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Lettres choisies de Charles

Villette, sur les principaux


événemens de la Révolution

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Villette, Charles-Michel de (1736-1793). Auteur du texte. Lettres
choisies de Charles Villette, sur les principaux événemens de la
Révolution. 1792.

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L E T TRES
CHOISIES
D E

CHARLES VILLETTE,
Sur les principaux Evènemens
t

de la Révolution,
.

1792.
AVERTISSEMENT
DE L’ ÉDITEUR.

L’esprit public a fait plus de


progrès en trois ans, qu’il n’avait
fait en trois mille. Nous touchons
à l’époque la plus glorieuse au
,
règne des Droits de l’homme la
,
Liberté et l’Egalité.
Parmi les productions sans nom
bre qui sont sorties de la presse, et
que chaque *
jour voit en quelque
sorte naître et mourir, les Lecteurs
éclairés ont singulièrement accueilli
les Lettres insérées dans la Chronique
sous le nom de Charles Juillet te;
les bons esprits desiraient les voir
réunies pour le patriotisme les
,
vues sages, la fleur de Littérature
qu’elles renferment. C'est cette Col
lection que nous offrons au Public.
Nous avons eu, soin d’élaguer
toutes celles qui n’avaient qu’un
intérêt de circonstance ; et qui très-
piquantes le jour qu’elles ont paru,
ne le seraient pas autant deux mois,
ou deux ans après. Nous avons pré
cisément recueilli celles qui tiennent
à des abus supprimés, à de grands
évènemens, au caractère national,
à la popularité à tout ce qui peut
,
marquer, affermir et faire aimer
notre Révolution.
Autant M. de Villette a mon
tré de zèle pour la destruction de
l’ancien Régime et des vices mons
trueux de ce qu’on appellait alors le
Gouvernement, autant il a ménagé
les personnes. En jettant ses pen
sées dans les divers Journaux, il
n’a point pour cela ruiné son porte-
feuille. Il nous a communiqué ses
nJ
méditations et ses manuscrits.
,
Nous en avons extrait de riches
matériaux : un tiers de l’ouvrage est
neuf, et n’avait point paru.
Cette Collection publiée en
,
forme de Lettres, devient en quel
que sorte l’histoire de la régéné
ration de l’Empire. On y verra
par-tout la haine du Despotisme,
l’amour de l’Egalité, la cause du
Genre humain plaidée avec toutes
les grâces de l’esprit, et soutenue
avec les armes du sentiment. Son
style, tantôt grave, tantôt léger, a
toujours la couleur du sujet et le
trait de la chose. Impatient d’écri
re, impatient d’imprimer, il ferait
croire qu’il ne songe point à la
célébrité. Mais travailler à former
l’opinion publique, c’est mériter la
reconnaissance des vrais patriotes.
IV
Ce qui est bien digne de remar
que : presque toutes ses pétitions se
trouvent aujourd’hui décrétées. Les
datés de ses Lettres sont toutes an
térieures aux plus fameux Décrets
de l’Assemblée Nationale. Elles por
tent un caractère de prophétie que
l’on rencontre par - tout dans ses
écrits. Honoré de la haine des mé
dians insulté déchiré dans leurs
libelles atroces il a continué d’é
9 7

?
crire pour la cause commune, sans
chercher à venger sa cause per
sonnelle. Mais la Patrie est en dan
ger ; les Prêtres et les Nobles se
coalisent ; le moment est venu de
tirer sur les oiseaux de proie. C’est
la guerre qui convient aux Philoso
phes; et tous les Français sont ar
més pour faire la chasse aux tyrans.
LETTRES CHOISIES
D E

CHARLES VILLETTE.

A VAuteur de la Pétition du Tiers-Etat.


Avril 1789.
J e viens de lire votre belle adresse :
recevez , Monsieur , tous mes compli-
mens. Je savais bien que vous étiez un
grand Médecin. Je croyais à vos miracles,
parce que j’en ai été le témoin, lorsque
vous avez rendu la vie à ceux qui avaient
mille fois mérité de la perdre : mais je ne
savais pas que vous aviez l’ame de Caton
sous le manteau d’Hipocrate. Rangez-moi,
s’il vous plaît, dans cette classe que l’on
appelle si improprement le Tiers-État, et
sans laquelle les deux autres Etats ne sont
rien. Depuis le Soc de la charrue" jusqu’au
premier diamant de la Couronne ; depuis
l'Alphabet jusqu’à la Henriade depuis le
5

Chalumeau champêtre jusqu’à la Lyre de


Gluckj les Vertus, les Sciences, les Arts,
les Talens, tout ce qui instruit, tout ce qui
A
( 2 3

console et charme la yîe, nous vient da


Tiers-État. Eh ! que nous importe de savoir
comment il fut traité, il y a deux siècles?
Peut-on se défendre d’un sourire de pitié,
en lisant ces longues et pénibles recherches
sur la cohue solemnelle de 1614, que l’on
appelle Etats-Généraux? J’aimerais autant
que, pour élever la fameuse Basilique de
Sainte-Géneviève, l’immortel Soiiflot met
tant à l’écart le génie et la raison, fut allé
consulter exclusivement toutes les propor
tions de la vieille Eglise. Je me représente
un Vaisseau battu par la tempête : le Capi
taine expérimenté, sourd aux cris de l’équi
page , aux plaintes des passagers, doit-il
préférer de les laisser périr, plutôt que de
déroger à l’ancienne routine et de rien
,
changer à la manœuvre de 1614?
Au reste tout paraît arrangé et s’il est
5

vrai que Dieu soit pour les gros bataillons ,


c’est évidemment quand ils ont à leur tête,
le bon sens, la justice et la vérité.
Continuez Monsieur soyez aussi le
5
,
Médecin des âmes. Guérissez les humeurs
froides de certains Frondeurs, mécontens
de tout, et qui 11e peuvent rien aimer.
( 4 )
étonné de rencontrer par-tout une sagesse 9
un esprit de providence que l’on n’aurait
pas même espéré si la révolution avait
,
été préparée.
On doit admirer sur-tout que, dans une
crise si effrayante, où les prisons sont ou
vertes où les bons et les médians sont
5

pêle-mêle confondus où la vengeance du


5

peuple Français pouvait être si terrible pour


ses tyrans , il ne soit arrivé aucun de ces
crimes qui semblent commandés par la
circonstance et l’impunité.
Toutes les Caisses de l’Etat arrachées à
la garde Royale sont confiées à la vigi
,
lance des Citoyens. A la Bastille même la
,
bourse du Gouverneur pleine d’or 5
les
diamans de Calliostro devenus la pro
,
priété du Geôlier Launay ; les effets les
plus précieux, dépouilles de tant de mal
heureuses victimes de la tyrannie, tout a
été enlevé avec fidélité, et porté intact à
l’HÔ tel-de-Ville.
Par la belle police, la sage et prompte
organisation de la Milice Bourgeoise \ par
le sévère examen de tous les individus,
Paris a été délivré, en une seule nuit, de
(S)
plus de dix mille scélérats qui, sous pré
texte de liberté, se préparaient à piller les
maisons et demandaient de l’argent à
,
main armée et en plein jour.
Par la seule insurrection de ce qu’on ap-
pellait dédaigneusement les Badauds de
Paris , on a vu, pour ainsi dire, chaque*
payé enfanter un guerrier on a vu deux
$

cents mille hommes prendre les armes au


nom de la Patrie morte depuis deux siècles.
On a vu fuir à toutes jambes ces fameux
Allemands sur qui le démon du Despo
,
tisme fondait ses plus chères espérances.
Par la scrutation rigoureuse faite aux
environs de Paris cette ville immense
, r
qui ne forme aujourd’hui qu’une famille
de frères, en quarante-huit heures, a été
approvisionnée pour six semaines tandis
,
que trois jours auparavant , on y criait
détresse et famine et nos Aristocrates sont
5

alimentés et nourris par ceux-là mêmes


dont ils avaient juré de faire une Saint-
Barthelemi.
Enfin l’ame se repose, en voyant entrer
dans la Capitale le plus trompé des Rois_
On est touché jusqu’aux larmes, quand
aa '
(6)
on entend ce refrain que les Instrumens
de Musique répétaient autour de lui : Oà
jpeut-on être mieux, qu’au sein de sa
famille !
Nous citerons , comme une Anecdote
Patriotique, l’idée d’un Bourgeois de Paris
qui, tandis que les Députés venaient ré
pandre la joie et la nouvelle de la Paix $
tandis qu’ils défilaient sur le Pont-Neuf,
est monté arborer la cocarde tricolore sur
la tête d’HEJSTRi-Quatre.
J’aimerais que l’on instituât une fête
Nationale au jour qui fait l’époque de
notre résurrection. Pour une révolution
qui n’a point d’exemple il faut un ap
,
pareil d’un genre nouveau.
Je voudrais que tous les Bourgeois de la
bonne Ville de Paris fissent dresser leurs
tables en Public et prissent leur repas
,
devant leurs maisons. Le riche et le pauvre
seraient unis, et tous les rangs confondus.
Les rues, ornées de tapisseries , jonchées
de feuilles et de fleurs, il serait défendu
d’y cheminer en voiture ou à cheval. Toute
la Garde sur pied maintiendrait aisément
l’ordre. La Capitale, d’un bout à l’autre,
C 7 )
ne formerait qu’une immense famille \ on
verrait un million de personnes assises à
la même table ; les taosts seraient portées
au son de toutes les cloches, au bruit de
cent coups de canon , des salves de la
mousqueterie, au même instant, dans tous
les quartiers de Paris; et ce jour, la Na
tion tiendrait son grand couvert.

A M. C ERUTI..
io Septembre 1789.
Vo u s m’avez envoyé Monsieur une
, ,
fort jolie Lettre et un fort bon Livre. Je
n’ai pas voulu vous répondre des compli-
mens ; parce qu’on ne paie point de cette
monnoie un homme de votre mérite.
Je puis dire que j’ai dévoré votre Ou
vrage ; et ce qui ne m’arrive guères , je
l’ai commencé et fini d’une haleine. Je
suis même quelquefois revenu à plusieurs
reprises sur beaucoup d’articles ; et si je
m’étais laissé faire vous m’auriez persuadé
,
sans pouvoir me convaincre. La puissance
des Représentans de la Nation est de créer
des loix : la puissance du Monarque est
de les faire exécuter-
A4
( 8 )
La Constitution une fois faite , je con
sidère la grande machine de l’État comme
une Horloge. Le Rouage , emblème des
Loix, détermine le mouvement, et pres
crit au Pendule l’arc qu’il doit décrire.
Mais comme l’Horloge représente la Na
tion , le Pendule représente le Roi. Si le
Pendule, Balancier, ou Régulateur, avait
un veto , la machine s’arrêterait bien vite.
Ce Pendule par sa nature tend sans
, ,
cesse vers l’inertie , vers la résistance j
mais contraint d’obéir, il anime toute la
machine ; et la perfection de l’ouvrage
consiste en ce que le Régulateur ne puisse
jamais avancer, ni retarder.
Il suit de cette comparaison , qui me
paraît juste dans tous ses points que ni
,
le veto absolu ni le veto suspensif ne
,
doivent être laissés au Roi : puisqu’alors
d’un seul mot, il pourrait arrêter l’orga
nisation du corps politique , paralyser, et
réduire à rien les sublimes résultats de
l’Assemblée Nationale.
Ainsi, Monsieur , rien ne me raccom
mode avec le veto absolu, ni même avec
le veto suspensif
( 9)
Il n’y qu’un veto avoué par le bon
a
sens et les amis de la liberté ; c’est celui
des Américains. Si le Président du Congrès
ne veut pas sanctionner une Loi, son refus
force les Chambres à réexaminer de nou
veau la Loi proposée il faut les deux tiers
5

des voix pour la faire passer : la Loi dès


lors n’a plus besoin de sanction. Ce mode
n’est point un appel au Peuple, toujours
aussi dangereux qu’impraticable. Ce n’est
point une prérogative funeste attachée à la
dignité de Président c’est un appel de la
5

passion, de l’intrigue des opinans pendant


les orages d’une discussion au sang froid
,
et à la raison du lendemain.
Un Duc et Pair disait hier à l’Assem
blée Nationale : Le veto Royal illimité est
accordé au Roi d’Angleterre : par quelle
fatalité serait-il refusé au Roi de France!
Ne pourrait-on pas répondre : Les Let-
tres-de-cachet étaient accordées au Roi
de France : par quelle fatalité sont-elles
refusées au Roi d*Angleterre ?
Vous savez que les Anglais fatigués
^
du sombre despotisme de Croinwel, rap
pelèrent Charles II j et pour embellir la
( 1° )
Royauté lui donnèrent le veto absolu,
,
Mais ils ne tardèrent pas à s’en repentir»
Ce Prince, sans caractère usa de son t/eto
,
Royal pour garder^ ou dissoudre le Parle
ment à sa volonté ; pour dépouiller de leurs
chartes la ville de Londres, et les princi
pales cités du Royaume. Ses Courtisans
r
ses Ministres et ses Maîtresses, firent re
gretter l’administration de l’Usurpateur.
Ce qui fait dire à Blakston fameux Ju
>
risconsulte Anglais : Par cette préroga
tive de la Couronne, on doit entendre
une portion de la Liberté enlevée au
Corps politique et donnée par la Con
>
stitution au Prince pour en disposer à
sa fantaisie.
L’expérience et le tems sont venus à
l’appui de son opinion. Le Gouvernement
Anglais est fondé sur un équilibre chimé
rique. Il a mis les deux pouvoirs celui du
,
Peuple ^t celui du Prince, dans une op
position éternelle espérant qu’aucun ne
,
prendrait le dessus. Mais cette perfection
f
supposée possible est, dans l’organisation
,
du Gouvernement, ce que serait en Géo
métrie un point Mathématique aisé à
,
( 11 )
dépasser de l’un ou de l’autre coté. Les
Loix, calculées sur la durée de cet équi
libre produiront à la longue de mauvais
,
effets. Elles partent d’un faux principe, en
supposant une perfection durable ce qui
$

n’est point dans la nature, encore moins


dans les sociétés. Mais revenons chez
nous.
Un pouvoir exécutif héréditaire ne tarde
pas à se placer tout au moins au niveau
d’un pouvoir législatif amovible dans ses
Représentans élus.
Nos Députés ont un intérêt puissant à
ne faire que de bonnes Loix puisque Lé
5

gislateurs pour deux ans, ils seront bientôt


soumis à une Constitution dont ils auront
eux-mêmes dicté les articles.
Ne cherchons point à imiter l’exemple
des Anglais dont nous allons tout-à-l’heure
devenir les modèles. Consentons que nos
Députés accordent au Roi la sanction, qui
n’est qu’une signature d’honneur : mais
rayons à jamais ces mots formidables de
veto absolu , et même de veto suspensif\
qui disent crûment à des hommes sages
?
choisis pour leurs lumières et leurs vertus
:
( 12 )
J’en sais plus que vous tous : retirez-
vous ? car tel est mon plaisir.
Je vous demande pardon de cette longue
digression. Je ne prétends pas vous ins
truire. Vous saviez cela beaucoup mieux
que moi. Je vous embrasse $ mais je ne
puis vous pardonner votre veto absolu.

19 Octobre 1789.
On demande si le Roi peut avoir un
spectacle dans son Palais, et s’il est décent
que le public paie en entrant?
Il me semble que le Roi le peut, si cela
lui convient et convient au public.
Soutenir le contraire, serait favoriser un
préjugé aussi puérile que gênant. De toutes
les libertés certainement une des moins
9

dangereuses est celle qui tendrait à se dé*-


gager des liens de cette vieille étiquette y
si toutefois elle subsiste encore à la Cour
de France.
Veut-on des exemples? A Turin où
toutes les étiquettes sont minutieusement
observées. le théâtre fait corps avec le Pa
lais du Roi j le public y paie sa place. Il
( i3 )
en est de même au théâtre Saint-Charles
à Naples, attenant au Palais.
Il est bon d’observer que cette facilité
nous serait donnée seulement dans la Ca
pitale il est aisé de voir que c’est par des
5

raisons de convenances réciproques au


,
tant que par économie.
Je sais bien qu’à Berlin, sous le règne
du grand Frédéric, cet usage n’avait pas
lieu, quoique ce Prince entendît l’écono
mie comme l’art de la guerre ; quoique son
faste ne résidât que dans ses armées. Les
virtuoses attachés à son service étaient
payés pour toute l’année ; tandis qu’il n’y
avait tout au plus qu’une vingtaine de
représentations théâtrales et publiques
,
l’hiver seulement.
J’ignore ce qui se pratique aujourd’hui
à la même Cour. Mais toute comparaison
est inadmissible entre Paris et Berlin. Les
mœurs, les lumières acquises, le goût des
spectacles, l’esprit de liberté, changent en
habitude chez une nation ce qui serait
?

une fête chez une autre. Les plaisirs pu


blics tiennent toujours aux formes du gou
vernement.
( 14 )
On se rappelle encore les fameux spec
tacles de Studgard les plus beaux de l’Eu
,
rope, où la musique italienne était unie à
la danse Française. Le Duc de Wirtem-
berg en faisait seul les frais, et l’on y en
trait gratis. Mais le Prince n’a pu y tenir
que pendant quelques années.
Le Roi devant faire désormais sa rési
dence la plus habituelle à Paris il lui
,
convient d’avoir un spectacle, ou chez lui,
ou à sa portée il faut même qu’il y arrive
$

à couvert.
On objectera le danger de l’incendie :
mais on est devenu plus savant que jamais
sur les précautions. Un gros mur élevé
jusqu’au faîte du château et des portes
,
de communication en fer, garantiraient de
toute crainte.
Le résultat se réduit donc à ces derniers
termes. Si le Roi a la bonté de consentir
que des Entrepreneurs établissent un spec
tacle dans la salle de son Palais 011 con
,
serverait à sa Majesté de grandes loges 5
le reste lui devient étranger. Il ne veut
percevoir aucun droit : mais, dût-il même
en exiger les droits payés aux barrières
,
( i5 )
des capitales sont beaucoup moins nobles.
Tout ce qui peut favoriser le séjour du
père de famille au milieu de ses enfans
,
doit-il être mesuré au compas de l’éti
quette? Et cette simplicité de mœurs qui
le caractérise, s’en accommodera sans tant
de cérémonie.

A JM. Besnier , Essayeur-général des


JMoim aies.
Il y 21 Octobre 178g.

a dans le Royaume une cinquantaine


d’Académies et envirdn 2000 Académi
,
ciens. Aujourd’hui que l’homme aisé en
voie sa vaisselle à la monnaie, que le plus
simple Citoyen se défait avec joie de ses
bijoux, serait-il pénible à ces deuœ mille
gens d’esprit de se défaire de leurs jetons?
Faut-il encore ajouter des gages au privi-
lége insigne d’être inscrit sur le tableau
des Quarante?
MM. de Notre-Dame de Paris viennent,
dit-on, de vous envoyer une partie de leur
immense trésor, des chef-d’œuvres d’or et
d’argent, bénis sous les règnes du Roi Jean
( 16 J

et de Charles V. Mais on demande par


tout s’ils y ont joint le fameux reliquaire
de Saint-JUa7'cel sur lequel j’ai lu gravés
?
ces mots patriotiques : Je pèse nonaiite
marcs d’or Jîn. En estimant le marc d’or
lin à 800 livres ce reliquaire sans comp
, ,
ter la relique, vaut soixante-douze inille
livres.
Cette manière étonnante et rapide que
vous avez, d’extraire avec la parole le pro
duit net du métal orfêvré, vous rend juge
compétent de plusieurs discussions qui se
raient un problème difficile à résoudre
pour tout autre que pour vous.
Les chasubles, les chappes les dalma-
,
tiques, les ètoles, les manipules? tous ces
vêtemens sacerdotaux tissus d’or et d’ar
gent, qui affaissent l’homme robuste, payé
pour les porter une fois l’an ces objets
5

précieux, mis en parfilage et dépécés, se


raient-ils d’une assez grande importance
pour former une riche offrande sur l’autel
de la Patrie?
Les Vases sacrés des Chapelles de Châ
teaux des Congrégations, des Églises
, non
desservies, tous ces objets inutiles, mis en
masse,
( i7 )
masse ne seraient - ils pas dignes aussi
,
d’être envoyés au creuset national?
En attendant, je vous envoie les Calice ,
Patene et Burettes de ma petite Chapelle
Seigneuriale. J’invite tous les féodaux à en
faire autant. Puisqu’il n’y a plus de privi
légiés pour le tribut que l’on paie à César,
il ne faut plus de privilégiés pour le culte
que l’on rend à Dieu. J’irai tout bonne
ment à la Messe de la Commune.
On propose de porter ses boucles à la
Monnoie. Cette offrande qui paraît d’a
bord minutieuse dans le détail est en
,
somme d’une véritable conséquence. Pour
l’exemple et le plaisir de tous on aime
,
rait à voir Louis XVI porter des rosettes à
ses souliers, comme son ayeul Henri IV.

Réponse de JM. Besnier.


Yo
t r e politesse, Monsieur, vous a sans
doute dicté tout ce que vous écrivez de
flatteur à mon sujet : si je vous ai quelque
fois entretenu de choses abstraites relatives
aux monnoies vous les avez saisies avec
,
£
C 18 )
tant de sagacité, qu’en les publiant vous
trouvez l’art d’embellir ce qui est le moins
susceptible de parure.
Parmi les offrandes que l’on apporte
journellement à la Monnoie, je n’ai pas
encore vu le fameux reliquaire dont vous
parlez. Il a été autrefois la cause d’un
grand combat entre les Chanoines de
,
Saint-Marcel et ceux de Notre-Dame.
Il est resté à ces derniers pour prix de la
victoire. Aussi l’ont-ils mis sous la sauve
garde de trois portes de fer, fermantes à
trois clefs , de sorte qu’il n’est plus permis
de le voir, encore moins de l’espérer. Il
fallait bien que ce fût un beau morceau
d’or, pour exciter une si grande querelle.
Je crains fort que ce reliquaire, ni bien
d’autres, à moins d’un miracle ne se fon
,
dent pas de si-tôt dans le creuset national.
On peut en dire autant de ce fameux
devant d’Autel de vermeil, et des douze
Apôtres d’argent massif de Saint-Germain-
L’Auxerrois. Ils sont toujours en place j
on les découvre seulement aux Fêtes so-
lemnelles.
L’idée que vous avez de former une of-
f 19 )
frande à la Patrie des ornemens d’Église,
est des plus riches et serait dans la cir
, ,
constance présente, d’un grand secours.
On a peine à concevoir le produit im
mense que l’on retirerait de ces étoffes dé-
pécées. Je puis en donner un léger ap-
perçu qui fera juger du reste.
Après que Dame Louise de France, re
tirée aux Carmélites de Saint-Denis eut
,
fait rebâtir l’Eglise elle voulut aussi en
,
renouveller les ornemens elle me chargea
5

de tirer tout l’avantage possible des anciens.


Au grand étonnement de. cette pieuse Prin
cesse, je lui fis remettre onze mille deuæ
cents livres des vieux ornemens qui étaient
dans la Sacristie de ce pauvre Couvent.
Mais que l’on jette les yeux sur nos Ca
thédrales, nos Collégiales nos Abbayes
, ,
nos riches Paroisses : ah, Monsieur ! que
de millions provisoires PEtat pourrait se
procurer ! Les Manufactures et le Com
merce y trouveraient un grand avantage.
Vous le savez rien n’est minutieux
,
dans son ensemble ; et lorsque vous desirez
que le Roi porte à ses souliers des rosettes
comme Heîtri IV, vous auriez pu ajouter
B 2
( »0 )
que cet exemple qui deviendrait la mode
du jour, ferait bientôt passer des sommes
immenses à l’Hôtel des Monnoies.

Lettre de M. le Curé d.e Saint-Sidpice à


JIL. DE V^ILLETTE.
7 Novembre 1789.
No u s commençons à entrer dans un
hiver qui nous présage une très-grande mi*
sère. Le défaut de travail dans toutes les
professions la multitude de domestiques
,
de l’un et de l’autre sexe, qui a éprouvé
des réformes ) l’absence d’un très grand
-
nombre de riches la suspension des dé
,
penses de luxe ,
l’interruption du com
merce , l’impossibilité de trouver aux vieil
lards un asyle aux Hôpitaux qui regorgent
de malades ; tant de maux réunis m’affli
gent et me désolent.
Il est de mon devoir, et plus encore du
besoin de mon cœur, d’être la consolation
et la ressource des malheureux, devenu à
leur égard une seconde Providence.
Je sais qu’un concours de circonstances
ne vous permet pas les sacrifices possibles
( 21 )
en tout autre tems : aussi ma prière se
borne-1-elle à vous demander les secours
qui sont en mesure de votre position. La
plus légère offrande vous assurera des
droits à ma reconnaissance.
Je suis, etc.
Mayneaud de Pancemoih? J
Curé de Saint-Sulpice,

Répoîise de JM. de Villette^


M ONSIEUR LE CuRE,
Ïja lettre pastorale que vous me faitesr
l’honneur de m’adresser est d’autant plus"
méritoire qu’elle exprime les senthnens
,
de toutes les personnes honnêtes. Mais au
jourd’hui la bienfaisance remplace éminem
ment l’ancienne charité. La Patrie qui est
sœur ainée de la Religion, vient au secours
de vos bonnes œuvres et ce qui aide en
5

core à diminuer votre sollicitude évangéli


que, chaque Distinct est une nouvelle con-
frairie où les pauvres, comme les riches
r
se trouvent enrôlés et connus^ Le Comité
des Petits -Augus tin s vient de donner à
ba
( 22 )
ma femme le département des aumônes £
et c’est, les larmes aux yeux , que , deux
fois la semaine, elle remplit ces honorables
fonctions.
Maintenant que les pauvres sont citoyens 7
on aurait honte, pour les nourrir, d’atten
dre tout des âmes pieuses. L’Etat ne forme
plus qu’une famille ; et votre ministère va
se borner à l’exhortation et à la paix. La
[Nation qui vient de recouvrer les biens
du Clergé, soulagera les Pasteurs. Ce n’est
plus vous, Monsieur le Curé, c’est elle qui
va devenir pour les indigens une seconde
Providence. On dira de la Constitution ce
que l’on a dit de Dieu, Deus caritas est.
Ainsi trouvez bon que je m’acquitte moi-
même d’une dette quotidienne et sacrée :
il est si doux de voir le visage des heureux
que l’on fait ! Celui qui reçoit, nous fait
jouir d’un plaisir secret où il entre quelque
chose de céleste et que je suis tenté de
,
vous envier. On est secrètement assez payé
par ce que l’on donne ; et le malheureux
pourrait nous dire :
Doit-on de la reconnaissance
Pour les plaisirs que vous prenez ?
( 23 )

12 Novembre 178g.
Je irai point mission pour écrire mais5

les idées du bien, ou de ce que je crois le


bien, quelquefois me tourmentent : et j’ai
besoin de dire ma pensée, comme un autre
a besoin de crier sa douleur ou son plaisir.
Dans ces jours de révolution, où l’ordre
civil se régénère d’un bout du Royaume à
l’autre on pourrait instituer une mode
,
nouvelle pour les hommes.
Commencer par supprimer la roîdeur et
l’afféterie de nos vêtemens Français, et jus
qu’au mot d’habit-habillé
~
Adopter généralement le chapeau rond,
qui s’appellerait chapeau de la liberté ; y
joindre de petites plumes flottantes, de cou
leurs nationales ; et renoncer enfin à ces
trois cornes, dont la forme bisarre offense
et crève les yeux.
Des cheveux courts et bouclés avec une
grâce naturelle , achèveraient la coeffure.
Des brodequins ou demi-bottes des
, 5

rosettes aux genoux , et la cravatte.


Les dames porteraient des lévites bleues
B 4
( 24 )
et la cocarde. Tout serait fourni par nos
manufactures.
Qu’un jeune soldat national se montre
en public ainsi costumé avec les grâces
de son âge ; et cet exemple vaudra mieux
que tout ce que je dis.
Il me semble que, sous ce nouvel uni
forme on retrouverait le caractère de la
,
valeur et l’urbanité Française. Il devien
drait celui de notre sage révolution, et nous
aurons plus fait que les Anglais.
Le dernier emblème de la féodalité, c’est
l’épée, arme gothique inutile à la guerre,
,
plus inutile encore dans la paix. Il faut
la proscrire et défendre de la porter
,
comme on défend les poignards et les
poisons. Il est tems de briser enfin cet
instrument homicide qui servit à mettre
la Couronne sur la tête des Rois, et les
investit de la Souveraineté.
Le sombre Cromwel composa sa garde
de jeunes gens, d’une intrépidité farouche :
leurs cheveux plats et courts leur petit
,
collet, leur accoutrement grotesque, tout
présentait un mélange monastique et mili
taire qui les fit nommer Frères rouges.
( 26 )
fait dévot et aristocrate. Les vieilles dames
de la Paroisse Pont choisi pour leur nou
velliste ; et messieurs les qualités l’em
ploient comme le courrier de la ligue.
3NTé dans la démocratie, il a voulu passer

d’un Grenier à Sel dans une Cour de Jus


tice mais ayant été véhémentement soup
5

çonné d’avoir eu dans sa lignée deux


, ,
marchands de vin en gros, il s’est vu re
poussé par les Ecuyers-Conseillers du Roi
qui n’entendent pas raillerie là-dessus.
Depuis la révolution, il est toujours en
colère contre les Communes : il lui prend
quelquefois des accès d’humeur si violens,
qu’ on serait tenté de le croire noble comme
les Montmorency. Tout naturellement il
s’appelle Monsieur Benoit; mais sa perru
que est si bien poudrée , ses manières si
gracieuses que nous lui disons toujours
,
Monsieur de Benoit,
J’avouerai cependant qu’hier au soir il
se fâcha très-sérieusement contre l’Assem
blée Nationale. Nous étions dans un Club
dont il interpellait tour-à-tour les membres
les plus apathiques. Enfin, disait il,
- ces
grands Orateurs, ces Messieurs de Mira-
( 27 )
beau, Thouret, Péthion, Parère ont si bien
fait qu’il n’existe plus rien en France de
tout ce qui était. Clergé, Noblesse, Parle
ment , Finances, voilà qui est fini per om-
nia saecula saecuLorum. Ne valait-il pas
cent fois mieux laisser les clioses comme
auparavant ! On dit sans cesse qu’il y avait
des abus ; à la bonne heure : eh bien ! des
abus tant qu’il vous plaira ! au moins y
avait-il quelque chose.
C’est pourtant avec une logique de cette
force que l’aristo-démocrate harangue dès
le matin les honorables membres de son
District ; et, ce qu’il y a de plaisant, on
assure qu’il fait des prosélytes.
A ce dernier trait, il m’est venu dans la
pensée d’entreprendre sa conversion. Au
tant qu’il m’en souvient , voilà ce que je
lui dis d’abondance de cœur.
Mon cher Monsieur de Benoit, je suis
véritablement peiné qu’avec des intentions
aussi pures vous soyez devenu l’apôtre
,
d’une fausse religion. Ayez la bonté de
m’entendre ; je serai court et je ne dé
,
sespère pas de vous racommoder avec nos.
Constituans.
( 28 )
D’abord j’en appelle à votre conscience :
pouvez-vous regretter l’ancien régime ? Au
riez-vous oublié les outrages que vous en
avez personnellement reçus?
Votre femme belle comme un ange, et
,
méchante comme un diable avait mis ses
,
affaires entre les mains d’un Ministre qui
ruinait les vôtres , si vous n’aviez pas con
senti de bonne grâce à la séparation de
corps que Pon vous a tant demandée. Ce
Visir si haut, devenu si bas depuis sa dis
grâce qui vous faisait valeter dans son
,
antichambre, et qui vous menaça devant
moi d’une lettre-de-cachet ; eh bien ! un
simple citoyen, tel que vous, pourrait être
aujourd'hui son Juge l’absoudre ou le
,
livrer à la vindicte publique.
Combien de louis avez-vous donnés au
Secrétaire du Rapporteur d’Amécourtl le
fils de votre adversaire allait épouser sa
nièce et vous avez perdu votre procès.
5

Cette jolie terre, que vous aviez si fort


embellie n’est-elle pas entièrement dé
,
vastée par la Capitainerie ? et si vous vous
plaignez aujourd’hui des Braconniers ; ne
vaut-il pas mieux avoir affaire à des Bra-*
( a9 )
conniers qui passent, qu’à des Princes, à
des Valets à des Chiens qui restent? Siæ
,
cents lieues quarrées de terrein rendues à
l'agriculture , et la tyrannie féodale abat
tue , peut - on recevoir ces bienfaits sans
quelque reconnaissance?
Vous serez jugé, mais vous aurez un dé
fenseur et si vous êtes condamné, ce ne
5

sera point par les hommes, mais par la loi.


Vous paierez des impôts ; mais vous en
connoitrez toujours l’emploi.
Vos enfans parviendront à tout avec
,
une bonne éducation et pour devenir Of
5

ficiers ou Magistrats, ils n’auront d’autres


,
preuves à fournir que celles d’un mérite
acquis et reconnu.
Enfin, cette distinction d’Ordres, si go
thique et si monstrueuse ne vous sou
,
mettra plus aux dédains d’une race privi-
lég iée que l’on vient d’anéantir.
Je dirais à votre voisin : vous Mon
,
sieur, que regrettez-vous de l’ancien ré
gime? certainement ce ne sont pas les let
tres - de - cachet, l’exil, les vexations dont
les grands accablaient les petits. Voyons ce
que vous y perdez pour votre compte. Vous
( 3o )
étiez Conseiller au Parlement : y avait-il
rien de plus vénal et de plus bourgeois?
Votre Office même ne vous appartenait
pas : vous aviez loué une charge, et vous
la teniez, comme on dit, en custodi nos.
Vous êtes aujourd’hui Député de votre Pro
vince j il est plus beau sans doute d’être le
Rapporteur du procès de la ÜNFation. \byez
de quelle estime jouissent parmi nous ceux
qui ont bien plaidé cette belle cause ! Re
grettez-vous la ligne de démarcation qui
vous séparait avec tant d’insolence de cette
classe privilégiée qu’on appellait gens de
qualité? Votre femme, bonne Demoiselle,
comme on disait alors , ayant eu le mal
heur d’épouser un Robin n’eût reçu à
,
Versailles que des camouflets. Fussiez-vous
parvenu à la place de premier Président,
à la dignité de Chancelier de F rance, elle
n’aurait pas eu le plat honneur de la pré
sentation et du tabouret et n’eût pas
,
même été admise à la basse-cour des Prin
ces. Riche et bienfaisant, Magistrat élo
quent et sensible , eussiez-vous écrit un
chef-d’œuvre de législation ; eussiez-vous
sauvé les Calas de l’échafaud, certainement
( 3. )

vous auriez été placé fort au-dessous d’un


Capitaine des levrettes de la chambre, ou
d’un Maître de la garde-robe. Votre fils
aurait eu grand tort de prétendre à l’hon
neur de commander un Régiment et l’on $

n’aurait pas manqué de vous rire au nez,


si vous aviez présenté votre hile au dernier
des Chapitres nobles.
Je ne sais si l’intérêt personnel a plus
d’empire sur l’opinion que les principes
,
d’une morale universelle : mais nous avons
vu, avec un extrême plaisir, que nos aris
tocrates se sont rendus à cette logique. Et
je suis sûr d’avoir conquis à la bonne cause
sur-tout un de ses plus bruyans ennemis ,
et l’oracle de son quartier.

xo Décembre 1789.
C’est
au nom de plusieurs honnêtes
Commerçans de Paris que j’écris ces ré
flexions.
Un deuil annoncé tout-à-coup fait ren
trer dans les magasins , des étoffes qui n’a
vaient de valeur réelle que celle de la
mode, que celle du moment. J’aurais cru
( 32 )
que ce vieil usage de servitude n’aurait pas
plus duré que l’impôt sur le sel ou les an
,
tiques abus de la fiscalité. Quel rapport
peut-il donc y avoir entre la mort d’un
Electeur ou de quelqu’autre Prince de
,
l’Empire ; entre les successions des Cou
ronnes d’Espagne , de Portugal, ou d’An
gleterre et de généreux Citoyens occupés
,
du régime de leur liberté ? Je les vois tout-
à-coup vêtus de noir comme s’ils venaient
de perdre un proche parent, comme s’ils
entraient pour quelque chose dans le con
cours des évènemens qui changent la face
du monde.
Il faudrait un Décret qui enjoignit de
ne porter d’autre deuil que de ses proches.
Ainsi tous ceux de la Cour et de la Ville,
qui 11e prouveraient pas que leur aristo
cratie descend en ligne directe ou collaté
rale des potentats décédés, pourraient sans
inconvénient rester en habit de couleur.
Porter le deuil d’un autre que de ses pa
reils, est une preuve de domesticité. Les
grands Seigneurs et les gens riches noir
cissent leurs valets de la tête aux pieds',
parce qu’ils les habillent : et les Princes
eux-mêmes
( 33 )
eux-mêmes rient en particulier de ce té
moignage public de vassalité, dont ils sont
pourtant bien aises de conserver l’usage.
Quand Louis XV, dans sa jeunesse, vit
pendant un deuil de Cour pour la première
fois tous les Bourgeois de Paris habillés
,
de noir, il s’écria : Je 7ie savais pas avoir
tant de parens.

Il y 6 Janvier 1790.

a quelques jours, une fille de seize


ans est arrivée de Turin à Paris, séduite ,
enlevée, abandonnée par un jeune homme
qu’elle aimait seule et livrée au désespoir,
5

elle imagine de s’adresser à l’un des com


mensaux de l’hôtel garni où elle est logée.
Cette pauvre enfant lui raconte avec la
naïveté de son âge tous ses chagrins et tous
ses torts : la Providence, qui abandonne
quelque chose au hazard, a permis que le
confident de ses peines fût un bon démo
crate , homme de lettres, et le meilleur
des humains ; il l’a secourue, consolée et
placée provisoirement dans une honnête
maison.
C
34 )(
Ses manières décentes et son langage
annoncent de l’éducation. Sa taille, le son
de sa Voix ajoutent à l’intérêt qu’inspire
un visage charmant, flétri par les larmes.
On parle sans cesse de la dépravation
de nos mœurs j plaignons-nous de leur
inertie , ou plutôt de leur dureté.
Je demande toujours : que va devenir
cette malheureuse enfant? Est-il dans cette
Capitale du monde un asyle ouvert à la fai
blesse, à l’inexpérience? Non. Les hommes
ont tout fait pour eux. Depuis le mousquet
jusqu’à l’aiguille ils se sont emparés de
,
tous les moyens d’existence. Celle des
femmes pauvres me paraît en quelque
sorte un miracle. Lorsque la somme du
numéraire est augmentée avec le prix des
denrées, la journée d’une flleuse, ou d’une
couturière , n’a pas plus changé que la
paie du Soldat et puis vantez-nous la po
5

litesse, la douceur du Peuple Français !


Des Sœurs de Charité des Sœurs Gri
>

ses, des Sœurs Hospitalières, des Sœurs


de la Miséricorde : toutes ces fondations
sont pour soulager les hommes. Quelques-
unes seulement y admettent les femmes.
( 35 )
Nos consolatrices, nos mères adoptives
,
elles sont par-tout secourables, et presque
jamais secourues.
Je fais donc la motion d’interdire aux
hommes non-seulement tous les travaux
5

qui appartiennent à l’aiguille , mais toute


espèce d’arts et métiers qui peuvent s’exer
cer par un être timide et sédentaire, tels
que les modes, les dentelles, la broderie,
la couture, la filature les noeuds, etc.
,
Nos mœurs régénérées amèneront un
jour la mode que les femmes ne seront coëf-
fées que par des femmes
,
ni servies que par
elles dans leur intérieur domestique. La
décence et l’égalité leur fourniront de nou
velles ressources. Il est inutile d’énumérer
ici toutes celles qui restent aux hommes,
l’agriculture le commerce le service de
, ,
terre et de mer, les emplois civils et reli
gieux les travaux de l’architecture, et tous
,
ceux qui exigent à - la - fois les forces du
corps et de l’esprit.
Faut-il s’étonner du spectacle immoral
et déchirant que nous offrent les grandes
Villes ! La dépravation et toutes les misères
qui l’accompagnent, ne sont-elles pas une
C 2
( 36 )
suite nécessaire de l’indigence et de cet
abandon absolu où nous laissons un sexe
qui est, pour ainsi dire, à notre merci ?
Les Prédicateurs, les Publicistes et les
Philosophes ont fait de beaux traités sur
l’éducation les devoirs maternels les
, ,
vertus domestiques , et sur tout ce qui
caractérise les femmes ils ont donné de
5

grandes leçons de moralité sans penser


,
aux moyens de leur subsistance. Tous ces
beaux discours sont un luxe déplacé pour
qui n’a pas le nécessaire. Primd vivere,
deindè philosophari. Combien de belles
et sages personnes, dont les fautes ne vien
nent que du malheur, pourraient leur dire :
Eh ! mon ami, tire-moi du danger,
Tu feras après ta harangue.
Les femmes attendent avec impatience
un Décret tutélaire qui les protège contre
tant de préjugés honteux dont elles sont
les victimes. Le divorce, en abolissant la
tyrannie des mariages les rendrait plus
,
fréquens et plus heureux. Une vierge qui
devient féconde sans avoir reçu la sanction
du Sacrement, n’ose encore lever les yeux
devant une femme mariée. La Loi doit
( 37 )
venir au secours d’un sexe timide et faible ,
et réparer les outrages de notre législation
Gauloise qui, jusqu’à présent, a puni ce
que de savans Législateurs ont récompensé.
Henri II a fait une Loi barbare à ce sujet $
les Prêtres, tant qu’ils ont joui de la vé
nalité des Sacremens, se sont bien gardé
de la laisser tomber en dessuétude. Le
croirait - on ? Dans le pays de la liberté ,
chez les Suisses pacifiques et tolérans, des
hommes tigres, des loix de sang condam
nent à mort une jeune personne qui, par
fragilité cède à la nature et donne un
, ,
enfant à la République. Ce trait seul ferait
abhorrer l’aristocratie Bernoise.
Combien Frédéric le Grand ce maître
,
en politique, ce Roi philosophe, a donné
des idées plus saines à sa Nation ! En
Prusse, grâces à ses soins paternels, toutes
les filles nourrissent leurs enfans et pu
,
bliquement. Il serait puni par la justice
correctionnelle, celui qui les offenserait de
paroles dans cette pieuse fonction de la
maternité. On s’accoutume à ne voir plus
en elles que des citoyennes. En Prusse, on
donne à une hile qui se déclare grosse dioc
C 3
( 38 )
éciis, qui font quarante livres. Quand une
Villageoise veut épouser le père de son
enfant, on lui assigne une portion de terre.
On fournit les époux d’instrumens aratoires
et de bestiaux. On leur construit une habi
tation et on les transporte aux frais de
5

l’État sur le terrein qui leur est abandonné.


Voyez ensuite les Américains ces nou
,
veaux enfans de la liberté. Un voyageur
entre à Philadelphie dans une maison dont
la fille aînée était accouchée depuis peu. Il
la trouve assise dans un grand fauteuil,
près du même feu que sa, famille. Sa figure
noble et touchante paraissait altérée par la
souffrance et non par le malheur. Tout
,
ce qui Penvironnait , était occupé de la
èoigner, de la consoler. Sa mère , assise
auprès d’elle, tenait le nouveau-né dans
ses bras, et lui souriait. La jeune personne
avait les yeux tristement attachés sur cette
innocente créature et semblait accuser en
,
secret l’ingrat qui l’avait trahie. Jamais ta
bleau plus moral et plus intéressant. Tout
le voisinage, comme ses parens, ne savait
que la plaindre et l’honorer.
En attendant que la Loi vienne à l’appui
( 39 )
des mœurs il faut invoquer l’empire de
,
l’opinion ; il faut diriger l’estiine publique
vers les travaux utiles. Les mains les plus
faibles peuvent y coopérer. Il ne suffit pas
de forger des sabres ou des piques, de forer
des fusils pour repousser l’ennemi j nos
braves Volontaires ne sont pas encore tous
habillés. Cette partie économique des four
nitures de l’armée est du ressort des fem
mes. Les Américaines ne dédaignaient pas
d’y travailler. Tout le tems qu’a duré la
guerre de la liberté , leurs ouvrages n’é
taient pas des vestes brodées au tambour,
ni des garnitures de filet, ni de l’or par*
filé. C’était des chemises pour les soldats.
Les dames en avaient acheté la toile de
leurs épargnes, et se faisaient honneur de
les couper et de les coudre elles-mêmes.
Sur chaque chemise était brodé le nom de
la dame ou de la demoiselle qui l’avait
faite. Et la fille du célèbre Francklin était
la première Directrice de cet attelier pa
triotique et féminin.
Jusqu’à présent les femmes ont été comp*
tées pour rien dans nos institutions so
ciales. Il semble que les Goths et les Hé-
C 4
f 4° )
rules les aient comprises clans l’établisse-'
ment de la servitude féodale. C’est à nos
Législateurs qu’il appartiendrait de rendre
à douze miliions d’individus les droits qu’ils
tiennent de la nature. Ilest tems de re
connaître que la raison la morale le pro
, ,
grès des sciences et des arts ont atteint les
femmes j elles ne diffèrent de nous que par
la force physique.
Est-il une contradiction plus révoltante
que celle qui exclue! de nos Assemblées
politiques, des êtres que les plus grands
Peuples de l’Europe reconnaissent pour
leurs Souverains? L’Angleterre, la Russie,
la Suède, le Portugal, la Hongrie, l’Au
triche consentent d’obéir femme, et
à une
nous lui refusons une place dans le moindre
District ! Nous lui donnons la tutelle de
ses enfans elle n’a pas le droit de venir
$

plaider leur cause ! A la tête d’une maison


de commerce ou d’éducation, d’une manu
facture d’un hospice ; elle est nulle par
,
nos Loix, lorsqu’il s’agit de voter pour les
Elections, et de donner son suffrage pour
la cause commune. Encore une fois, je
m’obstine à dire qu’il n’y a que la stupidité
C 4.1 )

ou la barbarie qui ait pu écrire un Code


si impertinent.
Une femme en puissance de maril ex
pression fort usitée et dans laquelle on
prend toujours le fait pour le droit. Ali !
combien de maris seraient lieureux d’être
en puissance de leurs femmes ! Sans parler
de celles que leurs Ecrits ont rendues cé
lèbres, je prendrais mes exemples dans nos
mœurs, dans nos habitudes quotidiennes.
Les grandes passions à l’abri desquelles
sont nos épouses, les rendent plus suscep
tibles que nous de toutes les vertus do
mestiques. L’ambition, le jeu, le vin, la
chasse, tant d’exercices violens, tant d’a
gitations de l’esprit humain distraient si
souvent les hommes, que, sans les vertus
casanières de leurs compagnes, les affaires
et les entreprises, les détails de l’exécution,
nos projets, nos calculs et nos espérances
seraient bien souvent évanouis.
Je persiste donc à demander que toute
veuve ou hile majeure jouissant de son
bien, qui satisfait aux conditions requises
pour être Citoyen actif, soit admise dans
nos Assemblées primaires.
( 42 )
Ces idées susceptibles de développe
,
ment , ne sont en quelque sorte que les
initiatives d’un chapitre tout neuf à traiter.
Ce n’est pas la première fois que j’en ai
offert le texte à la discussion et à la con
troverse. On m’a répondu le plus souvent
avec l’ironie et le calembourg : mais au
jourd’hui ce n’est pas aux fats et aux igno-
rans, c’est aux Adeptes et aux Philosophes
que je m’adresse. C’est à eux seuls qu’il
appartient d’aborder cette grande question 7
et de lui ôter ce qu’au premier coup-d’œil
elle peut avoir de singulier et peut-être de
bizarre tant les hommes ont de peine à
$

sortir de l’ornière de la routine !


