÏIOMISTK
(1) Cont. Gent. IV, cap. lxvii. Cf. Sum. Theol. 3" P. q. 76, a. I.Gajetan fail cette
remarque dans le commentaire de l'article : a Conclude ergo et tene quod subslantiam
permodum substantioe existere in aliquo, est substantiam indivisibilité!' esse in illo. Et
non dico substantiam esse indivisibilem, sed substantiam esse indivisibilité!- in illo, hoc
est, substantiam se habere ad illud indivisibiliter et non quantitative, hoc est, cooxtensc,
Bicut quantitas locati coextenditur quanlitati loci. »
(2) Op. et loo. cit., § 4, n° 11.
Docteur angélique, qui a si bien écrit sur le Sacrement eucharis-
tique, n'a.pas cru pouvoir mieux exprimer l'état du corps du Christ
dans ce sacrement, qu'en disant qu'il y est par manière de substance,
en raison de substance.
Tel pareillement serait l'état de la substance, savoir état indi-
visible, en dehors de toute condition spatiale, au cas où, selon
l'hypothèse objectée par les adversaires, elle serait dépouillée de
la quantité. Ses parties ne se concentreraient pas en un point,
puisque ces parties n'existent pas, et que l'indivisibilité du point
appartient au genre de la quantité ; mais elle serait indivisible
par négation de tout rapport avec la quantité, accessible à la seule
intelligence et nullement, même d'une manière indirecte, aux sens
et à l'imagination. Remarquons pourtant que plusieurs jugent cette
hypothèse impossible, et nous pensons comme eux; parce que la
quantité considérée en elle-même, non pas dans ses dimensions
spatiales, qui peuvent être supprimées par miracle, paraît, être une
résultante nécessaire de la composition substantielle de matière et
de forme.
Nous venons d'exposer et de critiquer les opinions qui exagèrent '
ÏI
universalité qui lui appartient en tant que forme, bien que consi-
dérée comme accident de la faculté, elle scit singulière comme le
sujet auquel elle appartient. Du reste, on le sait, c'est sur cette
universalité de la forme, à la fois accident de la faculté et espèce
représentative d'autres objets, que se fonde, selon la doctrine
scolastique, la possibilité de la connaissance dans un être, et en
même temps la perfection plus ou moins grande de la faculté
cognitive: « La restriction de la forme, dit saint Thomas, vient de
la matière. C'est pourquoi nous avons dit que les formes, selon
qu'elles sont plus immatérielles, s'approchent en cela d'une cer-
taine infinité. Il apparaît donc que l'immatérialité d'un être est la
raison pour laquelle il a le pouvoir de connaître, et que le mode
de la connaissance est selon le mode de l'immatérialité (1). »
C'est donc en somme parce que l'esprit a une opération intel-
lectuelle, la pensée, que la matière première ne peut pas entrer
comme constitutif de sa substance, et que la potentialité qui lui
appartient ne saurait être de môme nature que celle de la
substance corporelle; car la nature d'une puissance doit être
proportionnée à l'acte auquel elle esL ordonnée. Ecoutons le
Docteur angélique : « La puissance doit être dans les substances
spirituelles proporlionnée à la réception de la forme intelligible.
Or, telle n'est pas la puissance de la matière première, car elle
reçoit la forme en la restreignant à avoir un être individuel. Mais
la forme intelligible est dans l'intellect sans ceLtc limitation..., car
il perçoit l'intelligible principalement selon une raison commune
et universelle... La substance intellectuelle reçoit donc la forme
non en raison de la matière première, mais plutôt selon une raison
opposée (c'est-à-dire que plus elle est dégagée de la matière, plus
parfaitement elle reçoit la forme) (2). »
Dans l'argument que nous venons d'exposer nous avons consi-
déré surtout, en les opposant l'une à l'autre, la réceptivité de
l'esprit et celle de la matière. On peut établir la même différence
en envisageant la passivité, qui ne diffère guère de la réceptivité,
sinon en ce que celle-ci répond plutôt à la causalité formelle,
celle-là à la causalité efficiente. Or, à ce point de vue, seuls les
à
gnance ce qu'un corps, bien que doué d'étendue,soit simple dans
son essence, c'est-à-dire possède son être en vertu d'un acte
équivalent à une forme substantielle, mais qui ne serait pas uni à
la matière première.
Une erreur de la physique ancienne, l'incorruptibilité attribuée
aux corps célestes, a fourni l'occasion de cette opinion. Les scolas-
tiques, comme les savants de leur temps, ont cru, jusqu'à la décou-
verte relativement récente de l'identité de la matière cosmique et
de la matière terrestre, que les corps célestes sont incorruptibles,
c'est-à-dire non sujets aux changements substantiels, à la généra-
tion et à la corruption, môme aux changements accidentels intrin-
sèques (l'altération), mais seulement doués de mouvement local.
Or, les changements substantiels étant regardés communément
comme la preuve la plus évidente de la composition de matière
première et de forme substantielle, certains auteurs ont cru pour
ce motif que la matière première ne se trouve pas dans les cieux,
au moins d'une manière certaine, ou, comme le pense Scot, par-
tisan de cette opinion, d'après ce que la seule lumière de la raison
peut nous enseigner. Généralisant la question, d'autres scolas-
tiques, surtout de la dernière époque, se sont demandé si on peut
concevoir un corps simple dans son essence, non composé de
matière et de forme, comme le sont les corps sublunaires soumis
aux mutations substantielles. Quelques-uns l'ont pensé : ainsi
Arriaga, Oviedo, du moins en ce sens que l'impossibilité d'un
corps simple quanta l'essence ne leur paraît pas démontrée.
