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REVUE THOMISTE
PAEÂISSMT TOUS LES DEUX MOIS
PARIS
BUREAUX DE IA REVUE THOMISTE'
222.^RBE DU FAUBOURG-SAINT-HONORÉ
REVUE THOMISTE
F. LEVE, IMPRIMEUR DE L ARCHEVECHE DE PARIS
17, BUE CASSETTE, 17
QUATRIÈME ANNEE
PARIS
BUREAUX DE LA BEVUE THOMISTE
222, SUE DU FAUBOURG-SAINT-HONORÉ
REVUE THOMISTE
DE L'HYPNOTISME
(Suite)
(1) « J'appelle acte humain celui qui procède d'une volonté délibérée. De Malo, q. n,
»
a. S.
(2) Ibid.
REVUE THOMISTE.
— 4° ANNÉE.
— 1
REVUE THOMISTE
(1) De Malo, q.
iv, a. 1, ad Vè.
REVUE THOMISTE
(1) Supplem q. 1.
, xux, a.
(2) Ibid., art. i, ad. 1. '
(3; BEHNIIEIM, De la Suggestion,
p. 2o.
REVUE THOMISTE
Une notion domine tout ici, et nous ne pouvons plus faire un pas
sans l'avoir définie : c'est la notion de ce qui est mal. Que faut-il
pour qu'il y ait mal, à proprement parler? Quand peut-on dire en
particulier, et en observant la rigueur du langage philosophique et
théologique : Ceci est un mal, pour l'homme : Écoutons saint Tho-
Ce
mas : « nom de mal, dit-il, signifie une certaine absence de bien,
qusedam absentia boni (1). » Ce n'est pas sans raison que le grand
Docteur a écrit : « une certaine absence de bien, qusedam absentia.
En effet, remarque-t-il fort justement, l'on n'appelle pas mal
l'absence quelconque d'un bien. Car l'absence d'un bien peutexister
de deux manières. Il peut y avoir absence d'un bien qui devrait
être, l'absence est alors une privation; il peut y avoir absence d'un
bien que rien ne commande, et. l'absence, dans ce cas, est une
simple négation. Or, l'absence d'un bien, simple négation, ne cons-
titue pas un mal. Autrement il s'ensuivrait que les êtres qui n'exis-
tent en aucune manière seraient autant de maux; et encore que
toute chose serait mauvaise par le seul fait qu'elle n'a pas la per-
fection des autres choses; que l'homme, par exemple, serait mau-
vais parce qu'il ne possède ni la rapidité du chevreuil ni la force du
lion. Le mal, c'est l'absence d'un bien qui devrait être : ainsi la
cécité, ou privation dé la vue, est un mal, dans l'homme (2). »
Pour le même motif « l'absence de la vue, qui serait un mal dans
le boeuf, n'est pas un mal dans la pierre, parce que la nature de la
pierre ne comporte pas qu'elle ait des yeux (3). »
Le mal, à parler proprement, est donc l'absence d'un bien ou
d'une perfection qui devrait être, defectus boni quod natum est et
débet haberi (k), « privatio debitae perfectionis (5)». Voilà une notion
essentielle à retenir, et qui nous permet maintenant de résoudre la
question que nous nous sommes posée :
En soi, est-ce un mal que l'homme ne jouisse pas, pendant quel-
ques moments, de l'usage de sa raison, gardant d'ailleurs la puis-
sance prochaine de s'en servir ?
Avoir toujours en acte l'usage de sa raison, exercer toujours
(1) Certains sujets ne sont pas susceptibles d'être influencés parles suggestions pendant
leur sommeil hypnotique. D'autres sujets acceptent les suggestions' dans certaines phases
du sommeil hypnotique et
ne les acceptent pas dans les autres. (PITRES, Leçons cliniques
ur l'hystérie et l'hypnotisme, t. II, p. 566.)
(2) De la Suggestion,
p. 17.
12 REVUE THOMISTE
condamnable.
"Mais les dangers de l'hypnose?
Nos lecteurs voudront bien s'en souvenir, je les ai exposés en
détail, et sans rien dissimuler, dans le « Procès de l'Hyp-
nose » (2); mais j'ai aussi rapporté, à la même occasion, ce que
disent les défenseurs de l'hypnotisme pour montrer que ces
dangers ne lui sontpas imputables. Il paraît bien ressortir de ce
débat, et des résultats obtenus par la pratique aujourd'hui cou-
rante de l'hypnotisation dans les cliniques, que l'hypnose est
très dangereuse, employée par des gens maladroits ou malhon-
nêtes, mais qu'elle n'offre aucun danger employée par des hommes
expérimentés et consciencieux.
« L'hypnotisation, par elle-même, est-elle dangereuse pour
seuls médecins aux seuls malades qui consentent et dans le seul but de les soulager et
y
de les guérir. » (Mémoire cité.)
(3) V. Revue Thomiste, n" de septembre 1895,
p. 581-83.
16 •• .•'• REVUE THOMISTE
DE SIGER DE BRABANT
?w
Y
(1) COUSIN, l. c,
p.i.in.
(2) A. .louiuiAiN, Recherches critiques
sur l'âge et l'origine des traductions latines d'Aristote,
Pans, 1813, p. Ïi3.
(3) L. c, p. 52-S8. ' "
•'
20 - REVUE THOMISTE
(1) Il est hors de doute que Boèce a traduit la De Anima; et le Métaphysique deBoocc.
Saint Thomas a certainement 'retrouvé ces traductions de son temps, car il les cite
constamment dans ses commentaires aux mêmes livres. Jourdain qui connaissait le fait
a cru que ce Boèce était un Boèce de Dacie, dominicain du commencement du xmcsiècle.
Mais il n'y a pas de dominicain de ce nom ayant eu une activité littéraire importante.
Ce personnage fictif qu'on trouve chez un bon nombre d'auteurs est un dédoublement de
Boèce de Dacie, maître parisien es arts, averroïste notoire, entraîné comme Siger do
Brabant dans la catastrophe averroïste de 1277, et mort dans les prisons inquisitoriales
en Italie avant 1284. Nous établirons ailleurs ces faits avec le développement et les
preuves qu'ils comportent. — Dès lors aussi on ne peut plus être admis avec Jourdain
à mettre en doute le fait que Boèce dans ses commentaires sur le Perihernienias renvoie
véritablement à sa traduction de la « Physique » (Recherches, p. 54).
(2) Ouvrages inédits d'Abélard, p. i.i et suiv. Abélard écrit : « Aristotelis enim duos
tanlum Pr.oedicamentorum scilicel. et Periermenias libres usus adlmc latinorum co'g-
novit » (p. I.III-LIV).
(3) Y. COUSIN, Ouvrages inédits à'Abélard, Paris 1836, p. 51 et suiv.
(4) M. Clerval résumele fait en quelques mots: « Gilbert de la Porrée serait le premier
qui les aurait cités, en 1254, et il aurait été suivi par Richard l'Evêque, Othon de Frio-
singuo et Jean de Salisbury, en 1259. » Les Ecoles de Chartres au moyen âge, Paris, 1895,
p. 244.
(5) P. 222, 244 et suiv. Les divers ouvrages de logique possédés par l'école de
Chartres étaient au nombre de quatorze. —Il y aurait lieu do se demander quelle est
la traduction qui entra alors en circulation. On pourrait croire que ce fut celle de
POLÉMIQUE AVERROÏSTE DE SIGER DE BRADANT ET DE S. THOMAS
21
il devient clair que vers ce temps, ou peu après,, les livres lo-
giques d'Aristote jusque-là inconnus se sont propagés dans les
écoles de l'Europe. A la lumière de ce fait, le témoignage de
Radvic, continuateur d'Otto de Frisingue, prend sa juste et no-
table valeur, quand il nous dit d'Otto qu'il est à peu près le pre-
mier qui ait introduit en Allemagne les Analytiques, les Topi-
et les Sophismes d'Aristote, c'est-à-dire ceux des livres
ques
logiques qu'on ne possédait pas encore. Or, d'après la manière de
parler de Radvic, il semblerait qu'Otto aurait introduit ces livres
pendant son épiscopat, ce qui place l'événement après la date de
1138 et avant celle de 1158, année de sa mort (1). Il est donc
certain qu'avant le milieu du xue siècle, on possédait tout YOr-r
ganon d'Aristote, et que, au moins vers ce temps, la diffusion
s'en est déjà faite à travers les écoles de l'Europe puisque nous le
voyons définitivement introduit en Allemagne.
Ces faits sont importants, car ils résolvent un problème de-
meuré obscur, celui de l'origine de la distinction classique au
xme siècle de la logique en logique ancienne et logique nou-
velle (2). On pouvait croire que logique nouvelle avait fait son
entrée dans le milieu scolaire latin en même temps que la Phy-
sique et la Métaphysique d'Aristote, c'est-à-dire dans les premières
années du xme siècle. 11 n*en est rien. Le fondement de la distinc-
tion de la logique d'Aristote en deux parts remonte au delà du
milieu du xnc siècle ; et si cette appellation ne s'est vulgarisée
qu'au siècle suivant, le fait qui lui sert de base et d'explication
est en réalité fort antérieur. De cette manière, on s'explique aisé-
ment que dès 1218, dans son règlement pour les écoles pari-
faut pas s'étonner dès lors, si l'Isagoge devint le livre préféré des
maîtres et s'ils s'attardèrent volontiers sur son texte. Jean de
Salisbury, un contemporain appartenant au mouvement philo-
sophique et qui nous fournit sur les écoles et les doctrines de
précieux renseignements, se plaint, vivement, en se mettant au
point de Vue du rôle primitif "de l'Isagoge, que les maîtres n'en
sortent pas et qu'ils y passent littéralement leur vie (1).
Ce fut à l'occasion de ce passage dePorphyre, devenu depuis
célèbre, qu'Aristote et Platon se retrouvèrent en présence au moyen
âge, comme au temps de l'Académie et du Lycée. Les maîtres en
effet se partagèrent et demandèrent à l'un ou à l'autre des deux
grand s philosophes sa solution sur la question de l'universel.
Qu'on remarque bien que Platon et Aristote ne se rencontrent que
sur le terrain de la métaphysique, quand les penseurs du xir5 siècle
abandonnent le champ de la- logique où Aristote demeure seul
maître. Les uns donc parmi ces dialecticiens en quête de méta-
physique, avec Roscelin, Abélard, Jean de Salisbury (2) résolurent
le problème à là manière d'Aristote, et quoique avec des diver-
gences de vues personnelles, ils déclarèrent uniformément que
l'universel comme tel n'a pas de réalité objective. ;
(1) Metalogicus, lib. II, cap. xx. Dans son premier traité de logique De prcdicabilibus
qui est une paraphrase de celui do Porphyre, Albert le Grand reconnaît la justesse du
point de vue de Porphyre et se propose de l'imiter en traitant le plus simplement pos-
sible de l'universel (Opéra, Paris, 1890, t. I, tract. II, cap. I, p. 18-19) Mais Albert subit
malgré lui l'influence de ce qui s'était fait et il développe plus que de raison cette ques-
tion.
(2) Metalogicus, lib. II, cap. xx.
-
(3) Metalogicus, lib. IV, cap. xxxv.
POLÉMIQUE AVERROÏSTE DE SIGER DE BHABANT ET DE S. THOMAS 27
qu'on: peut le plus souvent les concilier (J)? Boèce, de son côté, en
entreprenant de faire passer Aristote et Platon du grec au latin,
faisait une déclaration semblable (2). Il n'est donc pas aussi
étrange qu'on aurait pu le croire tout d'abord, d'entendre, aux débuts
du xne siècle, Adélard de Bath s'exprimer d'une façon analogue,
voire même plus radicale. « Quoique ces deux grands hommes,
dit-il, semblent contraires dans leurs paroles, de fait, ils sont
d'accord (3). » Qu'on observe bien que tous ces témoignages cons-
tatent expressément qu'Aristote, à le prendre mot à mot, est en
opposition formelle à Platon ; mais l'opinion de ces auteurs est
aussi que l'on peut raisonnablement achever Aristote par son
maître. Certes le xue et le xnf siècle ont leurs aristotéliciens
stricts et résolus.
.
(!') «Oportet eorum quoe dicuntur. ab Aristotele contra Platonem [non solum ad
verba respicere decernenlem ac statuentem hos philosophos dissentire, sed quum
aspexerit ad sententiam et meritem eorum plerisque in locis eorum conciliationem
et concordiam convincere. » Commentarius in decem Categorias Aristotelis, Venetiis,
:
1540, f. 2.
(2) « Non equidem conteni])serim Aristotelis Platonisque sententias in unam quodani
modo revocare concordiam, et in his eos, non ut pleriquo dissentire in omnibus, sed in
plerisque quai sunt in philosophia, maxime consentire demonstrem. » Opéra omnia,
Basileos, 1570,1, p. 318; Jourdain, l. c, p. 53.
(3) HAUHÉAU, Iîist. de la Philos, scolasl., I, 350 : « Sic illi viri, licet verbo contrarii
videantur, re tamen idem senserunt. »
POLÉMIQUE AVERROÏSTE DE SIGER DE BRABANT ET DE S. THOMAS 29
(3) F. Eiim.E, Archiv. fur Literatur und Kirchengeschichte, V, 604- et suiv. — Cotte
répulsion pour Aristote est manifeste chez Guillaume d'Auvergne, un des premiers et
importants théologiens qui ont dû prendre position à l'égard d'Aristote après les condam-
nations ecclésiastiques. (Renan, Averroès et VAvesrroïsme, p. 22S, etc.)
(4) C'est à tort qu'on croit universellement que la prohibition interdisait aux profes-
seurs de posséder ces livres pour leur usage personnel. La défense faite aux maîtres de
légère publiée vel secreto signifie exclusivement qu'ils ne doivent pas enseigner ces ouvrages
dans des leçons publiques ou particulières. Le fait est si manifeste que la défense ne fut
POLÉMIQUE AVERROÏSTE DE SIGER DE HRABANT ET DÉ S. THOMAS 31
pas lovée do tout le siècle et qu'on n'enseigna jamais dans les écoles la Physique et la
Métaphysique d'Aristote, comme en font foi tous les règlements de. ' la faculté des arts
(Chart. Univ. Paris, passim). Il n'y a donc pas lieu de se demander comment Albert le
Grand et Thomas d'Aquin ont pu commenter Aristote, c'est-à-dire se servir du texte.
Rien ne défendait l'usage privé d'Aristote. On sait d'ailleurs que ces deux maîtres n'ont
jamais enseigné leurs commentaires : ce ne sont pas des productions scolaires.
Il) N. VALOIS, Guillaume d'Auvergne, Paris, 18S8, p. 47-61; DENIFI.E-CIIATEI.AIX,
Chart. Univ. Par., I, p. 118-147.
(2) Chart. Univ. Par., I, p. 138. On
a cru à tort que c'est sur cette sorte de permission
octroyée par Grégoire IX que se sont basés Albert et Thomas d'Aquin pour pouvoir
commenter Aristote. Cette lettre du pape n'accorde rien en cette matière et maintient
1 ancien état de choses.
Mais, comme nous l'avons observé plus haut, il n'avait pas été
défendu de se servir personnellement d'Aristote. Albert et Thomas n'avaient donc
besoin d'obtenir une permission pas
pour ce qui n'était pas prohibé.
32 REVUE THOMISTE
(1) C'est à Etienne de Provins que Michel Scot dédie sa traduction du De Coslo et
Mmido (JOUHDAIN, Recherches, p. 127-133).
(2) Chart. Univ. Par., I, p. 143-4. '
i
POLÉMIQUE AVERROÏSTE DU SIGER DE BRABANT ET DE S. THOMAS
33'
(1) DOUAIS, Essaisur l'organisation des études dans l'ordre des Frères Prêcheurs, p. vu et
suiv.; TIIUROT, De l'organisation de l'enseignement dans l'Université de Paris, p. 115-12-5.
(2) VALOIS, Guillaume d'Auvergne, p. Ï33, etc.; IÏOHAIII), Scriptores Ord. Prad., I,
p, .10(1.
(3) Il-n'y'a'pas de preuve directe que le. travail entrepris par Hugues de Saint-Cher
l'ait été par commission pontificale; mais le fait de la simultanéité de cette entreprise
avec les deux autres positivement ordonnées par Grégoire IX pourrait incliner vers celte
opinion.
(4) ECUARIÎ, Scriptores Ord. Proed., I, 197 et suiv,; DENIFLE, Archiv., IV, 293 et suiv.
Le travail de correction de Hugues de SainfcCher devait être achevé en 1230, puisque le
chapitre général tenu à Paris cette même année demande aux religieux de l'ordre que
l'on revise les bibles d'après cette correction (MAM'ÈNE, Thésaurus Anecdotum, TV, 1067).
Quant à l'oeu-vre de Raymond do Pciîafort, elle élait achevée en 1234, puisque le H sep-
tembre- de cette année Grégoire IX envoyait un exemplaire à l'Université de Paris et de
Bologne pour servir de texte authentique et officiel. (Chart. Univ. Par.,1, 154.)
POLÉMIQUÉ AVERROÏSTE DE SIGER DE BRABANT ET DE S. THOMAS 35
(1) M. 15M. FAGUET, La Religion de nos contemporains (Revue bleue, 11 janvier 1896).
(-) M. P. BOUHGET, Essais de psychologie
contemporaine, p. So.
38 REVUE THOMISTE
verrons plus loin tout ce que cet amour comporte d'action raison-
nable de la volonté sur la croyance —mais il croit par sa raison,
en ce sens que croire c'est adhérer par l'esprit.
D'ailleurs, s'il y a de la volonté dans la foi, il s'y trouve néces-
sairement de l'intelligence. Le coeur et l'esprit, tout psychologue
sait cela, ne sont point deux entités séparables ; ce sont deux
forces qui se compénètrent : la raison cherche à connaître de tout
ce que veut le coeur ; elle le connaît parce que tout ce qui est dési-
rable, en apparence ou en réalité, c'est quelque chose, c'est du
connaissable en tant que c'est de l'être. Saint Thomas voyait donc
autrement loin que Pascal lorsqu'il disait en son style bref et
dense : « Ratio ratiocinatur de volendo et voluntas vult ratioci-
nari (2). » Si le coeur pousse à croire, la raison veut donc lire au
fond de ce désir, et la volonté de croire veut elle-même se trouver
raisonnée. Il n'y a donc jamais eu personne, savant ou ignorant,
qui ait dressé au dedans de soi cette fallacieuse « cloison étanche »,
derrière laquelle le croyant prierait dans l'obscurité, bien à l'abri
de toute lueur de raison. L'hypothèse n'est pas seulement dé-
mentie par les faits; elle est impossible.
(1) « Ea quae in sensum non cadunt non possunl humano intelleclu capi, nisi quatenus
ex sensibus eorum cognitio colligitur. » Contra Génies,!, cap. m.
L'ACTE DE FOI EST-IL RAISONNABLE ? 45
comme seil connaît, dans l'Absolu de son essence ; car c'est lui
qui, dans l'ordre des règnes, est le supérieur immédiat du nôtre.
qui est Principe, Verbe et Amour; mais elle n'en reproduit pas
directement la forme : Dieu est esprit et ces choses-là sont
matière. Elles montrent qu'il a passé par là dans l'opération exté-
rieure de son essence, mais elles ne le montrent que dans la me-
sure infime de leur degré d'être. Elles le montrent, non par
image, mais par vestige, — dit saint Thomas, d'un mot qui
nuance finement ce degré infime d'analogie (1).
Mais en nous, voici l'image : « L'incréée Trinité se distingue
en personnes, selon que le Verbe sort du Père qui le prononce et
que, de tous deux, procède l'Esprit qui est amour. De même, en
la créature raisonnable, il y a procession d'un verbe selon l'acte
même de son intelligence, et procession d'amour selon l'acte de sa
volonté. La créature raisonnable peut donc s'appeler une image de
la Trinité par cette espèce de ressemblance formelle (2). » Une sorte
d'analogie progressivement appuyée à partir des plus basses-
espèces naturelles fait donc apparaître dans l'ensemble de la
création les vestiges et l'image de l'Absolu divin. Nos recherches
sur le dogme de la Trinité ne sont donc point vaines puisqu'elles
nous font reconnaître cette gradation de ressemblances qui nous
aide à éclairer le centre mystérieux de tous nos dogmes.
VII. —-
LE FAIT DIVIN DE LA RÉVÉLATION CERTAINEMENT DÉMONTRÉ.
Si Dieu nous révèle quelque chose sur son Absolu, si, le révé-
lant, il ne nous en donne pas une évidence que notre raison natu-
relle ne pourrait saisir, du moins s'oblige-t-il selon sa sagesse, à
nous certifier rationnellement qu'en fait il nous a parlé. « Le
(1) I»,' q. xxxn, art. 1, ad 2m.
L'ACTE DE FOI EST-IL RAISONNABLE? 55
(1) Opuscul. VI. De Symbolo Aposlolorum, cap. i, in Une. Comment des catholiques
peuvent-ils avancer 'que le thomisme ne peut s'adapter aux « exigences rationnelles de
la pensée contemporaine en matière d'apologétique? » Il est, — disait récemment
M. Blondel (Annales de philosophie chrétienne, février 1S96, p. 478), une simple « des-
cription statique » des éléments rationnels et des convenances du dogme. Une connais-
sance sommaire, mais non, tronquée, de sa méthode apologétique suffit à démontrer le
contraire. Sur quelles preuves M. Blondel se base-l-il, pour nous déclarer le thomisme
incapable de« provoquer cotte ascension de l'esprit » qui l'amène à reconnaître la crédi-
bilité certaine du dogme et sa vraisemblance? Le thomisme en est capable, et de soi et
par rapport à l'état présent des esprits. Il en est capable do soi, par la valeur philoso-
phique de ses principes, la plupart contestés, » — dit M. Blondel, —• mais contestés de
ceux qui les jugent sans les avoir entendus ou scrutés. De plus, par cette « forme sys-
tématique, » qui ne sera jamais celle de la philosophie littéraire et par à peu près, le
thomisme s'adapte tout naturellement « aux exigences nouvelles dos esprits » sérieux. Il
est vraiment regrettable que des assertions si peu fondées, si peu exactes, viennent
déposer des études inspirées par de très chrétiennes intentions, et où se rencontrent par
ailleurs de très justes critiques. Il est souhaitable qu'un homme du talent de M. Blondel
s'initie mieux au thomisme, et, en attendant ne condamne plus en bloc sa méthode apo-
logétique. C'est notre voeu le plus sympathique elle moins conditionnel.
L'ACTE DE FOI EST-IL RAISONNABLE? 57
'.-*&!*'
L'ACTE DE FOI EST-IL RAISONNABLE? 59
Du côté de Dieu, rien de plus simple que d'opérer sur nous ; son
opération c'est lui, c'est toute son essence, en tant même que tel
ou tel effet en procède. Et ces quelques mots que nous pouvons en
dire sont un abîme de mystères. Il faut, pour y comprendre
quelque chose, regarder l'opération divine surtout en nous, clans
son terme créé, là où elle devient, sous la raison de sesi effets, sai-
sissable à notre expérience interne et à nos autres observations.
Dans cet effet divin de.notre adhésion volontaire à la foi deux
agents nous sont manifestés : un agent extérieur, d'abord, et en
quelque sorte de notoriété publique. L'Église parle par la bouche
de ses prédicateurs et de toutes les autorités, Papes ou Conciles,
dont les prédicateurs nous communiquent la doctrine. L'Eglise
nous parle en vertu des signes divins et manifestes de sa mission ;
nous commençons donc de recevoir la motion divine qui nous fait-
adhérer à la foi, sous forme de propositions intelligibles qui nous
présentent matière à notre assentiment. C'est donc une motion
analogue à celle du maître sur l'esprit de l'élève: on nous pro-
pose des formules intelligibles à comprendre, à considérer, à
retenir, à développer par l'application des forces de notre
esprit (2).
Mais voici où cesse l'analogie. C'est aux forces naturelles de la
raison de son élève que le maître propose, du dehors, matière
Cette motion c'est une parole, elle aussi : du moins, de toutes les
réalités sensibles, la parole est-elle celle qui se prête le mieux à
nous en faire concevoir la nature. Dans le langage, en effet, ce
ne sont point les choses, mais leurs signes les mots, que nous
présentons à l'intelligence de nos interlocuteurs; de même, clans
ce mouvement de volonté qui est désir et résolution de croire
chez le converti et joie de croire chez le croyant, ce n'est point
l'intime essence de sa vérité première que Dieu nous montre, il se
III
CONCILIATION
(1) Pensées.
L'ÉVOLUTIONISMÈ ET LES PRINCIPES DE SAINT THOMAS (35
(1) MARGUERITE Piîiuiîn. Lettres, opuscules, etc., cités par llavet. (Pensées).
.,(2) De l'idée de loi naturelle, c. x et xiv.
REVUE THOMISTE. — 4° ANNÉE.
— 5.
66 v REVUE THOMISTE
-
PSYCHOLOGIE
i,l) Cet évolutionisme, ainsi qu'on l'a remarqué à propos d'un article de M. REM-ACLK
(Jicv. de Met. et Mor., 1S93, vi, et 1894, n), ne laisse rien debout et
se détruit lui-même.
^ oir les articles de M. FOUILLÉE {R. phil., janvier 1S94), de VOUGES (Annales
de Phil.
clirét., anvier 1893). Cf. SERTILLANUES-(fl. Thom., novembre 1893).
'68 REVUE THOMISTE
mer l'Évolution?
sujet connaissante en tantque tel, étaient une seule et même existence réelle l'opposition
essentielle de l'un et de l'autre serait inexplicable. Car l'existence est un acte de l'essence,
«l ici ces deux essences sont distinctes. Il n'y a pas plus, .en effet, d'existence absolue
que de temps absolu, à moins que l'on, n'entende par existence absolue la cause des
existences objectives partielles.
REVUE THOMISTE
(l)Le « Traité des Passions » de saint Thomas est l'une des parties les plus originales
de sa morale. Bossuet lui a fait de larges emprunts. M. Gardair en a relevé récemment
les traits principaux dans son ouvrage : les Passions cl la Volonté avec la distinction qui
lui est habituelle.
.
M REVUE THOMISTE
1° LES TEXTES.
A
(Ordo 2°° inlentionis vel electionis.)
9P On. décide d'employer les moyens. 10° La volonté applique les puissances
(imperium. Q. xvn.) qui doivent opérer à leur acte. [Vsus
activus. Q. xvi.)
N. B. Lire ce tableau .on obliquant, ce qui revient a suivre l'ordre des numéros.
L'ÉVOLUTIONISME ET LES PRINCIPES DE SAINT THOMAS 77
lera donc rien de son action. Jetez dix mille fois une pierre
en l'air, dit Aristote, elle n'en prendra jamais l'habitude. C'est
l'agent second sur lequel il agit qui recueillera tout le béné-
fice de l'action. Pour qu'un agent soit transformé par son opéra-
tion, il faut donc qu'il ait en soi non seulement un principe actif
mais encore un principe passif d'opération. Or tel est l'agent
humain, grâce à l'immanence de ses divers principes opé-
ratifs et de leur subordination.
« Or, continue saint Thomas, il se trouve un agent qui a en soi
le principe actif et passif de son opération. Considérons les actes
humains : les appétitions procèdent de la faculté appétitive en tant
que celle-ci est mue par la faculté d'appréhension qui lui pré-
sente son objet : à son tour, la faculté intellectuelle qui aboutit en
raisonnant aux conclusions, a pour principe actif la proposition
évidente par elle-même. »
Que l'on se reporte au tableau que nous avons tracé un peu plus
haut, on aura le commentaire de ce passage. Chaque acte d'appé-
tilion est motivé par un acte antécédent d'intelligence. Et de
même que dans l'ordre spéculatif, l'intellect qui s'applique aux
conclusions relève de l'intellect qui perçoit les premiers prin-
cipes, de même on voit, dans ce même tableau consacré à| l'ordre
pratique, l'intelligence ou la volonté s'appliquant aux moyens
(actes 7, 8, 9, par exemple) relever de l'intelligence et de la
volonté en tant que celles-ci. ont pour objet la fin. Le moyen à
employer se déduit, en effet, de la considération de la fin à laquelle
il est proportionné, il est vis-à-vis d'elle comme une conséquence,
une conclusion vis-à-vis du principe qui la détermine.
ll\résulte de là qu'il peut naître des habitus clans l'intelligence
et la volonté considérées aux divers moments de l'acte A'olontaire
pourvu qu'on accepte le premier acte de l'intelligence qui est
purement actif, a C'est par des actes de cette sorte, conclut saint
Thomas, que les habitus peuvent être causés dans les agents : si
l'on excepte le premier principe d'opération qui n'est qu'actif,
tous les principes qui meuvent en raison de la motion qu'ils
reçoivent sont susceptibles d'habitus : car, tout ce qui pâtit d'un
autre, tout ce qui est mû par un autre est disposé par l'action de cet
agent, et ainsi, par la. multiplication de ses actes, est engendrée une
certaine qualité nommée habitus dans la puissance passive et ' mue.
L'ÉVOLUTIONISME ET LES PRINCIPES DE SAINT THOMAS .79
« Tout ce qui pâtit d'un autre ou est mû par un autre est disposé
par l'action de cet autre.
)>
(i) Je transcris ici pour accentuer ce qu'on vient de lire et pour montrer avec quelle
profondeur saint Thomas a compris Aristote un passage de l'admirable chapitre IX. de la
Quoestio unica de Virlutibus (inler Quoest. disp. de Potenlia.) : « Ea quoe suni ad utrumlibet
non habent formant aliquam ex quâ déclinent ad unum deleinùnale; sed a proprio movente
delerminantur ad aliquid unum; et hoc ipso quod delerminanlur ad ipsmn quodammodo dis-
ponuntur in idem ; et cum mullotics inclinantur, delerminantur ad idem a proprio movente,
et firmalur in eis inclinatio determinata. in illud; ita quod isla dispositio superinducla est
quasi quoedam formaper modum naturoe tendens in unum.'Etpropler hoc dicilur quodeonsue-
tudoesl altéra nalura. » — L'article entier est à lire. Il renferme la description la plus
détaillée et la plus synthétique que nous trouvions dans saint Thomas sur l'acquisition
des vertus.
L'ÉVOLUTIONISME ET LES PRINCIPES DE SAINT THOMAS 85
cette génération des formes sous l'influence des êtres ayant des
formes semblables. C'est, en effet, le spectacle qu'offre générale-
ment la nature. C'est le cas le plus simple.
On peut entendre Yévolution dans deux sens : l'un rationnel,
l'autre irrationnel. Selon ce dernier, l'évolution est le procédé
par lequel une espèce se change en une autre sous l'action de
certaines circonstances. Pour qui comprend ce que signifie espèce
au point de vue métaphysique, cette interprétation n'a pas de
sens. Le sens rationnel Yoit dans l'évolution le procédé suivant
lequel, toutes causes étant posées, un être concret d'une espèce
déterminée se trouve au point de départ d'une transfor-
mation qui aboutit à un autre être concret, d'une espèce
différente, généralement supérieure. Ce n'est plus la forme prin-
cipe spécificateur, une, simple, indivisible qui évolue : c'est l'être
tout entier concret, sensible, qui perd peu à peu ses qualités
natives pour revêtir celles qui correspondent à un autre être,
jusqu'à ce que cet autre être soit fixé. L'évolutionisme scienti-
fique le plus exigeant, se plaçant au point de vue phénoménal,
n'en demande pas davantage.
La genèse des habitus n'est pas une simple genèse puisque l'ha-
bitus est une forme nouvelle; elle n'est pas une évolution au sens
déraisonnable du mot, puisqu'elle n'entraîne pas la métamor-
phose d'une forme en une autre; elle est une évolution au sens
rationnel du mot et ce sens se confirme et s'éclaire de tout ce que
nous avons dit. De la passivité de l'être qui sert de point de
départ à la genèse, l'habitus est tiré, èducitu, mais auparavant
se déroule, èvolvitu, la série ^des altérations qui le préparent. Il y a
donc évolution s'opérant sous l'influx d'une cause qui contient
éminemment la forme à réaliser.
Dans ce sens qui ne comporte ni métamorphose d'une forme en une
autre, ni ascension du moins au plus, ni passage spofitané de la puis-
sance à l'acte et dans ce sens seulement onp>eut et on doit parler d'évo-
lutionisme psychologique.
Remarquons qu'un tel évolutionisme n'exclut pas les transi-
lions insensibles : au contraire, sauf le cas exceptionnel où l'agent
serait très énergique et la résistance nulle (I, II, q. LI, 3), il admet
une foule de dispositions préliminaires ; il s'accommode, d'ailleurs
fort bien, une fois l'habitus formé, de certaines variations des
86 REVUE THOMISTE
Fr. A. GARDEIL, 0. P.
L'OEIL ET LE CERVEAU
Avant les admirables travaux qui ont établi la doctrine des loca-
lisations et qui datent seulement de vingt ans, la science tenait le
cerveau pour un organe à part, pour le siège de la pensée et le
sanctuaire de l'âme. Les matérialistes n'étaient pas seuls à re-
garder le cerveau et particulièrement la substance grise corticale
comme préposée à l'intelligence, les spiritualistes eux-mêmes
(1) Op. cit., ch. m, l 7.
90 REVUE THOMISTE
(1) De l'instinct et de l'intelligence des animaux, b'° éd., p. 116. Voir aussi Recherches
expérimentales sur les projyriétés et les fonctions' du système nerveux, 2" éd.
L'OEIL ET LE CERVEAU 91
II
part, nous serions porté à croire que les ganglions sont plutôt que
l'écorce un organe d'accumulation et de perfectionnement; mais
encore une fois nous n'avons de ce côté aucune donnée positive,
et le meilleur parti est d'avouer notre ignorance,
Les relations des fibres sensitives avec les ganglions centraux
et surtout avec les couches optiques ne sont pas contestables.
On s'accorde pour reconnaître que ces dernières reçoivent des
fibres nombreuses de la moelle et du bulbe par les pédoncules
cérébraux, du cervelet par les pédoncules cérébelleux supérieurs.
Mais des relations certaines avec les fibres sensibles n'indiquent
nullement que les couches optiques président à la sensibilité :
aucune expérience décisive du moins n'a confirmé l'hypothèse de
Luys. La lésion de ces ganglions entraîne parfois des troubles
sensitifs. Celle du faisceau sensitif de la capsule interne a le même
effet : qui pense à localiser la sensibilité dans la capsule interne?
La vérité est que la région ganglionnaire centrale est un lieu de
passage des fibres, qu'elles viennent de la périphérie ou des
couches corticales : tout obstacle en ce point rompt les rapports
nerveux ou y produit une perturbation grave.
N'insistons pas. M. le Dr Ferrand ne compte pas, pour appuyer
sa thèse, sur les couches optiques dont le rôle reste encore très
obscur, et il fait presque exclusivement appel aux tubercules
quadrijumeaux antérieurs. Ces petits organes seraient, d'après
lui, le siège de la sensation visuelle proprement dite : « situés
à la base du cerveau, en arrière des couches optiques, ils consti-
tuent avec les corps genouillés et peut-être le pulvinar une sorte
de relais sur le trajet de l'action nerveuse qui Ara de l'oeil à l'écorce
cérébrale. »
L'opinion de notre confrère n'est pas nouvelle clans la science,
et il y a longtemps que Flourens, et après lui Longet, Vulpian ont
regardé les tubercules quadrijumeaux comme un centre de per-
ception visuelle.
L'expérience dont s'autorisaient ces physiologistes n'a rien
de délicat ni de démonstratif : un animal privé de son cer-
veau, mais auquel on a laissé les tubercules quadrijumeaux, con-
tinue à suivre des yeux et de la tête la flamme d'une bougie qu'on
promène devant lui. La pauvre bête voit-elle? Peut-être ; mais à
coup sûr les.mouvements qu'on constate sont d'ordre réflexe, et il
L'OEIL ET LE CERVEAU 98
III
\^ 'i'//! '
/
•<"' 1
(1) Arch. f. Psych., XX, fasc. 3,et Congrès de Berlin,
-
'
'
'Ï8$0]i2 - -
vK
V
(2) Académie des sciences, 16 sept. 189u. '
IV
L'oeil est l'organe essentiel de la vue : c'est presque une vérité
banale. Le vulgaire est d'accord avec la science la plus récente et
la plus rigoureuse quand il dit que l'oeil voit. C'est un organe mer-
veilleusement conformé pour recevoir les mouvements si rapides
et si délicats de la lumière et en analyser les multiples qualités.
La rétine est un incomparable instrument d'appréciation avec ses
milliers de cônes et de bâtonnets microscopiques qui tous sont
appelés à répondre à une vibration déterminée de l'éther, et il
est impossible de ne pas en admirer la puissance, la beauté et la
précision qui attestent la main du Créateur.
M. le D Ferrand ne semble pas avoir été frappé de ces carac-
1'
leur but intime et dernier, nos voeux et nos efforts, sentiments dont
probablement vous ne vous êtes guère douté, que je n'écoutais
point quand j'avais à Arous combattre, mais que j'ai plus d'une fois
retrouvés au moment même du combat, et que je prends plaisir à
vous exprimer aujourd'hui. » Ces sentiments et ce langage font hon-
neur à la fois et à l'ancien ministre de la monarchie de Juillet et au
vaillant soldat de la cause catholique et, quand on regarde autour
de soi aujourd'hui, on regrette que de tels exemples ne soient pas
mieux suivis.
« Royer-Collard n'a jamais pu séparer des souvenirs les plus re-
doutables delà Révolution la notion de la souveraineté du peuple.
Aussi l'écarté-t-il résolument dans son principe (1). »
Ils sontnombreux encore, ceux qui, à l'exemple de Royer-Collard,
ne voient le principe de la souveraineté du peuple qu'à travers le
voile sanglant de 93. Mais remontons plus haut, allons jusqu'aux
sources mêmes de notre histoire, et là, sans être hantés par le cau-
chemar du jacobinisme, assistons à la séance des Etats généraux
qui gardaient encore intact le dépôt de nos traditions nationales.
Un orateur est à la tribune, c'est un grand seignenr ; il a été long-
temps conseiller de la cour de Bourgogne, la plus magnifique de
cette époque; écoutez-le : « S'il s'élève quelque contestation par
rapporta la succession au trône ou à la régence, à qui appartient-
il de la décider sinon au peuple qui a d'abord élu ses rois... comme
je l'ai appris de mes pères, dans l'origine, le peuple souverain créa
des rois par son suffrage... Dans beaucoup de pays encore, suivant,
l'ancienne coutume, on élit le roi (2)...
On le voit, le principe de la souveraineté du peuple n'est pas
une maxime révolutionnaire, elle est la base de notre ancien droit
public. Du reste, est-il besoin de le dire ? on entend par souverai-
neté du peuple le droit qu'a une nation de choisir son chef et la
forme de son gouvernement.
Les Doctrinaires se trompaient donc quand ils considéraient la
souveraineté du peuple, ainsi comprise, comme une nouveauté
révolutionnaire ; ils se trompaient aussi, en principe du moins,
quand ils écartaient de la vie publique une grande partie de la na-
tion.
(1) L'Idée de l'Etat, page 292.
(2) Discours de M. Philippe Pot aux Etats généraux de 1484.
L'IDÉE DE L'ÉTAT d09
Il
(1) a Dominium inlroduclum est de jure gcntium qitod est jus humanum. » IIa IIa 0, q. XII,
.
art. 2.
REVUE DES SCIENCES PHYSICOCHIMIQUE S
drogène est à peu près 10,000 fois plus léger que l'eau. Tandis que l'air
formé du mélange pèse 14 fois et demie plus que l'hydrogène, l'oxygène
16 fois et l'azote 14 fois seulement, le nouveau gaz, l'argon pèse 20 fois
plus.
Pour préparer l'argon en grand, on fait passer une grande quantité d'air
sur du cuivre, qui brûle aux dépens de l'oxygène, puis sur du magnésium
chauffé au rouge : le magnésium est un des rares corps qui, à haute tempé-
rature, se combinent avec l'azote, et sont par conséquent susceptibles de
l'absorber. Si l'on a soin d'arrêter soigneusement d'autre part les traces
d'acide carbonique, de vapeur d'eau, et autres impuretés existant ordinai-
rement dans l'air, on recueille un gaz sec et pur qui est l'argon.
