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534 DIEU, SON EXISTENCE ET SA NATURE

vante : la sensation est au sensible ce que l'intellection est à

l'intelligible. De même l'amour sensible est au bien sensible

ce que l'amour rationnel est au bien rationnel, ils méritent

analogiquement et selon le sens propre le nom d'amour.

C'est ce dernier genre d'analogie qui caractérise, comme

le remarque S. Thomas (de Verilate, q. 2, a. 11), ce qui

convient intrinsèquement et formellement à Dieu et à la

créature1. Nous allons montrer qu'attribuer à Dieu l'être,

c'est dire : la Cause première est à son existence, ce que la

créature est à son existence, comme l'intellection est à

l'intelligible ce que la sensation est au sensible. Dans ce

second cas, on peut employer le mot connaissance au sens

propre pour désigner ce qui est commun aux deux ana-

logués, dans le cas précédent on peut au même titre

employer au sens propre le mot être1.

On voit que sous peine de se confondre avec une per-

fection univoque, une perfection analogue qui convient

intrinsèquement et formellement à plusieurs analogués ne

peut avoir qu'une unité de proportionnalité. Est una


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proportionaliler, non simpliciter una. C'est ce que nous allons

mieux comprendre, en examinant l'unité du concept d'être

en général.

**

6) Parmi les perfections analogues, il faut mettre au

premier rang l'être et ses propriétés transcendantales, l'un,

le vrai, le bien. Or, ces concepts n'ont qu'une unité de

proportionnalité et ne peuvent s'abstraire parfaitement de

leurs analogués, parce qu'ils les impliquent actuellement*.

En effet, une perfection commune qui est différenciée


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par des différences non extrinsèques, implique actuelle-

1. Il est une analogie tout à fait improprement dile, dont ne parle

jamais S. Thomas, car elle est en réalité une univocité. C'est celle

qui existe entre deux perfections univoques de degrés divers : deux

murs inégalement blancs. Scot admet cette analogie dile d'inégalité

entre Dieu et la créature, mais on ne sort pas ainsi de l'univocité.

2. Cf. Jean de Saint-Thomas, loco cil.


DEUXIÈME PARTIE : NATURE ET ATTRIBUTS DE DIEU 535

ment ces différences, bien qu'elle ne les contienne pas

explicitement.

Or, l'être et ses propriétés transcendantales sont diffé-

renciés par des différences non extrinsèques.

Donc l'être et les transcendantaux impliquent actuelle-

ment leurs différences, bien qu'ils ne les contiennent pas

explicitement. C'est dire qu'ils impliquent une multiplicité,

et n'ont pas une unité absolue comme les notions univoques

(genres et espèces), mais seulement une unité relative.

La majeure de cet argument est évidente ; si les diffé-

rences d'une perfection commune à plusieurs êtres ne sont

pas extrinsèques à cette perfection, elles lui sont intrin-

sèques. Il n'y a pas de milieu. Cette perfection ne les exclut

pas mais les inclut confusément, sans pourtant les contenir

d'une façon explicite ou distincte.

L'explication de la mineure le fait mieux entendre : les

différences de l'être qui constituent la substance et l'acci-

dent ne sont pas extrinsèques à l'être, elles ne seraient rien

(cf. la, q. 3, a. 5, et Métaph., III, c. m, leç. 8) ; la substance


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en tant que substance, disait Aristote1, est encore de l'être

comme elle est un? et vraie ; il en e it de même de l'accident.

Tandis qu'on ne peut dire que la rationalité dans l'homme

est de l'animalité. L'être contient donc actuellement et

implicitement les modalités qui le différencient, et il est

lui-même impliqué en elles lorsqu'elles existent. Puisqu'il

implique actuellement cette multiplicité de modes d'être,

il n'a pas une unité absolue, comme un concept univoque,

mais seulement une unité relative, qui ne peut être, nous

allons le voir, qu'une unité de proportionnalité.