La présente controverse n'est pas aussi oiseuse qu'on pourrait
tout d'abord le croire, et ne présente pas qu'un pur intérêt histo-
rique; en réalité elle touche aux fondements mêmes de la démons-
tration du système de la matière el de la forme. C'est ce qu'ont
bien saisi les R. P. ïedeschini et Palmieri, adversaires récents de
cette doctrine (1). Si l'on admet, disent-ils, que les corps célestes
sont simples quant à l'essence, et en général qu'un corps peut être
simple, c'est donc que la composition de matière et déforme n'est
pas essentielle à la substance corporelle. On ne peut l'induire des
deux propriétés opposées qui s'y manifestent : l'étendue et l'acti-
(1) Gf. Trawscm:»!, op. cit., p. 38, Voir les attires ailleurs daiiï ce même opuscule
(21 De communibus rerum principiis, lib. V, cap. 3.
l'argument allégué contre les scotistes, qui admettaient la matière
dans les esprits. Si les esprits, disions-nous avec saint Thomas,
étaient composés de matière première, ils ne seraient pas doués
d'intelligence; pareillement, si les cieux ou n'importe quel corps
ne possédaient pas la matière comme principe constitutif, ils
seraient doués d'intelligence ; rien ne s'opposerait en eux à la
réception des formes intelligibles, indépendantes de la limitation et
de la singularité. D'autre pari, puisque la même raison vaut pour
le sujet intelligent et l'objet intelligible, ce qui est sans matière
devrait être intelligible en acte, capable d'être immédiatement
proposé à l'intelligence; celle-ci n'ayant pas besoin, en ce cas,
d'abstraire et de dégager la forme intelligible ou idée des condi-
tions de la matière et de l'individualité. Or, il est bien évident que
les corps célestes sont sensibles, ne sont pas la forme intelligible
en acte; ils sont sous ce rapport absolument dans les mômes con-
ditions que les autres corps (l).
Ces deux raisons pourtant sont attaquées parles partisans de la
possibilité d'un corps simple. Contre la première, tirée de la con-
nexion enlre la quantité et la matière première, ils invoquent un
argument adhominem. Les thomistes et autres adversaires qu'ils
réfutent, n'admettent-ils pas que la quantité a sa source non pas
seulement dans la matière première (ils rejettent en effet les
dimensions indéterminées entendues dans le sens de l'opinion
d'Averroës), mais aussi dans la forme substantielle, qui pour-
tant est simple et sans rapport avec la divisibilité? Donc une subs-
tance simple, comme serait le corps en question, suffit à rendre
compte de la quantité. Nous répondrons ailleurs à cetle critique^
en montrant que la quantité ne dépend pas de la forme au point
de vue de sa divisibilité, de la multiplicité de ses parties, mais
seulement quant à son indivision ou unité : la quantité étant à la
fois divisible en puissance en raison delà matière, et une en acte
en raison de la forme. Quant à l'argument Lire de la connexion
qu'on dit être nécessaire entre l'immatérialité et l'intelligence,
Oviedo et Arriaga pensent le détruire en se retranchant derrière
une opinion sur l'essence de la quantité; cette essence, selon eux,
(1) Sur ces deux raisons on peut lire : S. Thomas, Summa Theolog., I» P., q. 66,
art. 2; CoNiMMicr.NSEs, In 1 de Coelo, cap. 4, q. 4, art. 2.
786 REVUE THOMISTE
P. M [ELLE,
Docteur en philosophie, professeur de philosophie
au Grand Séminaire de Langrcs.
(1) Dus Christenthiim und die Geschichte, ein Vortrag von D. Adolf Harnack, zweite
Auflage, p. lïï.
(2) Dat Christenthum und die Gesehichts, p. 7.
79-4 REVUE THOMISTE
four (1) »; sans doute nous ne troublerons point dans leur tombe
les auteurs et les systèmes dont la mort a été dûment et officiel-
lement constatée, comme c'est le cas de Christian Baur, au témoi-
gnage de MM. Ilarnack (2), Weiss et Jiilicher :
mais nous accor-
derons l'attention convenable aux difficultés sérieuses et qui
présentent, une certaine consistance. Et pour les résoudre nous
ferons appel aux savants catholiques, de préférence sans doute ;
mais sans nous interdire pourtant de mettre à profit, quand l'oc-
casion s'en présentera, les ouvrages remarquables publiés par
divers auteurs protestants de Suisse, d'Allemagne et d'Angleterre,
tels que MM. Godet, Zahn, Salmon, etc.
Supposé que le résultat de noire examen et de nos discussions
soit favorable à l'Evangile, c'est-à-dire que nous arrivions à
démontrer qu'il a été composé par des auteurs méritant toute
créance, et que son texte nous est parvenu suffisamment pur,
nous aborderons la seconde partie de notre tâche, qui devra con-
sister, ainsi que cela résulte de ce que nous avons dit, à voir si
nous pouvons établir, par l'Evangile, ces deux choses : premiè-
rement, que Jésus s'est donné comme l'envoyé, bien plus, comme
le vrai fils de Dieu; secondement, qu'il a prouvé, par ses discours
et par ses actes tels que nous les rapporte l'Evangile, la double
vérité de sa mission et de sa nature divines.
Nous aurons donc alors à interpréter le texte évangélique. Mais,
de même que tout à l'heure, ne nous considérant point comme des
chrétiens, nous n'avons point reçu l'Evangile des mains de
Yt glise et comme un texte sacré ainsi nous ne ferons point notre
,
règle des interprétations de l'Eglise; el nous expliquerons le texte
évangélique comme nous ferions un texte profane quelconque,
d'après les seules règles de l'herméneutique rationnelle.
C'est en nous plaçant exclusivement sur ce terrain que nous
aurons à nous prononcer et à prendre parti entre croyants et
incroyants ; et à juger si la foi traditionnelle se soutient avec avan-
tage et triomphe, aux yeux de la raison elle-même, contre ce
rationalisme intransigeant dont Strauss, Harnack, Iloltzmann, en
Allemagne, Albert Ré ville, Ménégoz, Sabatier, en France, sont les
(1) «Ich sehe von ienen Erzeugnis?en der Kritik ab, die lieute bliïlien und morgen
in den Ofen geworfen werden » (Das Chris tentham und die Geschic/Ue, p. 15).
(2) Geschichte der Altchrisîliche Lilleralur, II, I. Vorwort, p. ix et xn.
principaux représentants, el dont ]a doctrine peut se résumer en
ce seul article: Jésus fut un homme prodigieux, incomparable,
mais il ne fut pas Dieu.
i
PSYCHOLOGIE
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8fM REVUE THOMISTE
pas morte. Et c'est à ces vieilles formules que reviennent des esprits sérieux,
sans prévention, désireux de retrouver, s'il se peut, dans lepassè, une vérité
que le présent est impuissant à leur donner.
