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Les religions ignorées /

Michelis di Rienzi

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Michelis di Rienzi, Émile (1861-19..). Auteur du texte. Les religions
ignorées / Michelis di Rienzi. 1939.

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les religions ignorées
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DEUX EXEMPLAIRES SUR HOLLANDE


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SUR PAPIER ALFA

Reproduction, traduction et adaptation


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d'indiquer la source.
MICHELIS DI RIENZI

les
religions
ignorées

Librairie du Phare
13,Rue Valette
PARIS (Ve)
DU MÊME AUTEUR

Profondeurs et Abîmes, poème ironique.


La Maison de Victor Hugo et les Lusignan (en collaboration
avec Fabre des Essarts).
La Téléphonie, ses origines et ses applications.
Immortalisme et Libre-Pensée.
Profils contemporains (1re Série) avec préface d'Anatole
France, de l'Académie française.
Profils contemporains (2me Série) avec préface d'Henry
Houssaye, de l'Académie française.
De Marseille à Carthage.
Croquis Corses.

A LA MEME LIBRAIRIE :

Les Petites Eglises.


Musée de Cires, mémoires d'un petit bourgeois.

EN PREPARATION :
Les coulisses du Vatican.
Nous vivons un siècle de fer. La haine monte à tous
les horizons. Le matérialisme et l'athéisme versent à
l'envie le désespoir aux hommes. Comment ne pas se
tourner avec sympathie vers les derniers idéalistes, vers
les nobles âmes obstinées qui parlent encore de foi,
d'idéal et d'espoir ?
Certes, les grandes religions officielles professent des
doctrines attachantes. Mais leurs antiennes sont trop
connues. Et puis, avouons-le, figées depuis tant de siè-
cles, installées dans leur puissance, « parvenues » en
quelque sorte, elles nous intéressent moins vivement que
les vieux rites qui, pour avoir manqué leur conquête
du monde, n'en survivent pas moins — ou que les
petits cultes nouveau-nés, confidentiels, tout vibrants de
la combativité des prophètes et de l'enthousiasme des
martyrs.
Nous avons continué (*) notre prospection, à la décou-
verte de ces Religions ignorées.
Nous n'avons pas été déçu. Les chapelles et les tem.
ples décrits dans ce livre nous sont apparus comme des
oasis de sérénité, au milieu de la tourmente. Quand le
monde entier revendique des droits, on a la surprise d'y
entendre encore le mot : devoir. Quand, presque par-
tout, les muscles comptent plus que les cerveaux, on y
proclame encore la suprématie d'un idéal. Nous avons
vu d'humbles peuples — cinquante ou cinq cents fidèles
— y réaliser très simplement et très quotidiennement
cette Egalité et cette Fraternité qui, ailleurs, ne sont plus,
hélas, que des inscriptions dérisoires...

* Voir : Les Petites Eglises, du même auteur, chez le même libraire.


Petites religions ignorées, ou que l'on croyait mortes,
petites flammes ardentes et fragiles, brûlez encore obsti-
nément dans les sanctuaires et dans les âmes ! Du fond
de notre incroyance, nous vous avons contemplées avec
autant d'amitié que de curiosité — et notre respect,
avouons-le, s'est, plus d'une fois, teinté d'envie.
Laquelle d'entre vous porte en elle l'avenir ? Laquelle
reconstruira de nouveau le monde spirituel, après la
grande catastrophe qui semble proche et qui va, peut-
être, balayer la civilisation d'Occident ?
Dans le grand mystère opaque de l'Univers, laquelle
de vous apportera la première étincelle de vérité, la pre-
mière lueur d'explication ?
Qui sait ?
Peut-être vos cultes divergents, parfois pittoresques,
parfois étranges, ont-ils une efficacité inconnue et créent-
ils, quelque part, un dieu qui n'existe pas encore; peut-
être aussi vos petites lumières qui nous semblent éparses
sont-elles, en réalité, les facettes d'un seul et même dia-
mant — du grand diamant panthéiste qui contient nos
consciences et qui porte les mondes dans son éternité
étoilée.
Les Doukhobors
En ce temps de matérialisme outrancier et de féroce
individualisme, n'est-il pas étrange de voir subsister, en
quelques coins de notre terre, des organisations mystico-
sociales où les hommes vivent d'une vie pure, travaillant
ensemble et jouissant ensemble du produit de leur tra-
vail ?
Où se trouvent ces Salentes, demanderez-vous ? Nous
n'y sommes point allé mais, au hasard de nos quotidien-
nes promenades, nous avons rencontré quelqu'un qui
nous en a affirmé l'existence. C'était un Doukhobor amé-
ricain, de passage à Paris.
Certes, nous n'ignorions pas que les Doukhobors, dont
le nom, en russe, signifie « champion de l'âme » (douch,
âme, borotza, lutteur), constituent une secte religieuse,
fondée en Russie au XVIIIe siècle, longtemps persécutée
par les Tsars, et finalement reléguée dans les provinces
caucasiques, vers 1840; nous savions qu'elle prétendait
faire renaître le véritable esprit du christianisme et qu'un
certain Loupkine avait entrepris autrefois une véritable
croisade contre les dépravations du clergé. Il nous a fallu
cet entretien avec un franco-canadien, sous les ombrages
du Parc Montsouris, pour apprendre que, s'il est encore
des Doukhobors dans le pays des Soviets (où ils sont
d'ailleurs durement traités, malgré leur communisme de
fait), il en existe de nombreuses communautés dans la
Colombie britannique — une cinquantaine, nous a-t-on
assuré — et qu'à Paris même, quartier du Jardin des
Plantes, on peut en rencontrer quelques-uns, reconnais-
sables à leurs longs cheveux cachant la nuque et à la sim-
plicité de leur vêture.
Si, aujourd'hui, les Doukhobors ont dépouillé le fana-
tisme de leurs pères — car leur précepte : Celui qui renie
son Dieu doit mourir par le glaive, était appliqué parfois
dans toute sa rigueur, au temps de Loupkine, — s'ils ne
font plus périr les enfants nés rachitiques ou infirmes,
comme jadis, les Lacédémoniens, à Sparte, ils ont conser-
vé leur morale religieuse et leurs mœurs communistes.
Chez eux, pas d'images, pas de veilleuse brûlant devant
les icones, pas de crucifix : Dieu et la nature sont le père
et la mère de tous.
Nous trouverions très irrespectueuse la manière des
enfants doukhobors d'appeler leurs géniteurs le «vieux»
et la « vieille » tout comme les gosses de nos faubourgs.
Mais il y faut voir, au contraire, une marque de vénéra-
tion, car les liens familiaux sont loin d'en souffrir.
Constantin Weyer, un lauréat du Prix Goncourt, dans
son livre L'Homme qui se penche sur son passé, nous a
dit quelques mots sur cette secte devenue si florissante au
Canada.
On a peine à s'imaginer que des hommes d'une si effa-
rante mysticité aient pu, dans des pays désertiques, cons-
truire, en peu d'années, des routes, des chemins de fer,
créer d'immenses plantations... Ce qui, au point de vue
civilisation, est plus remarquable encore, c'est que, grâce
à cette mysticité, ils vivent fraternellement.
N'est-ce pas, en quelque sorte, un défi jeté à notre
vieille société qui considère comme chimérique la vie en
commun ?
Et que diraient les contempteurs des 40 heures, s'ils
savaient que les Doukhobors du Canada travaillent à tour
de rôle et seulement trois heures par jour; que les che-
vaux et autres animaux domestiques ne sont astreints qu'à
la même durée de labeur ? Ce qui n'empêche pas le patri-
moine commun de s'agrandir de plus en plus, car, partis
de la Russie, misérables comme des pierres, les Doukho-
bors d'outre-Atlantique possèdent aujourd'hui un capital
social de plusieurs milliards.
Leur organisation semble singulièrement illustrer la
fameuse thèse du Droit à la paresse de Paul Lafargue,
lequel prétendait que, dans une société judicieusement
construite, la journée ouvrière ne devrait être que de
trois heures !
Les Doukhobors qui s'intitulent volontiers les « Fils
de la Liberté » sont chrétiens... jusqu'à un certain point.
Ils ne croient pas au péché originel et leur conception de
la divinité est assez simpliste : Dieu est le principal créa-
teur, il n'est ni dans les temples, ni dans le ciel, mais en
l'homme : là où les hommes s'aiment, là vit Dieu, car
Dieu est amour. Il se manifeste sous trois aspects : par la
lumière, le Père; par la vie, le Fils; par la quiétude, le
Saint-Esprit.
C'est donc dans l'âme de l'homme qu'est bâtie l'Eglise.
Celui qui garde la loi est le temple du Dieu vivant.
A leurs yeux, l'Eglise chrétienne (quelles qu'en soient
les branches), avec ses cérémonies, ses exorcismes, ses
hiérarchies et ses fastes, est complètement en dehors du
Christ.
Pour baptême, ils ont la foi, l'espérance, le travail et la
nourriture. Nul besoin de baptême d'eau : accueillir la
parole du Christ, c'est se baptiser par le Saint-Esprit;
souffrir pour la vérité et aimer, c'est se baptiser par la
vraie foi.
Pour la communion, il n'est nul besoin de recevoir le
pain et le vin. Celui qui s'unit au Christ et qui souffre
pour l'humanité, celui-là communie.
Quant au mariage, il est exclusivement constitué par
l'Amour : là où il n'y a pas d'amour, pas de mariage.
Comme on le voit, c'est encore plus simple qu'aux
temps bibliques où il fallait du moins la bénédiction
paternelle. Mais il ne faudrait pas en induire que ces
« mariages libres » un peu à la Reclus, conduisent à
l'immoralité.
Au reste, pour les Doukhobors, la femme est la mère
de Dieu parce qu'elle a enfanté le Christ, c'est-à-dire Celui
qui a donné la véritable vie.
Aussi tient-elle la place d'honneur dans leurs commu-
nautés. Il n'est pas d'exemple, pour les couples, d'un au-
tre divorce que celui prononcé par la mort.
Au point de vue social, le monde est leur patrie, Par
conséquent, fidèles au principe du Christ et rebelles aux
semences de haine, ils refusent de se battre, rejettent la
guerre, les tribunaux et toutes les institutions basées sur
la violence : ils considèrent les hommes de toutes les
nations, comme des frères.
Cela n'implique pas que les « Fils de la Liberté » ne
soient souvent persécutés, emprisonnés et dépouillés de
leurs biens... Ils pratiquent alors cette vertu des vertus :
la résignation, et vont essaimer ailleurs... quand ils le
peuvent.
Disons encore que les Doukhobors sont rigoureuse-
ment végétariens, se souvenant des paroles du Lévitique:
« J'ai dit aux enfants d'Israël : vous ne mangerez pas
de sang, car l'âme de tout être, c'est son sang; le sang c'est
l'âme ».
Les Bâbis

Un certain jour, à la Bibliothèque dont nous étions à


la fois le conservateur et le servant, se présenta un beau
jeune homme brun, à la moustache coupée à l'américaine,
aux cheveux crespelés, vêtu peut-être avec une trop gran-
de recherche.
La carte qu'il nous tendit mentionnait qu'il était
« chargé de mission » par le Gouvernement persan.
Eh quoi ! peut-on être persan, sans avoir le bonnet
d'astrakan et des bijoux au col ? aurions-nous été tenté
de nous écrier, à l'instar de Montesquieu !
Ce jeune homme était cependant un authentique fils
d'Iran — et, de plus, un bâbi, comme il nous l'a confié,
non sans une certaine hésitation.
L'occasion était trop belle pour ne pas recueillir quel-
ques renseignements sur le bâbisme, secte que l'on pou-
vait croire disparue depuis le siècle dernier et qui, au
contraire, d'après notre interlocuteur, a encore des rami-
fications profondes dans l'Islam et des fidèles irréducti-
bles en tous pays.
Qu'est-ce, au juste, que le Bâbisme ?
C'est en 1843 qu'un illuminé de 18 ans, du nom de
Mirza Aly Mohammed, prétendant descendre de la race
de Mahomet, entreprit, en Perse, de réformer la religion
musulmane.
Il n'était pas sans avoir pratiqué les sciences occultes.
Après un pèlerinage à la Mecque, il composa deux li-
vres : Voyage à la Kasba et Commentaires sur la Sourate
de Joseph, du Koran et prit le nom de BAB — mot qui
signifie « porte de la révélation » — parce qu'il se disait
être la porte par laquelle, seule, on pouvait arriver à con-
naître Dieu,
Sa popularité fut immense. Aussi porta-t-elle ombrage
au clergé musulman qui fit appel au gouvernement persan
pour mettre fin aux agissements de ce réformateur.
En d'autres époques et en d'autres lieux, c'eût été la
persécution, — elle allait d'ailleurs venir — mais le Shah
d'alors se contenta de consigner, pour un temps, le Bâb
dans la maison où celui-ci s'était réfugié.
Mirza Aly Mohamed, qui s'était donné pour le géné-
rateur même de la vérité, transmit à ce moment ses pou-
voirs à un mollah (prêtre) du Khorassan, Houssein Bous-
hrevych. Celui-ci eut tôt fait de transformer la secte en
un parti politique, sans cependant cesser de prêcher la
nouvelle religion.
C'est peu après que se révéla, dans le Bâbisme révolu-
tionnaire, à côté du Hadji Mohamed Aly Balfouroushy,
principal chef du mouvement, une singulière jeune fem-
me du nom de Zerryn-Tadj que les fidèles surnommèrent
poétiquement Gourret oul Ayn, consolation des yeux.
« Belle comme une de ces princesses seljoucides qui
élevaient des mosquées », d'une exaltation égale à son
esprit, cet apôtre féminin parcourut les villes, le visage
découvert (audace alors impardonnable, aux yeux des
Musulmans) et convertit au bâbisme presque toutes les
populations de la Perse septentrionale.
Cette fois, le Gouvernement s'émut et entreprit plu-
sieurs expéditions pour réduire la province de Mazande-
ran où les Bâbis régnaient en maîtres.
Zerryn-Tadj, faite prisonnière, fut — Jeanne d'Arc de
l'Islam — brûlée vive pour avoir refusé d'abjurer sa foi.
Le Bâb, pendu par les soldats, vit la corde coupée par
une balle. S'étant réfugié dans une maison voisine du lieu
de l'exécution, il fut massacré dès qu'on l'eut reconnu.
Ceci se passait en 1852.
Le successeur de Bâb fut un jeune homme de 19 ans,
Mirza Jahyr, désigné par ses partisans sous le vocable
Hezreté-Ezel, Altesse éternelle. Il complota contre la vie
du Shah Nasser-Eddin, l'homme à l'aigrette de diamant,
celui-là même qui vint à Paris en 1873 et que l'imagerie
d'Epinal de notre tout jeune temps a popularisé.
Après l'échec de la conspiration, Mirza Jahyr dut s'en-
fuir de Téhéran. Ses coreligionnaires furent traqués, tor-
turés, suppliciés. Et c'est depuis cette époque que le Bâ-
bisme est devenu une puissante société secrète qui comp-
te des membres dans toutes les classes, non seulement en
Perse, mais dans l'Inde musulmane, en Afrique, dans
l'Asie mineure et dans l'Europe Orientale.
Le siège principal de cette association religieuse qui
semble avoir renoncé à toute agitation politique, serait,
actuellement, à Bagdad.
Au point de vue doctrinal, le Bâbisme s'apparente à un
bizarre panthéisme dans lequel J.-J. Rousseau semblerait
avoir infusé son optimisme lénifiant.
D'après cet enseignement, le mal n'est que le résultat
du fait même de la création. L'homme, à quelque distan-
ce qu'il soit du Créateur, doit être tenu pour naturelle-
ment bon.
La nature éloignée de Dieu appelle à son secours la
science divine, et celle-ci est donnée par des prophètes
en quelque sorte impersonnels, alors que, chez les Juifs,
les Chrétiens, les Musulmans, ils ont une individualité
propre.
Les Bâbis proclament Dieu unique et éternel, mais
« il est l'unité primitive d'où émane l'unité supputée ».
« Au jugement dernier, toutes les créatures se réuni-
ront à Dieu, se réabsorberont dans l'unité dont elles vien-
nent et toutes les choses seront anéanties, moins la nature
divine ».
Le culte est réduit au minimum. Ils prient une fois par
mois, mais non à la façon des Musulmans ou des Juifs
qui, comme on le sait, se tournent vers un point donné
de l'horizon.
« Partout où vous vous tournez, vous avez Dieu en
face », disent-ils et, ainsi, ils semblent condamner là
Kibla de l'Islam et d'Israël.
Chez eux, la mendicité est interdite, tout comme à l'en-
trée de nos villes et villages — et, cependant, ils font de
l'aumône une obligation étroite...
Enfin, ce qui est pour surprendre les Occidentaux ac-
coutumés à considérer la polygamie comme un des fonde-
ments des religions de l'Islam, la monogamie est aujourd'-
hui la règle dans le Bâbisme, et le divorce est interdit.
A l'origine, le Bâb avait concédé aux Croyants deux
femmes légitimes. Peut-être avait-il eu connaissance de
la décrétale de 726 du pape Grégoire II qui avait déclaré
que « lorsqu'un homme a une épouse infirme, incapable
des fonctions conjugales, il peut en prendre une seconde,
pourvu qu'il ait soin de la première ? »
Mais ses successeurs n'ont pas admis cette tolérance...
Sans doute, parce qu'ils ont pensé que, pour le Purga-
toire des hommes sur la terre, une seule femme suffisait.
Les Catholiques Libéraux
Ce fut à l'aube du siècle dernier qu'un digne prêtre,
l'abbé Pierre Feuillade, vicaire à Privas, après avoir
bravé les fureurs révolutionnaires et exercé le sacerdoce
jusqu'en 1810, abandonna ses fonctions ecclésiastiques,
rompit avec l'Eglise et se retira à Lyon.
C'est là, qu'en 1815, il publia son Projet de réunion
de tous les cultes ou le Christianisme rendu à son insti-
tution primitive.
Cet ouvrage portait en exergue « Unus Dominus, una
fides ». L'humble sacerdote du Vivarais, après avoir con-
sacré plusieurs années de sa vie à l'étude critique de la
théologie, rêvait de rétablir la « vraie religion ».
Jusqu'à présent, nous avions pensé que s'étaient inspi-
rés de ce livre les fondateurs de cette Eglise Catholique
libérale qui a, aujourd'hui, des adeptes dans toute l'Eu-
rope et qui compte, en Algérie notamment, des groupe-
ments importants, Eglise qu'il ne faut cependant pas con-
fondre avec l'Eglise libre-catholique dont nous avons par-
lé ailleurs (1), bien qu'elles aient de nombreux points
communs.
Il n'en serait pas ainsi, d'après le « catholique
libéral » que nous rencontrâmes à un Congrès de la Paix,
à la Sorbonne, et que nous soupçonnâmes bien vite d'être
un ancien ecclésiastique, non au physique, car il était
solennellement barbu, mais à la parole à la fois prenante
et doctorale, rappelant celle du Père Lhande que nous
avons entendue quelquefois, le dimanche, par T. S. F.
C'est de lui que nous apprîmes que l'Eglise Catholique
libérale était tout simplement la réorganisation du mou-

(1) Les Petites Eglises, Editions du Phare, 13, rue Valette, Paris, Ve.
vement « vieux-catholique » anglais, réorganisation qui
s'opéra en Angleterre dans le cours de l'année 1917.
Il faut croire que les préoccupations de la guerre mon-
diale ne pesaient pas lourd à ce moment pour qu'il pût
être question de réformes confessionnelles... à moins
qu'elles ne fussent, au contraire, des plus intenses en rai-
son de la « salvation » des âmes que la nouvelle église
voulait opérer.
Quoi qu'il en soit, en voici la caractéristique :
« L'Eglise Catholique libérale unit le culte catholique,
son rituel majestueux, son profond mysticisme, le témoi-
gnage vivant qu'il rend à la réalité de la grâce sacramen-
telle, à la plus grande mesure possible de liberté intel-
lectuelle et de respect pour la conscience personnelle ».
C'est ce libéralisme dans la recherche des interpréta-
tions des Ecritures qui a servi de baptême à ce mouve-
ment chrétien dont le but est de présenter, sous un nouvel
aspect, le cérémonial catholique traditionnel.
L'Eglise Catholique libérale estime, en effet, que les
temps ne sont pas encore révolus où les maisons de priè-
res et cérémonies cultuelles seront devenues inutiles, car
la parole du Christ : « Le royaume des cieux est au de-
dans de vous », n'est pas près de se réaliser.
C'est pourquoi elle apprend à ses fidèles à « adorer
Dieu en esprit et en vérité selon les rites et les sacre-
ments institués par le Christ lui-même ».
L'acte de foi de cette Eglise « synthétique » (comme,
parfois, on l'intitule) est d'une simplicité touchante :
« Nous croyons que Dieu est amour, puissance, vérité
et lumière; qu'une justice parfaite gouverne le monde;
que, si loin qu'ils puissent s'égarer, tous ses enfants se
prosterneront un jour à ses pieds. Nous croyons à la pa-
ternité de Dieu, à la fraternité des hommes. Nous savons
que nous le servons mieux en servant notre prochain.
Ainsi sa bénédiction et sa paix seront avec nous à jamais».
L'Eglise Catholique libérale se donne pour autonome
et indépendante de toute autorité. Elle laisse ses fidèles
libres d'interpréter eux-mêmes les Ecritures et la liturgie
et accueille dans son sein tous les philosophes spiritua-
listes.
Elle prétend être une Eglise moderniste en ce qu'elle
soutient que les formes extérieures doivent s'adapter au
développement du progrès, et une Eglise historique, en
tant que continuatrice de la tradition du Christ à tra-
vers les siècles.
Son enseignement — et en cela, elle se rapproche sin-
gulièrement de la Théosophie, si elle s'éloigne du catho-
licisme officiel — proclame le principe de la réincarna-
tion et, par conséquent, de la loi de Karma. Par son ritua-
lisme, elle fait appel aux forces spirituelles qui nous en-
tourent et utilise les effets occultes et magiques (le mot ne
fait pas peur à ses adeptes) du son, des parfums et des
gestes.
Elle administre tous les sacrements sans exiger préala.
blement une profession de foi, le fait seul de les deman-
der attestant la sincérité de l'impétrant.
Tout comme dans le culte romain, le clergé est hiérar-
chisé. Il comporte des Clercs, Portiers, Lecteurs, Exor-
cistes et Acolytes ayant des attributions bien définies.
Pour l'Europe, le chef actuel de l'Ecole Catholique
libérale est l'évêque Mgr Wedgwood, résidant d'ordi.
naire en Hollande. Cependant, il n'hésite pas à franchir
la frontière lorsqu'il s'agit de conférer des ordres.
C'est ainsi qu'assez récemment, à Strasbourg, assisté de
M. Hounsfield, vicaire général pour la France, il a or-
donné prêtres quatre candidats.
Voici ce qu'en a écrit un témoin :
« Tous quatre (les candidats) portaient une ravissante
soutane violette, car jamais dans l'Eglise Libérale catho-
lique, le noir n'est employé, et aussitôt qu'ils furent
reçus clercs, c'est-à-dire aussitôt qu'ils firent partie du
clergé, on les revêtit du surplis. Et, la cérémonie termi-
née, l'Evêque et sa suite regagnèrent la sacristie, afin de
se préparer à la messe. Pendant la célébration de cette
dernière, il consacra sous-diacres, puis diacres, les qua-
tre candidats, remettant au lendemain le soin de les
recevoir prêtres. Le jour suivant, ce fut au milieu d'une
assistance aussi nombreuse que recueillie qu'il leur im-
posa les mains deux fois, et aussitôt, ils célébrèrent la
messe en même temps que leur supérieur ».
A Paris, l'Eglise catholique libérale possède, depuis
quelques années, un temple particulier, 11, rue Schœl-
cher. Mais ce n'est certes pas dans la Capitale qu'elle
compte le plus de fidèles...
On nous affirme qu'elle a des ramifications jusqu'en
Pologne et que cette fameuse Isabelle Wilukal, consacrée
évêque à Plock par l'archevêque vieux-catholique d'U-
trecht, est actuellement une des colonnes de l'Eglise ca-
tholique libérale.
Qu'on nous pardonne la vulgarité de l'expression, c'est
du coup que l'Eglise Catholique libérale n'aurait pas volé
son nom — et son renom — de « moderniste ! »
Les Théophilanthropes

Il y a une quarantaine d'années, au n° 326, de la rue


de Vaugirard, se réunissait, sous la présidence de M. Louis
de Vallières, le Comité Central Théophilanthropique ou
« Grande Communion ».
Les séances se tenaient dans une annexe de l'imprime-
rie Décembre, aujourd'hui disparue et où se publiait la
Fraternité Universelle, journal de la Théophilanthropie.
La vieille maison d'alors a fait place à un assez bel
immeuble. Mais aucun souvenir de ces apôtres, si vague
soit-il, ne subsiste dans le quartier.
Nous avons néanmoins recherché s'il restait encore
des fidèles de cette secte qui eut son heure de célébrité,
et, sur les hauteurs de Ménilmontant, nous avons enfin
découvert le siège d'une « communion » de ces humani.
taires qui, au titre de théophilanthrope, avaient joint
celui de Saint-Simonien.
L'interview que nous pûmes obtenir du vénérable gar-
dien de la tradition, un digne homme aux sourcils brous-
sailleux, à la barbe victor-huguesque, ne nous apprit rien
d'inédit, sinon que, sous l'œil paternel et vigilant de la
Divinité, ils travaillaient, lui et sa « communion », au
relèvement de la France, par l'extension de la morale et
de la science.
Rares, peut-être, sont ceux qui savent que le culte théo-
philanthropique a été, en quelque sorte, imaginé par Vol.
taire lui-même, et que la première manifestation date du
20 Prairial An II (8 Juin 1794), fête de l'Etre-Suprême
instituée par Maximilien Robespierre ?
En effet, le 7 mai 1794, la Convention nationale avait
solennellement déclaré que « le peuple français recon-
naissait l'existence de l'Etre-Suprême et l'immortalité de
l'âme et prescrivait l'établissement de fêtes décadaires à la
Nature, au genre humain, à l'Etre-Suprême, aux Martyrs
de la liberté, à l'Amour conjugal, à la Vieillesse, au Mal-
heur, à la Justice, etc. ».
Une nouvelle religion était créée et ses adeptes s'appe-
lèrent d'abord Théoandrophiles...
A cette occasion, on put voir, au Jardin des Tuileries,
l' « Incorruptible » en habit bleu céleste, un bouquet
d'épis et de fleurs à la main, présider l'ouverture de la
fête, puis descendre de l'estrade et s'approcher du bassin
au bord duquel on avait construit une grossière effigie de
bois représentant le monstre de l'Athéisme, et y mettre le
feu.
Et tandis que, dans un discours pompeux, il expliquait
le sens du nouveau culte, des nouveaux dogmes et des
nouvelles prières, s'élevait derrière lui, graduellement,
par un ingénieux mécanisme, une statue de la Sagesse.
Toutefois le véritable père de la religion théophilan-
thropique fut un membre du Directoire, Larevellière.
Lépeaux, tout imbu du Contrat Social, qui soumit au
Gouvernement dont il faisait partie son mémoire consti.
tutif : Réflexions sur le culte, sur les cérémonies et sur
les fêtes nationales.
On raconte, à ce propos que, sollicité de donner son
avis, Talleyrand fit cette réponse : « Je n'ai qu'une ob.
servation à faire : Jésus-Christ, pour fonder sa religion,
été crucifié et est ressuscité — vous auriez dû tâcher
a
d'en faire autant ! »
Ce bon Larevellière-Lépeaux qui avait escompté
l'appui du prêtre défroqué, lequel avait cependant fort
irrévérencieusement baptisé les Théophilanthropes de
« filous en troupe », en fut fort marri.
Il n'en pratiqua pas moins à son égard l'oubli des...
c'est grâce à lui, et malgré la vive opposi-
sarcasmes, car
tion de Carnot, que Charles-Maurice de Talleyrand-Péri-
gord, ancien évêque d'Autun, celui que ses ennemis appe-
laient un bas de soie rempli de boue, fut nommé Ministre
des Relations Extérieures !
Parmi les premiers Théophilanthropes, il faut compter
Valentin Haüy, l'inventeur des livres en caractères en re.
lief pour les aveugles, l'économiste Chemin-Dupontès,
le publiciste Mandar, l'auteur du fameux libelle les
Insurrections, Dupont de Nemours, Daunou, Andrieux,
etc.
La doctrine, puisée en grande partie dans le Vicaire
Savoyard de J.-J. Rousseau, se résumait en ceci :
Reconnaissance de la Divinité.
Nécessité d'une religion dans l'Etat pour le maintien
de la morale privée et de l'ordre public.
Les adeptes se réunissaient une fois par semaine pour
entendre des exhortations morales, des lectures philoso-
phiques, des hymnes et chants religieux dont la plupart
avaient été composés par Marie-Joseph Chénier. On pro.
cédait à des prières en commun. Tout emblème du culte
ou image symbolique était rigoureusement banni, ce qui
ne les empêcha pas de conserver les cérémonies du bap-
tême civique, de l'initiation (première communion), et
même de la confession publique dénommée « examen de
conscience ».
Le Directoire leur avait concédé, à Paris, l'usage d'un
certain nombre d'églises, débaptisées pour la circonstan-
ce : Notre-Dame s'appelait le Temple de la Raison ; Saint-
Etienne-du-Mont, le Temple de la Piété filiale; Saint-
Sulpice, le Temple de la Victoire; Saint-Thomas-d'Aquin,
le Temple de la Paix, etc.
Mais Bonaparte vint... et l'usage de ces églises leur fut
enlevé. Les Théophilanthropes tinrent alors leurs assises
dans des salles publiques : faubourg Saint-Antoine, dans
le Marais, rue de la Montagne Sainte-Geneviève. Puis,
le silence se fit sur eux.
Après les journées de 1830, ils s'employèrent à faire
renaître, à l'abri du drapeau tricolore, les glorieuses ma-
nifestations de 1795. Ils ne récoltèrent que l'indifférence
des masses et le mépris des pouvoirs publics, malgré leur
pure doctrine et leur morale qui avaient fait dire à Cha-
teaubriand : « Les théophilanthropes ne préconisent pas
les intérêts, ils recommandent des devoirs ».
Aujourd'hui, ils se manifestent encore, de loin en loin,
par quelques brochures : Catéchisme moral et civique de
la Théophilanthropie, Principes généraux de la Théo-
philanthropie, Lettre d'un Théophilanthrope aux femmes
de France...
Ah ! combien sont-ils ? A peine quelques centaines à
Paris...
Rari nantes in gurgite vasto.
Les Bouddhistes Occidentaux