Cela apparaît dans la définition même de l'être, pour


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autant qu'on peut le définir. L'être se définit de deux

façons : 1° d'une façon pour ainsi dire descriptive : l'être,

c'est ce qui existe ou tout au moins peut exister (nomine

entis communiter intelligitur id quod existit aut saltem

existere potest) ; 2° d'une façon plus formelle en tant qu'il

1. Melnph., l. X, c. i ; l. IV, c. i ; l. XII, c. iv. — Post Anal.,

1. II, c. xiii et xiv. — Ethiq. à Nie, l. I, c. vi.


536 DIEU, SON EXISTENCE ET SA NATURE

est abstraifau^moins imparfaitement de ses analogués :

l'être c'est^cejdont l'acte est l'existence (ens est id cujus

actus est|esse). Or, dans l'une et l'autre de ces deux défini-

tions de l'êtrefapparaît la multiplicité qu'il contient actuel-

lement et implicitement, et qui ne lui laisse qu'une unité

relative.

En effet.fdans la première définition de l'être « ce qui

existe ou tout au moins peut exister » apparaît clairement

une dualité, celle de l'être réel actuel et de l'être réel

possible. Si maintenant on veut concevoir l'être réel actuel,

on s'aperçoit que son actualité est essentiellement variée, selon

qu'il existe par soi (Dieu) ou qu'il n'existe pas par soi

(créature). L'actualité existe formellement dans les deux

cas, mais plus du tout de la même manière. Si enfin on

veut concevoir l'être qui n'existe pas par soi, mais par un

autre, on s'aperçoit que cette nouvelle manière d'être varie

elle aussi essentiellement, selon que l'être existe en soi

(substance) ou dans un autre (accident). La notion d'être

implique donc une variété qui lui est essentielle ; il n'y a pas
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plusieurs manières d'être homme, mais il y a plusieurs

manières essentiellement diverses d'exister.

SI par soi (Dieu).

ce qui existe } ( en soi (substance).

1 par un autre I

\ (créature).

ou peut exister.

dans un autre (accident).

Et il est manifeste que les membres de cette division

se distinguent entre eux non pas seulement par leur diffé-

rence propre, mais encore en lant qu'ils sont de l'être. La


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substance diffère de l'accident non seulement comme

subslance, mais comme être, elle n'est pas de la même ma-

nière, et c ;tte manière n'est pas extrinsèque à l'être. Tandis

que l'homme diffère seulement du chien par sa différence

spécifique, la rationabilité, et non pas par son genre,

l'animalité. L'animalité désigne dans les deux la même

chose de la même manière : corps doué de vie sensitive. On

voit par là que l'unité de concept d'être n'est pas une unité

absolue, mais seulement une unité relative, et la seconde


DEUXIÈME PARTIE : NATURE ET ATTRIBUTS DE DIEU 537

définition de l'être montre bien que cette unité relative

est celle d'uDe proportionnalité.

L'être, en tant qu'il est abstrait, au moins imparfaite-

ment, de ses analogués, se définit : ce dont l'acte est l'exis-

tence, id cujus actus est esse. Pourquoi ? Parce que tous les

analogués de l'être méritent le nom d'être en tant qu'ils ont

rapport à l'existence, proul se habent ad esse, et ils le mé-

ritent d'aulant mieux qu'ils ont un rapport plus intime avec

., . , Dieu substance créée accident „ , ,

1 existence. r:— = .- — = .-— Ce rapport à

son être son être son être rr

l'existence n'est pas univoque, comme le sont, par exemple,

les rapports dont l'égalité constitue une proportion arithmé-

46

tique : ^ = 3- 4 est le double de 2, de la même manière que

6 est le double de 3 ; le terme relatif double est univoque. Au

contraire, le rapport à l'existence n'est pas le même dans ce

qui existe par soi et ce qui existe par un autre ; on peut

cependant parler de proportionnalité en un sens non pas


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arithmétique, mais métaphysique, car ce qui est par soi a

rapport à son existence, comme ce qui est par un autre a

rapport à la sienne. Si donc l'on veut définir l'être en tant

qu'il abstrait au moins imparfaitement de ses analogués, il

faut exprimer surtout ce rapport à l'existence, qui se re-

trouve de façon différente dans les divers analogués.