On peut l'obtenir autrement en répétant en grand une expérience cajDi-
tale de Cavendish. En faisant éclater longtemps les étincelles d'une bobine
d'induction de Ruhmkorff dans un mélange d'azote et d'oxygène, on les
combine partiellement, et si dans le récipient où se trouvent les gaz,
existe un alcali, comme de la potasse, de la soude, l'acide azotique produit
est absorbé au fur et à mesure, et disparaît dans la solution à l'état d'azo-
tate de potasse ou de soude. A l'air ordinaire il faudrait ajouter de l'oxy-
gène pour faire ainsi disparaître tout l'azote à l'état de combinaison, par
l'action répétée des étincelles.
Si l'on fait l'expérience avec un grand volume d'air et qu'on y ajoute de
l'oxygène en quantité suffisante, on peut se débarrasser après coup de
l'oxygène en excès; on observe qu'il reste alors un résidu gazeux irré-
ductible, qui n'est pas de l'azote. C'est encore de l'argon.
L'argon est plus soluble dans l'eau que l'azote, qui d'ailleurs est très
peu soluble. 11 faut donc s'attendre à ce que l'eau de pluie qui contient en
dissolution de l'air atmosphérique renferme, dans cet air, une propor-
tion d'argon plus grande que l'air ordinaire : c'est ce qui s'est vérifié très
exactement.
On s'est préoccupé de soumettre le nouveau gaz à l'action des très basses
températures. MM. Rayieigh et Ramsay en ont envoyé un échantillon à
M. Olszewski, le savant professeur de physique de l'Université de Cra-
covie, qui est un des savants les plus expérimentés dans l'étude des gaz
liquéfiés, avec MM. Gailletet et Raoul Pictet. M. Olszewski a reconnu que
l'argon se liquéfie à 187° au-dessous de zéro et se solidifie à 189°. L'azote
se liquéfie seulement à 194° et se solidifie à 214°.
A la séance de la Société royale de Londres où les deux savants com-
muniquaient leur mémorable découverte, un échange de vues des plus
intéressants, a eu lieu entre les savants les plus illustres du Royaume-
Uni. Parmi les remarques les plus curieuses, signalons celle de
M. Roberts-Austen sur l'acier Ressemer.
120 REVUE THOMISTE
Quelques mois plus lard, les doutes sur la simplicité du nouveau gaz
prirent plus de consistance. Le chimiste russe Mendeleeff a classé les
déments simples en un tableau à double entrée, comme une table de
Pythagore, où chacun des divers corps simples trouve sa place. Si on lit
une colonne, on a les corps d'une même famille chimique, doués de pro-
priétés analogues; si on lit en suivant une ligne, on a une série dans
laquelle les poids atomiques se succèdent en augmentant régulièrement ;
quand on Ht tout le tableau, une ligne après l'autre, on trouve que le poids
atomique augmente constamment. En somme, ce qui est tout à fait inté-
l'essant, c'est que si on range les corps par ordre de poids atomique crois-
sant, on observe dans l'ensemble des propriétés physiques et chimiques
des variai ions périodiques. Quand recommence une période, on va à la
'igtic.
Tout est loin d'être joarfait dans cette classification ; entre tel et tel corps
«impie, il y a des rapprochements quelque peu forcés, et dans ces élé-
ments groupés en colonnes, on ne peut pas dire que tous les groupes
soient également « sympathiques ».
fout hypothétique qu'elle est et fondée sur des conceptions dans
—
lesquelles il entre pas mal de métaphysique cette classification mis
— a
pourtant un certain ordre dans la foule bigarrée des éléments; elle a fait
Pi'ondrc des allures plus sociables aux corps simples, personnes de natu-
122 REVUE THOMISTE
dégager une petite quantité d'azote. Dans le gaz recueilli il se trouve qu'il
ya très peu de vrai azote [et ce gaz, étudié dans les tubes de Geissler,
donne un spectre qui rajjpelle celui de l'argon.
Depuis lors M. Troost a signalé la présence de l'argon dans les émana-
tions de certaines sources sulfureuses des Pyrénées. Et peut-être dans la
thérapeutique joue-t-il un rôle qu'on n'avait pas soupçonné jusqu'à ce joui.
Ce qui paraît certain, c'est,en tous les cas, qu'il entre dans la composition
des roches qui forment le sous-sol du terrain où naissent ces sources.
Si le gaz de la clévite donne le spectre de l'argon, ce n'est pas le speclin-
complet avec toutes les raies bleues et rouges ; il ne donne qu'une parti»'
des raies et jamais les autres. Il présente en outre une raie jaune brillant
que l'on n'avait pu retrouver dans le spectre de l'argon, mais qui n'élail
pas pour les physiciens quelque chose d'imprévu. Elle correspond à mu-
raie noire du spectre solaire, ce qui prouve, comme on sait, que le eorps
REVUE DES SCIENCES PHYSICOCniMIQUES 123
;
l'hélium. Cette fois, ce n'est pas un élément qu'on a inventé de toutes
; pièces ;
c'est un corps simple qu'on a fait descendre du ciel sur la terre.
i L'hélium, depuis longtemps
reconnu dans le soleil, existe donc dans cer-
' lains minéraux terrestres.
11 existe aussi, en petite proportion dans l'argon, mais probablement
»
| pas dans l'argon atmosphérique. Et, chose étrange, il est bien plus léger
i <jue l'argon. On -avait cherché dans l'argon, un peu trop lourd pour la
II
' par des intervalles obscurs : un espace obscur s'étend tout autour
d'une région lumineuse très brillante mais très réduite, qui avoisine la
i cathode.
i
Dans l'intérieur du tube avide, introduisons un écran phosphorescent:
; s'il est placé obliquement à la direction des rayons, ces rayons laissent;
<
sur l'écran une trace lumineuse bien visible et l'on a le moyen de les
\ suivre et de les étudier. On voit
par là que les rayons partent de la
î cathode. Ils se dirigent en ligne droite vers l'anode, mais la ligne qu'ils
j dessinent sur l'écran oblique s'incurve brusquement si.l'on, approchs
| un aimant.
' Une des expériences les plus intéressantes de Crookes consiste à munir
j
un tube à viole de deux électrodes négatives distinctes, de deux cathodes,
i loutes voisines. Devant les deux cathodes est placé un diaphragme de
mica : il arrêterait les rayons ; mais on y perce deux trous en regard des
,
| deux cathodes, par ces deux trous s'échappent deux faisceaux de rayons
.
qu'on rend visibles par l'écran phosphorescent. Mais, au lieu d'aller con-
3 verger sur l'anode ou de se propager parallèlement, ces deux faisceaux se
j recourbent de façon à s'écarter l'un de l'autre. Ils se repoussent. Ce ne
) sont.donc pas des fils conducteurs transportant
un courant électrique;
;' «ans cela, les lois d'Ampère
nous apprennent qu'ils devraient s'attirer.
i ^c sont, dit Crookes, des files de molécules éleetrisées, toutes chargées
| de la même électricité, et qui se repoussent.
| Le physicien Puluj, de Prague, attribuait ces phénomènes à des par-
J lic.ules métalliques détachées de l'électrode négative, et emportant l'éJec-
••j
ii'iciié négative par convection. M. Crookes a montré que celle hypothèse
ï doit être rejetée : il a établi en effet que le phénomène est complètement
| '"dépendant de la nature de la cathode : qu'elle soit en argent, en alumi-
"iura ou en platine, l'effet est le môme exactement; et il est bien certain
Ï
;
'l"e ces métaux n'ont pas la même volatilité, qu'ils ne présentent pas la
;
'"«nie facilité à émettre des particules détachées. De plus, on peut mon-,
I
'''<-T qu'il
ne s'agit pas d'un transport vers l'anode, mais bien d'un fais-
126 REVUE THOMISTE"
J. FliAÏVCK.
REVUE PHILOSOPHIQUE
JANVIER 1896
A. Fouillée. — L'hégémonie de la science et de la philosophie.
V. Egger. — Le moi des mourants.
Ch. Féré. — Le langage réflexe.
Duprat.—-Expériences sur une illusion visuelle normale.
Picavet. — Les travaux sur le néo-thomisme et la scolastique.
Analyses et comptes rendus.
Revue des périodiques.
FÉVRIER 189(5
MAI! s 1896
H. Bergson. —- Mémoire et reconnaissance (Ie article).
1'
Moulin, A. Keller.
P. Tannery. — La philosophie scientifique d'après les travaux récents.
Analyses et comptes rendus.
Revue des périodiques étrangers.
REVUE NEO-S'COLASTIQUE
1er RÉVIUKIi 1896.
H. Hailez. — Le temps et la durée.
Comte Domet de Vorges. — L'objectivité de la connaissance intellec-
tuelle.
G. de Craene. — Nos représentations sensibles intérieures.
Ch. Senlroul. —- Le socialisme et la question agraire.
SOMMAIRES DES REVUES 1.31
MÉLANGES ET DOCUMENTS
ÉTUDES CRITIQUES
të. Halévy. — Travaux, récents relatifs à Socrale.
QUESTIONS PRATIQUES
G. Bougie. — Sociologie et démocratie.
SUPPLÉMENT
Livres nouveaux. —Revues. Thèses de doctorat.
—
REVUE DES,?MONDES
Ier MARS 1896
liiie correspondance inédite de Prosper Mérimée (première partie).
AI. le vicomte George d'Avenel.
— Le. mécanisme de la vie moderne, —
VIII. Les grandes compagnies de navigation.
M. Paul Guiraud. —L'oeuvre historique de Fustel de Coulanges.
*'l. André Theuriet. Coeurs meurtris (quatrième partie).
—
'". G. Giacometli. —La queslion de l'annexion de Nice en 1860...
d 32 REVUE THOMISTE
Nicolas Gogol. -
M. Francis Charmes. — Chronique de la quinzaine. Histoire politique.
_
Bulletin bibliographique.
'15 FÉVRIER 1896
M. André Theuriet.— Coeurs meurtris (troisième partie).
M. Jules Girard, de l'Académie des inscriptions. — Euripide.
M. Albert Gaudry. de l'Académie des sciences. — Essai de paléontologie;
philosophique. — I. Multiplication, différenciation et accroissement des
êtres dans les temps géologiques. ...
'
LA QUINZAINE
M^. de M.arcère. — La situation sociale actuelle et la Ligue de décentra-
lisation.
Discours de M. Ollé-Laprune sur le P. Gratry.
Le Naufragcur, roman.
François Descostes. — Un gentilhomme savoyard à l'Académie' française.
Eug. Le Mouel. — La déception de Monsieur Miche, nouvelle.
Jules Gauvière. — De Digne à Saint-M.arlin-Yésubie et à Nice.
.
Deux poésies de Georges Féliz.
Emile de Saint-Auban. — Critique dramatique.
Chronique de quinzaine.
LE GÉRANT : P. SERTLLLANGES.
l'AKIS lin'UIJUÎlillî V. J.KV1Î, KUK CASSKT'I'IÎ, i~l
REVUE THOMISTE
en grande partie le principe des autres, c'est qu'il repose sur une
érudition insuffisante. Sans doute le travail se présente avec des
apparences d'informations sérieuses, mais ce ne sont là que des
apparences, car les sources consultées sur le sujet sont absolument
démodées depuis la publication de nombreux et importants tra-
vaux critiques récents. C'est ainsi que la base principale de l'étude
de M. Perrod est l'Histoire de l'Université de Paris de Duboulay.
Cet ouvrage, très remarquable pour son temps, ne peut plus être
pris aujourd'hui comme point de départ en ce qui regarde l'Uni-
versité de Paris, depuis que le P. Denifle et M. Châtelain ont
publié leur Chartularium Universitatis Parisiensis (1). Cette publi-
cation, avecFétôndue de sa documentation, la sûreté critique des
textes et la richesse de ses notes, est devenue un monument de
premier ordre et désormais classique pour l'histoire de l'ancienne
Université de Paris. On ne comprend donc pas qu'ayant à traiter
un point important de l'histoire universitaire, M. Perrod n'ait pas
eu recours à la source principale qui lui aurait fourni un dossier
plus sûr et plus complet que Duboulay, et aussi, l'indication des
meilleurs travaux contemporains sur les questions connexes. Et
cependant le premier volume du Chartularium, celui-là même qui
(1) Nous devons faire des observations analogues pour l'histoire delà Faculté de Théo-
logie de Paris, de M. Foret. Cet ouvrage, où beaucoup de choses sont accumulées sans
méthode a été composé sans consulter le Chartularium : aussi est-il démodé au point de
vue de l'érudition et rempli d'inexactitudes.
(2) M. Perrod s'étonne lorsqu'il voit G. de Saint-Amour abandonner de bonne heure le
terrain de la question scolaire pour attaquer les Dominicains, non plus seulement dans
leur droit d'enseigner, mais encore dans leur droit d'exister. « C'est, dit-il, par une
insensible évolution des esprits que se fit cette transformation dont les phases nous
échappent. Hier, l'Université refusait aux religieux le droit d'enseigner dans l'Univer-
sité; aujourd'hui c'est leur droit à l'existence, dans la forme qu'ils ont choisie, qu'elle
veut nier et détruire » (p. 52). Il n'y a pas, en cette affaire, de phases qui nous échap-
pent, l'ordre des événements est on ne peut plus logique. La lutte plus générale du
clergé séculier contre les Mendiants était bien antérieure à l'affaire universitaire, et loin
que cette dernière fût un principe, même partiel, de la première, elle n'en fut qu'une
conséquence et un épisode. Si G. de Saint-Amour abandonna le terrain des prétendus
griefs scolaires pour généraliser l'attaque et s'en prendre à l'institution même des
ordres religieux, c'est qu'il se rendait compte sans doute du peu de solidité de la pre-
mière position, mais aussi et surtout que le public, en dehors de Paris, ne pouvait guère
se passionner sur cette affaire. Pour gagner le clergé et fortifier son parti de tous les
mécontents, il élargit et transforma le débat en le plaçant sur la question générale des
droits et privilèges dont les mendiants étaient en possession dans l'Kglise.
136 REVUE THOMISTE
(1) Ecu.'VnD, Script. Ord. Proed., I, il; Annales Ord. Proed., 352; l'Année dominicaine.
Paris, 1S93, p. 161. '
•
140 REVUE THOMISTE
qu'en font foi les actes du concile, ceux de voir se relever de leur
déchéance la prédication évangélique et les écoles de théologie.
Les idées de Dominique et sa préparation antérieure durent le
montrer à Iloriorius III comme l'homme prédestiné à remplir les
voeux du concile en matière doctrinale. Aussi, quand, le 22 dé-
cembre 1216, il confirma l'ordre de Dominique, par une lettre de
trois lignés qui devait lui servir comme de passeport à travers le
_
monde, ce fut avec un seul considérant qui témoigne chez le pon-
tife un plan nettement arrêté touchant la nature et la mission de
l'institution nouvelle. « Nous, considérant que les Frères de ton
ordre seront les champions de la foi" et les vraies lumières du
monde, nous approuvons ton ordre. Nos attendentes, Fratres Or-
dinis tui, futuros Pugiles Fidei et vera, mundi lumina, eonfirmamus
Qrdinern tuum\\). » Prédiction vraiment étrange, unique, crôyons-
nous, dans les annales des fondations religieuses, surtout si l'on
considère aArec quelle prudence réservée l'Église romaine a en-
couragé les premiers pas des institutions religieuses, même de
celles qui devaient devenir les plus florissantes et les plus cé-
lèbres. Dominique ne trompa point l'attente de l'Église romaine.
Après avoir reçu à plusieurs reprises des instructions formelles,
il semble précipiter la mise à exécution de son oeuvre. Dès 1218,
à Toulouse, il disperse ses seize premiers compagnons aux quatre
coins de l'Europe, à l'étonnementde tout le monde. Ces premières
recrues cependant étaient la
pour plupart des hommes assez mé-
diocres, quant à leur culture intellectuelle. Jourdain de Saxe, le
successeur immédiat de Dominique et le contemporain de cette
génération, ne s'en cache pas : « Ils étaient, dit-il, presque tous
des hommes simples et de peu d'instruction, ut plures exiguë lii-
teratos et simplices (2). » Ils n'étaient même vraisemblablement
pas tous des héros de vertu, témoin ce Jean de Navarre qui ne
voulait point partir pour Paris sans argent. Mais, derrière ces
hommes, quels qu'ils fussent, il y avait un Maître, et chez ce
Maître une idée. Dominique savait déjà, quoique dans une for-
mule différente des nôtres, que ce sont les idées qui mènent
le monde. 11 eut une foi absolue dans la mission que l'Église lui
(1) C. BAYONNE, Leltres du B. Jourdain de Saxe, Paris, 1SG5, p. 9G ; Chart. Univ. Pa-
ris., I, 106.
(2) C. BAYONNE, L,ellres, p. 66; Chart. U. P., I, 108. Les mêmes faits se reproduisent
dans les autres centres scolaires où travaille Jourdain, à Oxford (ibid.,\i. 12G), Padoue
(p. 11, 100), Verceil (102, 114) et ailleurs (132), d'où l'on peut voir clairement quello
part importante la population des écoles formait dans le recrutement de l'ordre.
(3) BAYONNE, p. 182.
LES DOMINICAINS DANS l'ANCIENNE UNIVERSITÉ DE PARIS 143
(1) « Convenais... sine priore et doclore non midatur » (Archiv f. Liler. «. Kirchen-
gesch., I, 221).
(2) «Nullus fiât publiais doctor, nisi per iiij annos ail minus llieologiam audieril
{Ibid., 223).
144 REVUE THOMISTE
l n'est pas peu étonné, par exemple, de voir une église de l'im-
;
portance de celle de Barcelone, n'avoir pas encore établi, qua-
torze ans après l'ordonnance conciliaire, le seul maître de gram-
maire auquel étaient tenues les églises épis-jopales, le maître
en théologie n'étant strictement requis que pour les églises
métropolitaines. Le légat Jean d'Abbeville est obligé, en 1229,
de contraindre par- des peines graves l'évêque de Barcelone à
obtempérer à l'ordonnance du concile de Latran (1). Cet état
ne devait pas être exceptionnel. Au temps de la lutte de Guil-
laume de Saint-Amour, saint Thomas d'Aquin-nous fait connaître
que le clergé séculier n'avait pas encore exécuté, faute d'hommes
instruits, les ordonnances du concile de Latran, tandis que les
religieux mendiants l'avaient fait surabondamment (2). C'étaient
en effet ces derniers qui devaient pourvoir, au xi:ue siècle, aux
nécessités de l'instruction ecclésiastique, et nous voyons, les
évoques et les princes favoriser leur établissement et utiliser
leur concours. Ainsi, à peine le chapitre généralissime des Frères
Prêcheurs de 1228 a-t-il établi ou consacré le principe de
l'établissement des écoles et de leur publicité dans l'ordre que
nous voyons, par exemple, le prince-évêque de Liège ' appeler
les Dominicains pour qu'ils prêchent dans son diocèse et en-
seignent la théologie dans sa ville épiscopale (3). Pareillement
encore l'école dominicaine de Dijon a pris, en 1225, un déve-
loppement et acquis une réputation tels que la duchesse
de Bourgogne demande à Innocent IV et en obtient que tous
les clercs de la province ecclésiastique de Lyon, dont Dijon
dépendait, puissent, en y suivant les leçons, jouir de leurs bé-
néfices, comme s'ils étaient à l'Université de Paris (4).
Le fait que Grégoire IX a poussé, pendant les premières
(1) M.utTÈNU, Thes. Anecd., IV, 594-98; Marco. JJispanica, Appcnd., 1417.
(2) «Propter litleralornm inopiam net; adlmc per soeeularcs potuerit obsorvari slnlulum
I.aloranensis ooncilii, ut in singulis ocelesiis métropolitains essent aliqui, qui theologiam
'l'wcrenl, quod tamen ])er voligiosos l)ei gralia ceriiimus mullo latius impletum, quam
eliiim fucrit statuluni». Contra impugnantes ])ei cultum, cap. iv. DENIFI.K, Die Universi-
—
tûien der Mittelallers, 1,708, noie.
(3) Ooncessimus et ordinavinuis, quod in civilate Leodicnsi rccipialur conventus fra-
'iniii predicatoruni, qui ibi coniiiiovontiir et legant de theologia cl per totum episcopa-
''nii disséminent Verbiini Oci et coni'ossiones audiaul etc.» P. PHÉDÉWCQ, Corpus inqùi-
,
tionis Neerlandicoe, Genl, 1889, p. 74.
(4) DjiNiFUï-CiiATKL.viN, Chart, Univ.Par., I, p. 1.76.
146 REVUE THOMISTE
(1) M. Perrod ajoute i<.--i 'l'étonnant considérant que voici : « Une pointe de rancune,
il faut le dire, devait .s'ajouter à la raison de prudence qui les faisait agir ainsi. Le*
docteurs devaient se souvenir que les Mendiants avaient été les adversaires acharnés
d'Amaury de Cbartres et se flattaient peut-être de le leur faire regretter en les écartant
pour toujours de l'enseignement universitaire. » Il n'y a qu'un obstacle à cela, c'est que
les Dominicains furent fondés eiv 1216 et qu'Amaury de Chartres était mort dix
innées avant, en 1206. Il est vrai que Renan fait aussi persécuter par les Mendiants
Simon de Tournai, mort vers le même temps qu'Amaury, sinon plus tôt. (Averroès et
'Averroïsme, p. 277.)
LES DOMINICAINS DANS L'ANCIENNE UNIVERSITÉ DE PARIS, 149
direction des écoles de Gand, dit : « Nous défendons (1), à qui que
ce soit, de tenir école à Gand ou dans les environs, sans votre as-
sentiment. » Un autre Guillaume, archevêque de Sens, donnant
les mêmes lettres d'investiture à Geoffroy, préchantre de sa cathé-
drale, en 1169, nous prouve que ce droit des préchantres n'était
pas nouveau dans sa province ecclésiastique (2) ».
La conséquence de ce droit des églises épiscopales sur les écoles
en général, et plus particulièrement sur les leurs, fut que lorsque
les écoles se développèrent, comme à Paris, pour devenir des uni-
versités, les évoques ou mieux leurs représentants, chanceliers ou
autres, retinrent leur droit d'accorder la licence d'enseigner, et
c'est ce qui continua à se pratiquer à Paris pendant le xme siè-
cle (3). Les maîtres parisiens n'avaient donc, contrairement à ce
qu'affirme, sans preuve d'ailleurs, M. Perrod, aucun droit à intro-
duire un autre maître dans l'Université ou à l'en faire sortir. La
prétendue autonomie de l'Université en cette matière est une
fiction.
il suit pareillement de cet état de choses qu'il est inexact de
dire que les maîtres étaient chez eux. Ils étaient en réalité chez
l'évêque, puisque celui-là seul pouvait les admettre à enseigner
dans le territoire de sa juridiction et dans son école. Il est vrai
que, dès l'origine, lés clercs qui se vouaient à la carrière de l'en-
seignement furent reçus libéralement partout. Au moyen âge, la
chrétienté était une réalité qui faisait qu'un clerc, même loin de
son église, n'était pas un étranger, mais il n'en restait pas moins
que le seul évêque du lieu pouvait lui ouvrir les portes de l'ensei-
gnement.
(1) « Inhibantes ne quis sine assensu tuo et licentia in toto Gandensi, vel oppiili
suburbio scolas regere présumât » (MIH/KUS AUIIIÎIITUS, Opéra diplomatica, t. II, p. 974).
(2) « Dignilatem scholarum quai ad jus preccnlorie pertinent... concedimus in perpc-
tuum et confirmamus, videlicet utnulli liceat nisi assensu, et licenlia precentoris, scolas
cujuscumquemodi sint regere. » (QUANTIN, Chartul. de l'Yonne, U, p. 211.)
(3) LerèglementfondamenlaldeGrégoiro IX(13av. 1231)pour l'Université de Paris esl on
ne peut plus formel : « Diligenler inquirat [cancellarius], et inquisitione sic facla qnid
deceat et quid expédiât bona lîde de.t vel neget secundum conscientiam suani petenli licen-
liam postulatam ». (Chart. Univ. Paris., I, 177.) Au plus fort de la lutte de Guillaume du
Saint-Amour, Alexandre IV, dans sa lettre du 14 avril 1253, maintient intégralement les
droits du chancelier que les maîtres dans leurs attaques contre les Dominicains avaient
violés en tentant d'accomplir un acte qui relevait du chancelier seul : « Volunnis
cancellarii poleslatem in constitutione sepefati Gregorii circa statum Parisiensis studii
declaratam nulla imminutione convelli ». (Ibid., 283.) — TiiunoT, De l'organisation de
l'enseignement dans l'Université de Paris, p. 151.
LES DOMINICAINS DANS L'ANCIENNE UNIVERSITÉ DE PARIS 151
maître séculier, il l'a conservée après son admission dans l'ordre sur
la demande pressante des écoliers. Pareillement encore, les paroles
en dehors de la volonté du chancelier, sont placées dans le texte latin de
façon à donner le change et à laisser croire qu'elles impliquent un
refus du chancelier visant toute la série des docteurs dominicains.
Pour obtenir ce résultat, il suffit de supprimer la virgule avant
prêter, comme le faille texte du cartulaire. Nous savons cependant
positivement que la suite des maîtres dominicains a reçu des diffé-
rents chanceliers qui se sont succédé la licence d'enseigner. Enfin
les maîtres, n'osant pas affirmer que les dominicains n'occupent
pas légitimement leurs chaires, l'insinuent par l'expression talibus
titulis, alors cependant, que d'après eux-mêmes, c'est le chancelier
et l'évêque qui les ont autorisés à ouvrir leur première école.
Mais, laissant de côté ces inexactitudes secondaires, il importe
de savoir ce que l'affirmation des maîtres peut avoir de vrai,
lorsqu'ils disent que les dominicains ont acquis leur seconde
chaire 2^'eter voluntatem cancelarii. Dans l'édition du texte par Du-
boulay, on lisait per voluntatem, ce qui donnait un sens diamétra-
lement opposé, et ne permettait pas même de soulever de diffi-
culté. Nous no doutons pas cependant qu'il faille adopter la lec-
ture du texte publié dans le Chartularium, de beaucoup plus cor-
rect que celui de Duboulay. Dans ce cas, quel fait peut bien viser
cette affirmation que les dominicains sont entrés en possession de
leur seconde chaire, en dehors de la volonté du chancelier?
On ne peut guère imaginer qu'il y ait eu un acte formel d'oppo-
sition de la part du chancelier, car le document, avec sa tendance
excessive à tout mettre au pire, n'aurait pas manqué de dire
contra voluntatem, et, d'autre part, on ne s'expliquerait pas l'absence
de protestation de la part des maîtres, comme le constate le docu-
ment, s'il y avait eu une irrégularité flagrante. Nous croyons
qu'on peut expliquer aisément la non-intervention du chancelier
par la situation faite en 1231 à Philippe de Grève, le chancelier
d'alors.
Autoritaire et dur, Philippe avait réussi à soulever à la fois
contre lui l'Université et l'évêque de Paris. Il avait été tout
d'abord un des plus chauds partisans des nouveaux ordres reli-
gieux, et n'avait pas manqué de taxer durement les évoques qui.
LES DOMINICAINS DANS L'ANCIENNE UNIVERSITÉ DE PARIS 163
(!) Voici ce que Philippe écrit dans ses Expositiones evangeliorum dominicorum : «Fuit
Jouîmes in deserto baptizans et priedicans baptismum poenitentioe in remissionem pec-
'Mtorùm. Taies sunt fratres Prcdicatores et Fratres Minores, qui pivedicationibus et
wmfessionibus vigilantcr intendunt; sed a proedictis qui eis invident utrumque ofiîcium,
M"i't potius intendunt ad propriam gloriam quam ad animarum salutem, impeditur.
—
^onne videntur bi vere centuriones esse fidèles qui nostris temporibus bonis suis novis
'liligionibus, ut Proedicatoriun et Fratrum Minorum, asdificant domos in quibus habitent
''l ecclesias in quibus orent et Deo serviant. » (HAUHÉAU, Notices et extraits de quelques
manuscrits latins de la Bibl. Nat., t. VI, p. ù'8-59.)
2) VALOIS, Guillaume d'Auvergne, p. 33. Ce fait établit que M. Hauréau se trompe
'l"anil il affirme que Philippe a dû changer de dispositions à l'égard des Mendiants en
devenant chancelier de l'Université.
i-i) VALOIS, Guillaume <CAuvergne, p. 3-i.
('i) « Hic contra fratres ordinis Praîdieatomm in omni fere publica statione et sermone
P.'u-isiis latrabat. Et quidein cum ipso diebus quindecim ante mortem contra eos crude-
liler pioedicasset, etc. (De bono univers. Aputn, lib. II, c. x, n° 36.)
»
(5)VALOIS, l. c, p. 31.
Ibid., p. 33.
(0)
0) Tu. CHAMPRÉ, lib. I, c. xix, n° y ; Chart. Vniv. Par., I, 157; VALOIS, p. 33.
164 REVUE THOMISTE
que c'est déjà trop de douze chaires pour le petit nombre d'étu-
diants en théologie, propter scolarium apudnos in theologia studen-
iium raritatem. Mais s'il est vrai que l'on a donné des chiffres fabu-
leux comme évaluation de la population scolaire de Paris, Ilum-
bert de Romans, parlant des étudiants qui fréquentent les écoles
dominicaines, les qualifie de multitudinem scolarium (3), d'où il est
visible qu'au fond, ce qui chagrinait les maîtres séculiers c'était le
succès des maîtres religieux.
Ni les dominicains ni les franciscains n'avaient donc dépossédé
les séculiers de leurs chaires. Est-ce que d'autres religieux, moins
scrupuleux, auraient déjà commis ce méfait au moment où les
séculiers récriminent, en 1254? Aucunement. Toute la suite do
celte affaire témoigne que les maîtres poursuivaient les seuls
;'
dominicains. Les autres religieux n'interviennent là accidentelle-
I ment que comme figurants et pour donner le change à ceux qui
j ne connaissaient pas le détail de la situation des écoles parisiennes.
| On peut d'ailleurs établir matériellement, qu'aucun ordre reli-
;
gieux à part les dominicains et les franciscains ne possédaient de
\ chaire dans la faculté de théologie en 1254.
i Les règlements de l'Université vers le milieu du xivc siècle,
! c'est-à-dire environ cent ans plus tard, nous apprennent qu'il y a
i alors cinq ordres religieux incorporés à l'université, à savoir les
\ Prêcheurs, les Mineurs, les Cisterciens, les Ermites de Saint-
Augustin et les Carmes (1). Or nous connaissons les dates aux-
quelles ces divers religieux ont été mis en possession de leurs chaires,
c'a été, à part les dominicains et les franciscains sur lesquels nous
sommes déjà renseignés, après 1254.
Les cisterciens reçurent une chaire en 1256, au plus fort delà
lutte de Guillaume de Saint-Amour contre les mendiants, Alexan-
dre IV voulant prouver, par cet acte d'autorité, le peu de cas
qu'il faisait des récriminations injustes des maîtres séculiers (2).
Les ermites de Saint-Augustin eurent leur premier maître avec
Gilles de Rome, entre 1285 et 1287 (3).
Les carmes commencèrent en 1295 (4).
U suit de ces faits que, en 1254, les maîtres séculiers possédaient
comme parle passé les six chaires traditionnelles qui leur avaient
été dévolues.
On peut encore donner une autre preuve du même fait.
Nous savons par les documents officiels que quatre maîtres
séculiers de la faculté de théologie menèrent principalement la
campagne contre les dominicains en 1256 (5). D'autre part, un
document pontifical du 24 juin 1259 nomme trois maîtres sécu-
liers en théologie favorables aux religieux (6). A cette dernière
date Guillaume de Saint-Amour avait été dépossédé de sa chaire.
En supposant qu'un des trois maîtres favorables ait occupé la
chaire de maître Guillaume, nous retrouvons un total de six,
Fr. P. MANDONNET, 0. P.
(f) Notre révérendissime Père maître général, dans la lettre où il autorisait mon voyage,
déclare le permettre « studioruni, etvirium refocillandarum, necnonpietatis causa ».
172 REVUE THOMISTE
peut se mettre en rapport avec des Arabes, des Syriens, des Juifs,
des Arméniens : nulle part surtout comme à l'école pratique des
études bibliques l'on n'est aussi favorisé sous le rapport de l'ar-
chéologie et de la géographie sacrée. Ces excursions et ces voyages,
relativement peu coûteux et qui garantissent une parfaite sécu-
rité, offrent au point de vue de ces deux sciences si importantes
d'inappréciables avantages. J'ai pu en juger par moi-même dans le
voyage que j'ai eu le bonheur de faire au Sinaï avec les étu-
diants.
Le P. Lagrange/ à cause des événements et de la situation
troublée du Hauran avait dû, par prudence, renoncer au troisième
voyage marqué sur programme pour l'année 1895-96 et s'étail
le
décidé à le remplacer par le voyage du Sinaï, qui figure égalemenl
dans les programmes de l'école. Il avait voulu de plus faire ce
voyage avant Pâques, afin d'éviter les grandes chaleurs et de voir
l'Egypte et.le désert à leur plus beau moment.
L'objectif du Père était de montrer à ses élèves le chemin pro-
bable qu'avait suivi Moïse avec les Hébreux depuis là sortie de
l'Egypte jusqu'au Sinaï, et, après le Sinaï, de retrouver encore,
s'il était possible, quelques stations du peuple de Dieu.
L'on sait toutes les discussions auxquelles ont donné lieu la
détermination du parcours de l'odyssée mosaïque et l'identifica-
tion des noms qui s'y rapportent dans la Bible. Mais ce que l'on se.
représenterait difficilement, c'est l'intérêt que présente la discus-
sion de ces problèmes, sur place. A. quel endroit Moïse a-t-il passé
la mer Rouge? La première station des Hébreux a-t-elle été à
Ayun-Mousa ? Est-ce là, au bord du désert et dans ce riant oasis,
qu'Israël chanta le beau cantique de la délivrance? Faut-il voir
dans la source actuellement ensablée de Aïn Hawarah, les eaux de
Mara (Nomb. 33, 8)? dans le ruisseau du bel Ouadi Gharandel, les
12 sources d'Elim aux 70 palmiers? Faut-il placer la station de In
mer Rouge super mare llulrum (Nomb. 33, 10) à Ras Abou Zeni-
meh? Laquelle des deux routes possibles prit Moïse à son entrée
dans le désert de Sin?... C'était un vrai charme d'entendre poser
et discuter ces questions par mes compagnons, jeunes prêtres intel-
ligents, instruits, dont plusieurs déjà ont été professeurs, et qi' 1
« mer, c'est votre main qui m'y conduit, c'est votre droite qui me
« soutient. J'ai dit : peut-être que les ténèbres me cacheront et
« que la nuit enveloppera mes plaisirs. Mais Jes ténèbres ne sont
II
«
bornes ni limites; et que la terre, le ciel, toutes choses créées,
«
étaient remplis de vous, se terminaient en vous, qui n'aviez de
« terme nulle part. Carde même que cet air grossier qui envi-
« ronne
le monde que nous habitons, ne saurait empêcher la
«
lumière du soleil de se»frayer un passage à travers sa subs-
«
tance, non en la déchirant ou en la divisant, mais en la péné-
«
trant doucement et en la remplissant tout entière de ses clartés ;
«
ainsi je me figurais que vous passiez non seulement à travers
«
les substances de l'air et de l'eau, mais encore que, pénétrant
«
la terre dans sa masse et jusque clans ses parties les plus
«
petites, partout invisible et présent, vous gouverniez, par cette
«
union secrète et cette influence tant intérieure qu'extérieure,
« toutes les choses que vous avez créées.
« Telles étaient mes conjectures, parce qu'il m'était impossible
«
d'imaginer autre chose"; mais j'étais dans une erreur complète,
« nam falsum erat; car, s'il en était ainsi, une plus grande partie
« de la terre contiendrait une partie plus grande de votre être,
« une plus petite en contiendrait une moindre, et toutes choses
« seraient remplies de vous, de telle façon que le corps d'un
« toutes les parties du monde, les unes en auraient plus, les autres
« dans son étendue : la terre, la mer, l'air, les astres, les plantes,
'<
les animaux; en même temps tout ce qui s'y dérobe à nos
0) «Si per impossibilc res aiiqua iiiciporct esse sine aclionc Dei, niliilominus non
l'ossui. esse distaus ab illo, ob immensitatem ejus, sed nocessario simul essent, et quasi
l'inelralivo secundum subslantiam et enlitalem suam. » BUAIUSZ. Mciaph,, dispul. xxx,
S(,,'C vin, n. 52.
19(5 REVUE THOMISTE
ATTINGIT 0MN1A QUJS SUNT IN LOCO, QUUM S1T UNIVERSAL1S CAUSA ESSEKD],
Sic igitur Ipse totus est ubicumque est, quia per simplicem suam vir-
tutem universa attingit (l). Si donc Dieu peut être en tous lieux, on
en d'autres termes, s'il est immense, c'est, au jugement de l'Ange
de l'Ecole, parce que, possédant une puissance infinie, il est
capable d'opérer, et partant de se rendre présent, dans un espace
sans bornes ni limites, même dans un espace infini, si une telle
étendue était possible. Si sit aliqua res incorporea habens virtutem
infinitam, oportet quod sit ubique. Ostensum est aute?n.[l. I, cap. XLI.U)
Deum esse infinitoe virtzitis. Ergo est ubique (2). S'il est de fait en tous
lieux et dans toute créature, c'est qu'il n'existe. aucun espace
réel, aucun être créé, sur lesquels il n'exerce une action directe el
immédiate, et avec lesquels il ne soit en contact par sa vertu, el
conséquemment par sa substance. Dei proprium est ubique esse;
quia cum sit universale agens, ejus virlus attingit omnia entia, unde est
in omnibus rébus (3).
III
non pas 'd ia façon d'un corps qui s'étend dans l'espace, mais
comme substance créatrice, gouvernant sans peine et conservant
sans fatigue ce monde qu'il a créé (1). Il disait encore que Dieu
es(; dans le monde comme la cause efficiente du monde, erat in
mundo, quomodo per quem munclus factus est; comme l'ouvrier est
présent à sou oeuvre pour la régir, quomodo artifex regens quod
fecit (2). S'il remplit le ciel et la terre, c'est par la présence et
l'exercice de sa puissance et non par la nécessité de sa nature :
implens cselum et terram pi'oesente p>otentia, non indigente natura (3) ;
car enfin, si Dieu est grand, ce n'est pas par la masse, mais par la
puissance : neque enim mole, sed virtutè magnus est Deus (4).
Saint Thomas paraît manifestement s'être inspiré de ces divers
passages, quand il dit : «
Une faut pas croire que Dieu soit par-
«
tout en se divisant dans l'espace, de telle sorte qu'une.partie de
« sa substance soit ici, et une autre ailleurs, mais il est tout.
«
entier partout, car étant absolument simple, il n'a point de
«
parties. Il n'est cependant pas simple à la façon d'un point qui
«
termine une ligne, et qui pour cela occupe une situation déter-
'
«
minée et ne peut être que dans un lieu indivisible, mais Dieu est
«
indivisible comme étant absolument en dehors de tout genre de
« continu : aussi n'est-il point déterminé, par la nécessité de sa
« nature, à occuper un lieu quelconque, grand ou petit, comme
« s'il devait nécessairement être localisé quelque pari, lui qui
« existait de toute éternité, lorsqu'il n'y avait encore aucun lieu;
« mais, grâce à l'infinité de sa puissance, il atteint tout ce qui est
« dans le. lieu, étant la cause universelle de l'être. Donc il est tout
(1) « Sic est Deus per euncla diffusus, ut non sit qualitas mundi, sed substantia crea-
''ix mundi, sine laboro regens, et sine onere coiitinens mundum. Non tamen per spatia
locorum, quasi mole diffusa, ita ut in dimidio mundi corpore sit dimidius, et in alio
dimidio dimidius, alque ita per totum lotus ; sed in solo caîlo totus, et in sola terra totus,
°l in coelo et in terra lolus, et nullo contentus loco, sed in seipso ubiquo totus. »
« A.UG. lib. deproesentia Oei, sen Epist. ad Dardan. 187,'cap. iv, n. 14.
(2) « In mundo erat (Deus), et mundus per eum factus est... Sed quomodo erat? Q.uo-
Hiodo artifex regens quod fecil. Non enim sic fecit, quomodo facit faberarcam; forinsc-
cus est arca quam fecit... Deus autem mundo infusus l'abricat, prrescnliaMajoslalis facit
(|uort facit, proesenlia sua gubernat quod fecit. Sic ergo erat in mundo, quomodo per
(Iu«ni mundus factus est. » S. AUG. in Evang. Joan. tract. 2.