Il est, sans doute, inutile de dire que s'il ne s'agissait,


ici, que du bouddhisme proprement dit, on ne saurait
évidemment le classer parmi les religions ignorées, puis-
qu'il compte, en Extrême-Orient, plus de 400 millions
d'adeptes.
Mais se doute-t-on qu'une branche du bouddhisme
existe en Europe, comptant quelques milliers de prati-
quants et qu'à Paris même, de hauts esprits professent
cette religion, accommodée, il est vrai, aux idées occiden-
tales ?
Vers la fin du siècle dernier, on citait parmi les néo-
bouddhistes, Emile Burnouf, l'helléniste; Foucaux, pro-
fesseur en Sorbonne; Félix Régamey, l'artiste peintre et
écrivain; Léon de Rosny, l'archéologue; l'ingénieur et
astronome Tremeschini; de Lorenzo, géologue et histo-
rien, qui a écrit depuis (1904) L'Inde et les origines du
Bouddhisme, le plus remarquable exposé de nos connais-
sances sur l'histoire et la doctrine du Sage de Kapilavattu,
et, plus près de nous, le grand écrivain anglais Lafcadio
Hearn; la poètesse Renée Vivien, morte si prématuré-
ment ; Maurice Magre.
A l'époque où un hindou de grande envergure, Horiou-
Toki, grand-prêtre bouddhiste, traversa Paris, nous eû-
mes la bonne fortune d'assister à la cérémonie qu'il célé-
bra au Musée Guimet, mis à sa disposition par le Ministre
de l'Instruction Publique, et à laquelle avaient été con-
viées des personnalités marquantes d'alors, notamment
M. Clémenceau. S'il nous en souvient bien, le « Tigre »
participa lui-même quelque peu au Culte en tenant l'un
des cordons à glands de soie remis aux deux premiers
assistants.
L'autel était constitué par une longue et simple table
d'ébène qu'un Bouddha de cuivre surmontait en manière
de tabernacle.
A chaque extrémité de la dite table brûlait un cierge
de cire rouge éclairant des vases de chrysanthèmes; ça et
là, étaient disposées des soucoupes pleines de riz, de gâ-
teaux et de fruits. Devant le Bouddha, et d'une sorte de
« bénitier » en laque rouge et dorée, volutaient des par-
fums d'encens.
Au milieu du plus profond silence, comme il sied dans
un temple, la cérémonie s'annonça par un frêle tintement
de clochette. Nous vîmes alors s'avancer le grand-prêtre
Horiou-Toki, revêtu d'une dalmatique jaune parsemée
de fleurs, visage ivoirin, mains dissimulées sous le vête-
ment sacerdotal, yeux absents.
Parvenu à l'autel, il s'inclina profondément devant le
Bouddha, et, d'une voix monocorde, prononça l'invoca-
tion rituelle. Il parut se livrer à une méditation prolon-
gée. Puis, prenant le bâtonnet d'ivoire placé près du « bé-
nitier », il l'y plongea, aspergea l'autel, ensuite la terre,
et, enfin, les assistants.
L'aspersion terminée, Horiou-Toki psalmodia une sor-
te d'incantation aux « Boddisattvas » (esprits glorieux,
dit la brochurette qui nous fut remise), prit pieusement
les pétales des chrysanthèmes gisant dans les coupes et
les répandit sur l'autel, puis sur le sol, en récitant une
oraison où revenait la phrase sacramentelle traduite ainsi :
« Puissent ces fleurs couvrir les dix mondes et être offer-
tes à tous les Bouddhas et les Boddisattvas ».
A ce moment, après avoir baisé avec respect la sonnette,
il la fit retentir, ouvrit le tabernacle, en sortit une forme
de livre et appela les dieux dans une fervente invocation
suivie d'une longue contemplation du Bouddha.
Trois tintements espacés, — tout comme à l'Elévation
chez les Catholiques — et les dieux étaient censés être
partis !
Alors le prêtre s'éloigna de l'autel, à reculons, ca-
chant ses mains sous la dalmatique et murmurant, sans
doute, une prière.
La cérémonie était terminée.
Pourquoi ces mains cachées à l'aller comme au retour ?
Notre brochure nous apprit que les signes mystiques
des doigts de l'officiant doivent, d'après le rite, être cachés
au public, mais qu'ils correspondent aux versets murmu-
rés, faisant appel aux « énergies célestes ».
Et, maintenant, un aperçu — pour ceux qui les igno-
reraient — sur les points essentiels de la doctrine boud-
dhiste orthodoxe :
On sait qu'avant d'être dieu, Bouddha fut homme. Il
naquit à Kapilavattu, près Bénarès, vers 650 ans avant
Jésus-Christ. Fils de roi, il se révéla, dès son jeune âge,
comme un enfant prodige. Ayant rencontré sur sa route
des êtres disgraciés et misérables, il médita sur le mystère
de la vie et de la mort, renonça à son existence princière,
se dépouilla de ses riches vêtements, revêtit la robe jaune
des parias et se retira dans la solitude où, tout comme
Jésus, il fut tenté par le Mara (démon).
A force d'ascétisme, il arriva à connaître ses antériori-
tés et, après sept ans de vie érémétique, il commença son
enseignement.
Les dogmes principaux du bouddhisme sont la survie
de l'âme personnelle, la transmigration; avec enfer et
paradis, (enfer dans le sens de monde inférieur, et non
de rôtissoire), la rétribution des actes, le Nirvâna.
Selon Bouddha, il faut être bon, parce qu'être mau-
vais, c'est être malheureux, c'est s'éloigner de la divinité
que l'on doit devenir.
Pour lui, la Providence n'existe pas. C'est nous qui,
par nos actes, dans des existences antérieures, avons été
les propres artisans de notre malheur ou de notre bonheur
présent.
En un mot, c'est la loi de Karma que se sont appro-
priée les spirites et réincarnationnistes contemporains.
« Tout bon bouddhiste doit connaître la douleur, en
pénétrer la cause, viser à la fin de la douleur en vain.
quant l'amour de soi, l'envie et le désir et, enfin, chercher
à connaître la voie qui conduit au Nirvâna ».
Qu'est-ce que le Nirvâna ? C'est la vie sans fin dans une
béatitude ineffable et non pas l'anéantissement, comme
on le croit communément, et comme le veut Schopen-
hauer.
La principale vertu du vrai disciple de Çakia-Mouni
est la « non-nuisance » : Celui qui ne nuit pas est vase
digne de la vérité, dit Gautamah Bouddha. Il s'ensuit
que la tolérance est le premier article du catéchisme
bouddhique.
Bien entendu, sont proscrits l'homicide quel qu'il soit
— et, par conséquent, la guerre —, le meurtre des ani-
maux, les boissons enivrantes, etc...
Revenons aux Bouddhistes occidentaux.
Ils conservent la croyance fondamentale aux renais-
sances successives, mais ils rejettent tout sacerdoce.
« Chacun doit être son prêtre ». Donc, pas d'église, pas
de temple, pas de cérémonie cultuelle, toutes choses qui,
disent-ils, contreviennent aux préceptes de pauvreté de
Bouddha.
De plus, ils font à la femme, quelque peu négligée dans
les enseignements çakya-mouniques, une large place. Elle
doit « devenir la femme forte, mère de l'homme et vestale
du feu sacré de l'Intuition ». Ce qui les rapproche, sur ce
point, à la fois d'Auguste Comte et de Bergson.
Cent ans avant Jésus-Christ, Cicéron disait : « Ne fais
de tort à personne et fais du bien à tous les hommes, par
cela seul qu'ils sont des hommes ».
Il y a vingt-cinq siècles, Bouddha a dit à peu près la
même chose. Et cependant, l'humanité ne semble pas
avoir beaucoup progressé, au point de vue moral, depuis
les millénaires écoulés.
Il surviendra certainement encore d'autres prophètes
pour renchérir sur les devoirs de l'homme envers le pro-
chain. Quel est celui qui aura assez de puissance pour
réformer l'âme humaine ?
Hélas ! Comme chante le Dieu Wotan dans Siegfried :
« Toutes choses ont leurs lois. Ces lois, nul ne les chan-
ge ! ».
Les Positivistes
Bien entendu, nous ne voulons pas parler ici des phi-
losophes partisans de la doctrine que, sous le nom de
positivisme, ont instaurée en France, Littré et Wirou-
boff, et, en Angleterre, Stuart Mill, doctrine d'où est
exclue toute conception métaphysique, pour ne se borner
qu'à l'étude des phénomènes physiques, chimiques et
vitaux.
En effet, ce positivisme est du domaine purement scien-
tifique, alors que celui que nous essayons d'esquisser ici
se révéla, dès l'abord, comme une véritable « religion »,
ayant ses dogmes, ses pratiques, sa liturgie, oserons-nous
dire, et que beaucoup de nos contemporains ignorent
peut-être.
Il eût été préférable, sans doute, d'intituler cette étude :
les Comtistes ! Mais ce faisant, nous irions à l'encontre
de l'idée-maîtresse de son fondateur qui, le premier, a
osé, devant le religiosisme spiritualiste, dresser cet autre
religiosisme qu'il dénomma positivisme.
Auguste Comte ne voulait pas, d'ailleurs, que l'on con-
sidérât ses enseignements comme une œuvre personnelle,
mais simplement comme « la synthèse des connaissances
et de la sagesse de l'humanité ».
Il y a nombre d'années, nous eûmes l'occasion d'assis-
ter, au deuxième étage du n° 10 de la rue Monsieur-le-
Prince, à une cérémonie positiviste.
M. Pierre Laffite, un des exécuteurs testamentaires du
Maître y officiait, assisté du Dr Robinet, du fils de ce
dernier et, si nos souvenirs sont exacts, de notre con-
frère de l'Evénement d'alors, Emile Corra, toujours vi-
vant, croyons-nous, mais qui aurait, depuis, abandonné
la mystique d'Auguste Comte, pour s'en tenir à ses con-
ceptions purement sociologiques.
Il est bon de se souvenir ici que l'immeuble où vécut
et où mourut, en 1857, le fondateur du positivisme, a été
classé, en son honneur, comme monument historique.
L'inscription commémorative placée juste au-dessus de
l'appartement qu'occupait Auguste Comte signale, seule,
cette maison au passant.
Ce fut avec un respect mêlé de curiosité que nous y
pénétrâmes, présenté par un de nos professeurs d'alors,
positiviste fervent.
Ameublement des plus sommaires : un secrétaire Em-
pire, quelques fauteuils sans style; un buste du Maître
avec l'inscription : Famille, Patrie, Humanité.
Aux murs, une photographie de la Vierge à l' Enfant,
de Raphaël, et deux portraits, l'un représentant Auguste
Comte, glabre, yeux clairs, le visage engoncé dans une
cravate noire à double tour, comme en portaient alors les
professeurs et les doctrinaires; l'autre, figurant Clotilde
de Vaux avec des yeux immenses dans un visage d'un pur
ovale, les cheveux retenus à la Ferronnière.
Près de la table recouverte d'un drap, plutôt admi-
nistratif, était un fauteuil rouge, celui dédié « à la Sainte
patronne de la religion nouvelle », et qui, paraît-il, de-
meure toujours inoccupé.
La cérémonie commença par une prière que prononça,
avec une ferveur quasi sacerdotale, le Dr Robinet, beau
vieillard à bésicles. Cette prière n'aurait pas été désavouée
par le plus farouche catholique, tant elle ressemblait à la
plupart de celles de la liturgie romaine... si, au mot Dieu,
n'avait été substitué le vocable Humanité et si l'invocation
à la Vierge Marie n'y était remplacée par celle à la
Vierge Mère.
Puis, suivit une espèce d'homélie de Pierre Laffite,
apôtre à la barbe courte et blanche, tourmentant perpé-
tuellement son lorgnon. Les mots Amour, Ordre, Progrès
alternaient avec des maximes tirées de l'Œuvre d'Auguste
Comte et ayant trait à la Religion de l'Humanité qui
« doit d'abord s'appliquer à la vie publique, siège du
principal désordre et doit inaugurer la morale universel-
le en réglant la conduite des peuples avant celle des fa-
milles et des individus, mais en faisant toujours ressortir
la connexité fondamentale de ces trois parties du régime
positif ».
Un souvenir ému fut adressé à Clotilde de Vaux et des
exhortations aux assistants pour le culte domestique et la
pratique des sacrements institués par Auguste Comte et
dont voici les principaux :
Présentation, qui équivaut au baptême;
Initiation, à l'âge où l'enfant, au sortir des mains de la
mère est confié aux éducateurs;
Admission, à l'âge de la majorité où le disciple doit
s'engager à servir l'humanité;
Mariage qui doit s'accomplir vers la trentième année;
Maturité, époque à laquelle le citoyen se doit à ses de-
voirs civiques.
Il ne put être question de l'immortalité de l'âme puis-
que Auguste Comte condamnait toute métaphysique. Mais
avec quelle noble gravité, M. Pierre Laffite rappela que
« les morts gouvernent par le prestige du néant et de la
mort » et que tout positiviste doit purifier sa conscience
aux approches de l'heure de « son incorporation au
Grand-Etre ! »
Après la prière de clôture — car il est bon de rappe-
ler que chaque positiviste doit prier au lever, puis au
milieu du jour, et, enfin, à l'heure du coucher —, on se
rendit dans un restaurant voisin où les fidèles rompirent
le pain et où chacun paya son écot, selon ses ressources
et non d'après un tarif commun. Nous participâmes à ces
agapes, et il nous en coûta, si nous avons bonne mémoi-
re, 2 frs, le maximum. Heureux temps !...
Quelques mots, maintenant, sur la vie du génial fon-
dateur du positivisme.
Né en 1798, Auguste Comte fut un des plus brillants
élèves de l'Ecole polytechnique. Malgré ses tendances
pour les sciences exactes, on le vit partager les idéologies
du fouriérisme et collaborer quelque peu avec Saint-Si-
mon. Il se sépara de ce dernier, se maria, puis fut nommé
professeur d'analyse transcendante et de mécanique ra-
tionnelle à cette même Ecole polytechnique dont il était
sorti.
C'est vers 1840 qu'il conçut son système sociologique
basé sur la classification des sciences et qui contient l'é-
volution de l'humanité. Cette évolution renferme, impli-
citement, l'histoire de la morale, de l'esthétique et de la
psychologie.
La morale d'Auguste Comte, admirable à plus d'un
sens, est fondée sur le sentiment altruiste qui doit domi-
ner l'homme dans toutes les phrases successives de sa
vie. C'est à ce mode d'altruisme qu'il a donné le caractè-
re d'un enseignement religieux.
A ce propos, disons que son enseignement n'est pas,
comme on le croit communément, essentiellement maté-
rialiste et athée. Auguste Comte s'est borné à dire :
« Nous ne pouvons rien savoir sur Dieu, sur la nature
essentielle de l'âme ». Et c'est tout.
C'est en 1845 que se place le cas passionnel qui orien-
ta la fin de sa vie. Nous voulons parler de sa rencontre
avec la femme dont les disciples ne séparent pas le nom
du sien : Clotilde de Vaux.
Mal mariée, abandonnée par son mari, déjà frappée
d'une maladie qui devait l'emporter un an plus tard, elle
s'éprit d'un amour mystique pour Auguste Comte qui,
pourtant, n'était ni beau, ni jeune. (Elle avait trente ans,
et lui, quarante-sept). L'éminent philosophe répondit à
cet amour, au point d'échanger jusqu'à deux lettres par
jour, pendant l'année que dura cette union purement spi-
rituelle et que, seule, rompit la mort de celle à qui il
avait voué « une adoration faite de ferveur et de res-
pect ». Cette adoration persista jusqu'à la fin de sa vie
(1857) : toutes les semaines, il allait prier sur la tombe
de Clotilde, sa « sainte et bien-aimée collaboratrice » à
laquelle un autel était consacré.
Ce sont ces manifestations répétées qui incitèrent, dit-
on, Mme Auguste Comte, séparée depuis longtemps de
son mari, à répandre le bruit que le fondateur du posi-
tivisme n'avait pas toute sa raison, quand il écrivit son
testament et institua le culte de la Femme.
A ce propos, et puisqu'il faut toujours que la note co-
mique trouve sa place dans les choses les plus graves,
voici ce que nous lisons dans le Journal des Goncourt, à la
date du 10 octobre 1879 :
« Auguste Comte, un singulier original, au dire d'une
personne qui l'a connu. Il pesait tout ce qu'il buvait et
mangeait. Il avait épousé, par principe, une femme quel-
conque, mais comme exutoire de la papillonne, nourris-
sait une passion platonique pour une Mme de V... Or,
cette Mme de V... mourut; et, tous les jours, A. Comte
portait des fleurs sur sa tombe. Cette visite journalière
amena même une scène assez drôlatique. La femme de qui
il était séparé et à laquelle il ne payait pas sa pension, se
cacha un jour derrière le tombeau et, imitant la voix de
Mme de Vaux, lui ordonna de mettre plus d'exactitude
dans ses paiements. Auguste Comte eut une peur de tous
les diables et ne revint jamais au cimetière ».
Nous n'insisterons pas sur cette macabre plaisanterie
dont les célèbres mémorialistes se sont faits l'écho : Au-
guste Comte n'avait jamais cessé de servir à celle qui
portait son nom la pension qu'il s'était engagé à lui ver-
ser au moment de la séparation, pension que ses exécu-
teurs testamentaires continuèrent à payer jusqu'au décès
de la bénéficiaire survenu en 1877.
C'est évidemment à l'influence de Clotilde de Vaux que
l'on doit la genèse du Culte de la Vierge-Mère. Auguste
Comte supposait — hypothèse hardie, a-t-il dit lui-même
— que le progrès pourrait amener la femme à posséder
la faculté de se féconder elle-même... Le catéchisme posi-
tiviste qui résuma la doctrine d'Auguste Comte parut en
1852, avec les exergues suivants : Vivre pour autrui —
Famille, Patrie, Humanité.
Il place l'amour pour principe; l'ordre pour base; le
progrès pour but.
Selon lui, toute religion doit renfermer trois partiea
essentielles : le dogme, le culte, le régime. « Il n'existe
pas de société sans gouvernement. Aucune société ne peut
se conserver ni se développer sans un sacerdoce quelcon-
que », a-t-il proclamé.
Dès 1849, il avait conçu l'institution d'un culte public
où la femme apparaissait comme la providence morale;
le sacerdoce, comme la providence intellectuelle; le pa-
triciat, comme la providence matérielle, et, enfin, le pro-
létariat, comme la providence générale.
S'intitulant lui-même grand-prêtre de l'humanité, il ne
correspondait plus, dit-on, avec ses adeptes que par brefs,
tel le pape. Ce fut vers la même époque qu'il imagina ce
singulier calendrier positiviste, commençant le 1er Jan-
vier, comme l'année grégorienne, et où, en raison des
propriétés subjectives du nombre sept (ô Kabbalites, l'au-
riez-vous cru ?) la semaine reste de sept jours, mais où
l'année se compose de 13 mois de 28 jours. L'ère com-
tienne part de 1789.
La nomenclature des mois et des jours est un vaste et
éclectique répertoire des personnages réels ou fictifs qui
ont illustré l'humanité :
Le 1er mois s'appelle Moïse ; le 2e Homère ; le 3e Aristo-
te; le 4e, Archimède; le 5e, César; le 6e, Saint-Paul; le 7e,
Charlemagne; le 8e, Dante; le 9e, Gutenberg; le 10e, Sha-
kespeare; le 11e, Descartes; le 12e, Frédéric; le 13e, Bi-
chat.
Les jours sont appelés maridi, patridi, filidi, fratidi,
domidi, madridi; le dimanche porte le nom d'humanidi.
De même que le calendrier grégorien comporte, pour
chaque jour, une fête de saint, de même le calendrier
positiviste désigne quotidiennement le personnage que
l'on doit honorer.
Contentons-nous de citer, au hasard, quelques-uns de
ceux qui, le dimanche (humanidi) ont droit aux médita-
tions des fidèles : Numa, Bouddha, Confucius, Mahomet,
Eschyle, Phidias, Aristophane, Virgile, Saint-Augustin,
Saint-Bernard, Bossuet, Arioste, Raphaël, Le Tasse, Mil-
ton, Colomb, Galilée, Mozart, Newton, Cromwell, Gœthe,
Richelieu, Saint-Thomas d'Aquin, Diderot, Saint-Bona-
venture, etc...
Et, parmi les femmes, citons Sainte-Monique, qui se
fête le 6 madridi de Saint-Paul; Sainte-Geneviève, Héloï-
se, Jeanne d'Arc, Sainte-Clotilde, Sainte-Elisabeth de
Hongrie, Blanche de Castille, Mme de Sévigné, Maria de
Molina, Mme de Staël, etc...
Comme on le voit, toutes les religions et tous les mon-
des sont représentés dans ce calendrier où, cependant,
nous n'avons pas relevé le nom de Jésus...
Ajoutons que le jour complémentaire est consacré à la
Fête universelle des Morts, et le jour additionnel des an-
nées bissextiles voué à la Fête générale des Saintes Fem-
mes.
Malgré les tentatives qui, depuis un demi-siècle, ont
été faites pour modifier la doctrine synthétique d'Augus-
te Comte, la « Religion de l'humanité » ne cesse de se
développer.
Un groupe d'études positivistes garde fidèlement à Pa-
ris, les traditions du Maître, et, dans les Amériques, au
Brésil notamment, ses enseignements sociologiques sont
officiellement consacrés.
Avons-nous besoin de dire qu'Auguste Comte réprou-
vait énergiquement toutes les guerres de conquête, lui
qui ne craignit pas d'écrire, sous le régime de Napoléon
III : « Il faut que les glorieuses journées d'Austerlitz,de
Wagram, et même celles d'Arcole ou de Lodi, soient irré-
vocablement flétries comme de mauvaises actions, de vé-
ritables crimes de lèse-humanité, suivant le digne esprit
républicain » ?
Et maintenant que, si nous en croyons les gazettes, les
cendres de Clotilde de Vaux viennent d'être réunies à ce-
lui qui lui déclarait :
« Quel que soit notre sort, j' espère que la mort seule
rompra le lien fondé pour toujours sur tous ces senti.
ments et je vous offre la douceur de cette pensée en
échange de celles que je vous ai ôtées », le point d'inter-
rogation final serait pour le penseur, de savoir la vérita-
ble part à attribuer à cette nouvelle Héloïse dans l'Œuvre
comtienne.
La grande parole de Pascal ne serait-elle pas de mise :
« Les effets de l'amour sont effroyables. La cause est un
je ne sais quoi, si peu de chose. Mais ce je ne sais quoi
remue toute la terre, les princes, le monde entier. Le nez
de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face du mon-
de aurait changé... »
Et, si l'on considère que, malgré les insinuations que
l'on devine, aucun lien charnel, ce fameux « je ne sais
quoi », n'exista entre les coryphées du positivisme dont
nous venons de parler, comment ne pas appliquer à la
mémoire du puissant sociologue les vers de Lamartine :
« Car mon âme est un feu qui brûle et qui parfume
Ce qu'on jette pour la ternir ».
Les Evhéméristes

Sous ce vocable, il ne convient pas de comprendre tous


ceux qui ont adopté et généralisé le système d'Evhémère
(il nous faudrait remonter jusqu'au IVe siècle avant notre
ère). Nous ne voulons nous occuper simplement, ici, que
de la secte très agissante qui, un peu partout, en Europe
et aux Etats-Unis, marche à la conquête des esprits reli-
gieux au nom d'un certain rationalisme dont ne sont pas
sans s'inquiéter les hautes autorités ecclésiastiques et sy-
nodales.
Ceux que, de nos jours, on appelle « évhéméristes »
sont les Chrétiens aux yeux desquels Jésus n'aurait pas
été un Dieu crucifié et ressuscité pour le salut du monde,
mais, purement et simplement, un personnage historique,
ayant réellement existé en tant qu'homme et qui est le
fondateur du christianisme, tout comme Mahomet est le
fondateur de la religion musulmane.
Parmi ces évhéméristes, il en est cependant qui croient
à un Jésus pré-chrétien lequel ne serait autre que Josué
qui, d'après l'Ancien Testament, est le seul patriarche
ayant ordonné des crucifiements (notamment à Makke-
dah et à Jéricho) et ayant été lui-même crucifié au Guil-
gal (selon les hébraïsants les plus notoires, le Guilgal
correspondrait au Golgotha).
D'aucuns prétendent qu'entre Josué et Jésus, la dif-
férence n'existe que dans les traductions latines et moder-
nes, et que, seule, l'orthodoxie chrétienne a donné le nom
de Jésus au Fils du Dieu de l'Evangile et consacré celui
de Josué au personnage de l'Ancien Testament.
Peut-être, à ce propos, n'est-il pas sans intérêt de rap-
peler ici que, très récemment, le Père Pinard de la Boul-
laye en la chaire de Notre-Dame, d'une part et d'autre
part, au moyen de la T. S. F., les dirigeants de la Cause
(œuvre de propagande protestante), ont condescendu à
agiter le problème troublant de Jésus, clef de voûte de nos
religions occidentales ?
Il nous revient même qu'à la Salle des Fêtes de Pu-
teaux, la question : Jésus a-t-il existée? a donné lieu à de
passionnantes controverses entre MM. Dujardin et Bayet,
niant l'historicité du Christ et M. Goguel et l'abbé Viollet
l'affirmant avec autant de véhémence que de conviction.
De même, les Couchoud, les Loisy, les Barbusse, les
Daniel Massé (celui-ci, auteur de l'Enigme de Jésus-
Christ, ouvrage de critique qui fit tant de bruit) en ont
discuté et en discutent encore.
Ceci prouve que, malgré les tendances matérialistes de
notre époque et quoi-qu'en pensent beaucoup de « libres-
penseurs » (expression quelque peu éculée), les contem-
porains ne se désintéressent pas de ces choses, autant
qu'on le croirait.
Et, dans le monde religieux, n'a-t-on pas entendu, au
temple de l'Oratoire de Paris, à l'ombre de la statue du
sombre huguenot, Gaspard de Coligny, un rabbin de
New-York, Stephen Wise, prêcher sur Jésus de Naza-
reth ?
Il est vrai que ce fut pour le restituer dans le cadre
palestinien du premier siècle et démontrer que les céré-
monies, fastes, offices et prières du Christianisme avaient
pris racine dans le judaïsme...
Laissons se poursuivre les discussions des exégètes...
L'évhémérisme chrétien semble avoir, tout récemment,
conquis, en quelque sorte, droit de cité outre-Rhin, puis-
qu'il est officiellement étudié à l'Ecole allemande de
Théologie (Formgeschichtliche Schule) avec la même in-
dépendance que les formes diverses du protestantisme.
En France, les évhéméristes se recrutent surtout chez
ceux que nous appellerons les « libres-penseurs reli-
gieux » et qui, imprégnés de l'idée christique, ou ayant au
fond de l'âme « cette racine de foi qui ne sèche point »,
dont parle Lamennais, dans les Paroles d'un Croyant,
veulent concilier leurs aspirations chrétiennes, nées d'un
long atavisme, avec les scrupules de la raison.
Ils ne sont pas sans avoir d'ardents adversaires et, qui
le croirait ? c'est dans certains milieux réformés
— où,
pourtant, le libre-examen est la règle — que se manifeste,
à leur égard, le plus d'inimitié, bien que, d'après Renan,
l'exégèse protestante fût d'abord du pur évhémérisme.
Pourquoi ces néo-chrétiens se sont-ils parés du nom
bizarre d'évhéméristes ?
On ne peut se l'expliquer que par le désir bien marqué
d'enlever à leurs convictions un caractère confessionnel,
car, en effet, tout en suivant les enseignements du Christ
qu'ils vénèrent, mais qu'ils n'adorent pas, ils n'ont ni
dogmes, ni prêtres, ni églises. Quant à Evhémère, il fut un
philosophe grec, contemporain d'Alexandre le Grand.
D'après son système. les personnages mythologiques
n'auraient été que des êtres humains divinisés par les peu-
ples.
Dans l'œuvre qui nous est parvenue sous le titre Ins-
criptions sacrées, Evhémère a relaté la vie de tous les
dieux de la Grèce antique. Saturne, Uranus, Jupiter sont,
d'après lui, d'anciens rois élevés au rang des dieux par
reconnaissance, admiration ou terreur : Jupiter aurait été
roi de Crète, comme Priam, était roi de Troie; Hercule,
un don-Quichotte avant la lettre; Achille, fils de Jupiter
et de Thétis, un général fameux; Eole, dieux des vents,
un marin habile à prédire le temps ; Atlas, un astronome ;
les Centaures, de redoutables cavaliers; une race de sau-
vages habitant la Sicile, se muait en Cyclopes.
Pour singulière que fut cette conception d'hommes di-
vinisés, Lactance et Saint-Augustin l'ont admise. Ce
dernier, n'a-t-il pas, dans une épitre fameuse, proclamé
que les dieux du paganisme étaient, dans l'esprit des
populations, non des dieux, mais des mortels déifiés ?
Quelques Pères de l'Eglise ont vu Noë dans Saturne,
et le célèbre trio, Sem, Cham et Japhet, dans Jupiter,
Neptune et Pluton, les fils du terrible Kronos.
Pour certains Nordiques, Wotan, le plus grand et le
meilleur des dieux scandinaves et des Angles, aurait été
un roi des Saxons.
Et même, au Pérou, n'est-il pas de tradition que Man-
co-Capac, le premier des Incas, fut adoré par ses sujets
comme fils du soleil et de la Lune ?
Tout ceci peut paraître étrange à nos yeux réalistes.
Pourtant, le grand orientaliste et mythologue anglais, Max
Muller, a considéré les interprétations d'Evhémère com-
me historiques et non simplement conjecturales.
Par tout ce qui précède, on peut se convaincre que les
évhéméristes ne sont donc pas si loin de la Norme qu'on
pourrait le penser, et l'on s'étonnera moins de trouver,
sous la plume d'Abel Hermant, le plus subtil des écri-
vains cruels, cette phrase que nous cueillons dans la
Revue des deux Mondes et qui nous servira de conclusion :
« La légende est une lente transformation des réalités
historiques, œuvre instinctive, inconsciente, des simples,
du peuple et dont l'objet, notamment dans l'ordre des
choses religieuses, est d'amener peu à peu le souvenir de
ce qui est arrivé à paraître avoir accompli ce que les pro-
phètes avaient annoncé qui arriverait ».
Les Behtkachis

Ce nom ne vous dit rien, assurément. Pourtant, c'est


bien celui d'une secte qui fut puissante, qui persiste, mal-
gré les persécutions dont elle fut récemment l'objet, et
qui, aujourd'hui, est revenue dans un coin d'Europe où
fut probablement son berceau.
Qui soupçonnerait que c'est dans cette mystérieuse Al-
banie, où, dit-on, Saint-Paul vint évangéliser et qu'Ho-
mère a chantée, que dut se concentrer la vie religieuse
des Bekhtachis ?
Pourtant, c'est bien là qu'elle se rétablit et qu'à l'heure
actuelle, on compte une vingtaine de monastères en plei-
ne floraison. C'est d'un certain Hadji (saint), Bekhtach,
que la secte tire son nom. Au temps d'Amurat 1er, le fa-
meux conquérant de la Thrace et de la Macédoine (XIVe
siècle), ce fut ce Bekhtach qui organisa la célèbre milice
des Janissaires dont s'entouraient les Grands Seigneurs.
Et lorsque Mustapha-Kémal, le dictateur turc actuel,
eut proscrit le costume traditionnel musulman, turbans,
bonnets coniques, pantalons bouffants, et proclamé que
l'Etat n'avait plus besoin des congrégations, les Bekhta-
chis abandonnèrent la Turquie d'Europe et l'Anatolie
pour rejoindre ou reconstituer, sur les hauteurs du To-
mor, d'Argyrokastro ou dans les profondeurs des forêts
qui a voisinent Tirana, les antiques « tékkés » ou couvents
fondés par leurs aïeux.
Bien que le régime de ce pavs soit loin d'être défini,
car, après l'aventure du Prince de Wied, on ne sait pas
encore exactement si le souverain actuel, Ahmed-Zagou,
est véritablement roi ou simplement président de la Ré-
publique, ils n'y sont point inquiétés.
Avant l'exode qui suivit l'avènement kémaliste, les Bek.
htachis ne furent pas sans avoir une énorme influence sur
le monde politique ottoman : un des leurs, Ferid Pacha,
fut grand vizir d'Abdul Hamid.
C'est qu'ils constituaient une sorte de société secrète
analogue à la Franc-Maçonnerie de chez nous, et avec
laquelle les gouvernants devaient compter.
Depuis qu'ils ont quitté leurs « tékkés » d'Eyoub, de
Roumali-Hissar, d'Ienikeui et de Stamboul, ils ont perdu
une partie de leur prestige, encore que les Néo-Turcs qui
complotaient sous le Sultan Rouge et, depuis, avec Enver-
Pacha et autres, le renversement des vieilles institutions
islamiques, soient venus renforcer leurs rangs.
En dépit de la guerre acharnée que leur ont faite les
ulémas et les muftis qui les accusaient des pires'vices,
leurs croyances sont restées entières.
Le bekhtachisme est, peut-être, la seule religion existant
en Europe où l'on continue à adorer le feu, tout comme
les Guèbres et les Parsis.
Chez les Bekhtachis, il n'existe pas de code religieux, à
proprement parler. Les enseignements sont transmis ora-
lement, de génération en génération, et, du fait qu'il
n'existe pas de documents écrits, leur doctrine, pour nous,
du moins, ne peut rester qu'assez obscure.
Cependant, elle apparaît combien simpliste à côté de
celle des mahométans. Outre le culte du feu, les Bek-
htachis ont une vague notion de la Divinité. Ils croient en
un Dieu impersonnel et intégrant de la nature, ce qui les
assimilerait plutôt aux panthéistes.
Les musulmans leur auraient peut-être pardonné de
renier Allah et son Prophète, s'ils n'avaient pas sacrifié
à l'alcool et à ses succédanés, et, surtout, s'ils n'avaient
pas admis la présence de la femme dans l'exercice du
culte.
C'est, sans doute, cette grave infraction aux lois cora.
niques qui a donné lieu aux commentaires les plus
fâcheux publiés sur leurs mœurs.
N'a-t-on pas été jusqu'à écrire que leurs « tékkés » qui
devaient être et rester des centres de piété et de culture,
étaient devenus le théâtre des plus coupables orgies, sous
prétexte qu'un de leurs prêtres avait proclamé que « l'a-
mour charnel mène par un long chemin à la passion spi-
rituelle » !
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'à l'encontre des Musul-
mans, les Bekhtachis sont d'une large tolérance. Ils se
marient quelquefois avec des chrétiennes, et on raconte
qu'il existe des familles mixtes où l'on cuit le même gâ-
teau, une moitié à l'huile, pour les chrétiens, l'autre moi-
tié au beurre, pour les Bekhtachis.
Pendant la guerre, leurs prêtres participèrent aux
services funèbres célébrés pour les soldats chrétiens tom-
bés sur le champ de bataille, et leurs rapports avec les
popes de l'Eglise orthodoxe sont. à l'heure actuelle,
paraît-il, des plus cordiaux.
Il existe, chez eux, une hiérarchie sacerdotale bien
définie :
A la tête de la secte, est une sorte de grand-prêtre, le
« dédébaba » qui a la main sur toutes les congrégations
et dont la résidence, nous a-t-on dit, est aujourd'hui soi-
gneusement tenue secrète.
Autrefois il résidait à Angora.
Ce pontife est secondé par des khalifes ou chefs reli-
gieux exerçant leur autorité sur tous les couvents de leur
territoire.
Quant aux « tékkés », ils sont dirigés par des supé-
rieurs nommés « babas » ou pères, chargés de l'enseigne-
ment et du recrutement des néophytes. Viennent ensuite
les derviches.
L'initiation des néophytes est assez compliquée : ils
doivent jeûner pendant trois jours (la méthode Guelpa!)
se purifier le corps dans un cours d'eau (et non
dans
un bassin ou une baignoire). Une fois en présence
du Baba, ils prêtent trois serments : sur la main, sur la
langue et sur l'abdomen, jurent, par le premier, de ne
commettre aucune mauvaise action, par le second, de ne
jamais mentir, par le troisième, de ne pas s'adonner à la
luxure.
Les initiés désirant se consacrer au « culte » doivent
rester célibataires. Après leur admission dans le « ték-
ké », ils reçoivent du Baba une boucle d'oreille dont le
port est l'insigne de leur fonction sacerdotale.
Nous avons dit plus haut que les Bekhtachis étaient, en
Europe, les derniers adorateurs du feu. Voici un aperçu
de leurs cérémonies : au début de chaque réunion, les
membres de la communauté, coiffés du tatch, haut bon-
net en douze divisions (le nombre douze correspondant
à celui des imans de la descendance d'Ali, gendre du
Prophète), se prosternent devant un chandelier d'or de
douze bougies allumées. La flamme ne doit jamais être
éteinte par le souffle. L'éteindre ainsi serait considéré
comme un sacrilège.
Ce chandelier, placé au centre d'une pièce générale-
ment circulaire, est entouré de divans sur lesquels les
assistants, vêtus de robe de bure ou de laine blanche,
viennent, après la prosternation, prendre place, les bras
croisés sur la poitrine. Ils regardent fixement le luminai.
re sacré jusqu'à l'extinction des flammes et se livrent
ensuite à une méditation profonde qui ne prend fin que
lorsque le Baba se lève et étend ses bras, en un geste de
bénédiction. Aucune prière n'est prononcée.
Que penser de ce monachisme d'où sont exclues toutes
ces formules de supplications liturgiques, chères aussi
bien aux chrétiens qu'aux musulmans ?
N'y a-t-il pas dans ce culte persistant du feu que nous
retrouvons dans les temples lointains du Kerman et du
Goudjerate — comme le dernier rayon d'une étoile morte
du temps fabuleux de Zoroastre — alias Zarathoustra ?
Les Esséniens
Il y a quelque cinquante ans, dans un immeuble ma-
jestueux, en une rue avoisinant cette Avenue d'Eylau
devenue depuis Avenue Victor-Hugo, se réunissait, en
grand mystère et périodiquement, un groupe de fidèles
dénommés Esséniens.
La « prêtresse » qui leur donnait asile avait nom, si
nos souvenirs sont exacts, Marie Gérard, et c'est dans son
vaste appartement que, chaque vendredi, se donnait
l'enseignement.
Par le plus grand des hasards — on sait que le hasard
est une des formes de la Providence — il nous tomba en-
tre les mains une sorte de catéchisme essénien, assez pau-
vrement autographié, qui nous permet aujourd'hui de si-
gnaler cette secte curieuse. Elle n'a d'ailleurs, comme on
le verra plus loin, qu'un vague rapport avec celle
du même nom qui, d'après Philon et Josèphe, prit nais-
sance en Judée, vers l'an 560 de la fondation de Rome.
Peut-être pourrait-on rapprocher plus sûrement l'essé-
nisme contemporain de celui, dont, d'après de Quincy, se
targuèrent les premiers chrétiens pour se soustraire à la
tyrannie romaine !
Le petit opuscule que nous avons eu entre les mains
n'en reste pas moins étrange. On nous permettra de le
résumer :
Si la divinité du Christ y est obscurément expliquée,
son messianisme n'y fait aucun doute. Seulement, il n'a
pas été le seul Messie !... Jeanne d'Arc est aussi un Mes-
sie, un Messie-femme, et elle est venue pour compléter
l'œuvre du Rédempteur. Ceci pour bien marquer l'éga-
lité absolue des sexes.
Dès l'abord, l'histoire du péché originel nous est pré-
sentée d'une toute autre façon que dans la Bible :
Ce n'est point Eve qui fut tentée la première par l'ar-
bre de la science du bien et du mal, mais Adam. C'est
lui qui se laissa séduire par les beaux fruits de l'Eden.
Héva, au contraire, s'opposa à ce que son compagnon
s'en emparât.
Mais l'époux, au lieu d'écouter la femme que Jahvé
avait placée auprès de lui, prit Héva sur ses épaules... et
ce fut alors cette dernière qui cueillit le fruit défendu.
Dieu dit alors à la femme : « Tu n'as péché que par
amour. De ton sein descendront les Messies d'amour qui
vous rachèteront, et toi-même tu seras un Messie ».
Dans leur profession de foi, ces néo-esséniens décla-
rent qu'ils adorent « l'Eternel Absolu, Dieu juste, comme
père et mère de l'humanité ». Ils affirment que la plura-
lité des existences, ou réincarnation, est indispensable à
l'éducation des hommes et que les êtres disparus peuvent
communiquer avec les vivants.
Quant à l'expiation, elle est proportionnelle aux fautes.
Elle ne peut donc être éternelle et une récompense finale
est promise, aussi bien aux êtres justes et dévoués qu'aux
réprouvés, lorsque ceux-ci se sont rachetés en des vies
successives.
Pour eux, les animaux sont des « candidats à l'huma-
nité ». En les maltraitant, on frappe des frères momenta-
nément inférieurs.
Enfin, les néo-Esséniens n'hésitent pas à proclamer que
la liberté de conscience doit demeurer pleine et entière,
ce qui exclut tout fanatisme — et aussi, chez eux, toute
pensée de prosélytisme.
Si nous en croyons Madame Marie Gérard, le Christ
aurait puisé son « initiation » chez les Esséniens d'au-
delà de la mer Rouge, qui possédaient le don de guérir
et même celui de ressusciter les morts.
Cette hypothèse n'est pas invraisemblable : que
savons-
nous, en fait, de ce qu'on appelle « la vie cachée de
Jésus » ?
Comme nous l'avons dit, les premiers Esséniens se ma-
nifestèrent il y a plus de deux mille ans. Tout ce qu'on
connaît d'eux, c'est qu'ils adoraient un seul Dieu, sous la
figure du Soleil, auquel ils adressaient leurs prières et
qui gouvernait le monde par d'inexorables lois... Eusèbe
d'Alexandrie n'a-t-il pas rapporté que les « Christiens »
d'Egypte adoraient le Christ dans le Soleil levant ? Ils
croyaient à l'immortalité de l'âme et aux peines et récom-
penses dans une autre existence.
Mais ce qu'il y a de plus saisissant, c'est que, bien avant
le monachisme catholique, on trouvait chez eux, une
« règle » sur laquelle semble avoir été calquée celle de la
plupart de nos ordres religieux : Noviciat de trois années ;
célibat; communauté des biens; dévouement aux souf-
frants; partage du temps entre le travail, la prière et la
méditation et, de plus, serment de ne pas dévoiler les
mystères des dogmes à eux enseignés.
Si l' on joint à cela qu'ils étaient tous revêtus du même
costume, et que la pureté de leurs mœurs était légendai-
re, on comprend qu'ils aient pu être confondus, à une
certaine époque, avec les Chrétiens, car seul, les en dif-
férenciait sensiblement le culte du Dieu-Soleil : on ra-
conte qu'ils ne satisfaisaient leurs besoins naturels que la
nuit, afin de ne pas souiller les rayons de l'Astre divin !
Les historiens situent l'apparition des Esséniens à Jé-
rusalem, vers le 2e siècle avant notre ère. Après la des-
truction du Temple, ils émigrèrent en Egypte où ils con-
tribuèrent puissamment au mouvement néo-platonicien
connu sous le nom d'Ecole-d'Alexandrie que devaient
illustrer, dans les premiers temps du christianisme, Am-
monius Saccas, Plotin et... Origène.
Ces Esséniens, tout métaphysiciens et contempteurs des
sciences qu'ils fussent, s'adonnaient à la pratique de la
médecine, et c'est grâce à leurs connaissances étendues
dans ce domaine qu'ils acquirent cette réputation de
« Thérapeutes » qui leur valut d'être quelque peu pré-
servés des persécutions.
D'après certains savants étymologistes, le mot Essénien
viendrait d'un vocable hébreu qui signifierait guérir. Ils
seraient donc les bien nommés.
Quant aux néo-Esséniens, on ne saurait les nombrer,
car, nous l'avons dit, ils ne se livrent à aucune propagan-
de et se réunissent assez mystérieusement. Toutefois, nous
savons qu'il existe des groupes à Paris, à Marseille et à
Lyon.
Nous n'en connaissons pas « le grand prêtre ». Sans
doute l'éminente romancière Colette Yver qui nous a dé-
crit dans un de ses récents ouvrages (1), quelques-uns de
ces mystiques, a dû être plus favorisée que nous...