Notons toutefois avec Cajetan1 et Jean de Saint-Thomas2

que le concept de l'être analogue n'est pas le concept d'une

relation, comme on l'a parfois prêté à tort aux thomistes ;

c'est le concept de ce qui fonde cette relation à l'existence ;

nous ne disons pas : « Ens est habitudo ad esse » ; mais :


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« Ens est id cujus actus est esse. » Et cet id exprime

confusément tous les analogués en tant qu'ils se ressemblent

par leur rapport varié à l'existence. Ce rapport n'est pas

une relation accidentelle, comme la paternité, c'est une

relation essentielle ou transcendanlale, en d'autres termes

c'est l'essence même en tant que relative à l'existence,

comme l'intelligence est relative à l'intelligible.

1. De Analogia nominum, loco cit.

2. Cursus phil., q. 13, a. 5.


538 DIEU, SON EXISTENCE ET SA NATURE

Le concept d'être a bien une certaine unité1, c'est ainsi

que nous pouvons penser à l'être sans penser explicitement

à ses analogués : Dieu et la créature, la substance et l'acci-

dent ; c'est ainsi encore que la métaphysique, qui a pour

objet l'être en tant qu'être, peut être une science une. Mais

l'unité de ce concept n'est pas absolue, car il contient

actuellement et implicitement une multiplicité. Il est

impossible en effet de concevoir positivement Vêtre actuel

dont l'actualité est essentiellement variée, sans penser confu-

sément ou implicitement à l'être qui existe par soi et à l'être

qui n'existe pas par soi. Et ce n'est là d'ailleurs qu'un

concept inadéquat de l'être actuel ; pour en avoir un

concept adéquat il faudrait penser explicitement à la

variété qui lui est essentielle2. Voulons-nous abstraire l'être

de ses analogués ? Nous le définissons : ce dont l'acte est

d'exister. Mais, même alors, ce rapport à l'existence étant

essentiellement varié ne peut être conçu sans qu'on pense

au moins confusément aux membres de la proportion dans

lesquels il se réalise. Tandis qu'on peut très bien penser à


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l'animal sans penser confusément aux différentes espèces

d'animaux; l'animalité se réalisant de la même manière en

toutes ces espèces, peut s'abstraire parfaitement des diffé-

rences spécifiques qui lui sont extrinsèques (perfecte

prsescindit a differentes specificis).

1. Nous avons dit plus haut, avec Aristote et saint Thomas

(la, q. 85, a. 6), que la notion première d'être ne peut être fausse,

c'est-à-dire ne peut exprimer faussement le réel, parce qu'étant

simple elle ne peut être la réunion d'éléments incompossibles. Cette

simplicité n'est pas opposée, quoi qu'en dise Scot, à l'unité de

proportionnalité dont nous parlons ici ; elle ne serait opposée qu'à


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une unité provenant d'une composition d'éléments qui pourraient

être incompossibles. Cajetan dit très clairement dans son traité

de Analogia nominum, c. vi : « Analogum ut superius prxdicatur

de analogatis, et non sola voce commune est eis, sed conceptu

unico proportionaliter.. . est unum non per accidens, aut congre-

gatione, sicut acervus lapidum, sed per se constat esse etiam unum

proportione. » Item in de Conceptu entis : < Ens quoque habere

conceptum simplicissimum consonat dictis, quoniam cum simpli-

cilas composilioni opponatur et unum analogia non sit unum com-

positione aliqua. »

2. Cajetan, De Conceptu entis : « Concoptus adsequatus analogi

exigit reprsesentationem omnium fundantium analogiam. >


DEUXIÈME PARTIE : NATURE ET ATTRIBUTS DE DIEU 539

Pour soutenir l'unité absolue du concept d'être, certains

scotistes et suaréziens ne considèrent pas l'être positi-

vement en lui-même, mais seulement dans son opposition

au néant, comme non-néant1. Mais il est clair que, l'affirma-

tion précédant la négation, l'être se conçoit avant le néant,

qui, lui, ne se peut penser que par opposition à l'être. Du

reste, l'opposition de l'être au néant est elle-même essen-

tiellement variée, selon qu'elle est nécessaire ou contingente

et convient à ce qui existe par soi ou à ce qui n'existe pas

par soi.