Assimiler la durée à l'être, rattacher la durée successive à l'être succes-
sif ou mouvement, distinguer dans le mouvement une unité actuelle et
une multitude virtuelle, opposer dans cette multitude antériorité à posté-
riorité en percevant une partie de mouvement terminée par un avant et un
après, définir donc le temps : succession ou nombre du mouvement;
-?
montrer la vérité de cette notion dans quatre conséquences en parfaite
harmonie avec l'expérience : 1) il n'existe pas de durée typique, non-con-
ventionnelle, 2) la mesure concrète du temps ne pourra se trouver que
dans le mouvement, 3) le mouvement local est le premier des mouvements
qui nous suggère l'idée de temps, 4) la durée doit nous paraître grande en
proportion du fractionnement du mouvement et de l'appréciation des
unités temporelles qui en résultent ; -
reconnaître dans le temps le pré-
sent (distinct et pourtant dépendant du présent permanent de l'être), le
passé et le futur (éléinenls intrinsèques mais relatifs);
.-
appliquer le
temps à mesurer d'abord la perfection ou l'imperfection relative des êtres,
puis la durée de leur existence, soulever à ce propos la question du temps-
unité, insoluble suivant les uns, mal résolue par les autres, y répondre en
distinguant le point de vue théorique où la difficulté est indéniable et le
-
point de vue pratique où elle est négligeable; reprendre la question de
la réversibilité du temps posée par l'ingénieur Breton, ra23peler que
l'ordre de succession est essentiel au mouvement, conclure qu'aucun mou-
vement, ni temps par conséquent, n'est rigoureusement réversible
voilà ce qu'avec clarté et profondeur M. Nys retrouve dans la formule scolas-
lique trop dédaignée.
Mais pour l'y retrouver, il faut l'y rechercher. Facile de la jauger d'un coup
d'oeil et de la condamner d'un trait de plume. « En vain dira-t on
que le
temps est la mesure du mouvement, car on est obligé de supposer un
mouvement uniforme et l'uniformité de mouvement que l'on suppose est
une pétition de principe (1) ». Si c'est la définition aristotélicienne et thomiste
que l'auteur cité par nous entend et condamne, il se condamne lui-même comme
interprète peufidèle du « numerus molûs ». Balmès qu'il loue n'a fait que re-
prendre l'idée ancienne. M. Boirae qui, dit-il, reprend Balmès et définit la
succession par non-être et être, non-être d'avant qui devient être après, ne re-
prend-il pas en dernière analyse Aristote, puisque celui-ci définit le mouve-
ment par acte et puissance, c'est-à-dire par être et non-être, l'être remplaçant
successivement et continûment k non-être. Et surtout les articles de M. Nys
sont une assez suffisante réponse à cette trop hâtive exclusion. Et aussi, une
preuve nouvelle de la vitalité de la philosophie d'Aristote, cette philosophie, qui,
alors que ses émules ou ses rivales de jadis ne subsistent plus aujourd'hui qu'à
l'état fragmentaire, fait encore « le bloc » et à laquelle il faudra revenir quand
on voudra satisfaire à la fois les exigences de la plus haute raison et du plus
expérimental sens commun.
[Revue nèo-scolastiqve, février, août, novembre 1897.)
J.-D. F.
?
{'Il a
810 REVUE THOMISTE
conscience directrice {comme cela me paraît évident), ce n'est pas dans leplastide
qu'il faut le mettre, mais au dehors. Impossible d'en dire davantage ici; il n'y
aurait plus aamne raison de s'arrêter.
VI. L'Erreur de VIndividualisme.
abondamment ses propres idées.
- Ici Le Dantec expose et développe
Cope s'est trompé sur le rôle de la conscience pour avoir appliqué aux
êtres inférieurs, au plastide initial, ce qu'une observation superficielle lui
avait fait accepter au sujet des animaux supérieurs. II considère un être
vivant A au temps t comme identique à lui-même au temps t-\-dt alors
qu'en réalité il est devenu A -\- d A. Pour la vie ordinaire ce langage indi-
vidualiste ne présente aucun inconvénient, mais il est absolument faux en
science. Un être vivant n'est pas plus individuel qu'une goutte d'eau qui,
glissant suivant des lois déterminées sur une vitre verticale, s'incorpore (?)
les différentes gouttes qui y adhèrent. Pour éviter toute erreur, il faudrait
se servir exclusivement du langage chimique. Mais alors comment expli-
quer le sentiment de la personnalité? Rien de plus simple : la personnalité
n'existe pas, donc ce sentiment est une illusion. A chaque étal chimique du
corps correspond un étal de conscience ; mais les variations organiques
sont petites et graduelles; les variations de conscience le seront donc aussi,
et c'est ce qui donne l'illusion d'une continuité parfaite,d'une personnalité.
M. Le Dantec possède un talent particulier : celui d'affirmer avec un imper-
turbable aplomb les choses les plus étranges. Son idée de conscience-èpiphèno-
mène, empruntée à Huxley et à Ribot, n'a aucune base solide. Il n'est pas
d'idée plus arbitraire, plus antiscientifique, si l'on veut la comprendre comme Le
Dantec. Il est évidemment impossible de discuter ici à fond cette théorie; qu'on
nous permette seulement de présenter en forme plus ou moins syllogistique le
raisonnement de l'auteur. La goutte d'eau n'a pas de personnalité en tant
que goutte. Donc l'amibe n'en a pas. Donc l'homme n'en a pas. On peut
tourner et retourner les phrases de l'auteur, il est impossible d'en faire sortir
autre chose. Tous lesfaits positifs sont négligés parce qu'ils ne cadrent pas avec
cette loi ultra-simpliste : il n'y a que de la chimie dans le monde vivant.
J'ignorepar quelprocédé M. Le Dantec est parvenu à introduire et emprisonner
son esprit dans cette étroite conception ; mais il est incontestable qu'il ne trouvera
pas beaucoup d'imitateurs s'il n'a a fairevaloir quejes raisons ici allégiées.
[Revue Philosophique, novembre et décembre 1897.)
Fr. M. P. De Munnynck.