(1) Haudequin, de Lyon, roman.


Les Addéistes
Ce fut au mois de mai 1928, dans une des salles de la
Société de Géographie, boulevard Saint-Germain, que
nous prîmes contact avec les Addéistes.
Une soixantaine de personnes assistaient à la réunion.
Le public féminin était en majorité, mais, parmi les hom-
mes, nous pûmes distinguer des fidèles d'étrange allure :
quelques-uns, en petit nombre, à la barbe grisonnante et
aux longs cheveux; d'autres, au contraire, jeunes, gla-
bres et ayant, dans le regard, une inquiétante fixité.
Quant aux femmes, d'aucunes avaient des yeux élégia-
ques sous ces chapeaux modernes qui voilent le front;
d'autres, âgées, au visage irrésigné, semblaient attendre
quelque nouvelle lumière.
La conférencière annoncée, Mme Franz d'Hurigny,
devait nous initier à l'Addéisme, en attendant que le
« Maître » lui-même prît la parole.
Mme d'Hurigny, frêle femme un peu fiévreuse, nous
a-t-il paru, mais animée d'une foi ardente, exposa assez
longuement l'œuvre de celui-ci, établissant un parallèle,
fort bien ordonné d'ailleurs, entre l'enseignement de
Krisnamurti et la doctrine de M. Saby, fondateur du
Culte Addéiste, identiques dans le domaine de la sagesse
pure, avec cette différence, cependant, que les paroles du
Christ : « Le royaume de Dieu est en vous », sont ainsi
interprétées par l'Instructeur hindou : « Le royaume du
bonheur est en vous »; alors que M. Saby, plus sibyllin,
proclame que « le paradis perdu dont nous avons l'an-
goisse est en puissance dans notre cœur ».
Il nous a semblé démêler que, conformément à la doc-
trine bouddhiste, Krisnamurti déclare que la condition
essentielle pour atteindre au royaume du bonheur est
l'anéantissement du MOI, tandis que le Grand-Prêtre de
l'Addéisme affirme, au contraire, que l'individualité doit,
non se perdre, mais s'affiner, se sublimiser, se diviniser,
en un mot.
Après la conférence de Mme d'Hurigny, nous entendî-
mes Mme de Grandprey, directrice des Annales d'Hermé-
tisme, exposer, en un langage très châtié, les tendances de
l'Université hermétique de l'Exèdre, ses recherches sur
la direction de la vie, la progression vers la Connaissance,
etc... Mais ceci est une autre histoire !
Revenons à nos Addéistes.
Nous pensions que l'apôtre Saby, le fondateur de la
« Religion Vivante », alias Culte Addéiste, ne pouvait
être qu'un de ces hommes d'âge, à tête de prophète, en-
trevus à notre entrée.
Notre surprise fut donc grande, lorsque, après les con-
férences de Mmes d'Hurigny et de Grandprey, nous
vîmes surgir sur l'estrade un homme d'une trentaine
d'années, de mise extrêmement soignée, au front d'un
pur dessin, aux traits réguliers qu'accentuait une légère
moustache. Bref, un gentleman.
Une seule chose pouvait, peut-être, trahir en lui un
être exceptionnel : ses yeux caressants et doux comme des
yeux d'Oriental, avec une flamme qui, par moments, pas-
sait comme un éclair.
Lorsqu'il prit la parole — avec l'élégance et le laisser-
aller d'un causeur mondain — on ne fut pas peu étonné
de l'entendre exposer la « Joie de vivre », avec une voix
prenante, nuancée parfois d'ironie et sans l'ombre d'ac-
cent mystique.
Celui que certains de ses disciples nomment le « Grand
Instructeur », que d'autres considèrent comme un Messie,
se défend d'être un homme surnaturel : « Ce que je suis,
a-t-il écrit : un mort devenu vivant, un esprit par lequel
s'est ouverte la Porte du Salut ! Soyez ce que je suis,
soyez un esprit que le Seigneur illumine, transfigure,
éblouit. Soyez l'Annonciateur de la Parole divine ! Soyez
l'Inspiration faite Verbe de l'Eternel. Car je ne suis qu'un
homme, mais, par mon Union avec le Seigneur, j'élargis
les horizons de la terre et je donne au monde la Parole de
Vérité. Je suis le messager de Dieu, l'Annonciateur de la
Bonne Nouvelle ».
Si M. Saby refuse d'être un surhomme, du moins se
croit-il un prédestiné !
Pour ses adeptes, il est un inspiré d'En-Haut. Quant à
lui, s'il se proclame dans ses écrits, le « Serviteur de son
Père et le serviteur de la plus humble de ses créatures »,
par ailleurs, il n'hésite pas à affirmer « qu'il est celui
qui sait et non celui qui apprend; celui qui parle et non
celui qui écoute ».
Ce mélange d'humilité et d'orgueil n'est pas pour nous
surprendre. N'est-ce pas le cas de la plupart des prophè-
tes ?
Dans le Messager d'Evolution, son organe, nous cueil-
lons, sous sa signature, cette confession :
«J'apporte ma Vérité, je renseignerai telle que je la
sens, telle qu'elle m'est révélée... Pour moi, je dirai ma
doctrine que je sais contenir le grand principe de vie et
devoir donner le bonheur dans la Vie. Au père de réali-
ser ce que j' espère établir en son Nom : l'ère du bonheur
sur la terre ».
Ainsi, le but poursuivi par les Addéistes n'est pas
l'accession d'un chimérique Paradis, mais l'achemine-
ment sur cette planète vers la Joie, car le Maître (E. Sa-
by) n'a-t-il pas dit : Je ne donne Dieu que pour que tu te
connaisses toi-même; je t'ouvre le ciel à même la vie;
réalise ta vie avec la Science de l'Eternel et tu connaîtras
le parfait bonheur ».
Dans un manifeste que nous avons sous les yeux, M.
Saby proclame que les Addéistes sont « des esprits li-
bres, des cœurs humains ligués contre les pervers, les pré-
varicateurs, les mauvais prêtres, les mauvais politiciens,
et poursuivant un but d'entr'aide et d'union internatio-
nale pour sauver les âmes des vies stériles, les esprits des
pensées de confection et les corps de l'esclavage et de la
servitude ».
Leur idéal est assurément le plus noble, puisqu'il
tend au bien-être social, à la concorde internationale et
à la paix religieuse. Mais n'est-ce pas l'éternelle antienne
de toutes les Eglises ?
Les Addéistes ne sont pas des révolutionnaires, car ils
veulent, au contraire, conserver les classes et les castes,
afin d'éviter le sang et l'abus par une révolution sans
transition. Améliorer le sort des humbles et habituer les
riches à une pensée de fraternité absolue et d'entr'aide
vraie sont les points principaux de leur programme. Ils
rêvent même l'Assurance du bien-être par une réparti-
tion équitable des bénéfices permettant de garantir une
rente nationale à la vieillesse ! — Et cela, bien avant que
le « Front Populaire » en ait fait une de ses principales
exigences.
Comment ? Ils ne le disent pas encore. Souhaitons que
l'organisation qu'ils en projettent soit un peu plus claire
que celle de nos Assurances sociales actuelles !
Au point de vue religieux, ils ne visent pas à détruire
les divers cultes. Ils veulent les unifier en un seul : Dieu,
puissance d'amour, mais, naturellement, en restant eux-
mêmes le « Pouvoir centralisateur qui donnera au monde
social le bien-être, et, à l'âme, les vérités de l'éternel glo-
rieux ».
En effet, cette « Eglise d'amour », fondée en 1926 par
Edouard Saby, s'est proposé de grouper en son sein,
« tous les êtres sincères au cœur tendre, à l'esprit libre,
épris d'un idéal de bonheur et de science. Après avoir
constaté l'inefficacité des religions enseignées jusqu'alors,
elle se sépare des préjugés confessionnels et déclare l'a-
mour de la vie, prétendant « nous donner la joie de vivre,
par la conscience de vivre ».
Pour y arriver, il suffit de l'explication rationnelle des
problèmes de notre destinée — Et c'est ce à quoi elle tend.
Les Addéistes envisagent le corps comme un composé
de trois principes : l'âme, l'esprit, la matière. L'âme est
l'impérissable substance secrète du soi, la vie intime, indi-
viduelle non révélée; l'esprit est le langage de l'âme, la
manifestation immatérielle de ses acquis; enfin, la ma-
tière est la concrétion du fluide vital.
Si elle n'a pas encore de temples, l' « Eglise d'Amour »
possède déjà une certaine liturgie ne manquant ni de poé-
sie, ni de grandeur. La mort, pour elle, est une résurrec-
tion. Aussi répudie-t-elle les « tombeaux somptueux et
autres fioritures mortuaires » élevés aux « Délivrés » (les
défunts), car «l'âme, cette lumière ne saurait se com-
plaire dans leurs gueules d'ombre » qui outragent la Foi.
Sous le titre Les lois de Dieu, elle publie, en dehors de
son organe mensuel, le Messager d'Evolution, des tracts et
des prières sur le foyer, l'attraction des âmes, etc. Elle
s'efforce d'illuminer de rayons d'espérance la vie quoti-
dienne.
Y parviendra-t-elle ?
Peut-être... Car nombreux sont ceux qui, comme A.
Strinberg, le célèbre romancier suédois, sont des pèle-
rins à la recherche d'un peu de connaissance et d'un peu
de bonheur.
En ce qui concerne l'âme, cette lumière qui, selon M.
Saby, « doit s'élever vers la joie des béatitudes actives
dans l'éternité du vivre », nous craignons que longtemps
il faille répéter avec Voltaire « Quatre mil-
encore, nous :
le tonnes de métaphysique ne nous enseigneront pas ce
que c'est que notre âme ».
Les Maronites
Au 17 de la rue d'Ulm, une humble entrée au-dessus
de laquelle cette incription : Notre-Dame du Liban.
On s'attend à pénétrer dans une modeste chapelle et,
passé le porche, on est surpris de trouver une majes-
tueuse église avec voûte et colonnades : c'est celle qui,
autrefois, appartenait aux Jésuites.
Nous y fûmes le jour de Noël. A cause du froid, la
Messe solennelle se célébrait, non point dans l'église,
mais dans la vaste sacristie.
Elle n'en fut pas moins émouvante pour nous,
profanes.
Un palmier étendait ses branches derrière le crucifix
de l'autel. L'officiant, à longue barbe grise, en chasuble
orientale, blanc et or, assisté d'un enfant de chœur
libanais, nous apparut, tel une résurrection du Premier
Apôtre.
Ce fut en syriaque, (langue de la Palestine que Jésus-
Christ et son frère Jacques auraient parlé) que fut
chanté l'office.
Si nous en jugeons par les fréquents répons du chœur
dans lesquels se peuvent découvrir des mélopées ancien-
nes, pieusement conservées par la tradition, la messe
maronite est un vrai dialogue entre le prêtre et les
fidèles.
Elle commence par l'Offertoire. L'Hostie est présen-
tée à l'assistance, puis est déposée sur la patène qui est
recouverte de la pale.
Au pied de l'autel, le prêtre confesse ses péchés et son
indignité. Il supplie Dieu de le traiter avec miséricorde
afin qu'il soit digne du Saint ministère, puis, encense
l'autel et les assistants et entonne le Kyrie Eleison, le
Trisaçion et, enfin, le Pater.
Viennent ensuite l'Hymne des Anges (le Gloria) et
« Prœmium », sorte de préface à la grande supplique
appelée Sedro, mot syriaque qui signifie « ordre ».
Après l'oraison pour les catéchumènes, le prêtre et
les fidèles psalmodient un Miserere où se traduisent les
soupirs et les gémissements de l'âme chrétienne, en un
langage qui peut paraître quelque peu barbare à nos
oreilles, mais où, pourtant, des notes profondes et
expressives font songer à on ne sait quelle lamentation
d'un peuple martyr n'ayant cessé de souffrir, de prier
et d'espérer.
L'Epitre et l'Evangile ne paraissent pas beaucoup
différer du rite romain. C'est ici que se place la « céré-
monie de la paix », c'est-à-dire l' Anaphore de Saint
Jacques, suivie d'une invocation au Saint-Esprit pronon-
cée à voix basse par l'officiant qui touche de la main
droite l'autel, l'offrande et le calice, puis « donne la
paix » au servant agenouillé, transmise par celui-ci à
ceux des assistants qui tendent les deux mains.
A l'heure de la communion, le prêtre élève l'Hostie
et le Calice. L'oraison dominicale est prononcée, comme
dans le rite latin, avant la rupture du pain.
A cette occasion, il est intéressant de rappeler que ce
dernier acte est le plus ancien de la religion chrétienne
et constitue l'essence même du Sacrifice: Pas de sacrifice
sans communion, pas de communion sans fraction. D'ail-
leurs, dans la Primitive Eglise, la célébration de la sain-
te Eucharistie n'était connue que sous le nom de Frac-
tio panis.
Les actions de grâce dites, l'officiant donne la béné-
diction finale et se dépouille de ses ornements sacerdo-
taux en prononçant la touchante prière de Saint
Ephrem :
« En ce monde, je n'ai pas été étranger à vos mystères.
Faites que dans l'autre, je ne sois pas éloigné de votre com-
munion; que je ne sois pas placé à gauche avec les réprouvés
(les boucs), mais faites que je sois digne de vous bénir avec les
élus (les brebis) qui assistent à votre droite ».
Ce jour de Noël, il n'y avait que peu d'assistants : une
cinquantaine au plus. La piété rachetait la quantité et
nous eûmes la joie d'entendre un chœur formé d'étu-
diants maronites venus là pour retrouver, en leur amour
mystique et doux, un reflet du sol natal.
En terminant, faisons un peu d'histoire :
Les Maronites doivent leur nom à un moine, Jean
Maron, qui, vers la fin du VIIe siècle, s'établit — c'est
une manière de parler — dans le Liban et y enseigna
qu'en Jésus-Christ, il n'y avait qu'une seule volonté,
tout en reconnaissant en lui deux natures : la nature
humaine et la nature divine.
En ceci, Maron se rattachait à ceux qu'on appelait mo-
nothélistes, par opposition aux monophysites ou euthy-
chiens qui affirmaient que, dans le Sauveur, il n'y avait
qu'une seule nature et qu'une volonté.
L'histoire religieuse des VIe et VII esiècles est pleine
de controverses à ce sujet. Aussi, n'insisterons-nous pas
sur cette scolastique.
Ce fut à cette époque que le moine Maron donna une
organisation ecclésiastique aux monothélistes, organisa-
tion qui subsiste encore dans le Djebel.
Au XIIe siècle, les Maronites entrèrent dans le giron
de l'église romaine. Cependant, de nos jours encore, le
patriarche d'Antioche demeure leur chef religieux — et
même civil, — bien que l'Eglise maronite soit sous l'obé-
dience du Saint Siège et qu'elle ait à Rome un séminaire
et un collège dont le contrôle relève du Vatican.
Les Maronites ont, en outre, conservé certaines pra-
tiques particulières et prétendent n'avoir jamais dévié
de la vraie foi.
Leur martyrologe diffère assez du martyrologe catho-
lique-romain. (Saint Maron y figure naturellement).
Le mariage des prêtres continue à y être autorisé et
ceux-ci peuvent, sans déchoir, se livrer à des travaux
manuels — à l'exemple de Saint Paul.
Cependant il existe très peu d'ecclésiastiques mariés.
Le maronisme possède des couvents pour les deux
sexes, soumis à une règle, inconnue, croyons-nous, des
catholiques romains, celle de Saint-Antoine.
Les Maronites portaient autrefois le turban vert et se
considéraient comme de noble essence, par rapport aux
peuples voisins, contre lesquels ils eurent souvent à
lutter.
Ils se sont modernisés depuis, et les Libanais que nous
avons vus ne se distinguaient de nos actuels gentlemen
que par leur teint sensiblement bronzé et leurs yeux, aux
longs cils et en amande.
Le berceau des Maronites est le fameux Liban aux
cèdres déjà célèbres dans l'antiquité biblique et pour les-
quels ils conservent une pieuse vénération.
Ainsi, chaque année, le jour de la Transfiguration,
une messe est célébrée au pied de ces arbres, dans la
plaine d'El-Sahel, sur un autel de pierre assez semblable
aux dolmens celtiques de notre Bretagne.
Ces cèdres, ne sont-ils pas les descendants de ceux dont
le bois servit à la construction du Temple de Jérusalem
et du palais de Salomon, il y a trois mille ans ?
Il n'est donc pas surprenant qu'aux jours de grandes
fêtes, les Libanais habitant Paris, se réunissent, pleins
de ferveur, au Jardin des Plantes, sous le fameux cèdre
qui fut rapporté, dit-on, par Jussieu dans son chapeau...
Tant il est vrai, comme le disait Senèque, exilé en
Corse, qu'on peut changer de ciel, mais qu'on ne change
pas son cœur...
Les Régénérés

Qui croirait qu'en notre beaupays de France, dans le


Vivarais, sur les rives de la Loire naissante et surtout
dans la patrie du Béarnais, subsiste encore de nos jours
une secte ni protestante, ni catholique, et participant
cependant des deux confessions : les Régénérés ?
A Orthez (Basses-Pyrénées), ville à l'âme grise, aux
rues étroites où la vie semble suspendue pendant les
heures de soleil, se trouve le centre de ces singuliers
sectaires qui ne demandent rien à l'Etat, ni au départe-
ment, ni à la commune pour leur culte et entendent
pratiquer leur religion envers et contre tous.
Paysans pour la plupart, les Régénérés ne font nulle
propagande pour leurs idées. Ils ont cependant converti
de petites gens, des fonctionnaires — oh ! de tout petits
fonctionnaires — des ouvriers, des tâcherons, par le seul
exemple de leur irréprochable existence et de leur man-
suétude à l'égard du prochain.
Tel, horloger de son métier, interrompt son travail à
une heure dite, récite ou murmure une prière, puis re-
prend sa besogne ou sa conversation avec le client. Tel
berger, se recueillant lorsqu'apparaît la première étoile,
abandonne, alors, pour un moment, la direction de son
troupeau de chèvres ou de moutons. Tel fermier, au
beau milieu de son travail, sort de sa poche une Bible
aux coins fatigués, en lit un passage — qu'il ait des
auditeurs ou non — puis se remet à ses foins ou à ses
occupations domestiques.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, en ce pays
où fleurît jadis le protestantisme le plus intransigeant,
la secte des Régénérés est de date récente, comme d'ail-
leurs celle de la Haute-Loire et de l'Ardèche,
Ils devraient s'appeler plutôt des « Darbystes », du
nom du pasteur anglais Darby qui vint se réfugier sur
les bords du gave de Pau, vers 1850, pour rétablir sa
santé et qui, après avoir scandalisé toutes les Hautes
Eglises de la Grande-Bretagne, évangélisa le pays à sa
manière. Mais ils repoussent cette dénomination qui
impliquerait qu'ils ont ou ont eu un chef, alors qu'ils
sont ennemis de toute hiérarchie ecclésiastique.
Ce Darby mérite un bout de biographie :
Issu d'une grande famille, il fut d'abord avocat.
Tourmenté par une foi inquiète, il étudia la théologie
assez touffue du protestantisme anglais et réussit à se
faire nommer recteur d'une paroisse du pays de Galles.
Il exerça ses fonctions pastorales jusqu'au jour où il eut
maille à partir avec ses supérieurs, à propos d'on ne sait
quelle question de préséance.
Après quoi, Darby se sépara avec éclat de l'Eglise
anglicane, et fonda dans le sud du Royanme-Uni, une
espèce de congrégation communiste (déjà ?...) inspirée
de l'Esprit de l'Evangile et se rapprochant de la primiti-
ve Eglise. Cette congrégation est connue sous le nom de
« Frères de Plymouth ». Mais la mise en commun des
biens au profit des déshérités de la fortune, rencontra —
et on le conçoit — assez peu de partisans en ce pratique
pays.
Parmi ces « Frères de Plymouth », était le naturaliste
Philippe Gosse, (le père du célèbre Edmond Gosse, l'au-
teur de Père et Fils, mort récemment).
Ce Philippe Gosse rencontra, dans la sombre chapelle
édifiée par Darby, celle qui fut sa femme. Tous deux,
d'un mysticisme effréné, se livraient à d'extravagants
calculs sur la Bête et s'efforçaient même de découvrir
dans le Lévitique l'histoire de Pie IX et de Napoléon III.
Edmond Gosse s'évada de bonne heure de ce milieu
sauvage et farouche où le slogan :
« Here is your dope
To hang the Pope »
(qui veut la corde pour pendre le pape) était encore de
mise.
Malgré leur nombre réduit, les « Frères de Plymouth »
portèrent ombrage au tout-puissant clergé presbytérien.
C'est alors que Darby, en édulcorant toutefois ses prin-
cipes communistes, entreprit une tournée de propagande
en Europe et, notamment en Suisse, dans le canton de
Vaud.
Nouveau Luther, il multiplia ses déclamations contre
le clergé, les traditions du culte officiel et plus particu-
lièrement contre les Wesleyens.
En France, il se présente surtout comme l'interprète
sacré des prophéties du Pentateuque, dans lesquelles il
prétendait lire l'histoire du monde. On raconte même
que, voyant des symboles dans les moindres détails, il
prétendait avoir découvert dans le vêtement des prêtres
juifs et dans les ornementations du Temple, une série
d'analogies avec les vérités de la révélation à lui par-
venues !
Darby a laissé un nombre considérable d'ouvrages où
ses idées de réforme ecclésiastique sont longuement
exposées.
Voici les titres de quelques-uns; ils sont fort sugges-
tifs, eu égard à la mission qu'il s'était donnée :
Le ministère considéré dans sa nature, dans sa source,
dans sa puissance et dans sa responsabilité; Les types
du Lévitique concernant l'Holocauste, l'offrande du gâ-
teau, le sacrifice de prospérité et le sacrifice pour le
péché; Examen des fondements sur lesquels on veut
asseoir les Institutions de l'Eglise de Dieu sur la terre;
Considérations sur le caractère du mouvement religieux
du jour et sur les vérités par lesquelles le Saint-Esprit
agit pour le bien de l'Eglise, etc.
Un moment, le grand écrivain Edmond Scherer versa
dans le « Darbysme ». Mais à la suite de controverses,
fameuses en leur temps, sur la divine inspiration des
Ecritures, il se retira sous sa tente, quelques années
avant la mort de Darby survenue en 1889.
Revenons à nos « régénérés ». Ils englobent dans une
même réprobation la Papauté et la Réforme, professant
que la malédiction divine s'étendra sur toutes les orga-
nisations hiérarchisées. Donc, pour eux, pas d'Eglise, pas
de clergé, pas de congrégation, pas de formulaires. Ils
n'admettent que l'interprétation libre et personnelle de
la Bible. Chacun d'eux se croit individuellement et di-
rectement visité par l'Esprit leur révélant la parole di-
vine contenue dans les Ecritures !
Et, chose inattendue chez des croyants se proclamant
n'avoir ni chef, ni maître, ils n'admettent parmi eux
que ceux qui, après un long stage, ont, par d'authenti-
ques signes, prouvé qu'ils sont en possession de l'Esprit.
Aussi, se considèrent-ils comme les seuls capables de
mettre en pratique les recommandations de l'Apôtre aux
assemblées des fidèles sur la plus édifiante manière
d'employer leur temps :
« Lorsque vous vous assemblez, tel d'entre vous a un can-
« tique, tel une instruction, tel une révélation. Si l'on parle
« en langue, que ce soit chaque fois deux ou trois au plus,
« chacun à son tour et qu'il y ait un interprète. S'il n'y a
« point d'interprète, qu'on se taise dans l'Assemblée et qu'on
« se parle à soi-même et à Dieu. Pour les prophètes, qu'il y
« en ait deux ou trois à parler et que les autres jugent; et si
« un autre qui est assis a une révélation, que le premier se
« taise, car vous pouvez tous prophétiser l'un après l'autre
« afin que tous soient instruits et tous soient exhortés ».
Ainsi, les « Régénérés » se rapprochent des quakers.
Darby se préoccupa surtout de recruter des personnes
douées du don de prophétie et s'attacha à les trouver
plutôt chez des gens d'humble condition. Il y réussit assez
bien, puisque, malgré le scepticisme du siècle, il y a
encore des centaines d'adeptes de sa doctrine brièvement
résumée ci-après :
«La Bible est le seul livre; seule la foi dans le Christ peut
sauver les hommes; ceux qui ont reçu le don de la foi et l'ont
dispersée tomberont sous le coup de l'impitoyable rigueur de
Dieu; ceux qui pratiquent le culte des idoles, adorent des
dieux de bois et conservent le culte de Mammon sont réprou-
vés ».