Cajetan ne veut pas dire autre chose lorsque, dans ses

traités de Analogia nominum, c. iv et vi, et de Conceptu

entis, il ne cesse de répéter de différentes façons : « Con-

ceptus sive mentalis sive objectivus entis non habet unita-

tem simpiiciter sed solum unitatem secundum quid, id est

secundum proportionalitatem. » Parlant de la résolution

à l'être de tous les autres concepts, il écrit : « Omnia

resolvuntur in conceptum objectivum et mentalem simpli-

cem et unum proporlionabiliter. » Opusc. de Conceptu entis.


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Et c'est ce qu'avait dit S. Thomas lui-même nombre de

fois2. — Le passage capital du de Verilate, q. 2, a. 11, peut

se résumer comme il suit3 : « La convenance selon une

1. Cf. Belmond, V (Jnivocilè scotiste, Revue de Philosophie,

1" juillet 1912, p. 41.

2. Voirl'index général deses œuvres, Tabula .Aurea P. a. Brrgomo,

au mot Analogia n° 4 et au mot Propoktio n" 3. Cf. la, q. 12, 1,

4». — 3, d. 1, q. 1, 1, 3». — 4, d. 49, q. 2, a. 1, q. 1, 6m. —

De Verilale, q. 2, a. 3, 4"» ; q. 2, a. 11, c. et 6" ; q. 3, a. 1, 7"» ;

q. 2.3, a. 7, 9m. — Quodl., 10, 17, lm.)

3. De Verilale, q. 2, a. 11. « Utrum scientia aequivoce de Deo


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et de nobis dicatur. — Unde dicendum est quod nec omnino

univoce, nec pure aequivoce nomen scientia» de scientia Dei et de

nostra prsedicantur, sed secundum analogiam : quod nihil est

aliud dictu quam secundum proportionem. Convenientia enim

secundum proportionem polest esse duplex ; et secundum hoc duplex

allendilur analogies communilas. Est enim quaedam convenientia

inter ipsa quorum est ad invicem proportio, eo quod habent deter-

mina tam distantiam vel aliam habituelinem ad invicem, sicut

binarius cum unitate, eo quod est ejus duplum ; convenientia

etiam quandoque attenditur duorum ad invicem inter quae non ait

proportio, sed magis simililudo duarum ad invicem proportionum ;

sicut senarius convenit cum quaternario ex hoc quod sicut senarius


540 DIEU, SON EXISTENCE ET SA NATURE

proportion peut être double, on a ainsi une double analogie.

Il peut y avoir convenance entre deux termes proportionnés

selon une mesure déterminée, comme entre 2 et 1 ; 2 est le

double de 1. Ou bien il y a convenance entre deux termes

non proportionnés, mais proportionnels, ainsi entre 6 et 4,

car g=2. La première convenance est une proportion, la

seconde une proportionnalité ou similitude de proportions.

Selon le premier mode de convenance on peut dire que 1 être

convient analogiquement à la substance et à l'accident qui

lui est proportionné. Mais l'être ne saurait convenir de la

sorte à la créature et à Dieu, it n'y a entre les deux qu'une

similitude de proportions ou une proportionnalité, comme

celle qui existe entre notre intelligence et le sens de la vue :

l'intelligence est à l'être intelligible ce que la vue est à la

couleur, et cette similitude de proportions peut s'exprimer

par le mot connaît. » De même de Verilale, q. 23, a. 7, ad 9 :

« Sicut se habet Deus ad ea quae ei competunt, ita creatura

ad sua propria. » Le sens connaît les choses sensibles, l'intel-

ligence humaine connaît les raisons des choses par une con-
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naissance qui est causée par les choses, l'intelligence divine

connaît toutes les choses créées par une connaissance qui

est duplum ternarii, ita quatemarius binarii. Prima ergo conve-

nientia est proporlionis, secunda aulem proporlionalilalis.

« Unde et secundum modum primée convenientise invenimus

aliquid analogice diclum de duobus quorum unum ad alterum

habitudinem habet ; sicut ens dicitur de substantia et accidente,

ex habitudine quam substantia et accidens habent ; et sanum

dicitur de urina et animali, ex eo quod urina habet aliquam

similitudinem ad sanitatem anima lis.