. 1

25 Janvier 1790.
Pourquoi donc toujours se fâcher contre
les aristocrates? et pourquoi n’en pas com
poser plutôt un chapitre de La Bruyère?
N’en aurait-il pas fait un tout neuf sur ce
Robin en Cordon Bleu qui s’enfuit à Basle
,
pour ne pas rester confondu parmi les dé
mocrates de la Révolution qui, dans ses
5

lettres fugitives, s’appitoye sur la France


?
143) •_
€t sur le pauvre Prince qui n’aura plus que
\ trente millions pour ses menus plaisirs?
Ce noble Magistrat ne veut plus habiter
*1 Paris, où les Présidens et les Juges ne
seront désormais que des Bourgeois.
J’en connais un autre qui a sa grand’-
messe, et son grand couvert comme le Roi,
A genoux sur un prie-Dieu, au milieu de
l’Église, il baisse la tête devant son Créa
teur ) mais en revanche on lit sous ses ta
lons rouges, en gros caractères, Monsei
gneur le Maréchal Duc de***. Au sortir
de la Messe, il se laisse approcher fami
lièrement par tous ses vassaux $ il satisfait
leur curiosité sur cinq ou six rubans dont
il est chamarré. Il dit à l’un : Regardez,
il
mon ami, tout à votre aise ; n’y a que
moi et le Roi d’Espagne qui ayons cet
Ordre-là. Il dit à l’autre : Vous êtes plus
heureux que moi mon enfant ! vous
,
n’êtes pas obligé de porter tout cela. Il
monte dans son carrosse \ et la tête hors
de la portière, il crie à son cocher : Sur
tout que l’on n’écrase personnel Les huit
paneaux de sa voiture sont couverts de
ses dignités. Les bâtons doublés, les man-
( 44 )
teaux, les cordons, les couronnes sont par
tout , aux bannières de la Paroisse, aux
devant-d’autels aux chasubles et jus
, ,
qu’au goupillon du bénitier. Enfin, dans
ses pratiques d’une très-haute dévotion, il
ne reçoit le bon Dieu que dans une hostie
gauffrée à ses armes.
J’en connais un autre qui, voyant que
Jes Barons Comtes Marquis et Cheva
, ,
liers sont un peu déchus, a une popularité
d’un genre tout nouveau. Avec l’air dis
trait et insouciant, au bout d’un quart-
d’heure de connaissance, il vous tutoyé,
et vous appelle mon cher, et même mon
cœur. J’ai vu quelquefois un Avocat, un
Notaire, un Procureur traitant d’affaire
,
avec lui , recevoir ce sobriquet d’un air
tout surpris. Il vous disait fort bien : Si
Voltaire était 7ié homme de condition x
il serait parvenu à tout.
N’est-ce pas du tems perdu que de se
fâcher contre de si bonnes gens, si com-
plettement ridicules? et l’ironie n’est-elle
pas la seule arme dont il faille se servir
contre eux?
J’avouerai que ces très - hauts très*
,
( 45 )
'3 puiss ans ,
très-eæcellens m’ont paru quel-
,
^3 quefois très-méprisables. M’ayant enlevé
"I la majeure partie de ma fortune j’en ai
,
q pris un peu d’humeur. J’ai prêté Ioyale-
<£ ment j ils ne m’ont répondu qu’avec des
arrêts de défense et de surséance.
Eh bien ! ces grands Comédiens ces
,
bandits de qualité dataient de i3oo point
>
d’origine connue. Ces hommes couverts
,
de paillettes et d’opprobres titrés cha
, ,
marrés enrubanés, chargés de croiæ de
, ,
plaques, et de clefs jouaient, soupaient,
,
chassaient avec le Roi, et se mariaient dans
sa Chapelle. Je les ai vu sourire d’un air
protecteur , et refuser l’honnête Citoyen
qui venait demander, la larme à l’œil, un
léger à-compte.
Vous voyez donc que je ne suis point
du tout payé pour aimer l’aristocratie. Au
reste, .si celle-là mérite la haine, il en est
une autre qui fait rire.
Par exenrple YÉcuy'er- Conseiller*Se*
,
crétaire du Roi, JMaisoji, Couronne de
France, qui, dans ses nobles fonctions,
emploie toute une matinée, sue sang et eau
pour arranger des fins de lettres, donnera-
( 46 )
t-il le respectueux ou le sincère attache-
ment; la véritable estime , ou la parfaite
considération ; les sentimens avec les
quels
, ou le j’ai l’honneur d’être tout
court ? L’Abbé Sieyes, en écrivant sur les
droits de l’homme, n’a pas été plus forte
ment travaillé par la méditation.
L’un se fabrique une généalogie tout ex
près pour méconnaître sa parenté, comme
ce gentillâtre à qui Desmabis fait dire :
sur-tout un parent sot et mince,
Je fuis
Qui me vient cousiner du fond de la Province.
L’autre qui présidait un Bureau de Fi
nances , tout fier de sa nouvelle dignité,
est en simarre jour et nuit. Ce Perrin
Dandin se regarde à toutes les glaces : il
n’a qu’un mot à la bouche ; il dit, sans
distinction, à tous ses cliens : Le vôtre
de tout mon cœur. Et s’il entend la
Messe, il ne manque pas de dire d’un
,
air pénétré, au lever-Dieu : Le vôtre de
tout mon cœur.
On demandait d’un grand Magistrat de
la même étoffe, attifé poudré lustré,
, ,
pourquoi il était si fort considéré dans le
monde, et pourquoi il l’était si peu chez.
( 47)
lui? Quelqu’un répondit : C’est qu’ily est
sans perruque.
On ne parle point de ces tablettes de
marbre où sont écrits en lettres d’or Hôtel
7

de ***, n’est - ce pas un véritable blason


qui succède à l’énigme des armoiries?
Favier, de caustique mémoire , prome
nait dans Paris un Indien, auquel il ex
pliquait les inscriptions et les enseignes. Il
traduisait ainsi : Hôtel de ***, Plébéiensf
c’est ici que repose ma Seigneurie.
Un féodal acheta, par un supplément
de mille francs de loyer, le droit de faire
graver en majuscules son nom sur le fronton
du logis.
Un autre passe la nuit pour ajouter de
vant Hôtel une L avec apostrophe : préé
minence qui, selon lui appartenait exclu
7
sivement à sa très-haute qualité.
J’ai connu un mien voisin gentillâtre,
hobereau renforcé, toujours en guêtres la
,
carnassière sur le dos, chasseur comme
Nembrod rodomont , bavard joyeux
7 7 7

ennuyeux par excellence. J’ai vu plus


d’une fois ce féodal se pavaner en racon
tant les prouesses de ses quadrisayeux ; car
( 48 )
il neparlait jamais de son père, ni de son
grand-père ; et tous ses parens ne valaient
à ses yeux que par la date. Il se grandissait
en regardant son arbre généalogique 5 et sa
chambre était ornée de tous les vieux por
traits de ces hommes d’armes , cuirassés ,
bottés éperonnés balaffrans balaffrés
, , , ,
et dont il Eh bien!
disait avec orgueil :
tous ces braves Capitaines-là ne savaient
pourtant pas lire! Il faut l’avouer, il par
tageait ce mérite avec ses ancêtres.
C’est encore lui qui disait à son fils,
grand amateur de littérature et de chymie :
Laissez-moi là toutes cesfariboles, bonnes
pour un roturier. Allez-vous-eri au ma
nège et à
,
la salle d’armes.
Toutes ces petites aristocraties s’ajustent
à merveille avec celle de ce chasseur cour
tisan, qui soutient encore que la destruc
tion des Capitaineries sera funeste à la ré
colte et au commerce, par la raison, dit-
il, que le gibier engraissait les terres ; et
que les peaux de lapins faisaieiit les
chapeaux.
Ce brave et féal nousracontait hier la
mort subite du Dentiste du Roi : C’est
d’autant
C 49 )
d'autant plus disgracieux pour ce pauvre
JVE. Bourdet, disait-il, que da?is ce mo
ment-là même il avait Vhonneur d'ar
ranger la bouche de Sa Majesté.
Ce trait me rappelle celui d’un homme
qui, revenant de la Cour de Louis XIV,
disait : Je l'ai vu ce graîid Roi / il se
promenait lui-même.
N’est-on pas honteux de lire, dans la Ga
zette de France, ces puérilités fastidieuses
qui se pratiquaient à Versailles pendant les
scènes tragiques de Paris? Eh! que nous
importe de savoir comment un Cardinal
est voituré dans les Carosses du Roi ; se
met à genoux devant le Prie-Dieu du Roi 5

fait une profonde inclination au Roi com


5

ment il reçoit la Barrette des mains de son


o
Neveu ab légat, qui la prend sur un plat
de vermeil ; comment ce Cardinal va chez
la Reine, lui parle et s’assoit sur un ployant
5

va chez les Princesses, fait la révérence et


jouit du ployant : comment son Eminence,
ayant elle-même trois voitures à ses armes,
s’en retourne dîner chez lui traîné dans les
voitures du Roi et de la Reine ?
Il a donc fallu trois grandes pages pour
D
( 5o )
publier ce grand évènement : il a fallu pour
mettre un bonnet quarré , faire aller et venir
le Sieur de Tolosan, Introducteur des Am
bassadeurs et le Sieur de Séqueville, Se
?
crétaire ordinaire du Roi pour la con
duite des Ambassadeurs , et le Sieur de
Brezé, Grand - Maître des Cérémonies,
et le Sieur de Nantouiiiet, JVLaitre des Cé
rémonies, et le Sieur Urbain de Vatron-
ville , Aide des Cérémoîiies. Nous avons
pris le bonnet de la Liberté sans tant de
cérémonies.
L’Assemblée Nationale ayant aboli la
féodalité il paraît bizarre aux bons es
,
prits de détruire la cause et de laisser
,
subsister les effets, les titres les cordons,
,
les livrées.
Les titres, parce qu’ils annoncent des
nobles, lorsqu’il n’y a plus de nobles.
Personne n’ignore l’étymologie de Comte,
JMarquis Baron Chevalier.
, ,
Comités à comitando : les Comtes étaient
les compagnons du Roi lorsqu’il allait à la
guerre.
JMarchiones du mot tudesque marck,
marche, qui signifie frontière. Les Mar-
(51 )
quîs étaient les Commandans employés sur
les frontières.
Chevaliers, équités ab equo. Au moins
devrait-on exiger que nos Chevaliers eus
sent un cheval il y en a tant qui n’ont
5

que les éperons.


La dépendance, la servitude ont pu
seules nous accoutumer à l’usage de ter
mes aussi insignilians. Au reste, ils n’ex
primaient alors qu’un emploi, une dignité
viagère.
O11 en pourrait dire autant de la livrée.
Je prétends que celui qui vient étaler à
nos yeux une livrée toute neuve , qui en
charge les épaules d’un autre homme, in
sulte formellement à la pudeur publique.
Quant aux cordons, leur bigarrure leur
,
multitude seule en ferait le procès.
Mais on 11e forcera personne à renoncer
aux rubans , aux plaques dont il aime à
se parer. Par exemple, la Société, l’Aca
démie le Club, qui serait sous l’invoca
,
tion de Voltaire, ou de Jean-Jacques
,
aurait le droit de porter son image brodée
sur son habit, ou attachée à sa bouton
nière. Sans doute cette médaille serait plus
D a
( Sa )
décente et plus digne d’être placée sur
le cœur qu’une figure d’éléphantune
peau de moutoji une croix de Saint-
y
Ajidré,
Quand je prononce les noms de Ben
jamin Francklin ? William Adams ,
George Wasington, je sens que ces grands
noms seraient déshonorés par les sobriquets
de Comtes Ducs, ou Chevaliers, par des
?
écussons, ou des livrées.
Pour obtenir de la considération , il
faudra réellement la mériter ; désormais
aucun Français ne viendra au monde tout
chaussé tout vêtu en privilégié. La for
,
tune ne fera plus naître un homme Mes-
sire y Monseigneury ou avec la survivance
et l’orgueil d’une dignité, d’une place, d’un
emploi, etc.
Qu’011 ne vienne pas m’opposer l’aristo
cratie des richesses ; elle ne sera jamais re
doutable. Elle est mobile comme les moyens
qui l’ont acquise. Le fils d’un Montmartel
ou Laborde peut devenir pauvre.
Plusieurs noms sont consacrés par les
individus qu’ils désignent. La Fayette a
illustré le sien par l’estime et le choix libre
( si )

de ses Concitoyens. Je ne m’accoutumerai


jamais à l’appeller Moitier.
Honoré Mirabeau, honoratus mirabilis,
gardera son nom qui va si bien avec celui
de son baptême : tel est le pouvoir de la
renommée.
Si Voltaire revenait au milieu de nous,
pensez-vous qu’on pût se résoudre à l’ap
peller Arouet, et Buffon le Clerc?
,
Cicéron, Virgile Horace étaient con
?

nus chacun sous trois dénominations i


Marcus Tullius Cicero $ Publius Vïrgi-
lïus Maro y Quintus Horatius Flaccus;
Ces trois phénomènes de l’humanité étaient
pourtant nés pauvres.
On lit dans de vieilles chroniques que
nos Barons nos Châtelains d’autrefois ,
9
dans leur insouciance et leur ignorance
féodale trouvaient plus court et plus dé
,
daigneux d’appeller leurs vassaux par le
nom de leur profession. Delà viennent le
Pelletier, le Tonnelier Mercier Potier
, , T
Charpentier Boulanger, Masson Char
y ,
ron. Les plus grands noms de l’ancienne
Home n’avaient pas de plus riches étymo
logies Lentulus, Fabius Agricole, n’é-
5
,
D 3
(55)
nourrissant, elle puisse réaliser l’idylle cle
Madame Deshoulières :
Hélas ! petits moutons, que vous êtes heureux!
Je me souviens d’avoir vu, dans les ter
riers , certaines redevances bizarres, repré
sentées aujourd’hui par de l’argent : je re
nonce de même à ces vieilles perceptions ,
dignes des Seigneurs Vandales et Ostrogots.
Les bannalités des moulins et des fours
m’ont toujours paru le privilège le plus
révoltant.
Renversez les fourches patibulaires, les
poteaux écussonnés, les carcans qui gâtent
les plus doux paysages et que l’on voit
,
honteusement par-tout, jusqu’aux portes
des Églises. Qu’elles ne soient plus envi
ronnées de ces litres de deuil, qui donnent
à la Maison de Dieu la ceinture de la mort.
Renversez les girouettes, les enseignes de
la Gentilhommière. Effacez les armoiries
sculptées. Que nos bons Villageois dansent
à l’entour ; non pas en voyant tomber leurs
fers, ils n’en ont jamais connu mais en 5

voyant abattre à grands coups de marteau


le dernier sinne de leur vassalité.
O
Plus de iVtesse au Château. Convertissez-
D 4
( 56 )
en la fondation au profit des pauvres; nous
irons à la Messe de la Commune.
Signez aussi pour moi la renonciation au
banc à l’eau bénite, et sur - tout à l’en
,
censoir, usage impertinent, pantomime ul
tramontaine, dans laquelle le Prêtre et le
Seigneur jouent un rôle qui outrage toutes
les loix de la bienséance.
Quant aux cens et surcens on assure
,
que notre Diète va tout-à-l’heure en or
donner le rachat, et qu’il sera déterminé
d’après leur étymologie. Alors le sacrifice
que feront les possesseurs, aura moins de
mérite.
Il faut que les grands propriétaires re-
-
noncent enfin à l’extravagante prétention
de vouloir être de grands Seigneurs, et
s’accoutument à ne plus regarder leurs
châteaux que comme leurs maisons des
champs.
S’ils voulaient y réfléchir, ils verraient
qu’ils sont aujourd’hui plus heureux et
plus indépendans qu’ils ne furent jamais.
Vous savez qu’ils avaient autrefois pour
maîtres tous les petits tyrans de la fisca
lité. C’étaient des réclamations éternelles
( 57 )
et inextricables de la part du Domaine,
toujours j uge et partie dans sa propre cause ;
c’était un Intendant auquel vous serviez
d’échelons pour arriver au Ministère, et qui
dans l’insouciance de son état, vous laissait
insulter et fouler par ses subdélégués.
Qu’il est consolant de 11’avoir désormais
à obéir qu’à la loi ! les Princes eux-mêmes
reconnaîtront qu’ils n’étaient que les pre
miers esclaves du Despotisme. Je n’ou
blierai jamais cette réponse originale de
Charles Stanlai, Orateur des Communes
de Londres. Je le voyais admirer les écu
ries de Chantilly. Il ne trouvait pas le Roi
d’Angleterre si bien logé. Mais lorsque je
lui racontai l’exil de M. le Duc, qui avait
charmé ennuis en les bâtissant Oh !
ses 5

me dit-il en Anglais, voilà une lettre-de-


cachet qui rapetisse de moitié ce pan
théon* de chevaux.
Les écuries, les chenils, le manège de
Chantilly, ont coûté seize millions ; nous
avons sur ce fait, des renseignemens cer
tains. JNT’oublions pas non plus que Ver
sailles si mal situé, a coûté plus de six
,
Ge7its millions.
u Ele mensonge un instant vous outrage,
Tout est en feu soudain pour l'appuyer;
La vérité perce enfin le nuage,
Tout est de glace à vous justifier.
On m’invite à traiter sérieusement cette
rapsodie éphémère qui s’appelle on ne sait
,
pourquoi, les Actes des Apôtres.
Tous ces pauvres diables affamés et
,
gagés, qui heurlent périodiquement contre
les Représentans de la Nation, sont, à mes
yeux, comme des dogues sous le péristile
d’un temple que bâtirait Vitruve ou Ali-
,
cliebAnge. Je crois voir cette meute aboyer
de loin, en voyant le mouvement des tra
vaux et monter les pierres de l’édifice. Pen
sez-vous que ces génies créateurs pussent
en être troublés?
Non, le Palais s'achève, et le superbe faite
S’élève inaccessible aux coups de la tempête.
L’opinion publique cette souveraine du
,
monde repousse avec dédain tant de li
,
belles atroces, elle fait justice de VApos~
tolat et des Apôtres.
( h)
J’ai lu les gaietés de ces Messieurs, je
ne les ai point trouvées gaies, malgré l’envie
extrême de le paraître. Presque jamais de
naturel ; une fausse ironie plus de préten
5

tion que d’esprit, et par-tout l’injure à la


place de l’épigramme. Je voulais répondre
à ce qui peut me regarder. Je me suis rap-
pellé ce trait de Voltaire mon maître à
,
qui l’on reprochait d’être sourd aux in
sultes d’un certain Clément, juré-crieur de
sottises.
point assez sot
Je ne serai
Pour m’embarquer dans ces querelles;
Alais si c’était Clément Marot,
Il aurait eu de mes nouvelles.
Cela posé, les Apôtres de la mauvaise
cause ne feraient-ils pas beaucoup mieux
de m’oublier entièrement, puisqu’il est dé
montré que nonobstant clameur de ma
,
raud je continue toujours mes écritures
, ,
qui amusent quelques adeptes dont le suf
frage me récompense?
Qu’importe aujourd’hui les pamphlets
,
les petites feuilles les sarcasmes de tout
,
genre ? Eli ! ne doit-on pas être fort con
tent de voir que, par la tournure des es-
( «0 )
prits,les escarmouches de la révolution ne
seront jamais des batailles ; de voir que
Ton aime mieux s’injurier que se fusiller,
et que la guerre civile se civilise ? Je ne
parle ici que des aristocrates soldés. N’est-
il pas aisé de concevoir que des gens qui,
ci-devant membres actifs du despotisme
ministériel, par la régénération des choses,
ne trouvant plus à vivre d’industrie, atta
quent au moins la réputation des autres,
pour faire oublier la leur? Tel qui n’a pas
même le courage du crime, qui passe sa
vie à louvoyer entre la misère et le gibet,
se fait bonnement assassin littéraire :
Et tout prêt à servir, ou noble ou roturier,
Vend sa plume et son encre à qui veut les payer.
Il est une autre classe d’aristocrates dont
le moindre Décret National fait bouillir le
sang : ils sont nés pour le mal, comme la
vipère et le scorpion. Ils regrettent les
Aides et Gabelles, comme un véritable pa
trimoine qui les enrichissait de père en fils y
ils regrettent la vénalité des charges, parce
que, pour obtenir de la considération , il
ne fallait que de l’argent • ils regrettent
l’ancien ordre judiciaire, parce que l’arù
( )
des procédures, Part de ruiner les familles,
était pour eux un état fort honnête et fort
lucratif.
Ne serait-il pas ridicule de prendre à la
lettre toutes les sottises hebdomadaires qui
sortent de la taverne des mécontens? Ré
pondre à tant de paroles , c’est jouer à
colin-maillard, et je n’aime point les jeux
où l’on ne voit goutte.
Mais ce qui commence à devenir intolé
rable c’est qu’il n’est plus permis de che
,
miner dans Paris sans être insulté directe
ment par des figures de l’autre monde ,
quelques-uns décorés d’une croix de Saint-
Louis, ou de tel autre Saint.
Frères et amis, je recommande à votre
surveillance cette race de malfaiteurs, qui
certainement sont aux gages de nos en
nemis. En attendant tenez-vous sur vos
gardes. N’acceptez point le duel : l’épée
n’est qu’un jeu d’adresse où brillent les
ferrailleurs assassins. Munissez-vous de ces
armes défensives qui mettent tous les in
dividus au même niveau. Comme dit Vol
taire c’est la poudre à canon qui a sauvé les
,
hommes civilisés de la fureur des Sauvages.
( 63 )
pour le placer clans un temple cligne de
èu lui, et le montrer aux Peuples , malgré ces
Prêtres furieux qui criaient à la voirie !
:t à la voirie!
La Nation vient d’exercer le retrait sur
les biens Ecclésiastiques. Que de riches
trésors clans les Couvens ! Sans doute le
plus précieux de tous, et celui auquel on
pense le moins aujourd’hui, c’est le corps
de Voltaire.
Je propose un service solemnel, ou plu
tôt une amende honorable aux mânes de
ce grand-homme.
Il faut aller, avec tout le cortège d’une
pompe religieuse , recueillir sa cendre chez
les Moines de Sellières où elle est, en quel
que sorte, déposée. Elle y resterait dans le
délaissement et la profanation, aujourd’hui
que les Monastères sont supprimés.
Souffrirons-nous que cette précieuse re
lique devienne la propriété d’un particu
lier? souffrirons-nous qu’elle soit vendue
comme un Bien Domanial ou Ecclésiasti
que ? Le nom de Voltaire est si imposant,
que son éloge devient superflu. Notre glo
rieuse Révolution est le fruit de ses ou-
( <H)
vrages. S’il n’eut pas fait Philosophes
clés
7
le fanatisme serait encore au sein de la Ca
pitale. Ce sont des Philosophes qui ont fait
les Décrets ce sont des Philosophes qui
5

les propagent et les défendent.


C’est au Théâtre Français c’est à la re-
,
présentation de Brutus qu'il faut crier :
Voltaire à Paris! Tous les amis de sa
gloire ; c’est-à-dire, tous les honnêtes gens
élèveront la voix. Ce suffrage éclatant sera
le vœu de tous ; et la translation de son
corps, décrétée par le public, recevra des
honneurs dignes de lui.
Le plus beau temple de la France con
vient à son plus beau génie. Je propose
d’élever un monument à Voltaire dans la
superbe Basilique de Sainte-Géneviève en
?

face du tombeau que l’on doit y ériger à


Soujjlot.
Envain l’hypocrisie vomira blas
ses
phèmes à travers le masque de sa bouche
de fer : la Renommée, aux cent bouches
d’or, imposera silence aux déclamations de
ces prédicans exaltés.
On fut chercher à Stockholm le corps de
Descartes, seize ans après sa mort et nous$

irons
( 65 )
irons chercher à, Sellières celui de FoU
taire , treize ans après sa mort.
Descartes renversa la philosophie d’A
ristote : Flitaire a renversé le fanatisme
et les préjugés. Le premier, en généralisant
les nombres, invente l’Algèbre, et fournit à
l’esprit humain le fil qui le conduit dans le
labyrinthe des hautes Sciences : le second
devient la lumière de son siècle et fait
,
passer dans les âmes cette tolérance uni
verselle cette haine du despotisme qui a
,
servi de levain à notre glorieuse révolution.
Et quand l’un repose parmi les morts sous
les voûtes ogives d’une Eglise gothique
,
l’autre mérite de recevoir l’hommage des
vivans dans un Temple de gloire, où l’on
admire ces chapiteaux Corinthiens et ces
belles colonnes, image de son immortalité.
Racine, qui mourut à Paris comme Fol-
taire, fut , comme lui, présenté à Saint-
Sulpice, et transporté dans une Abbaye,
( à Port-Royal des Champs ). Après que cette
Eglise fut supprimée et vendue on alla
,
chercher son corps : il fut enfin enterré à
Saint-Étienne-du-Mont, à coté de Pascal.
Racine était Janséniste : mais Louis XIV
E
( 66 )
ne se crut pas moins obligé de recueillir et
rl’honorer la cendre du grand Poète.
La Religion , cette fille de la nature , ne
nous fait pas un pi'écepte de placer les
morts dans une terre sainte. Les champs
de bataille sont jonchés de chrétiens on $

laisse tristement au bord des routes ceux


qui meurent par accident, et qui n’ont pas
de quoi payer de riches funérailles.
Je dirais à celui qui voudrait préférer le
champ de la Fédération : il est plus conve
nable au Guerrier qui combat pour la pa
trie , qu’au Philosophe qui renverse les
préjugés.
On parle de Voltaire au pied de la statue
d’Henri IV. Il faut laisser de pareils hon
neurs au courtisan du Despote, à La Feuil-
lade enterré sous le piédestal de son Maî
tre. Osons le dire tout haut : Voltaire a
ressuscité Henri IV. Parmi tant d’Ecrivains
célèbres qui ont illustré le siècle dernier,
en est-il un seul qui ait proclamé le nom
du vainqueur de la Ligue?
Voltaire a distribué la gloire, et ne Fa
reçue de personne. Encore une fois, il est
le Philosophe il est le Poète de la Nation.
,
( 67 )
Si les Anglais ont réuni leurs grands hom
mes dans Westminster, pourquoi hésite
rions-nous de placer le cercueil de Voltaire
dans le plus beau de nos Temples, celui
que l’on élève à Sainte - Géneviève. Sa
vieille Châsse reposerait très-dignement à
Saint-Étienne-du-Mont. Ainsi, pour nous
rapprocher des Grecs et des Romains, dont
nous tenons tant de maximes de liberté,
pour donner l’exemple à l’Europe , ayons le
courage de ne point mettre ce Temple sous
l’invocation d’un Saint. Qu’il devienne le
Panthéon Français ! qu’il reçoive les sta
tues de nos grands hommes ; et que ses
voûtes souterraines renferment la cendre
des morts célèbres !
C’est-là que l’on irait porter l’urne de
Molière, oubliée à Saint-Joseph, où elle
fut laissée sans cortège et sans honneurs.
Alors le mont Saint-Hilaire serait vérita
blement le mont-Parnasse.
La pompe de l'apothéose de Voltaire se
rait le dernier soupir du fanatisme. On y
verrait à-la-fois les Académies, les Sociétés
Politiques et Littéraires, le Corps Muni
cipal le Département, les Tribunaux, les
,
E 2
( 69 )
en perruque, et de lui tourner le dos au
JDommus robiscum. Ses robes sont de la
plus grande magnificence 5 elle en a de tou
tes les saisons , et l’Acolyte chargé de la
vêtir et de la déshabiller, ne peut le faire
qu’en surplis. Une oraison particulière est
destinée à chacune des stations où se repo
sèrent les Anges translateurs de la sainte
relique, et dont la carte itinéraire est peinte
sur les murailles.
Mais j’en reviens toujours aux cœurs t
nous les estimons l’un dans l’autre, car il
y en a de très-grands, à cinq louis ? ce qui
compose une somme de siæ cent cinquante
Louis. La sainte Vierge, qui est la mère des
mères, comme le Pape est le serviteur des
serviteurs, pardonnerait sans doute que les
cœurs de petite Église fussent donnés à»
sa
la Société Maternelle.
Toutes ces pieuses épargnes feraient le
profit de l’Etat. Gardons-nous bien de crier
eontre les Prêtres qui ont amassé tant du
trésors, et qui les ont gardés avec tant de*
soin. Nous devons plutôt les remercier j
ils ont au moins empêché les Rois de les
manger..
E 3
( 7° )
On pourrait ordonner par line loi, que
,
les rases qui serrent au culte des Autels
,
seront d’ivoire , de bois , de porcelaine, ou
de cristal ; et jamais ces objets de peu de
râleur, ne tenteraient les brigands.
Lorsque Jésus faisait la Cène arec ses
Disciples, et de ses propres mains leur rom
pait le pain des élus, il n’allait pas, dans
une riche crédance, chercher une patène
d’or, ou un ciboire de diamans pour le leur
administrer.
C’est ainsi que la Patrie s’aiderait du su
perflu de la Religion. Mais dans l’immense
héritage qu’elle ra recueillir, si les plus
simples objets sont d’un grand secours, il
est des établissemens d’une haute impor
tance , et qui peuvent se métamorphoser
en créations, en entreprises véritablement
nationales.
J’ai sous les yeux un petit imprimé qui
a pour titre : Fondation d’une ville , etc.
Cet écrit est peu connu \ mais il renferme
un grand projet.
Une Chartreuse immense, placée au
fond d’un désert, environnée de forêts et
d’étangs, voisine des grandes routes, voi-
( 71 >
sine cle Sedan, Stenay, Rhétel, Mézières
r
offre un local admirable pour fonder une
Ville. Cette pensée n’a rien de chiméri
que, rien qui soit au-dessus des facultés
d’un homme que le génie sollicite à conce^
voir de grandes choses, et qui serait accou
tumé à la méthode, au détail, à la série
des idées»
Le Monastère offre de quoi loger com
modément trente familles, une dans cha
que cellule. Le cloître, environné de larges
trottoirs et de pilastres, devient une place
publique et marchande. Les cours, basse-
cours , avant-cours , les bâtimens acces
soires en seraient les rues et bientôt se
,
dessineraient en fauxbourgs.
Les eaux limpides y ruissèlent en abon
dance. La foret qui s’élève à l’entour a
donné à cette montagne religieuse le nom
de Mont-Dieu. Le voyageur en appro
,
chant de cette Thébaïde, éprouve la mé
lancolie le recueillement qui se peint si
,
bien sur le visage de ses solitaires hospi
taliers et l’on peut dire que la douce piété
5

qui les anime rend cet asyle, ce nouveau


,
Sinaï, digne de son nom..
E4
( 72 1

La révolution qui se fait dans l’Etat f

en produit nécessairement une dans nos


mœurs. Nos Représentans, qui suppriment
l’esprit du monachisme aimeront mieux
,
fonder que détruire. Ils ne peuvent man
quer d’accueillir ce projet.
La maison du célibat et de l’oisiveté de
viendrait le séjour de la population et de
l’industrie. Au lieu d’entendre dans ces bois
silencieux le son monotone de la cloche,
les tristes psalmodies des cénobites ; l’écho
répéterait en cadence le bruit multiplié des
marteaux, et les chansons matinales des
émailleurs, fondeurs, cizeleurs, doreurs. Il
y a tout à gagner pour la Patrie, et rien à
perdre pour la Religion.
Après l’agriculture les arts et métiers
,
sont les premières sources de la richesse.
On assure que le commerce de la seule
Ville de Genève, en horlogerie, s’élève à
trente millions par an. Nous appelions chez
nous les Protestans et les Juifs mais avant
5

tout, nous devons favoriser les Français,


qui sont les fils aînés de la famille.
On verrait au Mont-Dieu des milliers
de mains occupées à des ouvrages qui au-
( 73 )
ront cours , tant qu’il existera des hommes
intéressés à connaître la mesure du teins.
Ajoutez à ces atteliers, des forges voisines,
dont les fourneaux, comme ceux de l’Etna,
sont dans une éternelle activité. Des bras
vigoureux élaborent le fer, qui malheureu
sement est devenu de première nécessité
pour l’homme. Ajoutez que le sol est pro
pre à élever des moutons. Les collines d’a
lentour seraient couvertes de bergeries. On
fi) pourrait y faire venir de ces races qu’il
n semble que la nature ait réservées à l’Es
•*> pagne. On pourrait y réaliser tout ce que
le sage d’Aubenton entreprit avec tant
de succès. Quel avantage pour les beaux
draps de Sedan, dont cette nouvelle bran
che de commerce enrichirait encore les
manufactures !
Il est impossible que les hommes éclai
rés à la tête du Département des Ar
9 ,
dennes ne sentent pas combien il importe
P

,
de favoriser un semblable projet j combien
il importe de ne pas laisser démolir des
hospices tout créés pour les arts ; et de ne

*$
pas morceler ce qui pourrait devenir un
établissement national.
( 74 )

il»

18 Juillet liai'

A près tant d’admirables Décrets qui


1790.

émanent chaque jour du Tribunal de la tfj

Nation, j’invoque la justice et l’humanité


de nos Législateurs pour ces êtres infor
tunés que l’on nomme Enfans naturels.
Ils réclament une loi qui fixe leur sort.
Un père, une mère aisés ne doivent-ils pas
soutenir l’existence de ceux auxquels ils
ont donné la vie? Ne semble-t-il pas que
la commisération du cœur devrait avoir in
venté pour eux le nom de pension alimen-
tau'el Les hommes naissent et demeurent
égaux en droits : c’est la base de l’état civil
qu’ils doivent obtenir dans la société.
Un enfant naturel à qui le Ciel aurait
accordé le don du génie et des talens ; qui,
par sa conduite et ses vertus, aurait forcé
la fortune à lui sourire ne pourrait en
,
mourant disposer du fruit de travaux^
ses
La loi ne permet point aux bâtards de
tester la loi ne leur permet point d’héri
5

ter à peine leur permet-elle d’exister. On


5 F
les exclut même de la Prêtrise.
( 75 )
On crie contre la mendicité ; on cherche
à la détruire. Mais les Arrêts, les Ordon
nances j la tyrannie, et toutes ses mains
de fer qui arrêtent les pauvres échoueront
,
toujours contre ce fléau sans cesse renais
sant. Il est malheureusement vrai que la
seule maison des Enfans-trouvés de Paris
en reçoit tous les ans plus de siæ mille.
Que deviendront-ils en sortant des hos
pices ? Sans parens, sans foyers sans for
,
tune et sans droits, n’ayant pour frein que
la faible moralité d’une éducation grossière,
ils seront peut-être forcés d’être mendians,
ou brigands.
Qu’il paraisse donc au milieu de l’As
semblée Nationale un autre Vincent de
Paul, entouré de ces petits orphelins à ge
noux et supplians ; que tous ceux qui dans
la Capitale partagent leur malheureuse des
tinée suivent ce cortège attendrissant que
, 5

cet ambassadeur de la nature implore en


leur faveur une existence civile, l’adoption
et les loix de la Patrie et sans doute un
5

Décret paternel deviendra pour eux l’ex


pression de tous les coeurs.
La Constitution leur accorde le rang de
( 76 )
Citoyen actif\ cela ne suffit point, ilsr ré
clament l’hérédité. Quiconque a les hon
neurs de la paternité , doit en avoir les
charges. Si le premier vœu de la nature
est que chacun transmette l’être qu’il a
reçu, notre première obligation est de ren
dre à nos enfans les soins qui nous ont été
donnés, et de leur laisser cette portion de
nos biens dont nous ne pouvons plus jouir
dans la tombe.
J’ai cru qu’il n’était pas indifférent de
rappeller à cet égard les usages des divers
peuples, à l’appui des droits que réclament
les enfans de la nature.
Chez les Athéniens, qui ne seront cer
tainement pas nos modèles en ce genre
y
une loi de Solon les excluait du droit de
Bourgeoisie. Périclès, si magnifique et si
dur, condamna cinq mille bâtards à être
vendus comme des esclaves.
Les Empereurs Ai'cadius et Honorius«
admirent les enfans naturels à partager
avec leur mère le douzième de la succes
sion. Ensuite Justinien les admit à par
tager pour la moitié , et voulut qu’ils eus
sent un sixième de l’héritage.
( n )
L*Empereur Ajiastase permît aux pères
de légitimer leurs bâtards par l’adoption.
En Espagne, les bâtards ont toujours hé
rité. Le Roi de Castille, Hejiri de 'Trcins-
tamare, ne fut jamais regardé comme Roi
illégitime, ni comme usurpateur quoiqu’il
$

fût bâtard.
La race des Rois d’Aragon, sur le Trône
de Naples, était bâtarde.
Le fameux Comte de Danois signait le
bâtard d’Orléans.
Le Duc de Normandie depuis Roi
,
d’Angleterre, a laissé des lettres qui sont
signées Guillainne le bâtard. Mais dans
ce pays de la philosophie et de la liberté,
où les bâtards ont quelquefois monté sur le
Trône, je trouve un abus bien atroce con
tre ceux qui leur donnent le jour. Si quel
qu’un fait un bâtard dans le Bailliage de
Middelton, Province de Kent, ses biens,
meubles et immeubles sont confisqués au
profit du Roi. J’aime à croire que l’on dé
roge souvent à cette coutume barbare, et
que les Anglais sont trop sages aujourd’hui,
pour punir la nature de sa fécondité.
Le chef de la troisième Race de nos
( 7» )
Rois, qui a planté en France l’arbre de la
Féodalité, Hugues Cap et, usurpateur de la
Couronne et de la Souveraineté Nationale,
laissa violer toutes les propriétés. Selon ses
us et coutumes, et les Rescripts royaux de
ses successeurs , lesbâtards ne sont d’au
cune famille et n’ont aucuns parens ; les
bâtards ne succèdent à personne, et per
sonne ne leur succède. MM. les Féodaux
trouvaient leur compte à ces maximes dé
naturées ils confisquaient les biens et les
5

propriétés des bâtards lorsqu’ils étaient


,
nés dans l’étendue de leurs Seigneuries. A
défaut de ces hauts-Justiciers, le Domaine
s’en emparait au nom du Prince.
Il y a quinze ans, un M. Benoît meurt
dans l’Orléanais, et laisse neuf millions
de fortune. On ne lui connaissait point de
proches parens. Le Domaine le fait passer
pour bâtard, et confisque son bien au dé
triment des pauvres collatéraux, qui pro
duisent envain leur généalogie. Le procès
de cette rapine Royale est encore devant
les Tribunaux, et 11’est pas jugé.
D’Alemhert n’eut pas le droit de faire
son testament. Académicien et bâtard, il
( 79 )
logeait au Louvre, et mourut dans le Palais
des Rois. Les Greffiers de la Prévôté de
l’Hôtel et ceux du Domaine, par conflit
ftl de Jurisdiction, vinrent séparément mettre
et croiser leurs scellés sur le très-mince
porte-feuille de ce sage aimable. Il n’eut
pas le droit de laisser à l’amitié un legs
qui rappcllât son tendre souvenir. A peine
ce Philosophe eut-il à la Paroisse le triste
honneur de Yobiit; et suivi d’un seul
Prêtre, il fut ignominieusement porté et
jetté au Cimetière des Porclierons.
Les Rois de Frajice se sont toujours ar
rogé le droit de légitimer les bâtards et de
les rendre habiles à succéder. En Angle
terre , ce droit appartient au Roi et au Par
lement. Jusqu’à ce jour en France, les
bâtards peuvent être légitimés par un ma
riage subséquent de leur père et mère, et
par la reconnaissance authentique qu’ils en
font lors de la bénédiction nuptiale.
On sait que l’impérieux Louis XIV dé
clara, par son testament, que ses bâtards
étaient habiles à succéder à la Couronne.
Ce fut l’autorité du Parlement de Paris,
qui cassa cette disposition paternelle, fon-
( 8o )
dée sur la nature ; comme aujourd’hui la
même Cour, si elle rentrait en France,
casserait la déclaration des droits.
En Dauphiné, suivant la coutume avouée
de ses anciens Souverains, les bâtards suc
cèdent encore à leurs mères.
Tel est le privilège de l’aristocratie en
France, que les Rois en fait de bâtards,
font des Princes les Princes font des Gen
5

tilshommes et les Gentilshommes ne font


,
que des Roturiers. Un mâle de la Maison
de Bourbon qui un bâtard, peut, sur sa
a
déclaration, sur une simple lettre signée
de sa main sérénissime, lui obtenir la croix
de Malte.
Dans la capitale des abus, à Rome, le
Pape a quelquefois légitimé ses bâtards,
et donné des dispenses à ceux dont la nais
sance n’était pas légitime il les a souvent
5

promus à la Prêtrise, élevé à l’Episcopat,


décoré de la pourpre Romaine ce qui 5

prouve que les droits des bâtards ne con


trarient ni les loix Civiles, ni les loix Ec
clésiastiques. Pourquoi ne leur permet
trions-nous donc pas la faculté d’hériter et
de recevoir des legs universels?
zz Août
22 Août 1790.
0:n
_ assure qu’une compagnie d’assigna
taires abandonne le Scioto pour le bois de
Boulogne. Est-ce pour le restaurer, l’em
bellir en faire un parc Anglais, et le rap-
,
peller à sa première origine?
Il serait bien digne d’une Municipalité
paternelle d’acheter ce bois de Boulogne 5
et je trouve l’indemnité de cette acquisi
tion dans le parti qu’on peut en tirer. D’a-
bord tout ce que vous ferez sera nul, si
vous ne le rapprochez pas de la ville.
Il faut donc le faire venir jusqu’à l’E
toile. L’intervalle qui existe aujourd’hui
entre le bois et ce terrein serait acquis et
planté. On se garderait bien d’abattre les
maisons qui le meublent déjà : elles sont
précisément le modèle de toutes celles qui,
dans mon système doivent l’environner
,
comme une ceinture. On vendrait chaque
pan de la muraille qui existe aujourd’hui
avec tant de toises de terrein j et nous con
naissons nombre d’acquéreurs tout prêts à
y bâtir de jolies bastides.
F

UL
( 82 )
La Municipalité trouverait bien vite
se
remboursée par la seule vente des terreins
environnans. On ne serait plus obligé de
garder le bois de Boulogne avec des gens-
d’armes la police s’y ferait d’elle-même.
$

Je voudrais que les habitans de ce nouvel


Elysée ne pussent clorre leur propriété que
de palis ou de grilles et non de tristes
,
murailles.
Examinons maintenant les avantages qui
en résultent. On ne serait plus obligé de
traverser une zone torride ou glaciale , un
champ de boue ou de poussière et les plai
5

sirs si simples et si doux, qu’il est si na


turel d’aller chercher à pied, ne seraient
plus réservés aux seuls wiskis, aux chevaux
de course, à ceux que le destin fait che
miner en carrosse.
Le fait suivant, considéré sous le seul
rapport politique, aidera peut-être à vous
convaincre. Un Anglais très-riche est ar
rivé ici avec sa famille. Il y est attiré par
la révolution qu’il aime dit il parce
, - ,
qu’elle est faite par des gens d’esprit.
Son frère l’a suivi. Mais celui-ci ne res
semble point à son aîné. Il ne sait pas
• ( 83 )
même s’il existe une révolution. Il n’est
venu à Paris que pour nos Spectacles, et
le bois de Boulogne. Il est arrivé avec dix-
liuit beaux clievaux. Mais vous allez voir
ce qu’il en est advenu. Il n’aime point nos
Spectacles qui commencent de trop bonne
heure où l’on est fort mal assis, et où l’on
5

meurt de chaud. Il n’estime pas davantage


le trajet des Champs-Elysées.
Un phaéton qu’il conduit, un autre dont
il est suivi j voilà le cortège dont il accom
pagne la plus belle maitresse du monde.
C’est le chef-d’œuvre de la grâce et de la
simplicité modeste que la toilette de cette
jeune personne. C’est le chef-d’œuvre de
l’élégance et de l’industrie que ces équi
pages charmans.
Eh bien! en moins d’un quart-d’heure
toutes ces merveilles, cahotées, disloquées
sur un terrein rude et inégal, sont desho
norées par la plus affreuse poussière. A
sept heures du soir, toute la cavalcade est
obligée de rebrousser chemin.
Notre Anglais est aimable j mais il a de
l’humeur. Il veut absolument retourner à
Uondres avec toute la parenté.
F2
( 84 ) '

Les Étrangers reviennent à Paris. Tâ


chons de les conserver. C’est l’esprit public
qui éclaire, et arrose les environs de Lon
dres à quatre lieues de distance. Pourquoi
les amateurs du bois de Boulogne ne con
tribuent-ils pas, par une souscription, à
faire niveler, adoucir, arroser cette tra
versée jusqu’à la hauteur de l’Etoile? Assu
rément rien ne serait moins dispendieux
que cette quote-part individuelle.
Mon château en Espagne serait de ren
verser celui de Madrid d’y bâtir une mai
$

son de plaisance sur un terrein incliné , à


l’aspect du midi, bien défendu des rigueurs
du nord de le couvrir de gazon soigné,
5

et d’une espèce qui conserve sa verdure j


de m’environner d’arbres qui ne quittent
jamais leurs feuilles, qui résistent et fleu
rissent même au milieu des frimats.
C’est-là que, comme ces arbustes et ces
arbrisseaux, j’irais pendant l’hiver végéter
aux moindres rayons du soleil. C’est dans
ce jardin qu’attenant mon manoir, je pra
tiquerais un joli bocage environné d’un
toit et de murs transparens mais si bien
,
déguisés par les hautes tiges des arbres,
f 85 3
par Part et la nature, qu’avec une cîialeur
artificielle avec un filet d’eau qui coule
,
rait et ne gèlerait jamais , les oiseaux et
mes amis seraient trompés par la tempéra
ture d’un printems éternel.
Ce Jardin n’est pas fait; mais je comp
terais pour quelque chose le plaisir de
l’entreprendre.
Mais le privilège de réaliser de sembla
bles projets n’appartient qu’à des Rois
9
seuls ils ont le pouvoir d’enfantei: des pro
diges avec la parole, comme Orphée au
son de sa lyre.
O fortunatos nimium sua si boita norint!
Ces premières idées en feront naître aux
grands Artistes. Il ne faut pas envisager
ce projet seulement comme un objet d’a
grément ou de récréation pour les habitans
de Paris, mais encore comme un moyen
nouveau d’embellir la Capitale. Si ce joli
bois de Boulogne n’existait pas, il semble
que l’imagination le planterait précisément
où il est. Je le regarde comme un de nos
grands spectacles j et la révolution quoi
7
qu’on en dise, n’anéantira point leur cé
lébrité.
( 86 )

il Septembre 1790.
O# vient d’dter les quatre bronzes muets
de la place des Victoires. On aurait dû
réformer d’abord les quarante parleurs im
mortels du Louvre. •

J’ai entendu faire à ce sujet plusieurs


questions très-embarrassantes que l’on pro
pose à résoudre. Les Récipiendaires de
l’Académie Française seront-ils encore
obligés de faire pompeusement l’éloge de
Louis XIV et du Cardinal de Richelieu
,
ces deux grands promoteurs du despotisme?
La moitié du docte Sénat sera-t-elle encore
prise parmi les grands Seigneurs tandis
,
qu’il n’y a plus ni grands ni petits Sei
gneurs? L’Académie conservera-t-elle ses
députations à la Cour? Puisqu’il n’y a plus
de Tribunal des Maréchaux de France pour
juger de l’honneur, l’Académie restera-t-
elle encore juge de l’esprit et de la vertu?
Les Académiciens seront-ils tenus d'aimer
notre Constitution, en conservant la leur?
Donneront-ils le prix au Poète ou à l’Ora
teur qui aurait le plus dignement célébré
( )
Pépoque solemnelle du 14 Juillet? Quand
verrons-nous un bon Décret qui abolisse
pour toujours cette impertinente farce ,
cette corporation de quarante privilégiés ,
assis sur des fauteuils, qui se partagent ex
clusivement l’immortalité ? comme l'indus
trie et les talens n’ont pas besoin de Ju
randes, l’esprit et le savoir sont au-dessus
de toutes les Académies.
Les bons Ouvrages et les bons Ecrivains
honorés par l’opinion publique, ont-ils
besoin d’étre inscrits dans la. liste des pri
vilégiés ?
Je dirais volontiers au jeune Candidat,
qui s’est fait l’ame damnée d’un parti, et
qui épuise son génie en intrigues pour ar
river à l’Académie : Croyez à la mort na
turelle de ce Corps malade et usé, qui n ’a
pas plus le droit de rester debout, que la
Cour des Aides et le Grenier à Sel.
Le grand Corneille pensa avoir pour
successeur à l’Académie Française un En
fant de quatorze ans ; et Racine lui-même
assura le Duc du Maine, que quand il n’y
aurait point de place vacante, il n’y avait
pas un Académicieji qui ne tînt à grand
F 4
( 88 )
honneur de mourir pour lui en faire une*
Souvenez - vous que Pascal, Molière
,
Helvétius Francklui, Diderot, Mabli,
,
Fauvernargues Chaulieu, Jean-Baptiste
,
et Jean-Jacques Rousseau, n’étaient point
de F Académie.
ISTe serait-il pas possible, par exemple,
de réunir, dans un centre commun que
l’on appelle aujourd’hui le Lycée toutes ,
les Académies les Chaires les Profes
, ,
seurs les plus renommés, les cours d’ins
truction , les instrument des Sciences, tout
ce qui peut appeller les Etrangers comme
les [Nationaux? Ces raisons paraissent vic
torieuses et valent bien les Comités secrets
,
de ce Club du Louvre qui se distribue des
louanges en public et des jetons à liuis-clos.
On objectera peut-être que les femmes
sont admises au Lycée. Eh bien ! le grand
mal à cela ! Le Parnasse n’était-il pas ha
bité par les Muses ?
Jadis le Pinde Grec comptait dans son empire
Un Apollon et neuf doctes beautés ;
Mais dans l’Académie où le bon goût expire,
,

D’Apollons soi-disant, quarante sont comptés


, y
Sans qu’une Muse les inspire.
( «9 )

5 Octobre 1790.
Une jeune femme est tombée malade. Il
n’y avait aucun danger ; mais par un excès
de zèle apostolique, on lui porte les Sacre-
mens. A cet aspect lugubre, aux mots la
tins prononcés par le Prêtre, elle est tom
bée dans les convulsions et l’on désespère
5

de sa vie.
C’est encore à nos Législateurs qu’il ap
partiendrait de protéger la faiblesse et la
maladie, comme ils ont secouru la pau
vreté. Ils s’occupent en ce moment des
asyles qui lui sont destinés. Ils descendent
jusqu’aux moindres détails d’une bienfai
sance paternelle. Mais les maux de l’esprit
ne sont pas moins dignes de commisération
que les douleurs du corps.
J’ai interrogé à ce sujet un bon Curé j
savant comme Bossuet, et simple comme
Massillon. Voici sa réponse, car je ne veux
rien dire qui ne soit orthodoxe : » Je me
» suis souvent récrié sur cette pratique re-
» ligieuse. L’extrême-Onction n’est pas dans.
»
l’Évangile. Suivant le dogme catholique,
( 9° )
» elle n 7 est pas nécessaire au salut. Une
» religion douce devait abolir, il y a long-
» temps, un usage aussi barbare «.
Ce discours du bon Pasteur in’a con
firmé dans mes sentimens. Je me suis rap-
pellé ce que j’avais entendu dire à Vol
taire : » Quoi î accablé par la maladie , la
» mort sur les lèvres , n’ayant plus dans le
» monde qu’un Médecin consolateur, ma
» famille et mes amis je vois tout-à-coup
7

» entrer dans ma chambre, et parvenir jus-


» qu’à mon lit de douleur, un Prêtre qui
» vient me prononcer ma sentence , de cet
» air indifférent que donne l’habitude de
» son terrible ministère ! Un rayon d’espé-
» rance luit encoredans les yeux de mes
» fidèles serviteurs. Je suis dans une crise
» salutaire qui peut me rendre à la vie ?
» et l’on vient refroidir mon corps débile
* pour l’oindre d’une huile funeste « î
Quoi donc! un vil mortel, un ignorant tondu.
Au chevet de mon lit viendra sans me connaître
Gourmander ma faiblesse et me parler en maître l
Ke suis-je pas en droit de rabaisser son ton
En lui faisant moi-même un plus sage sermon?
À qui se porte bien, qu’on prêche la morale r
( 91 )
Mais il est ridicule à notre heure fatale
D'ordonner l’abstinence à qui ne peut manger.
Un mort dans le tombeau ne peut se corriger.
Voltaire hésita long-tems de revenir à
Paris tourmenté par ces tristes réflexions.
,
Je dénonce encore à la Patrie et à l'hu
manité un délit barbare commis sur la
Paroisse St-Roch : voici le fait. Le cœur
défend à la plume de le tracer librement.
Une jeune femme, mariée à un pauvrç
ouvrier allaitait son enfant, qu’elle voit
,
mourir dans ses bras faute de moyens et
de secours. Elle passe la nuit entière à le
réchauffer dans son sein, à l’arroser de ses
larmes.
Le chef-d’œuvre d’amour est le cœur d’une mère.
Hélas ! il faut renoncer à tout espoir. On
porte son cher flls à4
l’Eglise;
; elle demande
un enterrement de charité. On exige neuf
francs. Ah! si je les avais> dit-elle, mon
enfant ne serait pas mort! Paroles déchi
rantes, mais qui n’attendrissent point un
Prêtre célibataire.
On fournit une bière qui se trouve trop
courte. Elle ne consentira point à la dou
leur idéale que souffrirait un être inanimé,
( 92 )
Fobjet de toutes ses affections. Elle veut
un autre cercueil. Elle invoque la pitié des
témoins. Mais, qui le croirait! tout-à-coup
Fenterreur brise les jambes de l’enfant, et
l’enferme dans ce coffre funèbre.
Les convulsions du désespoir s’emparent
de cette mère infortunée j c’est ma femme
qui découvre en secret ces malheurs obs
curs, et qui les console aujourd’hui. Vol
taire l’appellait sa Sœur-Grise. Combien
de victimes de la misère et de l’insouciance
sacerdotale !
Les Prêtres resteront-ils ïong-tems en
possession de tout ce qui constitue notre
existence ? ne pourra-t-on naître, se marier,
ni mourir sans eux? Ces actes purement
temporels ne sont point du ressort du pou
voir Ecclésiastique. C’est aux Magistrats
du Peuple qu’il appartient de consigner les
naissances, de légitimer les unions, et de
constater les morts. Alors dans cette no^
menclature révoltante de la fiscalité Catho
lique serait effacé pour jamais le terme
,
odieux d’ enterrement de charité.
}

Le Curé ne pourrait plus dire :


Monsieur le mort, j’aurai de vous
( 93 )
Tant en argent et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Je regretterai toujours qu’un Manuel
du Cultivateur, écrit de la main de Vol
taire, ait passé avec sa Bibliothèque chez
l’Impératrice de Russie, qui certainement
n’en fera aucun usage pour des peuples à
peine civilisés. Tous les catéchismes de
nos Diocèses sont bien misérables à cdté
de celui-là. Et sa morale était encore plus
naturelle que religieuse.
Il conseillait aux bonnes gens de ne
point se confesser aux hommes, c’est-à-
dire aux Prêtres mais d’adresser à Dieu
, ÿ

seul l’aveu de leurs fautes et du repentir.