La Cène est célébrée sans prêtre ni pasteur. Chacun


prend le pain; nul ne s'arroge le droit de le donner aux
autres. Quant au baptême, il est administré par le père
ou, à défaut, par le parent le plus rapproché.
A Paris, on ne connaît qu'un petit nombre de « Ré-
générés ». Presque tous originaires du Béarn et, en ma-
jorité, anciens catholiques, ils pratiquent la charité et la
bienfaisance à l'égard de tous et — en quoi ils s'éloignent
singulièrement de leur chef présumé — manifestent la
plus grande tolérance à l'égard des autres confessions.
Ne sont-ils pas, d'ailleurs, les descendants de ceux qui,
sous Charles IX, refusèrent, lors de la Saint Barthélémy,
de massacrer les protestants et écrivirent au Roi que,
chez eux, il n'y avait que de bons citoyens et de braves
soldats — mais point de bourreau ?
Les Druzes
Lors d'un de nos récents voyages à Marseille, nous
devions nous trouver avec un haut fonctionnaire français
retour de Syrie.
Rendez-vous avait été pris dans un de ces cafés ruti-
lants qui font l'orgueil de la cité phocéenne. Nous atten-
dions patiemment, divertissant nos yeux de ce kaléidos-
cope vivant qu'est la célèbre Cannebière, lorsque nous
vîmes notre ami surgir, non point seul, mais accompagné
d'un personnage revêtu d'un ample burnous à longues
raies et coiffé d'un mirobolant turban vert. Sous ce
burnous, lorsque nous fûmes attablés, nous aperçûmes
une longue robe bise, serrée à la taille par une ceinture
de cuir.
Sur une interrogation muette des yeux, présentation :
nous avions, en face de nous, non un musulman, comme
aurait pu le faire supposer le tarbouch à la couleur du
Prophète, mais bien un authentique chef druze, délégué
à la Société des Nations, pour y faire entendre les do-
léances de ce peuple religieux, connu surtout par les
divagations de la fameuse lady Stanhope et les relations
de voyage de Gérard de Nerval et de Lamartine.
De haute taille, le teint cuivré des Phœniques, une
barbe assyrienne, de larges yeux aux papillotantes
prunelles, tel nous apparut le caïmacan Adou.
Ayant été, pendant deux ans, élève de l'Ecole supé-
rieure de Beyrouth dirigée par les Jésuites, il n'était pas
sans avoir quelque teinture de notre langue — et c'est
ce qui nous permit d'avoir, avec lui, une suggestive
conversation.
On sait que les Druzes habitent surtout le versant
occidental du Liban et qu'ils sont répartis dans une
centaine de bourgs et de villages situés entre Beyrouth
et Sour, la Méditerranée et Damas. Combien sont-ils ?
Les statisticiens ne sont pas d'accord. Mais, si nous en
croyons notre caïmacan, ils seraient au nombre d'envi-
ron 100.000, actuellement.
A ce que nous confessa notre interlocuteur, les Druzes
n'ont pas de langue propre. Ils parlent l'arabe, le turc ou
l'espèce de sabir qui a cours dans les pays smyrniotes, et
ne se différencient essentiellement des Musulmans et des
autres peuples de Syrie que par leur bizarre religion.
D'après les ethnologistes, les Druzes ne seraient point
des autochtones de l'Asie-Mineure. Volney les fait venir
d'Egypte, au temps des Fatimites; d'autres, de Perse;
d'autres encore les font descendre des hordes d'un cer-
tain comte de Dreux qui, dans la période des Croisades,
défendit Bethléem pendant plus de quarante ans contre
les Sarrasins. Il semble bien pourtant que leur appella-
tion a dû plutôt venir du nom de Darazi, le plus fameux
de leurs chefs, et, en tout cas, celui qui était à leur tête,
lorsqu'ils pénétrèrent en Syrie, vers l'an 400 de l'Hégire.
Cette hypothèse, émise à tout hasard, nous sembla
avoir l'approbation de notre camaïcan qui parut étonné
et ravi...
Venons-en, grâce à sa collaboration, à l'exposé de la
religion des druzes.
Chez eux, la circoncision n'est pas pratiquée. Ils ne
connaissent ni jeûne, ni prières rituelles. Les boissons
fermentées ne sont pas proscrites — Ceci, pour bien
marquer qu'ils n'ont nulle accointance avec les Musul-
mans.
Ils n'ont pas de temples, à proprement parler, si l'on
excepte un certain nombre d'oratoires « quillés » géné-
ralement au sommet des collines et où, dans les grandes
circonstances, se rendent les femmes druzes.
A la ville, ils vont indifféremment à la Mosquée ou
à l'Eglise des Maronites, persuadés qu'ils sont que Dieu
est UN, qu'il est le seul ETRE que l'on doit adorer — et
cela, dans n'importe quel édifice religieux.
Est-ce à dire que ce Dieu UN est celui du mosaïsme ?
Non pas ! Ils croient que la Divinité s'est plusieurs fois
manifestée sous la forme humaine, par exemple, en
Moïse, Jésus, Mahomet. Sa dernière incarnation aurait
été en un personnage du nom de Hakem, lequel doit
revenir en un siècle futur, « quand la terre s'entr'ou-
vrira de tous côtés, que les montagnes seront englouties
dans les profondeurs, que tout sera nivelé, les collines
comme les vallées, les montagnes comme les plaines, les
puissants comme les faibles... »
Ce Hakem est représenté dans l'iconographie druze
par un veau, peut-être à cause des veaux d'or massif
apportés d'Egypte où, comme l'on sait, le bœuf Apis
était un symbole cultuel.
Leurs livres enseignent la métempsycose et les diverses
formes de l'âme, avec cette particularité que le nombre
des âmes créées par Dieu est fixe et immuable. Après la
mort d'un homme, son âme passe dans un autre corps :
l'âme d'un croyant de la vraie religion prend la forme
d'un druze; l'âme d'un infidèle, celle d'un sectateur de
sa religion et ce, sans jamais garder le souvenir de l'état
antérieur. Les individus bas et cruels retournent à l'es-
pèce animale.
L'expiation terrestre est le moyen offert à une âme
de progresser dans la connaissance de la vraie religion
jusqu'à ce qu'elle s'unisse à l'Imam (foyer de lumière)
et que la transformation ait alors atteint son terme
suprême.
La doctrine druze comporte sept commandements ou
enseignements : 1° véracité dans les paroles; 2° vigi-
lance; 3° renoncement à la religion du mensonge;
4° séparation des mauvais esprits dans les pervers;
5° Unité du Seigneur; 6° contentement dans toutes les
situations; 7° la patience.
Monogames et ne se mariant qu'entre eux, les Druzes
mettent au premier rang la pureté et la fidélité conju-
gale. Aussi, malheur à la femme qui trompe son mari,
car l'adultère est puni de mort. C'est la famille de la
coupable qui pourvoit elle-même au châtiment : la répu-
diation s'accomplit par l'envoi aux parents d'un poi-
gnard, la lame nue. Ceux-ci connaissent alors la honte de
leur maison et procèdent au sacrifice...
Et pour l'adultère du mari ? demandâmes-nous... Le
caïmacan eut un singulier sourire qui pouvait signifier :
« La question ne se pose pas ! »
Lorsqu'un Druze vient à mourir, une sorte de tribu-
nal composé de parents, d'amis et de voisins se réunit
autour du cercueil et passe en revue la vie du défunt. Si
ce dernier n'a transgressé aucun des sept commande-
ments, son âme se réincarnera chez un « Seigneur ».
Par contre, si l'exposé de la vie du décédé a fait res-
sortir de graves manquements, son âme habitera le
corps d'un pourceau, d'un chacal ou d'un chien.
Notons, en passant, que le premier commandement
(véracité dans les paroles) n'est seulement rigoureux
qu'entre Druzes. C'est ce qui explique la réputation de
duplicité qu'on a faite à ce peuple et qui est tout aussi
méritée ou absurde que celle que l'on prête à telle nation
occidentale !
Il existe, chez les Druzes, une certaine théocratie :
un pontife suprême appelé « Intelligence universelle » ;
un ministre décoré du titre « Ame universelle »; puis
un autre, plus modestement intitulé la « Parole ».
Au-dessous de ces chefs religieux, viennent les Initiés
qui ne sont pas obligatoirement des sacerdotes, mais
parmi lesquels se recrutent les Daïs (bacheliers), les
Madhouns (licenciés) et les Mocasers (docteurs).
En somme, la religion druze est un bizarre mélange
des croyances en apparence les plus opposées, car on y
trouve aussi bien des enseignements coraniques que des
préceptes mosaïstes et chrétiens.
Peut-être, par le culte rendu à Dieu sous la forme
vitellienne, se rattacherait-elle plus étroitement à la
mystagogie du peuple égyptien, le plus religieux de la
terre, d'après Hérodote.
En tout cas, par leur amour de l'indépendance et leur
mépris des richesses, les Druzes ne paraissent pas devoir
être assimilés aux idolâtres du Sinaï, car si, chez eux,
« Le veau d'or est toujours debout », il n'est point celui
dont on encense la puissance « D'un bout du monde à
l'autre bout ».
Les Kardécistes
Nous aurions pu aussi bien intituler cet aperçu : les
Spirites. Mais les êtres qui croient aux communications
entre les morts et les vivants sont si nombreux et si di-
vers, que force nous est de parler ici seulement des adep-
tes directs d'Allan-Kardec, (de son nom, Denisart-Rivail),
ayant conservé à leurs pratiques un caractère semi-reli-
gieux comportant prières, invocations, évocations, etc.
Dans notre jeune temps, nous prîmes contact avec les
disciples presque immédiats du grand philosophe spiri-
tualiste et nous vîmes à l'œuvre une ardente phalange
qui menait le « bon combat » contre les théories
matérialistes.
De ces fougueux apôtres étaient l'ingénieur Gabriel
Delanne qui, dans la suite, a écrit de substantiels ouvra-
ges sur la matière, lesquels font aujourd'hui autorité dans
la « métapsychique »; Léon Denis, puissant écrivain
et conférencier; Camille Chaigneau, l'ardent poète des
Chrysanthèmes de Marie; le Dr Chazarain; Mme Rosen-
Dufaure; tous disparus, mais dont la mémoire est véné-
rée aussi bien chez les Kardécistes que chez les spiri-
tualistes du monde entier.
Les survivants de cette lointaine époque sont peu
nombreux aujourd'hui. Cependant, comment ne pas
citer le distingué professeur Birmann de Relles qui,
retiré de l'enseignement, demeure, en ses poèmes, ro-
mans, pièces de théâtre, toujours le vibrant Kardéciste
que nous connûmes; sa sœur, Emma de Relles, dont les
volumes de vers, publiés sons son nom de femme, ont
retenu et retiennent encore l'attention des lettrés ?
En ce temps-là, de vigoureuses polémiques sur la ques-
tion spirite emplissaient les journaux. Jules Soury,
Binet, Pierre Janet, W. de Fontvielle, contempteurs du
spiritisme, rencontrèrent de rudes adversaires, aussi bien
dans la presse qu'à la salle des Capucines. Charles Richet
n'avait pas encore jeté dans la balance sa « métapsy-
chique », mais s'inquiétait déjà de certains phénomènes
inexpliqués de lévitation, de télépathie, etc.
Etant un peu, en la matière, comme ce pape qui,
crainte de gâter son latin, se dispensait du bréviaire,
nous nous bornerons — sans faire l'historique des faits
qui ont donné naissance au spiritisme et sont par trop
connus (coups frappés, déplacements d'objets sans con-
tact, etc. observés dans la famille Fox, en 1848, à Hydes-
ville, Etat de New-York) — à exposer ici les bases de la
religion Kardéciste :
1° Existence de Dieu, comme Intelligence suprême
cause de toutes choses;
2° Existence de l'âme reliée (pendant la vie terrestre)
au corps physique périssable par une substance intermé-
diaire dénommée périsprit;
3° Immortalité de l'âme et son évolution continuelle
vers la perfection par des existences successives : « L'es-
prit se dépouille peu à peu de ses imperfections pour
arriver à l'état de pureté qui lui permettra de jouir de la
vue de Dieu et de goûter le parfait bonheur dans l'éter-
nité »;
4° Responsabilité universelle, à la fois individuelle
et collective, de tous les êtres, (telle la loi de Karma des
bouddhistes et des théosophes) ;
5° Démonstration expérimentale de la survivance de
l'âme humaine par les communications obtenues à l'aide
de « médiums » avec les « désincarnés ».
Toute la doctrine paraît, d'ailleurs, être résumée dans
la phrase lapidaire qu'on peut lire au fronton du tom-
beau d'Allan Kardec, au Père-Lachaise : Naître, mourir,
renaître et progresser sans cesse, telle est la loi.
La différence fondamentale entre les Kardécistes et
les autres spirites réside surtout dans le dogme de la
réincarnation que nombre de croyants, en Angleterre
et aux Etats-Unis surtout, refusent d'admettre.
La palingénésie n'est cependant pas chose nouvelle,
puisqu'on la trouve dans Pythagore, Hérodote et même
chez les Juifs. Plus près de nous, Origène et Clément
d'Alexandrie l'ont proclamée. Enfin, on n'ignore pas que
Dante Alighieri prétendait avoir été Trajan dans une
existence antérieure, et que Gœthe affirmait avoir vécu
du temps d'Hadrian !
Quelques spirites, encore rattachés au catholicisme
par un atavisme invétéré, considèrent comme attenta-
toire à leur reste de foi l'idée des vies successives sur
notre globe. Pourtant, un certain abbé Le Noir, contem-
porain d'Allan Kardec, ne craignit pas d'affirmer que le
principe de la réincarnation n'avait rien de contraire
aux enseignements de l'Eglise !
Bien plus, si nous en croyons la revue nord-africaine
L'Aube nouvelle, le vicaire de la Basilique de Saint-
Pierre de Rome, ainsi que trois évêques polonais et de
hautes notabilités catholiques italiennes, se seraient
ralliés, d'une façon publique et non réticente, à ce point
de vue.
Quoi qu'il en soit, c'est ce principe de la réincarnation
qui demeure la pierre angulaire de l'édifice élevé par le
philosophe Allan-Kardec.
Les Kardécistes n'ont ni clergé, ni temple; mais les
« médiums » ne sont pas sans être virtuellement inves-
tis d'une sorte de sacerdoce, et c'est généralement chez
eux que se forment et se réunissent les « groupes » où
les fidèles vont recevoir les enseignements des « esprits »,
et d'aucuns chercher des consolations, après un deuil
cruel.
A Paris, les « groupes » foisonnent. En province et
depuis la Grande Guerre, ils se sont étonnamment
multipliés.
Au temps presque néolithique que nous avons évoqué,
siégeait, rue Saint-Denis, la Société parisienne des Etu-
des spirites fondée par Allan-Kardec et où le public avait
accès.
Nous y avons connu comme présidents : le digne capi-
taine en retraite Bourgès, belle figure de don Quichotte
aux yeux rayonnants de bonté; un directeur de banque
ou d'agence, n'ayant rien d'un illuminé, M. Auzanneau,
à l'aspect martial avec sa barbiche impérialiste; le des-
sinateur Just L'Hernault à la barbe grisonnante, au
front fuyant, qui savait paternellement laisser parler les
autres.
Les réunions se tenaient au 3e étage, dans une salle
longue étroite et basse de plafond, parcimonieusement
éclairée. Aucune inscription sur les murs. L'estrade com-
portait, avec quelques sièges, une large table recouverte
d'un tapis qui avait dû être vert.
La séance commençait par une prière que prononçait
le président avec une impressionnante ferveur et par
laquelle on suppliait Dieu d'envoyer de « bons esprits »,
d'écarter les malveillants incarnés ou désincarnés qui
pourraient jeter le trouble dans l'assemblée, de donner
aux « médiums » la conscience du mandat qui leur
était confié, et enfin d'ouvrir à la lumière les yeux des
personnes qui auraient été attirées par d'autres senti-
ments que celui du bien.
Puis, après quelques minutes de recueillement, une
invocation était adressée aux « bons esprits » en vue
d'obtenir des communications probantes et l'éloignement
des désincarnés qui pourraient les induire en erreur.
Quatre petites tables étaient dans la salle, mises à la
disposition des médiums « typtologues » autour des-
quels se groupaient ceux ou celles qui voulaient évoquer
tel ou tel esprit. Silence religieux, interrompu seulement
par le balancement des tables et, quelquefois, par les
demandes de « preuves d'identité » formulées à voix
basse par l'un ou l'autre des assistants.
Sur l'estrade prenaient place les médiums «écrivains»,
attendant, le crayon levé, qu'un esprit se manifestât.
La période d'expérimentation terminée, les médiums
ou les personnes intéressées faisaient part des communi-
cations obtenues et, après des remerciements aux « bons
esprits » qui avaient bien voulu se manifester, une courte
prière à l'Esprit de Vérité clôturait la séance.
La Société Parisienne des Etudes spirites était alors
très prospère. Elle avait même un organe, la Pensée
libre, et, dans son local, se donnaient des conférences fort
goûtées. Gabriel Delanne qui, déjà, avait entrepris de
« démocratiser » les mystères de l'au-delà jalousement
gardés par les initiés de l'occultisme, y fit ses premières
armes. L'astronome Camille Flammarion, Victor Meu-
nier, chroniqueur scientifique du Rappel; Chincholle du
Figaro; Jules Allix, le poète Fabre des Essarts, le Dr
Josset; le Dr Gibier, mort directeur de l'Institut Pasteur
à New-York, auteur du Fakirisme occidental; l'Ingénieur
Tremeschini; le chimiste A. Ponsot ne dédaignèrent pas
d'y venir entendre la bonne parole et même de la
propager.
A cette même époque, existait, dans un immeuble du
Palais-Royal, angle rue des Petits-Champs, au siège de
la Revue Spirite fondée par Allan-Kardec, en 1858, et,
alors, dirigée par M. P. G. Leymarie, un groupe très im-
portant, mais qui était considéré par les Kardécistes,
affiliés à « l'Union spirite française » gardienne fidèle
de la pure tradition, comme quelque peu hétérodoxe. Y
fréquentaient, en effet, des occultistes, des théosophes,
des roustainistes, et même des bouddhistes !
Nous n'en parlons que pour mémoire. Le groupe a
peut-être disparu, mais la Revue Spirite, plus vivante que
jamais, a transporté ses pénates 8, rue Copernic. Sous la
direction de M. Jean Meyer, aujourd'hui décédé, fonda-
teur de l'Institut métapsychique international, elle a
élargi le cadre de l'enseignement d'Allan-Kardec. Elle
constitue aujourd'hui un centre de diffusion et de dis-
cussions de tout ce qui touche au spiritisme et au
psychisme.
Mais revenons à la pure doctrine Kardéciste. Dans
l'Evangile selon le spiritisme, le Maître a donné un
recueil de prières qui s'apparentent singulièrement à la
plupart de celles des Eglises. L'oraison dominicale y
figure avec de remarquables développements. Viennent
ensuite des formulaires pour les médiums, les anges gar-
diens, les esprits protecteurs, pour l'éloignement des
mauvais esprits, etc. Il y a même des prières spéciales,
pour les criminels, les suicidés, les esprits endurcis, les
obsédés.
Nous devons cependant dire que, dans la plupart des
« groupes » français, ces pratiques religieuses sont
tombées en désuétude. Par contre, elles subsistent dans
toute leur ferveur en Espagne, dans l'Amérique Centrale
et, principalement, à l'île de Cuba où, nous a-t-on dit, le
Gouvernement a fait placer un buste d'Allan-Kardec
dans la salle des séances du Parlement.
On sait que la croyance aux « esprits » et à leurs
manifestations est vieille comme l'humanité. Mais ce
n'est que depuis une soixantaine d'années que l'on a
tenté d'étudier ces manifestations à la lueur de la science
positive. Aujourd'hui, il semblerait que certains phéno-
mènes de télépathie, clairvoyance, lévitation, etc. sont
hors de conteste.
Après William Crookes, Lombroso, Aksakoff, et tant
d'autres, Charles Richet, membre de l'Académie de mé-
decine, et M. d'Arsonval, du Collège de France, directeur
de l'Institut psychique de Paris, entre autres, ont haute-
ment affirmé qu'il existait une psychologie occulte et
attesté l'authenticité de faits qui déroutent la commune
raison.
Il est vrai que ces autorités ont rencontré d'autres
savants, tels que MM. Achille Delmas, Langevin, Paul
Heuzé, qui ont mis ces faits sur le compte, tantôt de la
supercherie, tantôt de l'hallucination personnelle ou col-
lective, et proclamé que « la science ne connaît que les
phénomènes et les lois, et que là où il n'y a que des
phénomènes sans lois ou des lois sans phénomènes, il n'y
a pas de science ».
A cela, les métapsychistes répondent qu'il est constant
qu'une foule de phénomènes se produisent sans qu'on en
ait encore déterminé les lois. Faudrait-il, pour cela, les
nier ou les négliger ? Combien de faits qualifiés d'impos-
sibles, se sont pourtant réalisés ?
Nous permettra-t-on de citer un souvenir personnel ? :
Nous avons connu, à l'aube de nos études, un savant,
spécialiste de premier ordre, M. Blavier, directeur de
l'Ecole Supérieure de Télégraphie, qui n'hésita pas,
lorsqu'un humble employé de son Administration,
M. Charles Bourseul, lui adressa un mémoire sur la
transmission de la parole par le fil télégraphique, à
déclarer que c'était une pure chimère et que cela était
d'ailleurs contraire aux lois de la physique, etc ?
Que dirait-il aujourd'hui, cet éminent polytechnicien
(qui fut un des maîtres de la science électrique), du
téléphone et — ô ironie ! — du poste radiophonique
installé dans son ancien domaine de la rue de Grenelle
et qui répand, chaque jour, ses ondes dans le monde
entier ?
Peut-être en sera-t-il ainsi de certains phénomènes
qualifiés par quelques savants d'absurdes et d'impossi-
bles et que, pourtant, cette nouvelle science : la méta-
psychique, a déjà catalogués ?
Evidemment, dans le fourmillement des faits observés,
il faut faire la part de ceux qui peuvent être expliqués
par la fraude et l'imposture, surtout lorsqu'il s'agit de
faits d'ordre matériel (lévitation, apports, etc.). Dans le
domaine psychologique, on peut dire, avec Leibnitz, que
« vouloir proscrire la raison pour faire place à la révé-
lation, ce serait s'arracher les yeux pour mieux voir ».
Mais là où il n'y aurait ni imposture, ni révélation ?...
Le problème est troublant.
En tout cas, les Kardécistes se défendent de la révéla-
tion. Ils s'en tiennent, pour étayer leur foi, à l'axiome du
Maître : Tout effet a une cause, tout effet intelligent a
une cause intelligente. La puissance de la cause intelli-
gente est en raison de la grandeur de l'effet.
En dehors de toute hypothèse spiritualiste, la « sur-
vie » a, d'ailleurs, souvent été envisagée. Il nous souvient
même d'un positiviste, Adolphe d'Assier qui, dans son
ouvrage L'Humanité posthume, loin de nier les faits
d'apparition, etc. les attribue à la personnalité des dé-
funts... mais en ajoutant que, d'après lui, cette personna-
lité est appelée à se dissoudre peu à peu dans l'éther...
On discutera encore longtemps sur les manifestations
spiritiques et beaucoup penseront qu'il n'y a guère que
les expériences personnelles qui peuvent être d'un cer-
tain poids pour se faire une opinion.
Mais, si l'heure ne paraît pas encore venue où la
survivance de l'être après la mort sera scientifiquement
démontrée, n'est-il pas de la plus élémentaire prudence
de se défendre de toute négation a priori, si déconcer-
tants que puissent être les faits psychiques, et de répéter
avec Montaigne : « C'est une sotte présomption d'aller
dédaignant et condamnant pour faux ce qui ne nous
semble pas vraisemblable ?»
Les Vintrasiens
C'est par Papus, mort si prématurément et qui fut le
Grand Maître de l'occultisme contemporain, que nous
connûmes les Vintrasiens.
Un dimanche matin, il nous conduisit au fond d'une
impasse avoisinant l'Avenue du Maine et nous fit péné-
trer dans une salle basse tendue d'andrinople. Une quin-
zaine de personnes étaient déjà là, attendant dans une
demi-obscurité la célébration de l'office.
En retrait de la pièce, se dressait une sorte d'autel
ayant la forme d'un fer à cheval, en bois brut, sans autre
ornement qu'une croix bizarre ayant, au centre, un dis-
que blanc qu'on nous dit représenter l'hostie.
A même le bois, un calice en forme d'urne était
flanqué de deux burettes, l'une à ce qu'il nous parut
contenant du vin blanc, l'autre du vin rouge, et, à chaque
extrémité de l'autel, un cierge allumé.
Nous espérions assister à la messe promise par notre
introducteur. Mais notre attente fut déçue, car un per-
sonnage, vêtu d'une lévite noire, à chevelure abondante
et aux traits émaciés, vint annoncer que le Saint-prêtre
étant indisposé, la cérémonie ne pourrait avoir lieu.
On imagine notre contrariété. Cependant, grâce à
Papus, nous pûmes entrer dans la petite salle tenant lieu
de sacristie et nous entretenir avec le servant.
Sur un des murs de cette humble chambre, se déta-
chait le portrait d'un homme à tête puissante, avec une
large barbe en éventail : Eugène Vintras, le fondateur
de la secte. Au-dessous, un semblant de bibliothèque. Au
côté opposé, une statuette de la Vierge, et, sur une sorte
de prie-Dieu, un crucifix de même forme que celui
entr'aperçu sur l'autel.
Qu'était ce Vintras qui, au milieu du siècle dernier,
eut son heure de célébrité lorsqu'il fonda son Eglise
appelée par lui Œuvre de Miséricorde et qui subsiste
encore sous ce nom ?
Un fou ? Un visionnaire ? Un prophète ? Un thau-
maturge ? Il semble qu'il fut un peu tout cela.
Voici les quelques renseignements que nous avons pu
recueillir dans ce coin perdu du quartier de Montrouge :
Eugène Vintras n'avait reçu aucune instruction. Il
savait à peine lire et écrire. Vers 1840, dans son village
de Normandie où il gardait les vaches, il eut une vision
et, tout comme à Jeanne d'Arc, lui apparut Saint-Michel.
Le célèbre archange lui dit : « Tu es la réincarnation
du prophète Elie et c'est toi qui dois préparer l'avène-
ment du Paraclet ».
On sait que le Paraclet est, dans l'Evangile de Saint-
Jean, le nom donné au Saint-Esprit. Au moment de sa
mort, Jésus l'avait promis à ses disciples : « Je vous
enverrai le Paraclet ».
Et de ce jour, sans avoir rien lu ni entendu qui eût
trait à la Théologie, il posséda la science des Ecritures
sacrées et se fit « l'annonciateur de la troisième révéla-
tion qui devait amener le triomphe du Christ de gloire ».
Vintras « inventa » une doctrine où le mysticisme le
plus effréné est mêlé à une nette aperception d'une hu-
manité nouvelle. Chose singulière, dans le culte qu'il
institua, il réserva une large place à la Vierge.
Bien avant que le Saint-Siège l'eût promulguée comme
article de foi, le berger normand avait proclamé l'Imma-
culée-Conception de la mère du Christ. D'après lui, l'hu-
manité n'a point sa source dans le péché originel, mais
dans le « réservoir » d'anges créé par Dieu :
« Les hommes ne sont point des anges déchus. Ce sont
des âmes venant participer à la vie terrestre pour prépa-
rer le règne du Tout-Puissant, à travers les vicissitudes
du mal ».
Pour Vintras, l'enfer est un monde inférieur et les
peines ne sauraient y être éternelles.
En ce qui concerne le culte, le fondateur de l'Œuvre
de Miséricorde conférait aux femmes le droitde célé-
brer la messe, mais elles ne devaient communier que
sous les espèces du vin rouge, le vin blanc étant réservé
aux seuls officiants mâles.
Il est évident qu'en d'autres temps le flot d'hérésies
énoncé par lui l'eût fait condamner au bûcher. Le nou-
vel apôtre n'avait cure des foudres de l'Eglise. Pénétré
de la sainteté de sa mission, il parcourut la France, sou-
lageant les misères matérielles et morales de ceux qui se
présentaient à lui, obtenant par des exorcismes « à la
bougie et au sel » des guérisons extraordinaires : vue
rendue aux aveugles, paralytiques redevenus ingambes,
etc...
C'est sans doute à cause de ces faits anormaux qu'il
eut maille à partir avec la justice. En 1842, il fut. en
effet, poursuivi sous l'inculpation d'escroqueries, bien
qu'il fût prouvé que les dons reçus lui avaient été volon-
tairement offerts. Vintras ne songea nullement à se dé-
fendre. Aussi, une condamnation à cinq ans de prison
s'ensuivit-elle.
Il ne perdit pas un seul de ses partisans et les journaux
de l'époque ont rapporté, sans ironie, que, pendant sa
détention à la prison de Rennes, il était apparu à quel-
ques-uns de ses adeptes et avait même conversé avec
eux !
Retiré à Montplaisir (Rhône) chez un de ses fidèles
qui avait édifié un autel selon le nouveau rite, Vintras
y célébrait la messe en français (L'Esprit-Saint ne lui
avait, sans doute, pas enseigné le latin d'église).
S'il n'allait plus à travers les populations, les popula-
tions venaient à lui sous les espèces de croyants émer-
veillés par ses miracles : on racontait qu'on l'avait vu
souvent s'élever du sol, comme s'il était soutenu par des
anges invisibles.
Ce cas de lévitation aurait, paraît-il, été observé par
des savants lyonnais accourus pour confondre le Thau-
maturge.
Vintras mourut en 1875. Il eut pour successeur à la
tête de l'Œuvre de Miséricorde, M. Edouard Souleillon,
dépositaire de ses secrets et gardien des archives sacrées.
Sous le titre de Pontife, M. Souleillon administra
l'Eglise vintrasienne. Il était assisté de trois pontifes dits
« du Carmel » dont l'un résidait, il n'y a pas longtemps
encore, à Champigny-sur-Seine, là même où une succur-
sale du temple de Montplaisir avait été ouverte.
Mais le plus célèbre assurément des Vintrasiens est
le fameux abbé Boullan, celui que J. K. Huysmans a
portraicturé dans Là-bas, sous le nom du Docteur
Johannès.
Etrange figure que celle de ce mystique ! Docteur en
théologie, missionnaire du Précieux Sang, puis supérieur
de l'établissement religieux des Trois-Epis, en Alsace,
l'abbé Boullan avait rencontré une religieuse, Sœur
Adèle Chevalier qui, frappée de cécité, avait été miracu-
leusement guérie par l'intercession de N.-D. de la Salette.
Avec cette moniale, il fonda l'Œuvre de réparation des
âmes. Il s'associa ensuite à l'Œuvre réparatrice des blas-
phèmes et de la violation du dimanche, et, finalement,
fonda à Sèvres les Annales du Sacerdoce.
C'est à ce moment que commença la vie aventureuse
de ce prêtre. On l'accusa de poursuivre la guérison des
malades par des moyens sataniques. Sa réputation d'exor-
ciste s'établit et lui valut même une condamnation à
trois mois de prison pour escroquerie. (On sait ce qu'il
faut entendre par escroquerie, lorsqu'il s'agit de gué-
risons obtenues en dehors de la Faculté).
Après un voyage à Rome, l'abbé Boullan créa l' Œu-
vre de Marie et fonda une revue, les Annales de la sain-
teté au XIXe siècle. C'est dans ces annales qu'il se fit l'ar-
dent promoteur de la béatification de J. B. Vianney,
curé d'Ars.
Malgré ces pieuses entreprises, il faut croire qu'il sen-
tait déjà le roussi, car l'Archevêque de Paris, le cardi-
nal Guibert, le frappa d'interdit parce qu'il avait déclaré
« avoir reçu de Dieu la mission de sauver le monde ».
L'abbé Boullan en appela au Pape. Naturellement, le
Souverain Pontife confirma purement et simplement
l'interdiction.
Ainsi mis hors de l'Eglise, le malheureux ecclésiastique
chercha une nouvelle voie. Il se plongea dans l'occultisme
— ses adversaires dirent le satanisme — et s'affilia au
vintrasisme, se donnant lui-même comme le successeur
du prophète Elie, et continuant cependant à célébrer les
« sacrifices de gloire », dans une modeste propriété qui
lui avait été offerte aux environs de Lyon.
L'ex-abbé Boullan, avait conquis une connaissance
profonde des arcanes de la magie. Il croyait aux malé-
fices et ses dernières années en furent, dit-on, empoison-
nées.
Il mourut dans des circonstances mystérieuses, le 4
janvier 1893, non sans avoir prévenu son entourage de
sa fin prochaine qui lui avait été annoncée par une voix
d'En-Haut.
Un détail qui nous a été confié : c'est J.-K Huys-
mans qui fit les frais des funérailles, et paya la concession
au cimetière.
Aujourd'hui, le vintrasisme ne compte plus que quel-
ques centaines d'adeptes ardents et tenaces, recrutés,
surtout, parmi les « guérisseurs » plus ou moins en
règle avec la loi, mais qui, d'accord en cela avec les
Pères de l'Eglise, estiment que le mysticisme est la cons-
cience de l'union avec l'Invisible.
Il ne faut pas trop s'insurger contre cette affirmation,
car, ainsi que l'a dit nous ne savons plus quel philosophe
de nos jours, la religion de l'Evangile n'a pu vivre que
parce que Saint Paul en a fait une religion de Mystères...
Les Hermétistes
Le temps n'est plus où l'alchimiste revêtait la robe
constellée et le bonnet légendaire dont Alexandre Dumas
s'est plu à affubler Altotas, dans son roman Joseph Bal-
samo.
Si l'Hermétiste se penche encore sur l'Athanor pour
réaliser le Grand-Œuvre, ce n'est pas dans le mystère
qu'il travaille et, depuis longtemps, il a renoncé à la
confection de l'Elixir de longue vie.
Les Hermétistes du temps présent sont, en effet,
d'humbles chercheurs tâchant de donner à leurs croyan-
ces une assise positive, sans, cependant, renoncer aux
traditions mystiques, à la vertu des Nombres, au symbo-
lisme de la « Science sacrée » enseignée par Hermès
Trismégiste.
On sait que Hermès est le nom grec du dieu THOTH
des Egyptiens, celui à qui la légende attribue l'invention
de l'écriture et que l'on dénommait le « Seigneur de la
Parole divine ».
Cet Hermès fut-il un personnage réel ? On en discute
encore. Il importe peu que l'œuvre du Trismégiste soit
celle des néo-platoniciens, comme on le prétend, ou que
les douze-mille volumes d'enseignement sacré de la Biblio-
thèque d'Alexandrie et dont on n'a conservé que des
fragments, soient issus d'un seul individu. Il n'en demeu-
re pas moins que Lactance et Saint-Augustin y firent de
nombreux emprunts, surtout dans le Pœmandrès et
qu'aujourd'hui encore, les Hermétistes y puisent leurs
inspirations.
L'Hermétisme n'est pas. à proprement parler, une
religion, puisqu'il n'a ni temples, ni prêtres, ni dogmes.
Combien compte-t-il d'adeptes ? Il est difficile de les
dénombrer. Nous savons seulement qu'il en existe en
Allemagne, en Angleterre où ils ont un organe, en Suède,
aux Etats-Unis d'Amérique, en Tunisie et même au
Japon.
Le plus notoire d'entre eux est assurément le célèbre
romancier suédois, August Strindberg.
En France, fleurit une Société alchimique qui se rat-
tache par des liens étroits à l'Hermétisme, si nous en
croyons la revue mensuelle la ROSE-CROIX (1) « organe
synthétique des sciences d'Hermès », que fonda M.
Jollivet-Castelot, aujourd'hui décédé.
C'est dans cette savante Revue que nous avons trouvé
les linéaments d'une doctrine, un peu absconse pour
nous, pauvre profane !
L'Hermétisme moderne y apparaît comme une syn-
thèse à la fois intuitive et expérimentale, grosse de toutes
les énigmes qu'il veut élucider par la méthode positive.
Basé sur les données philosophiques et scientifiques de
l'antiquité, il cherche à les confronter avec l'expérience
rigoureuse et à rattacher entre eux les faits nettement
démontrés.
L'unité de la Matière, ses constantes transformations,
l'évolution incessante de tous les êtres, les phénomènes
révélateurs de la sub-conscience, tout cela tendrait à
prouver la réalité de l'alchimie... et de l'astrologie !
Ce qui est intéressant, c'est que la méthode de l'Her-
métisme procède : 1° par expérience; 2° par raisonne-
ment; 3° par intuition, pour arriver à une espèce de
fusion de la religion, de la philosophie et de la science.
Elle est donc, à la fois, spiritualiste et matérialiste.
L'intuition est le trait d'union entre le spirituel et le
matériel. C'est par elle qu'on perçoit, de façon directe et
immédiate, le fait. Bien entendu, elle ne peut s'acquérir
qu'après une certaine initiation.