« Quandoque vero dicitur aliquid analogice secundo modo


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convenientiaB, sicut nomen visus dicitur de visu corporali et

intellectu, eo quod sicut visus est in oculo, ita intellectus est in

mente, yuia ergo in his quse primo modo analogice dicuntur, oportet

esse aliquam determinatam habitudinem inter ea quibus est

aliquid per analogiam commune, impossibile est aliquid per hune

modum dici de Deo et creatura. Sed in alio modo analogiae nulla

determinata habitudo attenditur inter ea quibus est aliquid per

analogiam commune, et ideo secundum illum modum nihil pro-

hibel aliquod nomen analogice dici de Deo et creatura. Sed tamen hoc

contingit dupliciter : (metaphorice et proprie... Et proprie pro

his) in quorum definitione non clauditur defectus, nec dependent

a matena secundum esse, ul ens, bonum est alia hujusmodi. • —

On peut se rendre compte par ce texte et les autres semblables

que nous avons indiques, que l'analogie de proportionnalité en-


DEUXIÈME PARTIE : NATURE ET ATTRIBUTS DE DIEU 541

est cause des choses. Dans ces trois propositions il est clair

que le mot connaît n'est pas pris dans le même sens uni-

voque, comme l'est, par exemple, l'animalité attribuée à

l'homme et au chien. De même'Dieu existe par son essence

même, la créature existe, mais non point par son essence.

Il est clair qu'exister n'est pas pris dans le même sens, uni-

voquement, bien que dans les deux propositions il soit vrai,

selon son sens propre. Il n'y a ici aucune métaphore, aucun

symbolisme.

Soutenir avec les agnostiques que dans cette similitude

de proportions il y a toujours deux inconnues, c'est réduire

la connaissance à la connaissance univoque, et déclarer que

Dieu reste absolument inconnu parce qu'entre Lui et nous

il n'y a rien d'univoque. En réalité il n'y a pas deux incon-

nues, mais deux termes créés connus directement, un terme

exprimant l'analogué incréé connu indirectement, d'où

l'on infère le quatrième terme :

Créature Cause première Créature Cause première

son être X son être son être


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Cela s'explique si l'on remarque que nous avons : 1° le

concept très confus de l'être en générat, celui que possède

l'enfant dès sa première connaissance intellectuelle ; 2° le

concept d'être fini dont nous connaissons positivement le

seignée par tous les thomistes est bien la doctrine de saint Thomas

lui-même.

On peut ajouter que si l'analogie de l'être est formellement une

analogie de proportionnalité, elle est virtuellement une analogie

d'attribution, en ce sens que si, par impossible, l'être ne convenait

pas intrinsèquement à la créature, il pourrait encore lui être attri-

bué extrinsèquement, en tant qu'elle est un effet de l'Etre premier,


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comme l'urine est dite saine en tant qu'elle est un signe de la santé

qui convient intrinsèquement à l'animal. Cf. Jean de Saint-

Thomas, Cursus Phil., q. 14, a. 3, et Goudin, Melaph., q. 1, a. 2.

Plusieurs textes de saint Thomas, par ex. : De Veritale, q. 23, a. 7,

ad 9um, sont conformes à cet enseignement. Mais ce qu'on ne

trouvera jamais chez lui, c'est l'univocité de l'être ni une unité de

concept qui serait autre chose qu'une unité de proportionnalité :

l'être qui convient intrinsèquement à Dieu et celui qui convient

intrinsèquement à la créature n'ont entre eux pour saint Thomas

qu'une similitude proportionnelle, comme celle qui existe entre

la connaissance propre à l'intellect et celle qui est propre au sens.

Sur ce point il est manifestement impossible de concilier avec

saint Thomas les doctrines scotistes et suaréziennes.


542 DIEU, SON EXISTENCE ET SA NATURE

mode fini, qui n'est autre que l'essence des choses que nous

voyons, pierres, plantes, animaux, etc. ; 3° le concept d«

l'être analogue, imparfaitement abstrait du mode fini : c'est

le concept dont nous venons de parler ; il est une précision

du premier concept très confus que possède l'enfant, et Ie

métaphysicien l'acquiert en se rendant compte que la rai-

son formelle d'être ne comporte pas de soi le mode fini qui

l'accompagne dans la créature ; 4° le concept de l'être divin,

cause des êtres créés. Ceux-ci, en effet, n'ayant pas dans

leur essence la raison de leur existence, exigent une cause

qui existe par soi. Dans ce concept de l'être divin, le mode

divin n'est exprimé que de façon négative et relative, ex. :

être non-fini, être suprême. Ce qu'il y a de positif dans cette

connaissance analogique de Dieu, c'est donc ce que Dieu a

de proportionnellement commun avec la créature.