(3) « Deus ubique totus, millis inclususlocis, nullis viiicuiis aiiigalus, in nullas parles
S(!ctilis, ex nulla parle mutabilis, implens coeluin et terram prassente potenlia, non indi-
=c'Ue natura. » S. AUG. De civit. Dei, lib.. VII, cap, xxx.
C') S. AUG. Epist.
m.
4e ANNÉE. M 4.
REVUE THOMISTE. — —
198 REVUE THOMISTE
(1) Non est oestimandum Deum sic esse ubique quod per locorum spatia dividalui',
quasi una pars ejus sit hic et alia alibi, sed totus ubique est ; Deus enim, cum sit onmino
simplex, partibus caret. Neque sic simplex est sicut punctus qui est terminus continui
et qui, propter hoc, determinatum situm in continuo habet ; unde non potest unus punc-
.
tus nisi in uno loco indivisibili esse.'Deus aulem indivisibilis est, quasi omnino cxlra
genus continui existons ; unde non determinalur ad locum, vel magnum vel parvum, eï
necessitate suae essentioe, quasi oporteat eum esse in aliquo loco, cum ipse fueril a' 1
aîterno ante omnem locum ; sed immensitalo sua; virtutis attingit omiiiaquoe sunt in loco,
cum sit universalis causa essendi. Sic igitur ipse tolus est ubicumque est, quia per sim-
plicem suam virtutem univërsa attingit. — Non est tamen oestimandum quod sic sit i' 1
rébus quasi in rébus'mixtus...; sed est in operibus per modum causoc agentis.» S. Tu.
lib. III. Contr. Cent., cap. i.xvnr.
(2) « Quantum ad substantiam et potentiam suam, ubique est Trinitas, unus Deus,
totus totum complens virtute, non mole ». S. FIJI.G. .lib. II, ad Trasim, cap. xi.
(3) « Quum natura intelligibilis fuorit in habiludine ad locum, vel ad rem in l«f°
' sitam, abusive dicimus illani ibi esse, propter operationem ejus circa rem local;""!
locum pro habitudine et operatione sumentes. Cum enim dicendum esset, ibi opérai'"'
dicimus, ibi est >. S. GnEG. NYSS. lib. De Anima,
»E L'HABITATION nu SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 199
borné celui-là seul est capable d'être partout, d'occuper tous les
;
espaces donnés, si étendus qu'on les suppose, dont la puissance
udinie, n'ayant ni bornes ni limites, peut s'exercer en tous lieux
°t sur tous les êtres qui les occupent, qu'elles qu'en soient la mul-
200 REVUE THOMISTE
Dieu n'est pas, il est vrai, présent de toute éternité aux choses qui
n'existent pas encore, mais que sa substance se trouve pourtant
tellement et éternellement dans les espaces que doivent occuper,
dans la suite des temps, tous les êtres créés, saint Thomas répond :
«
fondée sur une opération qui. passe dans les êtres créés ne peut
a être attribuée à Dieu que temporellement, parce que ces sortes
«
de relations étant actuelles supposent l'existence des deux
« termes. De même donc qu'on ne peut pas dire que Dieu opère
«
de toute éternité dans les créatures, ainsi on ne peut pas
«
davantage affirmer son éternelle présence en elles, car cela
« suppose son opération (1). »
Et si vous interrogez les saints Pères pour leur demander où
était Dieu avant la création du monde; au lieu de répondre qu'il
était dans ces espaces incommensurables qu'occupe actuellement
l'univers et qu'auraient pu occuper des milliers de mondes plus
vastes que le nôtre, ils vous diront par l'organe de saint Bernard :
« Ce n'est pas la peine de chercher davantage où il était; rien
v / " ouin rlicitur, Deus est ubique, importatur quîedam relatio Dei ad creaturarn,
u'Mala super aliquam operationem,
per quam Deus in rébus dicitur esse. Omnis autem
e al'o quae fundatur
super aliquam operationem in creaturas procedentem, non dicitur
6 IJeo nisi
ex lempore, sicut Dominus et Creator et hujusmodi ; quia hujusmodi
aliènes actuales sunt, et exigunt actu esse utrumque extremorum. Sicut crgo non
r operari in rébus ab aîterno, ita nec esse in rébus, quia hoc operationem ipsius
(les'gnat.
.
» S. TH. lib. I Sent., dist. XXXVII, q. u, a. 3.
w « Ubi erat Deus, antequam mundus fieret ? Non est quod quajras ultra, ubi erat.
*lei' ipsum nihil erat;
ergo in se ipso erat. S. BEIIN., De Consider. 1. V, cap. vi.
202 REVUE THOMISTE
IV
« nent l'être sans la vie ; avec les animaux, il a des contacts qui
(1) « Deus qui ubique oequalilcr lolus est per suam simplicem subslanliam, aliter Imiirn
in rationalibus crealuris quam in aliis; el ipsarum aliter in bonis quam in malis est por
oflicaciam. lia sane est in irrationalibus crealuris, ut tamen non capialur ab ipsis. A
rationalibus autem omnibus quidem capi potest per cognitionem, sed a bonis tan.lui"
eapitur etiam per amorem. In solis ergo bonis ita est, ut etiam sit cum ipsis propter cou-
cordiam voluntalis. » 8. BiîitN.um., bomil. m, super Evang. Missus est.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 20Ê
(1) « A primo per suam essenliam ente et bono,' unumquodquo potest dici bonum el
eus, in quantum participât ipsum per niodum cujustlam assimilationis, licct remole cl
deficienter. Sic crgo unnmquodqiie dicitur bonum bonitalo divina, sicut primo principio
exemplari, efl'oclivo, et final i totius bonitatis. Nihilominus tamen unumquodque dicitm
1
bonum similitudine divina; bonitatis' sibi inhoerente, qnie est formalitor sua bonilas,
denominans ipsum, » S. TH., Summ. Theol., I, q. vi, a. i.
(2) « Quod alicui convertit ex sua natura et non ex aliqua causa, minoratum in. co ci
dclîciens esse non potest. » S. TH., lib. II. Contr. Gent., cap. xiv.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 207
VI
(i) « Quod per essentiam dicitur est causa omnium quoe per pai'licipationemdicuntur...
l'eus autem est ens per essentiam suam, quia est ipsum esse : omnc autcm aliud
ens est
eiisperparlicipationcm, quia ens quod. sit suum esse non potest esscnisi unum. » S. Tir.,
''»• II. Contr. Cent.,
cap. xv.
208 REVUE THOMISTE
effets qui jmrticipent à sa bonté. Cela revient à dire que Dieu est
présent aux créatures, en qualité de cause efficiente, d'abord par
son opération : car tout agent doit être en contact avec le sujet
sur lequel il agit d'une manière immédiate ; ensuite par ses dons
qui constituent le terme de cette opération, c'est-à-dire par les
perfections créées, finies, contingentes, qu'il communique aux
êtres de ce monde, et qui sont autant d'imitations lointaines, de
copies imparfaites, de participations analogiques de l'essence
divine. En effet, c'est le propre de la cause efficiente de commu-
niquer à ses effets, dans une mesure plus moins large, la perfec-
tion qu'elle possède, et d'être ainsi en eux non seulement par, le
contact de. sa vertu, au moment même où elle opère et tant que
dure son opération, mais encore par sa similitude; car il est delà
nature même de l'agent de produire au dehors quelque chose qui
lui ressemble, la perfection de l'effet n'étant qu'une reproduction,
une participation, une ressemblance de celle de la cause. De
natura agentis est, ut agens sibi simile agat, quum unumquodque agat
secundum quod actu est. Unde forma effectus in causa excedente inve-
nitur quidem aliqualiter, sed secundum alium modum, et aliam
rationem... Deus omnes perfectiones rébus tribuit, ac per hoc cum
omnibus similitudem kabet et dissimilitudinem simul... : quia id.
quod in Deo perfecte est, in rébus aliis p>6r quamdam deficientem
participationem invenitur (1).
Or Dieu est la cause universelle de tout ce qui existe; car tous
les êtres de ce monde sont les effets de sa puissance. Ils doivent
donc tous posséder en eux quelque chose de Dieu, non pas une
portion de sa substance, mais une similitude et une participation
de sa bonté par mode de vestige ou d'image. Deus est in omnibus,
sed in quibusdam per participationem similitudinis suai bonitatis, ut
in lapide et in aliis hujusmodi; et talia non sunt Deus, sed habent in
se aliquid Dei, non-ejus substantiam, sed similitudinem ejus boni-
tatis (2). Et comme les effets de l'activité divine sont très variés
dans les diverses créatures, comme les dons divins sont distribués
d'une manière fort inégale, tant dans l'ordre de la nature que
(1) « Dicùnlur res dislare a Deo par dissimililudinem nalur.-c vel gralite, sicut et ipse
est super omnia per excellentiam suas natura;. » S. Tu. Summ. Theol., I, q. vni, a. i.
ad 3.
(2) « Sanclissima} et provec'tissima; virtutes,... sicul in vestibulis supersubstanliali*
Trinitatis collocatee, tab ipsa... esse habent. » S. DIONYS. De divin, nomin. cap. v.
(3) Gen. i, 26.
(4) « Ab eo (Deo) longe esse dicùnlur,qui peccando dissimillimi facli sunt. » S. Àuu.
lib. De proesentia Dei, cap. v, n» 17.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 211
elle dit que Dieu est loin des impies, longe est Dominus ab impiis (1).
Aussi saint Augustin, parlant de sa vie pécheresse, disait : J'étais
alors bien loin dans la région de la dissemblance : longe eram in
reoione dissimilitudinis ,(2). Le langage chrétien a rendu familières
ces sortes de locutions. Veut-on parler de quelqu'un qui néglige
depuis longtenips ses devoirs religieux et croupit dans le péché,
on dit qu'il vit loin de Dieu; vient-il à montrer des dispositions
meilleures, on dit qu'il se rapproche de Dieu. Et ces expressions
sont pleines de justesse; car, suivant la pensée de saint Prosper,
ce n'est pas en franchissant les distances qu'on s'approche ou
qu'on s'éloigne de Dieu, mais c'est par la ressemblance avec Lui,
ou nar la dissemblance. Non locorum intervallis acceditur ad Deum,
vel receditur ab eo; sed similitudo facit proximum, dissimilitudo
longinquum (3).
Ainsi donc, quoique Dieu soit partout, et tout entier partout, il
n'est cependant point également partout ; il y a certains lieux où
il réside d'une manière si particulière, qu'on peut les appeler la
demeure de Dieu. Et si Arous demandez quels sont ces lieux privi-
légiés, saint Jean Damascène vous répond : Ce sont ceux où l'opé-
ration divine est plus manifeste : Dicitur locus Dei, ubi ejus mani-
festafit operatio (4). C'est ainsi que le lieu où Jéhovah daigna se
manifester jadis à Jacob par des visions singulières, est appelé la
maison de Dieu et la porte du ciel (S). Aux merveilles accomplies
en sa faveur, à l'échelle mystérieuse qu'il aperçut en songe, auy
promesses magnifiques qui lui furent faites par le Dieu de ses
pères, le patriarche reconnut la présence particulière de la divi-
nité au milieu même du désert, et il s'écria dans un saint enthou-
siasme entremêlé de crainte : Le Seigneur est vraiment en ce
l'eu, et je ne le savais pas : vere- Dominus est in loco istOj et ego
-
' (1) Gen. xxvm, 16.
(2) S. BnnN,, in Ps. Qui habitat, serm. 1, n° 4.
.
(3) Dans sa Somme théol., saint Thomas se fait celle objeclion : « Quod osl in aliq"">
continetur ab eo. Sed Deus non continelur a rébus, sed inagis continet res. Ergo De»*
non est in rébus, sed magis res sunt iii oo. » El il répond : « Licet corporalia dicanim"
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 213
•i
dans l'homme (1), ce serait du Panthéisme; mais en qualité de
cause, comme l'agent est présent au sujet sur lequel il exerce une
; action immédiate? Il est partout, non pas directement et immé-
î diatement par sa substance, quoique celle-ci ne soit absente
':
nulle part, mais par son opération et le contact de sa vertu; car
l d'un côté la substance divine étant absolue n'emporte par elle-
!
même ni relations ni rapports avec les êtres du temps ; et d'un.
i autre côté, étant parfaitement simple et exempte de parties, elle ne
? demande point à se déployer dans l'espace. Mais comme en Dieu
l'opération, la vertu opérative et la substance ne sont pas réelle-
ment distinctes, il faut bien reconnaître que partout où se ren-
contre un effet immédiat de la causalité divine, Dieu lui-même s'y
trouve réellement et substantiellement présent (2). Et comme il
n'existe absolument aucune créature dans laquelle Dieu n'exerce
son activité pour lui conserver l'être et la mouvoir à ses opéra-
tions, il en résulte que Dieu est partout, non seulement par son
action ou. sa puissance, mais encore par son. essence.
Lors donc que l'Ecriture, parlant de la divinité, nous la repré-
sente remplissant le ciel et la terre, numquid non ccelum et terram
egoimpleo? dicit Dominus (3), il ne faut point prendre ces expres-
sions au pied de la lettre, pas plus que les autres anthropomor-
pbismes dont le texte sacré abonde, et comprendre l'immensité
divine par mode d'extension, comme un océan sans rivages conte-
nant dans son sein tout ce qui existe et débordant de toutes parts
lemonde créé; c'est aux exégètes et aux théologiens qu'il appartient
de donner, en de telles occurrences, le sens véritable caché sous
une forme de langage que l'Esprit-Saint a voulu employer pour se
mettre à la portée de tous. C'est ce qu'a fait saint Thomas pour le
texte qui nous occupe. « Dieu, dit-il, remplit tous les lieux, non à
usse in aliquo sicut in continente, tamen spirilaalia continent ea in quibus sunt, sicut
iinima continet corpus. Unde et Deus est in rébus sicut continens res; tamen per
•inaiiidam similitudinem dicùnlur omnia esse in Deo, in quantum conlinentur ab ipso. »
s"mm. Theôl., I,
q. vm, a. 1, ad 2.
(l)«I)eus est in omnibus rébus, non quidcm sicut pars essentia?..., sed sicut agens
"«est ei in quod agit. Oportet enim omiic agens conjungi ei in quod immédiate agit, et
Su'i virtute illud contingere. Summa Theol.. I, q. vm,
» a. 1.
(') « Quia effectus divini non solum divina operatione esse incipiunt, sed eliam per
eani lenontur in esse, nihil autem operari potest ubi non est...,
necesse est ni, ubicumquo
«t aliquis effectus Dei, ibi sit et ipso Deus effoclor. » 8. Tu. Conlr. Genl.. I. IV, cap. xxi.
( 3) Jet:, xxui, 24.
HEVUE THOMISTE. —• 4° ANNÉE.
— 15.
214 REVUE THOMISTE
(2) « Deus omncm locum replet : non sicut corpus, corpus onim dicitur replcre locum,
in quanlum non eompalitur secum aliud corpus; sed per hoc quod Deus est in aliquo
loco, non exclnditur quia alia sint ibi, imo per hoc replet omnia loca. quod dat cssc
omnibus locatis, qua; rcplent omnia loca.. » Summ. Theol., I, q. vm, i\. 2.
(1) Summ. Theol,, I, q. XLIII, a. 3.
L'ÉVOLUTIONISME
III
CONCILIATION
II. — MÉTAPHYSIQUE
bien que les phénomènes de conscience qui ont nom les habi-
tudes ont une certaine ressemblance avec la causalité méca-,
nique, il s'ensuit que nous pouvons trouver l'image de l'inertie
et de la force mécanique « dans la persistance de nos états de
conscience et dans leur influence réciproque ». M. Boutroux, en
concluant, a bien soin de nous dire : « Cette vue, sans doute,
ne résulte pas d'une induction fondée sur les résultats de la
science, elle n'est qu'une simple analogie. »
Tels sont les deux points de vue diamétralement opposés
qui se partagent actuellement les esprits au sujet de la réalité
des rapports entre le physique et le mental. M. Fouillée pousse
la hardiesse jusqu'à les identifier : M. Boutroux, après avoir
avancé leur ressemblance, se retranche timidement derrière
un sully-prudhommien : Que sais-je ? Car « l'on échoue, as-
sure-t-il, quand on veut déterminer la nature substantielle des
choses. »
Je me suis ailleurs librement expliqué sur le système de
M. Fouillée. Je n'y reviens pas (1). La théorie de l'analogie
conjecturale répond bien mieux que la sienne à i'état d'esprit
de nombre de nos contemporains. Aussi est-il nécessaire de
l'examiner de plus près.
Son principe est que « la conscience est le seul sentiment
de l'être dont nous disposions ». La perception externe est
hypothétique. D'où la nécessité de recourir à des analogies
tirées des perceptions immédiates de la conscience pour affir-
mer quelque chose touchant la nature des réalités extérieures.
Ce principe me paraît des plus contestables, et j'abriterai la
lin de non recevoir que je lui oppose sous l'autorité de Kant
lui-même : « Je suis aussi conscient, par l'expérience externe,
de la réalité des corps comme phénomènes extérieurs dans
l'espace, que je le suis, par le moyen de l'expérience interne,
de l'existence de mon âme dans Je temps,
que je ne con-
nais également que comme objet du sens intime, que par
des phénomènes qui constituent
un étal interne et dont l'être
(1) M. Boutroux a réfuté dès 1870 les théories do M. Fouillée d'une manière qui ne
semble guère laisser prise à la. réplique. (De la Contingence des lois de la nature, VU; De
''Homme, 2" éd.,
p. 108).
218 BEVUE THOMISTE
11)in actibus aulem formarum gradus quidam invenitur. Nam. maleria prima est in poten-
'" primum ad formant elementi : subforma vero elementi existent, est in potentia ad for-
"'«.m mixti : propter quod elementa sunt materia mixti. Sub forma autem mixti considerata
st'n potentia ad animant vegetabUem. : nam talis corporis anima actus est. Itemque anima vege-
s»'«s est in potentia ad sensitivam : sensitiva vero ad intellectivam, quodprocessus generatio-
'sosleiidit. Primo enim in generatione est foetus vivens vita plantx, postmodum vero vila
malis : demum vero vita hominis. Post hanc autem formant non invenitur in generalibus
cor>'uptibilibiis posterior forma et dignior. Ultimus igitur generationis tolius gradus est anima
Mina et in hanc tendit maleria sicut in ultimamformant... Si igitur motio ipsius coeli ordina-
a(t generationem, generatio autem Ma ordinatur ad hominem sicut in ultimum ftnem hujns
wationis :manifestmm est quod finis motionis coeli ordinatur ad hominem. sicut in ultimum
">t ni ordinegenerabilium et mobilium...
»
224 REVUE THOMISTE
(1) On se demandera peut-être comment nous osons invoquer un document baséstir des
notions astronomiques si démodées dans la solution du problème moderne par excellence.
Nous répondons : 1° L'existence de causes intermédiaires, moventia mota, n'est pas atta-
chée nécessairement à l'existence des théories .astronomiques do Plolémée. Elle est une
donnée intellectuelle qui répond à la nécessité où nous sommes d'attribuer à certains
agents doués d'une activité d'ordre général, la production des conditions communes de
formation et d'existence d'êtres spéciaux qui de ce fait leur sont causalement subordonnés.
2° L'identification de ces causes rationnellement nécessaires et de certains corps est d'ail-
leurs en principe beaucoup plus philosophique que l'explication par les lois de la nalurc a
laquelle on souscrit d'ordinaire. Il faut que ces lois aient une cause : ce peut être immé-
diatement une intelligence ordonnatrice, mais il est bien plus probable que la cause pro-
chaine de certaines lois réside dans certaines parties de l'univers qui font l'unilé des
autres; exemple : les différentes positions de la Terre autour du Soleil et la vie ton-eslra.
3° Rien n'empêche de substituer à ces anciennes théories des théories nouvelles poin'i"
qu'on le fasse avec prudence et, puisque
Maintenant le hasard promène au sein des ombres
J De leurs illusions les inondes réveillés,
je ne contredirai en rien ceux qui aux corps célestes détrônés voudraient substituer 1 é'"c'
et ses .magiques propriétés. .Te leur demanderai seulement de ne jamais identifier, au p01" 1
quid eorum quas per ens determinantur. {VII. Metaph., c. n.) ]rajr
partir l'évolution d'une entité si insaisissable, n'est-ce pas ul]
songe creux ? On l'eût pensé il y a quelques années, du temps
où les choses matérielles, les faits de Taine, les atomes de
Wurtz, les substances deBerthelot étaient réputées intelligibles,
A. l'heure actuelle on ne parle plus que de l'absurdité de la
matière. On n'admet plus qu'une matière épurée, spiritua-'-
lisée, —force attachée à des points mathématiques pour les
objectivistes lebnitziens, — noumène inconnaissable, construc.
tion intellectuelle pour les amateurs de subjectif. De ce fait, la
matière première d'Aristote retrouve la faveur dans la propor-
tion môme du discrédit qui frappe la matière concrète. N'est-elle.
pas, en effet, une matière intellectualisée, le produit de l'esprit
s'attachant à la matière perçue par les sens et en extrayant par
l'analyse le rudiment d'intellectualité qui la constitue. A ce
titre, elle est de la famille des concepts que s'en forgent les néo-
kantiens, avec cette différence que notre matière n'est pas cons-
truite mais découverte par l'esprit. Nous la définissons : la
puissance réelle aux formes substantielles, puissance totalement
passive, à la différence des puissances actives psychologiques
ou facultés. Nous la disons réelle, encore que cette réalité qui
lui. est propre ne possède pas une existence distincte de celle
du composé physique dont essentiellement elle fait partie et ne
saurait en aucune façon être séparée.
C'est beaucoup sans doute que les idées du jour nous per-
.
mettent de parler sans honte de la matière première. On nous
permettra d'être plus exigeant. La matière première s'impose-
t-elle avec évidence, en sorte qu'elle soit l'élément inéluctable de
toute évolution? Voilà le but de la présente recherche.
Au cours d'une étude sur le Composé humain publiée ici même,
nous avons déjà rencontré cette question. Nous l'avons résolue en
donnant la preuve traditionnelle sans y rien changer. On peut se
référer à cette démonstration (1). La preuve que je vais donner
repose sur la même base, à savoir le fait des changements dans les
natures physiques, mais considère ces changements sous un
aspect particulier, non plus en eux-mêmes mais du côté de Ici"'
t
cause, ce qui la rapproche de la preuve que nous avons donnée
plus haut de la passivité des puissances humaines ou facultés.
;
Voici cette preuve :
l Tout changement s'explique par l'influence d'une cause sur
! l'être qui change. Par suite, l'être qui change est en puissance à
;
recevoir l'action de l'agent capable de le modifier. Cette puissance
se met en mouvement vers le but que l'agent lui destine. De fait,
nous voyons que le but vers lequel tendent les natures physiques
est, tantôt l'acquisition d'une perfection accidentelle, quantité,
qualité, lieu, tantôt une perfection sur laquelle nous ne nous pro-
nonçons pas encore mais qui paraît intéresser profondément la
nature même de la chose changeante, comme dans les combinai-
sons chimiques ou les phénomènes de fécondation. Les mouve-
ments par lesquels un être physique acquiert des perfections acci-
dentelles sont nommés par Aristote : augmentation, altération,
mouvement local. D'après ce que nous avons dit, ils supposent
dans l'être qui en est le sujet une puissance passive spécifique vis-
à-vis de l'action de, l'agent qui les détermine. C'est précisément
une puissance de ce genre que nous avons reconnue dans les
facultés humaines vis-à-vis de la formation des habitus psycholo-
giques. Or, il pourrait arriver que toutes les perfections acciden-
telles d'un être donné disparussent pour faire place à d'autres. II
suffirait pour cela d'un agent suffisant et d'une puissance propor-
tionnée, à cet agent. A la limite, les mêmes conditions étant posées,
il ne semble pas impossible que le principe d'unité qui est en
même temps, le substratum d'inhérence de toutes les qualités
caractéristiques d'un être fasse place à un principe de même rang
mais d'unification différente, approprié aux groupements différents
do perfections accidentelles qui ont succédé à celles qu'il soute-
nait dans l'existence. Dans ce cas limite, l'agent pour être suffi-
sant devra être capable de mouvoir la puissance proportionnée
vers sa première actualité, c'est-à-dire vers une actualité substan-
tielle et non accidentelle. La puissance en question devra donc
utre dénuée de toute actualité, puisqu'elle est le principe passif de
'agénération de la première actualité de l'être. Evidemment, une
Puissance dénuée de toute actualité n'existe pas, comme réalité
Physique, d'une existence séparable elle n'existe comme réalité,
:
cne ne peut par conséquent être atteinte par l'action de l'agent
228 REVUE THOMISTE
i
puissance à cette forme, dénuée par conséquent en soi-même de
toute actualité, puisqu'elle doit recevoir de cette forme sa pre-
mière actualité
— et cette puissance doit se rencontrer dans l'être
sur lequel agit l'agent. Elle en est partie composante comme elle
sera tout à l'heure partie composante du nouvel être. C'est la
notion même de matière première que réalise cette puissance.
Nous pouvons donc affirmer que la matière première, élément
loncier de notre évolutionisme, est une réalité nécessaire.
j
C. -—Troisième condition: les Corps célestes.
1° Le vieux système.
tout prendre, l'évolution serait possible avec un seul agent
A
équivoque, Dieu, et des agents inférieurs et passifs vis-à-vis de
lui. Cependant cet hiatus répugne (2). Dans l'ordre psycholo-
gique, entre l'intellect des premiers principes, qui régit tout
nomme, et les passions, qui n'ont droit qu'à être dirigées, il y a
1
W Cf. I. P., q. LXV, a..3. — Comment. Cajet. —Cf. De Pot. q. III, a 4, c. 5" ratio.
\~) II. Dist. I, q. i, a. 4, c. Incip. Sed hoec positio stulta est.
« »
234 REVUE THOMISTE
i intellectuel. C'est
qu'a suscitée la parole l'esprit proférait le verbe
pieu qui crée l'âme sans doute, mais pour que la nature fût pré-
parée il a fallu l'ondulation de l'éther (1). Au point de vue de l'a
priori philosophique aussi bien qu'à celui des vraisemblances a
posteriori de la science, on peut donc retenir l'âme du vieux
système et chercher à lui donner un corps. On nous permettra, à
ce propos, de donner quelques indications, de relever quelques
coïncidences qui pourront peut-être servir un jour de point
d'attache à des constructions plus certaines.
.le note pour mémoire la question de fait qui se présente ici en ce qui concerne les
(1)
corps du premier couple humain. Cette question est réservée pour le chrétien.La Genèse
cn attribue la formation à une action directe et spéciale de Dieu. lia thèse exposée ici
s applique à la génération ordinaire.
1-) FAYE. De l'origine du Monde, X. suiv.
p. 165 et
236 REVUE THOMISTE
(1) G.vunny. Essai de paléontologie philosophique (Revue des Deux Mondes, lu iéw. 1896).
(2) 1II™, q. MI, a. i.
240 REVUE THOMISTE
(1) « Pour certaines espèces, des modifications successives les auraient progressive-
ment rapprochées les unes des autros : les preuves indéniables de ces passages s'»' 1
mises sous nos yeux dans les riches, collections du Muséum. Les causes-mises en avanl
par Darwin et ses partisans sélection naturelle et lutte pour la vie me paraissent pué-
riles pour un si prodigieux résultat : la transformation des espèces. Hypothèse p"" 1'
hypothèse, j'aimerais autant colle de Lamarck que la girafe a vu son cou s'allonger p"'
1
suite des efforts qu'elle faisait pour atteindre le feuillage des arbres. » (M. de NA-
ÏUILLAC.)
(2) Cf. I II", q. LI, a. 3.
(3) IT. Sent. dist. I, q. i, a. 3, ad 3U™ et ad Sam; q. ni de Pot., a. 4, ad lfi.
(4) I. P. q. XLV, art. 8 ad 3«"> (Oajot.); — q. LXV, a. 4; — q. cxv, a. 3, ad 2"" 1
(Cajet.).
t'ÉVOLUTIONISME ET LES PRINCIPES DE SAINT THOMAS 243
CONCLUSION
::
en eil'et à la genèse du monde ce que saint Thomas a magistra-
;
lement prononcé de son gouvernement. « Le petit gouvernement
l ('e l'homme est ce qui ressemble davantage au gouvernement
:
divin : c'est à cause de cette ressemblance que l'on appelle
| ''homme un petit monde {minor mundus, microcosme). De même,
i Kn effet, que toute la créature corporelle et toutes les forces spiri-
?
belles sont contenues dans le gouvernement divin, ainsi les mexn-
:;
'"'es du
corps et les autres forces de l'âme sont régies par la rai-
l so» et ainsi, d'une certaine manière, la raison est dans l'honime
(;o«ime Dieu dans le monde. » {De Reg. Princip., 1, c. xn.)
L'évolutionisme des habitudes répond à toutes les exigences du
'''vilo catholique, pourvu que dans la production des premiers
;
Jpcs on écarte l'intervention de causes intermédiaires, et que
ItEYUE THOMISTE. — i° ANNÉE.
— il.
246 REVUE THOMISTE
I )0Ur produire
dans l'homme la grâce. La grâce à son tour sera le
| principe de toute une évolution psychologique surnaturelle. Les
S vertus théologiques, les vertus morales infuses, surgiront
sous
I son action comme sous l'action de l'intellect des premiers prin-
I clpes surgissaient dans l'ordre naturel les vertus acquises. Voilà,
I (]u point de vue de la foi, le but dernier de l'évolution terrestre.
! foràmus enim motum coeli, dit fièrement notre saint Docteur, ad
(1) V. Depot., a. 5.
(2) I. Jcân.
m.
$)Philipp. m, 21.
(') H Co\:
m, ult.
L'IDÉAL DE NOS PEINTRES
'rjW;ïf_.*
i L'IDÉAL DE NOS PEINTRES 251
; —
Or l'art est un, tout le monde le proclame; c'est donc qu'il
I trouve, au-dessous de ce qui se voit, une matière commune. En
J;face du même spectacle, sous le coup de la même impression,
i chaque artiste saisit son instrument familier : violon, pinceau,
et que nous veut-on avec ces toiles à tant de mètre ? Est-ce bien la
Nature, la sainte et profonde Nature dont on prétend nous mon-
trer le visage dans ces photographies polychromes, dans ces faits-
'iivsrs illustrés?
Lt si j'osais!... Avec infiniment plus de respect, cela va de soi,
mais avec non moins de conviction, je dirais son fait à ce très haut
soigneur de nos expositions : Monsieur Bouguereau, professeur de
Peinture. Professeur, je dis bien, car personne mieux que lui ne
s'dL tenir la brosse; mais qu'en fait-il le plus souvent? Que disent
ees figures, admirables de forme et de grâce? Qu'y a-t-il sous celte
Prestigieuse exécution, cette perfection de modelé, cette délicatesse
(>o touche? Rien! Cela
ne dit rien que ce qui se voit; c'est de la
Peinlure pour les yeux, non pour l'esprit, et c'est pourquoi je dis :
254 REVUE THOMISTE
voit, est rendue avec une véritable force, elle attire tout à elle
et illumine tout.
Demandez à M. Jules Breton s'il ne sait pas faire mieux
encore. On ne sait, souvent, où il prend l'impression de ses
tableaux ; mais elle est toujours d'une poésie intense. Pourquoi
cette tranquille paysanne, qui va de grand niatin, emportant sa
cruche et sa gerbe, nous fait-elle rêver si doucement? N'est-ce.
point parce qu'on nous la montre seule, au sein d'un paysage aux
grâces virginales, et que le ciel rempli d'aurore jette sa gerbe
de roses sur la gerbe de blé?
Et à côté, le même artifice ne suffit-il pas à poétiser la scène
la plus banale? Dans la p>laine, des travailleurs des champs se
reposent; une toute jeune fille leur apporte le repas du jour :
c'est tout le tableau. Oui ; mais la lumière! Cette fée, qui mélange
le ciel et la terre, regardez ce qu'elle fait de cette tête d'enfant en
la caressant sous son voile. Ce voile rose., imbibé de soleil, met
une auréole de printemps autour du visage en demi-teinte. C'est
la jeunesse candide que la nature chérit et protège; la simplicité
de son action devient une beauté de plus.
; nous
l'entendions tout à l'heure que dans mainte prétentieuse allé-
1 o-orie. La vie déborde de ces petites toiles, d'une observation si
':Ce n'est pas le plus beau, j'en conviens; mais c'en est un, et cela
l vaut mieux que le néant habillé de belles formes. Une idée a beau
LE PAYSAGE
LE GENRE
aucune manière.
Je vois bien quelques bandits armés dont l'arrivée inattendue
vient interrompre un souper fin ; mais c'est tout. La Poussée,
c'est-à-dire, je suppose, la terreur de la misère révoltée contre
la richesse jouisseuse, cela n'existe que sur le catalogue, M. Béraud
ne me fera jamais croire qu'il y a sérieusement songé. Il n'y
a pas un atome de passion dans sa toile, elle a été peinte le
sourire aux lèvres; c'est drôle, c'est amusant, c'est bien peint,
et le public défile ; mais il n'a pas peur, oh non. !
Voici un très curieux petit livre. L'auteur, savant émérite, bien connu
pour ses travaux de haute mathématique, a porté, dans, la question qui
semblait s'y prêter le moins, son besoin de précision et ses habitudes de
clarté : il s'agit de la nuit obscure de saint Jean de la Croix.
Dites si vous voulez à M. Gladstone qu'il n'entend rien à la politique :
gardez^vous de lui dire qu'il ne sait pas fendre le bois :ainsi raisonne une
malicieuse prudence. Eh bien, j'avoue que je suis assez àmon aisepour par-
ler de ce mystique essai d'un mathématicien : c'est que l'on sent, à travers les
clarl.euses allées dont il sillonne la nuit obscure, circuler la chaude haleine
d'une piété personnelle, d'un souci expérimenté des âmes.
Pour l'auteur, la théologie mystique est surtout une science expérimen-
tale. On y observe certains états d'âme tout comme un naturaliste observe
des espèces végétales ou animales. On dépeint, on catalogue, on classe
les espèces découvertes (p. 5). Le mérite de saint Jean de la Croix est d'avoir
étudié une espèce à part, négligée jusque là. Ce n'est, à vrai dire, l'auteur
le confesse ingénument, qu'une «espèce d'aridité»; mais il l'a examinée
avec l'oeil d'un savant (p.. 13). Il a deviné ses propriétés curatives et le
curieux secret de. sa structure.
Le Rév. Père résume le travail du saint en le complétant par des obser-
vations personnelles (p. 6). Les nuits de l'âme sont ses purifications. Lu
première est la nuit des sens. Ses deux éléments principaux sont : une ari-
dité habituelle, véritable impossibilité de méditer ; une orientation perma-
nente, à la fois souvenir et désir, de l'âme vers Dieu. Ces deux éléments
sont extérieurs : il en est un troisième plus intime : c'est l'oraison de quié-
tude, caractéristique de la seconde nuit,.qui cherche à se faire jour. « Quand
les chimistes veulent obtenir certains cristaux, ils les font naître dans un
bassin où l'on n'aperçoit rien qu'un liquide transparent. Mais le sel est dis-
sous dans la masse. Il n'a qu'à grouper ses atomes et voilà qu'apparaît un
bloc brillant qui semble venu d'ailleurs. « Ainsi l'oraison de quiétude se
dégage delà nuit, des sens, à entendre l'auteur.
Tout est clair et ingénieux dans cet. ouvrage. Le but en est essentielle-
ment pratique. Le R. P. Poulain voudrait que les directeurs d'âme 8
On le voit clairement dans les proportions des deux parties du livre: SIM'
168 pages il en consacre 119 à exposer le mouvement Cartésien et son
influence sur la scolastique traditionnelle. Rien ne manque dans ccll<!
pai'tie de son livre. L'auteur apporte des extraits aussi décisifs que Irai''
pants de la littérature française. Des citations nombreuses de Molière, «c
la logique de Port-Royal, etc., montrent quelles études approfondies c"
philosophie et en littérature, l'auteur a su mettre à profit pour son
sujet.
NOTES RIRLIOGRAPEIQUES 267
.
DIVUS THOMAS
.•-. Volumen Y, fasc. XXXV-XXXVI.
A. ROTELLI. •— Commentaria in quasstiones I-XXVI III P. Summoe tlieo-
logioe De Incamatione in lectiones distributa.
Epistola Eminentissimi Cardinalis Gibbons ad Eminentissimum Card. ]\0.
telli.. .
M. F. — De Deo Uno.
A. TH.— Commentaria in Encyclicam De Studiis. Sacrse Scripturee.
P. M.—De Unione animaj et corporis, Fragmenta Psychologiie, Scotm.
Suarez, S. Thomas.
.
PHILOSOPHISCHES JAHRBUCH
IX. Band. 1. Heft (Fulda).
GH.ÏBIÏHLIÎT.
—
L'âine est-elle activité ou substance ?
PAQUÉ. Élude de la sensibilité.
—
SCHÙTZ.
— L'hypnotisme.
UjiDiNGER.
— Les ouvrages mathématiques de Nicolas de Gusa.
Recensions et comptes rendus.
Revue de revues philosophiques allemandes.
(Adresse de la Rédaction : PROF. P. C. GHTUKULKT, Fulda.)
LE GÉRANT : P. SERTILLANGES.
l'AHIS — IMPRIMERIE V. LEVÉ, RUE CASSETTE, 17
REVUE THOMISTE
DE L'HABITATION DÛ SAINT-ESPRIT
DEUXIÈME ARTICLlî
OU
«
l'objet connu et aimé est dans l'être qui connaît; et qui aime. Et
<l parce que la créature raisonnable peut s'élever jusqu'à Dieu par
(<
la connaissance et l'amour, et l'atteindre en lui-même, au lieu
" de dire simplement que Dieu, suivant ce mode particulier de
11
die comme dans son temple. Nul autre effet que la grâce sanc-
<( Wiante ne peut être la raison de ce nouveau mode de présence de
"I- personne divine. C'est donc uniquement par la grâce sancli-
llKV[JK THOMISTE. —4e ANNÉK. —10.
270 MÏVÙE THOMISTE
(1) « Super istum modum autem communem (quo, scilicet,Deus eslin omnibus I«1I«S
per essentiam, potenliam et prresentiam, sicut causa in effectibus participanlibus boni-
(atom ipsius) est unus specia.lis, qui convenit natui-oe rationali, in qua Deus dicilui- e***
sicut cognitum in cognoscente, et amatum in amante. Et quia cognoscendo et ain:in«'"
creatura rationalis sua operatione attingit: ad ipsum Douni, secundum istum spécial01"
modum Deus non solum dicitur esse in rationali creatura, sed eliam habitare in ea si''"'
in templo suo. Sic igilur nullus alius elï'ectus potest esse ratio quod divina persona sii
novo modo in rationali creatura. nisi gratia gratum faciens. Unde secundum s'-'l-'""
(1) « Quoniam estis filii.misit Deus Spiritum l''ilii sui in corda veslra (.-.laniantcni: .\l»''n
Pater. » Gai. iv, 6.
(2) « Non enim accepistis spiritum servitutis itci-um in timoré, sed acccpistis spii-il" 1"
adoptionis iiliorum. » Rom. vm, 'la.
.
(3) « Cbaritas Dei diffusa est in cordibus veslris per Spiritiim yauclum, qui datu»1^ 1
II
(1) « In ratione missionis duo importantur : quorum unum ost habitudo missi ad enni
à quo mittitur ; aliud est babitudo missi ad terminum ad quem mittitur. Per boc aiilcm
quod aliquis mittitur, oslenditur processio quoedam missi a miltente: vol secundum impz-
riam, sicut dominus mittit servum ; vel secundum consilium, ut si consiliarius inillei*
dicatur regem ad bellandum ; vel secundum originem, ut si dicatur quod flos emitlilur aa
arbore. Ostenditur etiam babitudo ad terminum ad quem mittitur, ut aliquo modo il»
esse incipiat : vel quia prius ibi ou.nino non eral; quo mittitur; vel quia incipit ibi '"'
quo modo esse quo prius non erat. » Summ. Theol. I, q. xr.in, a. 1.