III
ÉPISTÉMOLOGIE
L. Weber : L'idéalisme logique.-M. Weber, avec une intrépidité que
Ton ne saurait trop huer, pousse jusqu'au bout les conséquences de l'idéalisme
816 REVUE THOMISTE
phènomèniste. Tant qu'a rompre le Ken qui unit l'être à l'intelligence sous le
nom d'intelligible et de vrai, mieux valent les systèmes conséquents que ceux
faits de demi-mesures. M. Weber est conséquent; c'est du reste la seule chose
dont nous le louons. Car sa position est un suicide intellectuel sans phrase : sa
thèse est un beau cas de philosophie pathologique.
L'auteur élimine du jugement de réalité toute détermination objective.
Il faut dire l'être est ; rien de plus. C'est un jugement bien plus certain
que le « je pense » ou le « je suis ». Car ce par cela même que vous vous
donnez un objet, vous l'idéalisez » (p. 680). Mais n'allez jDas concevoir
votre jugement « l'être est » comme comportant un élément ontologique
existant. « h'aulre chose qu'une idée n'est encore qu'une idée » (p. G86).
L'objet d'une idée n'est pour la réflexion qu'une idée dont l'idée est montée
à un degré supérieur de la réflexion et promue au rang d'idée d'idée. » Il ne
reste donc que l'être de l'idée, l'être logique dont les objets sont les diffé-
rentes formes. Tel est l'idéalisme logique.
Mais attention ! du jugement « de l'être est » n'allez pas conclure : « le
non-être-ri-est pas ». En effet, l'être est antérieur à la négation et la néga-
tion ne fait qu'opposer l'être à l'être au sein de l'être. Donc la proposition :
« le non-être n'est pas » signifie « l'être est ».
« Le tort de l'idéalisme a toujours été de s'arrêter en roule, au cours du
progrès de la réflexion, d'imiter la science jjositive et jjratique... (p. 687).
Pour M. Weber, les catégories de la raison sont sur le même plan que les
idées les plus concrètes. L'existence est identique à l'être logique. A l'en-
tendre aucune doctrine, même l'idéalisme, même le phenoménisme, même
la sienne ne doit s'opposer à d'autres doctrines comme la vérité à l'erreur
(p. 688), le vrai ne supprime jamais le faux.
Une application de la thèse : « soit la proposition suivante : le monde
est régi par des lois, - expression sommaire du déterminisme univer-
sel... » Gardons-nous, dit M. Weber, de la nier brutalement,ce qui revien-
drait à lui substituer une nouvelle chose en soi... Considérons la propo-
sition en lant que proposition et l'être qu'elle énonce en tant qu'affirmation
de l'être. Il vient : « c'est une loi (sous-entendu, de direj que le monde
est régi par des lois »... Mais dire : « c'est une loi que... » c'est encore
énoncer un jugement et affirmer à nouveau l'être. De réflexion en réflexion,
il ne subsiste plus à la fin que celte proposition : « une loi est » ou, ce qui
est équivalent : « la loi (en général) est » laquelle peut être considérée
indéfiniment comme objet et se répéter sans trêve. La vérité en soi de la
loi, la nécessité de son existence, se résolvent dans la vérité de l'être
indéterminé et la nécessité d'affirmer quelque chose en général » (p. 689).
Conclusion : « La certitude des jugements de réalité, qui posent l'exis-
tence et la réalité objective d'une chose n'est donc que la certitude de
LA VIE SCIENTIFIQUE 817
l'être. Ils sont toujours faux parce qu'ils affirment; ils sont toujours vrais
en tant qu'ils affirment... » (p. 690).
Nous arrêtons ici cette analyse. Les preuves tirées des mathématiques [con-
çues à la phénoméniste) nous sont inutiles. Nous accordons la cohérence de ces
déductions et nous défions les idéalistes pMnomènistes d'y répondre, une fois
concédée la rupture du lien de vérité qui unit l'être à l'intelligence. La position
de M. Weber n'est pas une gageure : elle met à nu crûment ce que d'autres,
comme M. Brunschwicgh dans sa thèse de /«Modalité du jugement enveloppent
avec artifice : elle est l'arrière-fond logique de l'idéalisme.
Pour répondre à M. Weber, c'est de, plus haut qu'il faut reprendre sa thèse.
La conscience accorde-t-elle la rupture proposée entre l'affirmation co?içue
comme acte et l'être réel. Il y a ici une double confusion chez les pkénoménistes.
Pour eux, l'être réel serait l'être existant; la cliose en soi entraînerait immédia-
tement l'existence par soi, indépendante de l'acte intellectuel qui le pense. De
plus cet acte intellectuel n'a qu'une sorte d'être logique, l'être même de la copule
est dans la proposition. Ce n'est pas la ce que montre la réflexion. La cons-
cience atteint Vaffirmation dans sa réalité psychologiqîte d'affirmation et non
pas dans le symbole logique que cette affirmation revêt dans ses ênoncialions
objectives et par conséquent extrinsèques à l'acte comme tel. L'affirmation du
jugement a pour corrélatif l'affirmé. L'un et l'autre sont réels, distincts, dans ce
qu'ils ont de formel et se conditionnent mutuellement. L'être objectif n'est pas
l'être subjectif de l'affirmation. Il n'est pas davantage un existant en soi et par
soi. Qu'est-il donc? Il est une réalité objective. Cette réalité est pour nous un
fait de conscience très clair. C'est elle que les anciens nommaient l'être, ens,
.rà ov, oîi encore r-es, la chose; les propriétés de bonté, de vérité, d'unité étaient
ses attributs inséparables, transcendantaux, c'est-à-dire identiques dans leur
fond avec l'être lui-même. C'est cet être qu'il donnait comme objet a la science,
commefin à la morale. Ce donné immédiat se raccordait-il avec l'existence con-
crète, se rattachait-il à un en soi objectif. Il le fallait bien puisque l'affirmation
du jugement n'était pas la cause de so?i être d'objet. Mais cette existence con-
crète n'était acquise que par une déduction.