Les agnostiques insistent : si la similitude analogique

... i.ii , Dieu créature ,

n existe qu entre les deux rapports r-— = tt— le

t rr son être son être


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concept d'être analogue n'est plus que celui d'une

relation et comment alors éviter le schème agnostique

^ c'est-à-dire 7 = g ? Ne reste-t-il pas toujours

deux inconnues dans la proportionnalité ? Tout au moins

nous ne semblons avoir qu'une connaissance purement

négative et relative.

Le nominalnme ne peut pas parler autrement.

Le réalisme modéré répond : le concept d'être tout

d'abord n'est pas celui d'une relation, comme le concept

de paternité. La paternité est la pure relation accidentelle

d'un homme à son fils. Il existe au contraire des relations


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non accidentelles, mais essentielles, qui sont impliquées

dans une essence déterminée ou dans une de ses facultés.

Et le concept, qui exprime cette essence, exprime en même

temps la relation qu'elle contient. Ainsi l'être désigne ce qui a

rapport à l'existence, ce rapport est impliqué dans la nature

même de ce qui existe, et il est essentiellement varié selon

qu'il est nécessaire ou contingent. L'essence créée dans son

entité intime est toute relative à son existence contingente,

qu'elle peut perdre ; l'essence incréée ne se conçoit que

»
DEUXIÈME PARTIE : NATURE ET ATTRIBUTS DE DIEU 543

relativement à l'existence nécessaire avec laquelle elle

s'identifie. Ainsi encore le concept d'intelligence ne désigne

pas une pure relation, en nous il signifie une faculté essen-

tiellement relative à l'être intelligible ; en Dieu, il désigne

l'éternelle et subsistante intellection de l'être toujours

actuellement connu.

Les perfections analogues ne sont donc pas de pures

relations. Ce sont des perfections qui impliquent dans le

créé la composition de deux éléments corrélatifs : la puis-

sance et l'acte, et qui en Dieu sont pur acte. Notre intelli-

gence conçoit qu'elles se réalisent d'autant mieux qu'elles

sont purifiées de toute potentialité ; en Dieu donc elles

existent à l'état pur.

On voit par là qu'il n'y a point deux inconnues dans les

proportionnalités établies par la science théologique.

Dans ces équations, il convient de désigner Dieu par

Cause première, puisque c'est par ce concept relatif aux

êtres contingents, que nous l'atteignons tout d'abord, et

l'on écrit ensuite les perfections dans leur ordre nécessaire,


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qu'elles aient rapport ou non aux créatures :

être contingent Cause première

son être son être

Créature immatérielle Cause première immatérielle

son intelligence son intelligence

Créature intelligente Cause première intelligente, etc.

sa volonté sa volonté

Dans ces équations deux termes créés sont connus direc-

tement, un terme incréé est connu indirectement par voie

de causalité et l'on infère le quatrième terme qui est connu

indirectement, d'une façon positive en ce qu'il a d'analogi-


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quement commun avec les créatures, d'une façon négative

et relative quant à son mode propre divin.

Telle est la différence profonde d'une perfection absolue

analogue et d'une perfection univoque. La première

implique actuellement une variété essentielle. "L'être,

comme être, est en ce sens essentiellement varié (actu

implicite). Cette différence profonde a été mécon-


544 DIEU, SON EXISTENCE Et SA NATURE

nue par Scot, pour qui le concept d'être a une unité

non pas seulement proportionnelle, mais absolue, et

mérite d'être appelé univoque, sans être pourtant un genre.