Cette confession auriculaire le mettait en
fureur. Que serait-ce donc aujourd’hui,
s’il réfléchissait aux suites qu’elle peut
avoir pour troubler la paix des familles
et de l’État?
Le feu Clergé de France, mécontent de
se voir dépouillé de ses richesses, ne man
quera pas de se défendre avec toutes les
armes qui restent en son pouvoir. L’exer
cice du culte extérieur n’a rien de dange
reux. La Messe, les Offices, les Prédica-
( 94 )
irons, tout cela comporte un grand, nombre
de témoins ; mais ce qui est vraiment re
doutable c’est le secret de la confession
,
auriculaire. Les Citoyens éclairés auxquels
je présente ces réflexions, savent encore
mieux que moi de combien de poignards
la confession a peut-être armé la main des
fanatiques et des scélérats.
Si jamais on prononce enfin un Décret
attendu avec tant d’impatience le ma
,
riage des Prêtres, il s’ensuivra nécessaire
ment la suppression absolue du confessio-
nal, dont l’immoralité n’offense que trop
les penseurs, les gens austères et les fer-
vens amis de la vérité.
Je demanderais aussi, pourquoi des Priè
res en latin? Les Poésies de David ne pour
raient-elles pas être chantées en beaux vers
français? Les Odes sacrées de J. B. Rous
seau, les Cantiques de Racine et de Pom-
pignan, ont bien plus de grandeur et d’onc
tion que le latin de notre Pseautier. Tout
inférieurs que sont les vers de JMarot au
texte hébreu, il furent adoptés dans le
siècle des plus grandes superstitions. Ap
prouvés par la Sorbonne, on les chantait
( 95 )
sans scrupule à la Cour de François ef * I
Florimond de Rémond, Historien du
tems, parle ainsi du goût des Dames et
des Princes pour ces Pseaumes. «Le Roi,
« dit-il, prit pour le sien :
Comme on oit
»
le cerf bruire, sicut cervus ad fontes
« aquantm, lequel il chantait à la chasse*
*

« La Duchesse de Valentinois qu’il aimait,


« prit pour elle : Du fond de ma pensée y
« qu’elle chantait en dansant la volte. La
« Reine avait choisi : Ne
veuillez, ô Sirel
« sur l’air de la chanson des bouffons. Le
j) Roi de Navarre, Antoine, prit : Revan-
>3
chc-moi prends ma querellequ’il chan-
?

» tait en dansant le branle de Poitou «.


Ainsi les autres.
On connaît la réponse de JMarot à la
Sorbonne. Il disait qü’elle ne lui voulait
tant de mal que parce qu’il l’avait démas
quée j et qu’au moyen du renouvellement
des Sciences et des Arts, on avait décou
vert le pot-aux-roses.
Je viens d’entendre et d’admirer les beaux
Chœurs d’Athalie.
Je ne vois, dans ce moment-ci, que la
majesté dp. spectacle. Le rapprochement
C 96 )
fraternel des deux sexes qui ajoute un si
,
grand charme aux fêtes religieuses une
,
Poésie sublime, embellie par une Musique
céleste, cette réunion touchante des Arts
les plus aimables, le recueillement invo
lontaire de toutes les âmes sensibles je5

n’ai pu me défendre de comparer cet en


semble imposant à la sécheresse de nos
usages Catholiques, à la triste psalmodie
de notre Plain-Chant, mauvais latin, demi
juif, demi goth, que les trois quarts des
assistai!s n’entendent point.
L’Eglise Grecque a toujours prié en grec,
l’Église Latine en latin par quelle bizar
5

rerie l’Église Française ne prie-t-elle pas


en français ! On devine aisément quel a été
le motif de la Cour de Rome, en mainte
nant cet usage. La traduction littérale de
la plupart des Pseauines serait une preuve
de leur insignifiance, ou plutôt de leur ab
surdité. Diæit Dominas Domino meo :
secte à deætris meis. Montes eæultavc-
nuit sicut arietes, apprendrait au peuple
que le Seigneur imite Monseigneur à
s’asseoir à sa droite $ et que les monta
gnes bondissent comme des béliers. Voilà,
sans
( 97 )
sans doute, pourquoi les Prêtres d’Égypte
n’expliquaient point les hyéroglyphes.
Mais je demande encore pourquoi les
femmes ne sont-elles point initiées dans les
cérémonies de nos mystères? Elles y ré
pandraient une couleur sentimentale, si
j’ose m’exprimer ainsi. Leur voix douce
et flexible donne au chant de l’Eglise ce
charme religieux que j’ai quelquefois
éprouvé dans les Temples Luthériens. Elles
ont toujours fait une partie essentielle du
culte, dans toutes les Religions de la terre.
Des idées fausses de pureté ont produit ce
rigorisme qui les exclut du Sanctuaire.

A ClIARLES VILLETTE. 9 Décembre 1790.


D’après votre motion, l’on donc
va
transporter Voltaire à Paris. Cette urne
mérite un beau monument j elle doit re
poser au Panthéon Français , qui , l’été
prochain, fera briller dans les airs sa ca
lotte dorée.
Je m’inscris sur la liste des dévots Phi
losophes qui vont recueillir les reliques de
l’Aputre du genre humain. Voilà la Châsse
G
C 98 )
qu’il faut exposer aux regards des vrais
Patriotes au lieu de la moutonnière Pa
,
tronne des Parisiens , et même préférable
ment à la Patronne des Chapeliers.
Quand vous annoncerez le jour où l’ho
norable cortège partira pour la Mecque
Champenoise malgré les intolérans Théo-
5

logues, vous me verrez porter en tête une


bannière civique avec ces mots, viro im-
,
mortali. A mes cotés marcheront deux
acolytes femelles de ma façon, vêtues à
l’antique, et portant des corbeilles de fleurs.
Voici mes titres pour être un des mar-
guilliers. J’ai eu l’honneur de coëffer ce
crâne divin qui produisit tant de merveilles,
et ce souvenir m’a rendu fier de mon état.
J’ai lu, dans ma jeunesse, que Locke le
songe-creux, dont les Anglais s’honorent
tant, quoiqu’il 11e vaille pas l’auteur de
Brutus, disait que le premier des arts était
celui des Chapeliers, parce qu’ils travail
lent sans cesse sur l’entendement humain,
et qu’ils sont continuellement occupés à
mesurer son étendue.
Trahi par la fortune, je me suis vu forcé
de quitter un état en relief, que j’aimais
(99 )
autant que Locke. Je suis sorti du noir
magasin de l’entendement , au rez-de-
cliaussée pour me reléguer au sublime
,
étage des Gens de lettres, sous la gouttière.
Mais le souvenir d’avoir abrité le cer
veau du grand liomme va me faire re
prendre mon état. J’espère que je n’aurai
plus à couvrir que des têtes profondes et
philosophes éclairées du flambeau de la
,
vérité que Voltaii'e alluma avec tant de
peine, et qui, juvante Natione > Lege et
Ixege, ne s’éteindra jamais.
L } cincieîi Chapelier de Voltaire*
Réponse.
Vous étiez bien digne de coëffer la tête
sublime de Voltaire. Mais c’est un hon
neur que vous disputait la Renommée $

car il avait plus de couronnes que de cha


peaux. Elle se plaint un peu de l’in
souciance où restent aujourd’hui ces gé
néreux Parisiens qui trouvent plus difficile
de transporter le corps de Voltaire à Paris,
que de prendre d’assaut la Bastille.
Vous croyez bien, Monsieur, que vous
ne serez pas oublié dans la liste de nos
G 2
( lûô )
affiliés. Ce pèlerinage civique, ce voyage
sentimental doit être décrété par l’Assem
blée Nationale mais on nous fait peur des
5

hauts cris que vont jetter les Prêtres. Le


Philosophe qui venge les mânes de Calas,
qui arrache au fanatisme, aux bourreaux en
soutane tant d’innocentes victimes ; l’his
torien qui écrit en lignes de sang les mas
sacres des Cévènes et des Albigeois, et qui
d’un coup de plume a renversé les mitres,
les bonnets quarrés et les capuchons celui- 5

là sans doute ne mérite aucune grâce de


leur part. Il faut l’avouer j
Faisant tout pour la gloire il ne fît rien pour R.ome;
,
Et c'est la seule faute où tomba ce grand liomme.

Il i5 Décembre 1790.
faut enfin répondre à tant de redites
et de pamphlets que les aristocrates em-
ployent éternellement pour justifier les mo
tifs de leur insurrection. Ils ne vous par
lent plus des titres, des privilèges, des
jouissances féodales qu’ils ont perdus. C’est
aujourd’hui le Roi lui seul qu’ils pleurent
?
et dont ils veulent venger la cause.
( 101 )
Et moi je soutiens que jamais il ne fut
plus grand. Si ce même Roi de France et
de Navarre, au moyen de sa certaine scien
ce , pleine puissance et autorité royale, s’é
tait avisé, il y a deux ans, de brûler le
Livre rouge et la liste in-folio des traite-
mens et des pensions ; ces mêmes aristo
crates soldés auraient été ses premiers en
nemis. Ils l’encensaient pour son argent j
et nous l’aimerons pour lui-même. Son
pouvoir n’était réellement fondé que sur
sesprofusions*
On nous parle toujours de la Monarchie :
mais au lieu d’un Monarque nous en avions
sept ou huit. Le Loi de la guerre qui,
tous les deux ans, créait pour son plaisir
quatre-vingts Officiers-généraux, bien plus
habiles à soutenir le despotisme qu’à servir
la Nation. Le Loi de la marine qui tenait
les clefs du commerce, l’urne d’abondance,
et qui nourrissait ou affamait les Isles à sa
volonté. Le Loi des affaires étrangères
qui soufflait dans l’Europe le froid et le
chaud, et pour l’honneur de sa place, fai
sait égorger les peuples comme des trou
peaux à la boucherie. Le Loi de la jus?*
G a

/
( 102 )
tice qui , sans se lever de son siège ina-
movible étendait sa main de chicane sur
7

toutes les fortunes. Le Roi de Paris qui


voyait à son audience les Mouchards , les
Filles de joie, les Evêques ; et ne savait que
pensionner ou emprisonner. Enfin le Roi
de Vei'sailles, accablé de dettes et servi
9

comme Jupiter ; mais qui régnant par la


grâce de Dieu, n’avait ni influence ni dé
partement : il était servilement réduit au
cérémonial de toutes les étiquettes, ce qui
faisait dire à Frédéric : Si j’avais l’hon
neur d’être Roi de France, je paierais
un homme pour faire le lever.
Ce n’est pas tout : au lieu d’un seul
maître, nous avions une trinité de Rois ;
le Roi Louis, le Roi Monsieur, le Roi
d’Artois ; et chacune de ces trois Majestés
avait ses Gardes-du-Corps Cent-
ses
,
Suisses ses Conseils des Finances ses
, ,
Maîtres des Requêtes ses Chambellans
, ,
ses Ecuyers, ses Aumôniers, ses grands et
petits Officiers Maîtres des Cérémonies
, 7
Introducteur des Ambassadeurs, Capitaines
des Levrettes, Historiographes et Chauffe-
Cire. Chacune de ces trois personnes de la
( i°3 )
Royauté avait le privilège souverain de
puiser dans les coffres de l’État , le pouvoir
d’emprunter l’argent de tout le monde et
de ne payer personne, le pouvoir d’enlever
la femme qui leur plaît, et de répondre
aux plaintes des pauvres maris par des
lettres-de-cachet.
Qu’a fait la Nation? accablée, vexée
7
humiliée par tous les tyrans subalternes
7
elle les a chassés sans pitié. La France a
repris la souveraineté elle a remis dans
$

les mains du Prince les rênes du Gouver


nement j elle l’a créé Chef suprême de ses
armées, et lui confie l’exercice de tous ses
pouvoirs. Autrefois réduit à une pension,
alimentaire, il a maintenant trente mil
lions pour ses menus-plaisirs. Enfin Je ne
vois dans ce grand procès de parties plai
gnantes que les parties casuelles, les grands
pensionnaires de l’État pantomimes du Mo
narque , les premiers Commis pantomimes
des Ministres, les Chanoines pantomimes
des Evêques, et les Moines joufflus panto
mimes des Pères du désert.
Je traversais ce matin les Tuileries tous
5

les regards étaient fixés sur les fenêtres


G zj.
( ï°4 )
du Roi :
le trait historique suivant m’est
revenu à la mémoire.
Sous la Régence, Louis XV tomba ma
lade : sa guérison fut un miracle ; et sa
convalescence causait une joie qui allait
jusqu’au délire. Le Maréchal de Villeroi
son Gouverneur , ne cessait de montrer
l’enfant royal au public il affectait de le
5

promener d’une fenêtre à l’autre, jusqu’à


l’en excéder. Voyez, lui disait-il, voyez
mon maître / tout ce peuple est à vous $
il n’y a rien là qui ne vous appartienne ;
vous êtes le maître de tout cela E.t
autres platitudes du même genre.
Aujourd’hui Louis XVI voit de ces
mêmes fenêtres, une Nation généreuse et
libre. Son Gouverneur, s’il existait, lui en
dirait tout autant que le bas et vil Villeroi.
Mais si, comme on doit le supposer, il se
trouve auprès de sa personne quelqu’ami
de la Constitution il pourrait dire à ce
,
Prince :
3)
Sire, ce peuple que vous voyez, n’est
plus à vous : c’est vous qui lui appartenez,:
c’est vous qu’il a choisi dans sa souverai-
,
neté : c’est en vous faisant aimer que vous
(io5 )
serez véritablement Roi. Jouissez de ce sen
timent si doux et si pur, que le plus faible
des hommes peut impunément refuser au
plus puissant. Parcourez la ville : les ci
toyens se presseront sur votre passage j vous
lirez dans tous les yeux la joie universelle,
véritable récompense des bons Rois. Non,
ce n’est pas ainsi que les esclaves bénis
sent leur maître : éloignez à jamais de vous
ces flatteurs salariés , qui vous dérobent
aux regards de vos plus fidèles amis. Quoi
qu’on puisse vous dire, souvenez-vous que
Trajan était l’idole des Romains, lorsqu’il
disait au Sénat : Je tiejis de vous tout ce
que je possède, et la maison même que
j’habite, jdest pas à moi $ lorsqu’il faisait
graver sur le frontispice de la demeure Im
périale Palais public, afin que tous les
,
Citoyens le regardassent comme une de
meure qui leur était commune «.
Il entrait dans le système politique de
Louis XIV de ne pas habiter Paris. Ce
Prince ignorant fut le moins populaire qui
ait jamais existé.
D’ailleurs n’était-il pas de l’intérêt de
JMazarin, pour garder plus long-tems le
( 106 )
sceptre, pour cumuler à son aise ses zoo le 1

millions, d’éloigner son Maître des regards as$'

clairvoyans du peuple comme un Visir


5
à
tient le Sultan dans l’ombre du Serrail?
Louis XII, avec cette simplicité, cette
bonliommie royale qui le caractérise, ne
pouvait sortir de son Palais, errer dans ses
Jardins, sans rencontrer les regards at
tendris de ses fidèles Sujets. Ceux de la
Ville et de la Campagne accouraient à-la- ÊÎ

fois l’entouraient, le pressaient, faisaient


,
toucher des linges à sa Personne à ses
,
habits, à son cheval, et les remportaient
chez eux comme les plus précieuses Re
liques. Sentimens affectueux qui, sans
doute, ont donné lieu à ce proverbe : Etre
heureuoc comme un Roi.

6 Avril 1791.
C’était sans doute un spectacle bien
étonnant que le convoi de Mirabeau
,
passant sous la statue de Louis XIV. Si
jamais elle fut la Place des Victoires, à
coup sûr c’était hier. Je parle des victoires
de la liberté, du triomphe des Patriotes
?
/

( 10 7 ).
de cet élan sublime de Famé qui, par un
assentiment universel , élève un simple
citoyen au-dessus de tous les Rois.
Que ce Louis-le-grand était petit! vai
nement les arts Font entouré de trophées,
Font couvert de palmes ; la Renommée qui
couronne Mirabeauimprime au souvenir
de cet homme le sceau de la véritable im
mortalité. Auteur de l’organisation civile
et religieuse, il s’est occupé de la chose
publique jusqu’à son dernier soupir. Il est
mort emportant avec lui l’assurance de l’a
chèvement très-prochain de la Constitution.
Froiite serenâ fortis et adhuc sublimia curans.
J’ai assisté à son éloge funèbre. Un sa
vant Professeur de morale a préconisé les
vertus civiques de ce grand homme. L’É
glise était décorée avec une pompe où l’on
n’avait rien négligé.
J’aurais été bien satisfait, et mon cœur
eût vivement joui, si, au lieu des chants
latins et des hymnes barbares, j’eusse en
tendu l’orchestre nombreux des Musiciens,
chanter en chœur des hymnes françaises.
Avec quel transport les assistans auraient
uni leurs voix à ce concert de louanges !
( i°B )
Cela ne vaudrait-il pas mieux que cette in
vention des Prêtres, cette prière des morts ïel
bien faite pour épouvanter les vivans? Que
veulent dire ces paroles : Dies ilia dies
,
ircie, calamitatis et miseriae; dies magna
et amara valdè, qui nous annoncent des
jours de colère, de calamité et de misère?
Laissons aux fanatiques effrénés aux
,
ignorans crédules, ces hideuses cérémonies.
Lorsque l’on prononce l’éloge, lorsque l’on d
fait, en quelque sorte, l’apothéose de ceux
qui ne sont plus ; pourquoi demander au
Ciel qu’ils soient délivrés des peines de
l’enfer, du lac profond, de la gueule du
lion de peur que le tartare ne les englou
5

tisse et qu’ils ne tombent dans l’obscurité :


,
Libéra omnes animas dejunctorum de
jpœnis inferni > et de projim do lacu : li
béra eas de ore leojiis ne absoi'beat eas
?
ta?'tarus ; ne cadant in obscurum?
Je le demande ; est-ce donc là le service
que l’on doit faire pour un Philosophe tel
que jMirabeau? ISTe vaudrait-il pas mieux
une cérémonie qui fut pour tous les tems,
pour toutes les opinions , pour tous les
lieux? Les Protestans, les Musulmans, les
( )
10 9
Clihiois, les Juifs voudraient-ils assister à
de pareilles absurdités?
On va bientôt apporter le corps de Vol-
taire dans la Basilique destinée aux grands
hommes : mais ce sera en chantant de
beaux cantiques français. Il n’y sera point
question de tartare, de lac profond de
,
gueule du lion, ni de David, ni de la Sy-
bille ; teste David ciim Sybillâ. Je ne veux
même y voir ni cierges, ni tenture de deuil
,
ni décorations sacerdotales inventées par
l’imposture adoptées par l’intérêt. La re
,
connaissance le respect, le culte senti
y
mental que chacun lui porte au fond du
cœur, ne connaît rien de tout cela.

i5 Avril 1791.
Frères et amis, j’ai pris la liberté d’ef
facer à l’angle de ma maison, cette ins
,
cription : Quai des Théa tins ; et je viens
d’y substituer : Quai de Voltaire. C’est
chez moi qu’est mort ce grand homme. Son
souvenir est immortel comme ses ouvrages.
Nous aurons toujours un Voltaire, et nous
n’aurons jamais de Théatins.
Je ne sais si les Municipaux, les Voyers,
les Commissaires de quartier trouveront
illégale cette nouvelle dénomination puis
,
qu’ils ne l’ont pas ordonnée : mais j’ai
pensé que le Décret de l’Assemblée Na
tionale qui décerne les honneurs publics à
J^oltaire, était, pour cette légère innova
tion, une autorité suffisante.
Cet exemple sera sans doute imité. La
rue Plâtrière portera le nom de J. J. Rous
seau. Il importe aux cœurs sensibles, aux
âmes ardentes de songer, en traversant
cette rue, que Rousseau y habitait au troi
sième étage mais5
il n’importe guères de
savoir que jadis on y faisait du plâtre.
Il reste cinq encoignures depuis la rue
de Seine jusqu’au pont-Royal. Le nom
bizarre quai Malaquai disparaîtra. Le
quai d’Orcai; loin de recevoir le nom de
CondÉ qu’on lui préparait, placé sur le
chemin du Champ de Mars, sera baptisé
QUAI DE LA FÉDÉRATION.
; Je me transporte en idée à ces tems de
lumière, à dix ans d’ici, où les noms Van
dales de nos rues seront changés. Nous
n’aurons plus, de grande TruaJiderie, ni
( in )
de grand Heurleur $ de Géojfroi Lange-
vin , ni de Géoffroi VAsnier; de Bertin
Poirée, ni d’Hillerin Bertin. Les noms
des Saints seront relégués dans les Alma
nachs et dans les Eglises. Cette fameuse
,
rue Saint-Honoré sera la rue de la Cons
titution 5
celle Saint-Antoine, rue de
la Lieertéj celle de la Barillerie, rue
de la Justice ; celle Saint-Jacques, qui
conduit au Panthéon Français, rue des
Grands Hommes. Elles est étroite et es
>;üî
carpée, comme le chemin de la gloire.
Alors Paris, d’un bout à l’autre ne sera
,
véritablement aux yeux de l’Europe que le
grand livre des Droits de l’Homme.

10Œ

Les habitués du Café Procope-Zoppy


y
à Charles Villette. 14 Avril i 7/yqi.

r rère
T?
et ami, nous avons lu avec un
plaisir la lettre
vrai que vous adressez à
vos Concitoyens. Nous vous félicitons sur
le changement que vous avez fait à la dé
nomination du superbe quai que vous ha
bitez, et nous sommes sûrs que tous les
( 112 )
braves Parisiens l’approuveront : cette dé
nomination nouvelle rappellera à nos ne
veux les sentimens de reconnaissance et
d’admiration dûs aux talens et à la mé
moire de Voltaire. Ainsi doivent être ho
norés les services rendus à la Patrie et à
l’humanité par ces hommes précieux qui ,
bravant le despotisme et ses fureurs ont
,
eu le courage d’allumer le flambeau de la
raison et de la philosophie, et de le placer
sur le haut de nos Cités , comme un fanal
salutaire.
Mais si ces honneurs sont une dette, il
,
doit paraître également juste de vouer à
l’opprobre universel, par des aj)pellations
caractéristiques, ces êtres obscurs, escla
ves soudoyés du despotisme expirant, qui,
par leurs écrits impurs et fangeux, cher
chent à égarer le civisme de nos frères, et
à détourner les influences d’une révolution
qui doit faire le bonheur des Français.
Nous regardons comme juste de donner
aux égouts de notre ville les noms des
JVbalet-du-Pan Abbé Roy ou, Durosoy
, ,
Pelletier , Gauthier JMeude - Monpas
, ,
Rivarol et consorts j et de porter même
cette
( )

cette espèce de flétrissure sur tous les noms


des grands ennemis connus de notre liberté.
Nous sommes , avec une loyale frater
nité vos frères et amis.
,
Réponse,
Rien n’est plus honorable pour moi que
-

le suffrage des bons Patriotes du célèbre


>v,
Café Pî'ocope. La renommée n’avait pas
attendu l’époque de notre révolution pour
icei

d jetter de l’éclat sur ce rendez-vous de l’es


prit et du civisme. Il fut, dès sa naissance,
la terreur des sots, et donne l’exemple
d’honorer les talons et les grandes vertus.
Vous voudriez faire justice de ces hypo
crites gagés qui signent chaque jour dix
proclamations de guerre civile, et qui ne
pi haine
se sauvent de la que par le mépris.
Mais c’est leur faire beaucoup trop d’hon
neur que d’attacher quelque permanence à
leur souvenir. Les assassins de la Patrie ne
doivent pas être mieux traités que les as
sassins des Rois j et nous ne lirions pas
sans horreur : égout Ravaillac , égout Da
miens,
Je suis, avec fraternité, etc.
( i»4 )

Avril 1791.
Il 20
faut espérer que la France perdra bien
tôt cette routine orgueilleuse de salarier
des Ambassadeurs permanens dans toutes
les Cours de l’Europe.
En effet, d’après notre déclaration so-
lemnelle de renoncer à tout esprit de con
quêtes la science diplomatique est à-peu-
,
près réduite à zéro. Les affaires conten
tieuses de l’Europe ne nous regardent plus*
Les Commerçans qui détaillent sont les
vrais Ministres de l’intérieur. Les Négo-
cians millionaires, les Facteurs du Levant,
ceux des Isles, ceux des Indes, sont nos
grands Ambassadeurs.
Qu’un Duc de Parme , ou de Saxe-
Gotha qu’un Evêque de Wirtzbourg, de
y
Spire, ou de Porentrui 5 que la peuplade
usurière de Genève se donne des airs Mi
nistériels, on le conçoit.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages.
Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs.
Tout petit Prince a des Ambassadeurs.
Tout Marquis veut avoir des Pages.
( m5 )
Mais cette Légation de France auprès
du Prélat de Liège, on est un peu scan
dalisé des mille louis dont on vient de la
doter ) somme que l’on n’eût jamais osé
accorder sous le régime déprédateur.
Pendant tout son règne , le fastueux
Louis XIV n’eut jamais de Ministre à
Liège. Seulement après les guerres de
Flandres, en 1747? Louis XV consentit
d’en envoyer un, parce qu’on persuada au
bon-liomme Puisieuæ qu’il était séant que
la France eût un Résidant à Liège. On
aurait également pu lui proposer d’en en
voyer un dans la République de Lucques,
de Raguse, de Saint-Marin.
M. de Beauckamp qui, en 1748, rem
plissait cette fonction n’avait pour tout
,
traitement que huit cents livres.
L’Empereur, malgré les rapports natu
rels du Brabant avec Liège, n’y a point de
missionnaire honorifique. Un simple Avo
cat du pays se charge de suivre le petit
nombre d’affaires qu’il peut avoir à traiter
avec ce noble Chapitre et ses appointe-
5

mens ne vont pas à cent pistoles.


Le Roi de Prusse n’a d’Envoyé à Liège
H 2
( )
que depuis quelques années. Un de ses
sujets lui a demandé ce titre sans aucune
rétribution pécuniaire.
La Hollande y nomme un Résidant
qu’elle ne paie pas non plus. Le Commis
saire de la République à Namur, prend à
Liège la qualité d’Envoyé, mais toujours
à ses propres frais.
C’est une observation dont il est impos
sible de se défendre. Tous les fonctionnaires
qui tiennent au Pouvoir exécutif sont payés
magnifiquement. Tous ceux qui veillent
aux intérêts et au bonheur du Peuple n’ont
en quelque sorte, pour vivre que la con
?
sidération publique.
Lorsque la Nation relève la dignité de
Évêques et rétablit les libertés de l’E
ses
glise gallicane ; quel abus d’envoyer servi
lement un Ambassadeur au Diocèse du
Tibre ! on peut bien pardonner à ce vieu^
et galant Cardinal qui, sur un luth d’or ?
A chanté les Saisons les Heures et les Grâces,
,

on peut lui pardonner d’être ingrat en


vers une Patrie qui lui fournissait encore
l’occasion de mériter une nouvelle cou
ronne : mais pourquoi lui donner un suc-
( ”7 )
cesseur? Sera-t-il à Rome le protecteur des
Eglises de France? la Constitution civile
du Clergé n’a plus besoin de cette protec-
torerie ultramontaine. Est-ce pour négocier
des annates? pour obtenir des dispenses?
pour faire proclamer au Consistoire les
nouveaux Prélats? Mais par les Décrets
de l’Assemblée Nationale il n’y a plus de
bulles à recevoir, d’annates à payer : nos
Métropolitains ont tous les pouvoirs des
Apôtres et ramenés paisiblement au ré
5

gime de la primitive Eglise, il n’y aura


jamais de plus belle proclamation pour
eux, que l’élection des peuples.
Sera-1-il en Italie le défenseur de ses
compatriotes? mais on sait le sort déplo
rable que les Français viennent d’éprouver
à Naples, sans que notre Ambassadeur ait
fait la moindre réclamation pour les Droits
de l’homme et l’honneur de son pays.
A quoi donc se réduira la mission de cette
Excellence plénipotentiaire? à dépenser cent
mille livres par an dont l’emploi convien
,
drait mieux à soulager dix Commerçans
honnêtes et ruinés, qu’à brillanter un Re
présentant inutile et fastueux.
H 3
D IA L O GUE, z5 Avril 1791-
Vo ici
, presque mot pour mot, une con
versation dont j’ai été le témoin, entre un
ancien Frotteur et le maître de la maison.
35Dis-moi, Joseph5 que feras-tu de ton fils?
— Ma foi, Monsieur, j’en suis fort em
barrassé : il y a tant de Domestiques sur
le pavé ! Pourquoi n’en pas faire un Sol

dat?
— Joseph en souriant. Oli ! Mon

sieur ça n’est pas facile depuis que la


, 3

paie est augmentée, et que les Soldats de


viennent Officiers à leur tour, on ne re
çoit pas tout le monde, comme on faisait
de mon teins : on veut que les jeunes gens
sachent lire, écrire, et même un peu chif
frer. — Eh bien, Joseph, dépêche-toi donc
de lui faire apprendre tout cela. Oui-da,

Monsieur, c’est bien mon intention3 j’irai
ce printems au pays, et je mènerai mon
drôle à son cousin, qui est Vicaire à Saint-
Flour. — Je te prédis, mon cher Joseph,
que dans une douzaine d’années, ton cou-
sm sera Eveque et ton fils Capitaine. —
Monsieur, ça est bien possible mais on3
( 1
)
dit qu’il va y avoir une éducation natio
nale. Est-ce que je ne pourrais pas fourrer
mon cadet là-dedans? — Oui, mon cher
Joseph, tu le peux ; il n’y aura plus de pri
vilégiés dans les Ecoles publiques : on aura
beau faire dorénavant si l’on veut être
5

quelque chose, il faudra avoir du mérite.


Joseph, les larmes aux yeux. Ma foi
— ?
Monsieur, je voulais faire une fin, et aller
bâtir une petite maison dans nos monta
gnes mais je ne bouge plus de Paris : car
5

si, comme ils le disent, on fond les clo


ches 5 s’il va y avoir un peu de mitrailles,
cette ville-là sera encore le plus bel endroit
du monde.
—-
Mais, Joseph, dis-moi donc les nou
velles que tu as reçues de Chambéri.
—-
Ah! oui, Monsieur voici Bernard mon
5

beau-frère qui est ici tout juste. Il vient


de ces côtés-là.
— Eh bien, Monsieur Ber
nard ! vous avez eu du train, à ce qu’on
dit, à propos de nos Aristocrates qui sont
partis. — Il y a eu un grand charivari, au
sujet du mariage d’un Monsieur cordon-
bleu qui était auparavant à la tête des
Marchands de Paris 5 mais voilà qui est
H4
( Î20 )
fini , parce que notre Roi a mis de Peau
dans son vin ; qu’au lieu d’augmenter les
tailles, il les diminue, et qu’il cherche à
soulager le peuple. — Il me semble, Ber
nard que les gens de votre pays commen
,
cent à 11’être pas si niais, et qu’ils ne sont
plus d’humeur à se laisser mener, comme
ils faisaient, par les Prêtres. — Ah ! ma
foi, non Monsieur, on est bien revenu de
ça. Nous avions notre voisin, M. de Vol
taire , qui n’a pas laissé que de nous faire
voir clair, malgré que l’on nous disait tou
jours que c’était un mauvais livre. Ils di
sent tous, là-bas , qu’on fera un jour
comme l’Assemblée Nationale. — Il est
vrai, mon cher Bernard, que si tous les
biens de vos Moines étaient vendus, cela
porterait bien de l’argent dans 3a mon
tagne. Il me semble déjà voir toutes ces
vallées si riantes couvertes de jolies mai
sons. Ces riches pâturages nourriraient des
troupeaux comme au tems de la Bible : et
vous ne seriez plus obligés d’envoyer vos
petits enfans se nourrir de la suie de nos
cheminées.
-—
Bernard en souriant. Ah, mon Dieu!
( 121 )
Hi ils sont trop bêtes dans le pays pour
M encore
'Al faire de si belles choses. Quand les caffards
ta. I

1" leur disent : Bienheureux ceux qui pieu-


rejit, ceux qui souffrent, ceux qui ont
froidyles dindons ! ils ne voyent pas que
ceux qui leur disent tout ça, se portent à
merveille, ont bien chaud et rient de
,
' JI
SU toutes leurs forces. — Mais en vérité, Ber
nard vous êtes un philosophe on voit
, ,
bien que vous avez été souvent à Genève $
ÏX c’est-là qu’il y a beaucoup de gens d’esprit :
t> I ils ont pris le parti de renvoyer le Pape
\'À-{;
sans lui payer des bulles. — Ah, Mon
m:
1 sieur! si j’avais le cœur content, j’enten
drais bien tout ce que vous dites-là $ car,
je sais bien que toutes ces histoires des
è I Papes sont des comédies.
— Eh !
mon pau
tu I vre Bernard, quel chagrin avez-vous donc ?
— Tenez, Monsieur, voici le fait, je n’au
rais pas osé vous le dire :
Dans le tems que j’étais jeune, j’ai eu
un petit enfant avec une brave hile qui est
défunte. Nous étions^si pauvres ! je l’ai mis
aux Enfans-trouvés. Aujourd’hui je vou
drais le ravoir. Ma femme a dit qu’elle
voulait l’adopter. Comme elle l’embrasse-
pas le jour cl’une reconnaissance expansive,
d’une alégresse universelle?
L’Assemblée Nationale vient d’effacer
le reste de la nomenclature fiscale du dic
tionnaire des tyrans et la moitié du traité
,
des Délits et des Peines. L’homme des
champs qui vend ses denrées l’habitant
,
des Villes qui les achète tous doivent
,
bénir ce Décret paternel.
Si l’on remontait à l’origine des mal
heurs et des crimes qui affligent les regards
d’un homme sensible, hélas ! on verrait que
c’est encore aux barrières qu’il faut les at
tribuer. Un pauvre manœuvre perdait sou
vent l’usage de sa raison par la mauvaise
nature d’une liqueur viciée, plutôt que par
son excès. On dit quelquefois : Ilne faut
à ce bon homme qu’un verre de vin pour
Venivrer : oui, sans doute ; comme il ne
faut qu’un verre de poison pour tuer. La
litarge les dissolutions métalliques les
, ,
couleurs des végétaux, n’étaient employés
dans les boissons, que pour indemniser le
marchand des droits qu’il avait payés.
J’ai toujours regardé comme le plus
grand effort de patience, cette fouille in-
( 124 )
sultante et vexatoire, cette véritable inqui
sition qu’il fallait subir à l’entrée des villes.
Encore une fois, Paris qui voit tomber en
même-tems la Gabelle et les Octrois, la
Ferme et le Domaine, doit se réjouir. C’est
aujourd’hui sa fête : et je ne vois guère
d’autres individus qui aient le droit de se
plaindre, que les argousins des galères, les
traitans et les bourreaux.
On demande : que fera-t-on des Bar
rières cette vilaine ceinture qui attriste
,
Paris j de ces espèces de temples d’où l’on
aurait cm voir sortir les Grands Prêtres
de la mythologie, et d’où l’on ne voyait
sortir que des Rats-de-cave? Six lieues
de murailles circulaires tiennent un mil
lion d’hommes parqués comme un trou
peau de moutons. Paris n’aura jamais l’air
de la Métropole de la Liberté, tant qu’il
sera deshonoré par ce reste de servitude.
Eh bien ! vous vendrez ces quatre-vingt-seize
panthéons comme des biens nationaux. Les
acheteurs de bon goût en feront des mai
sons de campagne, de jolies Guinguettes j
et la caverne de l’Impôt finira par devenir
la maison de la Joie.
( 125 )

i5 Mai 1791.
L’Histoire ne présente guère de révolu
tion qui n’ait été l’ouvrage de quelques
chefs de parti5 c’est-à-dire, que les peu
ples n’avaient qu’à opter entre le choix des
tyrans. Ce n’est pas pour un Cromwel, ce
n’est pas pour les maisons d’Yorck ou de
Lancastre, pour les Guelfes ou les Gibe
lins, pour les Guises ou les Bourbons, que
nous forgeons des armes. Les chefs invisi
bles et célestes qui conduisent chez nous la
marche des évènemens, ce sont la justice,
la raison la sainte égalité. Voilà nos
,
guides voilà nos dogmes et nos Dieux.
y
Les Ecrivains philosophes en ont été les
missionnaires. Si Jean-Jacques a fait en
prose une Constitution, Voltaire a fait la
Révolution en vers. Il serait aisé de pré
senter ce grand homme avec toutes les cou
leurs nationales. Il est presque à chaque
page, un vrai démagogue. Il a publié sous
toutes les formes qui charment l’esprit, les
vérités éternelles qui servent aujourd’hui
de base à nos Décrets.
( 126 )
S’il a caressé les Rois et les Grands,
c’est qu’il avait besoin de leur appui contre
la haine des fanatiques des tartuffes et
,
des sots il en avait besoin pour renverser
5

plus sûrement les charlatans d’église et de


robe il en avait besoin pour l’innocence
5

outragée, la faiblesse, le malheur, dont il


prenait constamment la défense. Chaque
grain d’encens était le passeport d’une le
çon courageuse et d’une vérité hardie.
Voltaire qui bâtissait une Ville, qui af
franchissait sa Colonie et tout le pays de
Gex de la tyrannie fiscale voulait bien
,
appeller un sot en place, Monseigneur.
Mais il savait racheter ces courtoisies par
les arrêts qu’il a prononcés contre les aris
tocrates de la Ville et de la Cour, dans
mille endroits de ses ouvrages.
Mes yeux d’un faux éclat ne sont point abusés ;
Ce monde est un grand bal où des fous déguisés
Sous les risibles noms d'Eminence et d’Altesse,
Pensent enfler leur être et hausser leur bassesse.
Lorsque Voltaire après une vie agitée,
,
vint chercher le repos aux Délices, près
de Genève quelle Divinité reçut d’abord
$

son hommage? La Liberté. Il s’applaudit


( 127 )

'1
d’être venu fixer son asyle dans le Paradis
fe
i terrestre de l’Europe. C’est-là s’écrie-t-il ? ?

Près de ces bords heureux,


Qu’habite des humains la Déesse éternelle,
|
,
L’ame des grands travaux, l’objet des nobles vœux,
.

Que tout mortel embrasse, ou desire, ou rappelle,


Qui vit dans tous les cœurs, et dont le nom sacré
Dans les Cours des tyrans est tout bas adoré,
La Liberté. J’ai vu cette Déesse altière,
Avec égalité répandant tous les biens,
Descendre de Morat en habit de guerrière,
Les mains teintes du sang des fiers Autrichiens
Et de Charles-le-téméraire.

Devant elle on portait ces piques et ces dards,


On traînait ces canons, ces échelles fatales
Qu’elle-même dressa, quand ses mains triomphales
De Genève en danger défendaient les remparts.
Un peuple entier la suit : sa naïve alégresse
Fait tout l’Apennin répéter ses clameurs :
à

Leurs fronts sont couronnés de ces fleurs que la Grèce


Aux champs de Marathon prodiguait aux vainqueurs.
C'est-là leur diadème, ils en font plus de compte
Que d’un cercle fleurons de Marquis ou de Comte
à
,
Et des larges mortiers à grands bords rabattus,
Et de mitres d’or aux deux sommets pointus.
ces
On ne voit point ici la grandeur insultante
Portant de l’épaule au côté
( 128 )
Un ruban que la vanité
A tissu de sa main brillante
On n’y méprise point les travaux nécessaires ;
Les états sont égaux, et les hommes sont frères.
Liberté! Liberté! ton trône est en ces lieux.
Avec quel enthousiasme l’Auteur de ces
vers ne chanterait - il pas les miracles de
notre révolution, lui qui mourut content
d’apprendre les premiers succès des braves
Américains pour la cause de la Liberté!
Je fus un jour témoin de la scène la plus
attendrissante, et qui rappellait la simpli
cité antique. Francklin présente son jeune
fils au Patriarche de la Philosophie : il
reçoit sa bénédiction paternelle à genoux.
Voltaire l’embrasse et ne lui dit que ces
mots : Mon enfant, Dieu et la Liberté !
Au sein même du despotisme, ce Gen
tilhomme ordinaire de la chambre du Roi,
parlait ainsi des Rois.
Nos cinq sens imparfaits, donnés par la Nature,
De nos biens, de nos maux, sont la seule mesure ;
Les Rois en ont-ils six? et leur ame et leur corps
Sont-ils d’une autre espèce? ont-ils d’autres l'essorts?
Et voilà pourtant l’homme que certains
aristocrates veulent ranger de leur coté,
lui
( î2 9 )
lui qui, sous le règne des Despotes, parlait
ainsi à leurs soldats.
Encor pour votre Patrie
si

Vous saviez vous sacrifier!


Mais non ; vous vendez votre vie
Aux mains qui daignent la payer.
Vous mourez pour la cause inique ,

De quelque tyran politique


Que vos yeux ne connaissent pas;
^.
Et vous n’êtes dans vos misères,
»
Que des assassins mercenaires,
Armés pour des maîtres ingrats.

N’est-ce pas la réforme du Clergé ; n’est-


ce pas la Révolution que Voltaire nous
prédit dans les vers suivans ?
Je vois venir de loin ces tems, ces jours sereins,
Où la Philosophie éclairant les humains
,
Doit les conduire en paix aux pieds du commun maître.
Le Fanatisme affreux tremblera d’y paraître :
On aura moins de dogme avec plus de vertu.
Si quelqu’un d’un emploi veut être revêtu,
Il n’amenera plus deux témoins à sa suite
Jurer quelle est sa foi, mais quelle est sa conduite.
A l’attrayaute soeur d’un gros Bénéficier,
Un amant Huguenot pourra se marier.
Des trésors de Lorette, amassés pour Marie,
On verra l’indigence habillée et nourrie.
* I
( »3o )
Les enfarrs de Sara que nous traitons de chiens r
Mangeront du jambon fumé par des Chrétiens.
Celui qui n’employa le charme de lac
Poésie et de l’esprit, qu’à prêcher ainsi
l’union et la paix à toutes les Sectes, ne
mérite -1 - il pas d’être honoré par des
hommes libres? ses Ouvrages bien médi
tés sont la véritable pierre angulaire du
monument que nous avons élevé.
Je crois faire plaisir au Lecteur de rap-
peller encore ici le credo de Voltaire. On
le croirait composé en 1791. C’est pourtant
sa profession de foi, sur laquelle il fondait
soïi espérance, en 1763, lorsqu’il bâtissait
une Églisse à Ferney. Le symbole des
Apôtres, ou celui de !Nicée, peut faire des
croyans et des illuminés • mais c’est ici le
symbole du citoyen et du sage 5 c’est l’a
brégé de la morale universelle, le précis
des Droits de l'homme, et la base de
toute notre Constitution.
Je crois en un seul Dieu et je l’aime.
Je crois qu’il illumine toute ame venant
au monde, ainsi que le dit Saint Jean.
J’entends par-là toute ame qui le cherche
de bonne foi«.
( »3t )
» Je crois en un seul Dieu parce qu’il
5

ne peut évidemment y avoir qu’une seule


ame du grand tout «.
» Je crois en Dieu le père tout-puissant 5
parce qu’il est le père commun de la na
ture, et de tous les hommes qui sont éga
lement ses enfans. Je crois que celui qui
les a fait tous naître également, leur a
donné les mêmes principes de morale, et
n’a mis aucune différence entre ses enfans,
que celle du crime et de la vertu «.
» Je crois que le Chinois juste et bien
faisant, est plus précieux devant lui, qu’un
Docteur de Sorbonne crédule, arrogant
et pointilleux «.
» Je crois que Dieu étant notre père
commun, nous sommes tenus de regarder
tous les hommes comme nos frères «.
» Je crois que le persécuteur est abo
minable et qu’il marche immédiatement
,
après l’empoisonneur et le parricide «.
» Je crois que les disputes de Religion
sont à-la-fois la farce la plus ridicule, et
le fléau le plus affreux de la terre, immé
diatement après la guerre, la peste et la
famine «.
I 2
33
Paradis aux bienfaisans «.
( »33 )

S Mai 1791.
3
Enfin mes vœux sont exaucés. Les
Grands hommes de la Patrie resteront ait
milieu de nous. Un sentiment religieux
m’a conduit vers cette superbe Basilique
*
En la voyant, on reste en extase. Je me
suis écrié : non, Paris ne sent pas assez
ce qu’il doit à la mémoire de l’Architecte
sublime qui a pu concevoir une si riche
pensée! Je veux bien croire que St-Pierre
de Rome est la merveille des Arts : mais
T
certainement, il offre moins de perfection
dans les détails, et peut-être moins d’accord
dans l’ensemble.
Il faut pourtant le dire. O11 souffre un
peu de voir que nos Administrateurs, ces
Représentans de la Cité la plus éclairée
du monde, aient osé, sans examen, livrer
à l’abandon l’achèvement de ce majestueux
édifice. L’architecture est finie il s’agit
5

des embellissemens. Deux cents Ouvriers


qui avaient travaillé vingt ans sous la vi
gilance sous la sage direction des plus sa-
,
vans Artistes pour la figure et l’ornement y
I â
( *34 )
sont aujourd’hui sans Chefs, sans Experts ?
et travaillent, comme ils le disent, à la
tâche. On dirait qu’en dédiant ce temple
à la Gloire, on en a fait un attelier de
Charité.
J’ai vu détruire à grands coups de mar
teaux, des saillies, des bossages, des pierres
d’attente qui, par la magie du ciseau, de
vaient se convertir en allégories, en bas-
reliefs en ornemens gracieux dont l’im
,
mortel SoujJLot espérait un jour couronner
son ouvrage. Par exemple5 des rayons, des
torrens de lumière auraient terminé pom
peusement la voûte du sanctuaire : au mi
lieu devait briller le Jehova des Hébreux :
on a fait main-basse sur tout cela.
O11 donne pour raison que les évène-

mens de la Bible n’ont aucun rapport avec


les évènemens de la Constitution. Mais
?
je le demande aux amateurs des Arts, si
l’on trouvait ces chef-d’œuvres de sculp
ture sous des ruines, les détruirait-on?
Peut-on les enlever peut-on en replacer
5

d’autres sans affaiblir l’édifice? Espère-t-


on faire de plus belles choses? Non. Sans
abattre les Tables de Moïse sous la voûte
( *35 )
de la première nef, si magnifique et si
riche, ne pouvez-vous pas, sous le dôme
encore plus majestueux et plus éclatant,
attacher au ciel les Tables des Droits de
l’homme ?
On a le projet d’enlever la lanterne qui,
à la rigueur, n’a rien de ridicule que son
nom ; et d’asseoir à la place une statue
colossale de la Liberté. Je m’oppose encore
à ce projet, plus difficile et plus dispen
dieux qu’on ne pense. Voyez au loin cette
élégante colonnade qui se dessine dans les
nues j voyez au sommet ce globe aérien
qui lui sert de couronnement : je voudrais
qu’il fut surmonté par une Renommée aux
ailes étendues et dorées. La trompette à la
main, et du pied effleurant le Panthéon
des Grands hommes, elle semblerait planer
au moindre vent, et proclamer leur gloire
à tous les peuples de l’univers.
L’homme de goût, l’œil le moins exercé,
reconnaîtra sans peine quelle différence il
existe entre les travaux anciens, et ceux
du moment. On admire les chef-d’œuvres
de sculpture que commandait à crédit le
Despotisme j et l’on gémit que la Liberté,
14
( i36 )
la bourse à la main, soit moins scrupu
leuse à consulter le Génie.
Il est mille détails qui tiennent au ta
lent j ils échappent à ma plume. Je ne
suis qu’un Amateur des Arts et non
,
pas un Artiste. Comme c’est aujourd’hui
un monument national, je ne trouverais
rien de plus sage que de prendre en cela
le public éclairé pour juge.
En attendant qu’il me soit permis de
7
rappeller ici les termes du Décret : Aux
Grands hommes, la Patrie reconnais
sante* Elle est reconnaissante envers ceux
de ses enfans dont elle a reçu des bienfaits :
mais devons-nous honorer par une apo
théose Sénèque, Platon Socrate Démos-
, ,
thènes, Homère, Archimède, Cicéron,
Virgile, deux Pline, les deux Bi~u-
les
tus? Assurément ils ont fort peu de droits
à la reconnaissance des Français.