(1) Cette « Rose-Croix »n'a qu'un lointain rapport avec les


Rosi-Cruciens de Joseph Péladan dont nous avons parlé dans les
« PETITES-EGLISES».
En résumé, l'Hermétisme semble constituer une phi-
losophie générale de la nature, mais envisagée sous un
aspect religieux, en même temps que rationnel... Pour
nous servir de l'expression de M. Jollivet-Castelot,
« il est la religion de la nature et de la science et aussi
la science de la nature et de la religion. C'est un positi-
visme idéaliste, un immanentisme transcendant, un uni-
tarisme du pluralisme, parce qu'il est l'essence même des
contraires qu'il concilie ».
L'enseignement hermétique est par trop touffu pour
que nous en essayions ici l'analyse.
Sachez que la métaphysique du Nombre, renouvelée
de Pythagore, la Quatrième dimension, la Connaissance
de Dieu, l'Analogie (étude des rapports des similitudes
des objets et des choses entre eux et par laquelle s'établit
la « correspondance universelle »), l'Astrologie, la
Thérapeutique spagirique, les Arts divinatoires et l'Al-
chimie, sont de son domaine !
Le savant auteur de l'Essai de synthèse des Sciences
occultes, M. Jollivet-Castelot, nous a représenté cet en-
seignement comme la science intégrale, sinon de fait, du
moins par ses tendances et sa méthode qui lui permet-
tent d'embrasser l'occulte rendu visible et compréhen-
sible dans la mesure du possible, et de l'intégrer dans la
science ordinaire.
Avec sagesse, la méthode hermétique ne vise ni au
dogmatisme, ni à l'infaillibilité : « Elle est la clef
permettant d'ouvrir un coffret qui n'est jamais rempli ».
Et si elle s'attache à étudier de plus près l'influence
des astres, des radiations innombrables et les manifes-
tations et transformations de forces connues ou incon-
nues. c'est à la suite des travaux des physiciens et des
mathématiciens éclairés qui, par leurs récentes découver-
tes, ont, en quelque sorte, homologué les « acquis » de
la Tradition.
Naturellement, les Hermétistes sont déistes; mais ne
présentent Dieu ni comme une abstraction, ni comme
une vague Essence universelle du Monde. Il n'est pas
davantage l'Entité anthropomorphe de certaines reli-
gions. Dieu est tout simplement « la Vie du tout, le
point central auquel tout se ramène et d'où tout pro-
vient... On ne peut le connaître que par le savoir et
l'extase ! » Et cette extase n'est pas ce qu'un vain peuple
pense. Elle représente, pour les disciples d'Hermès, un
état supérieur de la raison. « Elle mêle l'ardeur à la
spéculation, l'amour à l'intelligence, l'intuition à la
critique ».
La métaphysique de l'hermétisme, synthèse de la
religion, de la philosophie, de la science et de la socio-
logie. repose sur le monisme, sur l'identité du principe
divin et du principe cosmique dont fait partie l'huma-
nité, car « l'âme humaine fait partie de l'âme de la
Terre, comme le corps matériel fait partie de l'organis-
me terrestre ».
La magie y a sa large part. Mais cette magie est, en
quelque sorte, scientifique. Voici la définition qu'en
donne M. Jollivet-Castelot : « Elle n'est autre que la
connaissance et le maniement des diverses forces de la
nature, les pronostics mathématiques de l'astrologie, les
révélations de la radio-activité, des ondulations du
champ magnéto-électrique universel, la connaissance
plus profonde de l'énergie intra-atomique... ».
Comme on le voit, il faut être singulièrement averti
pour s'affirmer maître ès-magie !
Quant aux phénomènes occultes, depuis les expérien-
ces métapsychiques de Crookes, d'Alfred Richard Wal-
lace, de Charles Richet, etc.; ils ne sont plus guère
contestés. Seule, leur interprétation reste toujours la
grande affaire, car nous sommes encore loin d'avoir
catalogué les forces inconnues qui se manifestent en
dehors de l'Homme.
Mais ce qui caractérise plus particulièrement l'hermé-
tisme contemporain, c'est la recherche de l'Unité dans la
Pluralité, le simple dans le composé — et par là, nous
touchons à l'Alchimie dont on a dit qu'elle est la science
des sciences, parce qu'elle recherche la LOI des LOIS.
On sait que Paracelse prêtait à chaque métal une âme,
un esprit et un corps. De là à admettre que les atomes
sont des êtres vivants, il n'y a pas très loin.
En tout cas, il est hors de doute que la transmutation
des métaux est admise comme possible par un grand
nombre de savants, après les travaux des Berthelot, des
Curie, des Ramsay, des Rutherford. etc.
La recherche de la pierre philosophale, dont on fait
tant de gorges chaudes, n'est donc pas si vaine, puisque
M. Jollivet-Castelot, président de la Société alchimique
de France, a réussi à fabriquer chimiquement de l'or.
Nous savons bien que la science officielle, non seule-
ment refuse d'admettre cette possibilité, mais qu'elle
n'entend même pas la discuter, bien que les corps savants
aient été sollicités pour contrôler les résultats obtenus et
qui. dit-on, ne se sont jamais démentis.
Nous sommes trop incompétent pour apprécier la
valeur scientifique des expériences de synthèse chimique
de l'or auxquelles s'est livré M. Jollivet-Castelot. Peut-
être nos lecteurs ne liront-ils pas sans intérêt cet extrait
d'un article du Journal des Eclaireurs, paru il y a quel-
ques années :
« M. Jollivet-Castelot est parti du fait que, dans la nature,
l'or est presque toujours associé à l'antimoine et à l'arsenic
sulfureux ainsi que l'étain. Il mélange dans un creuset 6 gram-
mes d'argent chimiquement pur, 1 gramme d'orpiment chi-
mique, 2 grammes de soufre d'antimoine et 1 gramme d'étain,
tous corps chimiquement purs et exempts d'or... Il ajoute de
la silice et porte le tout au four à une température de 1.100e
environ. Le culot obtenu est soumis à l'action de l'acide nitri-
que, d'abord à froid, puis à l'ébullition, et ensuite traité par
l'ammoniaque. Le mélange se dissout alors facilement dans
l'eau régale. La liqueur filtrée et soumise à l'action des réac-
tifs de l'or, a montré la présence de ce métal sous forme de
dépôts abondants d'or évaluables à 5 centigrammes. De plus,
la plus grande part de l'argent employé est récupérable après
chaque essai ».
Nous ne nous attarderons pas à discuter de quelle
nature est l'or ainsi obtenu. Mais que dire de la conspira-
tion du silence organisée par nos corps savants ?
Edison a eu raison contre l'immortel Bouillaud, lors-
que ce dernier attribuait à la ventriloquie les sons émis
par le phonographe.
Un avenir, très prochain peut-être, nous dira qui, de
de l'Hermétiste obstiné qu'a été M. Jollivet-Castelot ou
de la Sorbonne, aura le dernier mot.
Rappelons-nous seulement la phrase de Cicéron :
Ita finitima sunt falsa veris ut in precipitam locum non
debeat se sapiens committere. (Le faux est si voisin du
vrai, que le sage ne doit jamais hasarder de jugement en
cas douteux).
Les Druidistes

Eh oui ! il y a encore des sectateurs de cette antique


religion de nos pères. les Gaulois... Il y a encore des
croyants qui célèbrent les vertus magiques du gui, des
adorateurs du Soleil, des métempsycosistes, ailleurs que
dans le Sigurd de Reyer et les Martyrs de Château-
briand !
C'est en Bretagne surtout et au pays de Galles qu'ils
ont persisté. En Irlande, en Ecosse, dans les régions scan-
dinaves et, qui sait ? sur d'autres points de la Terre, il
en existe encore.
Il est vrai que le culte druidique tel qu'il était pra-
tiqué dans la forêt des Carnutes, il y a près de trois
mille ans, a complètement disparu : on ne procède plus
aux sacrifices sanglants, le fameux œuf de serpent
demeure à l'état de symbole et les augures d'aujourd'hui
négligent de prédire l'avenir d'après le vol des oiseaux
et l'inspection des entrailles d'animaux. Il n'y a plus ni
eubages, ni vacies. Mais dans les mystérieuses vallées de
Cornouailles. comme dans les landes bretonnes, partout
où se dressent encore dolmens, menhirs et cromlechs, se
rencontrent des fidèles qui, à l'instar de leurs ancêtres,
vont chaque année, cueillir, au sixième jour de la lune,
le « gui de l'an neuf » et le conservent dans leurs de-
meures, comme chez les catholiques se conservent le
buis, la branche d'olivier ou la palme de la fête des Ra-
meaux. Et qui donc nierait qu'il y a toujours des bardes
et des ovates ?...
Certes, aussi bien en Angleterre que dans l'Armori-
que, les traditions ancestrales n'empêchent pas les Drui-
distes actuels d'aller au temple ou à l'église. Si la plu-
part des ministres catholiques ou protestants ont con-
damné les pratiques « païennes » de leurs ouailles, il en
est d'autres qui considèrent ces pratiques comme absolu-
ment inoffensives. Ainsi, on a pu voir prendre part aux
fêtes druidiques de 1929, à Stonehenge, dans la plaine
de Salisbourg (Angleterre), fêtes dont l'Illustration a
donné la curieuse photographie, des membres du clergé
en surplis, à côté des druides et bardes en robe blanche,
la tête couverte d'une coiffure rappelant le « pschent »
des Pharaons égyptiens.
En France, le druidisme s'est surtout maintenu dans
l'Ile de Sein, là même où se trouvait le célèbre sanctu-
aire de Teutatès. L'ancienne langue, les anciennes
mœurs, les anciens usages y sont conservés, ainsi que
dans quelques localités du Finistère.
Cependant, c'est surtout au Pays de Galles que nous
retrouvons, dans son ensemble, le caractère des antiques
cérémonies, telles que nous les a décrites Ammien Mar-
cellin.
Il est évident qu'on a abandonné le culte des divini-
tés païennes, satellites de Teutatès, mais les druides et
bardes gallois se réunissent, chaque année, dans le voi-
sinage de la mer, soit à Llanelly, soit à Coernarfon, en
assemblée solennelle.
D'après une publication britannique tombée entre nos
mains, à cette assemblée, nommée EISTEDDFOD, accou-
rent les adeptes de Bretagne, de Normandie et d'Ecosse.
C'est autour d'un cromlech que se déroule, d'ordinaire,
la cérémonie traditionnelle : lorsqu'à midi le soleil est
arrivé à son point culminant, le chef religieux ou archi-
druide demande aux assistants si personne ne s'oppose à
l'ouverture de l'Eisteddfod.
Si le oes (oui) est proféré, la fête commence. L'archi-
druide, suivi de druides en robe blanche, de bardes en
robe couleur azur et de disciples en robe verte, parcourt
l'espace libre entre le pavillon où doit se tenir l'assem-
blée et les assistants.
Une prière est dite par un barde, puis des penilions
(poèmes rituels) sont chantés et le cortège, une fois for-
mé, pénètre dans l'enceinte construite spécialement pour
l'Eisteddfod.
Et la session druidique se clôt par le chant Hen wlad
fy Nhadan (0 pays de nos pères !), considéré, en quel-
que sorte, comme la Marseillaise des Gallois et que l'as-
sistance entonne debout et en chœur, un peu en maniè-
re de protestation contre l'emprise déjà séculaire de l'An-
glais.
Les druidistes français ne se livrent pas à d'aussi im-
posantes manifestations, mais ils ne négligent aucune
occasion de s'affirmer.
C'est ainsi qu'au mois d'août 1927, dans la région de
Quimperlé, ils se sont associés aux magnifiques fêtes cel-
tiques qui se déroulèrent sur la lande de Kerlo, près
Riec-sur-Belon.
C'est l'archi-druide du pays de Galles qui, le front
ceint de feuilles de chêne, présida le gorssedd, réunion
des Bretons, Gallois, Ecossais et Irlandais, et c'est devant
lui, à qui avait été remis solennellement le glaive du roi
Arthur (glaive long de 2 mètres !), qu'en langue gaëli-
que ou en breton, les druidistes présents prêtèrent le
serment de conserver autant qu'ils vivraient les tradi-
tions des ancêtres.
Que conclure de tout cela ? Depuis l'époque lointai-
ne où Teutatès régnait dans les forêts profondes, bien
des cités sont défuntes, bien des civilisations millénaires
ont disparu : toute une floraison nouvelle de cultes s'est
épanouie à travers le monde. N'est-ce pas un étonnant
miracle que, dans un coin extrême de la Terre, subsiste
encore une lueur d'un culte que l'on croyait à jamais
aboli ?
Les Bahaïs
Il va y avoir un peu plus d'un demi-siècle que, des
profondeurs de l'Iran, surgit un personnage étrange, issu
d'une grande famille, et ayant délaissé l'Islamisme, pour
se consacrer à la révélation des grands principes d'une
religion universelle. Ce personnage avait nom BAHA'U'L-
LAH et la religion qu'il fonda s'appelle le Bahaïsme.
L'idéal de réunir tous les hommes sous le drapeau
d'une religion unique n'est, certes, pas nouveau. Même
de nos jours, nombre de réformateurs poursuivent ce
but. Nous en avons déjà profilé quelques-uns. Mais Ba-
ha'u'llah a semblé, d'avance, se distinguer des autres
protagonistes religieux contemporains par un mépris
profond de la métaphysique et de la mystique. Il s'est,
en effet, attaché aux primes contingences sociales, relé-
guant au second plan les pratiques cultuelles.
Pour la première fois, peut-être, on vit un Oriental se
préoccuper des grands problèmes démocratiques qui, gé-
néralement, intéressent plus les économistes que les
chefs de secte !...
Pourtant, Baha'u'llah ne se présentait pas comme un
sociologue, mais comme le « Grand Messager universel »
prédit par les Prophètes. Aussi, les autorités persanes
prirent-elles ombrage de cette excessive prétention et
expulsèrent-elles l'agitateur !
L' « Inspiré de Dieu » mit à profit son exil pour répan-
dre son enseignement à travers le monde. Il pérégrina
chez les « Grands de la Terre ». Le Tzar Alexandre III,
la Reine Victoria, le Roi de Prusse reçurent sa visite. Il
vint même aux Tuileries, un peu avant la guerre de
1870, et l'on raconte que Napoléon III, après s'être lon-
guement entretenu avec lui, lui aurait donné l'accolade,
à la stupéfaction des gens de la Cour, peu habitués à
voir le Souverain se livrer à une semblable manifesta-
tion !
Cependant quoi de plus révolutionnaire que la doctri-
ne exposée par Baha'u'llah qui s'attaquait surtout aux
riches et aux puissants et proclamait le travail obligatoire
pour tous, aux fins de la réalisation de ce commande-
ment : « pas de riches oisifs, pas de pauvres sans tra-
vail ».
Peut-être le Rêveur couronné s'était-il souvenu qu'il
avait écrit jadis un livre sur l'extinction du paupérisme
et avait-il conservé une secrète tendresse pour les uto-
pistes de son espèce ?
Prévoyant, eût-on dit, la Société des Nations, Baha'u'l-
lah préconisait une Cour internationale de justice et
d'arbitrage pour amener le règne de la paix universelle.,.
et ce, non pas en idéologue, mais à la manière de l'abbé
de Saint-Pierre, avec des précisions dont sembla s'inspi-
rer le Président Wilson lorsque, dans le Traité de Ver.
sailles, il fit introduire le covenant que l'on sait !
Indépendamment du nivellement social dont nous
venons de parler, le bahaïsme a pour principes fonda-
mentaux : la recherche libre de la vérité; l'unité de l'es-
pèce humaine; la religion d'accord avec la science et la
raison; l'éducation pour tous et spécialement pour les
femmes qui seront les mères et les éducatrices des géné-
rations futures ; la justice égale pour tous et, enfin, la re-
connaissance de l'Unité divine et l'obéissance aux com-
mandements révélés par les Saintes manifestations ».
Et, ce qui n'est pas sans surprendre de la part d'un
Musulman, c'est de voir Baha'u'llah proclamer, il y a
plus de cinquante ans, l'égalité absolue des sexes.
Ne dirait-on pas qu'il eût pressenti le moment où,
pour renforcer sa thèse, l'Occident compterait nombre
de femmes avocates, juges, conseillères communales,
voire ministresse d'Etat (un ministre du Travail, en An-
gleterre, fut une femme !). L'Extrême-Orient, d'ailleurs,
n'est pas aussi sans compter nombre d'illustrations fémi-
nines telles que Anandibaï Josee, hindoue, doctoresse de
l'Université de Philadelphie, morte, en 1889, directrice
de l'hôpital de son pays; Kamabaï, doctoresse en droit,
ou encore cette Cornelia Sorabji, auteur de ce livre Love
and life behind the purdah (L'amour et la vie derrière
le rideau) sur l'émancipation féminine et qui, à l'âge
de 21 ans, fut nommée professeur de sociologie à l'Uni-
versité de Bombay, etc...
Quand nous aurons ajouté que les Bahaïs ont été les
premiers à proclamer la nécessité pratique d'une langue
auxiliaire internationale qui devrait être enseignée dans
toutes les écoles du monde, on reconnaîtra que leur pro-
gramme n'a rien à envier à celui des plus avancés de nos
partis socialistes.
L'Esperanto est venu à point. Aussi le bahaïsme a-t-il
un organe en cette langue : LA NOVA TAGO, internacia
bahaa esperanto gazeto (Le jour nouveau).
Le but culminant du bahaïsme est, nous l'avons dit,
de fondre toutes les religions en une seule, «unifiante
et universelle », basée sur les principes que nous venons
d'exposer brièvement. C'est pourquoi il s'efforce d'unir
la mentalité orientale à la mentalité occidentale, en prê-
chant que tous les peuples doivent « abandonner leurs
vieux préjugés et leurs animosités afin de travailler en-
semble à la venue promise du Royaume de Dieu sur la
Terre ».
La conception de la Divinité par Baha'u'llah se rap-
proche assez de celle de Pascal qui disait que la raison
est impuissante à découvrir certaines vérités et que la
seule connaissance de Dieu est dans le cœur.
Baha'u'llah condamna les temples et les clergés « vi-
vant des choses de Dieu ». Mais il faut croire cependant
que ses successeurs ne partagent pas cette animadver-
sion pour les édifices religieux, car nous avons sous les
yeux une carte postale représentant le temple bahaï tel
qu'il doit être construit près de Chicago et qui sera ou-
vert « aux cultes de toutes les sectes et religions dé-
vouées à l'indépendante investigation de la Vérité et à la
promulgation de l'universelle religion et de l'universelle
paix ».
D'après l'image que nous avons sous les yeux, ce sera
un splendide monument rappelant la Grande Mosquée
de Constantinople (ex-Sainte-Sophie), mais dépourvue
d'emblème religieux.
Comprendre, c'est être tolérant, a dit Gœthe.
Baha'u'llah comprenait. Il constatait que tous les
Grands Prophètes ont enseigné « la même vérité éter-
nelle qui consiste en l'adoration d'un Dieu unique et
dans le service du prochain ». Chacun d'eux, d'après lui,
a présenté son enseignement dans la forme la mieux
adaptée aux besoins du moment. Il estimait que, par l'es-
prit du Christ et des autres prophètes, l'homme avait
finalement le degré de développement le rendant apte
à comprendre un enseignement plus universel.
C'est cet enseignement qu'il a cru apporter : « Le
coeur de l'homme doit être changé : seule, la religion dé-
nuée de toutes superstitions et d'interprétations erronées
peut le faire ».
Ainsi, l'Initiateur du nouveau message divin ne se
posait pas en rival du Christ ou de Bouddha, mais en
continuateur de leurs œuvres.
Son fils et successeur Albul-Baha, mort en 1921, à
Haïfa, se montra plus mystique et fit sienne la parole de
Saint-Augustin : « la justice, c'est l'ordre dans l'a-
mour ».
Quant au côté pratique : les Bahaïs ont tout un pro-
gramme sur l'organisation de l'héritage, la répartition
des richesses, l'assistance aux invalides, etc. Ils prévoient
une « Maison dite de Justice dans chaque commune,
dans chaque Etat et pour la fédération des peuples, qui
constituera en même temps une administration légale
pourvue de droits d'ordonnance et de devoirs de place-
ment ou d'approvisionnement ».
N'est-ce pas que cela vous a un vague parfum de so-
viétisme ?
Actuellement, le mouvement est dirigé par Shoghi-
Effendi, petit-fils de cet Abdul-Baha dont nous venons de
parler et qui, dans son testament, l'institua « Premier
gardien de la Cause ».
Les adeptes se comptent par milliers. En 1892, lord
Curzon estimait qu'ils étaient au nombre de 500.000. Si
nous sommes bien informé, ils seraient plus de deux
millions aujourd'hui.
Les principaux centres sont Stamboul, Londres, New-
York, Chicago, San-Francisco, Bahia, Genève; mais
Haïffa reste toujours, en quelque sorte, la Rome de cette
catholicité (dans le sens étymologique) d'un nouveau
genre ou, plutôt, puisqu'il s'agit d'une religion issue de
l'Islam, la Mecque des Bahaïs.
Le célèbre poète hindou, Rabindranath Tagore, serait
un fervent de la Cause. En Europe, le plus illustre de
tous a été l'éminent formicologue Forel.
Par contre, le groupe de Paris est assez restreint. Qui
le croirait ? c'est chez les hommes de science que se re-
crutent le plus d'adhérents. On compte également, par-
mi ces derniers, des communistes de qualité, encore im-
prégnés, sans doute, de l'esprit évangélique et qui en-
trevoient, peut-être, dans le triomphe de la doctrine de
Baha'u'llah, la réalisation de leurs chimères.
En tout cas, il est bon de retenir du Bahaïsme qu'il ne
s'attarde pas au pourquoi et au comment, aux peines et
aux récompenses dans la vie future, aux abstractions mé-
taphysiques qui attirent et désolent...
Les Mazdaznaniens
O Voltaire, Diderot, Piron et Marmontel qui dégus-
tiez, au Procope, le moka de nos pères, et vous, plus près
de nous, Jules Vallès, Gambetta, Coppée, Leconte de
Lisle, que doivent dire vos mânes en voyant le café que
vous rendîtes célèbre, transformé en un accueillant lo-
gis, à l'enseigne du « Grand Soleil », où se restaurent
les sectateurs d'une religion nouvelle : le Mazdaznan ?
Cette prosopopée à la Jean-Jacques est pour signifier
au lecteur qu'il n'y a pas que les livres qui ont leur des-
tinée.
Là où le tonitruant Tribun tenait, à la fin du Second
Empire, ses premières assises, où toute une tribu de poè-
tes et de peintres, — la République de Montmartre n'é-
tait pas encore fondée — venait s'abreuver de bocks ou
demander l'inspiration à la fée verte, règne à l'heure
actuelle un silence presque monacal. L'eau et le lait y
ont remplacé l'alcool et la cervoise de jadis !
D'où vient ce nom mystérieux : Mazdaznan, deman-
derez-vous ? Il est tiré de la langue zend, la plus an-
cienne du monde, au dire de certains érudits : Mazda si-
gnifierait Pensée divine; znan, maître, de sorte qu'en
langage ordinaire, Mazdaznan se traduirait par MAÎTRES-
SE PENSÉE.
Cette étymologie peut nous éclairer quelque peu sur
la lointaine origine du Mazdaznanisme que l'on trouve
en principe dans l'Avesta de Zoroastre.
Issue de ce livre sacré, la doctrine traitant de la vie
physique de l'homme s'est transmise aux Mèdes, puis
aux Juifs de la première époque, et, enfin, aux Gnosti-
ques du Moyen-Age. Mahomet, lui-même, ne fut pas sans
y puiser quelques-uns de ses principaux préceptes.
Il appartenait toutefois au Docteur Hanish, de Los
Angeles, de l'approprier à notre temps, en la débarras-
sant de son ésotérisme. Il semble que c'est moins l'âme
qu'il s'attache à améliorer ou à préserver, que le corps.
L'enseignement mazdaznanien est surtout une œuvre
de perfectionnement individuel.
D'après le petit tract qui nous a été confié, le but pour-
suivi est éminemment social, du fait que tout individu
qui s'inspire des principes de Mazdaznan « devient cons-
cient de sa responsabilité et s'applique à devenir un
modèle de caractère intègre, laborieux et productif, ser-
vant d'exemple à ses contemporains et exerçant une in-
fluence favorable dans son milieu ».
Chose singulière, le Dr Hanish ne s'adresse qu'à la
race blanche.
Pourquoi exclut-il les populations extrême-orientales?
Est-ce parce qu'il considère les races de couleur com-
me incapables de comprendre son enseignement ? Est-ce
parce qu'il estime, au contraire, que ces peuples n'en
ont pas besoin, étant donnés l'ascétisme religieux des
bouddhistes, shintoïstes, etc. et le mazdéisme déjà pra-
tiqué par certaines agglomérations de l'Inde ?
Ou bien, obéirait-il à une secrète rancune contre les
Asiatiques de l'Est ?
Notons, en passant, que, d'après lui, le berceau de la
race aryenne n'est point sur les plateaux de Pamir com-
me la science officielle le proclame, mais bien en Perse.
Le Dr Hanish s'est fait l'apôtre d'un Système univer-
sel d'Instruction, d'Education et de développement qu'il
a rendu facilement accessible.
De quoi s'agit-il ?
« De propager dans les familles, les écoles et le grand
public, les principes de vie qui éclairent tous les domai-
nes de la pensée humaine ,de faire connaître à l'individu
les moyens pratiques de s'affranchir des liens de la ma-
ladie et de l'hérédité et de développer toutes ses facul-
tés innées ».
Et ce, d'après des règles qui, nous l'avons dit, sont ré-
vélées dans le Zend-Avesta de Zoroastre.
L'auto-éducation préconisée comporte les sujets sui-
vants: «Alimentation judicieuse — Culture respiratoire
— Soins quotidiens d'hygiène — Mélothérapie — Régé-
nération individuelle, consciente (hygiène sexuelle ra-
tionnelle) — Psychologie appliquée et développement
des facultés latentes — Art de pensée — Culture inté-
grale de l'Individu par l'Individu ».
A ceux qui observeront les enseignements de Mazdaz-
nan sera réservée la triple récompense : « Santé solide,
pensée limpide, travail aisé ».
Les prescriptions sont nombreuses et constituent un
véritable code. Nous nous en tiendrons aux facteurs les
plus importants et les plus indispensables à l'améliora-
tion de l'existence et au développement mental, moral
et supérieur et qui sont, d'après le Dr Hanish, la nour-
riture rationnelle et la culture respiratoire.
La nourriture rationnelle consiste surtout à suivre le
régime végétarien, c'est-à-dire à bannir toute viande,
tout poisson, toute graisse; à ne manger que des légu-
mes crus (en été). Les céréales, farines et semoules en
bouillie ou potage, sont recommandées, de même que
les légumes secs, fruits séchés ou non. Le blé est, sous
toutes ses formes, particulièrement préconisé comme
étant l'aliment parfait. L'ail et l'oignon crus — horresco
referens ! — doivent avoir leurs grandes et leurs petites
entrées dans la nourriture.
tout alcool. Mais qui croirait qu'ils condamnent égale.
ment l'innocent café au lait de nos midinettes et de nos
bourgeois, parce qu'il est souvent
cause, disent-ils, de
dyspepsie, etc. ?
Un petit verre d'huile de paraffine ferait, d'après
eux,
mieux l'affaire...
C'est surtout de la culture respiratoire (le respir)
que doit le plus se préoccuper l'individu, s'il veut « s'é-
lever sur la courbe sans limite vers la Connaissance et le
Bonheur suprême ».
Voyons ce qu'en dit le Mazdaznan :
« Il y a des moments où l'on voudrait tout abandonner et
d'autres où l'on est plein d'enthousiasme ! Cet enthousiasme
est dû à l'inspiration reçue dans un état de relaxation, bien
qu'on n'en ait pas été conscient.

« L'homme qui garde son sang-froid et sa présence d'esprit,


quoi qu'il advienne, c'est l'homme qui, naturellement respire
pleinement, profondément, avec rythme et régularité.