(2) « Missio importât minorationem in eo qui mittitur, secundum quod'importai pi'0"
cessionom à principio miltente, aul secundum imperinm, aul secundum consilium ; f('|i;l
imperans est major, et consilians est sapientior. Sed in divinis non importât nisi pron'*
sionem originis, quai est secundum .-equalitalem. » Summ. Theol. I. q. xun, a. 1, ad 1-
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT OANS LES AMES JUSTES 275
est envoyé. 11 indique que le messager doit, s'il n'y est déjà,
l'on
rendre au lieu où on l'envoie, pour être en mesure de remplir
se
l'office qui lui a été confié. Dans les missions créées, après avoir
pris congé de son maître, l'ambassadeur d'un prince s'éloigne de
]ui et quitte son pays pour se rendre à la cour du souverain auprès
duquel il est accrédité ; il y a par conséquent changement de lieu:
il n'est pourtant pas impossible qu'un sujet, déjà présent dans
une contrée qui n'est pas son pays d'origine, reçoive de son prince
une mission particulière auprès du monarque sur les terres duquel
il se trouve ; dans ce cas, l'ambassadeur n'a point à se rendre au
ternie de sa mission puisqu'il y est déjà, mais par le fait du man-
dat qui lui est donné, il y devient présent d'une nouvelle manière,
ou plutôt à un nouveau titre, non plus comme simple particulier,
mais en qualité de représentant. La mission divine ne comporte
ni déplacement, ni séparation ; Dieu, étant partout, ne peut se
rendre quelque part où il ne soit déjà, et la personne envoyée ne
se sépare point de celle qui l'envoie, car les trois personnes de
l'adorable Trinité, n'ayant qu'une seule et même nature, sont né-
cessairement inséparables ; en vertu de la circumincession, partout
où l'une d'elles se trouve, les deux autres y sont également (1).
Mais pour qu'il y ait vraiment mission, il faut que la personne
divine commence d'être présente sous un mode nouveau là où elle
est envoyée. Ainsi, quand le Fils de Dieu fut envoyé dans le
monde pour opérer notre rédemption, il ne quitta point le sein du
Père pour venir au milieu de nous ; il était déjà dans le monde, en
qualité'de cause, pour conserver ce qu'il avait primitivement créé :
rnmundo erat, etmundusper ipsumfactus est (2), mais il y vint à
nouveau en tant qu'il apparut revêtu de notre chair. Ce que nous
disons de la mission visible du Verbe s'applique également à la
mission invisible de l'Esprit-Saint. Lors donc que ce divin Esprit
est envoyé par le Père et le Fils pour sanctifier la créature, il n'y
.
n en lui ni déplacement, ni changement; toute la mutation se tient
.',:« Illud quod sic mittitur, ul incipiat esse ubi prius nullo modo erat, sua missione.
«caliier movetur ; unde oportet quod Ioeo separctur à mittente, sed boc
non accidit in
""ssione divinai personoo ; quia persona divina missa sicut non incipit
esse ubi prius
'""i fueral, ita nec desinit esse ubi fueral. Uiide talis missio est sine scparalionc, sed
l;l!>et solam distinctionem originis.
» Summ. Thèol. I, q. xi.iu, a. !, ad 2.
{~)Joan. i, 10.
276 REVUE THOMISTE
III
(1) « Missio igitur divina; personoe convenire potest, secundum quod importât ex i"ia
parte processionem originis à miltente, et secundum quod importât ex aliaparle nova" 1
modum existendi in alio ; sicut Filins dicitur esse missus à Pâtre in mundum, secun-
dum quod incoepit in mundo esse per carnem assumptam ; et tamenantea in mundo cra'i
nt dicitur Joan. i. 10. » Bumm. Theol. 1. q. XLIH, a. 1.
i
é
^j)[5 L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AJIICS JUSTES
t .-olmnus (1)•
Or seule la créature raisonnable, unie à Dieu par la
,
^77
—^_
i
oràce ou la gloire, est capable de jouir de lui, ou d'une manière
1 ial.faite comme les bienheureux dans le ciel, ou d'une manière
I initiale et commencée, comme les justes et les saints d'ici:has (2).
ï rj(?s êtres privés de raison peuvent bien recevoir la motion, l'im-
S pulsion, l'action de Dieu, ils ne sauraient ni jouir de sa présence,
% pi user librement de ses dons; ilspeuvent avoir en eux une parti-
IV
Dieu se trouve donc dans les justes d'une manière toute spéciale,
il y habite, suivant l'expression employée par nos saints livres.
Mais, chose étonnante, Dieu n'habite pas partout où il est. Com-
bien d'êtres auxquels il est réellement et substantiellementpréseiil
à titre de cause efficiente, y exerçant son activité, y produisait!
tel ou tel effet, et dans lesquels néanmoins il n'habite pas, au sens
que l'Ecriture donne à cette expression! Et cela se comprend. Le
lieu qui est l'habitacle de Dieu, a, dans toutes les langues, un nom
spécial, c'est un temple. Or, on ne saurait donner le nom »e
temple à une demeure vulgaire, destinée à des usages profanes;
le temple est un lieu consacré et dédié au culte de Dieu, qui daignC
y habiter et accueillir favorablement les prières de ses adorateur*-
« Le temple est un lieu consacré au Seigneur pour qu'il y habile »>
nous dit l'angélique docteur. Templum est locus Dei ad, inha-bil" 11'
.'. <f tu quidem in materiali lemplo est qu.-edam sacramenlalissanclilas, prout templum
Ull"> cullui dedieatur; sed in (idelibns Christi est sanctitas gratioe,
quem conseculi sunt
I' 01' uaplismum, secundum illud, infra
vi. Il : Abluli estis, sanctijicati, estis. » S. Tu. in
•
<2>'
Cor-
m, 17.
Cor. m, n.
v*! Ibid.
'') %'. i, 4.
280 REVUE THOMISTE
« divinité, mais non par une grâce d'habitation. Unde fatendum est
« ubique esse Deum per divinitatis proesentiam, sed nonubique per kabi-
« tationis gratiam.
« Dieu donc, qui est partout, n'habite pas dans tous les hommes;
« et il n'habite pas non. plus au même degré dans ceux où il élablil
,
« était dans Elie? (iv. Reg. n, 9). Et d'où vient que parmi les saints,
« les uns le sont plus que les autres, sinon parce que Dieu habile
« plus pleinement en eux? Mais si Dieu est plus dans les uns qu(>
« dans les autres, que devient la vérité de ce que nous avons avance
« précédemment, savoir que Dieu est tout entier partout? Pourb'
« savoir, il faut considérer attentivement ce quenous avons dit, 1llC
« c'est en lui-même que Dieu est tout entier partout, et non dans
SS
ipc hommes,
qui le reçoivent les uns plus, les autres moins. On
© dit en effet qu'il est partout, parce qu'il n'est absent d'aucune
&; „ari.ie de l'univers; qu'il est tout entier partout, parce qu'il n'est
(
partiellement présenta chaque chose, en sort-s qu'une partie
ï
ft!
S^
«
, pas
plus ou moins grande
grande
de son être réponde à chaque partie
des choses; mais il est tout entier présent
plus
moins
« ou
i: non seulement à l'universalité des créatures, mais encore à chaque
«
$ «partie de l'univers. Ceux qui, par le péché, lui deviennent dissem-
Û niables, sont dits éloignés de lui; ceux-là, au contraire, s'en rap-
B
I u prochent, qui lui ressemblent par une pieuse et sainte vie. »
| «
Mais ceux à qui Dieu est présent ont beau être moins capables
i « de le recevoir, il n'en est pas pour cela moindre lui-même. Et de
I «même qu'il n'est pas absent de ceux en qui il n'habite pas, et qu'il
i « est même tout entier en eux, quoiqu'ils ne le possèdent pas; ainsi
ï
«
il est présent tout entier dans ceux en qui il habite, bien qu'ils-
« ne
le saisissent pas totalement.
« Pour habiter dans les hommes,
Dieu ne se partage pas dans
«
leurs coeurs ou dans leurs corps, en attribuant une partie de lui-
; mais tout en demeurant
« même à ceux-ci, et une autre à ceux-là...
(•éternellement immuable en lui-môme, il peut être présent tout
« entier à toutes choses, et tout entier à chacune, quoique ceux en
« lempletrôs cher, le possèdent les uns plus, les autres moins, selon
«
leur diverse capacité (1) ».
Ainsi donc, au sentiment de saint Augustin, Dieu n'habite dans
une âme qu'à la condition d'être saisi et possédé par elle, ce qui a
lieu par la connaissance et l'amour;
car posséder Dieu, c'est le
connaître : hoc est Deum habere, quodnosce (2), non pas, il est vrai,
''une connaissance quelconque, car « ils n'appartiennent, pas au
" lemple de Dieu ces philosophes superbes qui l'ont connu sans
lc glorifier et lui rendre grâces (3)»; mais d'une connaissance
accompagnée de charité; et voilà pourquoi « ils appartiennent au
" Lemple de Dieu ces enfants qui ont élé sanctifiés par le sacrement
du Christ, et régénérés
(<
par l'Esprit-Saint, et que leur âge rend
'') S. Aim. lib. de Proesentia Dei, seu Epist. ud Durdan. 181 (alias 57), cap. v et vi,
n. 10-19.
(~)Jbid.
cap. vi, n. 21.
( 3) Wd.
cap. vi, n. 21.
282 REVUE THOMISTE
^
nncteur Angélique. Voici en effet comment celui-ci s'exprime
J commentaire sur les paroles de l'Apôtre Vous êtes le
, s son :
f ,,rnpie du Dieu vivant : « Quoique Dieu soit en toutes choses par
5 raison en est que, s'il est en toutes choses par son action, en
„
j
|ant qu'il s'unit aux créatures pour leur donner et leur conserver
„
«
l'être, il n'y a que les saints qui, parleur opératio?i, c'est-à-dire
la connaissance et l'amour, peuvent atteindre Dieu, et le
., par
contenir en quelque sorte en eux. Car celui qui connaît et qui
«
aime possède en lui-même l'objet connu et aimé (1) .»
«
Dans son commentaire sur la première épîtreaux Corinthiens, à
propos des paroles suivantes du môme apôtre : Né savez-vousp>as
t/iie vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit-Saint habite en vous?
saint Thomas fait les réflexions que l'on va lire : « Jl est de la
«
nature d'un temple d'être l'habitacle de Dieu, selon ces paroles
«
du Psalmiste : Dieu habite dans son saint temptle (Ps. x, S); par
«
conséquent tout ce qui est la demeure de Dieu peut être appelé
«temple. Or Dieu demeure principalement en lui-même, parce
«
qu'il est seul à se comprendre; il peut donc être appelé son
« propre temple... Il
habite aussi dans une maison consacrée par
« le culte spécial qu'il y reçoit... Il habite encore dans les
«
hommes par la foi que la charité rend active, suivant ces
« paroles de l'Apôtre aux Ephésiens : IJC Christ habite dans vos
" coeurs par la foi (Ephes. ni, 17). Et pour prouver que les fidèles
Mais il faut considérer que Dieu est dans tout être créé par
(<
vi Liect Deus in omnibus rébus dicatur esse per pnesenliam, potentiam et essen-
«
'"", non lamen dicitur in eis habilare, sed in solis sanctis per gratiam. Cujus ratio
'*'' <l"ia Deus est in omnibus rébus per suant actionem in quantum conjungil se eis, ut
'"ls esse et conservans in esse. In sanctis autem est per ipsorum operalionem qua attin-
J>'"l ad Deum, etquodammodo comprehendunl ipsum, quie est diligere et
cognoscere.
' '"" di'igens et cognoseens dicitur in se habere cognita et dilecta. » S. Tu. in II.
Cm'"
cap. vi, 16, lect. 3. ' •
284 REVUE THOMISTE
.
« Dieu en lui (I. Joan. iv, 16). Voilà pourquoi beaucoup connais-
« sent Dieu par une connaissance naturelle ou par la foi informe,
« et n'ont pas cependant l'Esprit de Dieu à demeure-dans leurs
« coeurs (1).»
C'est donc une vérité acquise et incontestable que Dieu
existe d'une manière spéciale dans les justes ; l'Ecriture, la tradi-
tion, l'enseignement théologique s'accordent pour affirmer Je fail
d'une présence particulière de la divinité dans les âmes auxquelles
l'Esprit-Saint est envoyé ou donné, et qui deviennent par la grâce
le temple et l'habitacle de l'adorable Trinité. Ce n'est plus simple-
ment parson opération, à titre d'agent ou de cause efficiente, queDieu
est en elles; c'est en qualité à'hôte, d'ami, de Bien souverain, donl
elles peuvent déjà commencera jouir. Ce nouveau mode de pré-
sence, qui n'exclut point les autres mais s'y surajoute, n'emporte.
aucun changement en Dieu qui est immuable, mais il suppose
dans la créature une modification (2), un effet nouveau produit en
elle et devenant le principe d'une nouvelle relation, en vertu de
laquelle la créature se rapporte à Dieu non plus simplement
comme l'effet à sa cause, mais comme le possesseur à l'objet
devenu sa propriété et la matière de sa jouissance ; et de son côté.
VI
i^^imm. Theol. h,
q. xi.m, a. 3.
HliVUE THOMISTE, — i» ANNÉE.
— 20
286 REVUE THOMISTE
Vil
(1) Vie de sainte Thcrhe écrite par elle-même, rliap. xvm; traduction du ./ï. P. il"' 1'
Bouix S. J.
(2) Summ. Theol., I, q. i'A, a. 3, ol>j. I».
i'.\) Ibid., in corp. art.
DIC L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 289
'h •( Nescilis quia templum Dei estis, el. Spiritus Dei habitat in vobis? » I. Gor.,
'", 1(i.
(-) « Nescilis quoniain membra vestra. templum sunt Spiritus Sancti, qui in vobis est,
'I110'» habelis
a Deo, et non estis vestri? » I. Cor. vi, 19,
'.^) «Si quis Spiritum Olu-isti
non habet, hic non estejus... quod si Spiritus ejus qui
MIS|itavit Jesum a morluis, babitat in vobis; qui suseitavit .Tesum Cbristum
a mortuis,
U|li<:abit et mortalia corpora voslra, propter inhabitantem Spiritum cjus in vobis.
"'"»• »
vin, g.].].
•290 REVUE THOMISTE
Sur quoi saint Augustin fait cette remarque : « Que sera « donc
Ja chose elle-même qui nous est promise, si le gage est si prô-
„
cieux? ou plutôt ce n'est pas un gage, ce sont des arrhes. Car le
((
VIII
) > Qualis res est, si pignus taie est. Nec pignus, sed arrlia dicendus est. Signus
(c
m "uando ponitur,
. quum fuerit res ipsa reddita, pignus aufertur. Arrlia autem de
"l >'e datur quas danda promittitur, ut, res quandoredditur, implealur quod dalum est,
"uileliir. » S. Auc.'de Verbis apost., serm. xm.
H « Allait ergo in bac dio fidelibus suis, non jam per gratiam visitationis et opcva-
' sct' per praisenliam Majestatis; atque in vasa non jam odor basalnii, sed ipsa
uiiia sacri defluxit unguenti. » S. AUG. serm. 18ÏJ, de Temp.
292 REVUE THOMISTE
«
habile dans les justes et qui les sanctifie, et il n'appartienl
« qu'aux trois personnes de La Trinité de pouvoir, par leur
« substance, pénétrer dans les âmes (2) M.
Et prévenant L'objection qu'on aurait pu lui faire, en opposant
à son sentiment Les paroles de L'Evangile où il est dit que Satan
entra dans le coeur de Judas: Post buccellam introivit in eum Sata-
nées (3), il répond que Satan y entra, non par sa substance, ce qui
n'appartient qu'à Dieu, mais par son opération, c'est-à-dire par
ses suggestions perfides et ses déceptions pleines de malice ('il
(1) « Operari aliquem clïectuni conlingil dupliciler : uno modo per modum principal1*
agentis; alio modo per" modum instrumenti. Primo quidem modo, soins Deus. opcralui'
interiorem effectum sacramenli : tuni quia solus Deus illabitur animai, in qua siicra-
nienti elïectus existil ; non autem potest aliquid immédiate operari ubi non est; luni q' 1 11,
gratia, qui» est intorior sacramenli elïectus, est a solo Deo. » S. Tu. Summ. Theot.W*
q. I.xiv, a. 1.
(2) «. Cum ergo Spiritus Sanctus, similiter ut Dater et Films, menleni el iiilori'11'0'"
bominem inbabitare doccalur, non dicam ineptum, sed impium est eum dicere crcul'i-
ram. Disciplinas quippe, virtutesdico et art os... et alTectns in animabus habitarc po**1'
bile est : non lamen ut substantivas, sed ut accidentes. Creatam vero naluram in *»"'"
babilarc impossibile esl... » DIUVMI.S, de Spirilu Sancto, n. 2ii.
(3) Joan. XIII, 27.
(4) « Introivit ergo Salamis, non secundum substanliam, sed secundum operalion01"'
quia introire in aliquem, im-.renla; liaiur.-c esl, ejus quai parlicipalur a pluribus... *°
ergo participations'nulmw, sivo subslanlue, implet quempiam diabobis, aul ejus "a"
lator elficilur, sed per l'raudulontiam et dnceptionem el malifiam liabitare in eo ci'i'"''
ipiem rcplevil. » DMIYM., de Spirilu Sanct., n. 61.
L'HABITATION nu SAINT-ESI'RIT DANS LLS ÂMES .H/STES 293
m-
(1) A. Nonne ad imagineni Dei labricatum esse in terra liomincm dicimus ? — 13. Qmf
tlubitat ? — A. Quod autem iliviuam nobis imprimit imaginent et signaculi instar snpi"'-
muiidanam pulcliritudinem inscrit, nonne Spiritus est ? -— B. Al non tanquam De"*-
sed tanquam divina; gratins subminislrator. — A. Non ipse itaqtie in nobis, sed f'"'
ipsum gratia impriniitur ? — B. lia videtur. — A. Oporlct igitur imagineni gratin-, non
imagineni Dei vocari liomincm. » CYRIL. ALEX., dial. 7 de Trin.
(2) « Si aromatuni fragrantia propriam vini in vestes exprimit, cl ad se quodammu'l"
transformât ea, in quibus ines.t; quomodo non possit Spiritus Sanctus, qu'andoquidi'1"
Deo naturaliter exisl.it, divina; liai lira; participes illûs lacère per seipsuin in tpiil' 1"
ex
insil ? » CVIUL. Ai.rcx., lib. XI, in Joan. cap. n.
(3) « Signati estis Spiritupromissionis Sancto. Si Spirilu Sancto signati ad Deum vel" 1"
mamur, quomodo crit creatuni itl per.quod divina; cssentiic imago et inereala; n.'il'11'''
signa nobis inipriiiiuntur? Nequo enim Spiritus Sanctus, ])icloris instar, in nobis du' 1'
cssentiarii depingit, aliud quitlpiam ab illa existons; hoc motlo ad l'fl
nam ncqiie nos
similitudinem ducil ; sed quod ipse sit Deus et ex Deo procédai, in cordibus eoruin 'I 111
ipsum suscipiunl velut in ocra invisibiliter instar sigilli impriniitur, etnaturam suam pfl
communicalionem et siniililudineni sui ad archclvpi pulchrilutlincm depingil, D'i'l'"
imagineni homini restituit. » Cvnn.i.. Thésaurus, assertio xxxiv.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES
295
«Quod si hommes ail similitudinem informare materias ncqueunt aliter, nisi ideas
(1)
ipsoram participent: quomodo ad Dei similitudinem ascendat creatura, nisi divini cha-
i-îicloris sit particeps ? Divinus porro character non talis est, cujusmodi est liumanus,
sod vivens et verc existons imago, imaginis elïcctrix, qua oinnia qua; participant, ima-
gines Dei constituuntur. » S. BAS. lib. V, Contr. Eunom.
(2)« Sicut ferrum quod in medio igno jacet, ferri naturam non amisit, vehemenli tamen
'Jni igne conjunctione ignitum, quum universam ignis naturam acceperit,. et colore, et
C'iloro, et actione ad ignem transit; sic sanctee virtutes
ex coinmunione quam cum illt>
hïbout qui natura sanctus est:, per lotam suam subsistentiam accoptam et tpiasi innatani
S'.nctificationem habent. Diversitas vero ipsis a Spiritu Sancto hase est, quod Spiritus -
"iUura sanctitas est, illis vero participatione inest sanctiticatio. » S. BAS. lib. m,
Contr. Eu-nom.
» A.ccipe exemplum corporou'm, parvum quitlein et facile, sed utile simplicioribus. Si
'.S'iiispcr.i'erri crassitutlineni interius ponetrans, tolum illud ignem efficit, adeo ut quod
et'at frigidum, fiai: fervens, et quod nigruni erat, liât splendiduni; si igiiis, cum sit cor-
l'us, m ferri corpus subiens, obstanfe nullo agit : quid miraris, si Spiritus Sanctus in
'"Iiiiios anima; recessus ingreditur ? » S. Cvnii.. IIIEHOS. catech. 17.
\'V « Quod igitur nos, in terra, lîliorum gloria vol uti deaurat, hoc est Spiritus Sanc-
lus- » S. CYIUL. AI.IÎX., dialog. 7 de Trinit.
V>) « Spiritus
cum anima conjunclio non fil appropinquando secundum locum... Hic
018 qui ab omni sorde purgati sunt illucescens
per communioiiem cum ipso spirituales
'wldit; et quemadmodum corpora nitida ac pcllticida incidente eis radio flunl et ipsa
N'iendida, et alium fulgorem
ex sese profundunt; ila anima; qua; Spiritum in se habent
1 l'slranlurquo a Spiritu, fiunt et ipsa; sjjirilualos, el in alios gratiam emitlunt. » S. BASI
* Spiritu Sancto, cap. ix, n. 23.
296 REVUE THOMISTE
IX
(1) « Dam oh rem dii nuiicupamur, non gralia solum ad supcrnuluralcm gloriai"
ovecli, sed quod Deum juin in nobis liabitanlem atque diversantein habeamus, juxla
illud Proplielaj : Quia inhabitabo in ipsw, et inambidabo inter eos (Levil. xxvi, 12). Ali'X] 111
respondeant, quoeso, nobis. qui lanta pleni sunt inscitia, quomodo templa Dei similis,
juxla Paulum, inliabitanlem in nobis Spiritum habeiitos, nisi Spiritus sit nalura Deus. "
S. CVIUL. in Kvang. Joan, i, 9.
t<
Si templum Dei, ob illani Sancti Spiritus haliitatioiiem, vocemur, quis Spiril" 111
.
repudiare audeal, et a Dei substanlia rejicere, cum diserte hoc apostohis asseral, W"'
]ilum nos esse Dei, propter Spiritum Sanctum, qui in dignis habitat? » S. KnriiAN.
JJoeres. 74, n. 13.
(2) <( Qualenus Spiritus Sanctus vim habet perlicicndi rafionales crealuras absolvais
fastigium earuni perfectionis, forma; rationem habet. Nain qui jam non vivit secundn'1'
sed Spirilu Dei agitur, et tîlius Dei nominalur, et conformis imagini ï-^ïlii P''
carnem 1
factus est, spirilualis tlicitur. El: sicut. vis videndi in sano oculo, ila est operatio >f'
ritus in anima munda. » S. BASIL, de Spiritu Sanct. cap. xxvi, n. 61.
« Unde vivit euro tua? De anima tua. Unde vivit anima tua? De Deo Mm. ' "'''
quoique harum secundiini vitani suam vivat: caro enim sibi non est.vila, sed niiin|;l
carnis est vila: anima sibi non est.vita, sed Deus est aniniic vita. » S. Ai:is. serm. '^ <
cap. vi, n. 6.
(3) llcbr. xn, 1. '
DE L'HABITATION OU SAINT-ESPRIT 1>A.\S LES AMES JUSTES 297
,
« que
nous devons offrir, lui répondit Lucie, c'est de visiter les
« veuves
et les orphelins, et d'assister les pauvres dans leurs-
besoins. Il y a trois ans que. j'offre ce sacrifice au Dieu vivant,
«
«
et il ne me reste plus qu'à me sacrifier moi-même comme une
«
victime qui est due à sa divine Majesté. — Dites cela aux chré-
«
tiens, répliqua Pasehase, et non pas à moi, qui suis obligé do.
«
garder les édits des empereurs mes maîtres. » Sainte Lucie lui
répondit avec une merveilleuse constance : « Vous gardez les lois
«
de ces princes, et moi celles de mon Dieu ; vous, craignez les
-.
« empereurs
de la terre, et moi Celui du ciel ; vous avez peur d'of-
«
fenser un homme, et moi je redoute le Roi immortel ; vous dés L
« vous serez traduit devant les rois et les présidents-, ne vous i-u-qmé-
l!vous trouverez à l'heure même sur vos lèwes ce que vous aurez à: dire;
« car ce n est
pas vous qui varierez, mais le Saint-Espritparlera par
" votre bouche.
— Vous croyez donc que le Saint-Esprit est en
" vous?
— Ceux qui vivent pieusement et chastement sont le
" ieniple de L'Esprit-Saint. lié bien ! dit Pasehase, je vous ferai
—
" conduire dans lieu infâme, afin le Saint-Esprit
un que vous
" abandonne. —La violence extérieure faite
au corps n'ôte rien
" u 'a pureté de l'âme et si faites outrager, j'aurai ciel
; vous me au
"une double couronne... » On sait la fin de l'histoire et comment
le") par un miracle, sauva l'honneur de son épouse,
incluons donc, avecles théologiens elles saints, qu'une âme en
298 REVUE THOMISTE
état de grâce n'est pas seulement ornée d'un don créé et souv<;riu_
nement précieux, qui la rend parfici panle de la nature divine,niais
qu'ellepossède encore véritablement la présence du Sainl-Esprit.Lo
même instant physique la met en possession de ce double trésor-
toutefois, nous pouvons, à la suite de saint Thomas, distingue,,
entre la collation du don créé et celle du don incréé, une double
priorité de raison, suivant le genre de causalité auquel ils appar-
tiennent. Si nous-considérons la grâce comme une disposition
préalable, comme une préparation nécessaire à la venue de J'hôlc
divin, c'est elle qui nous est communiquée tout d'abord, caria
disposition précède naturellement la forme ou la perfection à
Laquelle elle prépare ; si, au contraire, nous considérons TEspril-
Saint comme l'auteur de la grâce et le terme auquel elle est or-
donnée, c'est Lui qui nous est donné Le premier. Et saint Thomas
ajoute : Et hoc est simpltciter esse prius (1). « C'est là la vraie prio-
rité. »
Enfin, c'est que ce qui met véritablement le comble aux divi-
nes libéralités, ce n'est pas seulement une fois clans la vie, à
(!)« Ordo al i quorum secundum naturam potest ihiplicitcr considerari. Aut ON I1-'11'1''
rocipienlis vel materioe, et sic disposifio est prior quam id ad quod tlisponit; et sir ]"''
prius rccipinius doua Spiritus Sancti quam ipsum Spiritum, quia per ipsa doua rtn'i1!11' 1
Spirilui Sancto assimilamur. Aut ex parte agentis cl finis; et sic quod propinquin* °"
fini et agenfi dicitur esse prius : et i la per prius rccipinius Spiritum Sanctum 'I1'1""
flona ejus, quia el: Filins per ainoreni suum alia nobis donavit. Et hoc est simplicité' e-"~f
prius. » S. Tu. lib. I. Sent. disl. 14, q. II, a. 1, qna-st 1" 2, sol. 2.
DE L'HABITATION DU SAINT-ES1UUT DANS LES AMES JUSTES 299
.,|,.e
éternellement, avec le Père et le Fils, l'objet de sa béati-
tude(-l)-
; .
Comment faut-il entendre et expliquer cette présence spéciale,
^
:
.elle venue itérative de l'Esprit-Saint dans les âmes justes? C'est
qui fera l'objet d'un article ultérieur : qu'il nous suffise pour le
ce
moment d'avoir constaté le fait:
Une dernière question avant de clore le présent article. De quel
nom
faut-il appeler l'union établie par la grâce entre notre âme et
l'Esprit-Saint ? Est-ce une union substantielle, semblable à celle
qui existe entre notre corps et notre âme, où une simple union
«
tous les amateurs d'hypnotisme, qui ne sont pas peu nombreux,
se trouveront satisfaits, e con questa risposta speriamo di soddis-
fare a tutti i filoipnotici, che non sono pochi (2). » Voilà une nou-
velle qui m'a fait grand plaisir, et qui ne déplaira pas davantage à
nos lecteurs. C'est nous promettre, en effet, que la savante Revue
va reprendre la cause de l'Iiypnolisme; qu'elle nous apportera des
laits nouveaux, soumettra à une critique rigoureuse ceux qui
étaient déjà connus, revisera les arguments, précisera les notions,
déterminera la portée vraie et l'appréciation légitime des prin-
cipes, et enfin prouvera, jusqu'à l'évidence, qu'en aucun cas,
l'emploi de l'hypnotisme'* ne peut se justifier... à moins qu'il ne
1
")
maiv.o 1896.
~>
iJ) P. 640.
Est-ce donc qu'un acte mauvais par nature peut jamais devenu'
permis?
Avant de répondre, je demande à nos lecteurs la permission de
leur mettre sous les yeux une page de saint Thomas, que je vais
traduire avec une scrupuleuse fidélité. Elle est empruntée à ce
précieux recueil d'opuscules que l'on appelait au moyen àg"
QEODLiiiETALEs QH/ESTIOJNES, et que nous intitulerions aujoui'd''""
MÉLANGES. La question traitée est celle de savoir : « si posséder «"
1
serve que l'Ecriture sainte est muette ou pas suffisamment
]aire sur ce sujet, le saint Docteur entreprend de la discuter au
oint de vue du droit naturel, et le fait en ces termes :
En nous plaçant au point de vue du droit naturel, voici, à ce
«
flu'il semble, ce qu'on doit dire. Il existe entre les actes humains
une
grande différence. Quelques-uns, en effet, ont une difformité
oui leur est attachée inséparablement; ainsi la fornication, l'adul-
tère, et d'autres de ce genre qu'il ne p>eut jamais être bien de faire,
mmdoM enim sunt quas habent deformitatem inseparabiliter annexant,
nt fornicatio,. adulterium, et alia hujusmodi quai nullo modo berte
fieripossunt : posséder simultanément plusieurs bénéfices n'appar-
tient pas à cette catégorie; autrement l'on ne pourrait jamais
recevoir de dispense qui y autorise, ce que personne ne soutient.
U est d'autres actions qui de soi sont indifférentes au mal ou au
\ww,quai de se indifférentes sunt ad bonum vel malum, comme de
relever une paille, ou autre chose semblable : de ce nombre serait
posséder plusieurs prébendes, s'il faut en croire quelques-uns.
Mais cela est inadmissible. Car, avoir simultanément plusieurs
prébendes, cela renferme en soi plusieurs désordres, cum hoc quod
cstkd/cre plures praebendas, plurimas in se inordinationes contineat :
ainsi le prébende ne pourra desservir ces églises multiples dont il
pei'eoil les revenus, alors pourtant que ces revenus paraissent
avoir éié attachés à une église pour l'entretien de ceux qui la des-
servent effectivement; ainsi il. y aura perte pour le culte divin,
puisqn'iin seul y sera substitué à plusieurs; ainsi les fondateurs
seront frustrés dans leurs volontés, car ils ont doté les églises afin
jusli'inent d'assurer un nombre fixe d'hommes qui y servent Dieu;
ainsi encore l'inégalité est introduite, parce fait que l'un a plu-
sieurs bénéfices, et l'autre pas un seul; et beaucoup d'inconvé-
mciils do celte sorte qui. appai-aissent d'eux-mêmes, et midta alia
''uh'x'uodi quai de facilipatent. L'on ne saurait donc ranger parmi
'cstu-los indifférents celui de posséder plusieurs bénéfices beau-
:
Co,l!> moins
encore pourrait-on le compter parmi les actions qui
So"i bonnes
en soi comme de donner F aumône et autres sembla-
Jlps. "//de
non potest contineri inter indifférentes actiones : et multo
"an'/,-, /.trier
cas quai sunt secundum se bonse, ut clare eleemosynam, et
m'l"*i;<odi. Mais il y a certaines actions qui considérées d'une façon
^"'-portent en elles-mêmes une difformité et un désordre, et
304 REVUE THOMISTE
! num
proveniens, ou pour prévenir un plus grand mal,proj)ter majus
,
rialum vitandum » (1), reconnaît par là même que tous les actes
•
défendus ne sont pas à un dQgré égal irrémédiablement mauvais :
cl
Richard de Middletown, lui aussi un maître de l'Ecole Francis-
caine (2),déclare,en se servant des mêmes paroles que saint Thomas,
qu'il est des actions telles qu'il n'est jamais bien de les faire, « in nullo
casupotestfieri bene », et d'autres qui, quoique défend ues en général,
deviennent permises en tel cas donné « potuit esse casus etfuit » (3).
j Suarez enseigne exactement la même doctrine, quand il traite de
: la loi naturelle, et affirme à son tour qu'il est telles actions défen-
! dues et condamnées en général par le droit de nature qui devien-
la loi de nature ; car les uns portent sur une matière qui ne souf-
fre ni changement ni restriction, comme est ce principe général ;
(1) Considerandum est legem naturalem, cum per se non sit'scripta in labn',:=> "
inembranis, sed in mentibus, non semper dictari in mente illis verbis goncrali)j||S *
indefinitis quibus a nobis ore proferlui-, vel scribitur, ut verbi gratia, lox île rciltK"
deposito, quatenus naturalis, non ita simplicitcr et absolute in mente judicatiir, *'"' '
limitatione et circumspectione : dictât enim ratio reddendum esse dcposilum ji"'c
rationabiliter petenli, vol nisi ratio defensionis justa, vel reipublicte, vel propi'1"-
innocîiitis obstet. Communiter antem solct illalex illis tantum verbis proferri, ?<?«'»''"
eit deposilum, qnia coetora subintelliguntur, nec in forma legis humano modo p"-
omnia tleclarari possunt. » 7'raclalus De Legibus, lib. II, cap. xm.
LA MORALITÉ OE L'HYPNOTISME 307
(')« Quaxlam proecepta versantur in materiâ quoe non recipil mulationem vel limita-
or>cm, ut est vel générale principium
non sunt facienda mata, vel interdum particularo
*coptum, ut non est menliendum ; alia vero sunt quce ex parte materice mutation.es reci-
''""possunl, et ideo limitationem, vel quasi.excepiionem admittunt. Ibid.
»
308 HEVUB THOMISTE
>t
lu ne tueras point » ; nous dit aussi : « tu n'hypnotiseras point
tu ne le feras point hypnotiser » ; il reste encore à savoir s'il nc
peut pas se rencontrer des circonstances où il sera permis d'hyp-
notiser, comme il s'en présente où il est permis de tuer.
Or, je soutiens que de telles circonstances se rencontrent.
Nous avons entendu saint Thomas enseigner que le môme,
personnage peut légitimement garder plusieurs prébendes à la
fois, quand la nécessité des églises le demande, quand il leur en
revient de grands avantages (1) : le saint Docteur écrit de même
qu'on peut tuer les malfaiteurs, quand le salut de la société et la
sécurité, des bons le réclament (2); en général, qu'une loi n'oblige
plus, dans le cas où son observation stricte aurait pour effet de
contrarier l'intention même du législateur qui est, avant tout, que
rien ne se fasse d'opposé à l'ordre, à la vertu et, par conséquent, à
la raison (3). Tous les théologiens et les philosophes tiennent le
même langage.
Eh bien ! je vais montrer qu'il se présente des cas où la néces-
sité impose de recourir à l'hypnotisme ; où les avantages théra-
peutiques de ce traitement surpassent à tel point les inconvé-
nients qu'il peut entraîner, que l'emploi en devient certainement
permis, et que le négliger serait déraisonnable autant que cruel.
Un jour de l'année Î892, une jeune femme du peuple se présen-
tait à M. Liégeois, l'éminent professeur de la Faculté de droit de
Nancy, pour lui demander s'il ne pourrait pas, en l'endormanl
comme elle avait entendu dire qu'il, endormait les gens, lui enlever
une vilaine idée qui la faisait bien souffrir, elle et tous les siens.
C'était le malheur qui lui avait donné cette idée, qu'elle n'aurai'
jamais eue sans cela... Et elle racontait satriste histoire :
Elle était fille d'un père-qui s'était volontairement noyé- ~~
Mariée de bonne heure, elle se voyait devant elle un bel avenir :
mais voilà que, quinze joursaprôsle mariage, son mari, viclimcd u"
affreux accidcnl, tombe dans la rivière, et meurt noyé lui aussi.
Dien grand fut son chagrin enfin elle put résister. Quel']" 0
temps plus tard elle se remariait à un mécanicien du chemin" 1'
fer : elle eut trois années d'une existence heureuse; mais bêlas-
(1) V. plus liant.
(2) Sum. theolog., II" M" q. G-5. a. 2.
(3) Ibid., I" II", q 100. a. S.
,
LA MORALITÉ DE L'JIYPNOTISME
309
.
bout de ce temps, une maladie venait lui enlever son second
nu
mari. — Pour le coup, c'était trop fort... Elle crut qu'elle ne pour-
rit plus jamais goûter aucun bonheur... elle fut envahie par la
Iristesse... perdit tout courage... devint incapable de s'occupera
rien... négligea tout, jusqu'aux soins de toilette les plus indispen-
sables, surtout se sentit prise par cette horrible idée de suicide,
qu'elle supplie M. Liégeois de lui enlever : car la pensée d'en finir
avec une vie si misérable, sans but, la poursuit partout; et elle
ne peut passer près d'une rivière sans que quelque chose de pres-
qu'irrésistible la pousse à s'y jeter... Elle a essayé de tout, mais
rien ne peut faire passer cela... ; ses parents ne vivent plus, car ils
craignent d'apprendre à chaque instant qu'elle s'est détruite... ; elle
sait que c'est mal, elle en est désolée, mais c'est plus fort
fju'ell e...
Emu d'un tel récit et voyant la médecine ordinaire impuissante,
M. Liégeois ne crut pas devoir repousser la prière de la malheu-
reuse femme. Il s'entendit avec M. le D 1' Liébault, et tous deux
convinrent de la soumettre au traitement hypnotique. Pendant
deux mois ils l'hypnotisèrent environ cinquante fois.
Le résultat du traitement fut celui qu'on va lire dans le compte-
rendu des deux opérateurs, que M. Liégeois a eu l'extrême obli-
geance de me communiquer ainsi que la lettre qui va suivre :
«Très rapidement la situation s'améliora d'une façon vraiment
remarquable. La jeune femme se sentit plus calme, son esprit
s'apaisa, son système nerveux fut moins excité ; elle reprit le goût
du travail, et eut de nouveau de sa personne les soins conve-
nables. —L'idée de mettre fin à ses jours, d'abord affaiblie et
atténuée, finit par disparaître entièrement.
— La femme X.,
.
chez laquelle, pourtant s'était peut-être manifestée une certaine
hérédité, finit par guérir complètement. En deux mois, sa santé
—
devint tellement meilleure qu'elle gagna, en poids, 8 kilog. 500. »
Après quatre ans passés sa. guérison se maintient; et à chaque
premier de l'an, la pauvre femme, qui a quitté Nancy pour, aller
aabiter Paris, écrit à ses deux bienfaiteurs, pour les rassurer sur
s°n état en même temps que pour leur réitéier l'expression de sa
l^'olonde reconnaissance. Mes lecteurs me sauront peut-être gré
1e 'eur mettre sous les yeux une de ces lettres, naïve et incorrecte,
lna's à laquelle je me ferais scrupule de rien changer :
310 REVUE THOMISTE
Monsieur,
Je suis heureuse du jour de l'an afin de vous offrire mes voeux et: sou-
haits les plus sincères, car à vous Monsieur si bon vous ne pouvez vivi.f,
assez longtemps, pour répandre des bienfaits autour de vous, comme vous
en avez répandu dans ma famille par ma guérison.
Je ne puis assée vous remercier et vous dire combien je vous suis
reconnaissante au sujet de toujours cette vilaine maladie qui m'a fait tam
souffrire, et tous les miens aussi, depuis deux ans que je suis -guérie, je
n'ai plus rien ressentie, au contraire, je suis embellie et fraîche que toutes
les personnes qui m'entourent envient ma fraîcheur. On ne me donnerait
pas trente-huit ans et pourtant je les ai eu hier. A qui la grâce, à M. Lié-
geois et M. Liébault. A vous toute ma sympathie ettoute ma reconnaissance,
acceptez la d'un coeur qui vous aime sincèrement. Mon frère se joint à moi
pour vous exprimer ces plus tendres souhaits et vous jn'ésente ces respect
les plus humbles. Cette année, je serais plus heureuses que l'année qui
vient de s'écouler, j'aurai le bonheur de vous voir. J'irai à Nancy si rien
ne me survient et. sûrement j'irai vous revoir de grand coeur et vous
redire encore combien je suis contente d'être guérie et vous renouveler
mes remerciements les plus tendres.