Mais Descartes, Voltaire, Mirabeau,
Rousseau; mais Racine, Pascal, Mo
lière; mais Fénélon, Buffon, Soufflot,
sont les premiers et les véritables Grands
hommes que la France reconnaissante veut
déifier dans son Panthéon.
( l3 7 )
D’ailleurs ce mélange cle l’antique et
,
du moderne, du profane et du sacré, ne
peut manquer d’être réprouvé par un goût
délicat et sévère. Jupiter qui débrouille le
cliaos, était fort bien placé dans le temple
\ il pourrait encore figurer
d’Ephèse
r
à mer
veille à l’Opéra : mais il ne sied pas autant
dans une Basilique où tout annonce des
emblèmes mystérieux et divins.
Que j’aimais à entendre le grand Or
donnateur de ce savant édifice ! Avec quelle
éloquence douce et sentie, avec quelle élo
cution profonde il se plaisait à conter les
détails de construction, le luxe d’orne-
mens, les richesses de tout genre dont il
voulait embellir ce Temple de gloire ! Dans
la première nef, il figurait aux yeux tous
les sujets de l’ancien Testament. Une autre
nef était destinée à l’Eglise Grecque ; une
autre à l’Église Latine ; une autre à l’Eglise
Gallicane. Eh ! comment ne pas applaudir
à cette division qui marque pour nous les
âges du culte, et la filiation des Sectes?
Aujourd’hui, ce temple destiné aux Grands
hommes,le serait en quelque sorte à la To
lérance universelle. Sans y rien changer,
8 Mai 1791. |r
Des Ecrivains philosophes regrettent le
Décret qui place dans un temple les Grands
hommes de la Patrie. Ils auraient préféré
la voûte du ciel, et les avenues de la Capi
tale pour ces illustres mausolées.
Que de raisons à leur opposer! d’abord,
le climat. Si le granit, le marbre et le
bronze résistent aux intempéries des sai
sons les hommes qui considèrent ces mo-
,
numens ne résistent point comme eux à
( 1% )
tant de vicissitudes. On conçoit que dans
les belles campagnes de Naples et d’Athè
nes, où la nature est parée d’une jeunesse
éternelle ; l’amitié l’amour, la reconnais
,
sance aient placé l’objet de toutes leurs
affections sous de rians ombrages, sous des
gazons toujours verds. Mais nos printems
incertains, nos longues automnes, nos af
freux hivers viendraient bientôt déshono
rer ces asyles, et les rendraient, en quel
que sorte, inaccessibles aux cœurs atten
dris qui veulent s’en approcher.
Que nous sommes loin de connaître cet
art sentimental qui perpétue le souvenir de
ce qu’on aime ! Quoi de plus révoltant que
nos hideux cimetières ! ce n’est point une
impression religieuse qu’on éprouve, c’est
une répugnance physique, ou tout au moins
de l’indifférence. Il semble que les plus
longues habitudes se soient contractées sans
plaisir, et se soient évanouies sans regret.
L’égoïste insouciant considère ces tableaux
lugubres, comme si le même sort ne l’at
tendait pas.
Ce n’est point que je préfère l’usage des
Romains : il a toujours offensé mon cœur
( *4° )
plus encore que ma raison. L’urne ciné
raire, cette image d’un sentiment embelli
par le charme de la sculpture et de la poé-
sie, n est, a mes yeux , que lexpression
de la barbarie et de la férocité. Si je vou-
11 jjt
lais conserver les restes de ce que j’admire
r
ou de ce que j’aime, comment pourrais-je
concevoir l’horrible projet de le brûler?
Que les Egyptiens étaient plus ingé
nieux ! vous retrouvez dans tous les mo-
numens de l’antiquité, le respect religieux
qu’ils avaient pour les morts. Les pyra
mides et les catacombes attestent qu’ils
passaient leur vie à préparer leur tombeau.
Ils vous représentent la mort comme la
suite inévitable des arrêts du Destin. Tous
les Philosophes anciens enseignaient ou
vertement le Fatalisme. Les inscriptions
élégiaques des sépulçlires en retracent par
tout la pensée.
Ce spectre hideux, inventé par les mo
dernes ) ce squelette armé d’un sablier et
d’une faux, eh! comment l’eussent - ils
connu, ces Grecs si délicats qui évitaient
avec soin de prononcer le nom de la mort 7
et qui, par un heureux euphémisme, di-
( Mi )
salent seulement : Il
a vécul
L’image du sommeil, cette mort instan
tanée était quelquefois figurée sur leurs
,
monumens par un adolescent dont la tête
est penchée , et qui tient un flambeau prêt
à s’éteindre. Des allusions morales, des
allégories aisées à saisir les embellissaient :
,
elles expriment les plus familières, les plus
douces habitudes de celui qui n’est plus.
Les Goths et les Vandales avaient chargé
leurs tombeaux de figures suppliantes, qui
attendent le jugement dernier. Ces mau
solées ont un caractère de mélancolie qui
n’est pas sans intérêt. Je propose en cela
pour nos Grands hommes, un mélange de
l’antique et du moderne. Descartes in
,
venteur de l’algèbre, décuple les forces de
l’esprit humain : c’est Brométhée qui ravit
le feu du ciel. Voltaire, à demi-couché
sur un sarcophage de porphyre ou de gra
nit , serait soutenu par les Muses : Jean-
Jacques le serait par des mères et des en-
fans et par l’emblème de la Nature : et
,
Mirabeau, debout comme Démosthènes,
serait couronné par la France, au milieu
des attributs de la Liberté.
Quelques détails sur Avignon ne dé
plairont peut-être pas aujourd’hui.
On sait que le faible ClémentXIII ayant
excommunié l’Infant de Parme, en 1768,
le Roi de Naples, son cousin, répondit aux
foudres pontificales, par la prise de Béné-
vent et le Roi de France, son beau-père,
5

par la prise d’Avignon.


Rochechouart fut envoyé par Choiscul
pour prendre possession du Comtat, ce
qu’il fit sans obstacle, et sans réclama
tion. Le Parlement d’Aix, au nom du vé
ritable Souverain, vint en robes rouges
siéger à Avignon, e.t mettre les scellés sur
les archives. Le régiment que l’on fit avan
cer, n’entra que pour maintenir la police,
et servir de cortège d’honneur. Le Comtat
fut plutôt réclamé par l’empire des loix,
qu’envahi par la force des bayonnettes.
Louis XIV avait déjà établi ses droits sur
Avignon Louis XV les fit valoir.
5

Piezzonico mourut, et l’on rendit Avi


gnon à Ganganelü , sous la condition ex-
( «43 )
presse qu’il reconnaîtrait nos prétentions;
qu’il n’excommunierait plus nos Princes ,
et que, par une bulle officieuse, il suppri
merait nos Jésuites.
Les opérations du ministère Français
ont toujours été mêlées d’un peu d’intri
gues. L’Abbé Terrai, pour prix du mar
ché, voulait que le Pape lui conférât la
pourpre Romaine comme au Cardinal Du
bois, La D me Dubarri demandait aussi sa
part du pot-de-vin. Elle prétendait que
n’ayant pas consommé son mariage avec
son mari, le nœud conjugal pouvait être
cassé par un bref de sa Sainteté ; la favo
rite devenait alors la Maintenon de son
siècle, et consentait modestement à épouser
Louis XV.
ChoiseuldafoSt proposé de rendre au Pape
les 8o mille ducats d’or que Jeanne la mi
neure n’avait jamais reçus. Ganganelli fut
très-satisfait de cette générosité Française.
On allait l’effectuer lorsque le Ministre fut
exilé. Son successeur ne songea guère à
consommer cette rétrocession.
On parle encore aujourd’hui de tran
siger avec le Pape. Suivant le Droit civil
( 144 )
et le Droit canon, le saint-Père est un col

simple usufruitier ; il 11e lui est pas plus tci

permis cPaliéner le domaine de St-Pierre,


qu’à l’un de nos ci-devant Évêques de F
vendre une partie de son diocèse. 0
Dans le Comtat, le peuple est supersti »

tieux et misérable. On y connaît des de-


jiicrs : on en compte 12 pour un sol. Les
Nobles et le Clergé absorbent tout. Il n’y
a guère que 120 mille habitans, nombre
inférieur à celui que comporte son terri
toire si déchiré par les hommes, et si fa
,
vorisé du ciel. Il semble que le climat,
depuis cinq siècles imprégné de l’esprit
Italien, en montre la funeste influence jus-
ques dans sa dépopulation. C’est le sort de
l’Espagne, et de tous les Etats superstitieux. L
On dit que ce peuple fut toujours tran
quille c’était la tranquillité de la paralysie.
5

Le Comtat fut dans tous les teins un foyer ci

de fanatisme et d’inquisition aujourd’hui


5
P

c’est le repaire de l’aristocratie, demain il jjjn

en sera l’arsenal. Les Prêtres désirent vi


vement conserver ce canton, pour s’y ré
fugier en foule et pour y établir l’enfer
,
de la discorde, dont les torches ardentes,
comme
( *46 )
en dépit de parens intéressés, en dépit du
droit d’aînesse , sont jaloux de conserver à
jamais cette égalité collégiale que les ins
titutions despotiques venaient détruire à
vingt ans ; ils n’aspirent aujourd’hui qu’à
l’honneur d’être citoyens, et brûlent d’être
adoptés par la nouvelle Patrie. Leur édu
cation sans cesser d’être instructive va
, ,
devenir civique et militaire car désormais
5

l’homme instruit n’en sera pas moins ci


toyen et soldat. La déclaration des Droits,
le cathéchisme des Décrets sera leur traité
,
des Etudes.
Un seul jour de la semaine suffirait pour
leur rendre toutes ces connaissances fami
lières. J’aimerais qu’à la fin de chaque
année nos jeunes candidats, dans la grand’-
salle de la Maison commune, subissent un
examen sévère devant les Municipaux j et
que les plus habiles fussent couronnés par
les Magistrats. Je voudrais que le Profes
seur qui aurait négligé de les former aux
nouvelles Loix, perdît sa place, et que sa
chaire fût mise au concours.
Un autre jour, on leur apprendrait le
maniement des armes. Dans les heures de
( »47 )
congé, an lieu de ces jeux puérils qui les
amusent, on verrait défiler le long des rues
des régimens imberbes qui se rendraient au
champ de Mars. Le soir on les verrait,
couverts de sueurs, rentrer dans Paris en
bataillons serrés, bien plus contens de
porter des fusils, que de tenir des raquet
tes ou des ballons.
Les autres jours de la semaine, on les
ferait voyager chez les Grecs et les Latins
tant qu’on voudrait.
Il arriverait qu’à 18 ans, aux termes du
Décret lorsqu’un adolescent est inscrit
,
sur le tableau de la Patrie, il serait assez
instruit pour être Electeur , ou Juge de
Paix, et serait encore un habile tacticien.
Plus heureux que leurs pères qui appren
nent l’exercice à 60 ans, nos neveux dis
ciplinés comme l’armée de Frédéric, offri
ront alors aux yeux de l’Europe un fais
ceaux d’armes réellement composé de trois
millions de bayonnettes.
On a déjà fait valoir la difficulté de
trouver des maîtres tout formés, et pro
pres à remplacer les professeurs ineptes ou
réfractaires. Quelle puérile objection! com-
K2
( »4« )
bien d’hommes de lettres qui composent
aujourd’hui l’esprit public sans qu’on s’en
apperçoive dont les moindres productions
,
auraient eu de la célébrité, môme dans le
siècle de Louis XIV ! L’Université vous
donnera des érudits de véritables savans ,
,
et qui n’offrent plus rien de ces enveloppes
gothiques et collégiales que vous redoutez
pour vos élèves. Le Lycée de Paris, comme
l’École d’Atliènes, d’excellens maîtres de
a
morale : c’est-là qu’on trouve de véritables
Docteurs en toutes Facultés.
ïls n’ont point la triste doctrine
Qu’étalent les tristes Pédans,
De qui la science chagrine
Est l’éteignoir des sentimens.
L’éducation nationale formera l’esprit
public. C’est préparer une ample moisson
de patriotisme, que de travailler à l’établir.
Élevons
nos regards, nos espérances, vers
la génération future : nous n’aurons véri
tablement ni grands Hommes, ni grands
Orateurs, tant que nos enfans auront vécu
sous le Despotisme, auront étudié sous des
Prêtres. Mais dans 25, ou 00 ans, lorsque
les Nobles auront à-peu-près disparu de la
( i5o )
sans seront enchantés à la vue des beaux
monumens dont ils ne se doutaient pas. Je
renverse la porte Saint-Martin , et je laisse
la place nette. Je renverse une demi-dou
zaine de maisons autour de la porte Saint-
Denis, pour rendre hommage à cet arc-de-
triomphe digne de l’ancienne Rome.
Cent ouvriers sous mes fenêtres, élè
7

vent un parapet qui certainement n’avait


besoin d’aucune réparation ; et voilà que
me croyant logé sur le bord de la Seine,
on m’escamote la rivière. Si l’on en usait
comme à Londres, ce seraient des grilles
de fer qui n’exigent aucune réparation, et
que la propreté Anglaise a soin de peindre
tous les ans : mais en laissant-là toute corn-
paraison qui nous rendrait aussi petits en
fait d’utilité commune, que la Tamise ra
vale notre port Saint-Nicolas ; n’y avait-il
pas aujourd’hui des travaux plus essentiels
à entreprendre ?
Abattre la porte St-Bernard et la Tour
nelle. Achever le Champ de la Fédéra

tion , non pas d’une manière provisoire,
mais permanente et digne de l’affluence des
Français. — Construire le pont qui doit
C
ioi )
communiquer de l’Isle Saint-Louis à Plsle
Notre-Dame. — Déblayer tout-à-fait le
quai projette depuis lepont-au-Change jus
qu’au pont Notre-Dame. — Déblayer les
masures qui avoisinent Sainte-Géneviève,
et dessiner une place immense autour du
temple des Grands hommes. — Déblayer
les maisons gothiques qui subsistent encore
sur les ponts, et qui doivent incessamment
tomber, pour les embeilissemens de Paris»
Isoler tout-à-fait le Louvre, et livrer au

passage des voitures cette place de V Ora
toire, comme le public le demande depuis
si long-tems. — Achever le quai d’Orçay,
depuis le pont Royal au pont Louis XVI»
Une seule pile de bois coupe ridiculement
le plus beau quai du monde. Établir

dans le préau de la foire Saint-Germain,
un marché immense et couvert. — Ren
verser les baraques qui entourent la place
de la Bastille, et tant d’autres.
Si tout-à-coup, par un effet magique,
on débarrassait, on isolait l’Eglise Notre-
Dame, pour sa masse imposante et la
beauté de son gothique l’École de Chi
5

rurgie , pour la grâce et l’élégance de sa


K 4
( i$2 )
colonnade ; si une police sévère défendait
impitoyablement ces échoppes sur les trot
toirs des quais, qui le jour montrent des
haillons, et la nuit cachent des voleurs ÿ
Paris serait une ville nouvelle, et la mer
veille des Nations. Ces embellissemens sont
des étrennes que ses Magistrats constitu
tionnels devraient bien lui donner.
En réformant les choses, il faut aussi «P
changer les noms. Nous n’avons plus ni I
Jacobins, ni Théa tins ni grands ni pe
,
tits Augustin s , ni toute cette nomencla
ture bizarre dont la raison et le bon goût
s’offensaient à chaque pas.
Les Monastères seront convertis en Hos
pices en Casernes, ou vendus ; et les
,
Eglises, les unes seront érigées en Parois
ses, les autres seront supprimées. Il faut
donc les débaptiser dans la langue du peu
ple. Pourquoi ne donnerait-on pas à ces
Paroisses le nom des Sections? C’est ainsi
que les Jacobins, rue du Bacq, seraient
appellés Paroisse de Grenelle. Cette dé
nomination paraît bien plus simple que le
Pierre aux bœufs, ou Pierre aux liens;
Jacques le majeur, Jacques le mineurj
f .53 )
Jacques la Boucherie, Jacques VHôpi
tal , ou le Jacques du Haut-Pas.
Vous feriez de la vaste Eglise des Théa-
tins un superbe magasin de bled : les ba
teaux de farine ou de grains, qui remon
tent la rivière , débarquent commodément
devant la porte.
Vous enlèveriez en même tems ces deux
pavillons du Collège JVLazarin, qui donne
raient tout-à-coup au plus beau quai de
Paris une face nouvelle et vous renonce
5

riez bien vite à vendre, comme on vient


de faire les trois premières maisons du
,
quai de Conti, qui dépassent l’alignement
de la Monnaie. Le Despotisme, il y a
quatre ans, voulait les acheter et les abat
tre aujourd’hui la Liberté en hérite et les
5

vend. Le Gouvernement que nous renver


sons s’était véritablement occupé de la sa
lubrité et des embelîissemens de Paris. La
Municipalité éclairée devrait en consulter
les plans, avant de faire des adjudications
qui contrarient le bien public.
Je propose d’enlever la grille d’or qui
étincelle dans les boues, et qui écrase de
sou luxe tout ce qui l’environne devant le
( i54 )
temple de la Justice, Une porte simple,
d’un style sévère, conviendrait mieux. J’ai
merais à voir cette grille fastueuse étalée
au milieu du Carrousel. On renverserait
sans pitié les cahutes infâmes qui nous ca
chent le plus beau des Palais. On pourrait,
à distance et sur la même ligne, laisser
deux corps-de-garde, et continuer ensuite
le même ornement en fer : on prendrait
pour cela les doubles grilles de l’Ecole mi
litaire. Je ne vois guère de dépense que
celle du transport.
Je demande encore la permission de dé
gager le Pavillon de Flore, et de combler
les fossés du Suisse, même sans égard pour
sa buvette. Ce passage, aujourd’hui le plus
fréquenté de Paris, où arrivent tant d’acci-
dens dont je suis chaque jour témoin, ne
serait plus un objet de terreur pour les
vieillards, les enfans et les femmes. Je vou
drais que l’on ouvrît toutes les arcades de
la galerie, depuis le guichet neuf jusqu’à
l’angle du Pavillon.
Ce que je propose pour le Château des
Tuileries, ne sont pas des châteaux en Es
pagne : si j’avais le pouvoir et quelques-
( ISS )
lins des millions qui passaient sous la plume
d’Angevilliers, le canton de la Cour, qui
ressemble à un séminaire, serait vivant,
animé, et deviendrait bientôt un véritable
Palais Royal.
Les Capucines renversées feraient voir
le boulevard. Les vastes Monastères des
Capucins et des Feuillans sont aujour
d’hui du domaine de la Nation : c’est-là
qu’il faut élever le temple de la Patrie,
en face de la place Vendôme. Il se trouve
rait sur l’alignement des belles colonnades
du Garde-Meubles : les Tuileries en seraient
le jardin. Ce nouvel édifice nécessiterait le
déblaiement de la rue projettée qui, en
isolant tout-à-fait la demeure du Prince,
joindrait par contigüité le Carrousel à la
place Louis XV.
Cette terrasse des Feuillans, sombre et
effrayante dès le déclin du jour, ne pour
rait-elle pas être métamorphosée en une
immense et superbe galerie couverte où le
commerce, en étalant ses richesses, ani
merait tout de son mouvement? L’illumi
nation de ces arcades en ferait la prome
nade de tous les soirs, et ce serait un abri
( 1^6 )
contre les averses. Si l’on avait encore
quelques millions à dépenser, assurément
il vaudrait mieux les jetter là qu’à Fontai
nebleau, Compiègne ou Rambouillet.
Nous habitons un pays où tout est pro
visoire; mais si jamais le provisoire fut né-
cessaire, c’est pour des rampes de bois dans
le jardin des Tuileries. Il n’y a pas un banc
pour asseoir les pauvres mères, les vieil
lards les malingres ; pas une aune de gazon
,
qui rajipelle la nature. En revanche, on
vient d’y renouveller le buis, et les formes
symétriques, ces formes de l’étiquette et
de l’ennui.
L’ennui naquit un jour de l’uniformité.
Quelle différence au parc Saint- James !
les jeunes filles jouent sur l’herbe, et vont
elles-mêmes traire le lait des belles vaches
noires ; ce qui forme un tableau aussi doux
que champêtre. J’y ai vu quelquefois, dans
les soirées d’été, filles et garçons courir et
danser au son de l’orgue et du violon. Ce
prospect vaut bien, sans doute, nos pro
menades aristocrates, guindées sur des ter
rasses de pierres qui, sauf le respect dû à
ce fameux le Nôtre ne valent pas des
}
J ( l5 7 )
talus sinueux que les enfans gravissent avec
tant de plaisir.
Au reste, les Tuileries semblent un jar
i din en décret. Il faut espérer que dans dix
ans nous le verrons changer de face : à
t ih< moins que les majestés du Château ne se
cin trouvassent compromises.
Û Les Piois sont condamnés à la magnificence.
On s’indigne, ou l’on gémit en voyant
ce Louvre si imposant par sa masse, sa
simple et noble architecture, qui n’est plus
qu’une masure Royale.
Sans des frais immenses, on y placerait,
d’un côté, toutes les Académies; de l’au
tre , la Bibliothèque du Roi ; de l’autre, le
Cabinet d’Histoire Naturelle, cet amas de
toutes les Merveilles , cet abrégé de la
Création. La colonnade serait destinée aux
Archives de la France; et sur le fronton,
parmi les symboles des Sciences et des
Arts on aimerait à lire en lettres d’or :
,
Palais National.
Achevez cette longue galerie du Musée,
et remplissez-là de tous les Chef-d’œuvres
qui sont encore sous la main du Roi,
mais qui ne lui appartiennent plus. Les
( i58 )
richesses nationales en beaux marbres , en
bronzes, en statues, et sur-tout en ta
bleaux, suffiraient non-seulement à meu
bler cet espace immense , mais encore
pourraient se renouveller quatre fois l’an.
Je me transporte aux deux extrémités
de Paris et j’y place deux Monumens
,
nationaux. Sur ces immenses débris de la
Bastille, que le patriote Palloy aurait bien
tôt déblayés, j’aimerais à voir un obélis
que de marbre noir. Et pour conserver,
non pas le souvenir, mais l’borreur du
Despotisme, enchaînez à sa base les quatre
figures de bronze de la place des Victoires.
Ces beaux modèles ne seraient pas perdus
pour les Arts \ ils figureraient à merveille,
non pas le Batave ou le Germain ; mais la
tyrannie et l’oppression, la douleur et le
désespoir. Grouppez à l’entour les emblè
mes de l’autorité, de la toute-puissance5
et vous aurez devant les yeux le tableau
parlant de tous les vices de l’ancien régime.
Je place l’autre Monument à VÉtoile.
Par contraste, j’asseois en idée une pyra
mide de marbre blanc, au même endroit
où Louis XVI avait élevé une colonne de
( lS9 )
feu. Autour de cette pyramide seraient en
core , en marbre blanc, les figures symbo
liques de la Concorde, de F Abondance,
de la Justice et de la Paix. Le suprême
Pouvoir exécutif qui a jette par la fenêtre
cent mille écus pour éclairer passagère
ment la solemnité de son acceptation,
| n’aurait-il pas un plaisir plus cher à son
cœur d’employer la même somme à nous
laisser un monument durable de sa bonne-
foi et de son amour pour la Constitution?
Je me livre d’autant plus volontiers à
ces projets, qu’ils ne sont ni chimériques,
ni dispendieux ; et si le Roi, pour don pa
triotique, se charge de celui qui intéresse
sa gloire, les autres s’achèveront bien vite,
et 11e coûteront rien au trésor national.
C’est ainsi que Paris prouverait à la
France et à l’Univers que, s’il sait faire
de grandes choses, il sait aussi en con
server le souvenir.
Mais avant d’embellir la Capitale, il
faut d’abord songer à garantir ses liabi-
tans des dangers qui les menacent du
matin au soir.
J’esquive, à toutes jambes, un cabriolet
( )
qui me poursuit. Je tourne le coin de la
rue , et je reçois un tijnon précisément
dans le bréchet. C’en est fait de moi, sans
la boutique d’un inarcliand qui en laisse
le passage libre au public, et que la Pro
vidence avait placé là pour mon salut.
Si les rez-de-cliaussées, si les boutiques
des maisons qui forment les encoignures
des rues étaient abandonnés aux gens de
pied, comme il y en a déjà beaucoup, on
ne saurait croire ce qu’il en résulterait
d’utile et combien de malheurs on pré
,
viendrait en même-tcms.
En accordant ainsi à chaque encoignure
des carrefours un espace en triangle de
,
huit ou dix pieds de côté seulement, on
fournirait aux malheureux piétons le moyen
d’échapper aux dangers presqu’inévitables
de ces tournans. On passerait d’une rue à
l’autre sans être forcé de se coller contre
l’angle en embrassant la borne ; et de de
mander grâce aux cochers et aux chevaux.
Je suis persuadé qu’avec une légère in
demnité l’on obtiendrait la liberté de tous
,
ces passages. Des bancs de pierre ou de bois
y seraient d’un grand secours pour les in
firmes
,
( Ï<J1 )
firmes, les femmes enceintes, les vieillards,
et serviraient encore d’abris contre les aver
ses , les orages, et d’asyle la nuit pour les
Citoyens qui font la garde.
Un de mes amis, architecte habile, se
promenait avec moi autour de St-Sulpice,
et nous préjugions en idée ce que serait
son magnifique péristile, s’il était débar
rassé de ce vilain Séminaire. Le chef-
d’œuvre de Servciiidojii n’a jamais été ap-
perçu que par les hirondelles.
Montés sur l’une des tours nous dé
,
couvrions, à l’aide d’une lunette, tous les
dangers suspendus sur la tête des passans \
des corniches, des entablemens, des gout
tières de grandes cheminées lézardées et
, ,
prêtes à tomber au premier coup de vent.
Mon savant compagnon m’expliqua com
ment Paris , depuis quelque teins, deve
nait dangereux, faute d’une police exacte
sur un objet aussi intéressant.
Ce n’est encore rien que les dangers qui
sont en l’air \ et si Boileau a fait une
satyre sur les embarras de Paris , où en
serait-il aujourd’hui s’il était forcé de tra
verser les rues St-Honoré? Vivicnne? etc.
L
( 16% )
à l’heure du Spectacle ou de la Bourse?
Par-tout des échopes provisoires, et les
briîians wisckis, et les fiacres dégoûtans,
et les voitures homicides, et les charrettes
de pierres et de moellons et pas un trot
5

toir pour vous sauver de tant de périls. Il


faut pourtant s’esquiver au risque d’avoir
bras et jambes cassés ce qui faisait dire
5

au Lord Gowai : Quand 071 a marché


vingt ans dans les rues de Paris, sans
blessure ni contusion Von mérite la
,
croix de Saint-Louis.
La ville distribuée en rues sous Louis IX
et François I, n’était pas destinée au rou
lage perpétuel de nos carrosses, mais seu
lement aux gens de pied, et à quelques
grands personnages qui, comme Louis XII,
ou VHôpital, cheminaient sur une mule.
Plus anciennement on sait que Louis-
le-Gros se promenant à cheval dans la rue
JVIouffetard, le beau quartier de ce tems-
là, un cochon vint s’embarrasser entre les
jambes de son cheval, et fit tomber Sa
Majesté. Le lendemain on publia un ordre
du Roi qui défendait de laisser courir les
cochons dans les rues.
( 103 )
Au tems de Chilpéric et de Dagobertj
Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Paris le Monarque indolent.
Que de malheurs occasionnés par ces
énormes voitures de pierres qui font trem
bler les passans et les maisons ! Un Dé
puté veut se rendre à l’Assemblée Natio
nale par le pont-Royal ; un essieu casse à
côté de lui ; il n’échappe à la mort que par
miracle. Une jeune femme enceinte est
écrasée au même endroit d’une manière
encore plus terrible.
On a proposé beaucoup de moyens pour
éviter ces accidens ; et moi je n’en vois
qu’un : c’est la construction d’un nouveau
pont en face de l’Arsenal. Qu’il soit en
bois, en fer, ou en pierres ; peu importe
,
pourvu qu’il y en ait un. L’utilité qui en
résulterait, est manifeste. Les rues de Pa
ris seraient débarrassées d’un nombre pro
digieux de grosses voitures qui, par leur
poids énorme, ruinent le pavé. La plupart
de ces voitures feraient le tour de la ville
par les boulevards, sur-tout quand elles ne
sont pas destinées pour l’intérieur.
Les liabitans des deux immenses faux-
L a
( ‘64 )
bottrgs, la Section de VArsenal, et celle
du Jardin des Plantes, auraient des moyens
plus faciles et plus prompts de communi
quer entre eux. C’est-là que toutes les mar
chandises de la Haute-Seine débarquent
aujourd’hui; c’est-là qu’est le véritable
Apport-Paris.
Envain l’aristocratie découronnée pré
tend-elle qu e Paris va devenir une ville
du second ordre , et que son ancien éclat
est éclipsé pour jamais. Mille raisons trop
longues à déduire, s’opposeront à cette
métamorphose.
La permanence de l’Assemblée Natio
nale le séjour habituel du Roi, fixeraient
,
seuls, parmi nous, les sciences, les arts
utiles et agréables. Ajoutons que les modes,
les spectacles, les chef-d’œuvres de l’in
dustrie les monumens publics y appelle
,
ront toujours les Français et les Étrangers.
Enfin, sans autre secours que celui de
ses propres richesses, Paris, cette maîtresse
du inonde, pourrait être comparée au so
leil qui, par sa force attractive dans le
système planétaire attire tous les corps
,
qui roulent autour de son orbe lumineux.
( i65 )

6 Juin
M. Judith se plaint de la clôture du
1791.

Théâtre le jour de Pentecôte je le crois


5

trop bon Israélite pour penser qu’il voulût


y assister avec toute sa famille. En qualité
de Juif, il doit sanctifier ce grand jour. Je ne
suis pas Théologien, mais je lui observerai
que c’est la seule fête qui soit commune
aux Hébreux et aux Chrétiens. La Pente
côte était dans l’ancienne Loi la fete des
moissons ; c'est alors que l’on offrait à
Dieu les pains de proposition et des vases
remplis d’un miel nouveau.
Je n’inviterai pas les Juifs à renouvelles
publiquement leurs anciens holocaustes.
Ils n’égorgeront plus sept petits agneaux
de Vannée un veau, deux béliers pour
>
le sacrifice de prospérité, et un bouc pour
le sacrifice d’expiation. Ces tueries ne sont
plus de mode dans nos Temples. Nous
payons nos Prêtres avec des assignats, et
non pas avec la chair des taureaux.
Mais ce n’est pas aux pieux Israélites à
se refuser à la solemnité de la Pentecôte.
L3
( 166 )
Dans nos tristes climats où les moissons ne
viennent pas deux fois l'an couronner nos
guérets, il faut seulement qu’ils s’abstien
nent du travail, qu’ils ornent leurs Syna
gogues et leurs maisons de fleurs et de
couronnes de roses , et qu’ils célèbrent
dans toute la joie et la simplicité de leur
cœur , comme au tems de Moyse , le Pen-
tecosten, le cinquantième jour après leur
sortie d’Egypte où la Loi leur fut donnée
,
sur le mont Sin aï; comme nous aurons
soin de fêter le 14 Juillet, où notre Cons
titution fut sanctionnée et jurée à la face
du ciel et de la terre.
Je prierais seulement nos Evêques cons
titutionnels de débarrasser ce mystère inef
fable de deux fêtes oiseuses, acolytes dont
il n’a pas besoin. Il faut rendre au com
merce , à l’agriculture , aux beaux arts, un
tems si précieux. C’est bien assez
Qu'il soit ordonné par les Loix
D’employer ce jour salutaire
A ne faire oeuvre de ses doigts
Qu’avec sa maitresse et son verre.
Un chef de manufacture fort occupé
,
dans une petite ville de France, se pîai-
( l6 7 )
gnait dernièrement des fêtes religieuses et
de l’immense teins perdu dans un pays de
préjugés : il m’engageait à revenir encore
sur un pareil abus dont l’industrie et les
arts ne cessent de gémir. Pour toute ré
ponse, je lui ai montré une vieille requête
qui fut présentée, en 1766, par un bon
père de famille, aux Commissaires que la
Cour avait nommés pour la réformation
des abus religieux la voici :
5

» Je suis ouvrier en soie, et je


travaille
à Paris depuis vingt ans mes journées ont
5

augmenté insensiblement ; je gagne au


jourd’hui 35 sols; ma femme, qui travaille
en passemens, en gagnerait i5 si elle pou
vait y employer tout son tems mais les
5

soins du ménage la détournent plus qu’elle


11e voudrait : je réduis son travail à 10
sols, ce qui fait ensemble 45 sois que nous
gagnons «.
» Si l’on ôte des 365 jours qui forment
l’année, 82 jours, tant dimanches que
fêtes, 011 aura 283 jours ouvrables qui, à
45 sols, font 636 livres i5 sols. Voilà
mon revenu 5 voici mes charges « :
» J’ai huit enfans, et ma femme est sur
L4
( i68 )
le point d’accouclier du onzième, car j’en
ai perdu deux. Il y a 15 ans que, grâce à
Dieu, je suis marié5 je puis compter an
nuellement 36 livres pour les frais de cou
ches, baptêmes et relevaiîles plus i44
5
,
livres pour l’année de deux nourrices,
ayant toujours deux enfans tant en nour
rice qu’au sevrage, et quelquefois trois 5

plus, je paye le loyer d’un sixième étage


60 livres, et pour impositions 6 livres ce
qui fait 246 livres que je suis contraint do
débourser sans boire ni manger. Notre
avoir se trouve donc réduit à 3^o livres
15 sols; c’est moins de 21 sols et demi par
jour, avec lesquels il faut se vêtir, se blan
chir, se meubler tant bien que mal, ache
ter le bois, la chandelle, et vivre père et
mère, et six enfans«.
» D’après cela, jugez si je dois aimer les
fêtes ! Je ne les vois arriver qu’avec effroi.
Peu s’en faut que je n’en maudisse l’insti
tution. Le travail que je fais ne me casse
pas les bras, et je travaillerais fort bien
les sept jours de la semaine. Qui laborcit,
orat; car j’ai fait jna seconde. Les fêtes
ne peuvent avoir été inventées que par les
( l6 9 )
cabaretiers, et ceux qui tiennent des cafés
et des guinguettes «.
j) Noël qui, cette année, tombe le lundi,
nous donne cinq fêtes consécutives; je ne
suis qu’à la troisième; j’ai engagé le seul
habit que j’avais; je me suis fait avancer
une semaine par mon bourgeois ; je manque
de pain ; comment passer les deux autres
fêtes? Ce n’est pas tout; j’en vois encore
cinq la semaine qui vient. D’abord le Di
manche, puis le lundi le jour de VAn,
mercredi Sainte - Géneviève samedi les
>
Rois , et le lendemain Dimajiche. Grand
Dieu ! dix fêtes en quinze jours ! que de
viendront mes pauvres enfans « !
J?
Je ne suis pas le seul qui me plaigne.
Combien d’Ouvriers à Lyon, sur les ports
de mer ; combien de Laboureurs dans le
,
Royaume, sont réduits à la même néces
sité que moi? J’ai vu des fourrages et des
moissons coupés la veille, emportés par une
inondation subite, brisés par une grêle
malheureuse, parce que c’était un Diman
che, et que M. le Curé qui boudait les
Paroissiens, ne voulait pas donner la per
mission de les enlever à l’approche de
(
7° )1

Forage. Chaque jour de fête coûte plu


sieurs millions à l’Etat. Il serait digne de
MM. les Commissaires nommés pour veiller
aux intérêts des Saints, de ne pas oublier
les intérêts des Peuples. C’est un pauvre
moyen pour se réjouir dans l’autre inonde,
que de jeûner dans celui-ci «. 3 I
Aujourd’hui l’on fait droit à cette re L

quête. Il n’y a plus de Religion dominante \


partant plus de précepte de célébrer les
fêtes. Le seul Martyrologe Romain compte
plus de cent mille canonisés pour fait de
persécution religieuse. Ajoutez-y les Apô 1 Df.V

tres , les Docteurs, les Confesseurs, les


Vierges, les Pères du désert, les liabitans m en
des Cloîtres j et vous verrez que la vie i os

entière ne suffirait pas pour donner un SH

jour à chacun de ces bienheureux. C’est I


donc rendre l’homme à sa dignité pre
mière que de laisser à sa disposition le
,
travail et le repos, et de le rappeller au
seul culte du Créateur.
Encor n’a-t-on besoin de Prêtre :
Et comme vous pouvez penser;
Des Valets on peut se passer
Quand on est sous les yeux du Maître.
Le Roi vient de nous quitter. Mais dans
quel pays du inonde lui propose-t-on un
meilleur sort? Voudrait-il se faire créer
Roi de Pologne comme Henri III, ou Duc
de Lorraine et de Bar comme son grand-
père Stanislas? Dans quelle Cour étran
gère qu’il aille mendier un asyie comme
Jacques II, trouvera-t-il un peuple qui
lui f<isse une liste civile de trente millions
pour lui et ses tantes? Fut-ii même au-
delà du Rliin avec sa cassette et Colonne,
entouré de cent mille Talpaclies, Croates
,
ou Pandours, serait-il plus lieureux qu’au
sein de l’Empire environné des bons
,
Français qui ne demandaient pas mieux
que de l’aimer? Je serais bien tenté de dire
à Louis XVI ce que Daubignê disait à sa
sœur JMaintejion qui, lasse des grandeurs
et de sa royauté, voulait quitter Versailles :
Vous avez donc parole pour épouser Dieu
le père ?
Il y avait ci-devant à Berne, un ours,
image du Souverain entretenu aux frais
?
( !7 2 )
de la République. Elle avait fixé, pour sa
liste civile, douze mille livres de rentes.
Sa Seigneurie avait une grande influence
sur les évènemens publics. On regardait
le sire comme le thermomètre vivant du
bonheur et du malheur. Il faisait dans le
canton la pluie et le beau teins.
Aussi fallait - il voir le soin que l’on
prenait de sa félicité domestique. On lui
avait amené, pour ses joyeux ébats, une
oursine du mont-Crapac, blanche, potelée,
aux soies luisantes et dorées \ qui eût été
un vrai morceau de friandise pour l’ours
le mieux léché ; mais elle perdit bientôt son
bon naturel, et devint une vraie panthère.
Les deux reclus s’ennuyèrent de leur
bien-être. Ils regrettent les forêts, la di
sette et la faim. Par une belle nuit ils s’é
chappent, franchissent le mur et gagnent
la montagne, tout pleins du sublime projet
de venir bientôt se venger sur les malheu
reux Bernois qui avaient violé en eux la
majesté des Ours.
Voilà tout le monde en campagne j
la terreur s’empare des esprits ; on tire le
canon d’alarme ; on court les champs ) on
( >7 3 )
bat le pays chacun savait le signalement
5

de la bête ; gros, fort, larges pattes, ongles


crochus, très-vorace et grand heurleur. La
perquisition entraîna du teins. Le club des
oursinistes poussait les hauts cris, et lui
voulait un successeur à toute force. On en
parlait les premiers jours on en parla
5

beaucoup moins j on finit par n’en plus


parler. Le magnifique Conseil s’apperçut
bien vite qu’il y avait douze inille livres
de gain, clair et net qu’on n’était plus
5

obligé de faire provision d’avoine pour lui


fournir chaque jour son énorme picotin ;
ni de payer des citoyens pour nettoyer la
loge de l’animal, représentant héréditaire
de ce canton. Les promenades qui avoi
sinent son repaire, interdites aux mères et
aux petits enfans , devinrent le séjour de
la joie et des innocens plaisirs. On s’ap
perçut , enfin, que l’on aurait la pluie ou
le beau tems, sans qu’un ours passât la
patte sur son oreille depuis cette époque,
5

la République de Berne reste debout, et se


gouverne à merveille, avec un ours en
peinture sans avoir l’original dans ses
,
fossés.
Apothéose jde Voltaire. juillet i 79 i.
12
Dans la fermentation générale qui depuis
trois ans agite les esprits parmi ce chaos
5

des opinions politiques où l’empire est


livré ce flux et reflux de tous les intérêts 7
5

de tous les sentiinens, de toutes les exagé


rations qui chaque jour s’élèvent se heur ?

tent et se détruisent ; il est consolant de


voir le vent de l’opinion publique balayer
insensiblement tout ce que la tyrannie et
le fanatisme avaient amoncelé d’impur sur
Fhorison de la France : il est consolant
de reposer un moment les yeux sur le plus
beau spectacle que la terre puisse offrir au
ciel non pas comme disait Sénèque
5
, 9
l’homme juste aux prises avec la fortune
?
mais le triomphe éclatant de l’homme juste
qui reçoit de ses contemporains le prix de
son génie et de ses vertus mais l’hom
5

mage national que le peuple le plus éclairé


vient rendre au plus grand des mortels.
L’apothéose de Voltaire c’est l’homme à
,
l’image de Dieu.
Le Poète-philosophe n’avait pas besoin
( 1 75 )
d’un Décret de l’Assemblée Nationale pour
être mis au rang des Grands hommes :
mais il importait à l’honneur de l’Assem
blée d’expier par un Décret solemnel tous
les outrages faits à la Raison dans la per
sonne d’un seul. Un Prélat imbécille avait
osé lui refuser la sépulture : on défendit
d’annoncer sa mort, crainte de réveiller la
force souveraine qui, en se montrant ren
,
verse les préj ugés : on enchaînait la parole j
on étouffait les soupirs, et jusqu’à la pensée.
Paris vit sortir de ses murs, vit emporter
furtivement les cendres honorables de ce
lui dont les vers sublimes retentissent sur
tous les Théâtres, dont les écrits brillent
dans toutes les bibliothèques, dont la phi
losophie instruit tous les peuples. Il repo
sait au fond d’un désert, visité par quel
ques sages qui bravaient la superstition
régnante, par quelques étrangers que sa
renommée y conduisait en pèlerinage. Mais
les despotes religieux sont tombés avec les
tyrans politiques ; et nous sommes au jour
de sa résurrection glorieuse.
Louis XVI venait d’abandonner le trône
constitutionnel des Français; mais sa fuite
C
l 76 )
déshonorante ne devait pas empêcher les
citoyens de la Capitale de rendre hommage
aux mânes du grand homme , du philo
sophe intrépide qui, tant qu'il a vécu ne
,
cessa de leur montrer l’aurore du bonheur,
et de prêcher à l’univers la tolérance et la
paix. Ses écrits volumineux sont tantôt la
nue mystérieuse, et tantôt la colonne de
feu qui nous ont conduits parmi les pré
jugés sans nombre qui entravaient la mar
che de l’Esprit humain. Comme le chef
des Hébreux, ilnous a montré de loin la
terre promise de la Liberté ; mais celui qui
maîtrise les évènemens et marque le cours
de la nature, n’a pas voulu sans doute
qu’il y parvînt. Il est mort sans avoir achevé
ce pénible voyage : et nous n’aurons pas
l’ingratitude de laisser dans le désert ses
dépouilles mortelles, précieux.
ses restes
Un Officier municipal se rend de Paris
à Sellières, chargé de mettre à exécution
le Décret du Corps Législatif, et de mon
trer aux peuples les vœux et les ordres des
Français reconnaissans. Sept villes de la
Grèce qu’Homère a fréquentées pendant
sa vie, se disputèrent après sa mort l’hon-
neur
( 177 }
neur de lui avoir . donné le jour : les dis
tricts voisins du tombeau de Voltaire por
tent plus loin l’esprit de culte et de piété
qu’ils ont voué à sa mémoire ils voulaient
5

se partager ses reliques. Mais tout rentre


dans l’ordre devant un Décret souverain.
Les Municipalités viennent en députations
nombreuses exprimer à-la-fois leurs regrets
et leurs hommages.
La cérémonie de sa translation s’est faite
avec une pompe aussi majestueuse que
piquante. A la tête du cortège, on voyait
des Maires villageois en costume muni
cipal : suivaient en longues files les Gardes
nationaux des environs ayant des bran
,
ches de chêne ou de laurier au bout de
leurs fusils. Une musique douce et cham
pêtre jouait des airs attendrissans sur une
séparation nécessaire. Voltaire quittait
Sellières mais il venait triompher à Paris.
5

A chaque instant et de toutes parts arrivait


un concours nouveau de citoyens qui jet-
taient des fleurs et présentaient des cou
ronnes. Par-tout des adieux touchans, des
scènes sentimentales des émotions de
,
l’amc. Les mères approchaient et soule-
M
( 178 )
valent les petits enfans dans leurs bras , 1 te
pour leur imprimer le souvenir de cet évè
nement glorieux. D’autres faisaient reli
gieusement toucher au sarcophage des
linges qu’elles baisaient, qu’elles empor
taient avec respect. D’autres enfin dont le
grand âge avait ralenti les pas, le suivaient
long-teins des yeux en levant les mains
au ciel, et se figuraient quelque chose de
divin qui leur faisait verser des larmes. Le
son de toutes les cloches frappait les airs. (:
Les chemins étaient appîanis, et des arcs- à
de-triomphe dressés sur son passage. Des troJ

Curés mêmes se mêlaient à la procession


civique : c’étaient quelques Aumôniers efà
d’Apollon qui venaient chanter des hymnes
au Dieu du Goût, tandis qu’il s’achemi
nait vers son temple. La nuit, des flam
beaux et des cordons de lumière dessinaient
la route par où il devait passer. Le jour,
les gens simples dans la campagne, et
j usqu’aux Bûcherons dans les forêts, éle
vaient sur sa tête un dôme de feuillage,
et formaient à l’entour un cortège respec
tueux, un choeur d’applaudissemens.
Le char qui le portait, était moitié pas-
( *79 )
toral, et moitié triomphal. Haut d’environ
20 pieds, il était monté sur quatre roues et
traîné par quatre chevaux. Mais des an
gles de ce char s’élevaient quatre pilastres
de marbre blanc garnis de draperies re
,
levées avec grâce. Des guirlandes de fleurs
s’enlacaient autour, et formaient des nœuds
agréablement tissus. Ces supports étaient
couronnés par un baldaquin sur le haut
duquel flottaient les couleurs nationales.
Chaque colonne, par des anneaux et des
rubans soutenait le sarcophage qui se
trouvait mollement balancé sous des guir
landes de roses. Une galerie à l’entour
était ombragée par des peupliers et des
cyprès, des hêtres et des ormeaux.
Sur le devant du char, on lisait :
AüX. MANES DE VOLTAIRE.
Sur l’un des paneaux latéral était écrit :
5i l'homme est créé libre il doit se gouverner.
,
Sur le coté opposé l’autre vers :
,
Si l’homme a des tyrans, il doit les détrôner.
Les chevaux pleins de feu semblaient
partager l’alégresse publique : ils étaient
caparaçonnés d’une draperie violette. Sur
cette draperie s’épanouissaient des fleurs
M a
( )
sans nombre. Ce tableau pittoresque et
mouvant inspirait un sentiment de res c

pect dont on ne pouvait se défendre


11

en voyant des citoyens qui tantôt assis,


Ci

tantôt debout, tantôt à genoux, portaient t


leurs mains religieuses sur le sarcophage, toi

pour empêcher qu’en balançant avec trop


Ec

de violence, il ne touchât aux colonnes


auxquelles il était suspendu. L’ensemble (3

de cette pompe imprévue frappait d’éton tèj

k
nement. On eût dit que c’était une forêt
ambulante. Le char et son cortège ressem
blait au bois sacré de l’Hélicon, aux bos
quets d’Amathonte.
Si-tôt qu’il arrivait dans une ville, ou
dans un bourg ; on voyait s’avancer des
quadrilles de jeunes personnes habillées de
blanc : des fleurs fraîchement cueillies pa
raient leurs têtes les unes tenaient des
5

couronnes d’autres des corbeilles. Elles


5

faisaient tomber une pluie de roses, d’a


marante et de jasmin elles formaient au
5

tour du sarcophage des danses ingénues 5

et le son de la musette ou du hautbois


précipitait, ou ralentissait leurs pas. C’est
ainsi que dans son enthousiasme religieux L
wîj
( r8i )
David dansait devant l’Arche sainte ) et
/
c’est ainsi que les Grâces formaient une
marche cadencée et jouaient devant le
,
char d’Apollon. O Voltairel tes cendres
ne furent-elles pas émues de ce tableau
touchant, qui faisait couler des larmes dé
licieuses à tous les spectateurs !
Il reçut par-tout les honneurs suprêmes.
C’était par-tout la même idolâtrie. Le cor
tège grossissait pendant 4° lieues de tous
,
les Députés des Communes et des Villes
où il avait passé. Mais on approchait de
Paris : la foule des citoyens s’était avancée
au-devant de lui. Des cris d’alégresse re
tentissaient de toutes parts : il semble
qu’on recevait un Dieu. Le fauxbourg
Saint-Antoine, par où il entre, était vé
ritablement le fauxbourg de la Gloire j et
ses habitans patriotes semblaient une se
conde fois conquérir la Liberté, en lui en
faisant les honneurs.
Le char, pour sa hauteur, ne put pas
entrer sur le terrein de la Bastille, où le
sarcophage devait être déposé pendant la
nuit. Mais le peuple se précipite mille5

bras s’empressent de le saisir, et mille


M 3
( )
* 82
têtes de le porter à travers une allée de
jeunes chênes et de peupliers. Sur les dé
combres de ce palais de la vengeance, de
l’enfer de la tyrannie , s’élevait un rocher,
un amas de ruines : mais de sous les
pierres sortaient des touffes de roses, de
myrtes et de lauriers qu’il semblait que
tout-à-coup la présence d’une Divinité
venait de faire éclore. Le séjour de* la
terreur, par cette métamorphose, offrait
l’image du Paradis terrestre. On y dépose
le sarcophage au roulement des tambours,
aux sons d’une musique ravissante, à l’om
bre du drapeau national. On lisait :
A cette place
Oh le Despotisme l'enchaîna,
V OLTAIRE
Reçoit les hommages d’un Peuple libre.
Gardé par 1200 Voltairiens, c’est-là qu’il
fut visité de ses fidèles prosélytes. L’af
fluence générale, le mouvement des es
prits , un horison de lumière sous un ciel
nébuleux, tout donnait à cette nuit un air
de Féerie un caractère Élyséen qu’il est
,
impossible de décrire.
Mais comme les scènes brillent par les
( i83 )

«contrastes, il est des ombres aux tableaux.