« Si la capacité de votre souffle est faible et vos ennuis


sont nombreux, rappelez-vous qu'il vous est nécessaire d'accor-
der plus d'attention à ce que vous respiriez toujours à fond,
même en dehors des exercices que vous allez apprendre. Si
cela fatigue de respirer lentement et à fond, cela prouve que
vos poumons ne sont pas encore bien développés. Vous devez
vous faire un devoir de respirer à pleins poumons plus sou-
vent au cours de la journée, et même ces respirations purement
physiques vous ne pouvez les faire correctemnt qu'après avoir
dissipé toute espèce de tension dans votre corps et votre cer-
veau, c'est-à-dire en vous mettant dans un état de «relaxation».
« Une culture physique dans laquelle on n'accorde pas la
respiration avec les postures et les mouvements du corps n'a
pas de valeur réelle, car même si l'on y développe certains
muscles, cela se fait au détriment d'autres organes et si l'on
cesse l'entraînement pendant quelque temps, le corps retourne
de lui-même à son état antérieur. Tandis que la respiration,
qui ne fait que maintenir la circulation du sang, agit, elle,
sur les muscles par l'intermédiaire du système nerveux, dont
ils tiennent leur vraie force, et les maintient en état de fournir
de cette force, en temps voulu, la somme voulue ».
Et, maintenant, voici les exercices prescrits par le Dr
Hanish et qui vous serviront de talismans pour repous-
ser les tentatives de la maladie sur votre corps :
L'Aryama est le phénomène de l'aspiration.
« Relaxer » le corps ; garder la poitrine haute et im-
mobile; dès que le corps est relaxé, vider les poumons
jusqu'au dernier souffle en inspirant lentement et pro-
fondément jusqu'à ce qu'on soit certain qu'il ne peut
plus y entrer d'air. Ceci acquis, retenir le souffle pen-
dant dix secondes ou plus sans effort, expirer avec ai-
sance, inspirer de nouveau, profondément et garder le
souffle aussi longtemps que possible, toujours sans effort,
avant d'expirer.
On doit répéter cet exercice d'inspiration trois ou
cinq fois de suite. Il a pour effet de restaurer le système
nerveux et de faire grandir la confiance en soi qui per-
met à l'individu de résister aux influences mauvaises du
monde extérieur.
Le Yima est le phénomène d'expiration.
Rehausser la poitrine; tenir fermes les muscles pec-
toraux, « relaxer » tout le reste du corps ; garder la lan-
gue relaxée et reposant dans la cuvette de la machoire
ou repliée en haut contre le palais et ce, sans crisper
aucun muscle du visage ; expirer lentement et à fond jus-
qu'à ce qu'il soit impossible de faire sortir davantage
des poumons. A ce moment, arrêter toute action pendant
dix secondes sans tension ni effort ! Inspirer lentement
sans faire mouvoir la poitrine et après l'inspiration, ex-
pirer à fond comme avant, puis arrêter de nouveau le
souffle.
Cet exercice doit être fait de trois à cinq fois de suite.
Il faut avoir conscience, en respirant, que le respir est
l'agent vital par excellence et que la respiration a pour
effet d'enrichir la conscience individuelle. Mais, sans
concentration, on ne peut obtenir de bienfait durable,
alors que par le respir concentré on se sent « en harmo-
nie avec l'univers qui ouvre à l'individualité les portes
de l'Infini ».
Tout ceci n'est autre que le secret de la respiration
scientifique contenu, en termes obscurs, dans les man-
thras de Zoroastre et que l'on retrouve chez les Egyp-
tiens. L'enseignement est assaisonné de considérations
ayant un vague parfum de magie : les organismes étran-
gers qui envahissent le système nervo-cellulaire pour
l'empêcher de fonctionner normalement sont les « es-
prits du mal ». Pour les chasser, il faut réciter, en y con-
centrant fortement sa pensée, certaines formules dites
« paroles salutaires... »
Si vous voulez en savoir plus long, sachez qu'à la salle
Aryana, 18, rue de la Sorbonne, des cours et des confé-
rences sont institués par Mazdaznan.
La secte compte actuellement des milliers d'adeptes
répartis en Amérique, en Allemagne, en Suisse, en Hol-
lande, en Italie, en Suède, etc.
Nous offre-t-elle la panacée universelle ? Elle n'ose
encore y prétendre. Mais elle a sa littérature à elle, ses
publications où la thérapeutique des anciens est étudiée
à la lumière de l'hygiène moderne.
Nous ignorons si manger des carottes, oignons et aulx
crus doit, comme les Mazdaznaniens le prétendent, di-
minuer le nombre des criminels. Nous ignorons égale-
ment ce que pensent les pneumatologistes du « respir »
du Dr Hanish.
Mais, somme toute, il ne semble pas qu'avec ou sans
talismans, le système soit dénué de logique et de bon
sens.
Aussi, empruntons-nous à ce bon Coppée, en l'appli-
quant à Mazdaznan, ce vers médiocre, mais immortel :
« Et je n'ai pas trouvé cela si ridicule ».
Les Isiaques
Ne vous effrayez pas de ce vocable étrange et ne cro-
yez pas que nous allons vous entretenir seulement d'une
secte des anciens temps, ensevelie dans la nécropole des
croyances périmées.
Non, il s'agit de rénovateurs du culte d'Isis qui se réu-
nissent, de nos jours, dans un coin de Montmartre, et,
peut-être, quelques-uns de nos lecteurs seront surpris
d'apprendre que Maurice Boukay (aliàs Couyba), le
chansonnier célèbre, le parlementaire averti, l'ancien mi-
nistre de notre si peu athénienne République, fit partie
de leur groupement.
Certes, les Isiaques d'aujourd'hui ne portent pas de
robes de lin. Ils ne parcourent pas la ville, besace et clo-
chette en mains, sollicitant l'aumône, comme les prêtres
d'Isis de l'antiquité. Les nôtres semblent, au contraire,
se dissimuler, négliger toute propagande et célébrer
leurs « mystères » avec la clandestinité des Premiers
Chrétiens.
Pour pénétrer dans leur lieu de réunion situé au fond
d'un vieil immeuble de la Butte, il faut montrer « patte
blanche ». Aussi, avons-nous dû, nous, profane, nous
contenter de quelques bribes recueillies au cours de con-
versations avec l'un de ces rénovateurs, pour résumer,
en quelques lignes, ce que nous saisîmes de leur doc-
trine.
Auparavant, peut-être, convient-il de rappeler ce
qu'était cet Isianisme qui persista jusqu'au VIe siècle de
notre ère et qui dut être assez florissant dans l'Empire
romain, puisqu'à Pompéï on a découvert un temple isia-
que de vastes proportions.
D'après Diodore de Sicile, Isis signifie ANCIENNE,
c'est-à-dire Nature primordiale, Matrice universelle.
Les Egyptiens rappelaient la « Bonne Déesse » : d'a-
près leur mythologie, elle était la femme et la sœur d'O-
siris (On n'en était pas, en ce temps-là, à un inceste près;
d'ailleurs, dans sa Tétralogie, Wagner n'a pas craint de
suivre la tradition).
L'âme d'Isis était censée résider en l'étoile Sirius, nous
dit Plutarque. Mais c'est dans Apulée que nous trouvons
sa pleine définition (c'est Isis qui parle) :
« Je suis la nature, mère de toutes choses, la maîtresse des
éléments, la source et l'origine des siècles, la souveraine des
divinités, la reine des mânes et la première des habitants des
cieux. Je représente en moi seule, tous les dieux et toutes les
déesses... Je suis la seule divinité qui soit dans l'Univers, que
toute la terre révère sous plusieurs formes, avec des cérémo-
nies diverses et sous des noms différents... L'on m'appelle la
mère des Dieux ».
A rapprocher de l'inscription qui figure au célèbre
temple de Saïs ,dans le delta du Nil :
« Je suis ce qui a été, ce qui est, ce qui sera, et nul mortel
n'a soulevé mon voile ».
Les « mystères d'Isis » se célébraient dans toute
l'Egypte au solstice d'hiver. Son culte se répandait aussi
bien en Grèce qu'à Rome et, pour certains auteurs, Mi-
nerve cécropienne, Vénus Paphos, Cérès, Junon, Hécate
n'étaient autres que les noms sous lesquels Isis était vé-
nérée chez les divers peuples de l'antiquité.
Le surnom le plus commun d'Isis était celui de Mater
salutaris, c'est-à-dire Mère qui donne la santé. C'est ce
qui explique pourquoi nombre de thérapeutes, épris
d'ésotérisme, l'ont prise pour patronne et aussi pour-
quoi, dans les pays où le culte d'Isis persiste, notamment
en Provence, on la désignait sous le nom de Bonne-Mère,
vocable que l'on continue à appliquer à la Mère du
Christ alors que, presque partout ailleurs, on appelle
celle-ci ou la Sainte-Vierge ou Notre-Dame.
Bien avant que ne fût ressuscité le culte d'Isis sur
l'Aventin de notre capitale, l'Isianisme avait pénétré
dans les Gaules. Se doute-t-on que la barque qui figure
dans les Armes de la Ville de Paris... vous savez bien :
Fluctuat nec mergitur, n'est autre que la BARI, barque
sacrée d'Isis, adorée par les habitants de Lutetia Pari-
süorum ?
C'est dans la Cité que nous trouvons mention de cette
nef isiaque et il n'y a là rien d'invraisemblable, puisque,
d'après d'autres auteurs, un temple d'Isis a existé sur la
rive gauche de la Seine, non loin de la montagne Sainte-
Geneviève (Mons Leucotius). Il en subsistait de beaux
restes à l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés où l'on vo-
yait encore au XVIe siècle, la figure de la déesse, figure
qui, raconte M. Dubreuil dans son livre : Les Antiquités
de Paris, fut brisée par le Cardinal Briconnet parce que
le peuple l'adorait encore.
A la Galerie royale des Archives de Turin, on peut
admirer la fameuse Table Isiaque, découverte au XVIe
siècle. Elle aurait été achetée par le Cardinal Bembo à
un brocanteur qui s'en serait emparé, lors du sac de
Rome par le Connétable de Bourbon.
Sur cette curieuse table, en cuivre rouge, sont gravées
toutes les figures des dieux égyptiens : Apis, Ammon,
Osiris, Horus, etc., et au centre, rayonnante et magnifi-
que, celle d'Isis.
Si elle se trouvait à Rome, c'est qu'apparemment, le
Culte de cette déesse y était fort en honneur, au temps
des Césars.
Revenons aux Isiaques du XXe siècle qui, dit-on, pos-
sèdent, à Marseille, une réplique de la fameuse table,
considérée par eux, comme étant le calendrier des fêtes
égyptiennes.
Ces disciples d'Isis sont des croyants à la « Métenso-
matose », base de la morale de l'ancienne Egypte, d'après
laquelle, l'esprit se transmet en des corps humains suc-
cessifs. (C'est donc le dogme de la réincarnation que l'on
trouve, il y a des millénaires, ainsi proclamé). Ils se ré-
clament d'Isis surtout parce qu'elle était la « Bonne
Déesse », et que, pour eux, le cœur résume toute la doc-
trine.
« Le moyen d'arriver à unir la créature au Créateur
réside dans l'Enose, c'est-à-dire l'extase.
« Là où la raison s'arrête, le cœur s'élance et va jus-
qu'au sacrifice et au martyre » sont leurs aphorismes fa-
voris.
Leur mysticisme tend à établir une « loi de bonté qui
s'impose d'elle-même au cœur de l'homme et lui fait dé-
couvrir la fraternité universelle à travers la hiérarchie
des êtres ».
Pour eux, cette fraternité s'appuie sur une double loi
d'évolution et d'involution, loi par laquelle, tandis que
Dieu descend et se replie dans l'Univers, l'Univers monte
et se déploie vers Dieu.
C'est cette loi qui explique, chez le peuple égyptien —
le plus religieux de la Terre, — ce culte des animaux sa-
crés qui échappe à notre compréhension. Encore faut-il
ne pas oublier que, contrairement à l'opinion générale-
ment répandue, la religion égyptienne était monothéiste
et que, d'après les papyrus du Musée de Boulaq, traduits
et commentés par le savant égyptologue Eug. Grébaut,
l'ensemble des dieux formait la collection des personnes
(personae, rôles) dans laquelle réside le DIEU UN QUI
EST SANS SECOND.
D'ailleurs, Jamblique qui a si longtemps fouillé les
philosophies anciennes, n'a-t-il pas écrit :
« La doctrine symbolique nous enseigne que, par le grand
nombre des divinités, elle ne montra qu'un seul Dieu et par
la variété des pouvoirs émanés de lui, l'unité de son pouvoir.
C'est ainsi que parlaient les philosophes égyptiens eux-mêmes
et qu'ils s'exprimaient dans les livres sacrés » ?
Ce qui revient à dire que tels les daïmons des grecs et
les saints de l'Eglise, les personnages du panthéon égyp-
tien n'étaient que des divinités secondaires servant d'in-
termédiaires entre le Dieu unique et ses adorateurs.
Et que dites-vous de cette inscription déchiffrée ré-
cemment dans nous ne savons quel hypogée :
« La bête est plus proche de Dieu que l'homme, l'herbe
plus proche que la bête et le limon plus proche que l'herbe;
le soleil est le bloc de limon embrasé : Dieu » ?
Ont-ils vraiment un culte ? La déesse Isis a-t-elle des
autels où viennent l'implorer les malades, comme d'au-
cuns vont chanter le Miserere de la souffrance à Lour-
des ou à N.-D. de la Salette ?
L'ésotérisme des nouveaux Isiaques semble jalouse-
ment gardé.
Les Anthroposophes
Nous avons déjà passé en revue un certain nombre de
« religions » anciennes ou nouvelles, et voici qu'un ha-
sard bienveillant nous a révélé l'existence d'un mouve-
ment fort intéressant qui se présente à nous sous le nom,
pour le moins singulier, d'anthroposophisme.
C'est 6, rue Huyghens, au milieu d'un nid d'ateliers
d'artistes que siège le groupement des anthroposophes
parisiens. Une plaque, avec flèche, indique l'entrée de la
Bibliothèque Steiner où se réunissent les adeptes. La
salle, aménagée dans un studio largement éclairé, n'offre
rien de particulier, sauf que, sur le fronton de la pièce
réservée à la Bibliothèque, des silhouettes de carton re-
présentent différentes attitudes ou figures de danse qui
n'ont rien d'ésotérique.
Aucune décoration, aucun emblème cultuel. Une sim-
ple table pour le conférencier, un tableau noir pour les
démonstrations, des chaises pour les auditeurs et c'est
tout.
Le jour que nous y fûmes, quatre-vingts personnes en-
viron, en très grande majorité du sexe féminin, étaient
venues entendre un des principaux initiés, M. Pierre
Morizot, homme grave, front dégarni, courte moustache,
traits accentués, yeux inquiets. D'une voix dépourvue de
toute emphase, mais néanmoins très pénétrée, il traita
du cancer, sujet inattendu dans un milieu que nous cro-
yions préoccupé surtout de questions moins douloureu-
ses.
L'anthroposophie, nous a-t-on dit, est à la fois une
méthode rigoureuse de développement intérieur et une
science précise des mondes spirituels. Elle perce deux
routes : l'une, vers la connaissance du soi; l'autre, vers
la connaissance du Monde.
Son fondateur, le docteur Rudolf Steiner, est un Hon-
grois, né en 1861 et mort, il y a quelques années, à Dor-
nach (Suisse). Il était surtout connu comme un éminent
occultiste. Mais il n'était pas que cela. D'après le re-
gretté Edouard Schuré, l'auteur des Grands Initiés, il
fut un merveilleux penseur qui chercha toute sa vie à
réaliser l'unité de la science, de l'art et de la religion, un
hardi philosophe dont les larges vues embrassaient toute
l'histoire de l'humanité et tendaient à infuser l'esprit
spiritualiste à la science moderne, sans rien enlever à
cette dernière de sa rigueur et de sa clarté. De plus, Stei-
ner était poète et auteur dramatique.
Pourquoi appela-t-il sa doctrine Anthroposophie (con-
naissance de l'homme) ?
Par la raison qu'elle repose tout entière sur la cons-
cience et l'éveil intérieur du MOI, qu'elle est la science
initiatique annoncée depuis des siècles par l'Esotérisme
chrétien. Mais pour garder un jugement impartial, il es-
timait qu'acquérir uniquement des pouvoirs personnels
et accroître ses facultés ne pouvaient suffire. Aussi, Stei-
ner s'efforçait-il de rendre pratiquement possible l'étude
des forces spirituelles qui agissent dans l'Univers visible
et invisible.
A cet effet, il fit ériger à Dornach, près de Bâle, le
GŒTHÉANUM. Si nous en jugeons par la photographie
qui nous a été aimablement offerte, c'est un monument,
peut-être symboliquement conçu, mais qui, à première
vue, a l'aspect funèbre d'un colossal cénotaphe.
Le nom de GŒTHÉANUM indique assez que Steiner
s'était assimilé l'esprit de Gœthe, modèle d'humanité
complète : ein Schutzgeist edler Menschlichkeit, ainsi
que l'a qualifié W. J. Stein.
Ce Gœthéanum, siège de l'Université libre de Science
Spirituelle, est devenu aujourd'hui un remarquable cen-
tre de toutes les activités, qu'il s'agisse d'investigations
spirituelles, de sciences naturelles, de la rénovation des
arts : musique, peinture, théâtre, etc., ou des problèmes
modernes de la vie sociale et de l'éducation.
On y trouve les laboratoires pour étudier l'action des
astres sur les sels minéraux, sur la « qualité » des corps,
alors que la science officielle ne s'occupe que de la
« quantité », c'est-à-dire de ce qui, seulement, peut se
mesurer, se peser ou se toucher. De nouvelles méthodes
de recherches, dans tous les domaines, y ont été instau-
rées.
Ajoutons que, chaque année, au mois d'août, un cours
d'une semaine, y est donné en langue française : cours
accessible à tous ceux qui désirent connaître les ensei-
gnements de la « Science Spirituelle ».
Lorsque Rudolf Steiner vint à Paris, en 1906, pour la
première fois, il était encore tout imprégné de théoso-
phisme. Il fut un de ceux qui eurent le mérite de faire
pénétrer, dans la mentalité occidentale, les idées fonda-
mentales de la pluralité des existences sous la loi de Kar-
ma, et de l'évolution de l'humanité sous l'influence de
puissances spirituelles. Mais il n'était pas Aryen pour
rien ! Alors que la Théosophie nie ou plutôt néglige le
rôle du Christ dans l'évolution humaine, lui, au con-
traire, voyait dans Jésus l'axe même de cette évolution,
le VERBE DIVIN sous la figure humaine, prédit sous des
noms divers, dans les sanctuaires de la Perse, de la Chal-
dée, de l'Inde et spécialement annoncé par la vision de
l'Osiris ressuscité appelé le Soleil de Minuit dans les
cryptes de l'Egypte.
Nous n'entrerons pas dans les détails des conceptions
de Steiner sur l'Egoïsme et la Magie noire, le F eu-prin-
cipe, la Vie végétale et pullulante, le Tourbillon des for-
ces animales, la Vie négative ou la mort, l'Enveloppe mi-
nérale de la Terre, puisque, de son propre aveu, cet ex-
traordinaire graphique de l'intérieur de notre planète ne
peut être contrôlé par aucun des moyens d'observation
de la Science naturelle.
Retenons seulement que, d'après le savant occultiste,
il y aurait parallélisme entre le feu cosmique et les
passions humaines, et que toutes les grandes convulsions
sociales (guerres, révolutions, etc.) auraient presque tou-
jours été accompagnées ou suivies de tremblements de
terre, d'éruptions volcaniques, etc. Ce qui donnerait rai-
son à l'aphorisme cher aux Américains : « C'est là na-
ture qui agit dans les phénomènes sociaux ».
Les anthroposophes prétendent rétablir l'harmonie
entre le monde matériel et le monde spirituel, c'est-à-
dire, entre la Science et la Religion. D'où cette devise
qui sert d'épigraphe à leur Revue, la Science spirituelle :
« La religion sera scientifique et la science religieuse ».
Leur doctrine est moins un système qu'un nouveau
mode d'acquisition des connaissances, à l'aide duquel la
science moderne doit être rénovée et complétée, toute
théorie philosophique ou scientifique n'étant qu'un
effort d'adaptation de l'esprit humain en développe-
ment continu dans un univers en perpétuelle évolution.
Ils veulent que chaque forme contienne, en germe, la
forme future qui naîtra d'elle. C'est pourquoi la « Scien-
ce Spirituelle » s'attache à observer non seulement la
transformation des formes, mais l'être tout entier, qu'il
s'agisse d'une plante, d'un animal, d'un minéral, la Terre
tout entière elle-même étant considérée comme un être
vivant.
Pour les anthroposophes, le minéral a, comme l'hom-
me, comme l'animal, et même la plante, un corps éthé-
rique, un corps astral et un moi; chaque métal a sa
personnalité marquée !
« Connaître les lois de la finalité, ce serait connaître
le secret de la vie et le secret du destin; ce serait pou-
voir agir sur la vie et la destinée », disent-ils.
Le Dr Steiner ne désespérait pas, grâce à ce qu'il
appelait la « pensée vivante » d'atteindre à cette con-
naissance.
Le plus curieux de la doctrine anthroposophique, c'est
que, pour elle, l'homme n'est pas du tout l'aboutisse-
ment de l'animalité, comme le veut le Darwinisme.
Selon Steiner, au contraire, l'humanité est le tronc
principal dont les différents rameaux se seraient déta-
chés pour former les espèces animales.
En un mot, d'après lui, l'ancienne forme humaine
était semblable à celle des oiseaux ; qu'auparavant, l'hom-
me avait été au même niveau que les poissons et, anté-
rieurement encore, que l'être était formé d'une seule
cellule : la monaire de Haeckel.
En résumé, la « science spirituelle » des anthroposo-
phes considère l'homme comme existant dès le début, et
les différentes branches animales comme des résidus, des
hommes dégénérés !
Ce qui donne une singulière saveur à l'anthroposo-
phie, c'est qu'on y trouve, mêlées à une science certaine,
des traditions mystagogiques que l'on pourrait croire
contradictoires.
Ainsi, la chute de l'humanité serait due à l'action luci-
férienne. La mission du Christ aurait été d'avoir redon-
né à l'homme « la possibilité d'un corps glorieux ».
C'est par la connaissance de cette haute entité cosmi-
que (Jésus) que Steiner a commencé la transformation
de la mentalité scientifique de notre temps, puisque,
d'après un de ses plus éminents disciples, la science et la
Religion de l'avenir ne peuvent s'unir que dans le Christ
et par lui.
Et que dire de la conception anthroposophique de la
hiérarchie céleste : anges, archanges, archées ? Nous en-
tendons bien que cette hiérarchie existe dans presque
toutes les religions, sous des noms divers. Mais n'est-il
pas inattendu de la voir figurer dans une doctrine qui se
targue d'être scientifique ?
Naturellement, le philosophe de Dornach proclame la
grande loi de la réincarnation des âmes, selon la formule
de Novalis : « Lorsqu'un esprit meurt, il devient hom-
me. Lorsque l'homme meurt il devient esprit ».
Une des particularités de l'anthroposophie est l'im-
portance qu'elle attache à l'enseignement de la danse ou
plutôt de l'Eurythmie, sorte de gymnastique qui conver-
tit un art du mouvement matérialiste en un art du mou-
vement spirituel.
Dans une magnifique brochure illustrée écrite par
Mme Rihouët, l'Eurythmie et qui porte cette épigraphe
de Rudolf Steiner : « L'Eurythmie est la forme des so-
norités du langage et de la musique, nous lisons :
« Entre la danse et la mimique, la sculpture et la peinture,
entre la poésie et la musique, l'Eurythmie trouve sa place
propre, tout en les unissant en elle. Des arts plastiques, elle
a les formes silencieuses. Des arts du son, elle a le mouvement
et le rythme. Des arts de la pensée, elle a l'expression spiri-
tuelle... L'Eurythmie n'est pas une danse, au sens où s'em-
ploient actuellement et la chose et le mot. Bien plutôt sera-
t-elle le salut de la Danse si, purifiant l'instrument vivant du
corps humain, elle l'offre comme un temple à l'Esprit ».
Le praticisme de Steiner l'avait, d'autre part, conduit
à placer la force de régénération que possède l'Eu-
rythmie à côté des grands agents connus en thérapeuti-
que, à telles enseignes qu'elle est employée dans plu-
sieurs cliniques, notamment à l'Institut d'Aarlesheim,
près Bâle, dirigé par la Doctoresse Wegmann.
Assurément, la chorégraphe de génie qu'était Isadora
Duncan n'avait pas prévu une telle application de son
art !
L'anthroposophie a des adhérents dans toutes les par-
ties du monde. L'Association Internationale qui a son
siège à Dornach, compte environ 16.000 membres. Elle
est présidée par le poète et romancier suisse Albert Etef-
fen.
Il s'est fondé à Stuttgart (Wurtemberg) sous l'égide du
Gœthéanum, l'Ecole Waldorf où mille élèves sont ins-
crits. Il faut croire qu'elle donne de bons résultats, puis-
qu'elle est subventionnée par le Gouvernement. Ce qui
prouve que, chez nos voisins de l'Est, on n'a pas peur des
nouveautés !
Peut-être trouvera-t-on que, dans l'anthroposophisme,
il y a par trop de théories et d'hypothèses... Mais, com-
me l'a dit Gustave Le Bon : « Rien n'est simple dans la
nature. Les vérités simples ne sont que des apparences
ou des fragments de vérités ».
Les Saint-Simoniens
Le Centenaire du romantisme a suscité la célébration
d'autres centenaires. Toutefois si nous en exceptons no-
tre excellent confrère Georges Montorgueil qui, inspiré
par une vitrine renfermant des reliques d'Enfantin, con-
sacra dans le Temps, une suggestive chronique aux tem-
ples Saint-Simoniens, il ne semble pas que l'on ait beau-
coup parlé, dans la presse, du Saint-Simonisme.
Et, pourtant, Dieu sait combien, avant et après les
Trois-Glorieuses, cette «religion» passionna les esprits !
A un banquet fouriériste auquel, par devoir profes-
sionnel, nous assistâmes il y a quelques lustres, nous
fîmes la connaissance d'un « quarante-huitard » qui
nous avoua pratiquer le Saint-Simonisme.
Il nous parut, depuis, intéressant de rechercher s'il en
existait encore quelques adeptes. Et nous en avons trou-
vé, précisément dans ce quartier de Ménilmontant où le
« Père Suprême » tint ses dernières assises.
Grâce à un annuaire, nous pûmes découvrir dans le
haut de la rue des Couronnes, le petit-fils du vieillard
avec lequel nous nous étions entretenu vers la fin du siè-
cle écoulé, et dont nous avions précieusement conservé
le nom.
Nous fûmes introduit dans une pièce-omnibus, à la
fois salon, salle à manger et bureau. Entre des estampes
joliment encadrées, un embryon de bibliothèque, et, sur
cette bibliothèque, un buste en plâtre, celui du « Père
Enfantin », reconnaissable à la forme bizarre du col du
vêtement s'ouvrant sur un gilet sans boutons et fermant
très haut, assez semblable à la vêture des clergymen.
L'hôte survint, au moment où, curieusement, nous
examinions les titres des volumes. A côté d'œuvres d'A-
lexandre Dumas, de Victor Hugo, de Lamartine, de la
Vie de Jésus, de Renan, figuraient la Vie éternelle, la
Morale d'Enfantin, le Catéchisme des industriels de
Saint-Simon, et quelques brochures fatiguées, peut-être
centenaires.
Avec ses yeux clairs, son poil abondant et sa puis-
sante ossature, le maître du logis nous rappelait assez le
personnage de « Barbe d'or » décrit par Zola, dans
l'Assommoir.
Après les préliminaires de présentation et d'excuses,
nous nous permîmes de l'interroger sur le Saint-Simo-
nisme et ce qui en subsistait.
Un sourire éclaira son visage lorsque nous lui parlâ-
mes de son aïeul. Il nous confessa qu'ils n'étaient plus
qu'une centaine d'adeptes — à Paris du moins — ayant
conservé le culte du « Père », c'est-à-dire d'Enfantin.
Qu'importe ! ajouta-t-il, l'heure viendra où notre Dieu
s'imposera à la Société, lorsqu'elle sera remise des se-
cousses qui, depuis un siècle, n'ont cessé de l'ébranler.
Et comme un prêtre prend respectueusement l'Evan-
gile, il tira de la Bibliothèque, un mince volume à cou-
verture chamois, le Livre nouveau, et nous lut :
« Tout est en lui (Dieu) ; tout est par lui. Chacun de nous
vit dans sa vie et nous, nous communiquons en lui. Les lettres,
les sciences et les arts sont la parole de Dieu. Le Verbe suprê-
me, le Verbe infinitésimal se résoudra dans l'art en paroles
et hors de l'art en symboles; le savant le traduira en formules
et l'industriel en formes limitées ».
Il nous raconta ensuite qu'ayant « fait » la guerre, il
en avait connu de près les atrocités et en était revenu,
farouchement pacifiste. Depuis seulement, il s'était adon-
né à la lecture des « anciens », c'est-à-dire des œuvres
saint-simoniennes, léguées par ses parents et qui consti-
tuaient une bonne partie de sa modeste bibliothèque.
C'était donc presque un néophyte. Questionné sur ses
rapports avec ses coreligionnaires encore existants, il
nous dit qu'il en rencontrait, deux fois par an, à des ban-
quets commémoratifs...
Qu'est-ce que le Saint-Simonisme ?
Au début, il porta le nom d'« Eglise industrielle ».
C'était une sorte de communisme fortement hiérarchisé,
imaginé par le comte de Saint-Simon, parent éloigné du
fameux auteur des Mémoires.
Né à Paris, en 1760, Claude de Saint-Simon prit part
à la guerre de l'Indépendance en Amérique. C'est à son
retour en France qu'il se donna pour mission d'étudier
la marche de l'esprit humain et de travailler au perfec-
tionnement de la civilisation.
Doué d'un esprit d'assimilation des plus remarqua-
bles, il inventoria toutes les richesse philosophiques et
scientifiques de son temps, consacrant sa fortune à des
recherches jusqu'à ce qu'il eut épuisé toutes ses ressour-
ces.
Son premier ouvrage date de 1802 : Lettres d'un ha-
bitant de Genève où l'ironie se mêle à une solide argu-
mentation. Il publia ensuite cette magnifique Introduc-
tion aux travaux scientifiques du XIXe siècle, source où
jusqu'à nos jours maints savants ont puisé.
Ce qui n'eût certainement pas été sans gêner Aristide
Briand, c'est qu'il eut en Saint-Simon un précurseur. On
doit, en effet, à ce sociologue un magistral exposé : De la
nécessité et des moyens de rassembler les peuples de l' Eu-
rope en un seul corps politique en conservant à chacun
son indépendance nationale, qui ressemble singulière-
ment au fameux Memorandum de l'Inspirateur du pacte
de Locarno.
Le Saint-Simonisme poursuivit d'abord une rénova-
tion purement sociale : amélioration du sort de l'huma-
nité par la science; réorganisation de la société par le
travail; association des travailleurs aux producteurs et
aux industriels, afin que tous les efforts soient dirigés
vers un but commun.
A cet effet, Saint-Simon imagina, en 1824, le Catéchis-
me des industriels dans lequel il unissait la philosophie
des sciences à celle de l'industrie et organisait, sur de
nouvelles bases, la religion, la famille et la propriété :
Exaltation du travail, tout en le hiérarchisant d'après le
principe « à chacun suivant ses capacités, à chaque ca-
pacité suivant ses œuvres », partant plus d'oisiveté et
plus d'héritage; organisation des travaux pacifiques de
l'industrie, par conséquent plus de guerre ; égalité et har-
monie entre la chair et l'esprit, par conséquent plus d'as-
cétisme et plus de mépris des richesses; négation de l'an-
cien antagonisme entre le pouvoir temporel et le pouvoir
spirituel; pouvoir personnel fondé sur l'attrait et deve-
nu loi vivante, par conséquent, plus de lois écrites.
Ce fut après sa mort, survenue en 1825, que son œu-
vre s'affirma d'une manière éclatante, groupant autour
d'elle d'éminents esprits, parmi lesquels il convient de
citer Auguste Comte, Armand Carrel, Adolphe Blanqui,
Pierre Leroux, Jean Reynaud, etc.
A cette époque, les Saint-Simoniens fondèrent un or-
gane d'abord hebdomadaire, puis mensuel, le Produc-
teur, dans lequel on ne peut lire sans étonnement nom-
bre de vastes projets qui se sont réalisés depuis : Perce-
ment de l'isthme de Suez, Assurances sociales, (mais au-
trement bien conçues que celles que nous subissons !),
Organisation des établissements de crédit, des réseaux de
voies ferrées, etc.
Y collaborèrent Ch. Duveyrier, les banquiers Péreire,
Léon Halévy, Michel Chevalier, Lachambaudie, Ad.
Guéroult, Ed. Charton, fondateur du Magasin Pittores-
que et mort sénateur, personnages bien oubliés aujour-
d'hui, mais qui, alors, étaient de premier plan.
C'est en 1830 que l'Association saint-simonienne re-
vêtit son caractère religieux, ayant comme grands-prê-
tres, le polytechnicien Barthélemy Enfantin et le carbo-
naro Bazard.
La nouvelle église se proclamait à la fois «héritière du
catholicisme et continuatrice de la Révolution et voulait
achever de ruiner ce qui restait du trône et de l'autel et
reconstituer sur ses débris la société et l'autorité ».
Le premier Temple du nouveau culte fut inauguré rue
Monsigny, dans l'ancien hôtel de Gesvres. Si nous en cro-
yons la documentation apportée par Georges Montor-
gueil, les réunions qui s'y tenaient n'avaient rien de par-
ticulièrement austère :
« Enfantin, Bazard et sa femme, propagandiste exal-
tée, Michel Chevalier, avec d'autres, s'y groupèrent :
tous apportaient en venant du mobilier, du linge, de l'ar-
genterie, de la vaisselle. On y menait l'existence en com-
mun. Pendant l'hiver 1830-31, les soirées furent nom-
breuses et animées. La doctrine s'y enseignait aux sons
du piano et sous le regard inspirateur des femmes. Hip-
polyte Carnot, fils de l'Organisateur de la Victoire, écrit
dans ses souvenirs : « Souvent Liszt prenait place au
piano et s'abandonnait à sa fantaisie. Adolphe Nourrit
était très entouré. Des dames furent amenées. On causait
par groupes, on dansait quelquefois... ». « C'était un
spectacle inouï, écrit de son côté Charton, de voir le
mouvement silencieux et la joie sérieuse qui régnaient
dans ces salles encore brillantes des restes d'anciennes
splendeurs, mais alors éclairées par quelques pâles bou-
gies et dépouillées de leurs riches tentures. Trente ou
quarante jeunes gens, ingénieurs, médecins, avocats, les
traversaient en tous sens, se serrant les mains et s'em-
brassant avec un véritable attendrissement ».
Enfantin était, cela va sans dire, l'âme de ces assem-
blées. Il y prêcha l'abolition de tous les privilèges de la
naissance, la transformation de la propriété, l'abolition
du mariage et l'égalité absolue de l'homme et de la fem-
me. Il en vint à s'annoncer comme un nouveau Messie
qui ne devait être complet que lorsqu'adviendrait la
Femme-Messie,
Cette extravagance amena une profonde scission avec
Bazard qui, lui, restait toujours partisan de la « sainte
loi du mariage » et n'admettait pas le « couple-prêtre ».
Enfantin perdit alors quelques fidèles, tandis que de
nouvelles recrues vinrent compenser les défections, car,
s'il attendit en vain le Messie femelle, nombre de fem-
mes s'engouèrent d'une doctrine qui leur ouvrait le sa-
cerdoce.
La Société du Ministère religieux par les femmes, ré-
cemment constituée en Angleterre pour revendiquer au-
près de l'autorité ecclésiastique anglicane, le droit d'of-
ficier, de confesser et de donner l'absolution, a donc un
précédent dans le Saint-Simonisme.
Il y a bien eu, dans le Royaume-Uni, une ministresse
du Travail, des femmes jurées et membres de la Chambre
des Communes... Et, en France, n'eûmes-nous pas des
sous-secrétaires d'Etat féminins sous le proconsulat de
Léon Blum !
Il est vrai que l'Eglise anglicane, n'étant qu'un schis-
me de l'Eglise catholique, continue à considérer l'abso-
lution comme un sacrement qui ne peut être conféré que
par des prêtres régulièrement consacrés par un évêque...
Mais quoi ! Par ce temps de modernisme, peut-être ver-
rons-nous surgir quelque accommodement !
Un autre temple saint-simonien fut ouvert, en 1831,
dans une salle de concert, rue Taitbout. Louis Blanc nous
en a fait cette description :

« C'était une vaste salle sous un toit de verre autour de


laquelle tournaient trois étages de loges. Devant un amphi-
théâtre, dont une foule empressée couvrait dès midi, tous les
dimanches les banquettes rouges, se plaçaient sur trois rangées
des hommes sérieux et jeunes, vêtus de bleu parmi lesquels
figuraient quelques dames en robes blanches et en écharpes
violettes. Bientôt, paraissaient les deux Pères suprêmes, Ba-
zard et Enfantin. L'orateur était le plus souvent Fournel direc-
teur dès usines du Creusot, mais surtout Barrault, professeur
d'éloquence, dont les discours, d'une chaleur colorée, susci-
taient plus de curiosité et de bravos que de conversions ».
Ces églises furent fermées par l'autorité judiciaire.
Cependant Enfantin ne se découragea pas. Pressenti
pour jouer un rôle politique, n'avait-il pas répondu :
« Je ne veux être ni député du peuple, ni général de la
Nation. Je veux être et suis député de Dieu et l'un des
généraux de la Nouvelle Milice ? »
Il organisa, sur les hauteurs de Ménilmontant, une es-
pèce de phalanstère où il vécut au milieu d'une trentaine
de disciples pleins de ferveur et qui ne le désignaient
que sous le nom de PÈRE, mot brodé sur sa tunique.
Parmi ces disciples, on comptait M. d'Eichthal, ban-
quier, M. Talabot, qui fut directeur de la Compagnie
P.-L.-M, Flachat, ingénieur, etc. Une vraie règle monas-
tique régissait la communauté : les uns balayaient les
cours, les autres lavaient la vaisselle ou épluchaient les
légumes, etc. Tous travaillaient en chantant des hymnes
dont Félicien David avait composé la musique. On se le-
vait à 5 heures du matin, au son du cor. Chasteté absolue
ordonnée jusqu'à l'avènement attendu de la Femme-
Messie. Ce qui n'empêchait pas le Père Enfantin d'ensei-
gner que la chair si longtemps avilie par l'idée chrétien-
ne devait être réhabilitée...
Si nous nous en rapportons à Georges Montorgueil, la
plus importante cérémonie était la prise d'habit : « On
voit à l'exposition romantique un dessin de la main du
Père Enfantin destiné à guider Raymond Bonheur —
saint-simonien militant et père de Rosa Bonheur — l'exé-
cution du costume apostolique : tunique en drap bleu
barbeau ouverte sur la poitrine; gilet blanc s'agrafant
dans le dos, attention symbolique, puisqu'il ne pouvait
s'attacher que grâce à une aide fraternelle; pantalon de
coutil bleu ou blanc, ceinture en cuir verni et le nom de
l'adepte brodé sur le gilet ».
Lorsqu'en 1833, Enfantin fut traduit en Cour d'Assi-
ses pour outrages à la morale, ce fut en ce costume qu'il
comparut, escorté de ses disciples pareillement vêtus.
Les journaux de l'époque ont longuement raconté les
débats, non sans souligner le ridicule qui s'attachait à
une telle manifestation vestimentaire. Mais ils ont aussi
rapporté le frisson qui courut dans la salle, lorsque En-
fantin, découvrant sa poitrine sur laquelle le mot « Pè-
re » se détachait en lettres blanches, lança sa fameuse
apostrophe : « Juges de Charles X, récusez-vous... » qui
fit pâlir et trembler sur leurs sièges, les magistrats de la
jeune Monarchie de Juillet.
Enfantin n'en fut pas moins condamné à un an de pri-
son. Gracié au bout de quelques mois, il partit pour
l'Egypte d'où il revint, incompris et ruiné, pour s'étein-
dre, en 1864, à Paris.
Comme Polyeucte, avant d'expirer, avait confessé sa
foi au Dieu des Chrétiens, il répéta encore à son lit de
mort, tant, malgré les coups de l'adversité, son optimis-
me était demeuré robuste, cette phrase qui avait servi
d'épigraphe au Producteur": « L'âge d'or qu'une aveugle
tradition a placé jusqu'ici dans le passé est devant
nous ».
Hélas ! il y a bien loin d'ici à Tipperary !
Les Immortalistes