Au revoir Monsieur, votre très humble et dévouée.
Vve T. Marie. V. 17 rue M. Paris.
nation doit avoir lieu; autrement, non, « talis... electio non potest
esse
ordinata, nisi par recompensationem aliquorum (1) ». Puisque
nous avons un cas tout à fait analogue à résoudre, raisonnons
d'après le même principe. Cette femme obsédée par l'idée de sui-
cide, qu'a-t-elle perdu, en se faisant hypnotiser? Quel avantage
compensateur devait-il lui en revenir ?
Ce qu'elle a perdu, cela a été l'usage parfait de sa raison et de sa
liberté environ cinq heures par semaine, pendant deux mois.
C'a été encore la faculté, de rêver à sa guise pendant ce sommeil
artificiel de cinq heures. Car pendant tout ce temps, l'on n'a cessé
de représenter à son imagination cet acte de se jeter à Ja rivière
comme ce qu'il y a de plus horrible, de plus affreux, de plus
repoussant, et de lui répéter tout ce qui pouvait lui en inspirer en
effet l'horreur et créer en elle la répulsion,
En fait de dignité et de sécurité, elle n'a rien perdu. On ne perd
point de sa dignité quand on dort parce qu'on l'a voulu, et, comme
elle, avec un motif sérieux. On n'en perd pas davantage, quand,
au lieu d'abandonner son imagination à la capricieuse et humi-
liante fécondité de son délire, l'on prend avec réflexion et en toute
liberté, des mesures pour la soumettre à une règle et à une direc-
tion. En fait de sécurité, qu'avait-elle à craindre? Aujourd'hui
que l'on sait, par des expériences sans nombre, que l'hypnotisme,
employé'par des hommes habiles et opérant'dans l'unique but
d'être utiles à leur sujet, n'offre pas le moindre danger, et que,
d'autre part, MM. Liébault et Liégeois sont, dans ce domaine, deux
célébrités. Leur sphère d'action avait du reste été nettement cir-
conscrite par un engagement, un quasi-contrat, non pas seule-
ment tacite, mais explicite : « Vous m'enlèverez cette vilaine idée
(bt suicide, et
me direz ce qu'il faut pour cela, rien de plus » : et
une personne accompagnant la malade était là pour garantir l'exé-
cution fidèle de ce mandat restreint; car ces messieurs de Nancy se
'ont une loi de ne jamais hypnotiser sans témoins (2). Aucune perte
(lonc à enregistrer du côté de la sécurité, pas plus que de la dignité,
tout se réduit donc à la perte du plein usage de la raison et de
hi liberté pendant cinq heures environ
par semaine, durant deux
(') Ibid.
H V. BEAUNIS, BiinNiiEiM, •Ln'siiAUi.T, OEuvres, passim.
312 REVUE THOMISTE
mois. Il faut avouer qu'un tel dommage semble bien peu de chose
quand on songe que les gens bien portants qui, eux, n'ont pas ];i
santé à recouvrer, se permettent légitimement cinquante heures
de sommeil par semaine, c'est-à-dire perdent cinquante heures
par semaine, et cela pendant toute leur vie, l'usage de leur liberlr
et de leur raison.
Par contre, quels avantages nôtre malade n'a-t-elle pas Lrouvés
dans l'hypnose?
Elle a été délivrée de cette « vilaine idée » de suicide, de l'hor-
reur et des terreurs qu'elle lui inspirait, dû dégoût de la vie ; elle
quelques faits.
En voici deux tout d'abord, qui nous sont rapportés par M. .1. B^l-
boeuf, professeur à l'université de Liège, membre de la classe <!<*
sciences de l'Académie royale de Belgique :
On lui présenta un jour une jeune mère de famille alteii'' 1'
LA MORALITÉ 0E t'HYPNOTISME ' 313
;
le professeur Sonnenburg, qui finit par lui mettre la main dans
i appareil immobilisateur, mais avec un résultai nul. —Quand il
un
jeI)t me
i trouver, son poignet est enflé et difforme. La pression,
Ï|es mouvements très limités qu'on lui imprime, provoquent de
douleurs que le patient, un homme fort et robuste, pousse
i (elles
•]cs hauts cris. Je l'endors sans peine. Je lui suggère qu'il n'a plus
j de
douleurs, que son poignet est assez libre pour peindre. La sug-
| ..-cslion réussit, et soit pendant le sommeil soit après, quelques
i mouvements de la main deviennent possibles. Bientôt elle peut
quod ad rationem comparatur, et tum potest dare speciem actui morali ». Sum. Z'"'<"'
l« II»'-, q. 18 a, 5 ad 4.
THÉORIE DU JUSTE SALAIRE
IlEVUE THOMISTE.
— 4e ANNÉE.
— 22
318 REVUE THOMISTE
UE LA JUSTICE COMMUTATIVE.
Elle est ainsi appelée parce que les actes auquels elle commande
ou préside, sont des. échanges, des commutations, ou sont soumis
à la loi des échanges.Son médium,comme disaient les scolastiques,
c'est-à-dire le juste milieu, l'exacte mesure qu'il faut atteindre
et ne point dépasser pour la réaliser, c'est l'égalité, l'égalité ma-
thématique (1). Chacune des deux parties intéressées doit recevoir
autant qu'il lui est dû, autant qu'elle a donné, cédé, ou autant
qu'il lui a-été ôté. Si contre sa volonté elle reçoit, moins, ou si elle
est forcée de donner plus qu'elle ne reçoit, elle est lésée dans son
droit, la justice commutative est violée à son préjudice. Si elle y
consent librement, d'un consentement dont rien ne vicie la
iberlé, la justice est rétablie par un acte de libéralité qui dépla-
çant les droits, restaure l'équilibre.
La question du juste salaire, de l'aveu de tout le monde, est
éminemment une question de justice commulative. Deux membres
do la société, deux particuliers (individus
ou collections d'indi-
vidus), le patron et le travailleur, sont en présence et font un
(-'cnange. Chacun d'eux donne du sien, et veut recevoir en retour,
ouvrier donne son travail et a droit à un juste salaire ; le patron
donne le salaire et droit à
a un juste travail. Ce sont bien là tous
'•
| aj|; librement et sans compensation à se contenter d'un salaire
! -pférieur à la valeur de son travail ; il ferait un acte de libéralité
(OW-U-, ï,c.
q. 1.XXVH, a.
JI- H:'",
'^1 q. I.XXVH, a. 2, ad 3.
324 REVUE THOMISTE
J- H"",
' ' q. xvni, a. 2, c.
328 REVUE THOMISTE
travail humain ne peut êlre d'une pire condition que celui d'une
machine ou d'une bête de somme. 11 est donc de la plus stricte
justice de l'estimer à priori, au moins d'après ces bases d'ap-
préciation : d'admettre en principe que le travail d'un individu a
minimum de valeur égal aux frais de nourriture et d'entretien
un
nue doit supporter le travailleur pour être à même de l'effectuer ;
comprenant même.les frais anciens d'étude ou d'apprentis-
en y
sage, qui sont en effet une partie intégrante du coût total assi-
gnable au travail. En'un mot il faut donc supposer que le travail,
de l'homme vaut au moins autant qu'il coûte et a coûté : il doit
pouvoir indemniser Je travailleur pour sa dépense, sa consom-
mation en forces, en nourriture, en vêtements et autres objets
sans lesquels il n'y aurait pas de travail possible.
En élargissant cette conclusion on infère que tout le travail dont
l'homme est moralement capable a une valeur au moins égale au
nécessaire pour vivre, et pour vivre humainement. Cette égalité
entre l'utilité, par conséquent entre la valeur du travail et les
besoins du travailleur semble être une loi de la nature, plus uni-
verselle, plus essentielle, plus fondée que la fameuse loi delà lutte
pour la vie. Par elle la vie se conserve et se propage sur notre
globe. C'est en déployant la somme d'activité, dont la nature l'a
l'ait capable, à la recherche de sa nourriture, de sa proie, de son
gîte, etc., que l'animal se suffit, vit et se reproduit. Si cet équi-
libre ôlait rompu dans une espèce, si le travail n'y répondait plus
aux besoins, celte espèce serait fatalement vouée à une rapide
extinction. Le fait qu'une espèce animale se conserve, continue à
vivre, à se propager, se suffisant à elle-même, est donc une
preuve convaincante que, dans les circenslances où elle se trouve,
le genre de travail, si l'on peut se servir de cette expression, auto-
risée, croyons-nous, par l'analogie, c'est-à-dire que le déploie-
ment de forces, d'activité, d'industrie dont ses représentants son
naturellement capables, équivaut en efficacité, en utilité, par con-
séquent en valeur relative, à leurs besoins, pour la conservation de
' individuel de la
race. Or ce fait est pleinement réalisé dans l'hu-
manité. Depuis que l'homme a été condamné à vivre de son tra-
Va'l, il a pu subsister, il s'est multiplié, il a couvert la terre.
1 rcuve
que son travail a, en règle générale, une productivité, une
°uicacité, au moins égale aux besoins de sa vie : puisque l'espèce
330 REVUE THOMISTE
humaine, jetée sur la terre, sans autre ressource que son travail
non seulement, n'a pas péri, non seulement n'a pas végété pénible'
ment, mais a prospéré, s'est immensément accrue, malgré U
guerres meurtrières elles autres fléaux qui l'ont souvent décimée
et s'est élevée au degré du bien-être appelé civilisation. Ce fait
venant confirmer la grande loi du travail et la promesse qu'elle
inclut : In sudore vultus tui vesceris pane, fournit iim argument
solide pour la fixation d'un minimum de valeur au travail normal
de tout individu humain. Il autorise la supposition à priori, que ce
travail égale la somme de ses besoins pour jouer le rôle que la
nature lui assigne dans la conservation et la propagation de
l'espèce.
Mais il faut prendre l'individu humain tel qu'il est dans la réalité;
ne pas l'isoler de ceux auxquels des relations essentielles le lient,
ne point séparer ceux que la nature a faits pour se prêter'une mu-
tuelle assistance et dont l'action combinée a produit le résultat que
nous venons de constater, sinon, l'on s'expose à tirer une conclu-
sion débordant les prémisses. La loi du travail pèse sur tous les
membres de l'humanité, et non point seulement sur le chef de la
famille : et en fait, quoi qu'il en puisse être du droit, ce n'est pus
uniquement par le travail de celui-ci que l'espèce humaine a pu
subsister et se multiplier, c'est également grâce au concours de
celle qui lui fut donnée pour compagne et pour aide. La femme
travaille et a travaillé de tout temps, et plus encore chez les peu-
ples primitifs qu'au sein d'une civilisation plus avancée. Tel esl le
fait. Si donc on apprécie la valeur du travail humain en se basant
sur ce fait, c'est-à-dire sur l'utilité qu'il a eue, de rendre possible
la conservation et la propagation de l'humanité pendant de longs
siècles, il faut prendre le fait tout entier. Mais on n'en peut tirer
plus qu'il ne contient. Il n'est pas possible d'en conclure logique-
ment que le travail du père ou chef de la famille aune valeur égale
travail des enfants. Car c'est de cette manière que la famille est
parvenue à se suffire, que l'humanité a pu vivre et se développer à
Iravers les âges. Yoilà dans quelle limite le fait établit et fixe un
minimum de valeur au travail de Fliomme ; ce minimum, nous avons
essayé de l'exprimer dans une formule générale et complète, en
disant que le travail dont un individu humain est normalement
capable, a, en principe, une valeur égale à celle des clioses dont il
it
besoin pour vivre, et remplir les fonctions que la nature lui a
dévolues dans la conservation et la propagation de l'espèce, et qui
lui sont marquées par son sexe, son âge, sa qualité au sein de la
famille. Si l'on devait estimer en bloc tout le travail normal d'une
vie humaine, si par exemple un individu aliénait et vendait d'un
seul coup et irrévocablement tout le produit de son activité pen-
dant le cours entier de son existence sur la terre, le juste prix
minimum qu'on en devrait déterminer serait l'équivalent des
choses dont cet homme aura, besoin pour vivre d'abord honnête-
ment lui-même, puis pour fonder une famille et l'élever, défal-
cation faite du travail éventuel des autres membres de la
famille, ainsi que nous venons de l'expliquer. Car son travail,
comme le prouve une expérience plusieurs fois séculaire,
fondant une certitude morale sérieuse, a réellement celte
valeur.
Tel est le minimum de ce qu'on peut appeler la valeur intrin-
sèque du travail de l'individu, fondée sur l'utilité que la nature a
donnée au travail humain, pour la généralité des cas. Comme on
vient de le voir, nous avons indiqué deux bases principales à l'es-
timation qui en est faite. La première est la loi de l'équivalence
entre le prix d'un Lravail supposé utile à priori, et ce que coûte sa
production. Le travail d'un homme coûte autant que sa vie et les
enoses nécessaires à l'entretien d'une vie humaine, il a donc au
moins une valeur égale. La seconde est la loi du travail imposée à
'espèce humaine vivre, plus exactement le fait, dûment
pour ou
constaté, que le travail de l'homme a suffi pour nourrir l'espèce
''lunaine et lui a fourni les moyens de se propager et de se mulli-
l'ber. Donc le travail d'un homme utilité équivalente
a une aux
icsoins de l'individu et de la famille, il a, pour nous servir des
ei'mes reçus, une valeur naturelle à la fois personnelle el fami-
liue. C'est celle valeur qui doit lui êlre attribuée l'estimation
par
332 REVUE THOMISTE
ment, mais elle doit juger de leur valeur en se fondant sur i'ulilji,;
qu'elles ont dans la généralité des cas. Or, dans la généralité dCs
cas et même dans une certaine mesure suivant la nature des
choses, le travail de l'homme a la valeur qu'on vient d'exposer
11. suffit maintenant de rappeler le principe que nous
avons
établi : que le juste salaire en soi est celui qui égale la valeur du
travail. Il en faudra conclure que le juste salaire minimum, doil
suffire à faire vivre le travailleur, et lui permettre d'apporter usa
famille la quote-part de secours qu'elle a le droit d'attendre de lui
suivant la place qu'il y occupe: que par conséquent il y a un
certain juste salaire minimum nommé avec raison salaire
familial.
(1)« Quolies opus taie sit, quod operarius po seipsum satisl'aciat proedicto suo ollit" 1
05 1]" *%<].,, a. 3, 3.
HEVUE THOMISTE. 1e ANNKK. — 21. ; ''-' '' J
—
334 REVUE THOMISTE
être conclu gardant l'égalité des choses {oequalitatem rei) (-) "'
en
i
u(-être tenu de leur distribuer un salaire total supérieur à la
-online d'utilité que lui rapporte leur travail. La concurrence
roduil la baisse des salaires par une autre voie, où la libre
icceptation du travailleur joue le principal rôle. C'est lorsque
celui-ci cède son travail à un prix inférieur à sa valeur réelle, afin
d'obtenir la préférence, ce qui est pour lui une compensation. Et
peut taxer le patron d'injustice quand il profite de cette
on ne
situation dont il n'est pas Fauteur, nous le supposons. Car, d'une
pari, il ne doit rien, au point de vue de la justice, à ceux qui ne
travaillent pas pour lui — sauf le cas étranger à la question d'un
engagement antérieur — d'autre part ceux qu'il emploie et qui
travaillent, lui font valablement cession partielle de leur droit à
percevoir le juste salaire de leur travail. Cette cession, cette dona-
tion intéressée ou gratuite, rétablit l'égalité delà justice commuta-
tive dans la mesure où il en serait besoin. Le salaire, matérielle-
ment injuste, devient juste formellement et en réalité, d'après le
principe : volenti non fit injuria.
{Suite et fin)
Il est bien tard, sans doute, pour reparler du Salon! Tout Paris
est aux villes d'eaux ou à ses plages favorites. Nos bons artistes y
sont aussi, prenant des notes pour l'an prochain; car ainsi que les
ménagères ils doivent songer au repas suivant, pendant qu'on des-
sert la première table. Le cent treizième Salon est fini, bien fini,
et l'on serait mieux venu, à l'heure qu'il est, à parler du cent-
quatorzième.
N'importe, il faut achever notre travail, le point de vue qui est
le nôtre s'accommode d'un retard sans trop de peine, les prin-
cipes ne sont-ils pas éternels?
LE PORTRAIT
LA PEINTURE D'HISTOIRE
; ]a;r par exemple que la signature d'un traité n'a pas nécessai-
| nj plus de valeur en peinture qu'une réconciliation entre
|
1
L'ALLEGORIE
— —
d'un kilomètre? On ne peut dire qu'une chose : sont-ils bêtes! N
l'on voulait nous représenter l'humanité à la poursuite de sa cln
mère, il fallait s'arrêter à l'un de ces deux partis : ou tout idéa-
L'IDÉAL DE NOS PEINTRES 357
LA PEINTURE RELIGIEUSE
J'achève; il y aurait ici trop à dire. S'il fallait définir l'art reli-
gieux et en fixer les règles, je ne finirais pas, et ce compte rendu
s allonge. Je me contenterai de quelques remarques et de l'ana-
'jsede quelques tableaux.
Ce qui caractérise l'art religieux
— disons l'art chrétien, c'est
le seul qui
nous occupe — c'est qu'il procède de la Révélation,
tandis que l'art profane procède de l'observation. Ce n'est
pas que
a révélation ne puisse éclairer l'art profane, et que l'observation
"csoit essentielle à Fart religieux ; mais je parle de l'esprit qui
lnge l'un et l'autre, et je dis qu'il y a entre eux cette différence :
'"'liste profane regarde, l'artiste chrétien écoute. Et qu'entend-il ?
histoire de Dieu dans ses rapports avec l'homme, et l'histoire
dOU REVUE THOMISTE .
•de l'homme dans ses rapports avec Dieu. N'est-ce pas dire qu
l'idéalisme, partout applicable et partout nécessaire, trouvera h'
sa plus haute manifestation?
Mais aussi c'est là que les difficultés deviennent immenses! La
plupart y succombent et je le comprends. Ce que je comprends
moins, c'est l'acharnement qu'apportent certains à paganiser de
parti pris la peinture chrétienne. Au temps de la Renaissance, ce
procédé avait son__excuse; des peintres païens, parfois athées
étaient condamnés à l'art chrétien par les nécessités de la com-
mande, ils en tiraient ce qu'ils pouvaient. Mais- aujourd'hui
l'artiste est libre; généralement du moins il choisit son thème,
Pourquoi chercher, sans nul prétexte, un motif à profanation?
Tout le monde a remarqué l'étrange Madeleine de M. Einel,
dont la grossière nudité s'étale en pleine toile. On ne peut pré-
tendre que cette nudité fût appelée par le sujet, elle ne lui apporte
qu'une incohérence. Dans les pierres, à côté d'un affût brisé,
sous le regard de faubouriens en émeute, quelle nécessité qu'une
femme se dénude pour secourir un prétendu Christ? M. Binef
semble se faire une spécialité de ces bravades; je doute qu'elles
le grandissent beaucoup dans l'estime publique, et plus d'une fois
déjà il a pu s'en apercevoir.
Fort heureusement les cas de cet ordre se font rares, les pro-
testations des gens de goût portent leurs fruits. Mais ce qui, par
contre, semble se multiplier, ce sont les toiles à sujet religieux
traité dans un sentiment profane. Je crois de tout mon coeur aux
bonnes intentions des peintres ; mais le métier les entraîne ou la
foi leur manque. —En voici un qui représente saint Maximin, sa
prédication et ses miracles, et qui subordonne le tout à un effet de
soleil! C'est grand dommage, la conception du tableau était
bonne. Que M. Girardot aille donc au Panthéon, et qu'il apprenne
de l'historien de sainte Geneviève comment on fait revivre les
temps anciens, en leur gardant, en même temps que leur véi'J»'->
la teinte adoucie et grave des choses lointaines. Je l'ai déjà
remarqué plus haut, c'est un contre-sens d'introduire en pareil 8
>raud;
on a
Pour être juste, ne disons
''.''.'.
Ide l'art religieux. Je le trouve d'un sentiment faux, théâtral et
Iraide d'allure, sans l'ombre de cette « émotion poignante » dont:
I parlé.
ni bien ni mal du Christ de M. Ré-
c'est je crois l'apprécier d'une manière très exacte. Il ne
1
nous gêne en aucune façon, et le.besoin ne s'en faisait pas sentir.
j Mais que j'aurais donc de plaisir à le trouver laid !
—
• une véritable grande oeuvre, la seule qui mé-
Enfin j'arrive, à
rite ce nom aux deux Salons, du moins dans le genre religieux.
C'est la Cène, de M.[Dagnan Douveret. Il ne s'agit plus ici de pas-
tiche, de manière, de virtuosité » — oh ! ce mot ! •— Nous
<r<
J° Christ est au milieu des siens, à table, dans une salle nue et
111 ce, sans aucun accessoire. IL s'est levé et l'on fait silence. Un
364 REVUE TnÔMISTE
salle exalte, par contraste, les jaunes du tableau, de sorte que '"
| I
!
II
(1) C'est ce que Kant reconnaissait d'ailleurs quand il disait qu'il n'y avait ja-
mais eu un seul acte de vertu véritable sur la terre. On remarquera que c'est sa-
lement depuis Kant que les incroyants ont pris l'habitude de contester à la moia
chrétienne sa pureté et sa noblesse foncières. Les « libertins » du xvi°, du xvn° ct_
XVIII0 siècles lui reprochaient au contraire, et peut-être avec plus de raison, '- 0,
trop rigoureuse, trop dure, de faire trop violence [à la « nature ». Ils ne pouvaj
s'accommoder de ce que Vinet a si ingénieus ement appelé « un stoïcisme ' '
nisé ».
UN PARADOXE DE RENAN 371
11
blesse intérieure. Sa vertu n'était pas, chez elle, le fruit
« d'une théorie, mais le résultat d'un pli absolu de la nature.
« Elle fit le bien pour le bien, et non pour son salut. Elle aima
III
faire, qui peut se vanter d'être assez pur, assez bon chrétien cnij
pour n'avoir rien à redouter de la justice de Dieu, et, par suiu
pour spéculer sur elle? Il faut avoir bien, peu l'expérience <je'
satisfait, et de s'en savoir gré. C'est lui-même qu'il aimerait et qu'il admire-
" cire
tons son oeuvre. Individualisme bien épuré! dira-t-on : individualisme tout de
lle L'homme en réalité ne sort jamais complètement de lui-même; et c'est pour
011 mervei]leusement compris
que le christianisme, par la féconde variété de ses
I «s,
a prise sur l'âme délicate et exigeante d'une sainte Thérèse aussi bien que
"m a"!0 ')eu af(înée d'un simPle
paysan.
\) UKNIÏ WORMS. La morale de Spinoza (Hachette, 1891); LI'ÎON BMJNSGHWKÏ.
—
8°" ^ V0'* 'n~^°' -AJcanj 1894). ALEXIS BEIWIIANJ). De immortalitale panlheistica
(in
~8°> Dijon,
—
Darentièro, 1881).
37fi REVUE 'l'UOMISTE
IV
C'est qu'en effet l'on a beau dire : il est impossible qu'un esprit
élevé ne- croie pas à quelque chose (j'emploie ce terme vague à
dessein) qui lui fasse prendre confiance en lui-même et dans la vie,
qui légitime à ses yeux l'action et l'effort. Le scepticisme absolu
est une attitude que l'homme ne peut garder longtemps ; quoi qu'il
fasse, il reste dogmatique, et les plus hardis négateurs sont le plus
souvent des croyants retournés. En voulez-vous la preuve? Je
vais l'emprunter à Renan lui-même.
Si nous lisons ces pages étranges qu'il a intitulées lui-même:
Examen de conscience philosophique (1), qu'y voyons-nous ? L'auteur
confesse bien qu'il est athée ou matérialiste au point de vue
de notre univers fini ; mais il admet Dieu et l'immortalité (imper-
sonnelle, il est vrai) au terme de l'évolution cosmique, quand il
se place au point de vue de l'infini. — Pure hypothèse, sans
conséquences pratiques! dira-t-on. Suprêmes espérances de
l'artiste que le savant et le philosophe ne prennent pas au sérieux !
(1) Revue des Deux Mondes du 15 août 1889. L'article a été recueilli dans les Few
détachées.
UN PARADOXE DÉ RENAN 377
— e^
l'i'iver »> de ne Pas cr°ire qu'il arrivera — surtout lors-
•
:|
/•;., été là, je me l'imagine, qu'il s'en soit rendu compte on non,
de Renan. Ces « pensées de derrière la tête », ces hypothèses
1 cas
: onsolantes de la dernière heure, sont, j'en ai bien peur pour la
lo°ic|ue, d'anciennes croyances religieuses auxquelles, plus ou
inconsciemment, l'âme est restée attachée, qu'on a long-
'moins
temps dissimulées, et qui reparaissent enfin, invincibles, tout
Jenveloppées et timides qu'elles soient. Le philosophe craignait
I
sans doute de se contredire ; il voulait montrer qu'il n'était pas
?dupcde ses rêves ; il tenait à prévenir les objections que tant de
fois il avait opposées aux autres : il prodiguait donc les « peut-
1
thèse, et, pour qui sait lire entre les lignes, il y a bien des aveux
I dans cette insistance même. Et la
preuve que nous ne nous trom-
I pons pas en traduisant ainsi la pensée dernière de Renan,
ce sont
| ces lignes si curieuses que nous empruntons à l'un de ses ouvrages
i 'es plus connus :
René GITILLEMANT.
BULLETIN PHILOSOPHIQUE
v) J'ai reçu de la maison FÉLIX ALCAN les ouvrages suivants, parus en niai 1S!)0:
j. «Liiu.i-K : Le Mouvement idéaliste et la réaction contre la science positive. V. PILÏ.ON
• •
— :
<-'«née ])hilosophiqae, vi. 1895. Tu. RIIIOT: La psychologie des sentiments. A. Swn:
.,: •— —
>, «licect réalité (trad. PENJOU, 10 fr.). L. COUTUHAT : De platonicis mythis. A.Liivv:
— —
g
'./c««of/îc du caractère. —G GORV L'Immanence de la, liaison dans ]a connaissance
:
;; ' ' ''' A. FOUILLÉE : Le mouvement positiviste et la conception sociologique du monde
..
i'- '' MM. les auteurs et éditeurs d'ouvrages philosophiques peuvent m'adresser en
' 0ï> bulluiins et recensions leurs publications nouvelles bureaux de la Revue tho-
% "'"te,
aux
\ (')'îw. Thom.., I,
i, u, les Cours; II, : JII, 1, les Revues.
<>
après trois ans, le temps n'a pu manquer de faire une partie de son oeuv.
Les terrains d'alluvion, les sables, les gravois ont plus ou moins disiv
Les calcaires, les marbres sont à nu. A la critique maintenant de creu
les tranchées, de multiplier les explosions, de mettre à nu le roc. C'esi
que nous allons tenter, pour notre petite part, et sur le terrain spéci i
que nous avons choisi.
A ce propos et pour fixer le lecteur sur la catégorie de livres ql!e il(
allons examiner, il ne sera pas mutile de résumer les résultats de nos mi.
cédents bulletins.
Il y a trois ans, nous cherchions à définir la situation à l'aide des cours
significatifs entre tous de M. Ribot au Collège de France, de M. Rouirons
à la Sorbonne : nous montrions au point d'intersection de la Philosophie
scientifique et du néo-kantisme critique et fidéiste" représentés par ces
maîtres, l'apparition d'une doctrine thomiste, doctrine à la fois idéaliste
et réaliste, idéaliste mais d'un idéalisme qui n'est rien moins que stérile.
réaliste mais d'un réalisme très étudié et nullement préphilosophique.je
veux parler de la doctrine de l'intuition intellectuelle (1).
Les revues étant surtout, comme nous l'avons dit, un instrument d'é-
change, un moyen de transport, c'est aux revues anglo-américaines, dont
la valeur et l'influence augmentent chaque jour, que nous sommes allé
demander les idées du lendemain. Tels ces courtiers qui s'enquièrent. au
port d'embarquement ou sur les vaisseaux, devant que d'entrer dans le
port, de la nature des produits qui inonderont quelques jours plus lard
sophes de la science et les fidèles de la raison pure, à qui frappera les coup 5
les plus vigoureux sur l'idole d'hier. Tandis que M. Brunelière porie le
débat, sous une forme vague est il vrai mais la seule possible, devant le
grand.public, des points de vue les plus opposés, ces sortes de mineu"
enfermés clans leurs galeries souterraines, que l'on appelle les savante]
; *
i
«lie le devra sans doute à l'argument d'expérience. Le but qu'elle poursuit
S
lui interdit, en effet, de reconnaître pour critérium suprême les données
î de la conscience et les sj)éculations intellectuelles. De là vient l'impor-
f;
tance attribuée dans ces dernières années'aux idées de M. Ribot et'l'im-
' «aliénée avec laquelle on attendait ce livre, résumé d'un cours professé
; au Collège de France pendant plusieurs années.
', 1°Nous ne nous étions pas trompés lorsque nous signalions dans notre
premier bulletin la complaisance avec laquelle M. Ribot insistait sur cette
i question du primat de la volonté. Dans sa préface, l'auteur avoue qu'elle
j est le but même de son livre : « Nous avons, en effet, danstoute étude sur
la psychologie des sentiments, à choisir entre deux positions radicalement
;
i
distinctes et ce choix impose une différence dans la méthode. Sur la nature
; essentielle et dernière des états affectifs, il y a deux opinions contraires.
D'après l'une, ils sont secondaires, dérivés, qualités, modes
ou fonctions
de la connaissance ; ils n'existent
!
que par elle ; ils sont de « l'intelligence
confuse» : c'est la thèse intellectualiste. D'après l'autre, ils-sont primitifs,
autonomes, irréductibles à l'intelligence, pouvant exister en dehors d'elle
et sans elle ; ils ont une origine totalement différente : c'est la thèse
s que.,
] sous la forme actuelle, on peut nommer physiologique (1).
»
M. Ribot présente
; comme un type d'intellectualisme la théorie de Her-
"iii'l « pour qui tout état affectif n'existe
i
que par le rapport réciproque-des
i ^présentations; tout sentiment résulte de la coexistence .dans l'esprit
'-"'«es qui se conviennent
j ou se combattent; il est la conscience immé-
u<ll(: l'c 'a dépression momentanée de l'activité psychique,
i.
etc. » Là thèse
i '"Illogique (Bain, Spencer, Maudsley, James, Lange, etc.}, rattache
«
Us les états affectifs à des conditions biologiques
'
et les considère comme
xpression directe et immédiate de la vie végétative. C'est celle qui
i
» est
'"uptee « sans restriction
aucune » dans le travail de M. Ribot (2).
°"s "evons remarquer dès à présent qu'une division aussi tranchée
;
,. aie
'Pose pas. On peut admettre qu'il n'y
j
:
'
U) ''i
PJi'.u. Vl„.
•
" ; ;"
''"''.
a pas de sentiment sans con-
; -:
.
siècles et les races, est un laboratoire qui opère depuis des -milliers
i c
('innées sur des millions d'hommes,- et dont la valeur documentaire n'est
,nédiocre. Ce serait pour la psychologie une grande perte--de'négliger
documents. Longtemps renfermée dans l'observation intérieure, elle
cs
,'CS1isolée des sciences biologiques de propos délibéré, les jugeant étran-
gères ou
inutiles à son oeuvre. Il ne faudrait pas qu'elle tombât dans une
erreur semblable en ce qui concerne le développement concret de la vie
humaine... Une science ne gagne jamais à trop restreindre son domaine,
l'excès contraire vaut encore mieux (1). » C'est de l-'aristotélisme. puiv.Tan*-
dis que Kant établissait par déduction ses éléments psychologiques ne
reconnaissant que ceux qui lui paraissaient indispensables pour expliquer
la possibilité d'une première donnée, ' déterminée à sa fantaisie, la
science (2), M. Ribot procède sans idée préconçue, cherchant partout à
lire dans des faits. Il dédaigne la plate-forme truquée du kantisme.- A cette
«pâtée métaphysique aussi lourde, dit Taine, que la scolastique du •
WP. m.
wj BOUTKOUX. Revue des Cours
et conférences, ,189b',' p. f!)o.
•'IP-M. Cf.
f4H\v,„. p. 429 et 430. -. .
, ' "
384 REVUE ITJIOMISTE:
ce qui ne'sera constatable que plus tard (1). L'essentiel d'un être..u,,:
évolue, bien loin d'être le premier constatable, est au. contraire C<Î (,„:
n'apparaît pas tout d'abord. L'essence dont parle M. Ribot n'est que f,
cause matérielle du futur : la vraie cause, c'est le virtuel inconstaté encore
-
qu'elle renferme et nous ne demandons pas mieux que de faire à la cause
matérielle sa part, quoi qu'en puisse penser les intellectualistes irréduc-
tibles.
Les manifestations des sentiments primitivement constatées par i'expc-
rience externe, « les mouvements », « les tendances » qui apparaissent
les premières (2), etc., ne coïncident donc pas nécessairement avec la
nature essentielle et dernière des sentiments. Le penser serait. « p.
résultat d'une mauvaise méthode, d'une foi exclusive dans le témoi-
gnage » des sens; « d'une illusion commune qui consiste à croire que la
portion » constatable « d'un événement est sa portion principale », une
idée aussi radicalement fausse que celle qui consiste à prétendre que
les phénomènes corporels qui accompagnent tous les états affectifs
sont des facteurs négligeables, extérieurs, étrangers à là psychologie.
sans intérêt pour elle (3). »
3. — Nous sommes ainsi amenés à étudier, sans aveugle complaisance,
comme sans parti pris mais simplement, avec celte bienveillance à la fois
hospitalière et critique que nos anciens nommaient épykie, l'introduction
(p. 1-22), consacrée à l'évolution de la vie affective, qui au point de vue
que nous avons choisi, est la partie importante du livre.
« De ces deux groupes, les manifestations motrices d'une part, ces
plaisirs, douleurs et leurs composés d'autre £>art, lequel est fondamental...
Ma réponse à cette question sera nette : les manifestations motrices sont
l'essentiel. En d'autres termes, ce qu'on appelle états agréables ou péni-
bles ne constitue que la partie superficielle de la vie affective, dont 'élé-
ment profond consiste dans les tendances, appétits, besoins, désirs qui •*''
traduisent par des mouvements (4). »
Et M. Ribot de se mettre à la preuve en parcourant successivement'c?
étapes qu'il désigne ainsi : « la sensibilité préconsciente, l'apparition de»
émotions primitives, leur transformation ou en émotions complexes ei
abstraites, ou en cetétai: stable et chronique qui constitue les passions. "
(1)P. 2.
(2) P. 3.
<3> P' 2-
,1
(4) M. Ribot adopte le mot des physiologistes qui se plaisent à répéter que I an" •
11'
est greffé sur un végétal qui lui préexiste. Je distingue : qui préexiste comme végcl» *
; .-i jja première période est celle delà sensibilité protoplàsmique, vitale,
! sensibilité vitale est la propriété de
l'traiiique, préconsciente. Cette
.(.cevoir des excitations et de réagir en conséquence. M. Ribot en établit
!
.;
Donc, conclut M. Ribot, tout est réductible à des explications physieo-
\ chimiques. Sans doute il y a attraction, affinité, répulsion, mais au sens
l scientifique Et il ajoute : «L'attraction, qu'est-elleici ? Simplement, l'assi-
î milalion ; elle se confondavec la nutrition. » Quanta la répulsion, nous pou-
I
vons remarquer qu'elle se manifeste de deux manières. D'un côté elle se
\ confond avec la dèsassimilati-on : la cellule ou le tissu rejette ce qui ne lu
convient pas. D'un autre côté, à un stade un peu supérieur, elle est en
(juelque façon déjà défensive. M. Ribot a soin de nous dire qu'il ne donne
cette solution que comme probable et qu'elle n'a pour son sujet qu'un
;
intérêt secondaire.
11
y a, selon moi, dans cet exjiosé plusieurs confusions. M. Ribot iden-
lilie : phénomènes ^>hysico-chimiques ; pMnomènes moteurs ; assimilation et
(Usassimilation nutritive ; tendance physiologique. Et tout cela pour éliminer
ce malheureux « choix » que certains philosophes M. Fouillée par exemple
croient reconnaître dans les phénomènes les plus infimes de la sensibilité.
Je ne me chargerai pas de défendre ici M. Fouillée et son élément de
conscience infinitésimal. Sa thèse m'a toujours semblé forcée et peu con-
forme aux faits. Il n'y a pas de conscience dans les derniers réflexes de la
sensibilité : il n'y a que de la nature, et le caractère de cette nature est
parfaitement rendu par M. Ribot dans ce mot : « tendance physiologique »,
(| n'est, que la transcription de cet autre que j'emprunte à Arislote et à
11
De plus cette explication n'en est pas une : car il faudrait à nouveau «xnlj
quer le pourquoi de l'assimilation nutritive et de la désassimilation p
raison de leur détermination spéciale comme fonction des vivants. Kt
,.,,
pourquoi n'est pas, que je sache, tout entier dans les phénomènes physic».
chimiques, lesquels se passent aussi bien-dans les récipients de labora-
toire. M. Ribot ne fait que reculer la difficulté.
Mais, répondrart-il, c'est là expliquer scientifiquement. Tans pis pour
l'explication scientifique, car elle montre par là sa radicale impuissance à
expliquer la nature essentielle et dernière des sentiments. Comparer n'esi
jias expliquer. Dire que l'homme ressemble an ato iniquement au sino-e
-
-n'est pas rendre compte de-la nature de l'homme.: Je crains que les expli-
cations scientifiques de M. Ribot ne soient du type de cette dernière.
Voici comme saint Thomas expliquait l'appétit naturel : « A toute forme
suit une inclination... le feu engendre la chaleur. La forme chez les èlres
doués de ^connaissance existe d'une, manière plus parfaite .que chez les
êtres qui ne connaissent pas. En ceux-ci la forme est limitée à l'être propre
qui les détermine, à leur nature particulière. L'inclination qui suit à une
telle forme est dite appétit naturel (1) ». Et cet appétit naturel se retrouve
chez les animaux doués d'ailleurs d'un appétit, supérieur en raison de la
connaissance, car « toute puissance de l'âme est une certaine nature ou
forme et: a son inclination -naturelle déterminée ». La tendance physiolo-
gique des puissances,- ou des organes, est clone reconnue par saint Thomas
en dehors de toute connaissance. Saint Thomas a le bon sens de ne pas
prononcer le mot de choix, mais il a aussi trop de perspicacité jiour ne pas
voir que la tendance physiologique est quelque chose de plus que les phé-
nomènes physico-chimiques qui sont sa matière, qu'elle renferme une
détermination originale, qui dépasse les déterminationsphysicot-chiniiqncs.
La cause immanente de cette détermination n'étant pas la matière, n
L'appelle la forme, et il entend par là une sorte d'idée directrice immergée
dans le physique, unie plastiquement: à lui, analogue à celle que promu 1
Claude Bernard. Sans doute ce n'est pas une explication dernière, mai''
du moins évité-t-il par là une identification du physico-chimique cl ''"
physiologique démentie par les faits.
b) M. Ribot passe maintenant à l'apparition des émotions primitives, h
il se pose la question, préalable : « Y a-t-il des états affectifs purs, eest-'1-
dire vides de tout élément intellectuel de tout contenu représentatif, <|"'
ne soient liés ni à des perceptions, ni .à des images, ni à-des concept-
mais gui soient: simplement subjectifs, agréables, désagréables "
dans le rapport que nous avons fait alors de ses arguments, saisis au vol
d'une parole rapide. Nos observations subsistent. Le seul argument vrai-
ment fort serait celui que M. Ribot demande aux sensations internes, si
l0Us « les intellectualistes » s'entendaient pour faire : connaissance =:
représentation, (au sens kantien d'image projetée dans le temps et dans
l'espace). Nous avons dit combien cette conception de la connaissance est
étrangère à saint Thomas, pour qui la connaissance est une assimilation
spéciale d'un objet, une représentation, non pas visuelle comme une sorte
de spectacle, niais une seconde présentation — intérieure — d'un carac-
tère original, qui suit à la première présentation ou simple présence de
l'objet à l'extérieur de l'être connaissant. Cette représentation, dans
l'homme seul, et lorsqu'elle a pour objet les catégories suprêmes, les
essences des choses, est l'intelligence, faculté spéciale ; lorsqu'elle a pour
objet les réalités concrètes elle est le sens. Saint Thomas, tout en étant
intellectualiste, admet donc des représentations d'un genre spécial, qui
sont tout simplement l'impression singulière de ce qu'il y a de forme 1
dans l'objet reproduite à l'intérieur. Il n'en demande pas plus pour une
connaissance sensible. Est-il bien sur que les sensations internes soient:
autre chose que cette main-mise du sentant sur le senti ?
oaint Thomas n'a pas seulement donné sur ce sujet des principes. Il a
donné la description la plus complète, d'après Aristote, d'un sens qui
aspire à usurper le rôle des sensations internes : le tact (1). Il décrit à tout
moment des suites de phénomènes psychologiques, analogues à ceux que
'"• Ribot déclare inconciliables à l'intellectualisme : état physiologique
«abordpuis sentiment, état intellectuel en dernier lieu. Exemples : Il est
«
"ne transmutation de l'organe qui regarde
sa disposition constitutionnelle :
ost par exemple son échauffement, son refroidissement, etc. Cette trans-
mutation n'a qu'un rapport accidentel à l'acte de la connaissance sensible ;
J 'nlcnds
par rapport accidentel la fatigue par exemple que l'oeil ressent à
' Slll,e d'un violent effort d'attention, ou l'éblouissement qui le saisit en
' e d un objet trop brillant. Mais cette transmutation est ordonnée en
lu de sa nature même à l'acte de l'appétit sensitif d'où, dans la défini-
:
1 dos
mouvements de la partie appétitive, nous posons comme matière
'"nisniutation constitutive de l'organe. Ainsi on dit que la colère est
consciente une fois rendue dans les centres et devenue objet d'intuition
pour les activités intellectuelles qui s'y exercent.