L’intrigue, la haine, le fanatisme religieux
qui ne meurt jamais, agitait ses serpens.
On blasphémait le nom de Voltaire. On
appellait l’esprit de persécution, les torches
de la Discorde contre sa gloire. N’osant
pas, de son vivant, lui faire boire la coupe
de Socrate on aurait voulu la présenter à
?
ses mânes :
Et l’Envie accourant par un dernier effort,
Vint troubler, à grands cris, le sommeil de sa mort.
On voulait égarer le peuple on voulait,
5

s’il était possible le lancer en masse contre


,
le dernier asyle qui reste à l’homme de
génie, un cercueil. O11 avait fait signer
des adresses incendiaires : les placards cou
vraient les rues. La Section des Innocens
fabriquait ces honteuses proclamations. U11
Quatremere un Faure un Bricogne et
y y y
autres brid’oisons de la Capitale, osaient
braver ce triomphe, et protester contre
l’opinion publique. Us voulaient armer la
Religion contre la Philosophie. Mais c’est
ici le plus grand miracle de la Révolution,
celui qui marque éminemment les progrès
do l’Esprit humain. Il y a 5o ans, Paris
M4
( *84 )
était rempli de Convulsionnaires de Billets
,
de confession de Sectaires fanatiques
, ,
d’hypocrites Théologues dont tour-à-tour
jVLolina, Jansénius ou Quesnel égaraient
l’imagination délirante : au milieu de ce
vertige universel, la France ne comptait
pas quarante Philosophes : tout le reste
était crédule ou trompeur. Voltaire écrit ;
et la lumière se répand dans les âmes : il
peut dire du sein de l’Elysée :
Je n’ai fait que passer, ils n’étaient déjà plus.
Aujourd’hui l’indignation générale lui
fait justice. L’œil du mépris voit en un
instant les pétitions traînées dans la fange,
et les Pétitionnaires enterrés dans l’oubli.
Ce n’est pas tout : le ciel était pluvieux,
et les préparatifs souvent troublés par des
averses. On craint de sacrifier ce qui fait
la pompe du spectacle. Mais le peuple s’é
lectrise et vept jouir : les ondées pour lui
sont un inconvénient passager. Ce n’était
plus la fête d’un particulier ; c’était la fête
de Paris : et rien ne peut la différer, ni la
troubler. Le cortège commence à défiler :
à peine est-il en marche, que le soleil de
ses rayons pénètre l’atmosphère. La nue
( i85 )
entr’ouverte et lumineuse offrait quelque
chose de mystérieux : l’Olympe était paré
de son écharpe tricolore. On eût dit
que ce triomphe attirait les regards des
Immortels.
L’enceinte des Boulevards qui comprend
une lieue circulaire, ne suffisait pas à cette
! cérémonie. Tous les jardins les
,
toutes
croisées, jusqu’aux toits des maisons étaient

I couverts de spectateurs. L’enthousiasme


tenait lieu de discipline. Par-tout l’af
fluence, et par-tout la police. Les arbres
portaient plus d’hommes que de branches.
La ville entière semblait se replier à-la*fois
dans un immense rendez-vous et la terre
$

était, à vol d’oiseau , comme une vaste


prairie émaillée de fleurs.
Cependant le cortège s’avançait dans
l’ordre le plus imposant et le plus varié.
Un nombreux détachement de Cavalerie
ouvrait la marche. Les Sapeurs des diffé
rons Bataillons, la hache à l’épaule , ve
naient en bandes épaisses, et semblaient
un mur qui s’avance en gardant son poids
et son à-plomb. Ensuite les Élèves mili
taires, ces enfans laborieux, riche espoir
( *86 )
de la Constitution. Les Gardes nationaux
qui ont juré de la défendre et qui tien
dront leur serment. Les hommes de la
Halle forts pour la patrie, dans leur cos
7

tume : rien de ce qui est utile n’est étran


7

ger à la gloire. Les Clubs, les Sociétés


fraternelles les braves des fauxbourgs
,
armés de piques, appellés nouvellement
Bonnets de laine. Depuis que la France
a recouvré sa souveraineté, cette coëffure
est la couronne civique de l’homme libre
et du Français régénéré. Les Vainqueurs
de la Bastille et ceux dont les bras réunis
?

en ont renversé les tours. L’on voyait


porter en triomphe un drapeau déchiré 7
celui qui fut arraché des mains de Lau-
ney, en prenant d’assaut cette horrible
forteresse. Il était suivi des veuves dont
les époux sont morts à la conquête de la
Liberté. Dans ce grouppe on remarquait
une femme qui avait scellé de son sang
cette victoire mémorable. Elle était armée
d’un sabre et prête à mettre au monde
,
un enfant ; elle semblait être à-la-fois Lu-
cine et Palias. Suivaient ces héros cente
naires et modestes qui donnèrent leur sang
pour la patrie ) ensuite nos frères (l’armes
des environs de Paris, ceux de Varennes,
ceux de Troyes, ceux de Metz et tant 5

d’autres qu’il est impossible de rapporter.


Tout fixait les yeux; tout parlait à l’ame,
et rappellait les évènemens de la Révolu
tion. Chaque Députation avait sa bannière
ornée d’une légende tirée de Voltaire.
Sur l’une on lisait :
Exterminez, grand Dieu ! de la terre où nous sommes
Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes.
Sur une autre bannière :
Les mortels sont égaux : ce n’est point la naissance,
C’est la seule vertu qui fait la différence.
Une autre rappellait son humanité :
J’ai fait un peu de bien, c’est mon meilleur ouvrage.
Une autre montrait sa liaine vertueuse
contre les intolérans :
Us ont troublé la terre, et je l'ai consolée.
\
Une autre peint son hommage à l’Etre

suprême :
Si Dieu n’existait pas, il faudrait l'inventer.
Une femme portait une pique sur laquelle
était écrit :
La dernière Raison du Peuple.
Cette pompe attendrissante et sublime
( 188 )
électrisait les esprits \ et redoublait dans
tous les cœurs le feu sacré du patriotisme.
Le fracas multiplié des tambours annonçait
qu’un cortège de cent mille hommes défi
laiten présence de 600 mille spectateurs.
Sur autant de brancards chargés de ri
ches carreaux de velours, 011 voyait porté
le Buste du brave Désilles, celui de Rous
seau, celui de Mirabeau $ le plan de la
Bastille en relief des cuirasses, des bou
5

lets rouillés trouvés dans ses décombres 5


une couronne murale , comme celle dont
on coëffe Cérès. Les Elèves des Arts, ha
billés à l’antique, portaient des guirlandes
de chêne en forme d’Enseignes. Des ins
criptions en son honneur indiquaient ses
chef-d’œuvres et les victoires de son gé
nie Histoire, Poèmes, Théâtre Philo
y ,
sophie Romans, tous les genres de Lit
,
térature qu’il a parcourus, depuis le Ma
drigal jusqu’à l’Epopée. D’autres tenaient
les attributs des Muses le masque de
,
Thalie, le poignard de Melpomène, la
lyre de Polymnie, la plume de Clio, la
trompette de Calliope. On croyait voir
passer les siècles et les Dieux de l’anti-
( 189 )
quité. La collection magnifique des Œu
vres de Voltaire, renfermée dans un coffre
d’or, fixait tous les yeux ; Pesprit d’un seul
ferait encore la richesse de Pesprit humain.
Des hommes couverts de tuniques por
taient sa Statue ; elle pénétrait d’attendrisse
ment et de respect : on aimerait à le croire
encore vivant, à se le figurer témoin de sa
gloire. Ensuite venaient les nombreux amis
de la Constitution, les Acteurs costumés
des différens Théâtres, les Gens de lettres
qui sont sa famille et ses héritiers, les
Juges de paix qui étaient les maîtres des
cérémonies, les Districts, les Tribunaux
?
la Municipalité, le Département, l’Assem
blée Nationale, les Ministres, et les Am
bassadeurs au nom de toutes les Cours
,
de l’Europe.
Un corps de musiciens, avec tous les
instrumens de formes anciennes, et chan
tant des hymnes nouveaux, transportaient
l’imagination dans une sphère poétique,
et répandaient sur tout le cortège un pres
tige, une illusion religieuse. Suivait enfin
le char et la présence réelle de celui
que Pou plaçait en quelque sorte au rang
( ipo )
des Dieux. Tous les Arts ont concouru à
Pembellir. On a voulu retracer la pompe
7
lagrandeur des apothéoses Grecques et des
consécrations Romaines.
Ce n’était plus ce char pittoresque et
champêtre qui l’avait amené de Sellières :
c’est une création toute nouvelle, un chef-
d’œuvre inconnu, pour une solemnité qui
n’eut jamais d’exemple. Il est porté sur
quatre roues de bronze. Douze ballustres
en forment les rayons. Les jantes sont dé
corées de rosettes \ les moyeux sont ornés
d’oves et présentent des mufles de lions.
Les trains sont surmontés de lisoirs d’un
dessin agréable et pur. Au milieu des di
vers ornemens, une couronne de feuilles
de chêne enveloppe l’oiseau de la France.
Les fourchettes sont portées par un dragon
chimérique : de sa gueule s’élance le timon
terminé par une tête de bélier. La volée
est attachée sous la tête du dragon. Quatre
palonniers sont exécutés dans le même
genre. Les lisoirs sont surmontés d’un large
plateau ceint d’une torse de feuilles de
chêne d’un fini précieux. Sur ce plateau
est un sarcophage de granit oriental d’un
( 1 91 )
dessin très-sévère et tel qu’on en voit
,
clans quelques monumens de Pltalie. Sur
les faces latérales sont des Génies abî
,
més de douleur, tenant leurs flambeaux
renversés : puis des urnes lacrymales j puis
des inscriptions. On lisait :

AUX MANES EE VOLTAIRE.


L'Assemblée Nationale a décrété,
le 3o Mai
1791, qu'il avait mérité
les honneurs dûs aux Grands hommes.
Sur Finie des faces :
Il combattit les Athées et les Fanatiques.
Il inspira la Tolérance.
Il réclama les Droits de l'homme
cofitre la Servitude et la Féodalité.
Sur la seconde face :
Poète, Historien, Philosophe,
Il aggrandit l'Esprit humain,
Et lui apprit qu’il devait être libre.
Sur la troisième :
Il défendit Calas, Sirven, La Barre, Montbailly.
Aux quatre angles du sarcophage, au-
dessus de la simaisequi sert de corniche,
sont quatre masques qui supportent des
guirlandes de lauriers. Les degrés sont
couverts d’un velours bleu parsemé d’é-
( 1 92 )
toiles d’or. Aux extrémités de ces degrés
sont quatre candélabres antiques dans le
goût de ceux qu’on voit au Capitole. L’en
cens et les parfums brûlaient en abon
dance et répandaient dans les airs une
,
odeur divine. Au-dessus du sarcophage est
un lit de repos sur lequel la figure très-
ressemblante de Voltaire est à demi-cou-
cliée dans l’attitude du sommeil. Il est
couvert d’un drap de pourpre. L’Immor
talité, sous la figure d’une jeune fille qui
semble descendre du ciel avec les ailes de
la Renommée, ou comme Iris la messa
gère des Dieux, pose sur sa tête une cou
ronne d’étoiles.
Tous ces ornemens sont en bronze, et
l’ensemble avait 40 pieds de haut. Douze
chevaux, blancs comme ceux du Soleil,
traînaient le char. Ils étaient attelés quatre
de front, conduits par des écuyers vêtus
à la Romaine ; et cette marche imposante
et majestueuse avançait au milieu des
transports d’alégresse et des applaudisse-
mens universels.
Le cortège avait trois stations princi
pales. L’Opéra qui est le sanctuaire des
Muses
( 19^ )
Muses Lyriques, avait fait de superbe9
préparatifs pour le recevoir. La façade
entière était ornée de guirlandes et de
festons. Du haut des entre-colonnes tom
baient des draperies retroussées par des
nœuds de fleurs. A l’entrée, et sur un
autel antique, était le buste de l’homme
immortel. Au-dessous on lisait : Temple
de la Gloire et sur des médaillons de
$

roses et de lauriers, Pandore et Samsok.


,
Lorsqu’il fut en face de l’Opéra, les Ac
teurs s’avancent en habits de caractère :
ils tenaient des couronnes à la main, qu’ils
lui présentent avec un saisissement reli
gieux. Les spectateurs sont émus de cette
I scène attendrissante ; et mille instrumens
font retentir les airs de tout ce que la mu
sique a de plus riche et de plus animé.
Le cortège fait ainsi le tour des Boule
vards et vint à la place Louis XV, dont le
bronze paraissait bien misérable devant un
spectacle aussi magnifique. Il défile Je
long des Tuileries, en face du pavillon de
Flore. Le fugitif, le honteux Louis XVI,
dépouillé des fonctions royales et réduit à
lui-même, sa femme et sa famille, ne peu-
X
( j 94 )
voir cet appareil.
*Vent résister au désir de
Quel contraste avec leur détention humi
liante ! Ils regardent passer ce cortège à
travers une jalousie, qui n’avait jamais
été si bien nommée. Quels sentimens dou
loureux lorsqu’ils voyent le char s’arrê
ter, et qu’ils entendent entonner ce beau
chœur de Samson, avec des accens plus
forts que le tonnerre :
Peuple, éveille-toi, romps tes fers;
La Liberté t’appelle.
Peuple fier, tu naquis pour elle;
Peuple, éveille-toi, romps tes fers.

L’hiver détruit les fleurs et la verdure;


Mais du flambeau des jours la féconde clarté
Ranime la nature,
Et lui rend sa beauté.
L’affreux esclavage
Flétrit le courage;
Mais la Liberté
Relève sa grandeur, et nourrit sa fierté.
Liberté ! Liberté ! Liberté î

On peut nous charmer,


Jamais nous abattre;
Nous savons combattre,
Nous savons aimer.
( i 95 )
Voltaire arrive enfin sur le superbe
Quai qui porte aujourd’hui son nom. Vol
taire est mort chez moi} son cœur y re
pose à coté de son image. Je me rappellais
nos entretiens de Ferney, ce tems où l’a
mitié lui faisait dire, tecîim ueniant; et
où je lui répondais : Veni! coronaberis.
J’avais tâché de parer ma maison le mieux
qu’il était possible. Je prévoyais que j’au
rais beaucoup de monde à placer, et j’avais
préparé sur la rue une estrade spacieuse.
Ce n’était peut-être pas un des moindres
ornemens de la fête, que de voir en am
phithéâtre cinquante jeunes personnes,
belles comme les Grâces, et vêtues comme
Iphigénie, ayant toutes une robe blanche,
une ceinture bleue, et sur la tête une cou
ronne de roses. On voyait au milieu de
ce brillant rendez-vous, les deux filles de
Calas couvertes de deuil. C’était un sou
venir pénétrant, celui du martyr que le
fanatisme avait égorgé. Voltaire lui avait
rendu l’honneur, ne pouvant lui rendre la
vie : et ses filles, les yeux humides de
larmes venaient encore embrasser son
,
cercueil, et rendre grâces à ses mânes.
jNT
2.
( l9 6 )
Voltaire paraît :
la terre se jonche de
fleurs ; les couronnes pleuvent à ses pieds.
M me de Villette s’avance pour embrasser
sa statue elle oublie qu’elle parle à un
5

bronze inanimé. Voltaire est encore une


fois couronné par la piété filiale. Elle sou
lève son enfant dans ses bras et le dédie
,
à la Divinité qui remplit son ame. Mais
toute entière au sentiment, sa tête se pen
che sur le sein de son père adoptif ; elle le
presse contre son cœur, et demeure saisie;
il fallut l’emporter. Cette scène se passait
aux accens d’une musique déchirante. Ces
sons funèbres rappellent que l’homme n’est
plus. Mais le sentiment de son immortalité
se réveille dans toutes les âmes au chant
d’une hymne glorieuse.
Ce ne sont plus des pleurs que nous devons répandre ;
C’est le jour du triomphe, et non pas des regrets.
Que nos chants d'alégresse accompagnent la cendre
Du plus illustre des Français!
La marche continue :
voir les à
groupes
de jeunes et jolies personnes qui suivaient
le char, dont quelques-unes costumées à
la Grecque et les bras nuds, on se figu
rait les Nymphes, les Muses et les Grâces
( 1 97 )
au convoi d’Anacréon. Sur l’hôttel de Fan-
.

cienne Comédie Française, on lisait :


o 7

Il fit son OEclipe à dix-sept ans.


C’est-là le théâtre de ses premiers succès
dans la carrière dramatique ; c’est-là que
,
pour la première fois, le parterre demanda
l’Auteur. Il était à la Bastille y mais la de
mande du peuple est un ordre pour celui
qui règne. Voltaire parut, et son premier
triomphe est le présage de son apothéose.
Plus loin, le temple de Melpomène était
paré de tout ce que Félégance et le goût
ont de- plus recherché. De nombreux car
tels étaient suspendus à toutes les colonnes.
Par-tout des emblèmes, des guirlandes et
des fleurs. On lisait sur le fronton r
Il fit Irène à quatre-vingt-trois ans.
Au moment qu’il s’arrête, une draperie
s’ouvre, et laisse voir un sanctuaire de
lumière dont tous les rayons viennent for*
mer une auréole sur la tête de celui qui en
est le Dieu. Les Prêtres du temple qui
avaient tant de fois honoré Voltaire vivant,
payaient ensemble à ses mânes le tribut
de leur vénération. Bnttus vint lui offrir
un faisceau de lauriers, Orosmane les par—
H ^
( *9 b )
fums cle l’Arabie, et Nanine un bouquet
de roses. Une musique céleste électrisait
toutes les âmes ; et cette dernière station
où chacun confondait ses applaudissemens,
son cœur et son esprit, fut véritablement
un hommage national.
Il marche à la lueur de mille flambeaux.
Ce fut à travers un sillon de lumière que
Voltaire fit son entrée au Panthéon Fran
çais. Ses cendres y sont déposées sur un
autel. Le sarcophage et la figure que l’Im
mortalité couronne furent placés par la
,
main des Arts sur un socle de granit Egyp
tien telle fut l’inauguration brillante de ce
5

riche monument, qui dès lors est justement


nommé le Temple des Grands hommes.
Quel est donc cet ascendant suprême,
cet empire irrésistible du génie et des
vertus qui réveille un million d’hommes
sur le mérite d’un seul 5 qui les appelle à
recueillir ses cendres i3 ans après sa mort,
et fait décerner à sa mémoire des honneurs
presque divins ! l’apothéose de Voltaire
est l’hommage le plus sublime et le plus
étonnant qu’un mortel ait jamais reçu.
Quand Scip ion JMarius ou Pompée
} ?
( *99 )
vainqueur de l’Asie, rentrait
dans Rome
cliargé des dépouilles de l’univers et traî
nant à sa suite des Rois enchaînés, la ter
reur environnait son char de victoire ; tou
tes les forces , toutes les légions, toutes les
volontés de l’Empire lui étaient soumises 5
pour avoir le suffrage du Sénat, et pour
monter au Capitole, il ne lui en coûtait
qu’un mot. Mais qu’un simple particulier
qui n’a que sa plume pour soumettre le
monde s’élève à cette hauteur à cette
, ,
domination souveraine, par les seules ar
mes de la pensée qu’il fasse taire les pas
5

sions devant lui et parler la Renommée


, 5.

qu’il ait autant de partisans que de lec


teurs, et voie jusqu’à son cercueil porté
en triomphe par la reconnaissance et l’en
thousiasme national j c’est un phénomène
unique dans les fastes de l’histoire, et non
moins extraordinaire que celui qui en est
l’objet. O Voltaire ! jouis à jamais de la
vénération des hommes et des siècles.
Ainsi tous les Français adorent ta mémoire :
Ton nom devient plus cher et plus grand chaque jour»
Peut-être en dessinant les rayons de ta gloire,
Je n’ai pas, dans les coeurs, affaibli tant d’amour»
3ST 4
f 200 J

3 Août 1791.
Otf citait des paroles mémorables de
Joseph secojid. Des Auditeurs philoso
phes soutenaient que cet Empereur et
,
le grand Frédéric, auraient établi notre
Constitution chez eux et qu’ils se se
,
raient accommodés d’un trône inamovible,
inviolable, héréditaire, et décoré de 3o
millions. Ils ont trouvé le paragraphe sui
vant écrit de la propre main du Salomon
du Nord.
» Je suisRoi, j’incline pour la Monar
chie mais j’ai bien souvent gémi, quand
5

j’ai pensé que la plupart des Princes


croyent que Dieu a créé exprès pour eux,
et par une attention toute particulière pour
leur grandeur, leur félicité et leur orgueil,
cette multitude d’hommes dont le salut
leur est commis et que leurs sujets ne
5

sont destinés qu’à être les instrumens et


les ministres de leurs passions et de leurs
sottises «.
3)
Ou c’est un amour déréglé pour la
fausse gloire, ou c’est ineptie et noncha-
( 201 )
lance. De ces seuls principes découlent
tous les vices cpii dégradent la nature hu
maine. Delà cette insouciance qui coûte
tant de larmes aux peuples. Il en résulte
qu’un gouvernement Monarchique devient
une pure Aristocratie car il est entre les
5

mains des Ministres et des Généraux. Si


l’on veut que le gouvernement Monarchi
que l’emporte sur le Républicain , l’arrêt
du Chef est prononcé. Il doit être intègre,
actif, laborieux, et réunir toutes ses forces
pour résister aux pièges dont il va être
environné5 enfin, l’idée que je me fais
de ses devoirs est immense «.
Le testament de ce Prince qui est entre
les mains du Roi de Prusse actuel, com
mence ainsi :
» J'ai pris tous les ans, sur les revenus
de l’Etat, une somme millions
de deuæ
d’écus pour mon usage particulier. J’ai
regardé cette somme comme les appointe-
mens dûs à ma place et mérités par mes
fonctions. Le reste des impôts est la pro
priété de mes sujets et ce que le service
5

public n’aura pas dépensé, se trouvera en


économie dans mon trésor «,
( 202 )
Tout le monde sait que Frédéric dis
tribuait tous les ans dans ses Etats la va
leur de six à sept millions de notre mon
naie pour encourager le commerce, sou
,
tenir des manufactures, bâtir des villages,
réparer les désastres des orages et de l’in
cendie \ et lorsqu’en 1788 soixante lieues
de pays furent dévastées par la grêle, le
Monarque Français, sept ou huit fois plus
riche ou plutôt l’Aristocratie régnante
,
n’eut pas honte de promettre douze cents
mille livres qu’elle n’a jamais données. Les
douze millions qui provenaient d’un em
prunt pour les malheureux grêlés, furent
saisis, dissipés, et n’entrèrent jamais dans
le trésor public.
Pendant la longue maladie du Roi de-
Prusse, on lui racontait les faits et gestes
des Rois ses confrères. Pour toute réponse,
il lève les yeux au ciel, et s’écrie :
O sagesse des Dieux! je te crois très-profonde;
Mais à quels plats tyrans as-tu livré le monde !
Et ce même Frédéric dont nous admi
rons la vieillesse, combien d’hommes n’a-
t-il pas fait périr? Ce philosophe couronné
qui parle, écrit comme Marc-Aurèle/ s’il
( 203 )
finit comme Auguste, n’a-t-il pas com
mencé comme Octave ? et ce même Jo
seph II
qui foulait aux pieds les préjugés,
les fantômes religieux qui renversait les
5

Monastères et les Congrégations monasti


ques lui que l’humanité semblait d’abord
5

implorer comme son vengeur, n’a-t-il pas


entrepris les guerres de Turquie? La seule
prise d’Ismaïlow emporté d’assaut, a fait
massacrer plus de 3a mille Turcs, et i3
mille Russes. Pour tout homme sensible,
quel tableau que mille morts ou blessés,
amoncelés les uns sur les autres 5 et pour
quoi ? Pour la fantaisie de deux ou trois
exécrables Despotes qui vont se raccom
moder et rendre les villes qu’ils ont prises.
Non, je ne croirai jamais que les hom
mes soient faits pour se déchirer ainsi les
uns les autres : autant vaudrait qu’ils fus
sent nés tigres. Plaçons à coté de ces
O
horribles trophées, la douce image et les
mœurs patriarcliales des Quakers.
Les bons amis, car c’est ainsi qu’on les
appelle, fuyent la guerre et les désor
dres. Dans la révolution d’Amérique, ils
furent seuls respectés de tous les partis.
( 204 )
Au centre du carnage, dans le tumulte
des camps ils devinrent des anges de paix
,
et de consolation.
Howe fît dire aux Quakers que s’ils ne
prenaient pas les armes pour sa cause, il
porterait le fer et la flamme dans leurs ha
bitations. Ils répondirent à l’amiral An
glais : «Nos loix nous défendent de porter
les armes contre des hommes. Nous n’ar
merons point nos bras, ni pour ta défense,
ni pour ta ruine mais nous ferons des
5

vœux contre toi. Redoute la justice du jjÜlu

Tout-Puissant, toi qui viens apporter des


fers à des hommes libres «.
Tant de vertu fît trembler l’amiral
Howe. Il épargna les seules habitations
des Quakers.
THasington écrivit à la meme Société,
et lui observa que pour garantir ses pos ÏBÎ

sessions et sa liberté, il était nécessaire


qu’elle prît les armes pour l’aider à re
pousser les oppresseurs.
Les frères et amis répondirent : » THa-
sington! nos loix nous défendent de nous
armer d’un fer assassin pour déchirer nos
semblables. Si l’on nous ravit nos posses-
( 205 )
% sions, nous irons cultiver d’autres terres.
Si l’on veut nous égorger, nous saurons
mourir en hommes libres. Nous ne pren-
1 i) drons point les armes pour notre défense,
f t£ ni pour la tienne : mais nous ferons des
vœux pour toi5 et le Tout-Puissant est
;
plein de justice «.
FTasington ne persécuta point la Société
fraternelle , et respecta habitations.
ses
Les Sauvages alarmés descendirent, comme
un torrent, de la haute montagne et des
grands bois. On avait calomnié leurs amis :
mais ils trouvèrent même hospitalité, même
cordialité, et fumèrent leurs pipes comme
à l’ordinaire, après avoir partagé le frugal
repas de leurs hôtes. Dans leurs plus gran
des extrémités, les Sauvages 11’oublièrent
jamais leur traité avec les bons amis.
Traité bien remarquable car il est le seul
5

qui n’ait jamais été écrit, juré , ni rompu.


Les Quakers, au sein des horreurs de
la guerre, sortirent de leurs habitations,
et vinrent avec leurs femmes et leurs en-
fans chargés de vieux linge blanc et
de plantes aromatiques, panser les plaies
des blessés. Anglais, Américains, Sau-
206 )
(

vages, c’était pour chacun d’eux la même


amitié, la même bienfaisance ; et les amis
J
les emportaient avec une égale sollicitude
0
,

au sein de leurs paisibles habitations. w


Le hazard in’a fait lire cet article à l’un tif
îotë 1
des plus fameux chevaliers de la contre-
révolution, grand insulteur et ferrailleur de \0 ü
'

son métier, il en a ri aux éclats ; son voisin


ému jusqu’aux larmes, lui a dit : Hélas
, [les fa
Monsieur ! 'vous n’êtes pas obligé d’ai
il* *
mer tout cela.
Si*®

Au Plessis-Villette. z6 Août 1791.


J’en suis vraiment fâché
pour cette pauvre Bûltf

llLr
aristocratie : mais la Providence ne paraît
pas être de son côté. Les plus belles mois
sons se préparent jusques sur la lisière des
i<fa

bois. Si nous étions encore au tems des


fictions, comme nous sommes au tems des
miracles je dirais que Pomone et Cérès
,
sont venues habiter nos campagnes ÿ ce
qui signifie tout simplement que notre
L
bon Peuple de France aura, cette année, Si
la liberté et le bled à fort bon marché. i
tm

Après la récolte, il ne vaudra pas plus de


( 207 )
iB livres le setier; ce qui faisait dire hier
à un Officier municipal du village : Ah,
Monsieur ! que Von fasse revenir les In-
tendans, les Subdélégués et les Commis $
et vous verrez bientôt le bled à q.8 liv.
Tous nos Cultivateurs sont éclairés : on
aura bien de la peine à leur persuader
qu’il est essentiel pour leur bonheur, de
rappeller les Capitaineries, les Milices,
les Gabelles, les Corvées, les Privilèges,
les Chanoines, les Rats-de-caves et les
Seigneurs.
On raisonne ici fort bien sur les assi
gnats l’on en voit le gage de tout côtés $
5

nous avons à la ronde force Moutiers,


Abbayes, Presbytères, Prieurés, dont
tel au tems de Philippe-le-beau était
, ,
affermé seulement 800 livres, et rend au
jourd’hui z5,ooo livres$ les soumissions
tombent en pluie d’or sur ces jolies mai
sons des champs.
Les assignats sont évidemment les meil
leurs contrats de rentes du Royaume ; ils
sont commerçables sans acte, sans écri
ture et sans frais sans opposition, sans
5

noise et sans procès.


( 208 )
Je croirais à la richesse de l’Angleterre Jfî
si sa banque nationale était fondée sur
l’exploitation de pareilles mines territo jfe

riales. Mais, quoi qu’on en dise, cette


Puissance si formidable par son crédit pré (0
caire perdra tout, lorsqu’elle sera forcée
,
de donner son bilan 5 et la France a tout vous

gagné le jour qu’elle a montré le sien. J'ûili

,
O11 parle toujours de l’impuissance de plaît-

la raison sur certains esprits aristocrates lui :

que rien ne peut persuader ni convaincre. JÜ0

Je viens d’être témoin du contraire. ne


1-

Une vieille Dame de nos parages, très- plie

féodale et très-dévote, taxait d’irréligion I

la nouvelle géographie diocésaine. Elle en F


gageait le Curé de sa Paroisse à 11e pas I
ira
I
prêter son serment, et menaçait de l’enfer IF
les acquéreurs de biens Ecclésiastiques. 1
m
Son Intendant, homme d’esprit, l’a ra I
I jg|jj

menée aux vrais principes par un petit dis


I
cours dont je me souviens presque littéra
lement. Il a d’abord fait valoir l’autorité 8

de Saint-Denis Evêque de Paris, qui


,
soutint qu’au Souverain seul appartient B CÇJ

la conscription civile du Clergé. Mais la |M,


pieuse dame s’est permis de lui répondre 1 lei
très-
( 209 )
très-sèchement que Saint-Denis quand
,
il tint de pareils discours , avait déjà
perdu la tête.
Notre contrôleur, sans s’émouvoir, a
continué ainsi : «Madame, bien loin de
vous opposer à la signature de M. le Curé,
vous devriez employer tout votre crédit à
l’obtenir de sa part. Songez donc, s’il vous
plaît, qu’au moyen de cette Cure que vous
lui avez obtenue, vous acquittez les ho
noraires de précepteur de vos enfans. Vous
ne lui devez plus rien. Mais une fois dé
placé
,
ilsera bientôt à votre charge «.
«Quant à l’achat des biens Ecclésiasti
ques que vous déprisez si fort, je 11e puis
m’empêcher de vous faire observer que le
joli Prieuré de Saint-Benoît vous conve
nait à merveille. Il est précisément au
milieu de vos terres il tient à la grande
5

ferme. Je me chargerais de le joindre au


bail principal, et de vous faire toucher un
gros pot-de-vin «.
La ci-devant fieffée a senti la force de
ces raisonnemens. En quarante-huit heures
M. le Curé a signé le formulaire civique j
le Prieuré est acq uis aux termes du Décret 5

O
( 210 )
n’entendant pour ce déroger en façon quel
conque à ses titres et quartiers, la très-
haute très-ignorante et très - insolente
,
Comtesse.
On paie ici franchement les impôts ; il
n’y a que les malveillans, les ennemis de
l’Etat qui puissent chercher à les éluder.
Il me semble qu’il y aurait un moyen très-
simple de faire payer les contributions na
tionales et d’y forcer même l’avarice. Les
,
impôts une fois assis^ la répartition une
fois fixée, suivant les valeurs foncières,
locatives ou mobiliaires, je voudrais que
le 3i Janvier de chaque année, chaque
citoyen reçût I’Avertissement de sa quote-
part individuelle; et que l’on fit une re
mise d' un demi pour centpar mois à qui
)

conque apporterait son tribut avant le pre


mier Décembre : et je voudrais que pour
compenser ce sacrifice, on imposât d’zz/z
demi pour cent par mois, l’homme non
chalant impatriote ou réfractaire qui re
,
tarderait son paiement après l’année ré
volue. — Par exemple : celui qui paierait
les contributions de 1793 le i er Février,
gagnerait 6 pour 100. Celui qui les paierait
( 211 )
le 3i Décembre même année, ne gagne
rait ni ne perdrait rien et celui qui les
5

remettrait au 3i Décembre 1794? aurait


un intérêt de 6 pour 100 à payer de sur
croît. L’un compenserait l’autre à-peu-
près ; et les contributions
seraient néces
l’année de leur
sairement acquittées dans
échéance. La sagesse nous donne une
Constitution j il faut la soutenir avec des
impôts constitutionnels.
Mais il ne suffit pas de recueillir des
moissons abondantes, de payer les impôts 5
il faut encore s’armer pour la Patrie et ce
5

n’est pas en cela que nos Volontaires na


tionaux manqueront de zèle ou de courage.
Le camp de Kerberie est placé à une lieue
de ma maison. C’est le tableau du patrio
tisme et du dévouement le plus généreux.
Ce camp est assis sur les bords de l’Oise,
dans une plaine riante, environnée de bois
et de sites pittoresques. Il est tracé avec la
régularité de l’art militaire. Près de trois
mille hommes y sont postés.
La gaité, la confiance brillent sur des
visages lullés brûlés par le soleil. En
,
voyant tous les âges confondus et rappru-
O a
( 212 )
chés, pour ainsi dire, par un seul senti
ment, j’ai cru me trouver à ces fêtes mi
litaires des Spartiates, où le vieillard rap-
pellant exploits, l’homme fait plein
ses
de la conscience de sa vigueur, et le jeune
homme promettant de surpasser l’un et
l’autre, présentaient tout-à-la-fois à la
Patrie, des souvenirs, des forces et des es
pérances.
Un maintien, un langage et des ma
nières qui prouvent la bonne éducation
,
cette urbanité qui fait aimer la valeur j
voilà ce que nous avons trouvé sous l’uni
forme et sous le bonnet de Grenadier,
,
dans la plupart des Officiers ou Soldats
qui composent cette légion civique. On
cesse d’en être surpris, lorsqu’on sait que
huit tentes, auprès desquelles nous étions,
composent près de 3oo,ooo liv. de rentes.
Les frères d’armes qui les habitent ne
se bornent pas à donner l’exemple de la
tenue, de la subordination, de la douce
égalité qui les fait chérir de tous. Ils vont
chez les fermiers du voisinage. Us y por
tent la bienfaisance, l’esprit de justice et
de paixj et, par leurs procédés, réparent
( 210 )
les espiègleries dont quelques jeunes étour
dis auraient pu se rendre coupables.
Nos paysans aiment à la folie leurs nou
veaux botes, qui , pour le dire en passant ,
leur laissent plus de cent mille livres.
Un rassemblement de troupes la vue ,
d’un camp, l’éclat des armes, netrouble
plus les innoeens plaisirs. Voyez ce qui
vient de se passer chez les Suisses nos bons
voisins. Ils placent un camp de sioc mille
hommes dans le pays de Vaud. Cet arme
ment de précaution qui est la sauve-garde
de la Liberté, n’effraie personne. La fête
des Vignerons vient d’être célébrée tout
près de ces légions qu’on s’est bien gardé
de considérer comme hostiles. Les liabitans
de toutes les conditions s’étaient réunis ÿ
ils ont conduits en triomphe les trois cul
tivateurs qui se sont le plus distingués dans
les travaux de la campagne la vigne les
, ,
champs, les bestiaux et cette fête, digne
5

d’être célébrée par Virgile ou Gesner, of


frait les scènes les plus touchantes. Le
nom Français a été proclamé, chanté5 les
Vaudois ont tous juré une fidélité éternelle
à la France, leur alliée et leur amie enfin
5

O 3
C 2l5 )
ma jolie maison, les beaux arbres que j’a
vais plantés, le bien être et tous les agré-
mens que j’avais disposés pour mes amis <c.
«
Malgré ces revers, que j’étais loin de
prévoir, je sens que j’aurais le courage
d’aimer la Constitution, si, dans mes vieux
jours je n’étais forcé d’aller à pied «.
,
«L’Assemblée Nationale qui nous fait
tant de chagrin, devrait bien nous donner
une indemnité qui ne lui coûterait que la
peine d’un Décret ; c’est le mariage des
Prêtres «.
«Le lendemain de cette loi sage, j’irais
voir mon ancienne amie, qui vient d’a
cheter mon Prieuré. Je ferais ce qu’on
appelle un mariage de conscience ; et
beaucoup de mes confrères sont précisé
ment dans le même cas «.
« Oh ! le beau sujet à traiter ! qu’il se
rait bien digne de nos Législateurs philo
sophes ! Eux seuls ont le droit d’abattre
y
pour jamais, un préjugé aussi stupide que
barbare «.
«Une partie de ma famille habite Lon
dres et Genève. Plusieurs sont des Mi
nistres du saint Évangile j et je les vois
O 4
( )
entourés de leurs enfans dont Ils sont les
heureux précepteurs. Ce tableau de la na
ture m’a souvent ému jusqu’aux larmes «.
Il serait difficile de ne pas être de l’avis
du bon homme. En effet, s’il est vrai que
le sacerdoce doive donner l’exemple en
même-tems que le précepte, qu’y a-t-il de
commun entre l’honnête négociant, l’utile
cultivateur, le père de famille, livrés à
des soins, des affaires, des travaux qui
tournent à l’avantage de la chose publi
que , et le Prêtre Romain qu’un régime
absurde isole et retranche dans l’égoïsme
de son état? Si, comme les autres hommes,
il était soumis à tous les devoirs de la so
ciété il pourrait offrir le modèle du bon
,
citoyen ; comme ses enfans, celui de la
bonne éducation.
Tous les esprits raisonnables se deman
dent aujourd’hui : Quel rapport y a-t-il
entre l’Évêque de Rome et le Curé d’une
paroisse de France? Que répondre au digne
Pasteur qui dirait : Je sers l’Etat toute la
journée j’ai besoin le soir d’une com
5

pagne, et des consolations de l’amitié. Les


Apôtres étaient mariés, Joseph était marié,
et je veux Pétre. Si moi, prêtre Français,
je dépends d’un Prêtre qui demeure à
Rome si ce Prêtre a Je ridicule pouvoir
5

de me priver d’une femme qu’il me fasse


$

donc eunuque pour chanter des Miserere


dans sa chapelle.
En attendant qu’il se marie lui-même,
notre Chanoine vient de marier sa jeune
nièce à l’un de nos plus aimables ex-ro
turiers et lui donnait hier le repas de
,
noces. Il a trouvé plaisant d’en faire, non
point un repas de famille, mais un véri
table festin constitutionnel. Il a donc invité
au même banquet des Prêtres sermentés,
et non sermentés, des Calvinistes, Ana
baptistes Jansénistes, Molinistes. U y
,
avait même deux Juifs et un Quaker.
Grande chère et bon vin conduisent in
sensiblement les convives à se connaître 5
on parle nouvelles, religion et bientôt 011
5

dispute. Puis, comme de raison, viennent


les querelles. Le Papiste disait à l’enfant
de Calvin : «"Vous avez par trop dépouillé
« vos temples 5 vous êtes de vrais icono-
«clastes, des briseurs d’images Luther
5

» au moins est plus raisonnable «. Le Juif


C 218 )

en appellait à Moïse, à la belle mémoire


cTEsdras qui seule nous a transmis les li
vres saints. L’Anabaptiste soutenait que
toutes les sectes ne sont que l’ouvrage des
hommes. Le plus fougueux était certain
Anglican qui trouvait fort bon, qui ap
prouvait hautement que l’on pendit à Lon
dres celui qui ose y dire la Messe et tous
5

de se déchaîner contre la tolérance, et la


philosophie.
Notre Eglisier amphitrion avait grand
soin d’arroser chaque répartie des meil
leurs vins de France. Quand il vit les es
prits un peu trop échauffés , et que l’ai
greur et la colère prenaient la place de la
gaieté, de la raison5 il va droit à sa biblio
thèque chercher un tome de Voltaire,
qu’il appelle le médecin universel pour
tous les maux de l’esprit. Le volume à
la main il demande la parole et l’on croit
, ,
bien qu’il n’eut pas de peine à l’obtenir. Il
lit le passage suivant :
a?L’empesé Luthérien, le sauvage Cal-
a>viniste, l’orgueilleux Anglican, le fana-
tique Janséniste, le pédant Sorboniste
33
qui se croit un Père de l’Eglise, et quel-
( 21 9 )
» ques vieilles femmes que ces gens-là di-
» rigent crient tous haro sur le philoso-
,
»phe : ce sont des chiens de différente '
» espèce qui heurlent tous à leur manière
contre un beau cheval qui paît l’herbe
tendre, et les fleurs dans une verte prai-
» rie, et qui ne leur dispute aucun des os
» vermoulus, aucune des charognes dont
» ils se nourrissent, et pour lesquelles ils
se déchirent entr’eux «.
La surprise de la comparaison, et peut-
être la conviction, rendit un peu honteux
nos querelleurs. L’Abbé Voltairien, pour
raccommoder bien vite la chose, et jetter
un peu de baume sur l’égratignure de
l’épigramme, demande une seconde fois
silence pour leur chanter ce vieux couplet
de Blot qui lui paraissait merveilleusement
à l’ordre du jour.
Sommes ici demi-douzaine
Qui ne nous mettons guère en peine
De vieux, ni nouveau Testament;
Je ne crois pas qu'il soit possible
De trouver sous le firmament
Quelqu'un moins touché de la Bible.
Chacun se prit à rire 5 et de hoire à la
( 22 ‘ )
exigerait pour de futurs époux. Peu im
porte qu’un homme ait souvent paru dans
sa Section, et qu’il en ait été plus d’une
fois le Président ce n’est pas parce qu’il
$

est un excellent Municipal , que j’en veux


faire un Législateur. Helvétius, Mably
>
Condillac Jean-Jacques, Voltaire eus
, ,
sent été, je crois, d’excellens Députés, et
de très-plats Municipaux.
D’ailleurs, ne doit-on pas sentir quel est
l’abus qui proroge l’autorité électorale en
lui fournissant des nominations continuel
les? Par exemple, aujourd’hui à l’aide d’une
savante tactique, c’est le corps Adminis
tratif qui fournit des Membres au corps
Législatif. Nos Députés, au lieu de s’en
retourner dans leurs Provinces, viendront
s’asseoir à l’Hôtel-de-ville ou dans les Tri
bunaux ; c’est-à-dire que si cela continue,
,
l’aristocratie judiciaire, administrative et
municipale passant d’une place à l’autre,
trouvera le moyen de faire éternellement
la navette.
Nous n’obéirons plus à des Présidens,
à des Intendans, à des Conseillers, à des
Gouverneurs ) mais sous d’autres noms,
( 222 )
nous obéirons toujours à des tyrans subal
ternes , nous aurons un Despotisme ma
gistral au lieu d’une Monarchie abusive.
Vainement avec les grandes épithètes de
patriotes et de citoyens, cliercliera-t-on à
pallier ces véritables abus. Il va s’établir
un despotisme sourd , dont l’homme le plus
juste aura peine à se garantir. C’est le tems
qui prouvera la vérité de mes observations.
Certes, nous serions plus circonspects
dans nos choix, si comme en Pensylvanie,
les constituans avaient le droit de révoquer
les constitués.
Que ne puis-je voir un jour s’accomplir
le vœu d’Honoré Mirabeau! Il voulait
faire de la place d’Electeur une véritable
dignité populaire ; il en réduisait le nom
bre à la moitié de ce qu’il est maintenant.
Il voulait que les Électeurs ne fussent pas
susceptibles d’être élus : la considération
attachée à cet emploi les dédommageait am
plement de n’être pas Députés. Il voulait
qu’ils nommassent à toutes les Magistra
tures sans restriction qu’ils eussent à l’As
5

semblée Nationale des tribunes d’honneur


comme les Suppîéans j et, pour me servir
( 223 )
de ses propres termes, n’est-il pas tout
simple que les pères viennent voir leurs
enfans ?
Mirabeau voulait que les Electeurs tins
sent leurs séances devant le peuple, puis
que c’est le peuple qui a créé les Electeurs.
Ilbannissait entièrement cette méthode de
Bureaux qui, selon lui, ne fait du corps
Electoral qu’une véritable machine à scru-
tin / enfin, il voulait que l’on discutât tout
haut le mérite des Candidats, et que l’on
allât publiquement aux voix sur les per
sonnes comme sur les choses.
Mais de tous les modes qu’on peut ima
giner, le plus simple doit avoir la préfé
rence. Après les grandes pensées de Mi
rabeau, qu’il me soit permis de hazarder
les miennes. Je ne veux point d’Electeurs ;
je veux que le Peuple exerce ses droits de
souveraineté, non par procuration, non
par des Lieutenans, mais par lui-même.
Établissez
une seule assemblée Primaire
dans chaque Section, dans chaque Dis
trict ; et qu’au même jour , à la même
heure, dans Paris et dans tous les Dépar-
temens de France, chaque citoyen actif
( 224 )
jette dans Punie les noms qu’il croit les
plus propres à la Législature. Dépouillez
cet immense scrutin, et vous aurez la vo
lonté Nationale. Les Peuples, très-éclairés
sur leurs propres intérêts, se trompent dif
ficilement sur les citoyens patriotes. Ils n’é i
lèveraient à la Législature que des hommes fl]2

d’un mérite bien reconnu. Cette nomina


tion serait comme en Angleterre une
, ,
fête nationale, et deviendrait à-la-fois le
prix du civisme et des talens.
Alors disparaissent tous les inconvéniens V
du mode en usage aujourd’hui le teins si
5

précieux perdu en formes puériles, en dis 1 li

cours oiseux ; la difficulté presqu’insur-


montable de faire passer un patriote re
nommé les coalitions, l’esprit de parti ;
5

l’ordre du jour qui nomme le protégé d’une Iï !

cotterie : en sorte que des hommes choisis I 4

comme Législateurs primaires, loin d’être


un objet de vénération, deviennent sou
vent un objet de ridicule, et quelquefois
de mépris.
Cette belle Constitution, dont l’initia 1
tive annonçait le chef-d’œuvre de l’esprit J
humain, n’est malheureusement pas achevée h
sur
sur le même plan desinitin piscem millier
5

formosa supernè. Mais encore il faut l’ai


mer et l’embrasser avec tous ses défauts.
Le genre d’ennemis qu’elle nous laisse à
combattre, ce 11e sont pas toujours des ar
mées jaunes et des armées noires, des Alle
mands et des Aristocrates c’est un monde
5

d Accapareurs. O11 accapare la petite mon


1

naie on accapare les petits assignats 011


5 5

accapare les écus j on accapare les grains :


la liste civile accapare les comités les co
5

mités accaparent les assemblées : mais ce


qu’il est impossible d’accaparer, c’est l’opi
nion publique.
J’entends crier contre les Clubs on re
5

doute leur influence ; mais ceux qui les


calomnient, ignorent sans doute que, plus
que jamais, on devient sévère sur le choix
des Membres qui les composent. Des Com
missaires nommés à la présentation sont,
pour eux, un véritable Comité des recher
ches. Un scrutin épuratoire admet ou re
jette les candidats, sans plainte et sans
appel. Ne faut-il pas qu’un citoyen soit
bien sûr de sa bonne conduite, et de ses
opinions pour se soumettre volontaire-
,
P
( 226 )
ment à cette épreuve rigoureuse et publi
que? Ce qui ferait croire que très-souvent
ces déclamateurs n’y seraient pas admis.
On demande aussi dans l’assemblée
,
Electorale, s’il est séant qu’un citoyen se
présente lui-même au suffrage de ses col
lègues, et qu’il expose les titres par les
quels il a bien mérité de son pays? Assu
rément un tel homme est bien fort de ses
principes et de sa moralité, puisqu’il vient
s’offrir ainsi aux traits de la censure.
Il n’est plus permis, lorsque l’on veut:
être quelque chose, de s’isoler, de se re
trancher dans son égoïsme, et comme au
trefois, d’attendre tout de la faveur, ou de
l’autorité. La Constitution commande de
changer nos mœurs ; et depuis trois ans
que nous avons des assemblées Primaires,
Electorales, des nominations Municipales
et Judiciaires, des sociétés Patriotiques, le
quart de Paris a subi l’épreuve du balo-
tage. L’honnête homme fait paisiblement
sa tâche et s’il est attaqué par les fabri-
5

cans, et débitans d’injures, il se conten


tera de leur répondre : J’en appelle à la
tribune.
( 228 )
dre du jour envoyé pour le choix clu Can
didat? Il est tantôt commandé par le Mi
nistère tantôt par le Directoire, ou l’Hôtel—
5

de-Ville ; aujourd’hui par le Garde des


Sceaux, demain par le Général. A quel
ques élus près , il me semble, mon cher
Municipal, que vous devez être tout con
solé de 11’être pas de ce nombre et de
garder votre écharpe.
Quant à moi, je m’estime plus heureux
que vous. La semaine dernière, entouré
d’une trentaine de mes collègues Electeurs,
je leur tenais ce langage : «Je suis très-
sensible à votre extrême bienveillance j mais
j’ose vous dire que je n’en ai pas besoin 5
car je suis plus fort que vous tous. Il n’est
aucun de vous qui ne veuille être Député ;
et moi je ne veux pas l’être «. Il fallait voir
la surprise de nos gens. O11 eût dit que pas
un ne trouvait dans son ame la force d’une
pareille abnégation.
Je suis aussi plus fort que vous, mon
cher ami car cette place de Député fait le
5

tourment de votre existence. Vous êtes


pourtant aussi malingre que moi et n’êtes-
5

vous pas déjà martyr des peines physiques


( 22 9 )
et morales que vous avez endurées pour la
Révolution? J’aurais plus droit que vous de
dire que la Patrie est une ingrate car enfin
5

elle vous a couvert de sa livrée et vous tient


à ses gages5 et moi, qui l’ai toujours servie,
je n’en ai jamais rien reçu. Quoiqu’il en
soit, je vais encore parler de vous5 et je
dirai : donnez-lui tout au moins une place
de Législateur suppléant. Tranquillisez*-
vous donc, pauvre souffreteux 5 la gloire
est le superflu de la santé.
Je savais bien que l’on ne manquerait
pas de repousser la proposition d’appeller
le peuple aux assemblées Electorales : et
vite l’on m’oppose le tumulte et les insur
rections. Je ne suis pas embarrassé de ré
pondre en montrant l’Assemblée Nationale
avec des galeries, et environnée du peuple.
Je ne serais pas embarrassé non plus de
prouver que l’ouverture des Tuileries , et
vingt mille âmes patriotes qui entouraient
l’Assemblée, nous ont valu les assignats\
et que la seule clôture de ces mêmes Tuile
ries a permis de gâter la fin de la Consti
tution. Le code national nous dit que les
délibérations du corps Législatif seront pu-
p a
( a3o )
bliques ; ce qui veut dire : les Législateurs
feront des loix en présence du peuple. Et
jnoi je soutiens que l’assemblée Electorale
doit aussi nommer ses Prêtres ses Juges
, ,
et sur-tout ses Législateurs en présence de
tous.
Le peuple a déjà beaucoup acquis ; et je
vois à chaque instant des Philosophes bien
surpris de sa patience courageuse, de sa
logique naturelle. C’est l’éducation natio
nale qui va le rendre vraiment digne de la
liberté. Presque toujours c’est l’ignorance
qui fait les insurrections. Je ne désespère
pas qu’avant dix années notre Constitution
n’ait formé des hommes dans tout l’Em
pire et n’ait fait un peuple pensant de ce
,
qu’on appelle ailleurspopulace et ccntaiHe*
Je ne désespère pas qu’un jour le matelot,
le laboureur le soldat, l’artisan ne soit
?
instruit ; et que l’on ne voie à Paris ce que
j’ai vu à Genève. Voltaire impatienté de
ne pas retrouver dans sa Bibliothèque les
élémens d’Euclide, fit demander ce volume
chez tous les Libraires de la Ptépublique 5

on ne put le lui procurer j ce fut un cor


donnier qui le lui prêta.
( 231 )

5 Octobre 1791.
Nous
avons enfin une Constitution» Pour
quoi dans une circonstance si glorieuse
, ,
ne voit-on que des âmes tièdes, des mé-
contens ; et si peu d’enthousiastes ?
Cependant, quel est le patriote sincère
qui n’aurait pas reçu à genoux, il y a trois
ans, une Constitution pareille à celle de
l’Angleterre? Celle qui vient de nous ré
générer, est assise sur des bases bien plus
durables. Les Droits de l’homme 11e re
montent pas à la loi Salique, ils sont éter
nels comme la nature.
E11 Angleterre, fut le Ptoi qui voulut
ce
bien accorder une charte à la Nation. Chez
nous, c’est la Nation seule qui a fait l’acte
Constitutionnel, l’a présenté au Roi, et lui
a mis le marché à la main.
Les Anglais sont sujets du Prince, et le
servent à genoux. Les Français sont soumis
à la Loi, et ne sont sujets de personne. Ils
se rangent sur le passage de Louis XVI 7
et ne sont pas meme obligés de lui oter le
chapeau.
( 232 )
En Angleterre, il y a deux Chambres 7
une Noblesse héréditaire, des blazons, des
titres et des livrées. Nous n’avons qu’une
seule assemblée dans le corps Législatif :
elle est indivisible ; et nous avons balayé
tous les hochets de la,Féodalité.
En Angleterre , il faut qu’un citoyen
paye plus de 5o gainées d’impositions fon
cières pour être Député. Ici, l’homme à
talent peut le devenir, en payant 3 livres.
Le Parlement Britannique dure sept an s,
et le Roi peut, à sa volonté, le proroger
ou le dissoudre. La Législature Française
sera toujours de deuoc ans. Le Roi n’a point
d’influence sur sa durée.
En Angleterre , le Clergé est riche et
propriétaire de biens fonds. Chez nous il
,
11’a qu’une aisance honnête, et nous le te

nons à nos gages.