Il y a une cinquantaine d'années que, dans l'officine


d'une herboristerie qui en resta célèbre à Marseille, prit
naissance l'Immortalisme.
L'un des protagonistes — le principal, dirons-nous —
était Marius George, spirite ardent et convaincu jusqu'au
sacrifice, mais à qui répugnaient les pratiques et les idéo-
logies extravagantes des disciples d'Allan-Kardec.
De petite taille, des favoris à la François-Joseph, les
yeux fulgurants, et, avec cela, d'une timidité quasi mala-
dive, née, peut-être, d'un léger bégaiement qui affectait
sa parole, il n'avait rien d'un prophète, ni d'un sectaire;
mais, plume en main, il se révélait un penseur puissant.
Autodidacte dans toute la force du terme, il s'était assi-
milé avec une surprenante sûreté tous les systèmes phi-
losophiques, astronomiques, sociaux, scientifiques, de
son temps, pour en arriver du matérialisme le plus pur à
un spiritualisme bizarre, bien qu'il se défendît d'être spi-
ritualiste, dans le sens attribué à ce mot.
Comment était-il arrivé à croire à la survie, alors que
ses idées premières, ses tendances positivistes, le rete-
naient dans les rêts d'un étroit rationalisme ?
On nous a raconté que, après la mort de sa femme,
« guérisseuse » renommée dans toute la région, il eut des
« manifestations » d'un ordre si particulier, si intime, si
convaincant, qu'il brûla ce qu'il avait adoré et adora ce
qu'il avait brûlé, et devint ainsi un fervent adepte de la
survivance. Il constitua même chez lui un groupe fort
important d'expérimentateurs dégagés de toute tendance
scolastique ou religieuse.
C'est en 1886 qu'il se sépara nettement des Kardécis-
tes pour arborer le drapeau « immortaliste ».
Il fonda, à cet effet, la Vie Posthume, revue fort sug-
gestive, bourrée d'observations et qui rallia très vite un
certain nombre de personnalités en vue dans le monde
spécial que préoccupent les questions de l'au-delà.
Marius George compta parmi ses collaborateurs le doc-
teur Rougier-Grangeneuve, J. B. Roux, Camille Chai-
gneau, le docteur J. Gérard, cet ancien officier des Cent-
Gardes qui eut si fort maille à partir avec la Faculté, à
cause de son livre « La Fécondation artificielle », etc.
Comme bien l'on pense, cela fit grand bruit dans le
Landerneau spirite qui ne concevait pas qu'on pût croire
à l'immortalité, sans faire intervenir la Divinité, et ad-
mettre l'unité de la matière, alors que, de tous temps, le
spiritualisme avait proclamé la dualité de l'être humain:
le corps (matière), l'âme (immatérielle et d'essence di-
vine).
Lorsque cette même années (1886), se tint à Lille le
Congrès International de la Libre-Pensée, les Immorta-
listes y furent représentés et déposèrent un Rapport qui
suscita quelque rumeur dans un milieu évidemment peu
préparé à un semblable manifeste.
Citons-en quelques extraits qui permettront à nos lec-
teurs de juger des tendances de ce groupement :
« Lorsque nous jetons un coup d'œil rétrospectif sur l'his-
toire du monde et que nous voyons les religions succéder aux
religions, puis les brumeuses philosophies spiritualistes se
partager les régions de l'intelligence et naufrager à leur tour
pour faire place au matérialisme néantiste, nous nous sommes
demandés si ce même matérialisme devait être l'expression su-
prême de la vérité.
« Après en avoir étudié et admiré la hauteur morale, puis-
qu'il demande à l'homme le bien sans espoir de compensation,
nous avons été arrêtés par une lacune immense qui nous a
empêchés de conclure.
« Quoi ! nous sommes-nous dit, tout dans la nature pro-
gresse en se transformant et seul, l'homme se dissoudrait dans
un irrévocable néant, perdant ainsi tout ce qui constitue son
individualité : sentiments, science, intelligence ? Ainsi l'hom-
me sage et honnête dans la pure acception du mot, verrait dis-
paraître à jamais le perfectionnement moral qu'il aura péni-
blement acquis par des combats incessants ?
« Il y aurait là une effroyable injustice; et l'injustice ne
saurait être une loi !
« Nous mettons de côté toute idée spiritualiste, car nous
concevons fort bien que les chercheurs aient une certaine
indifférence pour les théories anciennes qui admettent encore
deux éléments distincts dans la nature humaine : le corps,
être matériel; l'âme, substratum impondérable, devant échap-
per par conséquent à l'investigation scientifique...
« Alors même que toute croyance a disparu, il reste dans
l'âme du spiritualiste, un vieux levain de mysticisme qui se
révolte contre l'idée de la matière et rien que de la matière,
sans qu'il se rende compte que le domaine de cette même
matière est illimité et que, par conséquent, elle peut atteindre
des exquisivités inconnues encore. Mais ce n'est qu'une affaire
de temps. Comme on n'a gardé des religions anciennes qu'un
respectueux souvenir, dans le prochain siècle des sciences, on
rappellera le spiritualisme idéaliste pour montrer les degrés
de l'échelle que la philosophie aura gravis.
« A côté du matérialisme, est venue se fonder une doc-
trine, belle entre toutes et séduisante autant que n'importe
quelle religion, c'est le positivisme d'Auguste Comte. Avec lui,
la philosophie expérimentale a remplacé le systématisme des
néantistes. Mais il ne s'attachera qu'à l'humanité et rien qu'à
l'humanité, sans même concevoir l'hypothèse d'un au-delà et,
par ce fait, le positivisme que nous considérions comme le
corps de doctrine le plus complet, se ferme le cercle des con-
naissances humaines et s'interdit toute nouvelle découverte.
« C'est alors qu'éclate la contradiction flagrante du mot
« positivisme » qui, somme toute, veut dire : étude positive
des phénomènes de la nature, avec le parti-pris de ne jamais
rechercher tout ce qui pourrait se rapporter à ce qu'on appelle
dédaigneusementla métapsychique. Or, la métapsychique n'est
souvent que de la physique inconnue, les dernières découvertes
l'ont prouvé ».
Et le rapport signalait les travaux et les observations
d'Edison, de Huggins, de Varley, de Zoellner, de Charles
Richet, de John Lubbock, de Robert Hare, de Lombroso,
les expériences de William Crookes qui permirent à ce
dernier, au sujet des manifestations stupéfiantes de Katie
King, d'écrire cette phrase mémorable : « Je ne dis pas
que cela est possible, je dis que CELA EST ».
A cette époque, la grande presse s'occupait de ces phé-
nomènes étranges rapportés par le docteur Gibier dans
son livre le Fakirisme occidental, et qui inspirèrent à Vic-
tor Meunier, chroniqueur scientifique du Rappel, cette
réflexion qu'on dirait encore d'actualité : « Jamais les
hommes n'ont été autorisés par les apparences à se croire
plus près de cet événement incomparable : la découverte
d'un nouveau genre humain. Un seul événement par ses
conséquences sociales pourrait l'emporter sur celui-là,
ce serait la démonstration expérimentale de la survivan-
ce de l'âme devenue l'objet d'études positives ».
C'est cette démonstration que, malgré les objections de
la science officielle, les Immortalistes considéraient et
considèrent comme définitivement acquise.
Le rapport au Congrès de la Libre-Pensée se terminait
ainsi :
« L'immortalisme a pour but de déterminer la responsa-
bilité morale de l'être, de démontrer la doctrine conséquen-
tielle, c'est-à-dire celle qui se résume par ces mots : à chacun
selon ses œuvres. Il proclame l'indestructible loi du progrès,
c'est-à-dire du travail qui fait que l'imparfait et le déshérité
d'aujourd'hui peuvent devenir les parfaits de demain. En
délaissant les vieilles théories spiritualistes pour ne se baser
que sur la science positive et ses conséquences, l'Immortalisme
appelle à lui toutes les intelligences qui voient haut et loin.
Aussi sommes-nous pleins de confiance dans l'avenir et espé-
rons-nous que ces quelques suggestions trouveront un écho
dans ce Congrès ».
Cet appel fut entendu en France, en Allemagne et,
surtout, en Angleterre et aux Etats-Unis où les néo-spi-
ritualistes sont en très grand nombre. Et pourtant, il ne
semble pas que, depuis, la question de la survivance ait
été résolue, car les discussions continuent de plus belle,
malgré la contribution apportée, ces dernières années,
par la Métapsychique de notre admirable Charles Ri-
chet.
A Paris, l'auteur des Mirages, Camille Chaigneau avait
fondé la Revue Immortaliste, malgré ses anciennes atta-
ches avec les kardécistes, lorsque disparut la Pensée nou-
velle créée par de jeunes et inexpérimentés apôtres.
Les Immortalistes d'avant-guerre se rappelleront cer-
tainement sa remarquable figure, à la Paul Fort, com-
mandant la sympathie et le respect, en dépit de ses con-
victions qui lui faisaient prendre parfois l'allure farou-
che d'un anti-clérical.
Dans cette Revue Immortaliste qui subsista jusqu'à sa
mort, Camille Chaigneau développa savamment l'idée
qui lui était la plus chère : la réincarnation (implicite-
ment contenue dans le manifeste que nous venons de ci-
ter) et cela, sans intervention de la Divinité ou de la
Révélation.
D'ailleurs, et bien avant que l'Immortalisme ne fût
créé, il avait, dans son beau volume, Les Chrysanthèmes
de Marie, exposé les grandes lignes de la palingénésie.
Comment cet écrivain que des études médicales assez
poussées devaient préserver de tout emballement, en
était-il arrivé à concevoir la pluralité des existences ?
Quelqu'un qui l'approcha de très près nous a dit qu'il
fut longtemps hanté par des faits historiques, où il ne lui
semblait pas que l'hérédité dût jouer un rôle (quoi qu'en
ait dit M. Théodule Ribot), et que la théorie du subcons-
cient ne suffisait pas à expliquer :
Haendel composant, à 10 ans, des motets qui sont en-
core chantés dans nos églises; Mozart exécutant une so-
nate à l'âge de 4 ans et composant, à 8 ans, son opéra
Finta Semplice; Beethoven se révélant grand composi-
teur à l'âge où l'on joue encore aux billes; Listz don-
nant, à 14 ans, son Don Sanche et, plus près de nous,
Saint-Saens qui n'avait pas encore seize ans lorsqu'il fit
exécuter sa première symphonie ! Et dans d'autres bran-
ches, Michel-Ange auquel, à 8 ans, son maître Ghirlan-
dajo n'avait plus rien à apprendre, Pascal découvrant, à
12 ans, les trente-deux premières propositions d'Euclide,
etc.
Tout cela le troublait. Aussi, s'appropriant la sugges-
tion de Hume : « la doctrine des vies successives est la
seule apportant des vues raisonnables sur l'immortali-
té », il en conclut que chacun apporte, en naissant, les
fruits d'existences antérieures et que les souffrances sont
les conséquences du passé et un acheminement vers un
meilleur devenir.
En ce qui concerne les Immortalistes proprement dits,
il est à remarquer qu'ils ne veulent pas pénétrer dans
les consciences et laissent aux esprits assoiffés d'idéal le
soin de tirer de la survie telles conclusions qui pourront
les satisfaire. Les uns y verront une preuve capitale de
l'existence de Dieu; d'autres y chercheront le moyen
d'arriver à la communion universelle des âmes; d'autres
enfin y puiseront la consolation de savoir que la sépara-
tion d'avec les êtres que l'on a aimés n'est que momen-
tanée... Tout ceci, disent-ils, est affaire d'aspiration, de
sentiment, d'intuition, si l'on veut et sort du domaine
positif.
Lorsque J.-J. Rousseau écrivit son Discours sur l'iné-
galité des conditions, il n'avait pas prévu l'hypothèse de
la réincarnation ou des vies successives.
Pour parler comme Bossuet, disons que des esprits se
sont rencontrés de nos jours — et non des moindres —
pour en être convaincus : Victor Hugo, que Jules Lemaî-
tre appelait si irrévérencieusement Joseph Prudhomme
à Pathmos, croyait fermement, nous a rapporté Paul
Stapfer, avoir été Eschyle et Juvénal, et n'est-ce pas dans
la correspondance de Gustave Flaubert, que l'on a lu :
« Je suis sûr d'avoir été sous l'Empire romain, direc-
teur de quelques troupes de comédiens et en relisant les
comédies de Plaute, il me revient comme des souve-
nirs...? »
Fantaisie de poète et de littérateur ? Possible — et
même probable, car l'hypertrophie du MOI est maladie
fréquente chez les gens de plume.
Il n'en est pas moins vrai que si les vies antérieures
sont sujettes à discussion, on doit se rappeler ce qu'a dit
Pascal : « L'immortalité est une chose qui nous importe
si fort, qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir
perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de
savoir ce qu'il en est ».
Qui sait si les immortalistes, sous une forme un peu
simpliste, en mariant le spiritualisme de Kardec et le
matérialisme de Büchner, n'ont pas ouvert la voie aux
philosophes désabusés que ne satisfont ni les négations à
priori des uns, ni la mystagogie des autres ?
Les Néo-salemistes

Parmi les innombrables sectes nées au centre de


l'Europe, celle des Néo-salemistes est une de celles qui
s'imposent le plus à l'attention.
Peu connue en France, elle a, par contre, de fervents
adeptes en Hongrie, en Tchéco-Slovaquie, en Allemagne,
aux Etats-Unis d'Amérique, au Brésil, etc. — on évalue
leur nombre à 30.000.
A Bietigheim (Wurtemberg), elle possède une impri-
merie spéciale d'où sortent d'innombrables brochures de
propagande, et, notamment, deux revues, l'une en alle-
mand, das Wort (la Parole) dirigée par le docteur Walter
Lutz, un des plus ardents apôtres de la nouvelle religion,
et l'autre, plus modeste, rédigée en espéranto, la Nov-
Salem Lumo (la Lumière de Nov-Salem), qui lui permet
de faire pénétrer cette « Lumière » dans toutes les par-
ties du monde — puisque, aujourd'hui, l'espéranto a été
adopté par toutes les nations civilisées, comme langue
seconde.
Le fondateur de la Nov-Salem est un certain Jakob
Lorber, considéré en Autriche et en Allemagne comme
le seul authentique grand prophète de notre temps...
Surprenante existence que celle de cet « envoyé de
Dieu » !
C'est au pied des hautes montagnes de la Styrie
(Autriche), à Kenisa, qu'est né, en 1800, Jakob Lorber.
Son père était vigneron, et lui-même, avant que Dieu en
fît son instrument à l'égal de Moïse, de Samuel, de
Jérémie et de Paul, avait cultivé les champs.
Doué d'un rare sens musical, il menait de front les
travaux de culture et l'étude des sons. Il sut supérieu-
rement jouer du violon, de l'orgue, de la harpe, et, bien
qu'il fût sans maître, on dit que la composition n'eut
pas de secrets pour lui.
Cependant, lorsqu'il abandonna la terre paternelle, ce
fut vers l'enseignement qu'il se tourna, après avoir, un
instant, songé à la prêtrise.
Ses études terminées au gymnase (collège) de Marburg,
il entra comme précepteur dans une famille de Graz.
Mais il n'était pas dans sa destinée de professer long-
temps. Tourmenté par son besoin de perfection spiri-
tuelle, il résigna ses fonctions d'éducateur et mit à
profit ses vastes connaissances musicales pour trouver
un gagne-pain qui lui permît d'avoir pleine liberté de
satisfaire ses sentiments et son esprit.
Jakob Lorber entreprit alors des voyages à travers
l'Europe, donnant, pour vivre, des concerts et des audi-
tions, se livrant à l'étude de la Bible et des ouvrages
religieux ou philosophiques. Ses auteurs préférés
étaient Jung-Stelling, Swedenborg, J. Kerning, Ten-
nhardt et, surtout, les mystiques du temps passé,
Eckardt et Jacob Boehme.
Entre temps, l'astronomie l'attira; il construisit même,
de ses propres mains, un télescope qui devait lui per-
mettre de « lire dans le grand ciel libre et d'explorer
Dieu ».
On le voit, ce simple fils de paysan avait largement
ouvert les yeux de son âme. Comment aurait-il douté que
le « Père Céleste » ne l'eût ainsi fortement préparé
sinon pour remplir une mission sur cette Terre ?
Illuminé ou non, toujours est-il qu'à cette période de
sa vie, il s'exerça à l'humilité la plus profonde et voulut
atteindre au plus haut degré de perfection et de bonté.
Déjà Jakob Lorber avait abandonné à ses frères sa
part de l'héritage paternel. Il distribua aux pauvres de
son entourage les ressources qu'il avait acquises et vécut
plus que modestement jusqu'à la fin de sa vie, survenue
en 1864, honni par le clergé officiel (qui lui refusa les
derniers sacrements), mais entouré de la vénération
d'une population enthousiaste.
Ce fut tardivement, vers 1844, que « Dieu se révéla à
lui pour qu'il ramenât l'humanité à une lumière d'amour
et d'action ».
Les Néo-Salémites disent que les influences spirituel-
les se manifestent de trois manières :
La première, dans l' « état de transe » où l'âme cons-
ciente de l'homme est entièrement sous l'influence de
l'esprit se servant du corps humain comme d'un outil
(tel l'organiste se sert de l'orgue).
Cette espèce d'influence est très peu employée par les
esprits élevés, jamais par l'Esprit divin (ceci ne plaira
certes, ni aux spirites, ni aux médiums !...).
La seconde est « cet imperceptible et doux zéphir de
l'esprit par lequel Dieu parle à toute heure aux hommes
de bonne volonté ». C'est par cette influence que les
poètes, artistes, inventeurs, éducateurs reçoivent leurs
pensées géniales et que les autres voient naître en eux,
sans le savoir, les idées généreuses, les sentiments élevés
et les décisions.
Quant à la troisième, elle est la vraie inspiration pro-
phétique de Dieu : « l'âme de l'homme inspirée n'est
alors ni absente comme dans l'état de transe, ni
ignorante des causes, mais elle sent et agit consciem-
ment, sachant que les pensées et les sentiments lui
viennent d'une source étrangère à elle-même ».
Dans un de ses livres, Jakob Lorber explique com-
ment se reconnaît cette inspiration prophétique :
« Vous sentirez les pensées aussi clairement que les
mots prononcés dans votre cœur et vous les exprimerez
entièrement et facilement par votre bouche. En cela
réside le mystère de Dieu dans le cœur humain... »
Et plus loin :
«Qui aime vraiment le Seigneur, celui-là est toujours
chez Dieu et en Dieu. S'il veut apprendre quelque chose
de Dieu, qu'il le demande dans son cœur et il recevra,
par la pensée du cœur, bientôt pleine réponse ».
Moïse et tous les vrais prophètes furent ainsi inspirés
de Dieu par une voix intérieure, nous dit encore Jakob
Lorber.
Et lorsqu'il entendit lui-même dans son cœur « la voix
du Seigneur aussi clairement que s'il lui avait parlé avec
des paroles humaines », il se lança éperdument dans
l'apostolat de la Nouvelle Jérusalem.
Il reçut alors, paraît-il, d'étranges révélations sur des
écrits du plus grand intérêt pour la chrétienté et depuis
longtemps disparus : la correspondance secrète de Jésus
avec Abgar, roi d'Edessa, dont le fameux chroniqueur
Eusèbe a parlé; le récit de la jeunesse de Jésus, œuvre
de Jacques, son frère, citée par Saint Paul dans son
épître aux Laodiciens !
Ces révélations auraient été reconnues conformes aux
documents retrouvés depuis.
Pour les Néo-Salémistes, le monde n'aurait pas été
créé d'un seul coup. Dieu est la force initiale, éternelle
ayant une personnalité d'où tout émane, comme des
électrons. Quand fut créé le monde primitif, une partie
tomba dans le domaine de Satan; mais la pitié céleste se
manifesta en adjoignant à cette partie l'esprit divin. Car
il faut dire que, d'après leur doctrine, la personnalité
humaine est composée du corps, matière impure, de
l'âme qui sent, agit, reçoit les impressions et l'influence
des sens et du dehors, et de l'esprit cette « étincelle
divine qui vit dans le cœur et conduit à l'amour de
Dieu ». Le corps et l'âme sont d'origine satanique. Seul
l'esprit peut les régénérer.
Les adeptes de Jakob Lorber sont de purs chrétiens
en ce sens qu'ils croient en une trinité réunie en Jésus :
l'Eternel amour, substance fondamentale qui correspon-
drait au Père; la Lumière et la Sagesse, attributs du Fils;
la Volonté de Dieu manifestée ou Saint-Esprit.
D'après eux, Jésus aurait d'abord été homme, comme
nous. Ce n'est que lorsque son âme se fut perfectionnée
par cette humilité et cet amour qui le poussèrent à s'of-
frir en holocauste pour racheter l'humanité, que Dieu
résolut de se manifester sous une forme visible, en em-
pruntant l'enveloppe corporelle de Celui qui devait
monter au Golgotha.
Cette manière nouvelle de concevoir l'Incarnation du
« Seigneur » dans la personne du Christ est longuement
exposée dans le livre de Jakob Lorber : la Jeunesse de
Jésus. Cependant l'œuvre capitale de ce prophète est,
sans contredit, le Grand Evangile de Jean, en dix volu-
mes dans lequel il fait un récit détaillé de l'enseignement
de Jésus, enseignement, dit-il. souvent dénaturé et qui
ne nous est parvenu que par bribes, alors que lui prétend
nous la révéler dans toute son intégrité.
Pourquoi cette tâche a-t-elle été dévolue à Jakob
Lorber? Eh ! n'est-ce pas parce que, dans l'Evangile de
Saint Jean, il est dit, en un endroit, qu'à celui qui, à
l'instar de Jésus, observera les lois de Dieu et l'amour
du prochain au plus haut degré, le Père Céleste se révé-
lera avec ses plus saints et ses plus profonds mystères ?
Lorber s'est donc cru prédestiné. Il enseigna, entre
autres choses, qu'aussitôt après la mort, l'esprit revit
dans un autre corps et se développe dans une vie nou-
velle.
Nous retrouvons ici ce principe de la réincarnation
qu'il dit tenir du Tout-Puissant, tandis qu'il l'a, peut-
être, simplement puisé dans la théosophie.
Les Néo-Salémistes croient fermement que le Christ
doit revenir avant que la deux-millième année soit
accomplie. Nous ne sommes donc pas très loin de la
date fatidique.
La secte n'a ni temples, ni ministres. Elle n'admet pas
de lieux de prière en commun. Elle est organisée en
groupes locaux vivant fraternellement, toujours sous
l'égide chrétienne, car les adeptes ont, pour unique com-
mandement, le précepte : « Aime Dieu par dessus tout
et ton prochain comme toi-même ».
Ce n'est pas précisément nouveau comme doctrine, ni
comme morale.
Ce qui l'est davantage, c'est avec quelle imperturbable
certitude, Jakob Lorber nous décrit, soit dans Scènes
d'esprit, soit dans le Soleil Spirituel, les différentes
phases par lesquelles passe l'âme humaine dans l'au-
delà.
Son plan de la Création (Haushaltung Gottes) a de
quoi rendre rêveur et il n'est pas jusqu'à notre globe
terraqué que, dans Terre et lune, il n'ait étudié d'une
manière nouvelle, au point de vue organique. Il n'est
certes pas sans intérêt de rappeler que Jakob Lorber a
été, sinon le premier, du moins un des premiers, à pro-
clamer que l'atome est l'état vivant, c'est-à-dire un petit
univers formé à l'instar du système solaire d'une foule
d'étincelles.
De quelque manière qu'on la veuille considérer, l'Œu-
vre de ce « Prophète » est une des plus curieuses mani-
festations de l'esprit humain, en dépit des nombreuses
vaticinations qu'elle contient.
Au fait, n'oublions pas que Socrate, parlant de la
prophétesse de Delphes et des prêtresses de Dodone, a
dit que c'est quand elles déliraient qu'elles ont rendu à
la Grèce les plus nombreux et les plus éminents services.
Dès qu'elles devenaient raisonnables, elles n'étaient plus
bonnes à rien...
Les Soufis

« L'invasion des idées a succédé à l'invasion des


Barbares », a dit, quelque part, Chàteaubriand, en par-
lant de notre Occident.
Nous en avons une nouvelle preuve en voyant s'im-
planter, dans notre pays, une secte déjà ancienne,
puisqu'elle est antérieure au mahométanisme et qui,
jusqu'à présent, ne semblait pas devoir dépasser le
monde musulman.
Le soufisme paraît être originaire de l'Inde, d'aucuns
disent de la Perse. D'où vient ce nom ? Les uns le font
dériver du mot arabe sapha qui signifie «être pur»;
d'autres, du mot grec sophos, sage; d'autres encore, de
souf, mot persan, désignant la laine.
Cette dernière étymologie semblerait plus certaine si
l'on considère que les premiers soufistes ne se revêtaient
que de laine grossière, en signe d'humilité.
Quoi qu'il en soit, le plus remarquable de cette
doctrine, c'est que, bien avant Voltaire, elle proclamait
la tolérance comme la première des vertus.
Le soufisme n'a réellement pris corps qu'avec un cer-
tain Abou-Saïd-Aboul Cheir qui, au VIIe siècle de notre
ère, l'a, pour ainsi dire, codifié. C'est une sorte de pan-
théisme : « Dieu est partout dans son œuvre ; toutes
choses sont Dieu et en Dieu. Donc, rien ne peut être
rejeté, ni préféré sans impiété ».
Par suite, le but poursuivi est la vie en l'unité,
(réintégration de l'homme dans sa nature primitive
spirituelle) et l'approche de Dieu.
Les premiers sectateurs rejetaient la pratique du culte
et les manifestations extérieures de la religion : l'amour
de Dieu et la contemplation étaient les seules obligations.
Mais des novateurs sont venus et ont révélé que, pour
parvenir au « bonheur de l'approche de Dieu », il était
nécessaire de passer par quatre degrés.
Leurs livres nous apprennent que la premier degré est
celui de l'hominalité soumise aux obligations et aux pra-
tiques religieuses, telle: la récitation du dzikr (litanie) un
nombre incalculable de fois, accompagnée de l'idjedeb,
balancement de tête propre à produire l'hypnose.
Le second degré appelé le sentier est l'état d'initia-
tion que peuvent seuls atteindre ceux qui sont aptes à
comprendre Dieu. Le jeûne est de rigueur. En compen-
sation, oserons-nous dire, les initiés ne sont plus astreints
aux oraisons verbales et aux manifestations qui ont
marqué la première étape.
Le troisième degré est la Connaissance. Celle-ci ne
s'acquiert que par un total renoncement aux jouissances
terrestres, c'est-à-dire par l'ascétisme le plus pur, et, seu-
lement, après avoir passé par des épreuves physiques
pouvant mettre la vie en danger.
Si ces épreuves sont surmontées, l'initié pénètre dans
le monde des anges et se trouve sur la voie du quatrième
degré : la béatitude.
Cette dernière n'est dispensée qu'après quarante jours
d'absolue solitude, passés dans la méditation, la prière,
la contemplation et l'étude. Le corps ne doit absorber
que juste la nourriture nécessaire pour l'empêcher de
défaillir.
Ainsi, débarrassé de tous les vices et de toutes les
attaches charnelles, le soufi, devenu ouali, s'unit à Dieu
par l'amour et l'extase et acquiert la puissance thauma-
turgique qui lui permet de ressusciter les morts, de gué-
rir les réputés incurables, de produire enfin les plus
étranges phénomènes de dédoublement, de lévitation,
de double-vue, etc.
Les sectateurs du soufisme tendent à une ascension
harmonieuse de toutes les facultés de l'homme, physi-
ques, astrales et spirituelles. Ils s'affranchissent — au-
tant qu'ils le peuvent — de toute préoccupation mondai-
ne, de tout art ou métier, de tout ce qui peut les écarter
de l'Amour de Dieu. Seuls, le chant, la musique et la
danse trouvent grâce devant eux, parce que ces arts
produisent l'extase.
Le soufisme occidental dont nous voulons nous occuper
ici, ne date que de 1908. Et, cependant, il a déjà de pro-
fondes ramifications dans presque tous les, pays d'Eu-
rope : en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en Tchéco-
Slovaquie. A Genève, se réunit chaque année un congrès
soufi, ce qui n'est pas sans surprendre les citadins que la
S. D. N. aurait dû pourtant familiariser avec les plus
baroques manifestations internationales.
En France, il existe des groupes très agissants, notam-
ment à Marseille, à Nice, au Hâvre, à Bordeaux. Mais se
douterait-on que le centre principal d'enseignement
soufi tient ses assises presque aux portes de Paris, à
Suresnes ?
C'est là que le Chef actuel de la secte, Pir 0 Murchid
Inayat Khan, a fondé une sorte d'Université qui compte
actuellement environ 400 élèves.
Dans cet « alumnat » sont enseignées aux initiés
aux initiés seuls — les parties ésotériques de la

psychologie, de la philosophie et de la mystique.
Pour les profanes, des conférences ont lieu le
dimanche, en anglais, et le vendredi, en français.
La salle — qui est plutôt un hall — est vaste et nue.
Elle est peinte à la chaux et les fenêtres n'ont ni rideaux,
ni tentures. Une espèce d'autel, drapé d'étoffe jaune
d'or et dressé sur une estrade en planches brutes,
constitue tout l'appareil religieux, avec huit hauts cierges
et quelques livres disposés sur la tablette.
Les cierges brûlent en l'honneur de Brahma, de Boud-
dha, de Zoroastre, de Moïse, de Jésus, de Mahomet, du
dieu inconnu de Socrate. Celui consacré au Dieu Un
domine tous les autres.
Quant aux volumes, il nous est dit que ce sont les
livres sacrés où s'abreuve l'humanité: le Baghavat-Gita,
l'Enseignement de Siddharta-Gautomo, le Zend-Avesta,
le Coran, l'Ancien et le Nouveau Testament.
Comme on le voit, c'est d'un éclectisme se rapprochant
singulièrement de celui d'Auguste Comte, de positiviste
mémoire.
Il n'y a aucune cérémonie cultuelle — du moins dans
les séances ouvertes au public et d'où, soit dit en passant,
l'élément féminin n'est nullement absent — ni chants,
ni cantiques; tout se borne à la lecture d'un extrait de
chacun des livres sacrés, accompagnée d'un commentaire
approprié.
Entre chaque lecture, règne un silence impressionnant
d'un quart d'heure qui doit être voué à la méditation.
D'ordinaire, ces lectures et commentaires sont faits en
anglais; mais il se trouve toujours un truchement béné-
vole pour en traduire la substance en français.
Le MAITRE — c'est ainsi que Pir 0 Murchid est dési-
gné par ses disciples — n'a, physiquement, rien d'un
ascète : de haute taille, légèrement corpulent, le teint
cuivré, une barbe grisonnante et des yeux d'une
incroyable mobilité. Quand il est revêtu de sa large robe
jaune sur laquelle se détache un magnifique collier
d'ambre, sans doute symbolique, il donne plutôt l'im-
pression d'un uléma (théologien musulman) que d'un
entraîneur de foules.
Avons-nous dit que les Soufis de Suresnes se défen-
dent d'être religieux ? Ils ne sont ni chrétiens, ni juifs,
ni musulmans. Ils prétendent n'être que des philosophes
pratiquant le renoncement à tout luxe, l'amour de la
pauvreté et l'absolue confiance en Dieu.
Au point de vue social, on découvre dans le Soufisme
plutôt des tendances anarchiques... N'en était-il pas de
même chez les premiers chrétiens, malgré le fameux
« rendez à César ce qui appartient à César ? »
Alors que les diverses sectes et confessions se bornent
au présent, et ne font qu'espérer la conquête spirituelle
du monde, les Soufis, eux, ont une foi robuste dans leur
prochain triomphe. Ils disent : « L'avenir, l'avenir est
à nous ! »
L'avenir ? C'est un enfant qui dort sur les genoux des
dieux, disaient les Grecs.
Sera-ce la doctrine prêchée sur les flancs du Mont-
Valérien, par Pir 0 Murchid Inayat Khan qui le
réveillera ?
Les Caodaïstes

Dans un livre, déjà ancien : Dieu l'invisible Roi, Wells


déclarait qu'une nouvelle religion était en formation...
Il est vrai qu'il ajoutait que lui, Wells, en était le pro-
phète.
A-t-il voulu parler de cette religion « synthétique »
apparue, il y a quelques années en Extrême-Orient, et
qui, sous le nom de Caodaïsme, compte déjà, dit-on, plus
de 800.000 adeptes dans la presqu'île indo-chinoise ?
Peut-être. Quoi qu'il en soit, il est à remarquer que le
Caodaïsme s'apparente singulièrement au spiritisme
d'abord, puis, à un certain nombre de religions occiden-
tales qui honorent au même degré les grands esprits
conducteurs de l'Humanité et tendent à unifier toutes
les confessions, en vue de la Paix universelle.
Né en Cochinchine, le « Caodaïsme » s'appelle plus
communément le Bouddhisme rénové. C'est dire que ses
enseignements sont fortement teintés de ce mysticisme
oriental qui conduit au Nirvâna — et aussi d'une théoso-
phie assez rapprochée de celle dont Madame Blavatsky
fut la grande prêtresse.
Cao-Daï signifie Etre suprême, Maître Souverain de
l'Univers, Dieu. Mais, au lieu de rester dans une inacces-
sibilité farouche ou de ne se manifester seulement qu'à
tel prophète ou tel visionnaire, la Divinité daigne com-
muniquer elle-même avec l'Humanité par l'intermé-
diaire de « couples de médiums » tout comme les
« chers esprits » qui hantent les milieux spirites de nos
pays. La table tournante est remplacée chez les Caodaïs-
tes, par une corbeille à bec, sorte de casque en rotin.
C'est par des messages ainsi recueillis que Cao-Daï
donne les directives à suivre par les fidèles et ce n'est
pas le moins curieux de l'affaire de constater que l'en-
seignement de l' « Immuable Vérité » est révélé sous le
couvert de « communications » que ne désavoueraient
pas les disciples d'Allan-Kardec.
Un haut fonctionnaire colonial a bien voulu nous
faire tenir un recueil de quelques-uns des messages cao-
daïstes. Dans ce recueil publié par Le van Trung, ancien
membre du Conseil de Gouvernement de l'Indo-Chine,
nous avons trouvé, non sans surprise, des « communica-
tions » qu'on croirait plutôt obtenues dans nos groupes
occidentaux que dans ceux de l'Extrême Asie. Les signa-
taires de ces messages ne sont rien moins que Jésus, Jean-
ne d'Arc, Newton, Descartes, Chateaubriand, voire
Victor Hugo ! Quelques-uns sont en vers français.
La doctrine caodaïste n'est autre que celle préconisée
au nom de la raison pure par Confucius et mise à la
portée des masses. Elle ne diffère pas, d'ailleurs, sensi-
blement de celle du Christ.
En voici le résumé : « combattre l'hérésie (?) ; semer,
parmi les peuples, l'amour du bien et des créatures ; pra-
tiquer la vertu; apprendre à aimer la justice et la rési-
gnation; marquer aux humains les conséquences pos-
thumes de leurs actes; avancer chaque jour dans l'amour
divin ; s'aimer les uns les autres ; s'aider mutuellement ».
Les Caodaïstes prétendent que leur religion est la plus
simplifiée qui existe de nos jours. Elle se borne à deman-
der à ses adeptes d'adresser des prières quotidiennes à
Cao-Daï. Le nombre de prêtres est réduit au strict néces-
saire pour prêcher la Sainte Doctrine, exhorter les fidèles
à pratiquer la vertu, telle que la concevait Confucius et
à vénérer les Esprits Supérieurs qui furent les bienfai-
teurs de l'humanité.
Cette nouvelle religion comprend trois sortes d'adep-
tes: 1°, les religieux qui, seuls, sont autorisés à corres-
pondre avec Dieu et les Esprits Supérieurs et à interpré-
ter leurs enseignements; ils doivent s'interdire l'amour
charnel et être rigoureusement végétariens, c'est-à-dire
s'abstenir d'alcool, de viande, de poisson; 2°, les mé-
diums, sorte d'auxiliaires qui peuvent continuer à
vaquer à leurs occupations journalières dans l'Adminis-
tration, le commerce ou l'industrie. Néanmoins ils sont
tenus à un certain ascétisme et ne doivent procéder à
l'évocation des esprits qu'en présence des dignitaires du