C'est cet être intermédiaire entre l'existence concrète et l'existence logique de la
copule est que M. Weber n'a pas su reconnaître. En le méconnaissant il a retiré
tout fondement au vrai comme au bien, //'idéalisme logique est, en définitive, -M
la destruction, dans une Revue de Métaphysique el de Morale, de toute métaphy-
sique et de toute morale.
Nous défions, encore une fois, les phènomènistes de révondre à M. Weber.
L'idéalisme logique n'est que logique...
[Mèlaph. et ifor., novembre 1897.)
A. G.
II
~V:
Scotus est bien dans le sens de la doctrine de Scot ainsi qu'on peut s'en
convaincre en jetant un coup d'oeil sur le résumé authentique qu'a fait
M. Vacant dans ses Etudes comparées (1). (P. 92-97.) Et M. Vacant n'a pas
manqué de faire ressortir qu'une telle doctrine tenait une sorte de milieu
entre le subjectivisme de Kant et l'objectivisme de saint Thomas.
M. Remacle pousse les choses à l'extrême. « Percevoir, dit-il, c'est en
somme, pour Scotus Novanticus, conférer l'autorité de la Raison, asseoir
sur elle ce qui se trouve donné dans la conscience non rationnellement.
Qu'est-ce à dire : non rationnellement ? Gela veut dire : indépendamment
d'un choix, d'un acte délibéré du moi. Percevoir revient à élire, parmi les
états de conscience ceux qui seront tenus pour avoir une existence légi-
time » (p. 618). Et M. Remacle en conclut que dans I'Esphit de Scotus, la
raison est « la réalité intégrale et le dispensateur de la réalité ». « Théorie
profonde à notre sens... tout uu système de monisme idéaliste pouvait
sortir de cette théorie » (p. 019).
C'est vraiment trop d'éloge. Ni Scotus ni Duns Scot ne méritent cet
.excès d'honneur. En faisant delà raison ce qu'il appelle une volonté, dans le
sens où Aristote disait une nature, Scotus n'en a pas fait une liberté. Il y
à loin d'agir en vue d'une fin môme spontanément à élire. Le second est
entièrement libre, le premier s'il décerne la réalité de la connaissance de
Y esse cogniti, ne le fait qu'en utilisant la réalité in esse rei. Le premier est
arbitraire, le second est conditionné. Scotus a exagéré dans les mots,
comme autrefois son ancêtre Duns Scot : leur doctrine explique moins
facilement l'union du sujet et de l'objet que la doctrine de saint Thomas.
Tous deux ont trop subordonné les influences objectives au pouvoir de la
volonté. Mais chez tous deux les influences objectives, comme telles, sont
essentielles à la connaissance. El chez Scotus comme chez Scol ces
influences objectives ont leur origine prochaine dans une donnée extrin-
sèque à la connaissance, à la fois empirique de forme et idéale de contenu.
(Cf. Vacant, loc. cit., p. 88-107.)
Il n'y a donc pas trace de monisme idéaliste dans la théorie de Scotus,
à moins que l'on n'entende ainsi désigner un monisme transccndantal,
d'un Dieu qui serait la Pensée de la Pensée d'Aristote, du Vieux Dieu de la
néologie scolastique. Celte conclusion serait, croyons-nous, beaucoup
plus I'Esprit du livre de Scotus crue celles qu'il a plu à M. Remacle d'ima-
giner. F.-A. Gabdeil.
IV
QUESTIONS ACTUELLES
M. Pierre Batiffol. -Les Etudes d'histoire ecclésiastique et
-
les catholiques de France. Cet article a pour but de caractériser le
(1) Etudes comparées sur la Philosophie de saint Thomas d'Aquin et sur celle de Duns Scot,
par J.-M.- A. Vacant, Tome I. L'Intelligence. (Chez Delhomme et Briquet.)
LA VIE SCIENTIFIQUE 825
mouvement actuel de ces études et de déterminer ce qui lui manque pour être
complet. Ce mouvement se caractérise par une « unité de méthode qui en
fait, non une école; mais un mouvement, comme on aimerait à dire en
Angleterre ». Sa méthode est essentiellement critique ; elle « tire sa va-
leur de l'investigation approfondie des sources, du contrôle sévère des
opinions reçues, du souci de se défendre contre le subjeclivisme ». Elle a
désormais conquis « ses franchises ». Nous n'en sommes j>lus aux effarou-
chements de l'opinion catholique d'il y a quarante ans, bien que parfois
les susceptibilités des dévotions locales arrivent encore à tenir en échec
la science même des Bollandistes. « Mais, que d'une part s'affirme une
méthode de jour en jour mieux en main et plus sùrc, el que d'autre part
un esjn'it général se forme, plus ouvert, plus clairvoyant, plus difficile à
la demi-critique, c'est ce dont on ne peut douter. Il y a encore bien à
faire, sans doute, prenons patience ».
Qu'y a-t-il donc à faire ? A transformer, à revivifier la théologie par
l'histoire :
« Nous croyons, en effet, que c'est au domaine de l'exégèse et de l'his-
toire des dogmes que nous devons aller, si nous ne voulons pas que le
mouvement actuel soit un mouvement incomplet, et, au lieu de prouver
notre force, montre aux esprits logiques où s'accuse notre déficit. » Il
faut constituer la Théologie positive, qui existe à peine, si nous faisons
abstraction des travaux de l'érudition protestante contemporaine, théolo-
giquement suspects, et des travaux de l'ancienne érudition catholique,
vieillis et insuffisants. La nature même de la théologie l'exige : « Les théo-
logiens ne raisonnent pas sur les données de la raison pure, exclusive-
ment ; mais aussi sur des données de fait, l'Ecrilure et la Tradition, qui
elles aussi soni matière de critique et d'histoire. Il y aura donc toujours
un domaine commun aux scolastiques el aux critiques, le domaine de l'ex-
égèse et de l'histoire des dogmes. » Le mouvement des esprits et la marche
des temps commandent d'ailleurs impérieusement ce renouveau delà théo-
logie : « Dans un temps où le discrédit de la métaphysique aggrave celui
de la scolastique, et où le vide se fait de plus en plus autour des chaires
d'une théologie que, « le renouvellement des idées philosophiques, scien-
tifiques, historiques a rendue lettre morte pour l'élite iniellectuelle »,
comme on l'a dit avec quelque courage, l'esprit des jeunes générations ca-'
tholiques, dans le clergé surtout, se tourne vers l'exégèse et vers l'his-
toire, pour leur demander une doctrine de faits ».