En Angleterre, la Presse est un véri
table fléau. C’est l’attentat le plus terrible
que l’on puisse porter à la Liberté de
l’homme. Ici, le service national est vo
lontaire et nous n’avons pas même de
5

milices.
En Angleterre, le droit de nommer des
( 2.7)0 )
Représentais est mal réparti. Tel bourg
qui compte à peine quelques centaines
d’habitans en nomme plusieurs 5 et des
,
villes, comme Birmingham, qui ont plus
de 60 mille âmes, n’en ont qu’un. En
France, la répartition est égale, et par
tout proportionnée au territoire, à la po
pulation à l’imposition directe.
,
En Angleterre, le Monarque peut ap
prouver ou rejetter les Bills, sans les dis
cuter et sans donner de motif. Ici, le vœu
de trois Législatives devient loi, malgré
la volonté du Prince, et rend nul son veto
provisoire. Et puis 11’avons-nous pas les
Conventions nationales ce remède uni
,
versel pour tous les maux de l’Etat? Les
Anglais n’ont aucun moyen légal pour se
faire entendre en Souverain.
Je ne pousserai pas plus loin la com
paraison. Mais il faut être de bien mau
vaise humeur pour ne pas s’accommoder
de ce nouveau régime et pour ne pas
,
combler de bénédictions les sages Repré
sentans auxquels nous devons le plus bel
ouvrage qui soit encore sorti de la main
des hommes.
Le Sillon. j3 Octobre 1791.
Je dirai point ed io son Pittore, et
ne :
moi aussi je suis Peintre. Je laisse aux
savans Professeurs le langage technique de
la science. Mais l’amour, le sentiment des
arts, voilà mes guides voilà les maîtres
5

dont j’écoute les leçons.


Je suis d’abord arrêté par deux ou trois
chef-d’œuvres étalés dans la vilaine cour
qui précède le magnifique Sallon du Lou
vre. N’est-ce pas un véritable magnétisme
qui vous appelle, et qui fixe vos regards
sur la bergère prête à se baigner? Que
d’esprit dans cette expression qui montre
à-Ia-fois le saisissement de l’onde, et l’em
barras virginal d’être apperçue ! Quelle
grâce ! quelle pudeur dans ce joli visage !
Les anciens ont-ils jamais modelé de plus
heureuses formes ! Et cette chèvre qui s’ac
croupit et boit dans le ruisseau c’est une
5

image champêtre si douce et si vraie ! C’est


au ciseau du même artiste que nous de
vions déjà le bon La Fontaine; et l’on
dirait que cette gentille baigneuse est un
( 2,35 )

personnage de ses Fables ou de ses Contes.


M. Julien nous fait retrouver en quelque
sorte dans le clioix de ses sujets, l'image
de sa modestie la simplicité de ses mœurs.
,
Si l’on disait que Psyché nous arrive de
Rome, on ne finirait ptis sur le plaisir d’ad
mirer ce marbre vraiment animé. C’est la
tristesse et la volupté. Ce beau sein que
l’on voit soupirer d’amour, ce visage éploré,
cette bouche qui semble exhaler son ame
après l’ingrat qui l’abandonne, rappelle
Didon ? Héloïse ou la Halière. On serait
tenté de la consoler ) on croirait volontiers
à Pigmalion amoureux de sa statue.
On rappelle que Psyché fut exilée du
se
Louvre, il y a 6 ans, par le Curé de St-
Germain, qui assurément n’était pas le
Pasteur des beaux-arts.
Je me garderai bien de parler des bustes.
Je dirai seulement qu’il est très-mal-adroit
de ne représenter que la laideur dans la
figure de Mirabeau, tandis que l’on pou
vait y montrer sa physionomie, la gran
deur et la majesté de son génie. Les Sculp
teurs doivent sur-tout renoncer à ce bras
coupé au coude. Image si révoltante !
( 206 )
Il faut l’avouer, les anciens sont encore
110s maîtres, et le seront long-tems. Plus
familiarisés avec la nature, avec le nud
qu’ils avaient sans cesse sous les yeux, ils
savaient le rendre et l’exprimer avec plus
de vérité. Ils ont employé le marbre le plus
dur et cependant il est travaillé avec tant
5

de magie, qu’il paraît de la cire, de la


pâte, ou plutôt de la chair même. Peut-
être le Puget seul nous a-t-il laissé quelque
idée de cette perfection toute divine.
On vient d’asseoir Jean-Jacques à la
porte. Il offre la méditation , la vie et la
sérénité \ mais il est un peu trop jeune.
Son bras gauche, embarrassé dans un man
teau , semble être en écharpe. Je n’aime
point qu’il foule aux pieds des chaînes
comme le Baron de Trenk. Mettez une
pervenche à la place. L’ami de la nature
et des enfans ne doit marcher que sur des
fleurs. Je n’aime pas non plus qu’il soit
dans un fauteuil encore moins que le
,
livre (PÉmile soit jetté sous sa chaise. jNTe
dirait-on pas qu’il dédaigne un ouvrage
auquel il avait attaché sa gloire et son nom?
L’athlète en bas-relief, qui enlève un
( a3 7 )
taureau pour l’offrir à Amcirillis, est d’une
composition forte et vigoureuse. Mais il
semble plutôt le descendre de la montagne,
que le traîner au sommet. Le corps de ce
lutteur devrait peut-être avoir des formes
et des muscles encore plus prononcés. Voyez
Y Hercule Farnèse, comme il est terrible,
même dans son repos !

Même quand l’oiseau marche, ou sent qu’il a des ailes.


Le sage Confucius avait raison de dire :
pour entendre avec plaisir les sens touclians
d’une douce mélodie ÿ pour jouir de l’as
pect d’un beau paysage, il faut avoir l’ame
en paix.
C’est la paix qui vient d’ouvrir aujour
'Ci 1
| d’hui le sanctuaire des arts. Ce Louvre ,
jadis gouverné par un institut féodal, a re
»; : connu la Déclaration des droits. Le Sallon
X :
est le premier et le plus grand tableau de
la Liberté que l’on ait encore offert à nos
yeux. C’est dans ce mélange hardi de toutes
les productions que le génie va prendre
,
de nouvelles forces, et la Nation de nou
velles richesses.
En entrant je suis frappé du beau ca
ractère du Musicien-compositeur. L’har-
( 2 38 )
monie qu’il crée, est écrite en traits de
feu sur sa figure. On croit voir Famé
cl’ Orphée sous les traits de Paësiello.
Que de beaux paysages auxquels on re
,
vient sans cesse ! Le doux aspect de ces
sites heureux, le cristal de ces eaux lim
pides dont j'entends le murmure, ces feuil
lages ces gazons verdoyans, ces images
,
du printems, nous consoleraient l’hiver
d’être entourés cle neiges et de frimats.
On aime à voir à coté de ces clief-
d’œuvres d’un maître les modestes essais
,
d’un élève qui présente une grande correc
tion, et promet une grande énergie. Il
faut que les tyrans frémissent devant ce
tableau de Bru tus, dernier excès de la
vertu Républicaine. Il n’y avait que le cé
lèbre David, dont le patriotisme brûlant
dirigeait les pensées long-tems avant la ré
volution , qui pût nous rendre avec tant de
chaleur le serment du Jeu de Paume. Un
local simple et sans accessoires, ces mu
railles toutes nues, rappellent l’austérité
du Latium; et l’on croirait que cette mo
tion fut jurée non pas à Versailles, mais au
Capitole.
( 23 9 )
J’engage le grand maître à supprimer ce
papier que tient le Président de l’Assem
blée. C’est en portant une main sur son
cœur, et en élevant l’autre, que Bailly a
prêté ce mémorable serment. C’est l’élan
de l’ame le premier cri de la Liberté, et
,
que sûrement il n’avait pas écrit la veille.
J’ai long-tems admiré, dans le tableau
des Horaces, ce groupe de femmes dont la
douceur tempère l’austérité du sujet. Mais
à force de les examiner n’ont elles pas
, -
l’air un peu endormies? il en est ainsi de
Platon aux pieds de Socrate. La douleur,
le saisissement n’est pas un mol aba*ndon $
les filles de Brutus en sont la preuve. Je
veux que le visage me fasse soupirer ou
frémir, et ne me présente pas une énigme
à deviner.
Si vis me flere, dolendum est primum ipsi tibi.
Pour m’arracher des pleurs, il faut que vous pleuriez.
Plusieurs femmes véritables artistes,
,
donnent la vie aux têtes qu’elles dessinent.
Rarement la nature est mieux rendue. Les
étoffes font une illusion parfaite. Ce 11e
sont pas des portraits, ce sont les per
sonnes. Mais pourquoi toujours des fonds
( )
noirs, des fonds bruns? On nie dit : C’est
pour faire aaloir. L’infortuné Latude en
liabit d’ingénieur, le bras tendu, montre
la Bastille il a plutôt l’air de Turenne ou
5

de Lowendal qui va prendre Bcrg-op-


Zoom, que l’attitude d’un pauvre prison
nier , détenu 34 ans. C'est un embonpoint
que l’on serait tenté d’envier. Il semble
plutôt protégé par la faveur, qu’opprimé
par la tyrannie il n’arrache de soupirs à
5

personne.
Au pittoresque du pinceau, l’ingénieux
Robert joint encore le piquant de son es
prit. L’aveugle qui demande l’aumône à
des perroquets ; le Pindicateur qui, après
avoir endormi son auditoire, cueille des
cerises et les mange $ le Chartreux à ge
noux devant un christ, et le chat dans la
niche; il faut avoir bien de la gaieté dans
le caractère pour en répandre sur un sujet
si triste.
Heureux Peintre qui sait, d'une touche légère,
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.
Dans l’un de ces beaux paysages que
l’on ne se lasse pas d’admirer, je vois
Ulysse implorer le secours de Nauzicaa ;
j’y
( 34l )
j’y retrouve une page entière de l’Odyssée.
Cet attelage antique, ces femmes qui la
vent des robes, tout s’y montre à sa place.
Mais je demanderais pourquoi le sage
Ulysse est-il nud comme Adamet n’a-t-
il autour des reins qu’une ceinture de feuil
les? Je sais bien que le Roi d ltaque ne
jouissait pas d’une liste civile fort consi
dérable et que les amans de Pénélope
,
avaient apporté quelque déficit dans son
trésor ; mais dans ses voyages, il était
,
pauvre, et jamais nud. Une Princesse bien
élevée comme Nauzicaa aurait songé plu
tôt .à le fuir, qu’à l’accueillir.
La une de Colojine et du temple des
Euménides pourrait se passer de figures.
Ces Coloniales que l’on voit à mi-corps et
qui sortent d’un trou, ne font pas un effet
heureux. Pour offrir une scène dramati
que , prise de l’histoire, ou de la fable,
une scène digne de l’Opéra, il ne faut pas
des personnages grands comme le petit
Poucet. Ce magnifique tableau dénué d’ac
cessoires, placerait le nom de Ualeîiciennes
à côté de Claude Lorrain,
On reste en extase devant des tableaux
Q
( ^42 )
de fleurs. L’imagination est rafraîchie par
cette touche transparente , cette magie de
la rosée. V^an-Spaendonc est le désespoir
de l’art et de la nature.
Le talent de faire des oiseaux de bois est
tout neuf. C’est la difficulté vaincue. Je me
rappelle ce Grec qui trouva le secret d’en
fermer l’Iliade dans une coquille de noix.
Je demanderai pourquoi ces ailes à
l’Angé dans le retour de Tobie? Si l’en
voyé des cieux avait eu de longues ailes à
ses épaules en cheminant côte à côte de
lui, l’illusion était finie. Mais l’Ange eut
grand soin de garder le plus parfait in
cognito ; il ne déploya ses ailes, qui for
maient ses lettres de créance, qu’en pre
nant congé du pèlerin.
L’éducation d’Achille est digne de Ra
phaël. Mais pourquoi faire voltiger sur le
dos du Centaure un grand manteau verd,
un véritable manteau de chasseur? Il n’y
manque que le galon.
Et cet énorme rocher noir?
C’est encor pour faire valoir.
Le génie et le talent sont au-dessus de
toutes les corporations académiques.
( *43 )
Le célèbre Greuse a produit le plus bel
ouvrage cpii soit sorti de ses savantes mains.
J’invite le lecteur sensible à se rassasier de
plaisir en allant voir Sainte IMarie Egvp-
tienne. Ce n’est pas un tableau qu’il trou
vera c’est un être animé, c’est la beauté
5

idéale la nature perfectionnée, qui sans


,
doute -a fait imaginer les anges.
Il faut que notre Révolution ne soit pas
si méchante que le veulent publier ses en
nemis puisqu’elle a permis de concevoir
,
cette pensée tendre et sublime au milieu
des orages politiques de 8p.
La pénitente de la Thébaïde a seule
occupé l’ame du grand Peintre. Réfugiée
dans la solitude d’un rocher elle n’est
,
vêtue que de ses longs cheveux, de sa pu
deur et de son repentir. Une teinte de vo
lupté se mêle au sentiment d’une sainte
admiration. Si l’on s’éloigne un moment
de ce magique tableau, un attrait irrésis
tible vous y ramène bien vite, comme un
amant revient à sa maîtresse éplorée.
Pourquoi n’adopterions-nous pas le ré
gime qui est suivi à Londres? On paye
rigoureusement à la porte de la grande
Q 2
( m4 )
salle où sont exposés tous les ouvrages des
artistes et la libéralité Anglaise donne
$

dix fois la valeur du petit livre qu’on y


distribue. Il résulte de cette perception une
somme assez considérable pour les frais
d’entretien, et pour des prix d’encourage
ment. Les Dimanches, la salle est ouverte
au public qui ne paie point.
J’en demande pardon à l’Académicien
qui 11’oserait exposer ses tableaux avec ce
mode de perception. Il me semble que c’est
une fausse délicatesse qui refuse l’offrande,
ou le tribut de ses concitoyens. Le grand
Peintre ne doit pas plus être humilié de
recevoir de l’argent pour montrer ses ou
vrages , que le Poète dramatique de par
tager la recette qui se fait à la porte du
spectacle. Ne vaut-il pas mieux accepter
un bienfait public, que d’attendre la fan
taisie d’un riche ignorant et dédaigneux?
Paris peut encore enchérir sur sa rivale,
qui le plus souvent ne paie les Artistes que
par vanité , et les accueille par ennui. Il
est tant de moyens faciles et peu dispen
dieux de ressusciter les beaux arts en
France !
( 245 )
On est un peu surpris de ne voir an
Sallon qu’un seul tableau des grands évè-
nemens de la Révolution. Les Artistes ne
sont-ils donc pas encore élevés à sa hau
teur? Paris n’offre pas le plus simple mo
nument qui parle de sa liberté, de sa
gloire. Ce mot employé si souvent, et quel
quefois si mal-à-propos, est bien à sa place
quand on écrira les premières pages de la
Révolution. La mobilité des nouvelles Ma
gistratures est nécessaire à bien des égards
dans le système politique ; mais, il en faut
convenir, ce ne sont pas les beaux arts qui
en profiteront j et l’on est quelquefois af
fligé quand on pense que les despotes et
les tyrans ont plus fait pour la splendeur
des arts, que les héros de la Liberté. Au
r
guste, Siccte* Quint, Louis XII , LouisXV,
et Catherine en sont la preuve.
Au reste, ce n’est pas dans le Sallon
actuel que l’on reconnaîtra l’avantage de
laisser exposer les productions de tous les
artistes. Ces ouvrages ne sont pas encore
les enfans de la liberté, puisqu’ils ne sont
pas nés depuis le Décret ; mais à l’exposi
tion prochaine, lorsque l’ame tourmentée
,
( )
bien de l’épouse du Roi, que je n’ai pour
tant jamais vue, et que vraisemblablement
je ne verrai jamais. Je déclare que je res
terai bon démocrate jusqu’à mon dernier
soupir, mais jamais démagogue. Le Pou
voir exécutif suprême n’est pas assez riche
pour me corrompre, si tant est que je
vaille la peine d’être, corrompu.
On m’a dit plus d’une fois que la Reine
aimait les arts, et qu’elle s’y entendait.
Aujourd’hui , qu’elle partage une liste
civile de 3o millions je lui donne la place
,
de feu d’AngivMers, et je jouis d’avance
du plaisir de voir la Peinture, l’Architec
ture , la Musique, la Poésie , toutes les
sciences environner la nouvelle Sur-Inten
dante et rappeller à Paris les émigrans et
,
les étrangers, dont les arts ont si grand
besoin.
Assurément, il faut être de bien mau
vaise humeur pour chercher querelle à
celui qui n’a jamais dérivé de ses prin
cipes et qui, en trouvant beaucoup de
,
défauts à la constitution très-monarchique,
s’y soumet de cœur et d’esprit, et voudrait
faire un peu dépenser de la liste civile au
Q4
( 2 4° )
Monarque dont la pension lui a toujours
paru monstrueuse.
Voilà quelle est ma profession de foi.
Les outrages et les injures anonymes et
pseudonymes que je reçois tous les jours
,
ne me feront jamais changer. Je fléchis le
genou devant la statue de la Liberté ; non
quand le voile qui la couvre est teint de
sang mais quand elle est parée de fleurs,
5

et que j’ai le droit de placer sur sa tête


une couronne de roses.

'Louis Pio à Charles Villette.


ïb vérité, il faut avoir une bien pauvre
n
idée de la Liberté, pour vouloir poser sur
la tête de cette divinité des guirlandes de
roses. Permettez, Monsieur , que je vous
dise que je trouve cela plus digne d’un
Sybarite que d’un Français de l’année 1791.
Je ne sais pas si Clodius même s’est avisé
de défigurer si honteusement le simulacre
de la Liberté, lorsqu’il lui a élevé un tem
ple sur les ruines de la maison de son en
nemi, le père de la Patrie. Qu’aurait dit
Brutus lorsque, marchant vers le Forum
^
( =49 )
pour haranguer les citoyens de Rome,
après la plus glorieuse action dont on eût
l’exemple, il fit arborer le chapeau de la
Liberté au bout d’une pique? Qu’aurait-il
dit, si ce chapeau avait été entouré de
roses? Non, Monsieur! il 11e faut pas des
roses à des hommes libres. Nous savons
tro]) que cette sainte Liberté, qui a coûté
aux hommes dans tous les tems tant de
sang, et qui en coûtera peut-être encore
des torrens ( fasse le ciel que je me trompe J,
ne s’arrêtera jamais dans notre pays, si
nous voulons mener notre vie dans l’oisi
veté et dans les délices. Nous savons trop
que c’est à travers les discordes domesti
ques, qu’il se forme un peuple de citoyens,
de politiques, de héros. Loin de nous toute
espèce d’insouciance Epicurienne, toutes
ces inutilités enfin qui déplurent si fort au
Législateur de Sparte, lorsqu’il ordonna les
repas publics, et commanda si fort la sim
plicité et la frugalité.
Prêchez cette belle doctrine, je vous en
prie, vous qui avez des talens supérieurs,
et qui par les charmes de votre style
,
pourriez presque rétablir les idoles que
( s5o )
nous avons renversées. Point cle fleurs ,
mais des armes, mais des livres mais des
,
charrues ; voilà de quoi il faut entourer la
statue de notre sainte patronne, la Liberté.
Réponse.
M. Pio me traite si mal au commence
ment de sa lettre, et si bien à la fin, que
je ne sais plus moi-même comment lui ré
pondre. Il débute par me prêter des ex
pressions dont je ne me suis pas servi.
D’abord il me fait poser des guirlandes de
roses sur la tête de la Liberté et je n’ai
5

pas tant dépensé de roses, car je n’y ai


placé qu’une simple couronne. Il trouve
que j’ai une très-pauvre idée de la Li
berté. Il cite Bru tus, qui fait arborer un
chapeau au bout d’une pique ; et qui eût
été bien surpris de le voir entouré de
roses. Je l’avouerai, je suis moi-même un
peu surpris de ce rapprochement de Brutus
et d’un chapeau.
M. Pio veut que la statue de la Liberté
s’élève toujours à travers les discordes
domestiques. Il traite de Sybarite celui
qui voudrait jouir paisiblement des fruits
( 251)
d’une grande révolution. Mais cette ville
de Paris, cette métropole du inonde, que
deviendrait-elle si de pareils sermons
,
étaient à l’ordre du jour? Marc-Aurèle,
ce modèle des Princes, était donc îmÆpfoz-
rite , lorsque dans les réjouissances publi
ques , il ne voulait point que les Romains
se fissent un plaisir barbare de répandre
le sang. Je lis dans Plutarque, qu’il fit
donner aux gladiateurs des fleurets au lieu
d’épées au lieu d’armes tranchantes, afin
,
qu’ils se battissent comme des athlètes,
sans danger pour la vie. Un enfant qui
dansait sur la corde, se tue en tombant m
7
Marc - Aurèle ordonne cme dans la suite
x
on mît des matelats au-dessous des cordes
sur lesquelles les voltigeurs faisaient leurs
exercices. Voilà sans doute ce que n’eût
pas ordonné l’exécrable Charles IX, qui
prenait tant de plaisir à tuer les animaux
et à fusilier ses sujets.
Loin de nous, dit aussi M. P'lo , toute
f
insouciance Epicurienne. t
Ecoutez encore
le bon Plutarque l'ami de tout homme
,
sensible il cite les propres paroles d’Epi-
5

cure. Si toutes nos actions tendent à la


( )
2 52
pratique de la vertu, à la jouissance des
plaisirs honnêtes, à la conservation de la
liberté$ ci nous apprenons à mépriser la
mort; nous goûterons cette paiæ de Vame
qui fait le vrai bonheur. Enfin, M. Pio,
qui finit par jetter des fleurs sur la cen
sure , comme j’en ai paré la Liberté, ne
veut plus voir autour de sa statue, que des
armes ? des livres et des charrues. Qu’il
permette au moins que le paisible culti
vateur qui a mis ses guérets sous sa pro
tection, tresse des bluets et les fleurs des
champs pour en couronner son image.
La Liberté, fille d’Astrée,
S’assied, des Gr<4ces entourée
,
Entre le trône et les autels ;
Et sa fille, la Bienfaisance,
m
Vient de son urne d’abondance
Enrichir les faibles mortels.
Au moment où nous réimprimons cette
lettre, on voit s’élever dans Paris deux
cents arbres de la Liberté, comme autant
de trophées. Eh bien ! ils sont tous chargés
de guirlandes, de rubans et de fleurs. Ce
témoignage universel montre l’Esprit pu
blic, et répond victorieusement à M. Pio*
( 253 )

3o Octobre 1791.
L’Assemblée Constituante
a décrété des
secours et des encouragemens pour les
beaux - arts Peinture Sculpture, Archi
, ,
tecture. ne dit pas un mot de la Musi
O11

que , à laquelle nous devons tant de re


connaissance.
Oui, c’est à la Musique que la révolu
tion doit cette couleur vraiment nationale
qui la distingue c’est à son magnétisme
5

que des insurrections prêtes à éclater, ont


souvent changé de caractère : et plus d’une
fois des instrumens pleins d’harmonie ont
pris Ja place du canon et de la loi martiale.
Si l’on eût conduit au champ de Mars la
Musique des Bataillons Parisiens, au lieu
du drapeau rouge on aurait calmé les
,
motionnaires par une subite métamor
phose des esprits. Lisez le philosophe
Montaigne; il vous dira que les Légis
lateurs Grecs connaissaient le pouvoir de
la Musique, et que son père le faisait
éveiller tous les matins au son des ins
trumens. Ce n’est pas cette éducation que
( 2 $4 )
reçut le sombre et farouche CromweL
Ces fêtes Nationales et mémorables de la
Fédération, de la soleinnité funèbre des
citoyens morts à Nancy, des funérailles
de Mirabeau, de l’apothéose de Voltaire,
dénuées de la ^Musique, ces cérémonies
n’eussent été que dés tableaux sans effet.
Je laisse aux bons esprits, aux âmes
sensibles à
,
finir
ce commentaire. C’est à
eux qu’il appartient de faire la motion
patrio-politique par laquelle il soit établi
,
un conservatoire militaire qui remplace
rait les Ecoles supprimées dans les ci-de
vant Métropoles. Les enfans de la Garde
nationale iraient gratuitement prendre des
leçons de Musique. Dans 3 ou 4 ans, nous
entendrions 5 ou 600 jeunes citoyens se
réunir à leurs maîtres, et former avec eux
des concerts civiques, dignes des beaux
jours d’Athènes.
Je dois payer ici un tribut de reconnais
sance au bon et sublime Gossec qui, dans
ses hymnes savantes, à toutes les époques
nationales n’a cessé de nous faire en
,
tendre sur tous les tons, les symphonies
,
ravissantes de la Liberté.
1 er Novembre 1791.
Je crois plaire à mon Lecteur en lui rap-
peîlant ce que je viens de lire dans les
Pensées de Pascal, petit format, p. 114.
» Depuis que l’on a imaginé d’attester
juridiquement les miracles, on en a vé
rifié un grand nombre, et personne n’y a
cru même parmi ceux qui se feraient
5

égorger pour d’autres miracles plus anciens


et transmis seulement par la voix publique.
En général, la croyance pour les miracles
augmente en raison de leur antiquité et de
l’obscurité des preuves «.
» Craig prétend, d’après un fort beau
calcul sur la loi selon laquelle décroissent
les motifs de crédibilité, qu’il n’y aura
plus, en 3io5 de motifs raisonnables de
,
croire la religion Chrétienne. Il en conclut
qu’alors il n’y aura plus de foi sur la terre,
et que le monde finira «.
»Un compatriote de Craig (Pierre Pe-
terson) , a résolu le même problème : mais
ilassigne une autre loi au décroissement
des motifs de crédibilité \ et il prétend que
( )
2.56
c’est vers 1789, que la religion Chrétienne
cessera d’être croyable. Il en conclut,
comme Craig, la Jin du monde; et ce
qui le confirme dans son opinion, c’est
que la comète de 1661 doit reparaître vers
la même époque «.
Il est bien vrai que l’on attendait une
comète vers 1789. L’Académie des Scien
ces avait même proposé un prix de douze
mille livres, à qui saurait l’annoncer. Mes
sieurs les Savans ont pris le change sur la
prédiction. Ils ont cherché ce phénomène
dans les cieux, et ne se sont pas avisé de
regarder sur la terre. La comète qui a
paru sur l’horison de l’Europe, c’est la
Constitution. La Jin du monde qu’elle
devait amener, c’est la fin d’un monde de
nobles, de déprédateurs, de tyrans. La
religion Chrétienne qui doit cesser d’être
croyable, est ce fantôme ultramontain qui
étendait sur nos aïeux le sceptre de l’opi
nion , et les tenait dans un aveuglement
funeste. La Constitution est le salut des
Français, et l’espoir de tous les Peuples.
C’est la véritable comète qu’avait annoncé
Pierre Peterson.
Autre
( 2^7 )
Autre remarque non moins étonnante.
Je lis dans Bossuet, que le gouvernement
patriarclial a été suspendu Fan du monde
1789, à l’époque de l’institution des Rois,
sous Nenu'od Le chasseur, arrière petit-fils
de JSloé. Notre révolution arrivée l’an de
l’ère chrétienne 1789, doit faire reprendre
son cours au régime purement patriarclial,
par le choix que nous ferons pour nos ad
ministrateurs et représentans, de nos sages,
de nos vieillards, Seniores, véritables sei
gneurs, ou magistrats. Ce rapprochement
remarquable semble l’effet d’une provi
dence toute divine. La Nature a donc ses
révolutions certaines au moral comme au
physique.
Reste un intervalle de quatre mille ans
entre ces deux époques. Ces pages de l’his
toire souillées par les guerres, la tyrannie
et toutes les usurpations des Rois, seront
déchirées et bannies à jamais de la mé
moire des hommes. Le règne de la loi,
qui date de 1789, a mis fin à l’empire de
la force. Et lorsque nos neveux voudront
se rendre compte de la comète de 89, ils
se rappelleront la Constitution.
R
8 Novembre 1791. 11a

Ce qui est plus redoutable que les No 11

bles les Princes et les Prêtres $ c’est le trr

,
manque absolu de police ) c’est le génie (I
\f
municipal qui ordonne que par la nuit la
,
plus noire, les réverbères soient éteints à
onze heures , et quelquefois avant. On ne
du

peut cheminer qu’à tâtons, à la pâle lueur ap]

de deux ou trois lampes lointaines et mou


rantes , et cela sous le prétexte de la lune
qui doit faire les frais de l’illumination 5
mais il suffit d’un ciel nébuleux, ou d’une
averse pour déranger ce calcul.
C’est un véritable ménage de bout de
chandelles mais qui n’est pas de saison
,
dans un tems où les prisonniers échappent
du Châtelet, où la ville est remplie de vi
sages étrangers dans un tems où les en
5

nemis du dehors se coalisent avec les en


nemis de l’intérieur.
Ilest triste de se rappeller qu’une demi- 80

douzaine d’Exempts de l’ancien régime, il


entretenaient dans Paris un ordre admi
rable vanté dans toute l’Europe, et de
,
( 259 )
voir aujourd’hui quarante Municipaux en
écharpes siéger gravement comme des Sé
nateurs , et ne s’occuper de rien. Ils se
raient, je crois, fort embarrassés de mon
trer au public le journal de leurs magnifi
ques séances. On n’y verrait que des dé
penses et des complimens.
On en revient toujours à la méchanceté
du peuple. On vous dira gravement qu’il
appelle liberté ce qui n’est que licence, et
qu’il ne connaît ni frein, ni loi.
Un fait vaut mieux que cent raisonne-
mens. Cette boutique, contre laquelle vous
êtes adossé, est sans contredit la plus belle
et la plus riche. Eh bien, entre cette col
lection éblouissante de plus de deux mille
louis de bijoux, et les allans et venans, il
n’y a qu’un léger carreau de vitres. Dans
les plus grandes crises de la révolution, le
marchand a toujours étalé ses richesses 5

elles ont toujours été admirées et respectées.


On parle sur-tout des malheurs occa
sionnés par la funeste passion du jeu. On
a fait de gros livres sur cette maladie mo
rale j mais il en est de ces longues disserta
tions comme des traités sur le bonheur ou
R2
( 2.ÔO )
sur l’amour. Les gens heureux et les amans
sont précisément ceux qui ne les lisent
point. Vouloir défendre le jeu, c’est vou
loir détruire l’imagination c’est entre
5

prendre de chasser du cœur humain la


crainte et l’espérance.
Il est très-impolitique, je dirai presque,
il est absurde , de défendre ce qu’on ne
peut empêcher. Faire des loix dans la
certitude qu’on doit les enfreindre ; c’est
blesser également la dignité de la loi et du
Législateur c’est en quelque sorte faire
5

des coupables pour avoir le coupable droit


de les punir.
Le jeu est devenu un mal nécessaire. Il
en faut diminuer les inconvéniens j il faut
les faire tourner au profit de la société, et
changer les tripots, les cavernes de voleurs,
en un spectacle national. On y porterait
tout le numéraire qu’on va livrer au tapis
verd de Spa, de Francfort, d’Aix-la-Cha-
pelîe j et l’on trouverait dans le sein de
Paris ces grandes Redoutes ces magnifi
,
ques assemblées, qui enrichissent à nos
dépens nos voisins et nos ennemis.
Je me représente, par exemple, le Cir-
( 261 )
que du Palais-Royal, qui aurait à ses ex
trémités deux grosses banques avec des
,
danses au centre de la salle un excellent
,
orchestre, une illumination brillante. Ce
foyer d’amusement deviendrait bientôt le
rendez-vous de tout ce que la Capitale ren
ferme de plus riche et de plus animé. Les
étrangers y accourraient de toutes parts 5
nos seigneurs les émigrés cesseraient de
bouder en Westphalie, et viendraient faire
sauter les banques de ce grand Saîlon. Les
Grâces en feraient les honneurs. Alors plus
de triples grilles qui, comme le Plilégéton,
renferment les furies, la rage et le dé
sespoir. Plus de Cerbères aux portes pour
en défendre l’entrée 5 plus de ces bandes
joyeuses qui viennent rançonner les joueurs
timides 5 en un mot, plus de brigandage :
et ce spectacle public fournirait plus sou
vent une comédie de Regnard, qu’une
tragédie de Béverley.
On ferait un long chapitre des réformes
indispensables, et qui, vingt fois répétées
chaque jour, composent la vie de chaque
citoyen. Je m’arrête à un seul fait qui tient
à la circonstance*
R 3
( 262 )
Tous les jours, à sept heures du matin,
cinq à six soldats nationaux passent avec
un tambour qui réveille sans pitié les ma
lades. II 11’est point de jeune femme dans
un état de grossesse avancée qui ne s’en
plaigne hautement.
Les réflexions sont inutiles. Je me con
tenterai de citer ce que je lisais hier dans
les commentaires de Gerai'd TVanswieten.
Par une loi pleine d’humanité et de sa
gesse , il est défendu à Harlem de faire
quelque chose qui puisse troubler la tran
quillité d’ame nécessaire à une femme en
couche : on met un signal à la porte de la
maison, afin qu’aucun Huissier, Commis
saire, ou autre Officier de Justice, en le
voyant, ne puisse y entrer. La Républi
que veut qu’on ait cet égard pour celle qui
vient de lui donner un citoyen.
Les Hollandais accoutumés dès leur
,
enfance à respecter les femmes enceintes,
ont grand soin d’éloigner tout le bruit du
voisinage. Imitons un aussi bel exemple.
Ce n’est pas tout de poser les principes du
bonheur social 5 c’est encore des résultats
que dépend notre existence individuelle j
( *64 )
BÛr ces Messieurs sont bien faciles cle l’obli
gation que leur impose la loi. Car un mé
daillon, un ruban, a toujours une certaine
figure d’aristocratie qui offense l’égalité ,
sur-tout dans une assemblée particulière.
Il s’agirait donc de savoir si , à toute
rigueur , les Juges de paix , modèles des
bons citoyens, ne pourraient pas se dis
penser de porter ce médaillon d’or5 lorsque,
loin de leur Section, admis dans une so
ciété ou dans un club, ils causent familiè
rement avec leurs amis. Qu’aurait-on dit,
sous l’ancien régime, de voir toujours un
Maréchal de France avec son bâton fleur-
deïysé, un Capitaine des Gardes-du-Corps
avec son bâton blanc, un Exempt avec sa
baguette d’ébène, un Huissier avec sa ba
guette d’ivoire? Ils ne se sont jamais ex
posés à une semblable dérision.
J’ouvre le Concile national 5 voici tex
tuellement le Décret.
» Les Juges de paix peuvent ( et non doi-
vivent) porter, attaché au coté gauche de
» l’habit, un médaillon ovale en étoffe ( et
» non en or) , bordure rouge, fond bleu,
» sur lequel sont écrits en lettres blanches
yd K E C D T E.
O 20 Novembre 1791.
Je
me suis quelquefois exercé au mono
logue ; mais absolument obtus pour le dia
logue, je laisse aux habiles le sujet d’un
Drame aussi touchant que patriotique. Je
leur offre pour modèle la narration simple
et naïve d’un bon Suisse qui m’a raconté
cette histoire.
( 266 )
A l’époque malheureuse de l’exécrahle !tf
affaire de Nanci, 22 Soldats du régiment y!

de Château-Vieux? furent condamnés à la te» 1

mort. Ce cortège lamentable s’avançait len Jm'i

tement vers le lieu du supplice par une rue Joê

I
fort étroite. L’un de ces Soldats profite de
t
*

la presse pour se glisser furtivement dans


une allée. C’était la maison de sa maitresse. dsi

Les 21 victimes sont sacrifiées. Une soi

seule manquait à cette boucherie humaine.


On cherche de toutes parts : les perquisi
tions sont inutiles on est persuadé que cet
5

infortuné a trouvé le moyen de sortir de la


ville. On renouvelle encore les recherches \
car Bouille n’est pas rassasié de sang. Mais
la maitresse du jeune soldat l’avait caché
dans un grenier. C’est-là qu’elle le nourrit
trois mois à l’insu de ses parens. L’Amour,
que des Moralistes sombres peignent comme
un crime, est un bienfait du Ciel lorsqu’il
5

essuie les larmes de l’innocence et du mal


heur.
Un fermier du Canton de Basle avait
appris le carnage de Nanci, et l’horrible,
exécution des Suisses. Inquiet sur le sort
de son fils qui était avec eux et dont il ne
C 267 )
reçoit point de nouvelles, il vole dans cette
ville de douleur. Sa bouclie tremblante in
terroge plusieurs citoyens. O11 pleure avec
lui ; mais hélas ! personne ne peut lui
donner de renseignement. Enfin un rayon
d’espoir luit aux yeux du vieillard; il ap
prend que son fils n’est pas mort. Un Sol
dat du régiment lui dit : Philippe allait
souvent dans une maison que je vous in-
diquerai; peut-être pourriez-vous savoir
1a, de ses nouvelles.

Le père y court, interroge la fille du


logis. Celle-ci craignant de trahir son ami,
assure qu’elle ne sait pas ce qu’il est de
venu. Dans la conversation , le fermier
Suisse avait parlé de sa famille, du nom
bre de ses enfans, et de plusieurs autres
détails qu’elle avait souvent entendus de
la bouche même de Philippe. Malgré des
indices aussi certains, elle garde obstiné
ment son secret.
Un mot, un rien, tout nous fait peur
Quand il s’agit de ce qu'on aime.
Elle promet qu’elle fera des recherches ;
et prie l’étranger de repasser dans une heure.
A peine est-il sorti, qu’elle monte au
( 263 )
grenier, dépeint au malheureux soldat la
figure de l’honnête homme qu’elle vient
de voir, et répète ce qu’il a raconté. C’tst
mon père! s’écrie le jeune homme. L’heu
re , c’était un siècle, l’heure n’était pas
écoulée que le bon Suisse reparaît. La
jeune personne le conduit au grenier, et
lui remet son fils.
C’est ici que mon historien s’attendrit.
On voulait, me disait-il, faire peur à ce
bon père ; mais il s’élance dans les bras de
son fils, et le serrant contre son sein, je
défie, dit-il, Vhorrible Bouille et tous ses
bourreau oc, de m’arracher mon pauvre
Philippe. Aussi-tôt les yeux baignés de
larmes, il prend la main de cette géné
reuse fille, la place dans celle de son fils,
et bénit leur union. Ils attendent la fin du
jour pour sortir de la ville. Ce couple heu
reux est aujourd’hui à Basle, et réjouit la
vieillesse du meilleur des pères et du
,
Suisse le plus franc des i3 Cantons.
Jusques à quand la majesté nationale
souffrira-t-elle que des étrangers à sa solde
viennent exercer la souveraineté de leur
justice barbare au milieu de nos villes! Que
loix, qui
des réfractaires à nos nouvelles
auraient commandé la Saint-Bartlielemi,
soient immolés à la vengeance du peuple ;
certes ce n’est pas là ce qui fait une tache
à la Constitution $ mais que 22 hommes
,
défenseurs de notre bonne ville de Paris
au moment de la révolution, soient assas
sinés juridiquement, et quarante condam
nés aux galères, lorsqu’un seul mot d’ex
plication pouvait tout concilier voilà ce
5

qu’il faut effacer des pages de notre his


toire de 1790.

2/j. Novembre 1791»


Enfijnt voilà le Maire de Paris nommé
suivant le mode d’élection populaire que
je voudrais voir adopté pour nos représen
tais à l’Assemblée Nationale. Je le de
mande à mes chers collègues les Electeurs :
l’intègre Pètion serait-il aujourd’hui notre
premier Magistrat si son élection avait
,
été faite par l’Assemblée Électorale? Non
certes et nous avons regardé comme une
5

véritable conquête sur le club Feuillantin


de la Sainte-Chapelle la nomination des
y
f 270 )
"Prieur et des Rœderer. C’est la volonté
bien connue de Paris qui en a fait Maire
le plus constant défenseur de la Liberté ;
ce sont près de sept mille Citoyens sur
dix mille, qui ont écrit qu’ils le voulaient
5

et si le patriotisme, plus répandu, avait


porté dans les Sections cent mille citoyens
actifs il aurait eu soixante-dix mille voix.
,
Je le répète, c’est par un assentiment
presque universel qu’il serait beau, qu’il
serait consolant d’être nommé Administra
teur, Métropolitain, Juge, ou Représen
tant de son pays. Tel homme dont on a
parlé vingt-quatre heures, et dont on ne
parlera plus, poussé dernièrement à l’As
semblée Nationale par une cotterie, serait
encore aujourd’hui dans son intrigante nul
lité s’il avait fallu mériter et réunir ainsi
,
les suffrages des deux tiers de Paris.
Espérons que le nouveau Maire va ra
mener dans cette grande ville tout ce qui
fait la sécurité des Citoyens, et tout ce qui
peut rappeller les émigrans et les étrangers.
S il n’en est pas ici comme à Londres,
pour le relief de cette première place de la
Cité j au moins ne refusons rien à l’honnête
C
27 l )
homme qui en est pourvu, de tout ce qui
tient à la confiance, au traitement.
La place du Lord-maire est aussi lucra
tive qu’honorable. La ville de Londres le
regarde comme son Roi } aussi est-il pres-
qu’obligé d’en mener le train. Le nombre
des gens à son service, ses équipages ma
gnifiques sa superbe livrée, les personnes
,
que cette charge attache à sa suite et qui
l’accompagnent, tout sert à lui donner de
l’éclat. Il nous rappelle notre ancien Maire
du Palais. Il porte le titre de Mylord>
Monseigneur, et le Roi lui-même le lui
donne. Il a les plus beaux droits et en
grand nombre. Il faut avoir sa permission
pour faire passer des troupes par la Cité}
il la faut pour y faire des enrolemens ou la
presse. Il a l’inspection sur la Tamise. Il
peut vendre beaucoup de charges subal
ternes } et, de ce monopole, il se compose
toujours un immense revenu.
Pour nous, dont la Constitution remonte
aux droits de l’homme, et non pas au pro
tectorat de Cromwel; nous qui ne recon
naissons par-tout que l’égalité civile} qui
n’avons ni livrées, ni seigneurs, ni pri-
( 272 )
viléges, ni rien de vénal il serait juste de
5

récompenser généreusement le citoyen cou


rageux et point riche qui veut bien consa
crer son génie et son tems, je dirai plus ,
sa réputation acquise, à veiller sur nous,
et à nous montrer par-tout la protection
de la loi. Voilà ce que je répondais ces
jours-ci à l’intrépide Spartiate Taillandier,
qui trouvait le traitement de notre Maire
beaucoup trop considérable.
Louis XVI , qui est le Lord-maire de
France, entend sans doute que le Maire de
Paris soit respecté et s’il trouve quelque
5

fois des effrontés qui insultent en sa per


sonne la Constitution, il peut dire au Roi
ce que Sully disait à Louis XIII : » Sire !

quand votre père, mémoire,


de glorieuse
me faisait l’honneur de me consulter sur
ses grandes et importantes affaires au 5

préalable il avait soin de faire sortir tous


,
les bouffons et les baladins de Cour«. Mais
Pétion , qui joint les grâces de l’esprit à la
fermeté du Magistrat, et qui d’ailleurs a
voyagé avec les maîtres du château, n’aura
besoin que de se montrer pour se faire
craindre, ou pour se faire aimer,
1 er
*-

( 27 3 )

53.'! ier Décembre 1791.