;
Temple et après que ceux-ci les y ont invités, à l'issue de
leurs prières à l'Eternel 3°. les simples croyants qui ne
sont astreints qu'à suivre la morale enseignée, sans
cependant négliger l'autel de Cao-Daï, soit dans le
Temple, soit chez eux, s'ils ont un oratoire rituel.
Il y a lieu de remarquer que les pratiques spirites sont
formellement interdites aux simples croyants, alors que,
chez nous, elles demeurent à la portée de quiconque y
est ou s'y croit prédisposé.
Il n'est pas de religion sans mystère. Dans le Caodaïs-
me, c'est la possibilité pour les hommes, de correspondre
avec la Divinité elle-même qui demeure inexplicable...
Mais, dit Méphistophélès à Faust il vaut mieux traverser
le monde sans rien approfondir !
Il existe en Cochinchine, à Tay-Ninh, un grand temple
caodaïste qualifié de provisoire. Si nous en croyons une
illustration qui nous a été confiée, il ne manque ni de
grandeur, ni d'imprévu :
Que l'on se figure une immense salle rectangulaire.
au sommet de laquelle est une sorte de chœur où se
dressent les statues des principaux personnages honorés
par les Caodaïstes.
Dominant tout, nous y voyons un œil flamboyant
entouré d'étoiles. C'est le Logos, « l'Œil de Dieu tout-
puissant qui voit et surveille tout ». Les personnages qui
viennent ensuite sont : Çakiamouni (Bouddhisme),
Laotseu (Taoïsme), Confucius (Confucianisme), puis les
représentants actuels de ces doctrines. Vient enfin Jésus.
Au dessous, prend place Thân-Dao, le Chef des Anges.
Une large table où sont placés des chandeliers rouges,
les objets du culte et les plateaux aux offrandes, ferme
le chœur. Immédiatement après, dans une espèce de
proscenium, sont les trônes des hauts dignitaires formant
le Comité directeur de la Religion nouvelle : en premier
»
lieu et isolé, le siège du « Pape (Giao-Tong), ensuite,
ceux des « cardinaux » chargés, les uns du pouvoir
législatif, les autres du pouvoir exécutif. (Un siège de
cardinal est réservé à un dignitaire féminin).
Ces personnages représentent les cinq principales
doctrines : « Confucianisme qui enseigne les devoirs de
l'homme à l'égard de soi-même et de ses semblables;
Mythologie ou déification qui enseigne comment l'hom-
me doit se perfectionner pour devenir saint; Taoïsme
qui enseigne comment l'homme doit se perfectionner
pour être admis au rang des Anges; Théosophie chré-
tienne qui enseigne comment l'homme doit se perfec-
tionner pour être admis au grade des Esprits supérieurs;
Bouddhisme qui enseigne enfin comment l'homme doit
se perfectionner pour être admis au grade de Bouddha ».
L'immense salle comporte un emplacement spécial
pour les dames dignitaires et les dames fidèles; un autre
pour les dignitaires hommes et, finalement, un troisième
pour les simples fidèles hommes.
A l'entrée est disposé l'autel de Ho-Phap, Bouddha
gardien de la Porte Divine.
Peut-être se demandera-t-on pourquoi le Christ a une
place dans la figuration que nous venons d'esquisser ?
C'est qu'il sert de trait-d'union entre le Confucianisme,
le Taoïsme et le Bouddhisme. S'il est placé au-dessous
des divinités extrême-orientales, c'est parce qu'il est
venu au monde plusieurs siècles après.
Durant les cérémonies, tous les assistants sont tenus de
se mettre à genoux pour réciter les prières,
sauf les
élèves-prêtres qui restent debout, les mains jointes et
veillent aux offrandes.
Les dignitaires sont habillés en trois couleurs : jaune,
pour les Bouddhistes; bleue, pour les Taoïstes; rouge,
pour les Confucianistes. Les dames sont vêtues de blanc.
En somme, le Caodaïsme ou Bouddhisme rénové est
au Bouddhisme ce qu'au XVIe siècle, a été la Réforme
par rapport au Christianisme. Mais, loin de faire couler
le sang, cette religion a fait preuve de la plus large
tolérance, n'ayant jamais déclaré que, hors de sa morale
et de sa doctrine, il ne pouvait y avoir qu'erreur ou
châtiment.
A cette heure où le monde entier est traversé d'une
vague de haine, où deux grands peuples sont aux prises
dans le lointain Levant, qui sait si le Caodaïsme n'aura
pas son heure ?
Nous pouvons sourire et, comme Lucrèce, regarder
quiètement de notre rivage la mer orageuse où d'autres
courent de terribles périls. Mais sommes-nous si bien à
l'abri pour nous désintéresser des grands mouvements
religieux où qu'ils se dessinent, et ne devons-nous pas
souhaiter le triomphe de tout ce qui tend à réaliser cette
fraternité sociale prêchée par tous les Evangiles et toutes
les confessions ?
Les Raskolniks

Non loin de la place d'Italie, au fond d'une ruelle où


des bâtiments neufs voisinent avec des maisons sordides,
vivent quelques familles chassées du pays de l'enclume
et du marteau par la Révolution de 1917.
Les uns sont demi-riches, les autres, pauvres, voire
misérables; mais une foi commune les a réunis dans ce
coin de la terre d'exil.
Nous voulons parler des Raskolniks.
Avant l'avènement de Lénine, cette secte comptait
plus de 500.000 fidèles dans les provinces méridionales
de la Sainte-Russie et en Sibérie. Aujourd'hui, ses mem-
bres sont dispersés. Il en est en Suède, en Allemagne, en
Turquie, en Palestine et, naturellement, à Paris, ce
refugium peccatorum de tous les bannis.
Notre coutumière curiosité nous ayant conduit, au
printemps dernier, dans les parages de la Maison-Blan-
che, si riche en vieux souvenirs, nous eûmes la bonne
fortune de faire la connaissance d'un ingénieur, ancien
industriel de Perm, ruiné, ou plutôt dépouillé, par le
régime soviétique. Mis en confiance, à la suite d'un léger
service que nous lui rendîmes, il nous confessa qu'il était
« Raskolnik ».
Et c'est de lui que nous apprîmes que ce n'est ni à la
« Coupole », ni au « Dôme » qu'on rencontrerait ses
coreligionnaires, pas plus qu'on ne les verrait vider des
verres de vodka ou grignoter des sandwiches de caviar
au « Kasbeck ». Les Raskolniks sont de mœurs austères
et si, extérieurement, rien ne les distingue de leurs com-
patriotes, leur réserve contraste avec les exagérations
verbales de la plupart des anciens sujets du Tzar.
Les Raskolniks qui habitent notre capitale n'ont pas
d'église appropriée à leur culte. Si quelques-uns consen-
tent à aller aux offices rue Daru ou dans la modeste
chapelle de l'avenue de la Sœur Rosalie, les purs ortho-
doxes se réunissent, soit chez l'un d'eux, soit dans une
salle privée pour pratiquer leur religion.
Nous avons dit : les purs orthodoxes. Ceci demande
une explication : Lorsqu'en 1654, le patriarche Nikon
introduisit dans l'Eglise Russe la révision des versions
de la Bible (telle qu'elle existe actuellement), il y eut
nombre de fidèles qui considérèrent cette révision com-
me sacrilège et contraire à la vraie foi. Ces fidèles prirent
le nom de starowerzi, c'est-à-dire vraiment orthodoxes,
par rapport à ceux qui avaient accepté la nouvelle litur-
gie. Par contre, ces derniers traitèrent les dissidents de
Raskolniks (schismatiques, du mot russe Raskolo,
scission). Ce nom fut longtemps regardé comme une
injure par ces dissidents. L'usage a consacré l'épithète,
et, aujourd'hui, elle a cessé de les offenser.
Grâce à notre interlocuteur qui voulut bien nous ser-
vir de truchement, nous pénétrâmes dans une salle basse
qui avait dû être une salle de bal, comme il s'en trouve
encore dans la périphérie, et, là, nous assistâmes à un
service religieux suivi de pénitences exaltantes.
Au fond de la salle, une seule icone, grandeur nature,
représentant Jésus couronné d'épines, la poitrine meur-
trie, le flanc percé, les deux mains aux paumes trouées
et les bras étendus. Quatre hauts cierges éclairent l'autel.
Un pope, à barbe immense, aux longs cheveux annelés,
prêcha assez longuement. Puis, le sermon terminé, il
procéda à la communion qui fut donnée avec des grains
de raisins secs disposés sur un plateau et que l'officiant
prit un à un pour l'offrir à chaque fidèle.
Cette cérémonie terminée, les assistants défilèrent
devant l'icone, se prosternant profondément et, après
s'être dépouillés de la partie supérieure de leurs vête-
ments (veston, blouse ou manteau), se flagellèrent eux.
mêmes avec une verge ornée d'emblèmes raskolniks, que
chacun avait apportée avec soi.
Cette flagellation est la caractéristique du Raskolni-
kisme. Si cette mortification est relativement bénigne
aujourd'hui, il n'en était pas de même autrefois, car c'est
sur la peau nue qu'elle était appliquée, et les fanatiques
ne cessaient de se frapper que lorsque le sang avait
giclé.
Nous avons remarqué que les Raskolniks font le signe
de croix de gauche à droite comme les catholiques. Ils
ne se servent que de l'index et du doigt du milieu, alors
que, dans l'Eglise Russe, il est d'usage de se signer de
droite à gauche et avec trois doigts.
Depuis qu'ils ont été dispersés par le bolchevisme,
il n'existe plus, chez les Raskolniks de hiérarchie sacer-
dotale. Et, cependant, on nous assure qu'il subsisterait
un archimandrite, sorte de pape en chef, successeur de
ceux qui résidaient autrefois à Nicolaïeff.
Leur mysticisme est infiniment plus aigu que celui des
« orthodoxes » officiels et, si leur liturgie ne comporte
pas de prières pour les Saints, elle contient, en revanche,
des hymnes d'une sublime extravagance, dédiés aux
Archanges, Séraphins, etc.
Certains d'entre eux ont, par un reste de paganisme,
dirait-on, conservé le culte de l'Œuf magique, centre du
Monde qui figurait autrefois à la Grande Eglise Staro-
werzie de Faradub (Sibérie).
D'après les légendes, c'était un énorme ovoïde sur
lequel chevauchait une femme nue. Posé sur un piédes-
tal en forme de vase, il était abrité sous des voiles tissés
par les Anges..., dit la légende.
Dans quelques familles, on trouve encore des réduc-
tions de cet œuf symbolique, préservatif de Satan.
Le propre des Raskolniks était, comme nous l'avons
vu, de se mortifier pour se rapprocher de Dieu : macéra-
tions et privations de toutes sortes.
Qui croirait que le point de départ du Raskolnikisme
a été, autant que la révision de la Bible, une révolte
contre l'usage du tabac qui, toléré par les popes, avait
pris en Russie une formidable extension ?
Cette proscription, par les Raskolniks, a son origine
dans une tradition que l'on retrouve chez les anciens
auteurs grecs (ce qui prouverait que l'herbe à Nicot était
connue bien avant Christophe Colomb) et qui est celle-
ci : « le Diable n'ayant pu séduire Noé, lorsque celui-ci
fut chargé de construire l'Arche, résolut de l'enivrer en
lui faisant fumer du tabac. C'est dans cette espèce d'ivres-
se que Noé laissa échapper le secret que le Seigneur lui
avait ordonné de garder et c'est ce qui permit au Diable
d'entraver la construction de l'Arche, si bien que Noé
trouvait défait tous les matins ce qu'il avait construit
la veille ».
Aussi les Raskolniks s'éloignaient-ils de tous ceux qui
sacrifiaient à la « plante maudite par Dieu ».
Malgré (ou à cause de) leur ascétisme, ils furent long-
temps persécutés. Sous Catherine II, ils étaient exclus des
fonctions ou emplois publics.
Aujourd'hui, on les exile, ces pauvres Raskolniks, en
dépit du rêve évangélique de la paix universelle qu'ils
portent dans leur âme et qui aurait dû leur faire trouver
grâce. Et ceux que nous avons vus dans ce quartier per-
du du XIIIe arrondissement, mêlant, les yeux remplis
de larmes, leurs lamentations sur la patrie perdue aux
supplications liturgiques, nous ont fait songer à Ovide,
lorsque chassé de Rome, il s'écriait qu'il n'avait plus de
cœur qu'à pleurer...
Les Weissenbergiens

« Et quel temps fut jamais plus fertile en miracles ?»


fait dire Jean Racine, à Nathan, dans son Athalie.
N'est-ce pas le cas de remplacer, dans ce vers fameux,
le mot « miracles » par celui de « prophètes », car il
s'agit encore d'un extraordinaire personnage qui a donné
le nom à une secte comptant plus de cent mille adeptes,
secte primitivement appelée Association catholique des
sérieux chercheurs de l'Au-delà et des véritables adeptes
de l'Eglise chrétienne.
Le titre est un peu long, quoique synthétique, et il
a fallu la maîtrise, nettement affirmée de Weissenberg,
pour qualifier de son nom la nouvelle religion.
Né à Fegebentel (Silésie), le 24 août 1855, d'une
famille de bergers, berger lui-même, Joseph Weissenberg
déserta tôt la campagne pour exercer toutes sortes de
métiers : on le vit successivement maçon, cocher, mar-
chand ambulant, puis aubergiste...
Déjà, à l'âge de onze ans, il eut une première vision
du Christ. Ce ne fut cependant que bien plus tard, vers
sa quarantième année, qu'une nouvelle apparition du
« Seigneur » lui fit prendre le chemin de Berlin où
l'avait précédé sa réputation de magnétiseur-guérisseur.
Il s'installa dans un des quartiers les plus modestes
de la capitale allemande et les malades qui accoururent
furent tellement nombreux que l'on dut, disent les
gazettes, établir un service d'ordre devant sa demeure :
il guérissait des centaines de patients par jour !
Les autorités avaient d'abord voulu s'opposer à cette
« concurrence déloyale » au corps médical. Il fallut y
renoncer, car Weissenberg n'ordonnait aucun médica-
ment, se bornant à prescrire, comme boisson, le thé dans
lequel se trouvent, disait-il, tous les éléments nécessaires
à la vie : vitamines et hormones.
Sa force de suggestion augmentait de jour en jour, au
point qu'il put opérer, non plus sur chaque individu
séparément, mais d'un seul coup, sur des groupes
entiers !
Avant la douloureuse guerre de 1914-1918, Weissen-
berg s'était rallié, lui, né catholique, à l'Eglise Evangéli-
que. Il faut croire que celle-ci ne satisfaisait pas ses
aspirations, car il s'en sépara, et non sans éclat, en 1926.
Revenons un peu en arrière. Marié, il avait divorcé,
en 1908, parce que sa femme lui aurait été révélée com-
me étant la matérialisation du serpent qui tenta Eve !
Il serait, certes, curieux de savoir comment les tribu-
naux ont apprécié cet argument ! Depuis, il n'est plus
qu'entouré de « médiums » le secondant dans sa
« mission ».
Parmi ces « médiums », on signala une certaine
Gretchen Muller, d'une grande beauté et qui guérissait
les croyants par attouchements et impositions des mains.
D'après Weissenberg, c'est en elle que s'est incarné
l'Esprit de la Vierge, et c'est d'elle que devaient naître,
symbolisés par des branches d'olivier, les deux anges
annoncés par Zacharie (Verset 4) et par saint Jean
l'Evangéliste.
Et ce qui devait arriver arriva : « Soeur Gretchen
Muller » mit au monde, le 7 février 1911 et le 14 février
1912, les deux enfants prévus par Weissenberg...
Est-il besoin de dire que les adeptes ont la plus grande
vénération pour cette Gretchen à laquelle ils attribuent
presque autant de pouvoir qu'au « Maître divin ? »
Maître divin ! C'est ainsi qu'ils appellent Weissenberg,
non seulement à cause de ses cures merveilleuses dont ils
ont été les témoins ou les bénéficiaires et qui ne peuvent
provenir, d'après eux, que d'un pouvoir divin, mais
encore parce que, sur la paume de sa main droite, dans
le voisinage du médius, figure le signe mystérieux prédit
par Isaïe (v. 16 et 49 : Vois dans ta main, je l'ai marquée
(deux lignes croisées).
Il n'est pas jusqu'à son nom, décomposé (Weiss Berg)
qui ne le désigne comme la Montagne blanche dont parle
le prophète Michée.
Pour ses disciples, Weissenberg est à la fois Moïse,
Elie et Jean : Moïse, homme de la prière; Elie, homme
de l'action; Jean, porteur de l'amour. Et c'est lui qui doit
mener l'humanité à la lumière !
Aussi, se croit-il plus haut que le Pape, ce dernier
n'étant que le représentant de Dieu sur la Terre, alors
que lui, Weissenberg, est, en personne, le Paraclet, c'est-
à-dire l'Esprit-Saint :
« Il possède tous les dons... Il vit sur la terre comme
une parcelle de Dieu, dans un état d'extase et en com-
merce avec tous les êtres spirituels qu'il voit en dedans
et en dehors de la matière avec le droit et le devoir de
les scruter... »
Est-ce à cause de son caractère divin, qu'il revêt, par
profonde humilité, un aspect extérieur que d'aucuns
disent repoussant (abstossend) ?
Pour convaincre les incrédules, Weissenberg n'opère
plus lui-même, mais par des « médiums » de diverses
qualités, choisis par lui, « médiums à incarnation », et
c'est par leur bouche que Luther, Bismarck, Windhorst,
entre autres, viennent faire d'extraordinaires révéla-
tions.
Rappelons-en quelques-unes, dont nous pouvons
sourire aujourd'hui, mais qui troublèrent alors profon-
dément les auditeurs : « L'Angleterre devait disparaître
de la surface de la terre le 25 mai 1929, à 11 heures du
soir; l'Italie, également, parce qu'elle avait trahi
l'Allemagne...; la guerre libératrice de cette dernière
nation éclaterait en automne 1929...
Ces communications, datant de la période qui a immé-
diatement suivi la Grande Guerre, n'ont plus qu'un
intérêt rétrospectif, mais ne témoignent-elles pas, si on
y ajoutait foi, que, dans l'au-delà, les passions patrioti-
ques seraient loin d'être éteintes ?
Weissenberg n'a cessé de proclamer que, depuis deux
mille ans, les prêtres ont retenu « en prison » la pensée
de Dieu qui est tout amour et qu'il fallait dorénavant
unifier toutes les doctrines en la sienne : « Jésus, le
Charpentier, a commencé l'édifice; lui, Weissenberg,
comme maçon, le terminera », a-t-il écrit.
En vue de cette union des églises, le « Maître divin »
a envoyé un message aux Empereurs, aux Rois, aux Gou-
vernants et au Pape lui-même, pour leur annoncer sa
mission, affirmée par des miracles et des exorcismes,
comme le fut celle de Jésus, le grand Thérapeuthe.
Qui croirait, après ce que nous venons de raconter,
que Weissenberg se déclare contre les pratiques du
spiritisme et qu'il condamne les évocations en commun ?
C'est que les « désincarnés » ne doivent se manifester
que sur sa permission, et par l'intermédiaire des « mé-
diums » qu'il a choisis : « Il siège à cet effet, tous les
mercredis dans le monde des esprits et c'est lui qui leur
assigne leur tâche ».
Quand il veut instituer un « médium », il lui pose la
Bible sur le front pour le mettre « en transe » et
annonce que l'esprit va parler.
L'église Weissenbergienne est constituée comme la
plupart des sectes protestantes. Elle a un consistoire, des
officiants et des prédicants.
C'est Weissenberg lui-même qui ordonne les prêtres
d'après un rituel qu'il a institué. Ceux-ci portent un
costume sacerdotal assez semblable à la robe des pasteurs
évangéliques, mais avec un insigne spécial.
Au moment de l'ordination, le « Maître divin » leur
transmet sa force psychique en leur rappelant qu'elle
leur sera retirée s'ils viennent à démériter.
Le culte est réduit à sa plus simple expression :
prières, exhortations. Le Pater Noster est récité à haute
voix par tous les assistants dans chaque cérémonie. Il en
est un spécial pour les Morts. A notre connaissance, il
n'existe de Weissenbergiens qu'en Allemagne. Chaque
année, un grand nombre d'entre eux se réunissent à
Trebbin, près de Berlin, où Weissenberg a fondé une
vaste colonie, en 1920, et où fut inauguré, le 21 juillet
1929, un immense temple pouvant contenir 8.000
personnes. Il a fallu, pour cette journée, organiser 10
trains spéciaux !
Si l'on en croit les savants qui ont étudié son « cas »
au point de vue psychique et physiologique, Weissenberg
est doué d'une force de suggestion extraordinaire. Ses
cures ne sont pas contestées, tandis que certaines de ses
pratiques hypnotiques sur des femmes et des jeunes
filles lui valurent de sévères condamnations qu'il accueil-
lit avec une parfaite sérénité...
On dit qu'à l'instar de Jésus, il aurait ressuscité des
morts ?
Si son pouvoir magnétique est à peu près indiscutable,
par contre, sa morale tend à la destruction et, assurent
ses ennemis, à la dissolution des mœurs. On lui prête,
en effet, des enseignements sur la vie sexuelle qui ne
sont pas précisément en harmonie avec les idées reçues...
A l'heure actuelle, la secte dispose d'importantes pu-
blications : die Wahrheit (la Vérité), Organ (l'Organe),
Johanne's Botschaft (le Message de Jean), der Weisse
Berg (la Montagne Blanche), etc. C'est dire qu'elle n'est
point négligeable.
Weissenberg est-il un nouveau Jean de Leyde ou un
nouveau Luther ? Nous pencherions plutôt pour une
ressemblance avec le moine de Wartbourg, car n'est-ce
pas ce dernier qui a déclaré que « la raison est la
prostituée du Diable ? »
Les Anges de l'Eternel

Assurément, cette dénomination appelle le sourire et,


peut-être, va-t-on s'imaginer qu'il s'agit de mystiques
étroitement enfermés dans une foi religieuse, hors la
Norme, vivant uniquement de la parole de Dieu !
Eh bien, il n'en est rien. Les Anges de l'Eternel sont
des réalisateurs et le fondateur de la secte — si secte
il y a — est, à n'en pas douter, une des personnalités des
plus agissantes qui soient, en notre temps.
A. Freytag, tel est le nom de cet Apôtre d'un nouveau
genre. Nous l'entrevîmes, il y a quelques années : de
taille moyenne, légèrement voûté, le front dégarni, un
nez comme celui du père Aubry, une forte moustache
aux pointes légèrement relevées, des yeux un peu loin-
tains, voilés par des lunettes. Rien ne révélait dans sa
personne l'homme d'énergie qu'il s'est montré.
Photographe, avant la guerre, puis voyageur en librai-
rie, il avait alors l'aspect d'un modeste bourgeois, et ce
n'est qu'en l'entendant, qu'on découvrait chez lui une
vaste érudition en matière de religion.
S'inspirant de la Bible, qu'il lisait dans le texte hé-
breu, A. Freytag y puisa les éléments de ses deux livres :
la Révélation divine et le Message à l'Humanité où il a
affirmé audacieusement « que l'homme a, lui-même, la
clef de sa destinée ».
Dans ce dernier ouvrage, il proclame que « nous
sommes arrivés maintenant à la fin du temps des nations,
que le royaume du Christ qui sera la consolation de tous
les peuples de la terre se fera par le moyen de la Révéla-
tion des Fils de Dieu et comment ces derniers assujetti-
ront notre monde ».
Cette prédiction est confirmée ensuite dans son
livre L'ETABLISSEMENT DU RÈGNE DE LA JUSTICE où le
règne du Christ est indiqué comme TRÈS PROCHAIN.
D'après sa brochure, le SPIRITISME, les phénomènes
d'ordre spirite et occulte seraient de nature diabolique.
C'est dire qu'il en condamne les pratiques.
Mais l'œuvre principale de M. Freytag est assurément
LA VIE ETERNELLE qui tirée, dit-on, à 200.000 exem-
plaires, constitue un véritable corps de doctrine et a
pour épigraphe : La loi universelle vécue donne comme
résultat la vie.
Signalons encore de ce singulier prophète LE MYSTÈRE
DE L'ENFER DÉVOILÉ et la publication d'un périodique
Le Journal pour tous, annonciateur de la Bonne
Nouvelle.
Mais venons-en au praticisme de cette religion :
A la suite de ses conférences, à travers l'Europe, sur
sa doctrine, des dons lui parvinrent de tous les coins et
il les employa à fonder, il y a quelques années, dans une
région perdue des âpres Basses-Alpes, à Oraison, non
loin de cette terrible Durance, la plus torrentueuse de
nos rivières, une espèce de phalanstère qu'il dénomma
LA NOUVELLE TERRE.
Voici une description que nous en fîmes jadis (1).
Elle n'est, peut-être, plus exacte aujourd'hui, mais elle
ne manque pas d'enseignements :
« Dans ces terrains jadis incultes, il y a maintenant
des jardins, des champs de blé, des arbres fruitiers de
toute espèce, des bâtiments éclairés à l'électricité, etc.
C'est dans ce paradis de 65 hectares que M. Freytag
installa une colonie d'Anges de l'Eternel, colonie aujour-
d'hui fort prospère et qui est, en quelque sorte, une
préfiguration de la future société humaine, telle qu'il l'a
prévue dans son message à l'Humanité.
Les Anges de l'Eternel y vivent en commun. Parmi

(1) La Libre-Opinion (1930).


eux, il y a un ancien commerçant suisse, un Arabe, un
vigneron venu de la Gascogne, un ancien communiste
ayant renoncé à l'emblème symbolique de la faucille et
du marteau, un ancien hôtelier de Paris dont le nom
surprendrait plus d'un de nos « fêtards ». Ils s'appellent
tous, entre eux, « frère », « soeur », « bien-aimé », et
vivent dans la plus parfaite fraternité, travaillant chacun
l'un pour l'autre.
Jamais un mot de politique n'est prononcé, et les
colons sont plus éloignés des agitations du monde que
les cénobites vivant dans les régions les plus désertiques.
Ces nouveaux Icariens subsistent, disent-ils, « dans la
bénédiction de l'Eternel ». Après chaque repas, ils
chantent des cantiques, dont paroles et musique sont de
M. Freytag; puis écoutent, à genoux, une prière dite par
le plus ancien.
Le régime n'est pas absolument végétarien, puisqu'ils
mangent du poisson, mais, sauf le vin (qu'ils consomment
seulement au cours de leurs travaux et jamais, à table),
l'alcool est proscrit.
La « Maison de Dieu » qu'ils habitent n'est pas sans
élégance, avec ses fenêtres cintrées et ses terrasses, si nous
en croyons la photographie qui nous a été confiée. Une
grande allée de marronniers y conduit, sous le signe de
deux blanches statues, l'une symbolisant la NOUVELLE
TERRE; l'autre, la VÉRITÉ, avec son miroir. Chose
étrange, la colonie n'a, en fait de bibliothèque, que les
œuvres de son fondateur !
N'est pas admis qui veut, dans ce nouvel Eden : on n'y
reçoit que ceux que l'on juge dignes de participer à
l'expérience.
Quant aux visiteurs, ils sont accueillis avec la plus
parfaite urbanité, et, disent les journaux de la région,
nombre de malades y vont implorer leur guérison, bien
que Freytag et ses disciples se défendent d'être des
thaumaturges ».
Les Anges de l'Eternel disent volontiers qu'ils ne
constituent pas une secte religieuse, mais une association
de simples bienfaiteurs.
Cependant, ils croient à l'inspiration directe de la
Bible, et leur « Loi universelle » est basée sur l'inter-
prétation de certains versets de l'Ecriture, ainsi que sur
les révélations de l'Evangile, et surtout de l'Apocalypse.
Ils nient la mort, et, par suite, la nécessité de la pro-
création. Aussi vivent-ils, pour la plupart, dans un
austère célibat et ceux qui sont mariés s'abstiennent-ils
de tout commerce charnel avec leurs conjointes. Est-ce
que le mariage est interdit ? Non, puisque « le mariage
est un lien sacré et la famille, un sanctuaire béni si
l'esprit qui l'anime est un sentiment divin ».
Que devient, dans tout cela, l'éternel instinct des
êtres ? M. Freytag l'envisage avec un certain mépris.
Voici ce qu'il a déclaré à un de nos confrères qui l'a,
récemment, interviewé :

« Il n'y a pas de problème sexuel, car la vie devant être


éternelle, la procréation est inutile. D'ailleurs, qu'est-il, cet
amour tant exalté ? Il sert à alimenter la littérature facile, à
inspirer trop souvent les peintres, les musiciens et s'il est quel-
quefois à l'église ou à la mairie, on le retrouve aussi en cour
d'assises... Source de tourments, cause de douleurs, agent pro-
vocateur de la jalousie, forgeron de la haine, il est à l'origine
de la plupart des drames... L'amour naturel est autre chose.
Il est fait de calme, de tranquillité, de joie pure et non d'éner-
vement et de plaisir. Il n'est pas ce qui fait souffrir, mais ce
qui donne la sécurité ».
Nous voudrions bien savoir à quoi se limite l'amour
naturel ?
M. Freytag entend-il laisser aux profanes, seuls, le soin
de perpétuer l'espèce ? Comprendra qui pourra. Main-
tenant, qu'est-ce que cette LOI UNIVERSELLE, pivot de la
doctrine ?
Laissons encore parler le « Messager » :
« Les hommes souffrent et meurent parce
qu'il ignorent la
loi qui les fait vivre. Loi merveilleuse, poétique et consolante...
Cette loi est en nous et hors de nous.
« En nous, parce qu'elle a réglé, sans révision possible,
toutes les pièces solidaires de cette petite usine à fabriquer la
vie qui s'appelle le corps.
« Hors de nous, car elle est le mécanisme qui équilibre,
autour d'un axe théorique, les harmonieux balanciers de l'Uni-
vers. C'est elle qui préside à cette ronde sans fin du soleil, des
planètes, des étoiles de l'espace.
« Loi universelle, loi d'entr'aide, loi de solidarité, donc loi
d'amour. L'observer, c'est prendre dans le mouvement éternel
la place qui nous est attribuée, c'est jouer notre rôle, c'est
être heureux sur la terre, c'est gagner le bonheur.
« Violer la loi universelle, c'est se mettre dans l'illégalité,
s'attirer ce que nous appelons les maladies, les chagrins, les
douleurs, c'est tenter la mort...
« Il faut donc respecter votre corps. Lorsque les organes
sont altérés, lorsque l'usine fonctionne mal parce qu'un rouage
est détérioré, la vie est compromise, diminuée. L'âme, c'est
la vie, et lorsque le corps est usé, la vie s'en va... L'homme se
tue un peu chaque jour. Il s'intoxique, commet des excès qui
mettent à une continuelle épreuve ses organes... C'est pour-
quoi il faut avant tout se nourrir sainement. La loi univer-
selle s'appelle aussi hygiène ».
Rien de métaphysique, dans tout cela, comme on le
voit.
M. A. Freytag ne se contente pas d'administrer la
Nouvelle Terre dont il demeure le chef incontesté. Il
parcourt l'Europe pour répandre la bonne parole, sa
connaissance des langues allemande, anglaise et russe lui
permettant d'atteindre les populations les plus diverses.
Du Journal pour tous dont nous avons parlé,
extrayons le passage suivant qui donne la mesure de son
ambition :
« Chacun est invité cordialement à s'approcher pour rece-
voir les instructions et les bénédictions de la nouvelle forma-
tion. Cette société s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre;
elle est aussi montrée dans les Ecritures comme étant la pierre
qui se détache sans le secours d'aucune main, brisant la grande
statue qui représente l'ancienne société ».
En France, il existe un assez grand nombre de groupes,
notamment à Paris, à Lyon, à Bordeaux, à Marseille. En
Suisse et en Angleterre, les Anges de l'Eternel se livrent
à une active propagande et s'il est vrai qu'ils sont, de par
le monde, au nombre de 40.000, il faut convenir que
M. Freytag n'a pas précisément prêché dans le désert...
Respecter la « Loi Universelle » est, nous l'avons vu,
toute leur doctrine... Santé et bonheur pour tous par le
renoncement et la foi ! ajoute l'Apôtre en nous donnant
comme recette, d'avoir de la discipline, de la pureté et
l'esprit de pauvreté.
N'avons-nous pas quelque chose d'analogue dans le
monachisme, qu'il soit chrétien ou bouddhiste, à la
Trappe, au Mont-Athos ou dans les replis de l'Himalaya ?
En tout cas, ce n'est pas une des moindres singularités
TABLE DES MATIERES
IMPRIMERIE LOUIS JEAN. GAP. - PÉRIODIQUES
PUBLICATIONSLITTERAIRES& SCIENTIFIQUES

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