Oui certes, nous voulons tous une théologie positive, qui réponde également
aux exigences de la, critique et à celles de l'orthodoxie ; nous la voulons comme'
théologiens, parce qu'il importe, pour le bien-fondé de nos conclusions théolo-
giques, de procéder en toute rigueur de méthode à ce dépouillement vérificateur-
826 REVUE THOMISTE
giens critiques. -
-
R. P. de Grandmaison.
{Etudes
Théologiens scolastiques et théolo-
Sjanv. 1897.)
La ligne de démarcation entre ces deux groupes de théologiens ne doit
pas être exagérée. Us existent cependant avec leurs caiiactèhes distinc-
-
lifs. Du côté des scolastiques, prépondérance assurée à l'argument
d'autorité, de tradition, aux déductions rationnelles, amour des contours
fixes et des positions bien accusées, esprit conservateur et sage, un peu
inquiet des voies nouvelles, efforts pour ramener à l'unité d'une vaste
synthèse les discordances remarquées dans l'histoire du dogme ou notées
chez les Pères, préférence des sources scolastiques aux sources de la
« théologie positive », souci de répondre aux adversaires en opposant aux
dessous philosophiques de leurs systèmes théologiques une synthèse
philosophique du dogme. - Chez les « théologiens critiques » part plus
grande accordée aux notions analytiques et positives, contrôle minutieux
des faits, impatience instinctive d'une règle uniforme, mise en saillie des
détails, des hardiesses des théologiens primitifs, qui contredisent les
grandes lignes, directe et libre application des méthodes scientifiques
aux documents, préférence pour les théologiens de l'école positive, enfin,
au point de vue apologétique, descente sur le terrain des adversaires,
c'est-à-dire étude des textes primitifs « sans glose, sans glose, sans
glose » [p. 31).
Les griefs réciproques sont ou latents ou avoués. Les scolastiques
dénoncent les libertés injustifiables des critiques contre VEnchiridien, leur
828 REVUE THOMISTE
ton agressif, leur sévérité pour les théologiens l'alionnels, leur indul-
gence pour les hétérodoxes. Du côté des critiques on reproche aux scolas-
tiques leur trop de souci pour l'orthodoxie des autres, leur entêtement à
défendre des positions compromises, désespérées, la nécessité d'être
hardi, etc. (p. 32). Au fond la partie qui se joue est l'information intellec-
tuelle des clercs. Les jeunes sont confiés dans les séminaires aux scolasti-
ques. L'élite retombe ensuite entre les mains des critiques. Ne pourrait-on
pas, arguent ces derniers, au lieu de ressusciter des querelles d'école,
employer un temjjs précieux à remettre les dogmes dans leur milieu histo-
rique et vivant, ne plus cataloguer les erreurs et leur réfutation comme des
fleurs d'herbier ? Mais, répliquent les scolastiques, comptez-vous pour
rien cette santé intellectuelle que l'on acquiert au contact de saint Thomas
et qui permet d'aborder, sans risque pour la rectitude des idées, le chaos
des doctrines hétérodoxes? Et puis, ce qui se cache de jeunesse sous ces
vieilles disputes d'Ecole! (p. 3-4).
La Go'iiclusion du débat est, au jugement du R. P. de Grandmaison, que
les deux méthodes sont nécessaires au progrès des sciences religieuses.
La méthode scolastique doit garder son rôle prépondérant dans la forma-
tion intellectuelle des théologiens et faire ensuite une jdart plus large à
l'autre. Toutes deux enfin se doivent la sincérité franche, l'intérêt bienveil-
lant et l'aide mutuelle.
Ces idées sont développées avec une chaleur communicative et une sympathique
impartialité vis-à-vis des deuxpariies. Nous sommes heureux de souscrire à des
pages si judicieuses et qui viennent si opportunément.
Nous sera-t-ilpermis cependant une légère réserve ? Entre nous, le Révérend
Père a-t-iï donné une juste idée delà théologie scolastique? Est-ceMen la traiter
comme elle a droit, que de la mettre en balance avec une « théologie critique »
dont le nom même semble emprunté aux protestants,
Ya-t-il vraiment une théologie critique?
- comme il l'est en effet?
Certes, il n'y a rien dans ce « véritable essai ironique » de cette diction semi-
théologique et semi-conciliante » dont on a eu la suprême inconvenance de
qualifier « le style jésuite » (cf. Etudes, S nov. 1897, p. 420). Mais la théo-
logie scolastique n'est-elle pas essentiellement une doctrine surnaturelle et
mystique toide entière suspendue à la Révélation divine, dont le magistère divin de
TEglise est le seul interprète proportionné? N'est-ellepas cette métaphysique
surnaturelle qu'analyse saint Tlwmas dans la première question de la Somme ?
N'est-elle pas, de cejmntde vue, le juge de la critique elle-même?
Je n'ai pas vu, et je le regrette, cette notion intègre de la Théologie, delà
seule et unique Théologie, se dégager suffisamment de l'étude du docte écrivain. La
critique des textes est mie condition préalable du travail du théologien ; et soies
cette forme elle a toujours existé ; elle n'est pas la théologie; elle est ce qu'est le
LA VIE SCIENTIFIQUE 829
COMPTES RENDUS
III.
causes
- L'Evolution des idées générales. M. Riiiot. (c. v. vi) : Deux
principales : l'utilité, l'apparition des inventeurs. Deux fac-
teurs : l'un conscient (caractérisé par l'emploi du mot) accoreqiagné
d'une représentation vague, l'autre inconscient, le savoir latent, potentiel,
organisé. Ce dernier seul fait la valeur du concept. -Le P. Peillaube:
supériorité des concepts sur les images. Leur antithèse fondamentale ; les
concepts sont universels et nécessaires ; les images particulières et con-
tingentes. Il faut donc abandonner l'évolution des concepts, et tenir pour
un apriorisme en accord avec les données de l'expérience.
M. Ribot déclare que la question ainsi posée suppose l'inncité et lui
échappe (p. 254). Enregistrons l'aveu. Mais tout ne seront pas d'avis qui
lui échappe lui-même au P. Peillaube.