Ce point éclairci, nous ne demandons qu'à nous rendre au tableau
« chronologique » que M. Ribot donne des émotions primitives el'l" 1'
,-itr[{). Nous .nous rendons à cette formule parce qu'elle est observation
','."
y>
rôle.
A. Le troisième et le quatrième stade de l'évolution affective n'offrent
inièro prise à la discussion, puisque M. Ribot concède que les senti-
ments complexes suivent « à.des représentations ». Je regrette, en ce qui
concerne les passions, que M. Ribot se soit interdit ce qu'il appelle des
digressions historiques (p. 20). Il se serait évité cette étrange notion de la
gission qu'il prête généreusement aux théologiens : inclination ou penchant
poussé à l'exCès. L'excès n'est nullement de la raison de la passion. La
passion est prise dans un sens beaucoup plus large, sinon chez des théo-
logiens modernes ou protestants, du moins chez ceux qui procèdent de la
Iradilion scolastique (2).
h. — Les preuves que nous avons discutées sont physiologiques.
.M. Ribot emprunte à Schopenhauer les preuves psychologiques. II en
(,»H"'C,
q. xxxv, a. 7, ad. 3.
..'..'
390; : REVUE THOMISTE
en citer une, sur laquelle l'auteur aime à revenir, et qui me semble avoir
atteint ici sa parfaite expression : « C'est une règle que tout sentiment
perd de sa force dans la mesure où il s'intellectualise; et c'est une source
inépuisable d'illusions, et d'erreurs, clans la pratique, que la foi aveugle
dans la puissance des idées
« ». Une idée qui n'est qu'une idée, un simple
fait de connaissance,
ne produit rien, ne peut rien : elle n'agit que si elle
••'si sentie, s'il
y a un état affectif qui l'accompagne, si elle éveille des ten-
dances, c'est-à-dire des éléments moteurs. On pourrait avoir étudié à fond
lil Raison pratique de Kant,
en avoir pénétré toutes les profondeurs, l'avoir
couverte de gloses et de commentaires lumineux, sans avoir ajouté pour
cchi
m] i0ja >{
sa moralité pratique ; elle vient d'ailleurs : et c'est un des
fus fâcheux résultats de l'influence intellectualiste dans la psychologie
les sentiments
que d'avoir induit à méconnaître une vérité si évi-
dente (2).
»
"'• Ribot se doute-t-il qu'il vient de décrire en termes excellents la
(')]>. 372.
•
f*)!1. 19.
392 .REVUE TU0MISTE
Raison -pratique telle que l'a conçue saint Thomas mue à l'origine par
premier appétit spontané vers un bien connaturel,,qui va se repère,,.
dans des actes tour à tour de connaissance et de volonté, de telle-ssorte,
„ ...- _,
-chacun de [ces actes tire de lui et de sa rectitude primitive sa vale
-'"uequf
(
morale (1)
Cela veut-il dire que « la Psychologie des sentiments » doive être HMV
entre toutes les mains. Non, et, par exemple, les lectrices de la 7jW
qui se seraient égarées à me lire se tromperaient en croyant y rencontrer
sous les titres de certains chapitres, une oeuvre sentimentale. C'est uni-
oeuvre de pure science et qui demande pour être lue des esprits formés
L'inspiration n'en est pas spiritualisle : elle n'est pas noii plus malcria.
liste au sens injurieux [du terme : d'un mot je dirai que M. Ribot, a tenté k
faire rentrer la cause finale des sentiments dans leur cause efficiente et de con-
sidérer celle-ci comme réalisée adéquatement dans une cause très réelle mais mi
n'est que partielle, leur cause matérielle.
L'ouvrage néanmoins sera lu utilement par tous ceux qui ont affaire à
la psychologie, théologiens et prédicateurs, directeurs et pédagogues,
artistes, sociologues, moralistes, littérateurs, à ceux enfin pour qui le moi
humain n'est pas tellement haïssable qu'ils ne soient curieux d'en connaître
une monographie piquante et consciencieuse.
« Il ajouta que,quoiqu'il vit bien, par ce qu'il venait de lui dire, que ces
lectures lui étaient utiles, il ne pouvait pas croire néanmoins qu'elles
fussent avantageuses à beaucoup de gens dont .l'esprit se traînerait un peu
et: n'aurait pas assez d'élévation pour lire ces auteurs et en juger (2). »
II. •—
A. FOUILLÉE : Lu MOUVEMENT IDÉALISTE ET LA HÉACTIOX
'• iintaiié s'il lie manquait de l'exactitude absolue des reproductions jdiô-
ffraplii<lueSi ^n revanche nous y trouvons le coloris du peintre. De plus
jjées
>.
de M. A. Fouillée nous semblent avoir-gagné en-clarté. Serait-ce
bienfaisante influence des philosophes dont il discute les doctrines,
l
fauteur aspire à faire passer dans notre langue les idées de Schopéh-
liauer. Nous ne regrettons donc pas, comme M. Dauriac, qui a ses raisons.
ipour cela, que M. Fouillée ait repris ses vieilles habitudes de polé-
bnisle (1).
1
(V A*néephilosophique VI,
p. 77. . .
' ' ,:
394. REVUE THOMISTE :
n dit le Sage, n'était pas plein de soleil, il ne verrait pas le soleil. Le cris-
tal n'est pas meilleur miroir de l'univers que le végétal, le végétal que
l'animal, l'animal que l'homme : tout au contraire. L'homme reflète mieux'
parce-que sa pensée moins passive est moins un pur reflet. h'i('cc
n'est pas un .pur résidu de l'abstraction; elle est une manifestation ir-
réalités plus hautes. » La vérité est simultanément une harmonie dac-
tions et d'idées, dont le déterminisme est la manifestation et la volonté i' 01,
moins sain pour l'esprit humain en général, et pour les jeunes espri's c"
particulier que ce mouvement sceptique ou mystique auquel nous assjs
tons. Il n'est qu'exact de faire remonter à l'intellectualisme, tel q" °"
pratique dans l'école kantienne en particulier, la responsabilité du si;0l
ticisme spéculatif et partant de l'amoralisme; il n'est que juste, à an '
part, de regarder la théorie de la croyance comme non fondée cl d.i'V
BULLETIN PHILOSOPHIQUE :' 396
si tant est que celle-ci prétende que nous devons marcher au vrai
çe
]a seule volonté et en aveugles, ce dont je ne suis pas convaincu en ce
• ,.0ncerne certains de ses représentants les plus hn vue et ceux
ênies qu'attaque M. Fouillée. Il est facile, pour la régularité et l'élé-
de sa démonstration, de tailler des croupières à ses voisins, pour
gance
'nnaraître dans le juste milieu bon troisième. Je crains parfois que
y] Fouillée ne cède à cette tentation lorsqu'il se prépare à faire surgir,
comme dans la page que je viens d'analyser, le deus ex machina de l'Idée-
force. Et je comprends l'accent de M. Dauriac, personnellement attaqué
dans les doctrines de M. Renouvier, lorsqu'il relève; en ces termes le
procédé de M. Fouillée : :
«
Dans les passes d'armes philosophiques, le premier attaquant a tous
les avantages. Il -choisit son terrain d'attaque. Et ce'n'est pas tout, il
choisit son adversaire..Car il le présente lui-même a la galerie. Et non
seulement il le présente, mais il l'arme et il l'arme comme il lui plaît. »—
«
Ce n'est pas quand M. Fouillée expose qu'il y a lieu de le juger inexact,
c'est au cours delà discussion alors qu'il introduit inconsciemment et
subrepticement des idées de détail soi-disant empruntées à l'adversaire et
qui lui sont indûment prêtées (I). »
Mais si le but est louable, en dépit de procédés défectueux, M. Fouillée
l'atteint-il ? Sa définition de. la vérité est-elle de nature à contenter, notre
jeunesse sceptique ou fidéiste? La vérité, c'est l'action : soit! cela plaît à
mon besoin d'activité. Le développement subjectif de l'esprit engendre un
développement objectif de la vérité, par les questions qu'il me porte à
poser à la nature, par les hypothèses qu'il m'engage à risquer : voilà qui
est bien. La vérité est un concours, une collaboration du subjectif et de
l'objectif : ici nous commençons à entrer dans la théorie du barbouillage
kantien : la seule différence entre Kant et M. Fouillée, c'est que l'apport
subjectif d'après Kant regarde la nécessité logique, l'apport: subjectif
d après notre auteur est
un apport de volonté, ce qui produit un mélange
encore plus hétérç-gène que celui de Kant, puisque la volonté est aveugle.
•'e défie qui
que ce soit de se rendre à la vérité, ainsi définie par
•". Fouillée autrement que par un acte de foi. Mais, dit-il, l'activité subjec-
'•ve no modifie le dehors qu'en vertu de lois régulières donc la vérité,
—
dans son
sens absolu, demeure possible. — Eh comment donc savez-voqs
'l'ic ces lois sont régulières ? La vérité de cette affirmation est-elle «absolue
"u bien est-elle un mélange d'objectif et d'activité subjective? Si vous con-
'cdez la première alternative, il y a donc une vérité pure, objet de
pure
'""lésion intellectuelle; dans la seconde, vous n'êtes pas sorti de la
3° L'ouvrage est divisé en quatre livres : Dans le premier intitulé |(.s <i
j
,i
je service de nous débarrasser de la tentative de réconciliation entre
j .e]io-ion et la science tentée par Spencer sur la base de l'agnoiticisme :
j
On sait que le kantisme a abouti à faire du sujet et de l'objet: deux
'ispecis du fait de conscience (2), variables en fonction l'un de l'autre
(Comme les variations de la concavité et de la convexité d'une même courbe.
j'° sujet pensant n'existe plus que par sa relation à son objet : l'objet ut
s,f n existe plus
que par sa relation au sujet. M. Fouillée se prononce
•\""' cel,:c doctrine en tant qu'elle s'applique à l'intelligence. Mais,
«
^
"") elle n'est vraie qu'au point de vue intellectuel ». En effet, le fait
;
ual H est jjas seulement représentation, il est aussi émotion, appéti-
; i
ilesir, volition. Ces faits ne sont nullement une manière de réfléchir
'lcls; ils sont aussi originaux que le son l'est vis-à-vis de la couleur.
l'acoustique (p. 46) ». Or ce contenu n'existe pas seulement par son 0i'(i.,
à quelque chose d'extérieur, sujet ou objet, comme la représentai;,,,
Il existe en soi. Donc ce contenu est le fond du phénomène de
c,„
science, Or .';e contenu, fait de volition, de désir, etc..,- est actif et non DIH
passif comme,la représentation. Donc le rapport fondamental de la
C0II
science avec l.j. «diversité donnée hors de nous » (p. 47) est un nippon
d'action et de .réaction. Et ainsi, à l'intellectualisme kantien se ii-oUVr.
Substitué une sorte de dynamisme phénoménal.
,
existant au dehors. Cela est pour nous une évidence, et les mésaventure'
des idéalistes, leurs contradictions, leurs divisions ne sont pas pour noi"
engager à quitter noire vieille et solide plate-forme. Il n'en est pas m" 1"
l'élément primitif.
Cette conclusion^ dails sa teneur générale, ne peut déplaire aux
tnistes, La science a pour procédé l'intuition : elle n'est pas fausse;
BULLETIN PHILOSOPHIQUE 399
>
entend par là la doctrine des causes finales. L'appellation ne manque pas de
' justesse. La doctrine des causes finales aboutit en effet à introduire clans
l'immanence du mécanisme un élément directeur et partant « idéal »,
Nous ne nous arrêterons pas à la partie polémique de ce travail,
,
\
celles qui regardent le linalisme externe (p. 103-114). Elle n'ont, en effet.
(ju'ime valeur dépendant, de la preuve foncière tirée de la tendance déter-
minée inhérente à tous phénomènes (p. 115) et celle-là, M. Fouillée'ne la
l'él'ule pas. Toutes les expressions dont il se sert la confirment. Il ne voit
i ;''illeiiiion sur ce fait que le mécanisme n'a pas son explication radicale en
' '"i-mcnic : il l'a clans un élément mental. Mais cet élément n'est rien d'in-
X
•0"ectiiel : c'est
un vouloir. « La finalité n'est autre chose que le psy-
| ' ,lfiue même, sensation ou appétition, c'est-à-dire l'effort de l'être sentant
P"nr maintenir
'
ou accroître son étal fondamental de bien êIre en repous-
;
"u" toute cause de malaise et en attirant toute cause de plaisir » (p, 145).
JU- Fouillée
ne voyant en tout cela aucune intention intellectuelle.
* uvnr; volonté agissant eii vue d'une fin présentée, d'une idée de tout,
:,
tiare que cet appétit fondamental est une pure volonté. Il nous concède
' Cl°sc ; il nous refuse le mot et lui substitue un vouloir simple, qui ne
1 Posant
aucune direction antérieure, est nécessairement, indéterminée,
sable; dès qu'il se mêle à notre vie et veut se promener sur terre, il n est
plus imprenable aux relations de la. connaissance. Si l'inconnaissable i"t!
la tête hors du trou, je le décapite (p. 160). » I
Il nous sera permis, dans un prochain bulletin, de faire entendre i'>-
Fr. A. GAiiniiii.. M
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
\
y PICAVKT. Les travaux récents sur le néo-thomisme et la scolastique.
(Revue Philosophique, janv. 1896, p. 48-78).
et c'est peut-être sortir du sujet, que d'y rattacher des événements qui ne
siml pas en dépendance visible avec lui. M. Picavet nous paraît incliné à
confondre l'activité intellectuelle catholique avec cette portion considérable
n est vrai, mais pourtant bien plus limitée, qui est due à l'influence des
niées de saint Thomas d'Aquin. Quoi qu'il
en soit, nous reconnaissons
volontiers que dans un compte rendu de cette nature il vaut mieux pécher
par excès que par défaut.
Dans la seconde partie de la
revue M. Picavet désigne et critique souverai-
"einent les publications relatives au thomisme et à la scholastique. C'est
'Partie sinon la plus intéressante, du moins la plus utile pour les per-
sonnes qUj s'intéressent aux productions concernant l'histoire intellec-
(;"c du moyen âge. On comprend
sans peine que l'un ou l'autre des juge-
ants portés sur un si grand nombre d'ouvrages soit très sommaire et
par
ne un peu incomplet, voire môme
une fois ou l'autre insuffisamment
""'t. Les difficultés d'un semblable travail excusent à l'avance
ses imper-
l0,is, et l'on, doit reconnaître que M, Picavet s'est consciencieusemenj
402 REVUE THOMISTE
pour les opinions des vieilles gens et son bonheur d'en A1'?'? li,,<!,(';
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 403
lisin
.;
du moyen âge, n'est-ce pasce MoïseMaïmonicle que Richard d'Angle-
terre fit venir comme, médecin auprès de lui, au moment même où il chas-
s
sliii tous les juifs de son royaume? » [Revue d'histoire et de littérature reli-
!
;
philosophie scolastique « nous vient en droite ligne du Ghetto », qu'Aris-
loleii'a été connu des philosophes du moyen âge », qu'Aristote n'a été
:
I
connu des philosophes du moyen âge que par les; traductions des juifs
arabes » et que « Maïmonicle est le plus grand naturaliste du moyen âge »,
il faudrait qu'on nous en donnât d'autres preuves que de nous renvoyer à
cervé les modernes. Ainsi nous serons obligés de faire une histoire plus
«martiale et plus complète des idées du moyen âge, de ce qu'il dut à
l'iiiliquitc et de ce qu'il a transmis aux temps modernes. Puis les catho-
limies. unis par le thomisme, qu'ils complètent avec une ample informa-
lion scientifique, sont devenus les maîtres de la Belgique ; on compte avec
e„x en
Amérique et en Allemagne, leur influence grandit en France,
même en Hollande et en Suisse. Les hommes d'Etat, en tous pays devront
s'en préoccuper, non seulement pour les affaires intérieures, mais encore
nourla politique étrangère.
«
Les progrès des catholiques ont été rapides, parce que leurs adver-
saires ont dédaigné de les suivre sur le nouveau terrain où ils ont porté
lalulle. Mais si l'on avait oublié saint Thomas, on avait oublié aussi ses
prédécesseurs et ses adversaires.
C'est sur le concours de ces adversaires que compte M. Picavet pour
combattre le thomisme, depuis saint Anselme jusqu'à Kant, en passant par
les Jésuites. Nous dédions cette constatation au P, Frins, pour l'aider
dans ses essais de classification sur les disciples réels et les disciples
imaginaires de saint Thomas.
M. Picavet finit par ces belles paroles qui ne nous laissent pas insen-
sibles et dont nous acceptons volontiers l'augure.
«
La lutte sera vive ; elle sera féconde, parce qu'elle portera sur des
idées. Peut-être les adversaires s'apercevront-ils enfin qu'il est nécessaire
d'user entre eux d'une tolérance réciproque; peut-être chercheront-ils
dans les sciences et dans le but qu'ils poursuivent, tes points qui les rap-
prochent, au grand profit de la science et même de la religion, de la
philosophie et de la civilisation.
»
P. MANDONNUT,
:
P.
Aussi le Miguélez a-t-il entrepris de rectifier les jugements de celui
I m'il nomme son honorable ot docte ami. Le succès est aussi complet que
I ,0Ssible, et l'auteur nous laisse clairement voir qu'il aurait pu pousser
| |,lg avant s'il avait voulu abuser de la victoire, comme d'autres abusent
1
,\cs insinuations perfides, des affirmations sans preuve, et même de la
S calomnie,
; ne pouvons pas songer en si peu de place à donner une juste idée
Mous
J
du contenu de ce livre, C'est un ou plusieurs articles qu'il faudrait lui
! consacrer pour en extraire les riches données historiques qu'il renferme,
I entièrement composé
sur des correspondances inédites et originales, sur
-i des pièces de chancellerie, il offre des garanties indispensables sans les-
i nuolles la critique contemporaine refuse d'entendre et d'accepter l'histoire,
'• Indépendamment des nombreux documents incorporés clans l'ouvrage, un
appendice de près de cent pages contient en texte serré une collection de
i documents des plus intéressants et des plus significatifs.
Comme son titre l'indique, l'ouvrage traite de l'histoire du Jansénisme
j cl du Piégalisme en Espagne sous les règnes de- Philippe VI et Charles
VACANT.
— La Constitution Filius. — 2 vol. in-8°.
Del
Delhomme et Briguet, 189S.
Donner un commentaire à la fois théologique, documentaire et historique
des Constitutions du concile du Vatican était une entreprise considérable
qui eût tenté au moyen âge quelqu'un de ces maîtres, à-l'ambition
patiente, au labeur de longue haleine, dont nous admirons les intimidants
in-folio. Le Maître s'est rencontré au déclin du siècle qui avait vu le con-
cile. Le modeste et savant professeur de Nancy, l'une des gloires du
clergé lorrain, ne m'en voudra pas d'avoir dit; le seul mot qui rende l'im-
pression causée sur moi par son oeuvre.
Je vois, grâce à ce livre, d'un caractère simple, beaucoup de prêtres
studieux reprendre avec l'attrait du renouveau leurs études théologiques.
Car c'est une très grande partie de la théologie que M. Vacant; a fait
entrer dans ce cadre moderne :
Sur des pensers nouveaux faisons dos vers antiques.
;
complet, de plus clair et de plus attachant. 11 y a vraiment; plaisir à lire
| ces pages écrites d'un style simple, correct, nerveux, qui va droit au but
] cl s'arrête à point. 11 fait valoir la documentation et le raisonnement qui
.
sont de mérite égal, et donne à l'ouvrage l'intérêt des meilleurs que nous
ç ayons sur l'époque carolingienne et les commencements de la suivante.
; Le chapitre VU! semble faire à lui seul une troisième partie, où l'au-
ileur traite de l'éducation des filles : écoles monastiques et canoniales,
écoles des béguinages, écoles libres, petites écoles de Paris et des
-•
l'iandres, passent tour à tour sous nos yeux. Puis nous étudions, avec le
I'. Bernard, l'éducation privée, et l'éducation supérieure qui se donnait
j dans certaines maisons, comme les abbayes du Ronceray et d'Argenteuil,
;
les monastères de Prouilie et de Caen. Quelques notes biographiques sur
les femmes illustres de cette époque achèvent le tableau de l'éducation
>
;
Pour se rendre compte du soin que l'auteur a mis à s'éclairer, il suffit
de jeter
;
un regard sur la longue liste bibliographique dont il a fait: pré-
coder son introduction. Mais pour juger de la. valeur réelle de
i
son oeuvre
'' huit aller jusqu'à la fin du livre, dont le lecteur ne se séparera, nous en
s°ninies assurés, qu'avec le regret d'en trouver sitôt le terme, Ajoutons
que le volume se présente, —' ce qui ne gâte rien, avec des caractères
—
de condition
et d'élégance, qui font honneur à l'imprimeur cl: à l'éditeur :
" l;st clans tous les sens agréable à lire, et nous conseillons de bon coeur à
"os lecteurs de le mettre au meilleur rayon de leur bibliothèque.
LK GLUANT : P. SERTTLLANGES.
l'AIUS — IMPRIMERIE !•'. LEVÉ, HUE CASSETTE, 17
REVUE THOMISTE
ET
(!) Annales,
mars, 607, 608, 609.
( 2) ld., mai, 141, 143,
— mars, 606.
418 REVUE THOMISTE
DE LA PENSÉE MODERNE ?
-
«
L'intelligence — dit saint Thomas — réfléchit sur elle-niêm
et, du même coup, sa réflexion lui fait saisir qu'elle comprend et
l'idée par où elle comprend ; ainsi l'idée est pour l'intelligence
un
objet de seconde ligne; son objet premier c'est la chose dont l'idée
même est la ressemblance : « Quia intellectus supra seipsum, reflec-
titur, secundum eamdem reflexionem intelligit et suum intelligera ef
speciem qua intelligit ; et sic species intellecta est secundario id mied
intelligitwr. Sedid quod intelligitur primo estres,cujus species intelli-
gibilis estsimilitudo. (1). »
A ce premier mouvement naturel de la perception, correspond
cet instinct naturel d'objectivisme dont les néo-kantiens delà
trempe de M. Blondel sont eux-mêmes incapables de se défaire.
Le « dynamisme intégral » de la connaissance humaine est donc
contraire au mouvement idéaliste de la pensée. L'idéalisme sup-
pose à tort que la pensée nous est d'abord présente et connue
comme une forme immanente, un phénomène interne ; qu'ensuite
seulement, par réflexion, nous la projetons au dehors, finissant
ainsi par nous figurer comme objectif ce que nous avons primiti-
vement conçu comme subjectif (2). C'est tout le contraire qui esl
vrai,et rien n'achève de réfuter cette ordonnancefantaisiste des mou-
vements de la connaissance,comme la répulsion de tout esprit droil
et non prévenu, la première fois qu'on lui parle de kantisme. 11 y
a dans ce système une contorsion violente de l'esprit : c'est ce qui
le tuera.
S'il en est ainsi des maîtres, que seront les désillusions des dis-
ciples ? Sans doute, l'intrépide assurance de M. Blondel ne semble
pas les annoncer ; mais attendons que ces jeunes gens, rendus à
eux-mêmes et s'éloignant de plus en plus de la présence du maître,
aient enfin pris le temps et la liberté de faire le tour du système.
Ils critiqueront leur critique, et, comme le
sage qui examine sa
jeunesse, ils souriront : ce ne sont pas les adversaires du néo-
kanlisme qui lui porteront les plus beaux coups, mais
ses dis-
ciples.
Nous n'avons donc aucune tentation de nous faire néo-kantiens
pour moderniser la justification philosophique de notre foi. Il
seraiL bien téméraire à
nous de compromettre le dogme par cette
alliance
sans avenir. M. Blondel nous a dit « le danger que l'on
c°urt, lorsque,possédant l'immuable et l'absolu par la foi,l'on pré-
tend projeter dans le champ de la discussion philosophique et im-
poser à la raison des mots, des formules dont le
sens humain est
'"Uable et perfectible (1). Cela l'aidera
» sans doute à comprendre
^) Annales,
mars 61!i.
428 REVUE THOMISTE
(1) Lettre à l'abbé Caron. —1er novembre 1820— Citée par FOISSET, Vie du Père l-<1'
cordaire, 1,109.
(2) Luc, vu, 31, 32.
LES ILLUSIONS DE L'IDÉALISME ET LEURS DANGERS POUR LA FOI 42'9
III. —-
LE SOLIPSISME RELIGIEUX.
son action ?
De même que, tout à l'heure, dans l'immanence de sa perlS(j
la pensée moderne c'était lui, maintenant, dans son impossibj]ji'
d'être rationnellement assuré que l'Église est telle qu'il la voit
cl
qu'il l'entend telle qu'elle lui parle, l'Église, c'est lui. L'idéaliste
qui est, en philosophie, la mesure de sa pensée et du vrai, devieni
en religion sa règle de foi et son pape : il n'y a plus, pour sa raison
de courant réel ni des idées scientifiques, ni de la foi catholique
Il marche à la déification de son sens propre; et auprès de celle
apothéose, le libre examen protestant, avec la Bible tenue pour
objective et réelle, n'est qu'un jeu timide.
De là un nouveau danger pour sa foi.
dans la pratique effective et par grâce (1) ». C'est ici que l'apo-
logétique idéaliste nous dit le dernier mot de ses dangers pour
la foi : la grâce arrive, comme un deus ex machina, pour su-
perposer à l'idéalisme de la raison philosophique une croyance
objective. La grâce arrive en somme, pour faire Adolence au mou-
vement scientifique de la raison pure ; car c'est bien dans la rai-
son que la foi est reçue. Il s'ensuit que le surnaturel nous ré-
pugne, en tant même que surnaturel. M. Blondel n'hésite pas à
l'avouer. Pour lui, la « raison formelle » de l'enseignement révélé,
c'est son « exigence mortifiante et cependant nécessaire pour la
nature », c'est « son caractère inaccessible, impraticable eiodieux».
Etrange apologétique, pour qui la nature répugne àla grâce, c'est-
à-dire la créature de Dieu, au don divin qui la relève de sa
déchéance et la déifie !
Non, ce qui répugne en nous au surnaturel c'est ce que M. Blon-
del lui-même appelle « le point sensible et exaspéré dans les cons-
ciences contemporaines », c'est la discipline naturaliste, exclusive
de Dieu et du divin, dont la méthode d'immanence renferme le
plus subtil venin. Mais à prendre notre nature en dehors de ces
influences naturalistes, sous la seule action de ce surnaturel qui
est en elle chez lui, la nature est née apte à obéir sans contrainte
aux sollicitations du surnaturel (2).
Il y a donc, dans l'essai d'aplogétique idéaliste que nous pré-
sente M. Blondel, le danger d'une doctrine rationaliste et anti-
catholique : il y a suppression de tout rapport certain entre le
chrétien et l'Eglise, règle visible de sa foi ; suppression de toute
preuve certaine du fait de la révélation et de son dépôt confié à
l'Eglise ; suppression de tout accord entre la raison philosophique
et la foi. Ces dangers établis, M. Blondel ne s'étonnera plus que je
lui en signale un autre, qui résulte légitimement d'eux tous, pour
cette doctrine chère à ses rêves.
(1) D>' J. VACANT. Eludes théologiques sur les constitutions du Concile du Vatican, I, 223.
(2) Annales, juin 257.
440 REVUE THOMISTE
! 1
non seulement tout l'édifice, mais les âmes, mais les corps, mais
la cité, mais la plaine qui les entoure. Puis, si nous cherchons à
l'intérieur du temple le secret mystérieux de cette exaltation (Ici
la terre au ciel, nous sommes enchantés, éblouis ; les verrières
rayonnent comme des météores, les saints brillent en haut clans la
gloire, en bas, les évoques sont couchés sur les marbres ; les nets,
au loin, s'allongent vers un centre invisible, les colonnes prennent
que chose des grands bois et des grandes ténèbres émeut l'ïinic a
— 4e ANNÉE. — 30.
UIÎVUE THOMISTE.
446 REVUE THOMISTE
II
De toutes les innovations qui eurent lieu jusqu'en l'an 1300, pas
une qui n'ait sa raison d'être et que n'expliquent les exigences de
l'utilité. On croirait peut-être que le clocheton léger qui termine
le. contrefort, est placé là pour un motif d'élégance; nullement,
mais il est la change du contrefort. Si l'orage abat ce clocheton
ou si les hommes le renversent, le contrefort périclite. Affaibli
dans son point d'appui, l'arc-boutant cède à la muraille que les
voûtes tendent à renverser ; si la muraille est renversée, les voûtes
s'effondrent et c'en est fait de l'édifice, tant, en cet ensemble soli-
daire, a de raison d'être un clocheton! A quoi bon ces colonneltes
qui, de leur base, s'appuient sur la tête de l'arc-boutant, de leur
chapiteau touchent la corniche? seraient-elles destinées à soutenu'
cette corniche ? Nullement..Ces colonnettes sont des canaux de
pierre qui servent à l'écoulement des eaux. Quelques années ph|S
tard, d'où vient qu'un aqueduc aérien règne au-dessus de l'arc-
boutant ? Est-ce pour en orner le chaperon d'une frange de den-
telle? C'est avant tout pour que l'eau passe par l'aqueduc au l'e"
de couler le long de l'arc-boutant et de s'infiltrer dans les pici')'cs
d'un organe si nécessaire à l'édifice. Pourquoi la courbe du
L'ÉVOLUTION EN ARCHÉOLOGIE 449
tympans, sinon qu'il faut passer par eux pour entrer en celt
patrie dont l'intérieur du temple est l'imparfaite image. Dehors
sont les gargouilles et les monstres, comme hors du ciel chrétien
les démons et les vices, tandis qu'au dedans, c'est la béatitude, c'est
la gloire, c'est la vérité dans leur expression symbolique. U
lle
paraît pas que les croyances aient agi sur l'art au xmc siècle
seulement, ce fut lorsque l'architecture était encore en formation
et pour'ainsi dire malléable encore, ce fut pendant la période
romane secondaire, que* l'action des dogmes s'exerça surtout. Ce
fut alors que la foi spécifia par son empreinte l'organisme em-
bryonnaire du temple, comme Dieu lui-mêm e avait spécifié par la
sienne le corps de l'homme, alors qu'il n'était encore qu'argile.
Les raisons tirées de l'utilité, les raisons tirées des croyances,
ne suffisent pas à motiver toutes les particularités de l'architec-
ture chrétienne. Le sentiment de la nature, le respect du
passé, la fidélité à des souvenirs chers, furent les causes occa-
sionnelles de certaines manières d'être. Oui, le sentiment chrétien
voulut rappeler les catacombes et les basiliques, et plus conserva-
teur des choses romaines que Rome ne l'avait jamais été des
formes grecques, il imprima au temple cette majesté allongée e!
haute, par où il ressemble à un navire immobile qui semble avoir
déjà jeté l'ancre en une paix immuable.
L'influence du xmc siècle se prolongea sur les siècles suivants,
qui généralisèrent les formes reçues et ne cessèrent pas de créer,
en vertu de l'impulsion donnée, des motifs nouveaux et des for-
mes nouvelles. L'un des principes appliqués généralement au
xme siècle,n'était-il pas que les voûtes reposant uniquement sur des
arcs et des piles, les murailles étaient inutiles ? Le xivc siècle les
causes.
FLORENTIN LORIOT.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT
TROISIEME ARTICLE
OU
prit dans l'âme juste, proposée par tel ou tel théologien, suppose
effectivement une présence substantielle de cette divine personne,
niais uniquement à titre de cause efficiente, l'explication susdite
est, par le fait même, convaincue de caducité, et doit être rejetée
sans plus ample examen ; car nous n'y retrouvons pas cette pré-
sence spéciale que suppose la mission invisible de l'Esprit-Saint.
])e même, si l'explication proposée entraîne une présence spé-
ciale, il est vrai, mais purement idéale, les philosophes disent
objective, de la personne envoyée, elle est encore manifestement
insuffisante; car l'habitation de Dieu en nous suppose une pré-
sence effective et réelle de la divinité. Examinons, à la lumière
de ces principes, les différentes solutions qui ont été données à
l'intéressant problème de l'union de notre âme avec Dieu par la
çrâce.
(') Eliam adjectâ hâc S. Bonavenlura; expositione, non possumus non fateri, satis
«
°liscuram permanere S. Tlioma; docti-inam; camquo adhuc mancam apparere, decla-
'"mti non dissentimus. Continent quidom S. Thomas efl'ata tolam veritatem, sed indigere
louis videntur explicationc. S. Doctor potius fructum et clïeclum inhabitationis indicasse
Vldetm-
quam explicuisse, in quonam propric consistât singulavis pi-fcsentias modus. Ut
P'ofundius ponetremus hoc mysterium, considorabimus accuratius et pressius id, quod
''ocel y. Thomas, dicendo
nos possidere Spiritum sanolum per gratiam gralum facien-
c"i ». Dr P. OIIEHDOEIII'1'EU De inhabitatione Spir. S. in animabus justorum,
: cap. n,
I'-3-1.
458 REVUE THOMISTE
ce
elle doit demeurer en elle pour la conservation de l'effet produit
« car la grâce sanctifiante est une chose créée et produite; et
a comme telle, elle ne saurait exister séparée de la puissance.
« divine qui la produit...
« De même donc que l'ensemble des choses créées ne persisterai!
« point dans l'existence, si Dieu, par sa vertu créatrice toute puis-
ci santé, n'était toujours là pour les conserver; ainsi la vie suma-
« turelle de l'homme, qui consiste dans la grâce sanctifiante, ne
« saurait se soutenir, si elle n'était conservée par la force qui l'a
« produite. Or la force sanctificatrice de l'Esprit-Saint et sa subs-
« tance ne sont pas choses réellement différentes, les perfections
« de Dieu ne se distinguant que rationnellement de son essence.
« Par conséquent, où se trouve la puissance opérative de Dieu,
a là se trouve également sa substance. Puis donc que Dieu ap-
« plique sa puissance à l'âme pour la sanctifier, il y applique éga-
« lement sa substance ; et de même que la vertu divine entre
« dans l'âme et la pénètre, ainsi l'Esprit-Saint y entre lui aussi, et
« y habite...
« Cet exposé nous semble réaliser un certain progrès dans Tex-
te
plication de l'habitation du Saint-Esprit. La présence spéciale
« de Dieu par la grâce, le novus modus essendi Dei in créature, don!
ce
parle saint Thomas, nous est maintenant connu dans une cer-
cc
taine mesure. Dieu est intimement présenta toutes les cb oses
ce
créées, il les remplit, il les pénètre pour les conserver; quanta
ce
la créature raisonnable, c'est-à-dire à l'âme juste, Dieu est en
ce
outre présent en elle, il la remplit, pour se l'assimiler, lui faire
ce
part de sa sainteté, et la conserver dans ce nouvel état.
ce
Et ce n'est pas seulement pour leur conserver l'être que Dieu
ce
applique aux créatures sa puissance opérative, c'est encore pour
ce
les mouvoir, leur faire produire par son concours des actes con-
ec
formes à leur nature, les soutenir et les aider dans l'action. Pa~
ce
reillement, par la grâce actuelle Dieu concourt, avec la créature
ce
raisonnable, à la production de ses actes surnaturels. NouS
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 459:
,,
dit saint Thomas. C'est la nature de cette possession que nous
« nous sommes
proposé et efforcé d'élucider. D'après l'Angélique
«
docteur, la grâce fait que l'Esprit-Saint est en nous comme objet
«
de connaissance et d'amour et que nous jouissons de lui ; par
«
conséquent nous le possédons. Nous disons, nous, que par la
«
grâce nous possédons le Saint-Esprit, qu'il est en nous pour
(i
soutenir et conserver la grâce : est nempe in nobis, ut sustineat
«
gratiam ; c'est pourquoi nous jouissons de lui, en le connaissant
«
et en l'aimant (2) ». Et dans un long parallèle entre la présence
d'immensité et la présence spéciale de Dieu par la grâce, l'éminent
auteur poursuit le développement de cette pensée, que Dieu est
présent à toutes choses, comme auteur de la nature, pour les
conserver dans l'existence et les conduire à leur fin naturelle;
tandis qu'il est présent au juste, comme auteur surnaturel, pour
conserver en lui la vie de la grâce et le conduire à celle de la
gloire (3).
II
ce
tification peuvent, avec le secours de la grâce actuelle, faire des
ce
actes surnaturels : pourquoi donc alors dit-on que Dieu n'habite
ce pas en eux, mais seulement dans les justes (2) ? »
Nous ajouterons, nous : ce ne sont pas seulement, des motions
actuelles que l'Esprit-Saint opère clans les pécheurs, des grâces
d'illumination et d'inspiration qu'il daigne leur accorder ; souvent
encore.il conserve dans leurs âmes les vertus théologales de foi et
d'espérance. Or, si la présence spéciale de Dieu dans la créature
raisonnable consiste à soutenir, à conserver les dons gratuits cl
infus, et à concourir avec elle à la production des actes surnalu-
rels, pourquoi dit-on que Dieu n'habite pas dans les pécheurs?
Et il le faut bien dire, puisque telle est la doctrine unanime des
théologiens, fondée sur les données de la révélation ; puisque tei
est l'enseignement formel du saint concile de Trente, qui déclare,
en termes d'une clarté parfaite, que toutes les bonnes oeuvres pra-
\
par la grâce sanctifiante que l'Esprit du Père et du Fils procède
' lemporellement et vient habiter nos âmes (2). Ce n'est donc point
l une opinion personnelle que défendait saint Thomas, mais la doc-
trine de l'Eglise qu'il formulait, quand il enseignait que la grâce
i sanctifiante seule est le principe d'un nouveau mode de présence
;
divine en nous, et que nulle autre perfection surajoutée à la sub-
j stance de notre âme n'est capable de lui rendre Dieu présent
!
comme objet de connaissance et d'amour (3).
Or si, pour constituer cette présence spéciale, il suffisait que
Dieu se trouvât quelque part comme auteur de la vie surnaturelle,
à l'effet de conserver la grâce et de mouvoir la créature raison-
nable à des actes surnaturels, nous le demandons derechef : pour-
quoi prétendre que Dieu n'habite pas daus les pécheurs? Ne con-
serve-t-il pas en beaucoup d'entre eux des principes de vie surna-
turelle, la foi et l'espérance ? Ne concourt-il
:
pas avec eux, par
I influence de la
;
grâce actuelle, à la production des actes préparâ-
mes à la justification?
M. l'abbé Oberdoerffer répond Cette objection n'est dénuée
: ce pas
j " de fondement. On peut dire
que l'existence de Dieu dans les pé-
" clieurs
j par la grâce actuelle est une ombre de la présence qu'il a
" dans les justes. Mais la puissance opérative qui sanctifie la
(0 ÎViV.
] sess. XIV, cap. iv.
W «Hccmidum solam gratiam gratum facientem mittitur et procedit temporalité!-
;
(3'|dh-i,na per-
'
"
"' S' T"- Sum' ThcoL> l> t- XL1,i' a- 3-
tu,
a'ia
" ;N>u"a pcrfectio superaddita subslantiaîfacit, Deumesse inaliquo sicut objec-
'°:"UI'um et amatum, nisi gratia; et ideo solagratia facitsingularem moduni essendi
Ùeu
m "> rébus
». S. Tu. Sum. Theol., 1, q. vin, a..3, ad 4.