Cette univocité est défendue par ses disciples au moins au

point de vue logique1, en tant que l'être est conçu comme

non-néant ; nous avons vu que cette distinction n'est pas

fondée — Suarez ne va pas jusqu'à déclarer l'être univoque,

mais il maintient l'unité absolue du concept, comme Scot,

et considère l'analogie comme incertaine2. On ne voit plus

dès lors, selon les thomistes, en quoi l'être diffère d'un

genre. Et si l'être, comme être, n'est pas essentiellement

varié, le danger de panthéisme n'a rien de chimérique. Nous

aurons à y revenir.

L'unité de proportionnalité que nous venons de montrer

dans l'être existe au même titre dans les propriétés transcen-

dantales de l'être ; l'unité, la vérité, la bonté, qui accom-

pagnent l'être dans toutes les catégories, et s'y retrouvent

proportionnellement comme lui. C'est ainsi que les êtres

sont plus ou moins uns ou indivis, plus ou moins vrais ou


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conformes à l'intelligence première, plus ou moins bons ou

parfaits ; par exemple : un fruit est bon à sa manière,

physiquement ; un homme vertueux est bon à sa manière,

moralement ; et ces diverses manières ne sont pas extrin-

sèques à la bonté, elles sont bonnes elles-mêmes ; comme

les différentes manières d'être un ne sont pas extrinsèques

à l'unité, chacune est une elle-même. Les propriétés trans-

cendantales de l'être ne sont pas différenciées par des

différences extrinsèques, mais elles impliquent ces diffé-

1. C'est déjà au point de vue logique que l'être est analogue à

Dieu et à la créature ; et ce qui fonde mélaphysiquement cette ana-


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logie, c'est que dans la créature l'essence n'est pas l'exislence, tandis

que Dieu est l'existence même.

2. Cf. Suarez, Disput. melaph., II, sect. 2, n. 34 : « Nunc solum

assero omnia quœ diximus de unilale conceptus entis, longe cla-

riora et certiora videri, quam quod ens sit analogum ; et ideo non

recte propter defendendam analogiam, negari unitatem conceptus,

sed si alterum negandum esset, potius analogia quss incerta est,

quam uni las conceptus, quae rectis rationibus videtur demonstrari,

esse neganda. »
DEUXIÈME PARTIE : NATURE ET ATTRIBUTS DE DIEU 545

rences, comme Aristote l'avait très bien vu1. L'unité de

leur concept n'est donc qu'une unité de proportionnalité.

L'unité divine n'a qu'une similitude de proportion avec

l'unité de notre âme, car elle est riche d'une multiplicité

virtuelle infinie. — La vérité divine n'est pas seulement la

conformité de l'intelligence avec l'être, ou de l'être avec

l'intelligence, c'est leur identification. La bonté divine n'est

pas comme nos vertus une perfection surajoutée à l'essence

où elle se trouve, c'est la plénitude même de l'être divin.

**

c) Ce que nous venons de dire de l'être en général et de

ses propriétés est vrai de toutes les perfections absolues

•analogues que le sens commun attribue à Dieu, comme

l'Intelligence, la Sagesse, la Providence, la Volonté libre,

l'Amour, la Miséricorde, la Justice.

Le symbolisme agnostique s'égare manifestement lors-

qu'il ne veut voir en elles que des analogies métaphoriques,

semblables à celle qui nous permet de dire au sens figuré :

Dieu est irrité. La colère est formellement une passion


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d'ordre sensible qui ne saurait exister formellement en Dieu

qui est esprit pur. Au contraire, l'intelligence, la volonté

et leurs vertus sont des perfections absolues sans trace

aucune d'imperfection.

Le symbolisme agnostique s'égare encore lorsqu'il

ne veut voir dans l'expression « Dieu est intelligent »

qu'une analogie de simple attribution extrinsèque relative

aux créatures. Comme si cette proposition voulait seule-

ment dire : Dieu peut produire en nous l'intelligence, et

mérite le nom d'intelligent, comme l'air favorable à la

santé est appelé sain. A ce compte, Dieu qui peut produire


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les corps, pourrait être dit corporel. Ici encore le symbo-

lisme oublie de distinguer les perfections absolues et les

perfections mixtes.

1. Aristote, Melaph. i. IV, c. i. — l. X, c. i — l. XII, c. iv —

Ethic. ad Nie. l. I c. vi. — Post. Analyl. l. II, c. xm et xiv.

Dieu 35

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