L’Assemblee Constituante, qui
se
proposait de nommer un Gouverneur au
Prince royal, a cru devoir ajourner indé
finiment cette motion délicate ; c’est-à-dire
qu’elle abandonne à la sollicitude pater
nelle du Roi le soin de cette nomination.
Quoique la destinée de l’Empire Français
ne puisse jamais dépendre absolument de
la bonne ou de la mauvaise éducation de
celui qui gouverne, l’influence que sa per
sonne royale peut avoir sur la fortune et
les mœurs publiques, intéressera toujours
les bons citoyens.
Regis ad exemplum lotus compojiitur orbis.
Nous n’avons pas de Roi qui ait jetté
plus d’éclat que Louis XI)V$ et nous n’en
avons point qui ait été plus mal élevé.
Comme il n’y eut jamais de héros pour son
Valet-de-cliambre il suffit de copier La
,
Porte dans quelques anecdotes de la pre
mière jeunesse de cette majesté.
» Je fus le premier qui couchai dans la
chambre du Roi, ce qui l’étonna d’abord j
S
( 2 74 )
ne voyant plus de femmes auprès de lui.
Mais ce qui lui fit le plus de peine, était
que je ne pouvais lui fournir des contes de
peau d’âne avec lesquels les femmes avaient
coutume de l’endormir. M. de Beaumont
me donna l’histoire faite par Mezerai, que
je lisais tous les soirs d’un ton de conte ;
en sorte que le Roi y prenait plaisir ; et se
mettait fort en colère lorsqu’on lui disait
qu’il serait un second Louis-lc-jainéant
>3
Ayant remarqué qu’en tous ses jeux,
sa Majesté faisait le personnage de valet,
je me mis dans son fauteuil et me couvris ;
ce qu’il trouva si mauvais, qu’il alla s’en
plaindre à la Reine. Je répondis que puis
que le Roi faisait mon métier, il était juste
que je fisse le sien; et que je ne perdais
z'ien au change «.
Comme le Roi croissait; le soin de son
>3

éducation croissait aussi. L’on mettait des


espions auprès de sa personne, non pas de
crainte qu’on ne l’entretînt de mauvaises
choses ; mais bien de peur qu’on ne lui
inspirât de bons sentimens. Le plus grand
Crime dont on pût se rendre coupable, était
de faire entendre au Roi qu’il n’était jus-
( a75 )
tement le maître qu’autant qu’il s’en ren
drait cligne. Les bons livres étaient aussi
suspects dans son cabinet que les gens de
bien. Ne vous mettez pas en peine di
,
soit Mazarin, reposez-vous-en sur moi ;
il 7i’en saura que trop. Quand ilvient
au Conseil, il me fait cent questions sur
la chose qu’il s’agita.
Le Cardinal ne prenait aucun soin de
»
contenter sa Majesté en quoi que ce fut,
et le laissait manquer non-seulement des
choses qui regardaient son divertissement,
mais encore des nécessaires. La coutume
est que l’on donne au Roi tous les ans
douze paires de draps et deux robes de
chambre, une d’été, l’autre d’hiver. Néan
moins je lui ai vu servir six paires de draps
trois ans entiers ; et une robe de chambre
de velours verd fourée de petit gris, servir
,
l’été comme l’hiver pendant le même
,
tems ; en sorte que la dernière année, elle
ne lui venait qu’à la moitié des jambes ;
et pour les draps ils étaient si usés, que je
l’ai trouvé plusieurs fois les jambes passées
au travers, à nud sur le matelas. Toutes
les autres choses allaient de la même sorte j
S 2
( 276 )
tandis que les courtisans nageaient dans
l’opulence, et que le Cardinal mettait dans
son épargne deuœ cents millions de livres
tournois «.
« Lorsque le Roi voulait dormir, il exi
geait que je misse la tête sur son chevet,
auprès de la sienne et s’il s’éveillait la
5

nuit, il se levait et venait se coucher avec


moi. E11 sorte que plusieurs fois je l’ai
reporté tout endormi dans son lit «.
5)
Le Roi voulut un soir à Corbeil que
Monsieur couchât dans sa chambre : elle
était si petite, qu’il n’y avait que le pas
sage d’une personne. Le matin, lorsqu’ils
furent éveillés
,
le Roi, sans y penser,
cracha sur le lit de Mojisieur; qui cracha
aussi-tôt tout exprès sur le lit du Roi5 qui,
un peu en colère, lui cracha au nez. Moji-
sieur sauta sur le lit du Roi et pissa dessus :
le Roi en ht autant sur le lit de Monsieur.
Comme ils n’avaient plus de quoi cracher
ni pisser, ils se mirent à tirer les draps
l’un de l’autre et puis après ils se prirent
5

pour se battre «.
5)
Lorsque sa Majesté appellait Villeroi
son Gouverneur, et lui disait : M. le Ma-
( 2 77 )
réchall celui-ci répondait : Oui, Sire ?
avant de savoir ce qu’on lui voulait, tant
il avait peur de lui refuser quelque chose «.
» Le grand Coudé entre un jour dans le
cabinet du Roi qui étudiait. Comme l’en
fant Royal se tenait découvert : Sire lui
,
il
dit-il , faut que 'votre Majesté se
couvre; c’est bien assez irons faire d’hon
neur, quand elle daigne nous saluer «.
On trouve mille traits pareils dans la
Chronique de l’enfance de Louis JCIK.
Faut-il s’étonner qu’il ait été le plus igno
rant et le plus orgueilleux des hommes ; et
qu’après avoir commencé par faire le valet,
il ait fini par devenir le plus insolent des
Maîtres? Il n’appartenait qu’à lui seul
d’oser se faire peindre tenant à la main les
foudres de Jupiter, et foulant aux pieds
les peuples et les villes sous la ligure de
femmes éplorées-
Revenons à notre jeune Prince, et fai
sons des vœux pour qu’on lui inspire l’a
mour de ses devoirs qu’il fasse de la
5

Constitution son catéchisme, de la Loi sa


religion, et son bonheur de la prospérité
publique.
S 5

^ *—
( 278 )

Il y a
io Décembre
maintenant 5ooo Terres vendre
à
1791.

dans la France. Puisque ce sont des Terres,


elles appartenaient à des Nobles} et puis
qu’il n’y a plus de Nobles, elles vont ap
partenir à des Citoyens. La Révolution va
donc opérer, avec le reste de l’Europe, un
change lent et progressif, non-seulement
des espèces, mais encore des personnes.
La France aura des négocians, des manu
facturiers des laboureurs ; et l’Allemagne
,
aura des Nobles, des serfs et des girouettes.
Il faut aussi dire ce qui se passe à Rome.
Le Cardinal philosophe Zéladci, et quel
ques autres chapeaux rouges, invitent cha
que jour le Pape à recevoir gracieusement
la constitution civile du Clergé. De tout le
sacré Collège, le Saint-Père est presque le
seul qui résiste. Mais, depuis l’acceptation
du Roi, le crédit Pontifical baisse de 25
pour 100. Nos bons Evêques viennent de
lui adresser une lettre d’union et de fra 95 r.
i

ternité. L’apôtre de Prome ne se rend diffi 1


cile que pour tirer un meilleur parti d’Avi-
( 2 79 )
gnon. Mais en sus du denier de Saint-
Pierre pour la rétrocession du Comtat, je
proposerais volontiers d’offrir à sa Sainteté
deux millions huit cents mille livres de
théologie trouvés dans les bibliothèques de
nos révérends pères Capucins, Cannes ?
Récollets Cordeliers Minimes Picpus,
, , ,
Ignorantins , et autres savantes Congréga
tions. Ce pot-de-vin ne peut manquer d’être
accueilli au-delà des monts. C’est un legs
pieux fait au Dieu du Tibre, qui convient
parfaitement à la générosité Française.
Comme la fortune se joue des ambitions
humaines ! Comme elle dérange quelquefois
les projets du Saint-Esprit ! Benoît XIII,
au commencement de ce siècle aimait
,
beaucoup le jeune Prélat Santa Maria ,
et l’avait fait Cardinal in petto. Le souve
rain Pontife à l’agonie voulut enfin dé
,
clarer son favori. Il prononçait la formule
créatrice en présence des Cardinaux qui
l’entouraient : Hahetisjratrem Santa Ma•
ria. Mais le Cardinal Albanie pour em
pêcher la promotion du jeune Prélat qu’il
n’aimait point, feignait de ne pas entendre
le Saint-Père j et chaque fois qu’il répétait
S4
( a8o )
cle sa voix affaiblie Santa Maria, le rusé
Albani lui répondait ora pro nobis.
:
Par cette pieuse fourberie, cette litanie de
Machiavel, il faisait croire aux assistans
que le Pape invoquait la Vierge ; et non
pas qu’il songeait à son bien-aimé. Be
noît JCIII mourut , et Santa Maria ne
fut point membre du sacré Collège. Il est
mort, il y a quelques années, simple Prélat.
On écrit de Rome que la même comédie
vient d’être jouée. L’Abbé Maury entrait
au palais du Vatican, au moment où le
Saint-Père venait de tomber en apoplexie.
Chaque fois que Pie VI prononçait la for
mule cardinale, habetis fratrem Maury ;
un Sacripanti revêtu de la pourpre répon
dait pieusement : mori in pace. L’un en
tendait Maury Cardinal, l’autre mori>
mourir en paix. L’exaltation du candidat
est renvoyée, par cette ruse romaine , aux
kalendes grecques.
Ces sortes de calembours latins se trou
vent jusques dans l’Évangile Tu es pe-
:

trus , et super liane petram , etc. Cela me


rappelle ce bon Religieux qui mettait un
domino pour aller au bal j et qui pour
( a8i )
,
sanctifier sa métamorphose, disait: Beciti
qui moriuntur in domino.
Le Saint-Père va fulminer une Bulle
d’interdiction sur le Royaume de France ,
et sur le Roi constitutionnel des Français,
son ci-devant fils aîné. Il se trouve pour
tant à Rome quelques bons esprits qui
s’opposent à la proclamation de ce Bref.
Us font grand’peur à sa Sainteté que l’on
ne fonde à Paris une religion gallicane,
comme sous Henri VIII, on vit s’établir
à Londres une religion anglicane. Us lui
font peur que les crédules Romains ne s’a
visent un beau jour d’examiner la fable de
r /
la fondation de l’Evêché de Rome par St.
Pierre, qui ne mit jamais le pied à Panne.
Us lui font peur que l’on ne lui demande
à voir ses titres de souveraineté sur l’héri
tage des Césars. Us lui rappellent que les
Conciles OEcuméniques ont toujours traité
les décrétales des Papes, comme l’Assem
blée Nationale de France a traité les arrêts
du Conseil. Us craignent qu’il ne se trouve
en Théologie un érudit malin qui, avec la
plume de Biaise Pascal, ne pulvérise cette
fausse monnoie de la religion.
f 202 )
Eh ! que dirait-il, si, tout-à-Pheure un
,
bon Catholique, après avoir respectueuse
ment baisé sa mule , lui pariait ainsi :
« Très-saint-Père, vous êtes un ante-christ,
ou anti-christ, selon la force du mot celui
5

qui fait tout le contraire de ce que le Christ


a fait et commandé. Or , le Christ a été
pauvre, et vous êtes très-riche il a payé le
5

tribut, et vous exigez des tributs il a été


5

soumis aux Puissances, et vous êtes devenu


Puissance il marchait à pied, et vous allez
5

en carrosse j il mangeait tout ce qu’on lui


donnait, et vous voulez que nous man
gions du poisson deux fois par semaine,
quand nous habitons loin des rivières et
de la mer il a défendu à votre prédéces
5

seur Simoji Barjone de tirer Pépée, et


vous avez des épées à votre service 5 donc
vous êtes anti-christ. Sur ce je vous de
mande indulgence in articulo mortis«. Il
est vraisemblable que , peur toute réponse ,
sa Sainteté ferait loger mon homme dans
son château Saint-Ange.
Nous allons donc être excommuniés. Les
gens d’esprit s’en mocqueront ; les imbécilles
s’effraieront et les coquins s’en serviront.
5
( ^83 )
Le 'sacré College est d’accord avec le
sacré Maury pour l’émission d’une Bulle,
au moment de la guerre déclarée par la
coalition des Princes. Qui dit huile, dit
une boule de cire ou de plomb suspendue
aux parchemins qui excommunient les sau
terelles les Rois, les possédés les héré
, ,
tiques ou les philosophes.
,
On assure que le serviteur des serviteurs
de Dieu a voulu voir au clair la somme de
nos biens Ecclésiastiques. Quatre milliards
hienprouvés a-t-il dit ! Il s’est trouvé mal.
,
Il a pourtant fallu achever le tableau. La
France en a déjà vendu pour plus d''un.
milliard et demi. Cette même Nation, sans
crainte et sans scrupule,
Cha nge en écus l’or qui couvre les Saints,
Boit le muscat des Pères Bernardins,
Et manquer à Jésus, à Marie,
sans
Change un grand cloître en une métairie.

Si Pie VI était de cœur etd’esprit, le


successeur de Saint-Pierre* au lieu de pos
séder un Royaume en Italie, il se borne
rait , comme son modèle, à soupirer pour
le Royaume des Cieux. Il ne se ferait pas
appellcr Sainteté$ titre qui ne fut pas
( 284 )
même donné à Jésus, lequel au lieu de
'votre Sainteté, de votre Divinité, se con
tenta du nom de maître, comme chef de
sa doctrine, magis ter $ et qui disait aux
Apôtres : Il n’y aura parmi 'vous, 7ii
premier, ni dernier', titre qui ne se trouve
par conséquent ni dans les Actes des Apô
tres , ni dans les écrits des Disciples titre
5

que les Conciles OEcuméniques qui sont les


Etats-généraux
r
de l’Eglise,
r
ont toujours re
poussé comme la Constitution Française
5

qui ne prononce jamais le mot sire, le mot


majesté : et loin de cabaler contre les Sou
verains et de leur lancer des anathèmes,
,
Pie leur donnerait pieusement l’exemple
d’une obéissance aveugle, suivant le pré
cepte de Saint Paul qui avait bien autant
d’esprit qu’un Pape, omnis anima potes-
tatibus sublimioribus subdita sit : de ce
même Saint Paul qui permettait à ses Prê
tres de se marier, et leur disait : melius
est nubere quàm uri.
Home moderne qui, dans le pays des
beaux arts et des chef-d’œuvres de l’anti
quité sur une terre jadis habitée par un
,
peuple de Rois, renferme le monachisme
?
( 286 )
Le Parlement lui-même donne le ton du
régime civil et de l’emploi des heures. Après
avoir discuté les grandes questions de l’État ;
la table , la société , les spectacles finissent
la journée ; en un mot, c’est là que l’on
écrit le matin, et que l’on respire le soir et.
Le Ministre, homme d’esprit, n’a pas
été mécontent de cette réponse; car, pour
son compte, il aimerait à faire succéder le
délassement de la causerie au travail de la
pensée.
La déférence que nous devons à nos TLe-
présentans n’aurait-elle pas dû changer nos
vieilles coutumes? Pendant six mois de l’an
née le soleil nous éclaire jusqu’à sept heu
,
res , soit par lui-même, soit par le cré
puscule. En n’ouvrant donc les Spectacles
qu’à sept heures pour huit, vous laissez à
tous les travaux manuels le tems qui leur
est assigné par la nature; et puisque nous
n’avons pas des veillées comme nos pères,
nous irions, de huit à onze heures, veiller
avec les personnages célèlires de toutes les
ÜSTations.
Un Administrateur qui, le premier, ou
vrirait son théâtre à cette heure, rendrait
( aS 7 )
Un grand service à la chose publique. Il
distrairait la plupart des oisifs qui remplis
sent les tripots de jeu $ et son spectacle se
rait précisément la réunion de toutes les
personnes qui ne peuvent accorder leurs
affaires ou leurs repas avec l’heure des
autres spectacles.
Rien n’est moins indifférent que ce ré
gime absolument physique de nos occupa
tions et de nos plaisirs. On se soumet vo
lontiers aux loix de l’habitude 5 mais nos
maladies ne sont le plus souvent que le
résultat de cette obéissance à la routine.
Je viens de voir Sémiramis, C’était vé
ritablement la Reine de Babylone. Il me
semble que l’on ne parle pas assez du ta
lent sublime de la célèbre Sainval. Il y a
des situations où Voltaire eût été dans le
ravissement. Il aurait reconnu dans l’Ac
trice inimitable tout l’esprit du rôle qu’il a
créé : en vain la tiédeur ou la jalousie di
raient que sa déclamation est outrée, que
son jeu, que l’élan de son ame l’emporte
au-delà de la nature et du vrai: pour moi
je suis de l’avis de Baron. Les règles de
l’art ne sont pas faites pour rendre le génie
( 288 )
esclave. Les règles défendent, disait il ,*
-
d’élever les bras au-dessus de la tête;
mais si la passion les y porte , ils feront
bien. La passion en sait plus que la règle.
Il faut l’avouer , ce sont de grands ta
bleaux que Sémiramis Alzire > ou JVTé-
,
rope ; et c’est un bien petit cadre que celui
de nos Théâtres : mais à force d’art, on
fait oublier ce défaut de proportion. Je de
mande seulement au décorateur que l’om
bre terrible de Ninus ne sorte plus d’une
petite loge, où j’apperçois une jolie femme
qui ferait revenir un mort ; mais que je
la voie s’avancer du fond du théâtre. La
perspective prêtera bien davantage à l’il
lusion. Cette scène sous les yeux embar
rasse l’esprit, plus qu’elle 11e l’effraie. Dans
le lointain, elle est toute vraisemblable, et
produit un plus grand effet major è lon-
5

ginquo reverentia.
Au reste, je ne parlerai pas plus long-
terns d’un plaisir auquel il faut que je re
nonce. Les jouissances de l’esprit sont un
peu contrariées par les peines du corps. Je
voyais, autour de moi, beaucoup de per
sonnes se plaindre de ce que les banquettes
n’ont
( 289 )
îl’ont pas de dossier. Pour que le théâtre
soit un délassement, il 11e faut pas qu’il
tienne le corps des spectateurs trois heures
de suite dans une attitude droite et péni
ble. Sans doute l’entreprise qui tiendrait le
parterre debout, serait une véritable im
pertinence mais payer plus ou moins cher,
5

non-seulement pour être assis mais encore


$

pour être assis à l’aise , 11e serait pas un


mal. Les loges sont, à cet égard, aussi mal
arrangées que l’orchestre.
A Londres, où les spectacles commen
cent à 7 heures, le public est assis sur des
banquettes à dossier. Celui qui ne veut
point de la grande Pièce, ne paie que pour
la seconde ; et la liberté des théâtres force
les Entrepreneurs à tous les moyens de
réussir et de plaire.
Aujourd’hui que les citoyens sont comp
tés pour quelque chose, il y aurait encore
bien d’autres pétitions à faire pour en
composer la félicité publique qui tient de
si près aux jouissances domestiques et quo
tidiennes. Un homme d'esprit disait : Le
plaisir est en chambre garnie, et le bon
heur est dans ses meubles.
( 290 )

Il n’y a presque
28 Décembre 1791.

point d’années où la
Rage n’emporte quelques victimes. N’y
aurait-il point de remède efficace contre
cette horrible maladie ?
En 178^, un chien enragé entra dans un
attelier où l’on faisait de l'huile j il lit trois
morsures aux jambes d’un ouvrier qui, en
fuyant, se précipita dans une chaudière a
moitié pleine d’huile. Son camarade vint à
son secours ; il assomma le chien : mais dans
le combat il fut mordu sans tomber dans
l’huile, ainsi qu’avait fait l’autre. Il en
mourut, et le premier n’en fut seulement
pas malade. Le chien avait mordu d’autres
chiens. Leur maladie se manifesta quelques
jours après et ils la communiquèrent à
,
plusieurs habitans. Un Médecin tira parti
de l’aventure des deux ouvriers il pensa
5

les malades avec de l’huile mise aussi-tôt


sur la morsure : il changeait souvent les
compresses , et même il leur en faisait
boire un peu. Aucun n’en mourut, et tous
ceux qui ne s’adressèrent pas à lui, péri-
( 2 9* )
rent dans les plus affreux tourmens.
Si Phuile est propre à préserver de cette
terrible maladie, le vinaigre est propre à
la guérir. J’ai lu ailleurs qu’un malheureux
homme, dans les convulsions de la rage
,
trouva par liazard , sous sa main , une
bouteille de vinaigre ; il la but, et fut
guéri. Un médecin, dans une pareille oc
casion fît boire à son malade une pinte de
,
vinaigre à trois reprises dans la même jour
née et le guérit. Cette expérience fut en
,
core répétée une autre fois, et réussit.
Tout le monde peut employer ce remède.
Il semble même que l’hydrophobe qui a
l’eau en horreur, n’a point de répugnance
à boire du vinaigre qui le désaltère, le sou
lage et le guérit.
Entre le tems de la morsure et celui de
la rage, il s’écoule ordinairement quarante
jours. Dans cet intervalle, on a employé le
mercure avec succès.
Un fer chaud appliqué sur la morsure,
prévient la rage, et n’est jamais sans effet.
A l’Isle de France, au Cap de Bonne-Es
pérance on la guérit en faisant boire à
,
celui qui en est attaqué un verre de
,
T a
( 292 )
jus d’oignons écrasés et mis en presse.
Quatre cautères faits à la personne mor
due, donneraient une issue au poison à
mesure qu’il fermente dans le sang, et
préviendraient la rage. C’est ainsi qu’en
portant habituellement un cautère à Cons
tantinople on assure que l’on n’y est ja
,
mais attaqué de la peste.
En Prusse, le célèbre Schmcicker? Chi
rurgien , guérit la rage, en commençant
par scarifier la plaie. Il cause ensuite, au
moyen de la poudre de cantharides, un
ulcère. Il fait avaler en même-tems du sel
de nitre et du camphre. Et de huit per
sonnes ainsi traitées, aucune 11’a péri.
En 1785, les Etats de Béarn publièrent
des remèdes éprouvés contre la morsure
des chiens et autres bêtes enragées, et
contre les piquûres venimeuses des serpens
et des vipères.
Après de semblables exemples com
,
ment s’est-on permis d’étouffer, il y a huit
jours, deux jeunes personnes, pour les
quelles il fallait au moins essayer tout ce
que l’art fournit de remèdes 5 pour les
quelles il fallait employer tout, excepté la
( 2(jr3 )
mort. Les convulsions déchirantes de deux
faibles créatures sont-elles donc si difficiles
à contenir ! L’usage de l’opium, d’après la
recette connue de l’Abbé Rousseau ? don
nerait le tems au malade de respirer , aux
assistans d’appliquer le remède : enfin
lorsqu’on appelle un Médecin, c’est pour
guérir, et non pour tuer.
Cette barbarie rappelle l’usage du quin
zième siècle. On jettait dans la rivière
hommes et femmes qui étaient attaqués de
maladie vénérienne, ou de la rage.
On invite le Maire de Paris à mettre en
vigueur les anciennes ordonnances de po
lice, qui faisaient assommer sans pitié tous
les chiens que l’on rencontre la nuit, égarés
dans les rues. C’est ainsi que l’on en use
à Versailles, même le jour, à l’égard des
chiens qui courent dans la ville sans être
accompagnés. J’estime qu’il y a dans Paris
près de 5o mille chiens : avec ce qu’ils dé
vorent , on ferait vivre, on aiderait à sub
sister zo mille pauvres, et Ton ne crain
drait pas les accidens de la rage.
Quoi! dans la capitale du monde, au
foyer des lumières et de toutes les con-
T o
( *94 )
naissances humaines, entourés de sayans
qui connaissent le ciel et la terre, vous êtes
égratignés par un misérable petit cliien; il
faut mourir dans les angoisses du dernier
supplice î il faut être étouffé ! Il y a bien
plus d’accidens causés par la rage, qu’il
n’y a de personnes tuées par la foudre :
vous ayez des paratonnerres pour garantir
vos têtes et vos maisons ; et vous consentez
à loger, à nourrir, à carrosser l’animal
vagabond qui peut, à chaque heure du
jour, malgré vos soins, rapporter chez
vous la rage et la mort !
Cet article est d’une grande importance ;
il mérite de nous occuper. La mobilité du
caractère Français rend les expressions de
sa sensibilité trop fugitives. On écoute avec
saisissement les relations de ce genre ; et
bientôt on les oublie. Une somme de 3
mille écus suffirait pour faire l’expérience
de tous les remèdes connus, et pour ad
juger un prix à l’inventeur du remède le
plus efficace. Je propose à quelques phi-
lantropes de composer cette somme ; et
j’offre, pour ma part, un assignat de cinq
cents livres.
( 295 )

2 Janvier 1792.
Je vois tous les jours d’excellens citoyens,
assidus observateurs de l’Assemblée Na
tionale qui regrettent de ne pas entendre
,
de ces discours improvisés, et dont il sem
ble qu’un Orateur reçoit tout-à-coup le
sentiment, comme l’effet du magnétisme.
On 11e manque pas de citer les discussions
du Parlement d’Angleterre \ et l’on croit
bonnement que les phrases arrondies, telles
qu’on les trouve dans le journal d’un ré
dacteur ont été débitées comme elles sont
,
écrites.
La nation Anglaise s’est illustrée dans
la Philosophie, dans les sciences exactes et
la Littérature mais elle ne compte que
,
très-peu d’hommes qui se soient distingués
dans la carrière de l’éloquence. Elle n’a
pas encore à la tribune un Orateur qui
puisse honorer sa patrie. On sera surpris
d’apprendre qu’un discours étudié ne réus
sirait pas au Parlement : et l’on se prévien
drait contre un homme qui déroulerait un
cahier, et lirait sa motion. Burke, élevé à
T 4
( 296 )
Saint-Omer, nourri d'études collégiales,
en plaçant dans ses discours des figures de
Rhétorique, ennuyait sans persuader. Ou
préfère une discussion motivée, à l’arti
fice, à la préparation du style. Le Ministre
évangélique qui prêche la morale, en ré
citant le plus beau sermon, ferait vaine
ment usage de tout ce que le talent de la
parole a de plus sublime il n’aura pas le
5

secret d’émouvoir ses auditeurs, s’il 11’est


aidé du geste et de la voix. Il semble qu’en
Angleterre, pour parler à l’esprit, il ne
suffit pas de frapper juste, il faut encore
frapper fort. Et voilà précisément pourquoi
les Anglais se passionnent tant pour les
convulsions de Sakespear, et ne sont point
émus aux tragédies tendres et touchantes
de Racine.
Il en est à-peu-près de même dans l’Amé
rique Septentrionale. Du moment que la
Liberté a été assise sur une base solide et
durable, les membres du Congrès sont con
venus de ne présenter à leur assemblée que
l’initiative de toutes les idées qu’ils auraient
conçues pour le bonheur de leur pays. Cette
pratique est d’un usage tellement absolu
( 2 97 )

que l’on rappelle souvent à l’ordre celui


qui s’en écarte, lors même qu’il aurait le
droit de plaire.
J’entends dire que dans une assemblée
d’hommes instruits, comme la Législature
Française, où tant de patriotes sont animés
du zèle le plus ardent pour la cause com
mune , il ne devrait pas être permis de se
livrer à une éloquence oiseuse, où les cho
ses sont presque toujours sacrifiées aux pa
roles le fond à la forme, et le texte du
,
discours à l’art de l’embellir.
Mais chez une grande Nation qui se ré
génère, qui renverse les colosses de la Féo
dalité ces arbres mortifères qui dataient
,
de mille ans, et dont les rameaux ombra
geaient et desséchaient ses belles provinces,
dans un te ms d’insurrection, de vengeance
nationale, où tout est patriotisme, légis
lation, Droits des hommes, égalité, li
berté; tout prête malgré nous à l’éloquence.
C’est ainsi que l’Assemblée Constituante
imprimait au caractère Français cette grande
énergie qui commence à se communiquer
au reste de l’Europe, et se montre avec
tant d’éclat dans la Diète de Pologne. Les
( 2 9S )
foudres de Mirabeau ont moins rempli
d’espace que le fracas de Maury : mais je
ne serais pas embarrassé de plaider la cause
de ce dernier. Nous lui devons plus d’un
Décret, facit indigna tio versum.
SiMaury n’était pas , il faudrait l'inventer.
Eh î comment serait-on éloquent dans la
Chambre des Communes, où chaque Mem
bre est Facteur, Armateurj où l’on parle
éternellement de comptoirs, de cargai
sons, de 'vaisseaux, de tarifs, de timb?x,
de calculs et d’intérêts mercantils ; et où
les démentis se donnent et se reçoivent
comme une prise de tabac !
Aimons la sage lenteur de nos Représen-
tans actuels. Les motions qu’ils ont à pré
senter en grand nombre, reçoivent, par le
renvoi aux différens Comités, tous les dé-
veloppemens qui les rendent susceptibles
d’une exécution prompte et facile. Et si,
pour le moment, ils ne rassemblent sur le
terrein que des pierres, des matériaux in
formes bientôt d habiles architectes sau
5

ront en faire de beaux édifices


Mais une réflexion se présente en écou
tant , à i’Assembiée Nationale, ces dénon-
( 2 99 )
dations, dont quelques-unes paraîtraient
devoir mettre le feu à la tribune, et qui
restent toujours sans effet c’est leur fré
5

quence qui les rend inutiles. Le ministère


et le public, accoutumés à des clameurs
bien ou mal fondées, y font à peine attention.
Lord Noj'th n’était pas plus ému d’en
tendre éternellement JVïlkes demander sa
tète à la Chambre des Communes, que
JJ^ilkes, lui-même, n’avait envie de la
faire tomber. Dénoncer toujours, ou ne
dénoncer jamais, sont deux extrêmes éga
lement opposés au maintien de la liberté.
Suivant la sage réflexion d’un historien
Anglais, un maître 21’est pas mieux gardé
par un chien qui jappe sans cesse, que par
celui qui n’aboie jamais. Fait au bruit du
premier, il ne daigne pas même y prendre
garde. Cependant les voleurs arrivent, et
pillent la maison malgré le roquet qui s’é
puise et le maître ne s’éveille que pour
5

voir ce qu’il a perdu.


On renoncera aux dénonciations fré
quentes des Ministres, le jour que la res
ponsabilité sera clairement établie et mise
a exécution,
4 Janvier 1792.
Da*s le bilan de la France
que l’on vient
de présenter à P Assemblée Nationale, on
prouve jusqu’à l’évidence que, nos dettes
payées, il nous restera près d'un milliard
en richesses territoriales ; ce qui, par un
produit bien administré , rendrait cin
quante millions par an, et diminuerait
d'autant les impositions foncières.
Mais tous les bons patriotes s’étonnent
que, dans l’actif de notre situation, l’on
ne trouve pas le chapitre des biens im
menses concédés aux soi-disant Religieux
de Saint-Jean de Jérusalem. Puisqu'il
s’agit de restaurer nos finances, rien n’irait
si bien à l’ordre du jour, que l'Ordre de
Malte. Le procès est tout plaidé ; c’est
celui des biens Ecclésiastiques ; il ne s’agit
que d’aller aux voix. Le Décret qui les
mettra sous la main de la Nation, ne peut
souffrir ni ajournement, ni difficulté.
Il est tems enfin de faire disparaître
cette Souveraineté éparse dans le royaume j
elle n’offre par-tout, dans ses possessions,
( 3oi )
que l’image de la dépopulation et de l’anar-
cîiie. Les membres de cette Congrégation,
demi-Moines et demi-mondains, ne sont
soumis à aucune des charges de la société,
et n’en connaissent que les jouissances.
Il est tems de reconnaître la nullité po
litique de ces Hospitaliers qui, n’ayant
plus de malades à Jérusalem, sont rentés
d’une manière dérisoire pour détruire les
Infidèles qu’ils ne détruisent jamais. Il faut
revendiquer la donation qui leur a été faite
des propriétés des Antonins. Comme ce
sont rigoureusement des biens Ecclésiasti-
ques ) je crois que, sans Décret, on peut
les mettre en vente, et recevoir les sou
missions. Louis JL H, comme Roi de Fran
ce, était mineur, et ne pouvait pas plus en
disposer que des diarnans de la Couronne.
La Nation, qui a exercé son retrait sur le
Comtat d’Avignon, tandis qu’il semblait y
avoir une prescription de six siècles, 11e
doit pas hésiter pour les biens de Saint-
Antoine aliénés depuis vingt ans. C’est
une nouvelle mine , dont l’exploitation,
jointe à la vente des forêts nationales, fe
rait couler en France un fleuve d’or.
A certain Émigré. s i^Wer 1792.
You s méritez bien, Monsieur, que l’on $
Ci»

vous réponde des raisons et si la plupart


5 lançù'

de vos confrères et de vos complices par _

tA
laient votre langage, la paix serait bientôt .

qu’il 5*
\

faite. Mais les basses plaisanteries, les me


naces , les grosses injures, voilà tout ce Sfeiii'
qu’ils savent dire ou imprimer. I '
Cîc •
Je connais à-peu-près les talens mili I :i:e
taires émigrés que vous possédez à Go | delà
•:

bi en tz : mais prenez garde, s’il vous plaît, ] Ce

qu’il nous en reste ici quelques-uns. Au lïk


lieu d’être le cœur de la Nation, vous 11’en
sape
êtes pas même la minorité. Ces volontaires
de ç
sans expérience, ces bourgeois de Paris sur
lesquels vous vous appitoyez ne veulent
, m
Il
point de ce sentiment. faut les voir ma |k
nœuvrer un canon, et tirer sept coups par lié
minute. De loin vous en riez : de près ils Jri
vous feraient plus de peur que de pitié.
Lorsque le Général Gages fut baiser à mi
I
genoux la main du Roi d’Angleterre pour
®

aller réduire les Bostoniens il assura sa m


5 |î].
Majesté des trois Royaumes, qu’avec cinq Il 1
( 3o3 )
mille hommes, il passerait sur le ventre à
toutes les milices de l’Amérique. Vous
savez ce qu’il arriva de cette rodomontade.
C’était un Coëffeur des dames de Phila
delphie qui à l’affaire de Roæbury s’é
? ,
lança sur une bombe, et en arracha la fu-
sée avec une adresse intrépide. C’est ainsi
qu’il sauva la vie à tous ses compagnons,
Comme lui, miliciens d’artillerie. Ce Coëf
feur, ce héros de l’Amérique Septentrio
nale s’appellait Brunker et son nom mé
, >
rite d’être gravé dans l’histoire par la main
de la Liberté.
Ce fameux JVaren, qui lit à Charles-
Tov/n des prodiges de valeurj qui, avec
sa petite troupe
, repoussa deux fois près
de quatre mille royalistes, leur tua cinq
\
cents hommes dont quatre-vingt-quatre
Officiers ; qui, succombant sous le nom
bre mérite que le Congrès honore sa mé
,
moire par une pompe funèbre ; ce BRai'en
était un Médecin, et n’avait que trente-
trois ans.
Souvenez-vous que l’Ingénieur Knox
n’avait jamais été que Libraire à Boston.
Il vendait des ouvrages sur la tactique, et
( 3o4 )
les avait lus plus d’une fois. Il fut chargé
d’aller faire le siège d’Yorck pour déloger
les royalistes. Vous avez fait la guerre d’A
mérique vous savez avec quel courage et
5

quelle intelligence il transporta débar


, ,
qua et pointa contre la place trente canons
du plus gros calibre. La ville se rendit à
ses efforts ; et Knox fît enlever à la barbe
des ennemis leur propre artillerie qui con
sistait en plus de deux cents bouches à
feu. Pour prix de ses immenses services, le
Libraire de Boston fut fait sur la brèche
Major-général.
Auriez-vous oublié qu’Hamiltonde
simple Avocat qu’il était comme Ccitinat,
devint comme lui sous les armes un ex
cellent Tactitien, et fut le premier Aide-
de-camp du Pi.épublicain JJ^asington ?
On aurait trop beau jeu, si l’on voulait
mettre en opposition tous ces hommes il
lustres avec nos feu talons rouges.
Vous dites que l’Empereur veut absolu
ment la guerre ; vous cherchez maligne-,
ment où sont nos Généraux. Les Géné
raux? moi qui les ai vu de près, je dirai
où ils sont ) c’est dans la clause des Qflî-.
ciers
( 3o5 )
cîers subalternes qui faisaient le thème à
l’Etat-major de nos armées comme les
,
Secrétaires font le travail des Ambassa
deurs, comme les premiers Commis fai
saient celui des Ministres, comme les Vi
caires faisaient le mandement des Evêques.
Donnez de pareils chefs à nos milices na
tionales et même à nos troupes de ligne $
,
et vous verrez si l’on a besoin de parche
mins de titres et de faveur pour marcher
,
à la victoire.
Vous parlez toujours de Noblesse et de
privilèges mais je vous répondrai comme
5

ces Américains au même Général. » Le


droit politique ne saurait différer du droit
naturel le Ciel même ne peut rendre juste
5

un usage civil qui contraste avec le pacte


social. S’il y a une différence entre un vo
leur de grand chemin, et un Roi qui at
tente à la liberté, à la propriété des hom
mes j cette différence est toute à l’avantage
du premier «.
Dans cette guerre des Insurgens, c’était
un spectacle assez singulier de voir une
poignée de soldats occupés uniquement à
forger les fers de plusieurs milliers d’hom-
V
( 3o6 )
mes 5 et ceux-ci n’osant souiller leurs mains
du sang de ces satellites du despotisme,
dans lesquels ils aimaient encore à voir
leurs compatriotes et leurs frères. Mais
pouvait-on se promettre que cette patience
fût durable ? Ne devait-on pas craindre que
le sentiment du malheur, que la haine de
l’oppression n’étouffât enfin la voie de
l’humanité et que la nouvelle Angle
,
terre, comme la France aujourd’hui, n’op
tât d’être cruelle plutôt que de devenir es
clave? Il ne faut sur la frontière où vous
êtes qu’un accident imprévu 5 il 11e faut
que l’imprudence d’un seul homme pour
donner l’essor au patriotisme, à la valeur
comprimée ; et c’est ce que la Nation at
tend et demande à grands cris.
Nos Soldats sont volontaires, et ne cher
cheront point la désertion. Ils ont des pro
priétés et ne connaîtront pas la maraude.
,
Ils ont eux-mêmes nommé leurs chefs, et
seront soumis à la discipline. Ils combat
tent pour la Liberté. L’Europe entière la
desire et l’attend. L’armée des Français
à
sur le Rhin est la Garde-avancée de
l’Europe.
( 3o7 )

i5 Février 1792.
Nous
sommes forcés à la guerre} mais il
est absurde de prétendre que nous serons
battus. On nous suppose comme dans l’an-
cien régime rangés en bataille avec une
,
aile droite et une aile gauclie, un centre et
des Régimens immobiles tirant sans fin
,
ni cesse jusqu’à ce qu’ils n’aient plus de
munitions. Cette froide et ridicule tirail
lerie n’est pas la guerre que nous ferons }
c’est une partie de jeu entre des Généraux
opposés, et non des ennemis} c’est un pari
calculé sur des barils de poudre. Chaque
Roi joue une centaine de mille hommes,
et quelques centaines de millionsj et quand
il a tout perdu, il va se coucher : ce qui
s’appelle faire un Traité de paix.
Mais la guerre d’un Peuple libre est un
combat à mort de Nation à Nation. Il joue
son tout. Les Rois qui l’attaquent sont in
sensés parce qu’ils ne peuvent jouer que
,
quelques parties, et non pas toute leur
Nation et tout leur argent. Il faut qu’ils
s’arrêtent, sous peine de faire révolter leurs
ya
( 3o8 )
Sujets qui s’eimuyent à la lin d’être tués
pour ces jeux de Princes, qui ne plaisent
qu’à ceux qui les font.
Quant à l’Art militaire, jamais une Na
tion entière ne se déplace pour aller à l’en
nemi ; mais aussi l’ennemi ne la déplace
jamais. Lorsque les armées sont en pré
sence , il est nécessaire que le Soldat soit
discipliné, soit astreint à toute la rigueur
de l’exercice Hessois ou Prussien. Les di
verses légions sont des masses d’un grand
tout qui, par leur poids, écrase et renverse
tout ce qu’il rencontre. C’est l’Etna qui
s’avance contre le Vésuve, et couvre de
feu cent lieues de pays. C’est ainsi que nos
braves troupes de ligne feront la guerre au-
deliors.
Mais si l’ennemi victorieux avait le
malheur de pénétrer dans l’intérieur du
Royaume, il 11e faut plus de cette mesure
pour lui couper les vivres pour le har
5

celer, pour brûler ses équipages ; pour le


diviser, l’affamer et l’étouffer. C’est alors
rjue l’on n’a plus besoin de Polybe ni de
Folcird. C’est alors, c’est chez soi qu’un
Peuple qui se bat pour la liberté, se bat à
( 3o9 )
Bon escient ; il substitue la force du corps
,
la bravoure, l’intrépidité, l’acharnement,
la ruse la persévérance, toutes les res
,
sources de l’esprit variées à l’infini, à la
Tactique écrite et géométrale des savans
maîtres de l’art.
Au-deliors nous pourrons être battus,
je veux bien le supposer mais dans l’inté
5

rieur, nous ne serons jamais vaincus. Les


Gardes Nationales de Grèce, de Suisse, de
Philadelphie, de Hollande, de Gênes, d’A
mérique des Marat tes 11e savaient pas
, ,
faire l’exercice; et cependant ces troupes
d’ignorans ont fait bouquer les Tacticiens.
Nos ancêtres les Gaulois, sans méthode,
sans discipline, avec des frondes, des sa
bres et presque nuds prirent Rome et
, ,
la firent capituler.
On nous compare aux soldats Turcs qui
s’attroupent au nombre de quciti'e-vmgts
ou cent mille > et courent bravement se
faire tuer au bout des mousquets et des
canons Moscovites. Mais les Turcs, au
bout du compte, ne sont point des Gardes
Nationales et des Citoyens. Le Sultan et
la Czarine ont fait battre leurs armées ^
va
( 3io )
mais la Nation Turque ne s’est pas battue £
et l on n’examine pas assez ce qu’est une
7

Nation qui se bat chez elle en masse et


toute, entière.
Si les Princes du Nord nous attaquent,
nous traiterons bien leurs Soldats ; nous
leur offrirons des établissemens dans le
pays de la vigne et du soleil ; nous leur
abandonnerons des terres à défricher nous5

leur ferons épouser nos filles ; nous les ap


pellerons nos frères : leurs Généraux, leurs
Officiers seuls sont nos ennemis :
Paix aux chaumières,
Guerre aux châteaux.
Si le vertige féodal a passé dans les tètes
Germaniques ÿ si cette vapeur enyvrante
nous force à leur aller demander raison
sous leurs Castels et leurs girouettes, notre
cri de guerre est Liberté! Les murs de ces
petites Jérichos en tourelles tomberont au
bruit de nos trompettes. C’est ici la cause
du Tiers-Etat de l’Univers. Etablissez dans
chaque ville une Société des Amis de la
Constitution, une Municipalité, une Im
primerie et laissez faire ensuite à la Rai
y

son universelle.
( OU ) V
Les Belges sont persuadés, comme nous
7
que ce sont les soi-disant Souverains qui
sont en révolte contre les Nations, et non
pas les Nations qui réclament enfin leurs
droits contre les usurpateurs.
Si les Allemands tentaient de venir en
France nous attaquer les habitans des
,
Pays-bas se promettent bien de les suivre
pour leur couper les jarrets. La haine de
la tyrannie ne s’éteindra jamais à Gand.
On y voit encore le spectacle de plus de
deux cents maisons à demi-ruinées et ren
versées depuis que l’infâme Alton, ren
,
fermé dans la citadelle, les a foudroyées à
boulets rouges.
Ici les Valets des Rois crient à la pro~
pagandel Eh ! oui, la propagande. Quoi !
nous voulons rebâtir notre Gouvernement7
établir nos Finances, chasser la tyrannie j
nous en sommes les maîtres, car le char
bonnier même l’est chez lui ; et les Des
potes se réuniront contre nous ! et ils vou
dront se mêler de nos affaires qui ne les
regardent pas ! et ils amèneront chacun
cent mille idiots pour nous tuer ou pour
les faire tuer î ils veulent nous faire une
V4
( 312 )
guerre Royale ! et nous rie leur ferions pas
une guerre Populaire ?
Emigrans titrés, mitrés, crossesj Che
valiers errans Dom-Qidchotes de l’uni
,
vers , réunissez-vous ; car nous sommes
prêts et debout.
T/prasington chargé de soutenir les droits
>
des Américains, voulut, avant de com
battre les Anglais, tenter dans le Canada
une expédition d’un nouveau genre mais5

qui, par le succès, valut mieux à son parti


qu’une victoire décidée : ce fut de s’assurer
des habitans du pays qui 11’étaient retenus
que par la crainte du Gouverneur Anglais,
et de leur envoyer une adresse de paix et
de fraternité.
Luckner, que la France vient de récom
penser, moins encore de ses talens mili
taires que de son attachement à la Consti
tution , pourrait, avant de passer le Rhin,
et de jetter cent mille hommes en Alle
magne, imiter le sage Wasington, et ré
pandre à trente lieues de la frontière une
Adresse à toutes les villes et hameaux de
la Germanie et du Brabant.
» Frères et voisins, nos ennemis sont les
(/ "310
O O \)
vôtres ; les Prêtres couronnés les tyrans
-
qui vous gouvernent , espèrent que vous
ne saurez pas distinguer entre les douces
influences de la liberté et les honteuses im
pressions de l’esclavage ; et qu’on vous fer
merait aisément les yeux sur les motifs qui
nous ont armés : ils se trompent. Au lieu
de ne trouver chez vous qu’une aine en
gourdie par la servitude ils verront que
,
vous êtes éclairés , fiers et généreux et
$

que vous ne renoncez point aux droits que


donne la Nature «.
«Nous venons contracter avec vous une
indissoluble union. Courons ensemble les
mêmes dangers ; ils sont grands mais ils
,
sont glorieux. Nous avons pris les armes
pour la conservation de notre indépen
dance de notre liberté pour sauver nos
, 5

biens nos femmes nos enfans. Nous


, ,
sommes résolus à les défendre ou à mou
7

rir. Un jour tous les habitans d’Europe


auront la même énergie, et jouiront du
même bienfait d’un Gouvernement libres.
Entraînée par ces motifs et par les
7

avis des nombreux partisans que la liberté


compte déjà parmi vous, l’Assemblée Na-
( 3l 4 )
tionale de France vous envoie une armée
y
W'
non pour vous combattre, mais pour vous
protéger j non pour détruire, mais pour leur 1

vivifier • mais pour réveiller dans vos âmes !#


les sentimens de Souveraineté d’égalité,
0
,
de justice, que les Despotes voudraient
anéantir dans tous les coins de l’univers «.
» L’armée qui entre chez vous a reçu
l’ordre de se conduire comme dans un pays
de parens et d’amis. Que personne à notre
approche n’abandonne sa demeure. Que
personne ne fuie comme devant un en
nemi. Nous sommes vos frères, nous vou dai

lons être vos protecteurs «. de

»La guerre aux tyrans aux usurpa


7

teurs , devient la cause de tout Citoyen ver


tueux quel que soit son pays, ou sa B_eli-
7

gion. Vous ne connaissez jusqu’à présent


que le pouvoir arbitraire d’un Gouverne
ment féodal. Venez vous ranger avec nous
sous l’étendart d’une Liberté universelle.
Portez-en les couleurs ; faites-les porter aux
aigles qui sont vos enseignes. On voudrait ?
armer, comme autrefois, les Peuples con te

tre les Peuples , mais nous 11e faisons plus P


la guerre que contre les Ptois perfides. Que di
( 3i5 )

vos Soldats abrutis sous une discipline bar


bare conçoivent des sentimens dignes de
,
leur courage. Ils seront non pas combattus,
mais accueillis, mais embrassés par nos
Soldats patriotes. Nous ne voulons les vain
cre qu’en générosité. Braves Germains !
vous êtes esclaves depuis deux mille ans.
Nous venons briser vos chaînes. Nous vous
apportons les Droits de l’Homme ; ils fe
ront si vous les reconnaissez, la conquête
,
de l’univers «.
On compte prés de trois cents Altesses
dans l’Empire Germanique : mais ces sortes
de Princes sont comme l’argent d’Allema
gne j il est rarement de bon aloi. Pour fixer
l’opinion que nous devons en avoir, je rap
porterai le témoignage d’un homme qui les
connaissait bien, Frédéric le Grand : voici
comme il s’exprime dans son commentaire
sur Machiavel.
CesPrinchipiniy ou Princclets, sont
des Souverains en miniature qui, n’ayant
que de petits Etats, ne peuvent point met
tre d’armée en campagne. Ils ne sont, à
proprement parler, que des hermaphro
dites de Souverain et de particulier j ils ne
( 316 )
jouent le rôle de Princes qu’avec leurs
domestiques. Ce qu’on pourrait leur con
seiller de meilleur serait, ce me semble
, ,
de diminuer en quelque chose l’opinion in
finie qu’ils ont de leur grandeur, de la vé
nération extrême qu’ils ont pour leur très-
ancienne et très-illustre race, et de l’atta
chement inviolable qu’ils ont pour leurs
Armoiries. Les personnes sensées disent
qu’ils feraient mieux de ne figurer dans le
monde que comme des Seigneurs qui sont
a leur aise, et de quitter une bonne fois
les échasses sur lesquelles leur orgueil les
monte ; de n’entretenir, tout au plus, qu’une
garde suffisante pour chasser les voleurs de
leur château, en cas qu’il y en eût d’assez
affamés pour y chercher subsistance et de
5

raser les tours. tourelles, murailles et rem


parts qui peuvent donner l’air d’une place
forte à leur mince résidence
»En voici la raison. La plupart de ces
petits Princes d’Allemagne se ruinent par
la dépense excessive à proportion de leurs
revenus, que leur fait faire l’ivresse de leur
vaine grandeur. Ils s’abîment, ils se per
dent pour soutenir l’honneur de leur mai-
f-
( 3l 7 )
son ; ils prennent, par vanité, le cliemin
de la misère et de l’hôpital. Il n’y a pas
jusqu’au cadet du cadet d’une ligne appa-
nagée qui 11e s’imagine être quelque chose
de semblable à Louis XIV j il bâtit son
Versailles ; il a ses maitresses il impose ce
5

qu’il appelle son peuple ; il entretient ses


armées «.
» Je connais un certain Prince, allié d’une
grande maison, qui, par un raffinement de
grandeur, entretient à son service tous les
corps de troupes qui composent la maison
d’un grand Roi et cela si fort en dimi
5

nutif, qu’il faut un microscope pour ap-


percevoir chacune de ces troupes en parti
culier. Son armée réunie serait peut-être
assez forte pour représenter une bataille
sur le théâtre de Vérone ou de Paris «.
Et moi, j’ajoute que j’en connais un
autre qui a une armée de ti'ente hommes,
dont le chef a le titre de Feld-maréchal,
et dont le dernier seul a l’honneur d’être
Soldat.
Voilà pourtant les fourmis belligérantes
qui veulent singer le Chef de l’Empire ;
qui se coalisent contre quatre millions
( 3i8 )
d’hommes armés et libres ) qui dédaignent
les indemnités qu’on ne leur doit pas ; qui
tous les jours insultent une Nation magna
nime et généreuse, dont ils auraient du re
chercher la bienveillance et la haute pro
tection contre Guillaume et François, ces
deux vautours insatiables, dont ils seront
un jour la proie. Voilà quelles sont ces Al
tesses sérénissimes, éminentissimes et ri-
diculissimes. Que les Despotes qui se di
sent Régnant par la grâce de Dieu, rap
portent au Congrès national la chartre de
leur souveraineté, comme a fait le Roi des
Français et s’ils ne permettent pas à la
5

raison de la discuter et de l’amender tran


quillement tôt ou tard ils verront la force
5

la déchirer et renverser des trônes dont la


base est trop ruinée pour résister aux se
coussesqui les menacent.
La France renonce à tout esprit de con
quêtes, et ne veut jamais armer que pour
sa défense. La Sagesse elle-même, descen
due des cieux, aurait-elle prononcé un
plus beau Décret? Que les peuples sont
forts quand ils ont à soutenir une pareille
cause !
( 3l 9 )
Ce n’est plus un rêve que le projet d’une
fraternité, d’une paix universelle. La coa
lition de la France et de l’Angleterre de
viendrait aujourd’hui formidable, et main
tiendrait le reste de l'Europe dans un équi
libre perpétuel. Les deux Monarques unis
deviendraient bientôt les médiateurs des
deux mondes. La raison, la justice prési
deraient aux conseils de ces Princes mo
dérés et bienfaisans.
Les grands peuples qui marquent sur le
globe briseraient enfin les chaînes du des
potisme ) ils enverraient leurs Députés a
Paris ou dans Londres ; ils demanderaient
notre Constitution, comme l’Evangile de la
Liberté. La paix, le premier de tous les
biens, renaîtrait sur la terre. L’Océan 11e
serait plus couvert que de vaisseaux mar
chands, de Navigateurs éclairés. On ver
rait le commerce fleurir, occuper tous les
bras de l’indigence et les beaux arts ré
5

compensés par nos richesses. De si douces


espérances seraient bientôt réalisées, si la
France et l’Angleterre signaient un pacte
fédératif, et le donnaient pour exemple à
l’univers.
( 320 )

A Charles Villette , par une Dame de


Pl O vin ce, Février 1792.
2Q
J’ai lu, Monsieur, avec beaucoup d’in
térêt les réflexions que vous faites sur le
,
peu d’avantages dont jouissent les femmes
dans la société ; mais vous ne parlez pas de
celles qui sont victimes des mauvais trai-
temens de leurs maris, et que nos loix
barbares obligent encore à vivre sous leur
cruelle domination.
Mirabeau est le premier qui ait donné
à l’Assemblée Nationale une opinion sur le
Divorce. Si sa mort n’avait pas ajourné
tout le bien qu’il voulait faire le Divorce

eût passé en décret, et serait, pour sa mé


moire, un nouveau titre à l’immortalité.
Il faut espérer que nos sages Législateurs
reprendront bientôt cette motion intéres
sante et sans déroger aux Droits de l’hom
ÿ

me, rendront en faveur des femmes un Dé


cret dont, en mon particulier, j’ai le plus
grand besoin.
Mariée avant treize ans, mon âge trop
tendre ne me permettait aucune réflexion
sur
( 3^i )
sur l’engagement irrévocable que j’allais
Éblouie
contracter. par des promesses de
diamans, de bijoux, et sur-tout par le titre
de Dame, je cède aux instances de mes
parens ; je promis d’obéir, et je ne voyais
rien de fâcheux. Le moment fatal appro
chait ; il fallait aller à l’autel. J’attendais
les bijoux promis ; ils 11e parurent point.
Ma désolation fut extrême ; je ne voulais
plus d’un homme sans parole. Mais les re
proches d’un père que je craignais comme
le feu, occupée de tous les regards qui se
fixaient sur moi, et le plaisir secret d’être
appellée Madame, me firent oublier que
j’aurais à me repentir de mon obéissance.
Je ne fus pas long-tems à m’appercevoir
que j’avais pris un maître mais le mal
5

était sans remède. Il est bon de vous ob


server que je n’étais pas encore nubile le5

peu de complaisance de mon mari, et seà


mauvais procédés, m’en dégoûtèrent ab
solument. Il était joueur, et presque tou
jours pris de vin : mon amour-propre souf
frait d’avoir un tel époux; et j’avoue que,
sans avoir aucun reproche à me faire, tout
autre que lui me paraissait aimable. Aussi
X
( 322 )
n'ai-je pu vivre avec lui que trois mois.
J’ai passé jusqu’à ce jour au couvent, ou
chez mon père, victime, comme vous voyez,
du pouvoir tyrannique et cruel que les Loix
donnent aux maris.
Mon Seigneur et Maître m’écrivit une
seconde fois en termes les plus durs, pour
me rendre au couvent, et d’y faire péni
tence. Je ne lis ni l’un, ni l’autre. J’avais
pour lors un cœur libre, et quoique je
fusse en puissance de mari, je n’avais pas
encore éprouvé le pouvoir de l’amour. J’ap
prochais de dix-sept ans.
Et de mes dix-sept ans doucement tourmentée
j’aimai, je l’avoue, et comme il est im
possible de le faire j’aimai, mais ce n’é
5

tait pas mon vilain mari. Le mariage était


le tyran le plus cruel de mon ame. Je
maudissais cent fois le jour celui qui reçut
ma main sans captiver mon cœur. Les
pleurs étaient mon unique ressource j et
je pleurais.
J’ai fait tout ce que j’ai pu pour que ma
raison l’emportât sur l’amour. J’ai com
battu long-tems ; mes efforts sont inutiles :
et depuis trois ans je ne vis que dans la
( 323 )
douleur j mais la douleur ne change rien à
mon sort ; je meurs de ne pouvoir briser
des fers que je déteste.
Il n’y donc que les Décrets futurs de
a
l’Assemblée Nationale qui puissent me faire
espérer un avenir plus supportable. Il est
encore heureux pour moi de n’avoir point
d’enfans. Quand nos Législateurs ne pro
nonceraient le Divorce que dans des cas
semblables j leur Décret de séparation se
rait encore un bienfait. Combien ne ferait-
il pas d’heureuses ! Et combien de jeunes
épouses, devenues fécondes par un nouvel
engagement, seraient au moins utiles à la
société ! O11 parle de mœurs publiques
et de liberté civile. Il faut commencer par
organiser les familles, et par y asseoir la
paix. Que nous importe , à nous autres
femmes, que la France ait secoué le joug
d’un despote, si nous sommes forcées de
conserver nos tyrans !