On constate en lout cas le parallélisme constant des deux ouvrages.
Comment se fait-il "que la Théorie des Concepts ail paru deux ans avant
l'Evolution des Idées générales ? Ceux qui ont suivi de 1892 à 1895 les
cours de M. Ribot y auront peut-être rencontré un jeune prêtre et
remarqué un sténographe. Pourquoi Pierre le Grand, maniant la brouette
dans la citadelle d'Anvers, n'aurait-il pas des imitateurs parmi les philoso-
phes ? Nous avons dans le livre du P. Peillaube la discussion avant la
lettre du livre de M. Ribot. Si l'évolution des idées générales, parue
en 1897, est justement regardée à l'heure actuelle comme la thèse
nominaliste la plus neuve, il faut avouer que le livre du P. Peillaube,
dans sa première partie, ne saurait en deux ans avoir vieilli d'un
jour.
Et il faut en dire autant, sinon davantage, de la seconde et de la troi-
sième partie.
Originale, la seconde partie l'est à coup sûr. Une fois un certain apriorisme
accordé, il importait de situer, parmi les doctrines extravagantes eu
timides, la thèse de I'apriorisme modéré que le P. Peillaube veut emprun-
ter à saint Thomas. Il fallait la revivre au contact des systèmes modernes,
avant de la revivre en elle-même à la lumière de l'expérience psychologique
et de l'examen de conscience. A cette dernière tâche sera consacrée la
troisième partie.
Dans la seconde partie l'auteur place le maximum d'apriorisme objectif
dans le platonisme, l'ontologismc, le panthéisme, Iemaximum d'apriorisme
subjectif dans l'innéisme de Descartes et de Kant ; puis il passe au maxi-
mum d'apriorisme représenté par le phénoménisme criticisle de M. Re-
nouvier. A ces constatations est jointe une brève critique, trop brève à
notre avis, mais il fallait se borner dans une thèse qui cl ait moins une po-
lémique qu'une exposition. Du moins, les deux systèmes extrêmes sont-
ils assez nettement dessinés pour permettre à l'explication thomiste
rM
832 REVUE THOMISTE
qui vient s'intercaler entre eux, d'apparaître avec toute sa valeur concilia-
trice. Trois chapitres lui sont consacrés correspondant aux trois moments
de la formation des concepts : l'abstraction, la conception proprement
dite, la généralisation. De ces trois ex2>osés nous n'avons que du bien à
dire. Us sont l'expression exacte de la doctrine de saint Thomas et té-
moignent d'un effort très heureux pour les faire sortir de leur gangue
scolaslique et replacer dans leur actualité moderne les positions si solides
du saint Docteur.
Dans la troisième partie, la thèse de l'objectivité des concepts est déve-
loppée avec cette même fidélité à la pensée de saint Thomas que je me
suis plu déjà à relever, mais surtout avec ce je ne sais quoi de lumineux
et de convaincant que donne seule à des travaux de ce genre l'habitude de
l'introspection psychologique. C'est au pwint de vue de la conscience que
l'auteur rappelle sans cesse son lecteur ; c'est à celle lumière qu'il lui
marque pour ainsi dire du doigl, les amorces subjectives de la réalité ob-
jective, qu'il lui fait suivre jusqu'à leur terme objectif ces relations imma-
nentes, qu'il lui fait toucher l'objet vivam dans le sujet mais d'une vie dis-
tincte, comme une greffe qui ne prend son support dans le sauvageon
que pour en changer la nature, et vit de sa sève en la transformant. C'est
là un beau travail. Il demande sans doute à être complété, à être retravaillé
plus à fond encore dans le sens des exigences de la philosophie contem-
poraine. Mais déjà il est au point. Ce qui lui manque est peut-être un peu
de sobriété. La végétation, trop touffue de certains développements en
masque quelquefois les lignes essentiels. Le tempérament de l'auleur tient
peut-être plus de Jean de Saint-Thomas que de Cajetan. II n'est certes
pas déshonorant de ressembler à Jean de Saint-Thomas ; mais la manière
de Cajetan, sans l'exagérer, conviendrait peut-être davantage à des es-
prits formés à l'école de Spinoza et de Kant, par la lecture des Renou-
vieret des Taine. Je sais d'ailleurs de bonne source que le P. Peillaube se
propose de reprendre dans des monographies spéciales toute la suite qu'il
a embrassée d'un seul coup d'oeil dans sa thèse inaugurale, de la sensation
et de l'instinct jusqu'au concept. Tous les philosophes thomistes qui ont à
coeur de revoir nos doctrines psychologiques reprendre la place à laquelle
elle a droit dans le mouvement contemporain, lui sauront gré de consentir
à cultiver le terrain qu'il a d'ores et déjà si heureusement défriché.
M. Ribol me pardonnera d'avoir paru l'oublier. En réalité, il n'en est
rien. Mais là où le P. Peillaube nous décrit tant de belles choses, il est
resté à peu j>rès muet, ne nous alléguant pour expliquer la constitution de
Ja faculté d'abstraire et de généraliser, que ces deux causes : l'utilité et
l'apparition des inventeurs. Et cela est tout de suite dit. Nous espérons
qu'il nous sera donné quelque jour de le lire dans quelque exposition
LA VIE SCIENTIFIQUE 833
textes curieux, voire même des textes inédits. Quelle apparence y a-t-il
qu'une lettre écrite par tel correspondant mal préparé pour comprendre le
philosophe ail plus de valeur que les traités longuement mûris el destinés
à la postérité? » (p. 8). Voici en conséquence quel sera l'esprit de l'ou-
vrage : « Les systèmes de philosophie sont des pensées vivantes. C'est en
cherchant dans le livre le moyen de ressusciter ces pensées en soi qu'on
peut espérer de les entendre » (p. 9).
(1) P. 9.
(2) Que l'éducation scientifique et l'éducation philosophique soient données d'une
manière compatible.
LA VIE SCIENTIFIQUE 837
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
deux dernières que nous avons mentionnées el dont il nous reste à parler;
on nous promet pour bientôt les traités philosophiques d'Al-Kindi
(Iacobus Alchuinus), des scolastiques de la première époque, Fridugisus,
Candidus, et même de Heiric d'Auxerre.