HEVUE THOMISTE.
— 4° ANNÉE.
— 31
462 REVUE THOMISTE
III
sumus cognoscere, et amare res omniuo dissitas, adeo ut objecta ita cognita, et ii"w '
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 463
«
et spécial suivant lequel la personne divine se trouve dans la
«
créature raisonnable en raison de la grâce sanctifiante, consiste
« en ce que Dieu est présent à l'âme comme un époux à son
« épouse, un ami à son ami intime, ou mieux encore comme un
« père est dans son fils tendrement aimé et l'objet constant de ses
«
pensées, de ses affections, de sa sollicitude à lui créer une posi-
«
(ion brillante : car, en faisant de l'homme un ami et un fils adop-
te
tif de Dieu, la grâce sanctifiante exige que Dieu prenne de lui
« un
soin tout spécial, qu'il l'entoure d'une providence particu-
«
lière.
Par cette façon de parler, ajoute le docte chanoine, il est
«
«
facile de comprendre que Dieu est dans les justes d'une manière
« tout à fait distincte de celle par laquelle il se trouve en toutes
providence est universelle et s'étend à tous les êtres, elle est plus
I
mcognoscente secundum proprium esse reale, quod habent in se, sed ad summum in
' °ne cogniti : quo pacto non recte dicerentur-personai divinoe esse in justis ex vi mis-r
"s, cum peccatores etiam cognoscunt
.
per habitum fîdei. personas divinas, adoo ut istrc
feo cognito dicanlur esse in peccaloribus
». VEHANI, Theologia speculativa universa,
Ul. de Trin., disp. XV, sect.
vu, n. 3.-
' " liane sententiam Suarez vocal piam, et ob pietatem, libenler ipsi adhoercrem, si
ra-
ciiam mihi suaderet ; etenim raliones, quibus innititur, non adeo couvincunt
., £rww> ».
«'*«., n. 4.
464 REVUE THOMISTE
ce
nouvelle manière dans les justes. En effet, si l'on peut dire, cou.
ce
formém.ent à l'adage bien connu, que l'âme se trouve plus dans
ce
l'objet qu'elle aime que dans le corps qu'elle anime, parce que
ce
toutes ses pensées, toutes ses sollicitudes se portent vers l'objet
ce
aimé, on peut affirmer également, avec non moins de vérité
« que par la grâce sanctifiante, les personnes divines se trouvent
« d'uue manière nouvelle et spéciale dans les justes, en raison de
ce
la providence particulière dont ils sont l'objet (1). »
Nous admettons sans difficulté cette providence spéciale, cette
sollicitude paternelle de Dieu à l'égard des justes ; et quand il s'agit
de ceux qui possèdent la grâce non point seulement pour un temps,
mais qui doivent la conserver jusqu'à la fin, ou du moins la recou-
vrer un jour pour ne plus la perdre, c'est-à-dire des élus, cette
providence a, en théologie, un nom particulier, elle s'appelle la
prédestination. Mais cette sollicitude de Dieupour ceux qui l'aiment
et qui en sont aimés, si attentive qu'on la suppose, ne suffit point,
par elle-même, pour leur procurer une présence à la fois substan-
tielle et spéciale de la divinité, comme le reconnaît du reste très
loyalement l'ancien professeur de Munich (2).. Son explication
n'entraîne point une véritable habitation, une présence effective
et réelle de Dieu dans l'âme en état de grâce, distincte de la pré-
sence d'immensité, mais une simple union d'affection. Mais, se
hâte-t-il d'ajouter : la grâce et l'amour d'amitié n'exigent point
une présence physique et réelle de Dieu dans l'âme juste (3).
A l'encontre de cette opinion, nous avons établi dans un précé-
dent article, et prouvé, croyons-nous, jusqu'à l'évidence, que la
mission invisible ou la donation d'une personne divine, réalisée à
chaque collation ou accroissement de la grâce sanctifiante, impliqu"
au contraire une présence nouvelle et substantielle de la divinité.
par conséquent une présence vraie, réelle, physique, et non pas
affective et objective, ut objectum intime amatum. Ergo, licet Dous per gratiam r;i-a!«n
facientem dicatur esse in crealura rationali, ut amicus in amico intime dilecto, non seepi»'!
prajsentia pbysicaDei in creatura amata ratione donorum gratioe ». VEIJANI,' Mil., "
•
(3) « Amor, quem crealura rationalis elicit in statu via; circa Dcum, non exigit toi'"110'
ad Deum ut bonum intime proesens per realem et physicam praîsentiain amati » --'"'
n. 14.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 465
IV
ce
l'Esprit-Saint, saint Thomas semble la réduire à la possession
ce
des habitudes surnaturelles et à la production des actes oui
ce
résultent de ces habitudes. D'après lui, en effet, Dieu serait dans
ce
l'âme sainte d'une manière particulière en tant qu'il, est mieux
ce connu et mieux aimé par elle.
Mais, comme l'observe très justement Suarez (1), borner là
ce
ce
l'union du Saint-Esprit avec l'âme juste, c'est dire précisément
ce que lé Saint-Esprit n'est uni à cette âme que par ses dons. Aussi
ce
Suarez ne pense-t-il pas que ce soit là la dernière expression
ce
de la pensée du docteur angélique. Mais il faut bien avouer que,
ce
parmi les théologiens de l'école thomiste, plusieurs ont admis
ce
cette doctrine dans toute sa rigueur. Ils ont été bien plus loin
ce encore : ils se sont demandé si, en vertu de la grâce, le Saint-
ce
Esprit devrait être présent dans l'âme juste, supposé qu'il n'y
ce
fût pas présent par son immensité, et ils n'ont pas craint de
« répondre négativement; c'était tomber manifestement dans
ce
l'erreur que saint Thomas avait réprouvée ; c'était dire que le
ce
don du Saint-Esprit à l'âme juste n'était qu'une simple figure
ce
de langage; c'était par conséquent se mettre en contradiction
ce avec tous les témoignages de l'Ecriture qui prouvent la mission
« de ce divin Esprit. Aussi la partie la plus saine des théologiens,
« après Suarez, réprouve cette opinion (2). »
Et après avoir apporté quelques textes des saints Livres pour
établir que la personne même du Saint-Esprit nous est donnée
avec la grâce, le fils de saint Ignace ajoute : Cette
ce
vérité esl très
ce
clairement enseignée par les théologiens scolastiques, quoique
ce
dans leurs explications ils ne soient pas toujours aussi clairs
« qu'on pourrait le désirer, et qu'ils ne lui donnent pas tous les
ce
développements qu'elle aurait mérités.
II est vrai que ce dogme, si bien fait pour nourrir la piété,
ce
ce
appartient autant à la théologie ascétique qu'à la théologie dog-
cc
matique. Aussi Dieu semblait-il en réserver la complète main-
te
festation aune école de théologiens ascètes qui, tout en nom''
« rissant l'esprit, s'attachent à enflammer le coeur. Nous n'en cite-
«
possession des habitudes surnaturelles et à la production des
actes qui résultent de ces habitudes », c'est-à-dire aboutissant
<e
en définitive à dire
ce
précisément que le Saint-Esprit n'est uni à
«
cette âme que par ses dons ». Et c'est à saint Thomas, au prince
de la théologie, à celui sur les ailes duquel, au dire de Léon XIII,
ce
l< par les saintes Lettres, n'est point en opposition avec l'explica-
<(
tion donnée par saint Thomas, il n'en est qu'un éclaircissement.
Car par la grâce et la charité Dieu demeure en nous comme
(<
un
(1) RAMIÈIIE,
loc. cit.
U) Rationem, ut
e<
par est, a fide apprime distinguens (Angelicus Doctor), utranique
lncn amice consocians, utriusque tum jura conservavit, tum dignilati consuluit, ita
P'elem ut ratio ad humanum fastigium Thomaî pennis erecta, jam 1ère nequeat subli-
m'us assurgere
». Ex. Epist. Encycl. LEONIS PAIVU XIII, Alternï Patris.
468 REVUE THOMISTE
(i) « Hune certe proesentiiE et inbabilationis modum indicant sacroe Litteroe in '0C1S
citatis. Nec est alienus ab explicatione D. Thoma;, sed quaîdam declaratio illius. ^ni
per gratiam et charitatem manet Deus in anima ut objectum cognilum et amatum, n 0"
utcumque, sed per modum amici intime dilecti, qui non utcumque objective dicitur esse
in amante, sed tanquam bonum intime prassens et intra ipsum amantem existons, u
eum peculiariter custodiat, et rogat, et ab eo in corde suo colatur, et adoretur ». FUAHEZ>
De Tri*., 1. XII, cap. v, n. 13-14.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 469
«
vée (1) ».
Jésuite a-t-il puisé ses informations ? Serait-ce
«<
Où donc le docte
encore dans Suarez? S'il en est ainsi, il faut avouer qu'il n'a pas
été heureux dans l'intelligence d'un auteur qui devait pourtant lui
être familier. On y lit bien effectivement, à l'endroit où nous
renvoyait tout à l'heure le Révérend Père, que certains auteurs
récents, moderni aliqui, ne font pas difficulté d'admettre que
l'inexistence de Dieu dans la créature raisonnable entant qu'objet
de connaissance et d'amour n'exige point, par elle-même, la pré-
I > wodus quasi extensive augetur per novum effeclum ; et per extrinsecam denominatio-
m'!u ipS0- TJnde non fit, Deum incipere esso novo modo in anima, qui sit distinctus
' tribus. Nec videtur sufficere, ut Deus ipse veniro aut milti dicatur, cum ex vi
..
' s nioeli non constituatur ibi Dei subslantia prtcsens, nec novo titulo ibi adsit, secun-
111 sua«imet personam. » SUAREZ, ibid.
4"?0 REVUE THOMISTE
rite des théologiens scolastiques, notamment do saint Thomas. Ppst Petrum Lomlmr
e<
duin, inquit, doctores scholastici vix non.omnes liane doctritnamut indubitatam tradvnl.
S. Thomas in expositione illins distinctionis (I, dist. xiv). Idem in Summa (I, q. "> a' ''
Sequuntur eum Thomistoe omnes. Cf. e. g. ex veteribus Ilerveus Natalis (in I, cl. '!'> '('
a. 2),ex recentioribus Bannez adhl.. : « Certum est homini non solum dari in justilici1"
ipsa dona gratiaî et caritatis, etc., sed etiam personam ipsam Spiritus sancti se'-u 11'
substanliam. Hrec sententia est adeo certa, ut oppositum sit error. » PESCII S. •' •
^
YI
certains affectent d'appeler le néo-thomisme était, ici du moins, assez fidèle au v'a
thomisme. Poursuivons.
ce
L'heure est venue pourtant où toutes les ombres vont se dissiper. Petau, Lessiu-i
Corneille de la Pierre, et après eux les grands auteurs ascétiques français "
xvii" siècle inondent ce dogme de lumière; mais ils confessent avec regret qu'"
encore bien peu connu. » RAMIÈRE. Les espérances de l'Église, 3» partie, chap. iv, ai'1' '
DE L'UABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 473
(1) « Deus dicitùr esse in re alicjua. dupliciter : uno modo per modum causse agenlis,
cl sic est in omnibus rébus creatis ab ipso; alio modo sicut objectum operationis est in
opérante, ejuod proprium est in operationibus animas, secundum quod cognitum est in
cognescente, et desideratum in desiderante. Hoc igitur secundo modo Deus specialiter est
in rationali creatura, quoe cognoscit et diligit illum actu vel habita. Et quia hoc habet
rationalis creatura per gratiam, dicitur esse hoc modo in sanctis per gratiam. » S. Tu.;
I, c|. vin, a. 3.
Un ajoutant aux deux modes précédents celui qui est indiqué dans la réponse ad 4m
(lu même article,
nous avons bien les trois modes de présence substantielle. Le troi-
sième est ainsi formulé : e< Est autem alius singularis modus essendi Deum in homine
per unionem. » Ibid., ad im.
(2) Ne. faudrait-il pas ajouter à ces trois sortes de présence de la divinité
un quatrième
modo d'inexistence substantielle, crue nous voyons, semble-t-il, réalisé dans la sainte
Eucharistie et dans l'âme qui reçoit cet auguste sacrement, et que l'on pourrait appeler
Sii présence sacramentelle'! Nous ne le pensons pas. Sans doute, Dieu est très-réellement
prôsont dans le sacrement de nos autels, puiseme, suivant la définition du saint concile
"e l'rcnte (sess. XII, cap. i, et can. i.), l'Eucharistie contient véritablement, réellement,
subslnntiellomént, lé corps, le sang, l'âme et la divinité de Noti-c-Seigneur Jésus-Christ,
P'i" conséfjuent, le- Christ tout entier, sous les espèces du pain et du vin mais cette
;
présence de la divinité ne constitue pas un mode nouveau et distinct des autres.
^° qui est nouveau, c'est la manière d'exister que l'humanité du Verbe possède dans
esaint sacrement, et qui est fort différente de celle qu'elle a dans le ciel. Dans la sainte
loslio, le corps du Sauveur est contenu tout entier; et quoique composé de parties, il
"y occupe pas d'étendue, il y est à l'instar, d'une substance spirituelle; c'est ce qui
Wslitue son état sacramentel par opposition-à son état connaturel. Mais dans quelque
.*"• 'lies l'on considère l'humanité du Christ,.elle
conserve avec sa divinité un genre
"'lion qui ne varie pas et .qui est toujours le môme, une union hypostatique. C'est
.
ce
1" résulte clairement des paroles du concile de Trente, lorsqu'il déclare
que, aussitôt
lMes la consécration, le vrai
corps et le vrai, sang de Notre-Seigneur existent sous les
474 ' REVUE THOMISTE
espèces du pain et du vin, ainsi C[ue son âme et sa divinité; toutefois le corps se trouve
sous l'espèce du pain en vertu même des paroles de la consécration, le sang et l'unie}'
sont également, mais par concomitance, en vertu de cette connexité naturelle qu'
réclame l'union de toutes les parties du Christ, lequel, une fois ressuscité d'cnlro les
morts, ne meurt plus ; quant à la divinité du Sauveur, elle est présente à cause île-- ccllc
admirable union hypostatique qui tient le corps et l'âme du Sauveur indissoluble»10'1
enchaînés à sa divinité. (Trid., sess. XIII, cap. n.)
Le fidèle qui communie reçoit donc directement et immédiatement le corps de ^°|'
Seigneur, et par concomitance, son sang, son âme et sa divinité. Le Père et le ft» 111
Esprit accompagnent eux-mêmes la personne du Verbe; car les trois personnes '
l'adorable Trinité, n'ayant qu'une seule et môme nature individuelle, sont necessau
ment inséparables ; partout où l'une d'elles se trouve, .les deux autres y sont éga^111011 '
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 475
(') <e Nulla alia perfoctio superaddita substantioe facit, Dcum esse in aliquo sicut
'jcclum cognitum et amatum, nisi gratia; et ideo sola gratia facit singularem modum
cssendi Dcum in rébus.
» S. Tu. I, q. vm, a, 3, ad 4m.
H « In ipso inhabitat omnis plenitudo divinitatis corporaliler. » Col. n, 9.
W « Gratia habitualis est solum in anima; sed gratia, idest, graluitum Dei donum,
lll0|l esl uniri divinaî
personaî, perlinet ad tolam naturam hnmanam, quoe componitur ex
' ""la et corpore. Et
per hune modum dicitur plenitudo divinitatis in Christo corpora-
cr "aliitare ; quia est unita divina natura non solum animas, sed etiam corpori. Dicunt
amC|uidam quod divinitas dicitur in Christo habitare corporaliler, idest, tribus modis,
476 REVUE THOMISTE
VII
sicut corpus habet 1res dimensiones : uno modo, per essentiam, proesentiam etpotentiam,
sicut in ceteris creaturis; alio modo per gratiam gratum facientem, sicut in sanclis;
tertio, perunionem personalem, quod est proprium ipsi Christo. » S. TH., III, (]• n, ;1>
10, ad 2.
Necesse est ponere in Christo gratiam creatam. Cujus ratio necessitalis liinc
(1) «
sumi polest quod animse ad Dcum duplex polest esse conjunctio : una secundum osse '"
una persona, ejuoo singulariler est anima) Christi ; alia secundum operationem, <|n-° csl
communis omnibus cognoscenlibus, et amantibus Deum. Prima qnidem eonjune-lio sine
secundaad boatitudinein non sufficit: quia nec ipse Deus beatus essel, si se non cosino*-
ceret, et a.maret : non enini in seipso delectaretur, quod ad beatitudinem requii-ilnr. A"
hoc ergo quod anima Christi sit beata, proeter unionem ipsius ad Verbum in persona.
requiritur unio per operationem, ut scilicel videat Deum per essentiam, et videinlo frua"
lur. Hoc aulem excedit naturalem polentiam cujuslibet creaturaj, soli autem Deo se0""'
dum naturam suam conveniens est. Oportet igilur supra naturam animaî Chi'isti nlii]'111
sibi addi, per quod ordinetur ad proedictam beatitudinem; el hoc dicimus gratiam. Lni_
in anima Christi gratiam creatam ponere. » S. Tu. Qq. disput., de vent
-necesse est
q. xxix, a. 1.
(2) S. Tu. I, q. XLIII, a. 3.
.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 4.77
(>
bonté divine, sans toutefois atteindre la substance même de
«Dieu; c'est le mode ordinaire d'union, d'après lequel Dieu est
en
8 toutes choses par son essence, sa présence et sa puissance. En
"second lieu, ce n'est plus par une simple similitude que la créa-
<( tare est unie à Dieu, mais elle l'atteint lui-même, considéré dans
" s;i substance,
au moyen de son opération : c'est ce qui a lieu
!1 quand elle adhère par la foi à la vérité première, etpar la charité
11 a la bonté souveraine; tel est le second mode, suivant lequel
<<uicu existe d'une manière spéciale dans les saints,
en vertu de
"l;i grâce. En troisième lieu, la créature atteint Dieu
non plus
'seulement par son opération, mais par son être ce qu'il ne faut
;
l)lls entendre de l'être qui est l'acte de l'essence;
car nulle créa-
«l'cne peut se changer en Dieu, mais de l'être qui est l'acte de
'^'postase ou de la personne, à l'union de laquelle la nature
HEVUE T1I0MISTE.
— 4° ANNÉE.
— 32.
-478 REVUE THOMISTE
ce
créée a été élevée : tel est le dernier mode suivant lequel ])je,.
ce
est dans le Christ par une union hypostalique.
Considérée du côté de Dieu, la diversité des modes d''unj011
ce
ce
n'est point réelle, mais seulement rationnelle ; elle provient de ce
ce que l'on distingue en Dieu l'essence, la puissance et l'opération
ce
Or l'essence divine, étant absolue et indépendante de toute eréa-
cc
fure, ne se trouve dans les êtres créés que parce qu'elle les rap-
cc
proche d'elle-même par son opération; et en tant qu'elle opère
ce
clans les choses, elle est en elles par présence, car il faut que
ce
l'agent soit présent de quelque manière à son oeuvre; et parce
ce que l'opération divine ne. se sépare pas de la vertu active d'où
ce
elle émane, on dit que Dieu est dans les choses par sa puissance;
ce
enfin, comme la vertu ou la puissance de Dieu est identique à
ce son essence, il en résulte que Dieu est dans les choses par son
ce essence (1). »
Tels sont, d'après saint Thomas, les trois modes de présence
substantielle que Dieu peut avoir dans une créature, les trois
sortes de rapprochement et d'union qui peuvent exister entre le
Créateur et l'oeuvre de ses mains. Du côté de Dieu, union avec ht
créature, avec toute créature, à titre d'agent, pour la conserverai
la mouvoir à ses différents actes;.union avec la créature raison-
nable et sainte comme objet de sa connaissance et de son amour : enlin
union avec la nature humaine par assomption de cette nature ti-
son élévation jusqu'à la personnalité divine pour constituer ce com-
posé admirable que nous appelons l'Homme-Dieu. Du côté de la
créature, union avec Dieu^oer simple similitude, c'est-à-dire par
les dons créés qui lui ont été départis comme autant de partici-
pations et d'imitations analogiques de la divine bonté; union pur
l'opération, c'est-à-dire par les actes de l'intelligence et de lu
subsiste par la subsistance même du Verbe qui lui a été connu 11'
niquée.
(l) S. TH., lib. 1, Sent., dis!. 37, e[. i, a. 2.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 479
question clairement posée, et dont tous les termes ont été bien
élucidés, esta moitié résolue, reconnaîtra sans peine qu'elles ne
sont ni un hors-d'oeuvre, ni une superfétalion.
VIII
ce
quoi consiste cette union de l'âme juste avec l'Esprit-Saint
ce
saint Thomas semble la réduire à la possession des habitudes
« surnaturelles et à la production des actes qui résultent de ces
ee
habitudes. D'après lui, en effet, Dieu serait clans l'âme sainte
ee
d'une manière particulière, entant qu'il est mieux connu et mieux
ce
aimé par elle. Mais borner là l'union du Saint-Esprit avec l'âme
ee
juste, c'est dire précisément que le Saint-Esprit n'est uni à cette
ce
âme que par ses dons (1) ». Loin de borner l'union du Saint-
Esprit avec l'âme juste à la collation de ses dons, saint Thomas
enseigne, très explicitement que, par la grâce sanctifiante et avec
elle, nous recevons en même temps la personne même du Saint-
Esprit : In ipiso dono gratioe gratum facientis Spiritus sanctus habetur,
et inhabitat hominem. Unde ipsemet Spiritus sanctus datur, et mitti-
tur (2); il va même jusqu'à taxer d'erreur l'opinion contraire : Error
dicentium spiritum sanctum non dari (3). Si, dans l'explication de
cette union, le saint docteur nous dit que Dieu est clans l'âme juste-
comme objet de connaissance et d'amour, ce n'est point assuré-
ment pour exclure, par une inconséquence et un illogisme, inex-
plicables en un tel Docteur, la réalité de l'habitation-divine, puis-
qu'il affirme, au contraire, que la créature raisonnable ornée de la
grâce atteint Dieu considéré en lui-même et commence à jouir de
lui ; mais c'est pour bien préciser le caractère spécial de cette
union, et la discerner nettement de tout autre mode de pré-
sence.
Ainsi, pour qu'il y ait vraiment habitation du Saint-Esprit dans
une âme, il faut, au jugement de saint Thomas, autre chose que
l'action de Dieu produisant ou conservant la grâce; autre chose
que la présence des habitudes surnaturelles et des actes qui en
découlent; autre chose qu'une providence spéciale, si attend^'
qu'on la suppose ; il faut la présence vraie, réelle, substantielle ("'
nous en étions réduit à nos seules lumières ; si, pour pénétrer dans
les profondeurs d'un mystère fort au-dessus de notre portée, nous
ne pouvions compter que sur nos propres ressources, nous aurions
assurément lieu de craindre, en nous rappelant les paroles de
l'Esprit-Saint : Ne vise point à ce qui te dépasse, ne prétends
ce
pas sonder ce qui est au-dessus de tes forces », Altiorate non qua>,-
sieris, etfortiora tenon scrutatusfueris (1); car nous touchons ici à
ce qu'il y a de plus grand, de plus saint, de plus profond clans la
vie intérieure et mystique, nous sommes vraiment au coeur de
l'ordre surnaturel. Mais celui dont nous n'avons fait jusqu'ici que
suivre les enseignements et exposer la doctrine, saint Thomas,
voudra bien, nous l'espérons, nous assister du haut du ciel et nous
obtenir de Dieu les lumières dont nous avons besoin. Comptant.
sur son assistance fraternelle et le secours de son intercession,
nous irons humblement et courageusement de l'avant.
:|) £cc?t'.,
m, 22.
SURABONDANCE DES INDICATIONS
nous transmet des traditions et des écrits qui, sur chaque point,
sont une confirmation inouïe de la Genèse.
Dans le présent travail notre intention est de fortifier la même
thèse en multipliant encore des indications que l'on disait iaire
presque absolument défaut.
Si les efforts tentés jusqu'ici n'ont pas été heureux, c'est que,
l'Inde étant à peu près inconnue, les recherches se faisaient par-
tout ailleurs là
que où il fallait les faire, et que, par surcroît, on
(t) Voir nos Chamiles, — VAurore indienne de la Genèse (la Revue Thomiste-; i»""'
mai, juillet 1896).
SURABONDANCE DES INDICATIONS TOUCHANT LE SITE DE L'ÉDEN 483
LE TEXTE DE LA BIBLE
pas bien le passage biblique dont on. veut mettre à profit les ren-
seignements.
Ch. n, 8. ee Orle Seigneur Dieu avait planté dès le commen-
cement un jardin délicieux dans lequel il mit l'homme qu'il avait
formé.
Le Seigneur Dieu avait aussi produit de la terre toute sorte
9.
arbres beaux à la vue, et suaves au goût; et l'arbre de vie au
•I
milieu du jardin,
avec l'arbre de la science du bien et du mal.
10. Dans
ce lieu de délices, il sortait un fleuve pour arroser le
Paradis, qui de là se divise en quatre canaux.
Il- L'un s'appelle Phisan; et c'est celui qui coule tout autour du
'pays de 'Ilavilah, où il vient de l'or.
12. Et l'or de cette terre est très bon. C'est là aussi
que se trouve
e bdelh'um et la pierre shoham.
SIGNES INDICATEURS.
est
SURABONDANCE DES INDICATIONS TOUCHANT LE SITE DE L'ÉDEN 489
ceau des Chamites (1), non pas ceux des colonies postérieures, le?
Koush de Chaldée, d'Arabie, d'Ethiopie. Or nous avons démontré
que ce Berceau fut aux Indes, dans la sphère où rayonna l'Hindou-
Koush. De ce point furent expédiés de forts essaims, soit dans la
Péninsule, soit au delà. C'est l'ignorance de ce Berceau quia
porté la généralité des écrivains à supposer les Koush et 'Havilah
de l'Eden en de simples fondations homonymes.
Bien d'autres traits exclusivement indiens, comme le nâga et les
produits spéciaux, fixent au reste le même Koush.
2. Population de Koushites. — Quoique inscrivant le Pays de
Koush, la Genèse ne parle pas de sa population de Koushites ; mais
il est évident qu'elle est comprise dans le pays.
L'Inde suppléera : elles montrera en action ces hommes, qui
seront pour elles des Koçalas, population féconde et amie des mi-
grations.
3. Pays de'Havilah ou Khavilak. — Le Pays de Koush étant dé-
terminé, le Pays de Khavilah du v. 7 doit être contigu, puisque l'on
n'accorde que deux districts à l'Eden, que 'Havilah aussi bien que
Koush fait partie du berceau indien, et que les autres indications
l'y montrent. .
Les signes de 'Havilah que donne la Genèse, et que nous allons
aborder, se rapportent à l'Inde du nord avec la dernière clarté ;
mais même sans eux,tout le monde comprendra que,dans la conti-
guïté de l'Hindou-Koush, rien ne saurait mieux répondre au Pays
de Khavilah que le Pays de Kaboul, dont le nom et la situation
s'ajustent exactement.
4. Population de 'IJavilites. Mentionner de 'Havilah
— un pays
c'était, ainsi que pour le pays de Koush, suggérer, même sans la
nommer, sa population de 'Havilites, ou, comme l'on dit ensuite,
de Kabolitse, aujourd'hui Kabuli. Dans leur colonie éthiopienne, ils
(1) Nous parlons des Chamiles, bien que le nom Je Cham n'apparaisse que plus lal' '
qu'ensuite clic
mais la Genèse elle-même les suggère en nommant Koush et 'Havilah,
dira issus de Cham. C'est de la race qu'il s'agit, race brime, que l'on retrouvera entt» 0
livrée à la métallurgie, bien avant que le nom de Cham soit prononcé. Sinon le w°'<
étendue autant que celle des Koçalas, mais elle n'en eut pas moins
importance et célébrité qu'elle garde encore.
mie
11 est beau de
voir les deux cantons édéniques de Koush et 'Havi-
lah avec une ténacité sans exemple, conserver leurs noms depuis
l'époque où fut rédigée la Genèse, et même bien antérieurement,
jusqu'à nos jours.
blage dans les Indes, leur profusion, et pour le très rare bdellium
un tel habitat, étaient faits pour convaincre. Que leur copieux
ensemble soit dans le monde le fait de l'Inde seule est effective,
ment un indice de premier ordre.
L'or se recueillait et se recueille toujours dans presque tous les
cours d'eau du nord-ouest indien et dans les terriers des petits
animaux.
9. Son excellence. —Mais de plus, quand la Genèse vante son
excellence, elle ne cite pas une propriété vaine: cette excellence
est réelle,- et doit être comptée comme une marque nouvelle. On
ne peut s'enfoncer si avant dans le passé qu'on ne trouve cet or en
renom. C'est celui que Hiram et Salomon venaient chercher de
loin, celui que préconisent les poèmes indiens lorsqu'ils vantent
l'or des fourmis, celui dont Darius se faisait payer tous les ans
360 talents de tribut ; et, de nos jours, abondance et qualité n'ont
pas faibli.
10. Les Pierreries. —Nul n'ignore que l'Inde est leur patrie de
choix. Elle le fut de tout temps. En pénétrant par ces vallées cou-
sues d'or, les Aryas les trouvèrent également étincelantes de
pierres précieuses.
11. Le Bdellium. —• C'est la gomme parfumée de Yamyris agal-
lochum, en sanscrit cegunt, ayant pour habitat reconnu parles bota-
nistes les régions nord-ouest indiennes. Il s'y montre en société
avec For et les pierreries, tandis que, ailleurs, on ne l'aperçoit
presque pas,ce qui devient une caractéristique hors ligne du jardin
embaumé (1). Aussi ne craindrons-nous pas de reproduire, ce que
dit autre part (2) sur un indice dont Jes auteurs parle"'
nous avons
à peine, et sur ses titres exclusivement indiens dont ils ne parle' 1'
pas du tout.
(1) La désignation des trois produits l'ail, sentir que ces notions viennent dirccle|'
de l'Inde, et que dès les âges qui précédèrent la rédaction delà Genèse, l'Inde aval
commerce d'exportation qui les avait l'ait connaître.
(2) Aurore ind., p. (i'ô.
SURABONDANCE DES INDICATIONS TOUCHANT LE SITE DE l/ÉDEN 49O
sJwkam. C'est elle qui désigne Çiva dans Seba, — le nâga, d'après
la « morsure » venimeuse, — elle qui, lorsque viendra l'épisode
de Lomech et Tubal-Caïn voudra que Çillah soit « la brune » et
sa fille NaamaA « la suave ».
Cette circonstance mise à l'écart n'est-elle pas cependant capi-
tale pour conférer les faits au pays qui les a revêtus de sa
langue ?
avec la pre-
°Hre. sur tous les points concordance manifeste
une
mière. Entre les deux séries il n'y a pas double emploi, puisque
il première
repose uniquement sur la Bible, qui se justifie par
cllc-même, tandis
que la seconde a une origine totalement dif-
fo'ente.
502 REVUE THOMISTE
)Jlahà-Bli.,
>
au Sabha-parva.
506 REVUE THOMISTE
(1) Ces rivières, la Cita, l'Alakanandâ, la Ghakhsu et la Bhadrâ, portent des >101""
sanscrits, qui attestent que les Aryas ont modifié les noms antérieurs.
.SURABONDANCE DES INDICATIONS TOUCHANT LE SITE DE L'ÉDEN 507
111.
— Signes indicateurs par extension de ceux de l'Eden.
Outre les signes que l'on tire de l'Eden lui-môme, il en est que
0llj>eul lui rapporter indirectement,
parce qu'ils sont compris en
s '«lits ou événements qui, reposant
sur les données édéniques,
Mcil»oii| les corroborer.
MSVUE THOMISTE.
— 4e ANNÉE. 34.
510 REVUE THOMISTE
met.
SURABONDANCE DES INDICATIONS TOUCHANT LE SITE DE L'ÉDIÎN 511
que l'étain et le plomb, et par les mêmes hommes. C'est de lui que
l'étain reçut la seconde dénomination de Kas-tîra « alliage du
Kansa ».
Lestrois métaux ne sauraient être plus à portée de l'Eden, et
mieux renseigner sur son emplacement.
RESUME
bdellium. Id.
Signification de 'Havilah « ibis, Signification de Krauncha « cour-
lotus ». lis ».
Le pays est en conséquence,
région d'échassiers, Id.
de lotus, Id.
d'eaux, Id.
de montagnes, Id.
à climat tempéré, Id.
fertile et beau. Id.
Contiguïté de Kush et 'Havilah. Ici. de Kuça et Krauncha.
Fleuve qui coule, Id.
puis se divise en 4 rameaux. Id.
Entourage complet de chaque
district par les eaux. Id. •
L'EDPHRATE ET LE TIGRE
On
nous reprocherait de ne point parler de PEuphrate et du
Jigre généralement gratifiés d'un rôle qui dépasse le leur. Si nous
avons été bref à ce sujet c'est que nous avons cru devoir l'être.
^°us en donnerons les motifs.
Notre travail sur le Site de l'Eden (1) procède d'après les indi-
cations bibliques que nous venons de reprendre en abrégé. Notre
^lébroniable conviction est que, par ces indices, soutenus deiceux
!
des Indes, l'Inde est. désignée. Ce fait n'a pas encore été expres_
sèment reconnu parce que, autant l'Inde et ses écrits étaient
ignorés,autant l'étaient, à plusieurs points de vue, les éléments quP
la Bible présentait, comme signes. Une fois hors du vrai terrain
on ne pouvait qu'errer à l'aventure.
Lit-on les Commentaires sur le Jardin de délices, on s'aperçoit
avec peine qu'ils se méprennent sur presque tous les points, ou
-
tance que nous avons dite, tandis que de tout autres rivière
baignent la Susiane. Absence des éponymes de Koush et '"'''
—
vilah. — Absence des trois' notables produits, du bel or q" 1
J|t
Notre bulletin devra commencer, hélas! cette fois encore, par l'annonce
•d'une grande perte que l'archéologie chrétienne vient de faire par la mort
de M. Mariano Armellini, l'un des principaux disciples romains de M. J.-
B. de Rossi. Enlevé à ses études scientifiques à l'âge de quarante-quatre
ans seulement, il a suivi son maître dans l'éternité le 24 février de cette
année. Plus qu'aucun autre, Armellini contribua à vulgariser à Rome
même les résultats des recherches archéologiques. Professeur d'archéolo-
gie chrétienne aux deux collèges de Saint-Apollinaire et de la Propagande.,
il vit réuni autour de sa chaire un nombreux auditoire déjeunes clercs de
ces instituts théologiques. La plupart de ses publications nombreuses
eurent également comme but principal de faire connaître au grand public
lettré les découvertes faites dans les catacombes de.Rome et d'Italie, les
progrès réalisés sur le terrain de l'étude des monuments chrétiens de l'an-
tiquité (1). Animé d'une foi inébranlable, d'une piété profonde, il sut don-
ner à ses 'cours le charme de cet enthousiasme qui- révèle une âme rem-
plie d'amour et de vénération pour notre sainte Eglise catholique. Vivas
inDeo!
*
* *•
Gomme nous l'avons annoncé dans notre dernier bulletin (2), la publica-
tion périodique rédigée par M. J.-B. de Rossi a été remplacée parleNuovo
Bidlettinodi archeologia cristiana (3), Les quatre premiers fascicules, for-
mant le premier volume, ont paru dans le courant de l'année 1895. Ajirès
mie courte préface, dans laquelle sont développés les principes qui dirigè-
rent la rédaction du nouveau périodique, nous y trouvons une série d'ar-
ticles, dont les auteurs eux-mêmes sont la meilleure garantie de l'esprit
(1) Voici les litres de ses principaux ouvrages sur l'archéologie chrétienne : Scoperta
*' ungrqffito storico nel cimitero di Prefestalo sulla via Appia. Roma, 1874. Scoperta délia
—
*' 'pta di Sant' Emerenziana e di una memoria relativa alla cattedra di San Pietro nel cimi—
(1) Giornale degli Scavicseguiti dalla pont. Commissïone di sacra archeologia nelle Cata-
combe romane, p. 8-10.
(2) Scopertenel cimitero diSan ErmeU, p. 11-16.
(3) V. Revue Thomiste, vol. III, p. 3S7.
(4) V. DE Rossi, Inscr. christianae urbis Romae, I, p. 23, N. 26.
(5) Nuove Usservazioni sulla iscrizione di Abercio, p, 17-41.
BULLETIN A11C1IÉ0L0GIQUI5 521
romaine, et qu'il avait été donné déjà à la communauté chrétienne par les
filles de Pudens, contemporain des apôtres, Pudentienne et Praxède:
n
croit même que le palais aurait servi de résidence à l'évoque'de Rome
qu'il aurait été le Patriarchium de l'Eglise romaine jusqu'à l'époque du
pape Miltiade. Ceci est encore une hypothèse, pour laquelle, en tout cas
l'auteur aurait dû donner des preuves autres que quelques allusions à des
légendes de -basse époque. — Parmi les nombreux écrits sur papyrus
trouvés à Fayoûm en Egypte dans le courant des dernières années on a
reconnu deux petits documents fort intéressants : ce sont deux certificats
délivrés à des chrétiens pendant la persécution de Dèce, par lesquels les
magistrats confirment que ces chrétiens ont obéi aux édits de l'empereur
et ont offert les sacrifices aux dieux. L'un de ces lïbèïti se trouve au musée
de Berlin et fut publié d'abord par M.Krebs (Sitzungsberichte der Je.preitss.
Académie der Wissenschqften, 1893, p. 1007) ; l'autre fait partie de là collec-
tion des papyrus de l'archiduc Rainer, et nous en devons la connaissance
à M. Wessely [Sitzungsber. dm- k. Académie der Wissensch. de Vienne, 1891.
p. 3). M. Franchi Se' Gavalieri fait une étude comparative de ces deux
documents (1). Il relève les particularités sur la persécution de Dèce qui
en résultent et compare le texte avec certaines expressions employées par
saint Cyprien quand il parle de ces libelli et êtes libellalici, des apostats qui;
les avaient, obtenus. — M. Enrico Stevenson publie un mémoire important
sur la topographie des sanctuaires qui existaient autrefois dans la cata-
combe de Saints-Cyriaque et autour de la basilique de saint Laurent,
enterré clans cette nécixqjole (2). Malheureuseihent cette catacombe a été
plus exposée à des dévastations qu'aucune autre. Le grand cimetière
moderne de Rome est établi sur la colline, dans laquelle furent ouvertes
les galeries de la catacombe. Par les travaux continuels dans le cimetière,
des parties entières de celle-ci ont été détruites et rendues inaccessibles.