Vous, Monsieur, qui êtes passé maître


en Fart d’écrire, traitez un texte si digne
de votre plume soyez l'avocat des femmes,
5

et puis ensuite ne vous embarrassez pas de


leur reconnaissance.
X2
( 024 )

1 er Mars 1791.
On fait chaque jour l’Assemblée Na
à
tionale des pétitions pour demander une
Loi qui autorise le Divorce 5 mais il sem
ble qu’il faut demander d’abord s’il y a
une loi qui le défende et s’il n’existe au
5

cune loi civile que les époux dissidens puis


sent enfreindre, ils sont libres de se divor
cer quand il leur plaît. Notre vieille Juris
prudence, toute informe qu’elle est, a déjà
fait la moitié de l’ouvrage, en prononçant
dans certains cas la séparation de corps et
de biens.
La première formule dont toutes nos
loix vont dériver, c’est la Constitution. Or,
la Constitution dit expressément : La Loi
ne considèi'e le Mariage que comme con
trat civil. Mais il n’y point de contrat
a
civil qui ne puisse être changé , qui ne
puisse être rompu par la volonté libre des
contractans. Le Mariage est un bail à vie 5

mais tout bail, d’un commun accord entre


les preneurs, est susceptible d’être résilié.
Je demande quelle peine, quel blâme en-
( 325 )
courraient deux époux qui se rendraient à
l’amiable chez le Notaire, pour y signer le
désistement de leur union conjugale? Je
demande ce qu’aurait de scandaleux pour
les honnêtes gens la conduite de ces mêmes
époux, si après cette séparation légale, on
les voyait convoler à de secondes noces?
Je sais bien que l’esprit de la Cour de
Rome, que les canons des derniers Con
ciles condamnent le Divorce et que dans
, $

le tems que l'Apôtre Calvin l’établissait


dans son Eglise ; le Pape, au Concile de
Basle et de Trente, le faisait défendre dans
la sienne. Mais le Concile de Trente, pour
les objets de discipline, n’a jamais été reçu
en France, et n’a jamais eu force de loi
devant les Tribunaux. L’union, ou la sépa
ration des époux n’est qu’un objet de dis
cipline, et ne regarde assurément ni le
dogme, ni la foi.
Je ne veux pas examiner si le Mariage
est un Sacrement 5 je ne le considère ici
que dans son institution primitive que ,
comme une simple bénédiction nuptiale 5
comme le pain béni qui reçoit l'aspersion
du Prêtre j comme la bénédiction des mois-
X 3
( 326 )

sons, qui pour cela n’est pas un Sacre


ment ; comme tant d’autres cérémonies
pieuses qui se pratiquent dans le rit Ca
tholique sans obliger devant Dieu, ni
,
devant les hommes. Le Mariage est un
contrat du Droit des gens \ les seuls Prêtres
Romains en ont fait un Sacrement. Ainsi,
lorsque le contrat se trouve conforme au
Droit des gens, il doit produire tous les
effets civils ; le défaut de Sacrement ne
doit opérer sur nous que la privation des
effets spirituels.
Nous voyons aujourd’hui nos Prêtres
constitutionnels se marier dans tous les Dé-
partemens de France, par la seule raison
qu’étant hommes et citoyens ils ont le
,
droit de former un contrat civil. Et tant
que nous n’aurons pas une loi positive qui
dise clair et net : Les Prêtres ne se ma
rieront pas ; les époux ne se sépareront
pas; les Prêtres pourront se marier, et les
époux se divorcer.
Le Christianisme, qui est la loi de grâce,
ne doit pas être plus sévère que la loi de
nature ; et j’en appelle au moins à ces let
tres de Divorce que l’on trouve dans les
( ^27 )
livres de Moïse. C’était un billet que le
mari donnait à sa femme , portant que ,
dès ce jour’ en avant, elle n’était plus sa
femme et qu’elle avait la liberté d’agir
,
comme s’ils n’eussent jamais été mariés
l’un avec l’autre. Les Polonais sont Ca
tholiques et très orthodoxes ; et cepen
-
dant le Divorce est en usage en Pologne.
On est affligé que, sur une discussion
aussi simple, sur un texte aussi essentiel,
on passe à l’ordre du jour comme si l’or
5

dre du jour n’était pas le bonheur de la


société, n’était pas tout ce qui fait la paix
des familles! Eh quoi! par-tout où nos
Législateurs auront trouvé des fers, ils les
auront brisés! par-tout où ils auront vu
des larmes, ils les auront essuyées ! Les
diverses victimes des anciens abus sont li
bres et heureuses ; et les victimes de l’abus
conjugal n’ont pas encore fixé leurs re
gards ! Combien d’avantages résulteraient
du seul Décret sur le Divorce ! combien de
haines, de scandales, de crimes épargnés
à la société ! combien de personnes rendues
au bonheur, à la vertu! Miserimini, qui
judicatis terram,
X 4
( 3a8 )

20 Mars 1792.
s’occupe aujourd’hui de l’adjudication
au rabais des travaux à faire pour l’entre
tien des routes.
Il serait digne d’une sage administration ,
je dirai même, il est indispensable d’ag-
grandir cette chaussée de pierres cette
,
ligne de pavés qui, semblable aux rayons
d’un cercle, part de Paris et fuit, dans
,
tous les sens , vers la circonférence du
Royaume. Deux pieds ajoutés à sa largeur,
sauveraient les voitures d’un danger con
tinuel et de tous les accidens de ren
,
contre. Alors plus d’ornières; partant plus
de querelles. Ce qui faisait dire à un An
glais, gâté par les routes faciles et veloutées
de son pays : Quelle magnificence! quelle
grande route pour un si petit chemin !
Les chemins publics doivent être entre
tenus par ceux qui les usent. Placez-y des
barrières à distance avec un impôt par
chaque cheval, qui serait nul pour les pié
tons : ces péages s’affermeraient au plus
offrant, et la perception n’en coûterait rien
( 32 9 î
à l'Etat. De cette manière, on ajouterait
à la police des routes. On serait sûr, à
toutes les heures de la nuit, d’y trouver
lumière et secours.
Il faudrait, en même-tems, planter un
second rang d’arbres en dedans, à chaque
coté des routes, et défendre d’ébranclier.
Ce serait une faveur de la Révolution pour
le commerçant qui voyage, pour le soldat
qui rejoint sa garnison ou regagne ses
foyers, pour le cultivateur à ses heures de
repos, de trouver quelqu’ombrage contre
l’ardeur du soleil, ou quelqu’abri contre
les averses, les bourasques de la tempête.
Ce qui est enlevé à l’agriculture se trou
verait compensé par l’immense quantité de
bois qui en résulterait dans 20 ans, et de
viendrait une ressource pour la France
pr ête d’en manquer.
Les ormes qu’Henri IV
et Sully avaient
autrefois plantés dans tout le Royaume,
que l’on appellait des Ronys , et dont on
voit encore grand nombre au pays de Gex,
n’étaient pas élagués comme des quilles.
O11ne remarque pas sans intérêt que
ces espèces d’ormes bien choisis, sont peut-
( 33o )
être les végétaux qui soutiennent la plus
longue durée, et résistent le plus aux élé-
mens. Ils restent cent ans à grandir, à
pousser des rameaux souples et robustes 5
cent ans y sans un changement sensible y
ils conservent toute la vigueur de l’exis
tence et restent cent ans à dépérir, à
5

rendre leurs débris à la terre qui les a fait


naître. Nous autres pauvres humains, qui
sommes doués de la pensée et du senti
ment, ne serions-nous pas tentés de nous
plaindre un peu de la Nature qui nous a
refusé le même bienfait! Tâchons, au
moins, de suppléer par un peu d’art,
,
à tout ce qu’elle a de rigoureux pour nous.
On éprouve un vrai plaisir, un désir de
voyager , en voyant la vaste étendue , à
travers l’horison des campagnes, déployer
à nos yeux ces files d’arbres alignés, qui
nous attendent au passage comme pour
nous saluer, et nous prêter à chaque pas
leur ombrage hospitalier.
TJmbram hospibalem amant consociare ramzs.
Quel Philosophe n’est pas ému en re
portant ses regards vers les siècles anté
rieurs? Dans les mauvaises saisons, si Ion-
( 331 )
gués et si rebutantes, il fallait pour
voya
ger, tour-à-tour enfoncer dans la fange, et
gravir sur des rocs. Tout le monde était
en bottes, et dans plusieurs villes on al
lait dans les rues sur des échasses.
Ce n’est que sous Louis que l’on
traça nos routes magnifiques. Les autres
Nations les ont imitées. Un nouvel ordre
de choses va permettre au génie d’ouvrir
des canaux pour marier les fleuves et les
rivières, et pour établir des rapports plus
faciles et plus prompts entre tous les Dé-
partemens de l’Empire. Le trésor public
ne sera plus honteusement dissipé. Si l’on
avait employé pour ces grands et utiles tra
vaux, le sixième de ce qu’il en a coûté
pour les maitresses, les favoris , les in
trigues de cour, les guerres homicides, on
verrait aujourd’hui le commerce Français
voiturer toutes ses richesses par la naviga
tion intérieure. Les hommes et les che
vaux, employés sur la terre au transmar-
chement des marchandises, réserveraient
leurs bras et leurs forces pour faire fleurir
l’agriculture sans laquelle un Etat n’a
,
jamais eu de véritable splendeur.
( 33a )

er Mai 1792.
La 1

Constitution nous permet et nous


promet des fêtes nationales. J’en propose
quatre une dans chaque saison.
?

C’est au premier Mai que dans nos


?
climats la verdure, les fleurs et les beaux
?
jours viennent ouvrir le printems. Je vou
drais dédier cette fête aux troupes de ligne.
On leur offrirait pour bouquet l’arbre de
la Liberté. C’est le tems des exercices mi
litaire ; c’est alors que les armées entrent
en campagne ; et c’est un repas de famille
qu’on leur donne la veille de leur départ :
ce sont les derniers adieux de leurs parens,
de leurs amis, de tous les citoyens dont ils
vont défendre les foyers. Aujourd’hui que
nous sommes menacés d’une guerre géné
rale avec quels transports cette fête de la
,
valeur ne serait-elle pas célébrée par tout
ce qui compose la force armée, et par tout
ce qu’il y a d’hommes courageux et libres?
L’été nous avons le 14 Juillet; c’est la
?
fête des Gardes nationales, c’est-à-dire de
?

tous les enfans de l’Empire. L’éclat de cette


( 333 )
cérémonie n’a pas besoin d’être indiqué*
C’est l’anniversaire de cet évènement fa
meux que l’on ne peut se rappeller sans
attendrissement, et que nos neveux ne li
ront pas sans verser des larmes de recon
naissance.
L’automne, ce serait la fête des Nations
libres on y inviterait les braves Améri
5

cains les Anglais, les Polonais ; on y in


,
viterait les Cantons démocrates de la Suisse
où la Liberté se conserve invulnérable et
vierge au milieu des glaces et des rochers.
Le drapeau triomphal de chaque Nation
flotterait sur l’autel de la Patrie. La statue
de la Liberté serait suivie de l’Abondance,
et serait la Déesse de la fête. Les raisins,
les gerbes de bled, les corbeilles de fleurs
et de fruits en seraient les emblèmes et les
trophées ; Flore et Cérès, Pomone et Bac-
chus en feraient les honneurs.
Enfin le triste hiver qui nous enferme
dans nos cités et nos maisons, serait encore
l’époque d’une quatrième fête nationale,
la fête des mœurs ; c’est la saison des ma
riages. A ces banquets civiques, l’on ver
rait la réunion des familles l’oubli des
,
( 334 )
îiaines entre les citoyens, et des divisions
entre les parens. Ces fêtes nous retrace
raient périodiquement le cours de la vie
humaine $ elles nous conduiraien t à mieux
remplir nos devoirs d’hommes libres et sa
ges , à sentir le prix de l’existence, à nous
hâter d’en jouir.
La tranquillité dont le peuple a donné
un exemple si touchant dans les différentes
fêtes où, sans être retenu à chaque pas par
les lisières des autorités constituées il a
,
commencé à marcher seul dans les sen
tiers fleuris de la joie , de l’union et de la
liberté, prescrit la loi de ne pas l’attrister
par la vue des armes , et de ne pas imiter
l’ancien régime, où l’on ne donnait des
fêtes au peuple que pour l’hébêter et l’avi
lir , où on le forçait à danser dans la boue
et sous les bayonnettes. Il faut imiter à cet
égard l’exemple des Vénitiens. Le peuple
de cette République est libre dans ses fêtes.
Un Tribun, armé d’une baguette blanche,
contient une multitude immense.
Mais ce n’est pas seulement à Paris que
ces fêtes doivent offrir un encouragement
au patriotisme. J’aimerais à voir cet aban-
( 335 )
don, ces jeux, ces délassemens fraternels
s’étendre sur toute la surface de l’Empire $
j’aimerais, s’il était possible, qu’au même
jour et à la même heure, par les festins et
les danses, l’air chéri de la Liberté fût
chanté et mille fois répété sur toutes nos
frontières, par les soldats de toutes les ar
mes , et les citoyens de tous les âges et de
tous les états. C’est alors que les émigrés,
les despotes et les esclaves verraient un
échantillon de nos mœurs régénérées, de
notre caractère national, toujours aimable
et poli ; ils se persuaderaient enfin que la
liberté, loin de produire la licence, n’en
fante que la joie la concorde et les in-
,
nocens plaisirs.

3 Mai 1791.
Faut-il dire aux peuples la vérité, toute
la vérité, rien que la vérité? Oui, sans
doute en supposant qu’ils soient assez
,
éclairés pour l’entendre, assez sages pour
l’aimer. On en peut juger par le trait sui
vant que nous garantissons.
Le Curé constitutionnel d’un gros vil-
( 336 )
Iage
, au Pas-de-Calais , venait de rem
placer le réfractaire le plus hypocrite et le
plus rafîné. Celui-ci avait accaparé l’igno
rance et la crédulité de presque tous ses
paroissiens. Il avait mis en crédit une
sainte Vierge de plâtre, laquelle, à certains
jours de fêtes, au récit de certaines prières,
miraculeusement répandait des larmes
,
sur-tout en faveur des femmes enceintes ;
ce qui était d’un heureux présage pour la
grossesse.
Le nouveau Pasteur, tant soit peu phi
losophe a négligé ces ruses virginales, et
,
s’en est tenu aux devoirs paternels de son
ministère. Bientôt les réfractaires ne man
quent pas d’exciter contre lui les dévotes
et les enfans, et sur-tout les filles et fem
mes grosses pour lesquelles la bonne Vierge
ne faisait plus rien. Notre Curé se dispo
sait à déserter le village, lorsqu’un excel
lent patriote, marguiller en exercice, vint
le trouver et lui dit : » Vous êtes par trop
honnête homme, Monsieur le Curé ; il ne
faut pas si vite fronder les préjugés j il ne
faut pas s’obstiner à dire toute la vérité à
des imbécilles conduits par des frippons.
Croyez-moi
?
( 33; )
Croyez-moi dites après-demain votre
,
grand’messe de l’Annonciation ; composez
bien votre visage mettez toute l’onction
5

possible dans vos Orémus à la Vierge. A


tel verset dont nous conviendrons, vous
,
chanterez un peu plus haut vous fixerez
5

vos yeux sur ses yeux vous resterez comme


5

en extase ; et moi seul caché dans la sa


cristie avec un petit fil dans le mur, je
?

lui ferai tourner la prunelle : mais, entre


nous, motus sur tout ceci. Je ne veux pas
être déchiré par les harpies du canton. Je
ne veux pas éventer la mèche, et ruiner la
foire Sainte-Aïarie «.
Ce qui fut dit, fut fait. Jamais miracle
11e fut mieux opéré. Depuis ce jour il n’est
question, à dix lieues à la ronde que de
,
la pieuse ferveur du Curé constitutionnel,
et de ses succès inespérés sur la sainte re
lique. La rage des réfractaires est au com
ble mais ils n’osent la manifester car
5 5

chaque Paroissien affirme sur sa tête un


prodige qu’il a vu de ses yeux.
Comme toutes les vérités tiennent l’une
à l’autre, il en est de même des erreurs. Il
est d’un usage immémorial, dans la ville
Y
( 338 )
de Boulogne même Département que
, ,
vers le tems de la pêche du hareng , le
Curé se rend en cérémonie sur le port. Il
y bénit la mer, et sur-tout il a grand soin
d’exorciser les requins et de conjurer les
,
chiens de mer, toute cette engeance vo
race qui vient si souvent déchirer les filets
et contrarier la pêche et les pêcheurs.
L’année dernière, au jour indiqué, le
Curé constitutionnel se garde bien de man
quer à la cérémonie. Il fait plus, au lieu
de ne toucher l’eau que du bout des pieds
comme son prédécesseur, il s’y campe jus
qu’à la ceinture j le Rituel à la main il
,
exorcise dix fois plus fort. Enfin, il verse
dans les flots de la mer des flots d’eau de
puits, qu’en présence des spectateurs il
venait de bénir tout exprès.
Jamais pêche ne fut plus abondante.
Point de chiens de mer, point de requins.
L’eau bénite a fait merveille et les ma
5

telots de crier tous d’une barque à l’autre :


Vive le nouveau Curé!
Si la Constitution civile du Clergé n’é
tait pas l’ouvrage de la raison et de la sa
gesse , on ne manquerait pas, comme vous
( 33 9 )
Voyez, de l’entourer de miracles. Que nos
Prêtres inconstitutionnels auraient beau
jeu, s’ils avaient dans leur légende à con
ter un prodige pareil à celui qui vient d’ar
river à Perpignan !
On y attendait le nouvel Evêque. Mais
il était précédé par l’effervescence générale
qui régnait dans les esprits. Le peuple
voyait périr les récoltes ; une sécheresse
dévorante attaquait à-la-fois les hommes
et les végétaux. De mavais Prêtres faisaient
envisager ces calamités comme un effet de
la colère de Dieu, qui n’approuvait point
la géographie diocésaine décrétée par l’As
semblée Nationale. Dans ces circonstances
périlleuses, 011 apprend l’arrivée du nou
veau Prélat. Les mécontens, la menace à
la bouche, et conduits par des fanatiques,
se préparaient à exercer leurs fureurs. Un
ciel d’airain était toujours sans nuages.
Le lendemain matin, un coup de canon
annonce l’Évêque national de Perpignan.
Au même instant de grosses nues dérobent
la clarté du jour, et ne tardent pas de
tomber en pluie abondante. Le calme re
naît ce n’est pas un ennemi de la patrie,
5

Y 2
c’est un sauveur
Qui des cieux entr’otiverts fend la voûte profonde.
,
Alors une foule de patriotes marchent
en liâte au-devant du bon pasteur. A peine
a -1 - il fait quelques pas , la pluie s’arrête ;
et le tems reste serein. Mais , dès qu’ils
sont à couvert, les averses recommencent
de plus belle. Ils veulent partir, le soleil
reparaît. Ils entrent dans l’Église du faux-
bourg nouvelle ondée. L’Évêque prend
j
ses habits pontificaux ; il atteint la Cathé
drale par le plus beau tems du monde. Il
entre une nappe d’eau couvre Perpignan
5

et ses environs.
Oh ! pour cette fois l’enthousiasme est à
son comble. C’est à qui témoignera sa joie,
bonheur de posséder si digne Évê
son un
que. Hommes, femmes, enfans, tous lui
baisent les mains, et demandent sa béné
diction. Pressé, caressé, arrosé de larmes,
il serre dans ses bras les tendres mères et
les petits enfans. Et celui qui raconte ce
trait vraiment patriarchal, pleure lui-même
en l’écrivant.
Mais on a beau se pénétrer de l’esprit de
l’Evangile 5 on a beau suivre avec simpli-
( 34i )
Cité les maximes d’une Religion qui ne
compte parmi ses enfans que les liumbles
de cœur • l’intérêt, l’amour de l’or vient sou
vent empoisonner les objets les plus dignes
de notre vénération. Auri sacra famés!
Un Juif à Strasbourg, par spéculation,
avait entrepris une manufacture d’eau bé
nite par des Prêtres réfractaires. Le débit
s’en faisait assez rondement. Elle se col
portait dans les rues, comme ces Cocos
que nous voyons le long des quais pro
mener leur tisane sur le dos. JNTe voilà-t-il
pas que des patriotes de mauvaise humeur
vont dénoncer au District les porteurs, la
fabrique et les fabricans. Grande rumeur
dans le quartier. On invoque les Droits de
l’homme, et l’on prétend que cette eau
bénite ne fait de mal à personne. La plainte
en dernier ressort parvient à la Municipa
lité et sur ce délit religieux, on procède
5

en forme, et suivant les Décrets. Le Maire,


homme de sens, fait afficher que les bé-
nisseurs et les débitans d’eau bénite, com
me les rapeurs et débitans de tabac , se
raient au préalable tenus de se munir de
patentes. Ce qu’il y a de plus fâcheux,
Y 3
( M* )
c’est que, dans le même Departement oh
l’on trouve beaucoup de Prêtres, de Moi
nes , de Chanoines réfractaires, on craint
qu’on ne les oblige à la patente pour les
Eglises supprimées qu’ils desservent en
contrebande, et les Messes qu’ils vont dire
en bonne fortune dans les greniers et.
On propose à nos Casuistes réfractaires
et constitutionnels , une question très-dé
licate à résoudre.
Une maison de commerce de Lyon fut
chargée, par un de ses correspondans de
la Flandre Autrichienne, de faire dire qua
tre mille messes au meilleur marché pos
sible disant que le prix en était de 3o sols
,
dans le Brabant ; ce qui exigeait un dé
boursé de six mille livres , somme que
l’état de la succession ne pouvait supporter.
Ces quatre mille messes étaient couchées
dans un testament, parmi les charges que
le défunt avait laissées.
La maison de Lyon qui faisait tous les
genres de commission, cherche à exécuter
celle de son correspondant, avec tout le
zèle et le désintéressement possibles. Le ta
rif des messes était à Lyon, savoir 5 24 sols
( 343 )
chacune en détail ; 15 sols par centaine 5
12 sols par grosse et 10 sols en plus
5

tp’and nombre.
A force de marchander, on les obtint
par forfait à 3 sols l’une dans l’autre ce 5

qui réduisit le prix des quatre mille messes


à 600 livres que le révérend père Prieur
,
des Carmes empocha, et dont il donna
bonne et valable quittance, pour valoir ce
que de raison, tant devant Dieu que de
vant les hommes. Avant d’en venir à cet
énorme rabais, sur la première proposition
qui en fut faite à la porte du couvent, le
frère-lay répondit j Ah ! je t’en sucre des
messes à 3 sols, il y a déjà pour six-
blancs de 'vin.
Maintenant que les registres de la sa
cristie sont au grand jour, il appert que le
pieux Carme déchaux au lieu de passer sa
,
vie à dire quatre mille messes à 3 sols,
ce qui lui aurait à peine rendu pour du
tabac, en a dit seulement 25 à un louis
pièce, et qu’il croit sa conscience très-en
repos, et l’âme du défunt bien et duement
délivrée des peines du purgatoire par la
5

raison, disait-il, que le sang de l’agneau


Y4
( 345 )
Vu en grand ce qui s’est petit. On
passé en
eût crié à la trahison! à la trahison ! et
ces cris prononcés de rang en rang , à la
droite à la gauclie, au centre d’une grande
,
armée, n’eussent pas manqué de la mettre
en déroute. La fureur des soldats se fut
peut-être tournée contre les Généraux.
Qu’on juge de la confusion, du désordre!
C’est alors qu’une victoire complette était
réservée à nos ennemis ; c’est alors que nos
frontières sans défense leur ouvraient nos
forteresses, et leur livraient le chemin de
Paris. Le mal porté au comble, eût plongé
la France dans la consternation.
On n’entend pas de sang-froid raconter
que des soldats Français sont morts de
faim dans cette malheureuse tentative.
Pour marcher plus vite à l’ennemi, ils
avaient, dit-on, jetté leurs havrcsacs et
leur pain et par - là sont demeurés sans
5

ressource et sans alimens.


Après avoir cédé au sentiment d’admi
ration et de douleur que font naître de pa
reils récits, il faut songer aux moyens d’em-
pêclier qu’à l’avenir de grands évènemens
11e dépendent de si petite cause. Imitons
( 3/+ 6 )
les Américains qui comme nous com
, ,
battaient pour la Liberté. Si-tôt que la
guerre fut déclarée, on fit passer en Amé
rique tout le fromage du Mont-Jura. Dans
les marches difficiles et lointaines que les
soldats de Philadelphie étaient obligés d’en
treprendre on leur distribuait du fromage
,
de Gruyère. Ce comestible avec de l’eau
,
et du pain, forme un excellent viatique \
il n’exige ni feu, ni préparation. Le tems
de respirer, de faire halte, suffît pour dîner.
C’est avec cette nourriture économique, et
digne des Spartiates que les Insurgens
,
sobres et valeureux fondirent souvent sur
les Anglais au moment qu’ils s’y atten
daient le moins.
A l’appui de cet exemple, je citerai un
fait très-simple qui s’est passé sous mes
yeux. Des contrebandiers poursuivis par
les limiers de la Ferme générale vinrent
,
se réfugier à Ferney, chez l’apôtre de la
Liberté. Ils étaient au nombre de 60
,
et trouvèrent asyle pour dormir dans la
grange du patriarche. Il fut les visiter : il
les interroge sur tous les détails de leur
vie errante et pénible. Chargés comme des
( 347 )
mulets, et contraints de vivre
' comme l’oi
seau sur la branche, ils ne savent où re
poser leur tête. Il leur demande comment
ils peuvent subsister comment ils peuvent
$

se soutenir dans des marches continues,


dont chaque pas est empoisonné par la
crainte. Touchés jusqu’aux larmes de leur
bonne réception, ils racontent à M. de
Voltaire qu’ils avaient un moyen simple
et peu coûteux de vivre sans s’arrêter, en
traversant les forêts, en gravissant les ra
vins et les rochers chacun une galette
5

cuite comme du biscuit de mer, un mor


ceau de gruyère, un peu d’eau-de-vie dans
un flacon d’ozier, voilà de quoi marcher
trois ou quatre jours, pendant lesquels ils
échappaient aux ennemis et gagnaient le
rendez-vous.
Que de moyens de faire subsister le sol
dat ! Mais il faut l’accoutumer à compter
moins sur la protection de l’arrière-garde,
sur les provisions d’un camp, sur les se
cours de la grande armée. Il faut le sevrer
par degré de tout ce qui tient encore au
luxe des villes à l’aisance habituelle de la
,
vie, à la volonté seule de chaque individu.
( 343 )
Lorsqu’il a eu l’honneur de s’enrôler, il a
troqué tout cela contre un fusil.
De quoi vivent les Tartares si robustes
et si guerriers , les Scythes vagabonds ,
tous les peuples nomades enfans de la Liber
té? De quoi vivent les Nègres marons dans
l’Amérique, les Marates dans l’Indostan,
que toute la tactique Européenne n’a pu
dompter? Un peu de farine de maïs, ou
de riz, avec de l’eau que l’on trouve par
tout : voilà de quoi vivre libre ou mourir.
La raison est une arme au moins aussi
dangereuse pour nos ennemis que nos bou
ches à feu. Plusieurs milliers d’exemplaires
des Droits de l’homme, de notre Constitu
tion , des Décrets les plus utiles aux peu
ples répandus dans l’Allemagne, y fe
,
raient au moins autant de ravages que nos
légions. Mais, comment les y faire par
venir? En voici le moyen.
Je voudrais que l’on fit une quantité
considérable de petits ballons ; je voudrais
qu’on les plaçât le long des frontières, et
qu’au premier vent favorable, on les lançât
sur le pays ennemi de la manière suivante.
Une corde attachée à l’aérostat soutien-
( 34 9 )
tirait un cerceau, lequel placé horisontale-
inent, soulèverait à différens points de sa
circonférence différens petits paquets de
,
brochures suspendus par autant de ficelles.
A chaque ficelle serait collée une mèche
plus ou moins longue, qui brûlerait plus
ou moins vite , et finirait par rompre la
ficelle ce qui détacherait par intervalle
y ,
tantôt les Droits de l’homme , tantôt la
Constitution ; ici la réforme du Clergé,
la suppressioji des Moines, plus loin, celle
de la Féodalité, celle enfin de la Noblesse.
Un procédé aussi simple sèmerait ces feuil
les çà et là dans les campagnes Germani
ques, jusqu’à ce qu’un bon paysan les ra
massât. Bien entendu qu’il faudrait au
préalable les traduire en langue du pays
ennemi. C’est une croisade d’un nouveau
genre ; c’est un moyen de conquérir les
peuples à la Liberté sans coup férir ;
et Blanchard serait le Généralissime de
l’armée aérienne : il semblerait un ançe
qui vient du ciel apporter paisiblement la
Constitution, tandis que nos braves armées
et nos soldats de la Liberté la défendent à
coups de canons sur la terre.
( 35o )

A Pierre Evrard.
Il est
4 Août i 7g2
difficile de s’engouer du Scioto,
.

lorsque l’on ne peut détourner ses regards


des bords de la Meuse et du Rhin. On n’a
pas le courage de s’occuper du nouveau
inonde lorsque l’ancien monde nous pré
,
pare des évènemens si extraordinaires lors 5

que la patrie en danger est menacée d’être


envahie par la coalition des tyrans. Cepen
dant , je l’avouerai, toutes les facultés de
l’ame se raniment à Ja lecture du Décret
en faveur des Soldats Allemands qui dé
serteront. Je vois dans l’avenir le bon
heur universel qui va découler de cette
source de bienfaisance.
En fait d’entreprises politiques et loin
taines, je dirai seulement ce qu’il est per
mis de savoir à un urbain tel que moi.
L’expérience nous apprend qu’il est bien
difficile de s’établir paisiblement chez des
Nations barbares, comme celles du Scioto;
lors même qu'il suffirait d’une centaine de
coups de fusils pour les soumettre. Il faut
d’abord prévoir calculer tout ce qui est
,
( 35i )
relatif à la nouvelle colonie, les dépenses
nécessaires à cet établissement d’outre
mer , tout ce qui peut le rendre utile,
et le mettre en état de défense. Cette terre
promise n’a encore rien rendu aux spécu
lateurs des sommes immenses qu’elle leur
,
a coûtées. Au lieu de placer mes assignats
sur les déserts marécageux de l’Amérique
Septentrionale, à la merci des tigres, des
Sauvages et des serpensj j’aimerais autant
asseoir mon hypothèque dans la grande
Tartarie, sur les plaines fertiles qu’arrose
l’Euphrate, où j’irais bâtir des châteaux
sous le bon plaisir de messieurs les Persans
et les Arabes.
Mais je suppose l’entreprise en valeur et
florissante ; vous comptez jouir de vos tra
vaux : vaine illusion ! Elle est attaquée par
les maladies les querelles intestines, les
,
jalousies de toutes couleurs. Si vous échap
pez au-dedans à tous ces fléaux désastreux 5

vous êtes assailli au-dehors par des voisins


puissans, ou dévoré par un ennemi féroce.
Il vous écrase froidement , se pare de votre
chevelure, et vous efface d’un continent
que Dieu avait placé à deux mille lieues
( 002 )
de vous. L’agioteuse Compagnie, qui vend
à Paris les terres cle cette malheureuse con
trée va bientôt perdre le reste de son cré
,
dit 5 quand on saura que le Scioto n’est
guère plus habitable que l’empire de la
Lune.
Hé, mon Dieu ! la nature en sait plus
que la cupidité. Gardez tant de peines, de
fatigues et d’argent pour votre pays natal.
INPallez pas chercher si loin ce qui est si
près de vous. Attendez le décret souverain
qui ordonnera le partage des communes,
le dessèchement des marais. Plus de douze
cents mille arpens vont être rendus à
l’agriculture : c’est la loi agraire du nou
veau régime. Des atteliers sans nombre se
ront ouverts de toutes parts à l’indigence,
à l’industrie à la multitude oisive, à tous
,
ceux qui ne peuvent être employés qu’aux
travaux des champs.
Confiez vos terres à ces mains généreu
ses qui apportaient contre nous l’étendard
de la mort, et désertent chaque jour les
drapeaux du despotisme. Des familles Al
lemandes Hessoisses Prussiennes des
, , 5

compagnies de toutes les communions, Pa


pistes
( 353 )
pistes et Luthériens, offrent leurs bras
nerveux pour féconder ces fameuses landes
de Bordeaux qui feraient à elles seules un
petit royaume.
Voyez les travaux incroyables commen
cés et finis en dix ans à travers les escar-
,
pemens des Pyrénées : les hommes de la
Liberté en feront-ils moins que les esclaves
de la corvée? Voyez au loin ces routes sa
blées qui se dessinent en écharpe sur le
dos des montagnes. On est saisi d’étonne
ment à l’aspect de ces Thébaïdes, où l’é
tranger qui passe , attire la curiosité des
habitans, comme serait celle des Hotten
tots. Malgré les intempéries des saisons,
les sécheresses les orages qui ont leur
,
foyer dans ces hautes montagnes, la pa
tience et la force ont su par-tout vaincre
et féconder une nature agreste et sauvage.
Dans ces vallées ombreuses, la chèvre
nourrie de serpolet, de genièvre et de ra
mée la génisse de fleurs odorantes, don
,
nent un lait abondant et balsamique. Des
tapis de verdure, des épis dorés, les pam
pres et les fruits couvrent un sol dont
la stérilité repoussait d’abord la main du

ry
Lu
I—
( 355 )
Cette idée qui présente d’abord un ca
ractère frivole, est bientôt rangée dans la
classe des hautes conceptions, quand on la
considère sous tous ses rapports. Il s’agit
d’élever un monument honorable pour la
nation Française, et qui ferait époque
dans l’histoire des connaissances humaines :
c’est un temple immense où l’œil embras
serait d’un seul regard toute la création vé
gétale. Chaque plante serait exactement
imitée dans son port dans ses feuilles
, ,
dans sa tige, dans ses caractères botaniques.
La masse aride de la terre, ornée d’une
brillante parure , présente un spectacle
aussi délicieux qu’imposant. La nudité des
montagnes est couverte par des arbres touf
fus. Sous cette enveloppe agreste, et jus-
ques dans les fentes humides des roches es
carpées croît et se renouvelle une foule de
,
végétaux aussi utiles, aussi surprenans,
qu’ils sont plus humbles et plus obscurs.
Les profondes vallées nous offrent tous les
bienfaits de la fraîcheur, toutes les mer
veilles de la végétation ; et dans les vastes
prairies, l’on ne se lasse point de contem
pler cette verdure tendre sans uniformité,
Za
ces couleurs nuancées sans affectation t
spectacle si magnifique et cependant si
,
simple et si gracieux !
Eli ! qui n’a pas entendu, qui n’a pas
senti cette éloquence muette des plantes et
des fleurs ! qui n’a pas rêyé quelquefois à
la gloire en regardant un rameau de lau
rier à la mort , en voyant un triste cyprès !
5

Quelle morale aimable et douce nous prê


che la rose fragile ! ses feuilles odorantes
et veloutées sont l’image des plaisirs, com
me ses épines le sont des peines de la vie.
Chaque végétal nous fait éprouver un sen
timent. Une couronne de bluets , par sa
couleur d’azur, donne à l’enfance une phy
sionomie presque céleste ; et la rouille du
tems qui couvre le tronc d’un chêne anti
que, montre que rien ne peut se survivre.
L’expérience nous dit que les plantes ne
sont pas seulement des objets agréables
pour les yeux , mais que des propriétés
utiles sont attachées à ces corps organisés :
l’homme, en les étudiant, peut en retirer
une foule d’avantages.
La théorie de la végétation manquait aux
Anciens. Sans elle, la nomenclature des
( 35 7 )
plantes n’est qu’un immense calios inac-
cessible à la lumière.
La Botanique , comme la Géographie ,
commence par être une science de mots.
Le tems précieux que les savans emploient
à les retenir, absorbe celui qu’ils devraient
donner à l’étude des propriétés végétales.
D ès lors cette science qui embrasse un des
trois règnes de la Nature, est ingrate et
stérile. Elle n’enseigne pas à connaître les
plantes, mais à les compter. Elle se borne
à faire l’inventaire de nos richesses, lors
qu’elle devrait apprendre à nous en servir.
Mais Lin née en ij3y-, met au jour son
y
système sexuel fondé sur des rapports en
core inconnus, et change bientôt la face de
la Botanique.
Depuis long-tems l’opinion générale a
flétri les herbiers. Loin de conserver les
plantes, ils les contrefont. Ils changent,
ils décomposent la nature ; ils ôtent aux
feuilles leur éclat, à la tige ses caractères,
aux fleurs la nuance et l’émail. Ils 11e con
servent ni la sayeur des végétaux, ni leurs
racines, ni leurs fruits. Toutes les espèces
sont jettées dans un même moule, et con-
Z 3
( 358 )
tractent les memes vices. Qui pourrait re
connaître dans une rose sèche la reine des
,
fleurs? La violette qui a perdu sa couleur
n’est plus cette fleur aimable et modeste
qui embellit les bords des ruisseaux, et
qui exhale les parfums du printems.
L’ingénieux Venzel propose de remplir
ce vuide immense et destructeur. Cet ha
bile artiste forme des végétaux avec une
exacte ressemblance, une scrupuleuse vé
rité. Représenter la nature telle qu’elle est $
construire une plante comme nous la voyons
dans le site où elle croît; saisir avec pré
cision la forme de ses feuilles, ses échan
crures et ses fibres ; rendre jusqu’au nom
bre d’étamines qui distinguent chaque es
pèce : telle est l’entreprise que ce Natura
liste veut créer en France. Toutes les plan
tes seront parfaitement imitées ; les feuilles
les plus composées et les plus bizarres, les
nuances les plus légères, les tiges molles,
ligneuses, canelées, celles qui sont cou
pées par des nœuds, celles des lizerons qui
se roulent , celle du lierre qui grimpe ,
celles des philadelphes qui s’entrelacent,
toutes sont rendues avec un écal succès*
( 35 9 )
Les plus grands arbres pourraient être fa
cilement copiés, soit en les prenant dans
leur état de jeunesse soit en réduisant
,
leurs proportions*
Ce n’est pas tout. L’aspect des végétaux
varie suivant l’âge et les saisons, le sol et
les climats. Ici, les mêmes plantes pour
raient être figurées dans leurs différens
âges, pourraient être étudiées dans chaque
période de leur existence. On exposerait
d’une manière sensible le caractère des
feuilles, le rang que les plantes occupent
dans les différens systèmes, les noms scien
tifiques et vulgaires, l’époque de la nais
sance et de la chûte des feuilles, celle de
la floraison la forme et la couleur des
,
graines et des fruits : tout ce qui compose
l’anatomie et l’histoire naturelle d’une
plante serait développé serait rendu
, ,
avec le plus grand soin.
La vue d’un Etablissement où tous les
végétaux qui existent seraient ainsi rassem
blés exciterait le plus vif et le plus juste
,
enthousiasme. On y jouirait à-la-fois du
spectacle des plus riches couleurs. On y
voyagerait dans tous les climats. Cet im-
Z4
( ?)6o )
mense laboratoire serait le tableau de la
végétation, le temple de la nature.
Ce serait le vaste dépôt de toutes nos
connaissances botanicpies. On y classerait
les plantes selon la méthode du savant
Jussieu. L’œil y suivrait la nature dans
toutes ses gradations, dans ses différences,
dans ses analogies, et passerait successive
ment en revue la végétation la plus hum
ble et la plus majestueuse, les productions
de toutes les latitudes, et le tableau vivant
de chaque mois de l’année.
Une fois cet attelier en activité, et ces
procédés bien connus, tous les voyages
lointains entrepris pour rechercher de nou
velles plantes, seraient fructueux. Ce der
nier avantage est le plus grand de tous. La
France salarie, en pays étrangers, des Bo
tanistes qui correspondent avec ceux de
Paris ) mais les plantes que nous recevons
d’eux sont en petit nombre et défigurées.
Tournefort, à la lin de ses pénibles voyages
sur les Pyrénées, gémissait amèrement de
voir déjà flétries des plantes qui lui avaient
coûté de si rudes fatigues. Combien n’eût-
il p#s été consolé, s’il avait connu la ma-
( 361 )
nière de T'enzel pour les reproduire !
Le Cabinet d’histoire naturelle de Paris ,
est sans doute une collection magnifique.
Mais ne pourrions-nous pas dire qu’il est
moins le sanctuaire de la nature, que son
vaste tombeau? Ses trésors sont des sque
lettes humains de tout â g e des oiseaux
?
empaillés qui plaisent aux yeux par les
brillantes couleurs, des minéraux, des rep
tiles des coquillages des insectes qui,
, ,
très-bien conservés, donnent aux salions
qui les renferment, un air de fraîcheur et
de vie qui charme l’imagination.
Combien nos galeries artificielles seraient
plus animées ! ce ne sont pas des végétaux
flétris et morts que nous exposerions aux
yeux, mais des plantes dont les formes et
les couleurs sont celles de la nature. En
les voyant, on croit être au milieu d’une
riante campagne dans le moment où l’au
rore les humecte de rosée, et les sollicite
à s’ouvrir.
On pourrait rassembler dans la même
enceinte la collection des gommes des
,
résines, des baumes et autres sucs extraits
des végétaux. On pourrait y placer aussi
( 3 62 )
les statues des fameux Botanistes, véri
tables créateurs de la science des plantes.
Un pareil édifice ne manquerait pas d’at
tirer les savans et les curieux de toutes les
parties du monde. Quel étranger un peu
lettré pourrait se résoudre à vieillir sans
avoir vu, au moins une fois la nature vé
,
gétale dans son temple? Ne fait-on pas le
voyage d’Italie pour étudier, pour admirer
les clief-d'œuvres de Michel-Ajige et de
Raphaël? le nom de Venzel serait un jour
mis à coté de ces grands maîtres.
La manufacture des végétaux daterait
de la cinquième année de la Révolution,
et du premier lustre de la Liberté. Cet éta
blissement serait le présage des jours cal
mes et florissans qui vont suivre les orages
politiques. Ce jardin artificiel, d’un genre
si nouveau, si extraordinaire, offrirait la
verdure et les plus doux paysages au mi
lieu des neiges et des frimats. Il perpétue
rait dans l’avenir la gloire du nom Fran
çais. Il imprimerait le sceai t^énie au
caractère du dix-liuitième si
( 363 )

TABLE.
A VAuteur de la Pétition du
Tiers-Etatr
page 1
Révolution de ijSg 3
A AT. Céruti. Veto absolu, 'veto
suspensif. 7
Ouvrir une Salle de Spectacle aux
Tuileries 12
A AT. Besn 1er. Ornemens d’Eglise
à la monnaie 15
Réponse 17
Lettre du Curé de Saint-Sulpice. . 20
Réponse 21
Adopter un nouveau Costume
Français 23
Conversation et conversion d’un
Aristocrate 25
Deuil de Cour
. .
3i
Les femmes oubliées dans la Consti
tution 33
A ristocratie Ordres
des
, des
Titj'es et des Caractères 42
A M- le Clërcq. Remise des E)?'oits
Féodaux 54
( 3 64 )
Libellâtes et Spadassins . .
58
Motion pour' transporter Voltaire
à Paj is %
62
Petite Lorette à Issy. Fondation
d’une Ville 68
ENFANS-NATURELS
Bâtir de jolies Bastides au Bois de
Boulogne 81
Les quarante Immortels du Louvre. 86
.
Enterrement de Charité. Liturgie
Française 89
Lettre du Chapelier de Voltaire. 97 .
Réponse 99
Les Ministres tout-puiss an s. La
Trinité des Bois 100
Pompe funèbre de Mirabeau.
Bues et Quais débaptisés
... 106
109
Lettre des Habitués du Café Pro-
cope-Zoppy 111
Réponse 118
»
Ambassades ridicules. Plus d’Am-
b assadeurs 114
Dialogue.- 118
Suppression des barrières et des
entrées 122
Voltaire, grand démocrate. . . .
125
( 366 )
Police de Paris. Jeux publics. 208
. . .
Décoration 'vajiiteuse des Juges ,

de Paix. 583
Anecdote du massacre de Na/zci. 265
.
Le Maire de Paris et le Maire de
Lojidf'es. 269
Education
t
. . . ,
dœ Louis JCIV. '
273
Ce qui se passe à Rome 278
L’Heure des Spectacles 285
Remèdes contre la Rage 290
Eloquence die la Tribune 290
Vendre les biens de l’Ordre de
JVLalthe 3oo
A certain Emigré
/ 302
La Guerre 007

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