I. Voici d'abord la monographe d'Alain de Lille. En France, ce vieux
Maître n'était guère connu que par un important essai d'Albert Dupuis,
une thèse d'Ed. Bossard, quelques recherches de Jourdain el d'Hauréau,
el une mention soit dans les études de Rousselot, soit dans l'histoire de
M. Maurice de Wulf ; il faut compter presque pour rien ce qui en est dit
dans les histoires générales de la philosophie. En Allemagne, les travaux
de Leist, et du DP Baeumker (dans le Philos. Iahrb. der Goerresgeseïlschaft.
BB, vi, vu) l'avaient tiré de la pénombre où on l'avait laissé. Nous voilà
maintenant enrichis d'une nouvelle 'contribution à l'histoire philosophique
de ce primitif de la scolastique. Outre l'introduction qui met les moins
84G REVUE THOMISTE
DEUXIÈME NUMÉRO.
- MAI 1897
La Conservation de l'énergie et la liberté morale. R. P. de Munnynck,
0. P 153
Devons-nous traverser liant? R. P. Gardeil, 0. P 180
La Providence (suite). R. P. Villard, 0. P 19o
De l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes (suite). R. P. Froget,
0. P 213
La Crise et l'apologétique. R. P. Schwalm, 0. P 239
Revue critique des revues. A. G 271
La Vie scientifique. R. P. Coconnier, 0. P 287
,
Notes bibliographiques 299
TROISIÈME NUMÉRO.
- JUILLET 1897
L'Encyclique «Divinum illud munus ». R. P. Coconnier, 0. P 305
De l'habitation du Saint-Esprit dons les âmes justes (suite). R. P. Froget,
0. P 310
La Crise de l'apologétique. R. P. Schwalm, 0. P 338
Le Syllogisme : Sluarl Mill et M. lïabier. R. P. Fulghera, 0. P 371
Jean Scol Rrigéne et Jean le Sourd. R. P. Mandonnet, 0. P 383
La Vie scientifique 395
Sommaires de revues 450
-
QUATRIÈME NUMÉRO.
- SEPTEMBRE 1897
La Vie scientifique :
Les sciences philosophiques au Congrès catholique de Fribourg. R.P. Schlinc-
ker, 0. P S51
Congrès international de Zurich pour la protection ouvrière. C. M 569
Notes bibliographiques 877
Sommaires de revues S83
CINQUIÈME NUMERO.
- NOVEMBRE 1897
Le Gérant : P. SERTILLÂNGiiS.
Directeur : Administrateur ..
R. P. COCONNIER, 0. P. R. P. SERTILLANGES, O.P.
Profeiseur Lecteur
il PUatVersiti de Fribourg (Suisse , en Sacrée Théolo i«
SOMMAIRE
La conservation de l'énergie et la liberté morale. -
R. P. De Munnynck.
Devons-nous traverser Kant. R. P. A. Gardeii.-
La Providence (suite). R. P. A. Villard.-
De l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes. R. P. Froget. -
La crise de l'Apologétique. -
R. P. Schwalm.
Revue critique des Revues. A. G. -
La vie scientifique. -
R. P. Coconnier.
Notes bibliographiques.
x
BUREAUX DE LA REVUE x l
222, FAUBOURG SAINT - HONORÉ, PARIS
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BRUXELLES (Société belge de librairie, 16, rue Treurenberg). LONDRES (Burns et Oates, 28, Orohârd
«treet), FRIBOURG (Suisse) (Librairie de l'Université). FRIBOURG (Grand-Duché de Bade) (B. Her-
-
der). VIENNE (Mayer et C", 7, Singeratrasse). -
MADRID (Gregorio de! Amo, 6, calle de la Paz).
LEIPZIG (L. A. Kittler, et F. A. Brockhaus, Querstrasse). -
MUNICH (Leutuer, Kaufingerstrasse, 86). -U
-
RATISBONNE (Fi. Puatet).
(Fr. Fustet). - -
ST-LOUIS (U. S. of. A.) (B. Horder). - -
ROME (Suraaeni, 13. ria délia Uaiversitaj. NEW-YORK &CINCINNATI
ST-PÉTERSBO URG (Ricker).
-
VARSOVIE-
Gebethnnor et Wolff). '
, , ,
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L'Encyclique " Divinum illud munus.- P. Coconnier.
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La crise de l'Apologétique. R. P. Schwalm. -
Le Syllogisme : Stuart Mill et M. Rabier.
Jean Scot Èrigène et Jean Le Sourd.
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l'Université). -, FRIBOURG (Grand-Duché de Bade) (B. Herder). VIENNE (Mayer et C", 7, Singcrstrasse
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Querstrasse). MUNICH (Leutner, Kaufingerstras'se, 26). RATISBONNE (Fi. Fustet).- ROME(S»rràseni,
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Cinquième Année. Septembre 1897,
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[à l'Université de Fribourg; (Suisse) en Sacrée Théologie
SOMMAIRE
La preuve de l'existence de Dieu et l'éternité du Monde.
-
R. P. A.-D. Sertillanges.
La lumière dans lesjsuvres de Dieu. -
R. P. Edouard Hugon.
Ont-ils vraiment « dépassé Kant » ? -
R. P. A. Gardeil.
De 1 habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes.
La vie scientifique :
-
R. P. Froget.
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SOMMAIRE
Notes sur i'Atomisme et l'Hylémorphisme. -
R. P. de Munnynck.
Nouvel essai sur le caractère analytique du Principe de Causalité. Abbé Farges.
La preuve de l'existence de Dieu et l'éternité du Monde (suite).
-
R. P. A.-D. Sertillanges.
naturelle et la Science.
La Croyance -
R. P. Sclrwalm.
De l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes (suite).
La vie scientifique :
R. P. Froget. -
Revue critique d*es Revues. -
Bibliographie
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Le système de Spinoza au point de vue de la logique formelle.- R. P. Léo Michel.
Les Ecrits philosophiques de Dominicus Gundissalinus
D* C. Baeumker. -, _
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V- <C!
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r^0x^>f' J^iJ^-
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l'homme
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