Parmi ces monuments perdus pour toujours il y a une crypte souterraine
creusée dans le rocher, qui se trouvait à une certaine distance derrière ht
basilique de Saint-Laurent près du portique central du cimetière. Une
partie en était déjà détruite lorsque M. Stevenson survint et put prendre
encore quelques notes sur ce monument. Il découvrit sur les parois des
graffiti, inscriptions tracées à la pointe sur les parois des sanctuaires pnr
les pieux pèlerins. Les textes « vivas in Christo, vivat in Bao », mais sur-.
tout la formule chrétienne classique « (Ar) senium in mente (h) ak'l('):
adressée directement aux martyrs vénérés pour implorer leur suffrage en
faveur d'Arsénius prouvaient d'une manière certaine que, dans la cryp'c
...(.gques dont elle est décorée (1). La crypte fait partie de tout un hypogée
...(.s
ancien de cette nécropole illustre et doit être rangée maintenant parmi'
|,,s monuments classiques de l'antiquité chrétienne. Une vaste salle voûtée
d'une longueur de 13m7i et d'une largeur de 3m72,dans laquelle on descen-
iail îjar un escalier large et commode, est entourée de six cryptes, aux-
quelles elle sert de vestibule. L'une des chambres souterraines n'est autre
chose.qu'un ancien réservoir d'eau [piscina), changé en chapelle sépul-
crale: celle qui est située vis-à-vis fut ajoutée plus tard, dans le courant
du ni" siècle. Les autres sont toutes de la même époque que le vestibule,
(.(sl-à-dire du commencement du 11e siècle. Tout l'hypogée était des-
liiié à la sépulture des fidèles; mais les plus grandes parmi les cha-
pelles servaient, en outre, aux réunions liturgiques au moment de l'enter-
rniitmt et aux jours de l'anniversaire. Dans ces occasions, le/peuple occu-
pait, le vestibule, assez grand pour contenir une assemblée relativement
nombreuse, le clergé se trouvait clans une des chapelles latérales. Tout le
souterrain avait été richement décoré de peintures,el d'ornements en stuc;
mais, à l'exception d'une seule, chapelle, on ne voit plus que quelques
restes de cette décoration primitive, parmi lesquels l'auteur a reconnu une
ligure du Bon Pasteur. Par bonheur, la plus grande des chapelles'est dans
nom qui lui fut.donné par les fossoyeurs modernes à cause de deux épi- -
laplies. grecques peintes en rouge sur l'une des parois. Elle forme un
espace oblong un peu irrégulier, d'une longueur de 6m98 sur 2m24 de lar-
geur. Un arc, allant d'un mur à l'autre, la divise en deux parties presque
égales en longueur. Le côté situé, vers la porte d'entrée est recouvert
il
une voûte en plein cintre; un banc en maçonnerie est adossé au bas du
• mur à gauche. Dans la partie postérieure, qui constitue le choeur, on voit,
MUS le fond et des deux côtés, trois nichés, dont l'une également, couverte
''une voûte en plein cintre, tandis
que les deux autres ont la forme
''"lisicl-Ds. La voûte de
ce côté de la chapelle est: percée d'un luminaire en
'ei'ine de fer à cheval.
t.e dessous de trois
arcs est. décoré de rinceaux en stuc de forme clas-
'Sll|ue. Toute la charnelle, à l'exception de la niche à gauche dans le fond,
leur profite de l'occasion qui se présente pour publier quelques autres mo-
numents qui se rapportent à la sainte eucharistie et les inscriptions les plus
importantes qui sont conservées dans tout l'hypogée. La dernière partie
de son ouvrage est dédiée à l'inscription d'Abercius, sur laquelle nous
reviendrons (1).
M. Or. Marucchi avoué depuis plusieurs années un intérêt particulierau
cimetière romain « ad Gatacimibas » plus connu sous le nom qu'il reçut plus
tard de Saint Sebastien, près de la basilique du même nom sur la voie
Appienne. Dans un petit volume il décrit l'ensemble des monuments chré-
tiens qui sont conservés dans les différentes parties du souterrain (2). Dans
cet ouvrage, M. Marucchi se prononce également dans la grande contro-
verse qui fut soulevée parmi les archéologues par les découvertes de Mgr
de Waal, dont nous avons parlé dans notre dernier bulletin (3). Il s'agit de
savoir si la grande chambre voûtée souterraine près de Saint-Sébastien,
connue sous le nom de Platonia, avait servi de tombeau temporaire aux
corps des Apôtres saint Pierre et saint Paul, ou bien si l'endroit où les
dépouilles mortelles des princes des Apôtres furent déposées pendant un
certain temps devait être cherché vers le milieu de la basilique elle-
même (4). La question est d'une importance fondamentale pour l'histoire
d'un des monuments les plus intéressants de la Rome chrétienne antique.
M. Marucchi soutient l'opinion ancienne et cherche à démontrer que
l'hypogée qui se trouve au centre de la Platonia avait servi d'abord
comme tombeau des Apôtres et que plus tard le corps de saint Quirinus,
transporté de la Pannonie à Rome lors de l'invasion des barbares dans
cette province, fut déposé dans le même caveau (5). L'opinion de Mgr de
Waal, qui reconnaît dans la Platonia le mausolée de saint Quirinus et
cherche l'emplacement du tombeau apostolique dans l'enceinte delà basi-
lique elle-même, est partagée par plusieurs savants, parmi lesquels nous
citons M. l'abbé Buchesne (6) et M. Bedos(l). Le P. H. Grisar, S. J., dans
(1) Signalons ici l'étude de M. II. Siooboda, prof, à l'Université de Vienne, sur les
cl."iuiiis liturgiques fournis par la peinture nouvellement découverte
: « Ueber den litur-
gischen Ertrag von Wilperts nouen Katakombenfunden » dans Jakrbuch der Leo-
Gesdlschafl fur das laJir 189b', Vienne en Autriche, 1893, p. 7G-S2.
(2) Descrizione délie catacombe di San Sebastiano, Roma, tip. délia « Vera
Roma », 1895.
(3) llevue Thomiste, III,
p. 402, s.
(4) Mgr de Waal, pour répondre à quelques objections, a relevé de nouveau plusieurs
détails exposés dans son volume sur le tombeau apostolique : Die Platonia ad Catacumbas,
cli"»s la lïoemische Qnarlalschrifl, IX (1895),
p. 111-117.
(5) V. aussi le compte rendu des séances des
« Cultori di archeologia cristiana » dans
'« Kuovo Bulleitino, I (180:5),
p. 169-170.
(!>) Bulletin critique,
1894, p. 13 ss.
v) Revue des Questions historiques, lS9o, I, p. (loti.
528 REVUE THOMISTE
un de ses savants articles de la Giviltà cattolica (1), expose très bien l'état de
la question et énumère les difficultés qui s'opposent encore à l'acceptation
complète des conclusions de Mgr de Waal. Le même savant a publié un
document important sur la question : c'est un acte de. 1521, dans lequel on
énumère les reliques et autres objets sacrés et: les indulgences de la basi-
lique de Saint-Sébastien (2). Dans ce document nous trouvons.les deux
traditions mentionnées Tune à côté de l'autre.
Il est naturellement impossible de les concilier ensemble, et l'auteur
prouve par des arguments décisifs que la tradition qui place le tombeau
apostolique au centre de l'église de Saint-Sébastien mérite plus de crédit
que l'autre; qu'elle repose sur des souvenirs locaux plus anciens que la
tradition opposée qui milite en faveur de la Platonia. Nous espérons que
la participation d'un si grand nombre de savants à la controverse et.sur-
tout, la continuation des fouilles finiront par résoudre définitivement la
question.
A Syracuse, M. P. Orsi a continué les fouilles dans les -nécropoles'chré-
tiennes et il a donné plusieurs comptes rendus de ses découvertes. 11 a
reconnu deux groupes de catacombes situées au pied sud des collines au-
dessus du faubourg Santa-Lucia : un groupe oriental, composé de petits
hypogées indépendants l'un .de l'autre, et un autre groupé à l'ouest, qui
comprend les trois grandes catacombes de San Giovanni, Cassia e Santa
Lucia. Entre ces deux groupes, M.. Orsi a découvert une petite catacombe
à peu près intacte dans la .propriété Aclorno' Avolio. Cette catacombe du
plus haut intérêt est décrite avec toutes ses particularités, par l'auteur (.'!)
qui a donné à l'hypogée le nom d'un professeur de Munich, M. Fùhrer.
' lequel s'occupe également d'études .topographiques sur les cimetières de
Syracuse. L'entrée de l'hypogée se trouve dans le bas d'un rocher sur
une espèce de carrefour, duquel on pénétrait élans d'autres petits cime-
tières encore. La catacombe se compose d'une seule galerie, longue de
13 m. 80, tandis que la largeur varie entre 0 m. 90 et 1 in. 35; le niveau
du sol s'incline assez sensiblement vers le bas. Il y a, en tout, 93 tombeaux
qui contenaient 113 -squelettes. Les tombes sont de trois espèces diffé-
rentes : dans la partie près de la porte, il ya cinq arcosolia très profonds,
qui contiennent à eux seuls 18 sépultures ; la seconde partie montre l»
.
beaux sont tous fermés avec de grandes briques ; pour empêcher les
miasmes produits parla décomposition des cadavres de remplir la galerie,
on avait placé sur les couvercles des sarcophages creusés dans le fond des
arcosolia une couche de chaux vive : exemple unique de ce procédé. Quel-
ques inscriptions seulement ont été recueillies; elles se trouvaient atta-
chées contre la paroi de l'arc au-dessus des briques qui recouvrent les
sarcophages. L'une d'elles mentionne un npsï[/.cç or/,ôvop.oç sans autre indi-
cation de quoi ce Primus était administrateur. Par contre, on a trouvé plu-
sieurs lampes placées sur les tombeaux et un grand nombre d'objets,
parmi lesquels des amulettes, qu'on avait enterrés avec les corps. Une
monnaie de l'empereur Constance (mort en 361) et une autre de son père
Constantin le Grand trouvées dans l'intérieur de tombeaux permettent de
fixer la date approximative de l'hypogée entre les années 330 et 370. Il n'y
a dans la catacombe. aucun signe certain cle la foi chrétienne ni non plus
de paganisme. Une lampe en terre cuite qu'on y a trouvée montre une
image obscène. La catacombe peut avoir appartenu, pense M. Orsi, à une
secte chrétienne, encore fortement engagée dans des superstitions païen-
nes. Les fouilles exécutées dans la grande catacombe de Saint-Jean (San
Giovanni) pendant les mois de janvier et de juin 189-i ont fourni un très
grand nombre d'épitaphes, dont plusieurs de valeur (1). M. Orsi fait pré-
céder la publication des textes épigraphiques de quelques notices histo-
riques sur le cimetière. Celui-ci servit de lieu de sépulture régulière à
1
(1) OHSI, P.,Nuove esplorazioni nelle catacombe di S. Giovanni nel 1894 in Siracusa,
(Notizie degli Scavi, décembre 189a). Roma, tip. dei Lincei.
(2) Revue Thomiste, III,
p. 403.
530 REVUE THOMISTE
(1) Onsi, P., Insigne epigrafe del cimitero di San Giovanniin Siracusa ; danslacx ROmiscno
Quarlalschrift, IX (1895), p. 299-30S.
,
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE .531
(1) « Die alte Pelorskircbe zu Boni und.ibre friibesten Ansicbten dans la '""'.
»
Quartalschrift, 1895, p. 237-298, — Voir.aussi du même auteur « La basilica valic:"18 '_
:
..''.-
\ij Forma urbis Bomm. Oonsilio el: auctoritate r. academia; LyncEcorum i'ormam
''"iicnsus est et ad modum 1 1000 delineavit Runowiius LANCIANI Romanus. Medio-
:
lim'. 1-loepli,
depuis 1893.
) ÏÏtude la « Peregrinatio Silviai ». Les églhes de Jérusalem. La discipline et la lilur-
sur
î'c. n.,, iv» «èc'e. Paris, Oudin, 189:i.
'v') Saint-Etienneet son sanctuaire à Jérusalem, par le P. MARIE-JOSEPH LAGHANGE, des
0I'es Prêcheurs. Avec uno.introduction du P. M.-Jos. Oi.uviEn. Paris, Picard, 1.894.
534 REVUE THOMISTE
Quelques personnes ont été émues par deux articles jjubliés récemment
lins les Eludes religieuses au sujet du livre du R. P. Dummermuth. .Les
licologiens au courant de cette controverse avaient distingé du premier
ciip
la tactique des adversaires. Laisser de côté la question de fond sur la-
jiielle le R. P. Dummermuth se montrait inattaquable sans doute, et cher-
c contenait que la critique des 10 premières pages sur 430 que contient
: volume.
Et il
se trouve-que cette critique est encore plus courte de fond que de
'une. C'est ce (jue démontre le R. P. Bisschop en une brochure de
S
pages parue aux bureaux de la Revue. Thomiste. Le R. P. Dummer-
ll!ili
a cru de sa dignité de ne pas répondre à clés attaques malveillantes
cslun de ses élèves devenu son collègue qui s'est chargé de relever le '
d"i. Le R. P. Bisschop suit
pas à pas l'article des Etudes et oppose à
«cime des allégations du P. Frins les faits, les documents, les argu-
ais qui les démentent. Nous convions les théologiens sérieux et capa-
K île recourir
aux sources à comparer avec celles-ci et entre elles les
1K versions. Voici l'on
un cas où peut se rendre compte de quel côté est
"siou sinon le parti pris. Le débat est concentré
sur 10 pages de texte.
611 ue plus facile que de faire la comparaison.
,elte comparaison,
nous l'avons faite pour plusieurs textes et nous ne.
5Slo»s pas
au plaisir d'indiquer une vérification facile. L'auteur de
tle des Etudes avait réservé
t
pour le bouquet final un passage du
•tt'iiza crue le P. Dummermuth avait, disait-il, tronqué. Et l'on voyait,
el s étaler
en deux colonnes le texte original et le texte cité par le
' """nermuth. Le P. Frins s'écriait: Et voilà
comment un éloge de
,l Peut être transformé
en un panégyrique de ses adversaires ?
536 REVUE THOMISTE
à nos lecteurs : c'est un beau livre et une bonne action. C'est un »"^
livre, parce qu'il a été écrit avec une. connaissance parfaite du sujet, nu11-
âme, avec le talent et l'art d'un écrivain de marque. C'est un bon In"'
parce qu'en montrant nettement l'erreur et disant ce qu'il faut pour q"'
s'en détourne, il n'inspire point la haine de ceux qui ont le malheur ci'' '
partager, mais au contraire fait clairement comprendre que par"11 cl
s'en trouve qui méritent, non pas seulement la commisération, niais Je '
pect, l'estime et une religieuse sympathie. L'on demande souvent : «''
(1) On remarquera, a. la fin de ce travail, une courte mais substanlielle r'':P'"'"0,'. ,,!„.•
tiele du R. P. Brucker, dans les Eludes, au sujet de la lettre de saint Ignace « ;
de Furno. Le caractère étrangement bypotbélique de cet écrit est bien mis en
par l'autour, malgré la brièveté de la réponse, il est inutile qu'on y revienne
N. D. 1" K'
XOTES JHBLIOGRAPHIQUES 337
i xister des protestants, surtout des ministres, qui soient de bonne foi »?
Hn'on lise Ie l'écit, tout ensemble si doctrinal et si dramatique, que nous
unie M. de Pressensé de la conversion de Newman et de Manning, et
I
l'un verra comment: deux hommes de grand savoir, deux théologiens, dont
lun même était une intelligence de premier ordre, ont pendant de nom-
in.riises années adhéré à l'erreur et en furent les apôtres convaincus, jus-
iii!"au joui* où justement les études plus approfondies auxquelles ils se
idimne disait plus énergiquement encore Manning, qui devait être la con-
ililion et le prix de leur retour à la véritable Eglise.
M. Francis de Pressensé fait précéder son livre d'une longue préface
102 p.) qui, comme intérêt, ne le cède en rien au livre lui-même. Ajjrès
!
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 339
plus convaincu que le schisme du xvie siècle a été voulu de Dieu et a res-
tauré des vérités oubliées ou effacées par le catholicisme, s'interroge sur
la solidité d'une Église qui repose sur la justification par la foi et sur l'ins-
piration et l'autorité des Écritures, et qui voit ces deux fondements battus
en
brèche avec les armes mêmes dont elle pensait se servir pour leur
défense?» 11 esc bien naturel aussi que, dans un tel état d'âme, l'on regarde
autour de soi pour faire des comparaisons, et que l'on se demande « si le
surnaturel chrétien n'est pas autrement en sûreté dans une Église qui
professe être en possession de la plénitude des moyens de grâce, dans une
société religieuse sur laquelle les siècles ont passé et qui revendique ou
qui offre dans la succession apostolique, dans la primauté du siège de
Pierre, dans toute son organisation hiérarchique, dans toutes les réalités
objectives de son culte, la triple garantie de l'unité, de l'autorité et de la
perpétuité. »
Est-ce orgueil, que de raisonner de la sorte ? Non, car « c'est avouer
que, sans les appuis et les secours de la tradition et de l'autorité, on sent
fléchir sa foi, que le dogme ne saurait s'obscurcir à vos yreux, sans que la
grâce n'en soit atteinte, que les résultats de la théologie moderne ou 'de
l'exercice sans restriction de la faculté critique et du libre examen, s'ils ne
Irouvent un correctif et un contrepoids nécessaires, ébranlent clans votre
âme jusqu'aux fondements de l'oeuvre de la rédemption ». — Est-ce que,
en portant de pareils jugements, un croyant outrepasse ses droits ?'. Ce ne
serait pas, en tout cas, aux partisans du libre examen à en faire le
reproche ? Si la Réforme a pu légitimement remonter le cours des âges
ce
veront un égal intérêt et un égal profit... Que fera l'auteur de ces forles
et nobles pages ? Suivra-t-il jusqu'au bout ces deux grands hommes,
Newman et Manning, dont il a si bien compris l'âme et raconté le
triomphe? Cela demeure le secret de sa conscience, et Je secret de Dieu.
Mais s'il vient à nous, personne du moins ne pourra l'accuser d'agir en
aA'eugle, et à la légère. L'on ne'pourra pas même lui reprocher d'avoir
oublié ou méconnu un nom, des traditions et des souvenirs qui doivent: êlre
sacrés à son coeur de fils, car il n'aurait, pour se justifier, qu'à répondre
par cette seule phrase, aussi profonde que délicate, que je lis encore dans
son livre : Ne se peut-il faire parfois que ce soit pour être fidèle à l'es-
ce
prit, aux leçons, aux principes de ceux à qui l'on doit la connaissance du
salut que l'on se sente tenté de se montrer infidèle à leur doctrine ? »
Pr. M.-TJI. COCONNIEH.
Le code civil commenté à l'usage du clergé dans ses rapports avec ho i/téolof/it
morale el les questions sociales, pur le chanoine AI.LKI'HK, ancien avocat,
docteur en théologie et en droit canon. Cinquième édition, 2 vol. in-l-:
1er, p. xxin-700 ; II0,. p. (MO-xxxiu.
,|(;s lois
sur les fabriques et le droit d'accroissement ; 2° que ce commen-
uiire. bien que s'adressant principalement au clergé, a sa place marquée
dans la bibliothèque des hommes de loi catholiques. Il n'est pas en effet la
simple explication du Code, mais une sorte d'étude comparée de notre
législation avec le droit canonique et la théologie morale. Or, tout homme
de loi catholique doit connaître les règles essentielles du Droit de l'Eglise
dans les matières où elles sont en relations avec le Droit civil, ainsi que
les solutions données par la théologie morale aux questions de conscience
que soulèvent nombre de ses articles. — Une seule remarque, qui ne vise
du reste nullement à rabaisser le mérite de l'ouvrage : on eût été heureux
de voir M. le chanoine Allègre citer plus souvent saint Thomas, et il l'eût
cité parfois avec avantage, comme par exemple à propos du salaire, t. II.
p. 579 et suivantes.
'"'ani que le fond même du récit donnent à cette lecture un charme qui
''oui à l'autre ne se dément pas.
1111
REVUE NÉO-SCOLASTIQUE
AOÛT 1896
REVUE PHILOSOPHIQUE
JUILIJÏT 1896
AOÛT 1896
G. Dumas. •—
Recherches expérimentales sur la joie et la tristesse. ~"~
III. Conclusions.
SOMMAIRES BES REVUES 343
La Méthode.
15.Gibson. — La ce géométrie » de Descartes au point de vue de sa
Méthode.
J. Berthet. — La Méthode de Descartes avant le Discours.
La Métaphysique.
P. i\atorp. — Le développement de la pensée de Descartes depuis les
ce
Régulas » jusqu'aux ce Méditations. »
A. Mannequin. — La preuve ontologique cartésienne défendue contre'
Leibniz.
11. Schwarz.
— Les recherches de Descartes sur la connaissance du
inonde extérieur.
La Physique.
P. Tannery. Descartes physicien.
—•
IX J. Korteweg. Descartes Snellius, d'après quelques documents
— et
nouveaux.
La Morale.
Boutroux.
'".. Du rapport de la morale à la science dans la philosophie
—
de Descartes.
'• 'irochard.. •— Le traité des Passions de Descartes et l'Éthique de Spi-
Cl-
noza.
Variétés.
Uinson. —L'influence de la philosophie cartésienne sur la littérature
française.
J'Jondel. Le christianisme de Descartes.
• —
Jocco. Descartes jugé par Yico.
•
•—
''•Adam. Correspondance de Descartes (autographes et copies ma-
—
nuscrites.)
544 REVUE THOMISTE
15 AOÛT 1890
LE GIUIANT : P. SERTILLANGES.
L'AIUS IMI'IUMEIUE I". LEVÉ, RUE CASSETTE, 17
—
REVUE THOMISTE
(i) Ji»n.™
q IXVI] avt 2) ad d>
550 REVUE THOMISTE
Mais avant, de dire ce que l'Etat peut fait en cet ordre de choses
disons ce qu'il ne peut pas faire. Ce qui dépasse son pouvoir, c'est
de décréter ou de faire décréter par voie d'autorité, arbitrairement
et souverainement, quel salaire est dû par le patron en échange d'un
travail déterminé. Le'patron, en effet, comme tel, n'est lié envers
son ouvrier que par la justice commutative; or, le salaire de la
justice commutative a pour constitutif, pour mesure intrinsèque,
l'égalité rei ad rem, l'égalité de valeur entre le travail et sa rému-
nération. Cette égalité aucune puissance au monde ne la .saurait
créer directement. Elle est ou elle n'est pas : les pouvoirs publics
peuvent tout au plus en constater l'existence, en fixer les incer-
titudes, la sanctionner, lui donner force de loi; mais le seul
moyen de la faire être, c'est d'agir sur les deux termes de la rela-
tion; le seul moyen, disons-nous, de faire qu'un salaire fixé égale
la valeur du travail, c'est, en même temps qu'on fixe le salaire, de
donner au travail une valeur, une utilité correspondante. Et il est
clair que cette utilité du travail d'où lui vient sa valeur, ne se
commande pas directement, elle découle de la nature des choses.
Quant au droit conféré par la justice distributive, et dont nous
nous occupons à formuler la théorie, il est relatif, non au patron,
comme tel, ni à tout autre particulier, mais il se réfère à la com-
munauté entière ; et si, secondairement, il regarde les individus,
c'est comme membres de la société. Par conséquent, lorsque le
patron a soldé le juste salaire basé sur la valeur du travail exécuté
à son profit, ou sur le contrat validement intervenu entre lui et
-,
l'ouvrier, il ne doit plus rien à celui-ci au nom de la justice,
hormis ce que lui doivent les autres membres de la société, ses
égaux et ses pairs. Si l'Etat s'avisait de le contraindre de faire
plus, par exemple de lui imposer le payement d'un salaire supé-
rieur à la valeur du travail, il violerait à son détriment pour Ie
moins la. justice distributive.
Donc le patron, comme tel, n'a pas à se préoccuperde ce que nous
appelons le juste salaire de la justice distributive; du moins il n"
à s'en préoccuper qu'autant qu'il coïncide avec le juste salaire de
THÉORIE DU JUSTE SALAIRE 559
Après avoir usé de son influence, pour amener par une sage
économie le juste salaire de la justice commutative à la mesure
que réclame la justice distributive, l'Etat a, absolument parlant,
le droit d'intervenir pour rechercher quel est ce juste salaire, et
protéger soit le travailleur contre ce qu'on, est convenu d'appeler
l'exploitation, soit le patron contre des exigences injustes et rui-
neuses. Nous n'avons pas à discuter l'opportunité de cette inter-
vention, ni à rechercher sous quelle forme elle doit se produire de
préférence, directement ou indirectement, par des fonctionnaires
ou par des arbitres compétents, etc. Ce sont des questions subsi-
diaires, dont nous sommes loin de méconnaître l'importance en
'conomie et en politique, mais qui ne touchent pas au droit
absolu de l'État en cette matière. Il peut, nous n'en douions pas,
fournir au travailleur les moyens de connaître et d'exiger le
salaire intégral qui répond à l'utilité et à la valeur vraie de son
h'avail, et au patron les moyens de ne payer que ce juste salaire.
Quels sont pratique moyens? De quelles précautions l'inter-
en ces
vention de l'Etat doit-elle s'entourer pour n'être ni tyrannique ni
hacassiêre, pour ne pas nuire aux intérêts qu'elle prétend clé-
560 REVUE THOMISTE
Nous avons dit que c'est le minimum des droits inhérents à tout
individu humain au regard de la justice distributive, de celte
espèce de justice dont le devoir incombe spécialement à l'État.
Or, deux voies peuvent conduire à la réalisation de ce but. en
faveur du travailleur : l'une consiste à lui assurer un salaire suffi.
sant par lui seul, indépendamment de toute ressource étrangère
l'autre, à lui ménager d'autres moyens de subsistance, à le rendre
propriétaire soit à titre individuel, soit à titre collectif. L'État
dans le premier cas, porte sa sollicitude sur le salaire même, et
veille à ce qu'il ne reste pas au-dessous des besoins de l'ouvrier;
dans le second cas, il ne fait que le rendre moins nécessaire, en
pourvoyant l'ouvrier par ailleurs, en lui préparant un fond de
réserve pour les nécessités éventuelles, chômage forcé, baisse des
salaires, maladie, vieillesse, augmentation anormale de la
famille, etc. Par ce moyen le juste salaire de la justice distri-
butive dont le minimum a pour mesure la nécessiteuse trouve plus
facilement atteint. Il est loisible à l'Etat de prendre l'une ou
l'autre de ces deux voies, et même toutes deux ensemble : tra-
vailler à maintenir les salaires que touche la classe ouvrière, au
niveau suffisant, et en môme temps supprimer, autant que faire se ,
propriété individuelle.
Si l'Etat a le droit absolu d'assurer aux travailleurs nécessilcus
ce que nous avons appelé le minimum de la justice dislribul,ve'
11 est
pas permis sans doute à l'économie de s'affranchir de la jus-
lce. Mais ce que la justice autorise n'est pas pour cela opportun
e|'expédient au regard de l'économie, science
ou art essentielle-
568 REVUE THOMISTE
«
La providence, dit Némésius, est le soin que Dieu prend de ce
qui existe. D'autres la définissent : le bon vouloir de Dieu en tant
qu'il procure aux événements une issue favorable » (1). Ces défi-
nitions s'expliquent l'une par l'autre. Les soins que Dieu prend des
êtres ne peuvent que tourner à leur avantage, et ce qu'il fait pour
eux, il le fait librement, personne ne peut le contraindre.
Les soins dont on nous entoure n'ont qu'un objet, procurer notre
bien ; mais cela n'est possible qu'à la condition, de connaître ce
bien et de le vouloir efficacement. Telle est la nature de toute pro-
vidence,qu'elle vienne de l'homme ou qu'elle appartienne à Dieu ;
la seule différence est qu'en Dieu elle revêt un caractère excellent.
Dieu aime les créatures plus qu'elles ne s'aiment elles-mêmes, il
connaît leur bien sans obscurité, il est tout-puissant pour le pro-
curer. « Les pensées des mortels sont timides, dit le Livre de la
Sagesse, c'est pourquoi nos providences sont incertaines » (2).
Quelle sera en effet l'issue de nos desseins les mieux concertés ?
ftous ne pouvons que le conjecturer sans en avoir l'évidence; notre
prudence a donc un côté défectueux, la certitude lui fait défaut.
(-) « Cogitationes enim morlalium timides, et incertoe providentioe nostroe. » Sup. ix, 14.
570 REVUE THOMISTE
Il n'en est pas ainsi de la prudence divine. « Dieu, dit saint Augus-
tin, ne voit pas comme nous de loin ce qui est à venir, de près ce
qui est présent, en perspective ce qui est passé. Sa manière de
connaître s'éloigne grandement de la nôtre et la dépasse de beau-
coup. Sa pensée ne va pas d'un objet à un autre, elle porle sur
tout sans se déplacer. Les événements qui se produisent dans le
temps : les futurs qui ne sont pas encore, les présents qui sont ac-
tuellement, les passés qui ne sont plus, Dieu les voit d'un même
regard, toujours actuel, immuable, éternel. 11 ne voit pas autre-
ment avec les yeux du corps, et autrement avec ceux de l'esprit;
car il n'est pas composé d'esprit et de corps. Il ne voit pas autre-
ment ce qui est présent, autrement ce qui a été, autrement ce qui
sera : car sa science n'est pas comme la nôtre soumise aux trois
parties du temps : au présent, au passé, à l'avenir, pour en subir
les variations. Il n'y a chez lui ni changement, ni l'ombre d'un
mouvement » (1).
Dieu, contemplant le décret qui préside à l'existence des choses,
voit tout ce qui est, tout ce qui a été, tout ce qui sera, d'un regard
immuable, éternel. Sa connaissance est au-dessus du temps et du
changement. ToutTui est présent dans la mesure de son être,
d'une présence que le temps n'a pas amenée et que le temps n'em-
portera pas. Rien de ce qui constitue le bien des créatures ne peut
donc échapper à Dieu. Il sait infailliblement ce qui convient à
chaque être ; de sorte que les soins dont il est à mèmre d'entourer
ses créatures, ne seront jamais défectueux par manque de con-
naissance.
La faiblesse de notre volonté s'ajoute encore aux incertitudes de
notre intelligence. Que de fois la raison nous montre le bien véri-
table et que de fois la volonté refuse de s'y porter Rien de seni- !
(1) « Non cnim more noslro ille vel quod fiilurum est prospicit, vol quod proesi'ii* e.-l
aspicit, vel quod proetei'ilum est respicit ; secl alio modo quodam a noslraruin ro;.*''
tionum consuetudiue longe aiteque diverso. Ille quippe non ex hoc in illud cogil.' 110"1
mu'tàta, secl omnino incommuta.bililer videt ; ita ut illa quidem quoe temporaliler liuiil. (
lu lu ra nundum sint, et piwsenlia jam sint, et pra;lerila jam non sint, ipse vero '|;W
omnia stabili ac sompiterna prsjscntia compreliondat : née alilcr oculis, aliloi' nicn"-'
non cnim ex animo oonslilo et corporc : nec aliter nune, aliter antea, et aliter poslc'i
quoniam non sicul nostra ila ejus quoquc scicntia Irium tcinporum, proescnlis vnl<;'lC
et prselerili vel fuluri, varietatc mutatur; apud est inimulatio, née moi»
qtiem non 1111
'*') « liane tamen causam, id est ad bona crcanda bonitatem Dei; liane, inquam,
'"sain tam justam atque idoneam, qu;e diligenter eonside.rata et pie cognita omnes
"Ivoversias quasrentium muudi originem terminal, quidam heritiei non vidorunt. »
'-' Auu. Civit. lib. XI,
_
e. 22.
572 REVUE "THOMISTE
''
(1) 'Ayc.Oôç -ijv (Ûso;), oeyaOra Se où8et; Kzçii OÙSEVÔC oùôÉTtoTioxe èyYÏyvExai çOôvoç. ''
p. 20B, 1. 13 (Didot).
(2) « Causa* enini materialis .et agcns, inquanlum hujusmodi, sunt cfTccliu iM '
essendi ; non autem Bufficiunt ad causandum bonitatem in elTectu sccunduni qua»1
conveniens et in se ipso, ut permanere possil ; ef in aliis, ut opiluletur. » Vent.,1]-
LA PROVIDENCE S73
îtX ' °""/ ' ''' tôvo; xoeû ' CCJXÔV, à}'/. ' ô uexà T£-/VY|Î ài'otOô:. Pnn.o in tract, quod deler.
>"* 'usid., p.'ISS.'
574 REVUE THOMISTE
(1) Platon ne parle pas autrement. Ilàvxa oxi \i.âl<.aza Ysvlcrxai ê6ouM)0r| naoarJ-'fi'^
èauxô). TauTïjV Sri feviGE-Mi -/.al y.ôcru.ou yAXiar' âv xt; apCTv v.vpiwc&x^v îiap àvof»""'
9povi|,.wv araiSE'/ôu.Evo; èpOôxaxa awoSéyotx' av. Tim.,.\\. 205, 1. 15. (Trad. d'Aï'"1"
MAIITIN.)
LA PROVIDENCE 575
(1' 'lo\i yàp loirja-ai xôv -/.6<r[J.ov où/ r,xov Èo-xt xo o-'jy/.paxEïv " à).). * E! 8EÎ v.où xi Oau,u.a<rxbv
C-ÏÏC'.V, -/.ai ['.EiÇov xo |j.sv yàp, et oôx ôvxwv EO"xi xo Trapàye'v xo 8E xà YEyEvôxa sic xo u.rj
'"'« iiéXXovxa àva-/<i>pEïv, OUVÉ/EIV xs y.ai cuvaTtxEiv itpoç a).).7|Xa Siaoxoo-iàÇovxa. liom. 2 ad
"c("'.,
p. 438.
l-i yàp xb y.a).w; 7toi7|0-oa xà yivôfnsva " ftpâvoia 8s xb y.aÀâ; Èitqj.E),Etaxai
KXIG-EMÇ IAÈV
tûv Y'voijivwv. Nal. hom.,
c. 42.
w HpovosÎCTÛai 8È, xà xoïç oûai XE v.a\ yzyevt\y»oiz «ppovxîôa xivà VÈU.EIV. De Opif. mundi,
!'• WJ, éclit. in-4». I
576 REVUE THOMISTE
que Dieu en est l'auteur. D'abord parce qu'il est cause première
de tout ce qu'il y a d'être, de vrai, de bien en dehors de lui ; en-
suite et spécialement, parce que lui seul peut prendre un arrange-
ment qui embrasse tout l'ensemble et assigne à chaque partie la
place qu'elle doit occuper.
On peut dire encore que la providence, se rencontrant dans les
dérivés, doit, à plus forte raison, se retrouver dans la source. La
providence en effet n'implique aucune imperfection, et elle se ma-
nifeste plus ou moins dans les créatures. Il est d'expérience que
les êtres, par choix s'ils en sont capables, instinctivement, s'ils ne
sont pas libres, sauvegardent par tous les moyens en leur pouvoir
le bien qu'ils possèdent et s'efforcent d'acquérir celui qui leur l'ail
défaut. Cette sollicitude, ils l'étendent à tous ceux qui les touchent.
Dieu n'a pas à se procurer son bien, puisqu'il le possède et ne peut
le perdre, mais personne ne veut aussi parlai tement que lui le bien
de ses créatures et ne travaille aussi efficacement à la conservation
et à l'augmentation de ce bien ; parce que Dieu est la source pre-
mière d'où tout bien découle, et son amour s'y attache plus excel-
lemment que tout autre amour. L'instinct, la volonté qui portent
les créatures à vouloir leur bien, ne sont donc que des dérivés de
l'amour qui est en Dieu,
Ne suffit-il pas du reste que Dieu soit l'auteur du monde pour
qu'il s'intéresse à sa conservation et à sa perfection ? « Tout agent,
dit Philon, s'intéresse par la force des choses à ce qu'il a produit;
il le sauvegarde, il veut qu'il dure toujours et l'entoure de soins
incessants (1). » Le mot de Tertullien « nemo tam pater » nous
exprime la sollicitude de Dieu pour ses créatures.
Ce que nous connaissons de la nature du premier principe, nous
fournit un nouveau genre de preuves. « Dieu seul, dit J. Damas-
cène, est par nature bon et sage. En tant que bon, il a soin cle ses
créatures. S'il les négligeait, il ne serait pas bon; car même les
hommes et les animaux sont pleins de sollicitude pour leurs en-
fants ; si un père abandonnait les siens, il serait répréhensible. Il"
tant que sage, Dieu prend les soins les plus intcl-
de ses créatures
(I) KïjSexai yàp àôtoày.TM xîj (fùau xb TUEOTÛIÏIXÔÇ àet xoO YEVOU-ÉVOU, -/.ai o-<oTVjp!»î a'J'" '
y.ai SiapLovviçTviç Eto-ârcav wpôvoiav E-/EI. De Ebriet., p. 188, édit. Turn.
LA PROVIDENCE 577
Jigents (1). » C'est ainsi que les attributs divins connus d'ailleurs,
établissent la providence.
Il suffit à saint Thomas de savoir que Dieu est la source de tout
bien, pour induire que les êtres ne peuvent recevoir que de lui ce
qu'ils acquièrent après leur naissance (2). « S'il est Dieu, dit Lac-
tance, il est provident, car la divinité ne peut lui être attribuée s'il
n'a la mémoire du passé, la science du présent, la prévision de
l'avenir (3). » Tout a été dans l'avenir pour Dieu, tout par con-
séquent relève de sa providence.
(') Môvoç !) GE6Çêori çûdEt àyaOôç, -/.ai coaôç ' d>; oôv àyaGô;, irpovoEÏ • 6 yàp \>.)\
"pGvoôw, oùy. àY'aOoç ' %c/X yàp v.c/X oc àvûpwTrot, y.a't xà aXoya xtov oty.sccûv xéy.vwv Trpovoetxat
VJ5iy.c5ç • -/.c« à (j,->| Ttpovowv il/éyExai • &ç SI aoohç,' apiaxa xwv ôvxwv Ë?u[,.E),Etxai. Lib. de
''''*-,
e. 29.
(-) 1,
q. xxu, a. 1, c.
\v « Si est Deus utique providens est, ut Deus ; ne ; aliter ei potest divinitas attribui,
ls,"'-l prooterita teneat, et pivesentia sciai, et futura prospicial.
» Contra Ejiicw.
('') tissais, I>'c partie, \ 2,
p. 111.
M5VUE THOMISTE. 4e ANNÉE. — 39.
578 REVUE THOMISTE
naît de l'essence même des choses. Vous êtes assis, vous ne pou-
vez pas en même temps être debout, parce que ces deux positions
s'excluent : tout être, tout mode dans son individualité est exclu-
sif de toute autre. Il est donc nécessaire, d'une nécessité de fait et
de supposition, que vous soyez assis tout le temps que vous êtes
assis. Mais cette nécessité ne touche pas à la nature de votre acte;
elle le laisse en lui-même tel qu'il relève de ses causes ; libre, s'il
est libre ; violenté, s'il est violenté. La nécessité de droit, au con-
traire, est inhérente à la nature des choses : un homme ne peut
pas ne pas être un animal raisonnable, puisque telle est sa nature.
Or la prescience divine n'apporte aux choses qu'une nécessité
de fait, qui ne touche pas à leur nature. Elle est une connaissance
et comme telle ne modifie pas son objet; elle le rencontre et ne
le fait pas. Vous prévoyez, même avec certitude, qu'un cheval
emporté va se précipiter contre un mur, en quoi votre prévision
modifie-t-elle l'événemen l ? ,
fd) Tb yàp çOeîpai (pOw, ui/. ïaxi naovoioz. Div. Nom,, c. îv, § 33.
LA PROVIDENCE 579
pas, parce qu'elles sont d'ordre différent. Celle qui vient du décret
n'est pas la première, car le décret ne s'est formé qu'en respectant
la nature des êtres, de sorte que pour ceux-ci la nécessité d'exister
est subordonnée à la nécessité, d'exister tels qu'ils sont en eux-
mêmes.
Pas plus que leur prévision, la détermination des futurs n'influe
sur leur nature. Il faut qu'ils soient déterminés, puisque rien
n'existe dans l'indétermination, mais ils sont déterminés confor-
mément à leur nature: nécessairement s'ils sont nécessaires,
d'une manière contingente, s'ils sont contingents. Toutes les
essences sont nécessairement déterminées, puisqu'un être ne peut
pas être autre chose que ce qu'il est ; quant aux existences, il n'y
en a qu'une de nécessaire, celle de l'être qui est par soi ; les autres
sont contingentes. Cependant une fois que Dieu s'est décidé à
créer, il est contradictoire de dire qu'il ne crée pas. La détermina-
tion s'impose donc aux choses, mais du dehors, d'une nécessité de
fait, qui ne modifie pas leur nature.
La même détermination s'impose à Dieu sans nuire à sa liberté.
Rien ne nécessite l'exercice de sa puissance et rien ne l'épuisé
pendant qu'elle est en acte. C'est le caractère des agents libres, à
la différence de ceux qui ne le sont pas, que leur activité soit tou-
jours supérieure à l'effet produit. L'homme nécessité à vouloir
son bien, parce que tout être veut son bien, ne l'est plus quand il
s'agit des moyens de l'acquérir. Les moyens en effet ne s'imposent
pas, le choix est possible, et même quand l'homme s'est décidé et
prend ceux-ci, il sent qu'il pourrait en prendre d'autres. Il n'en
est plus de même des êtres privés de liberté. Ils n'ont pas le
pou-
voir d;e se déterminer eux-mêmes, ils le sont par nature. Leurs
actions restent contingentes, parce que leur existence est contin-
gente, sans s'élever à la dignité des actions propres à l'homme.
Mais si à la prescience s'ajoute la causalité, car on
ne peut pas
gnorer que Dieu est le premier principe de tout ce qui se produit,
la contingence des événements sera-t-elle
encore sauvegaraée ?
assurément, et pour les mêmes raisons. Dieu
ne peut pas être
e<iuse sans respecter la nature de
ce qu'il produit. Il est par créa-
l°n auteur des êtres dont se compose l'univers s'ensuit-il
; que
Ces êtres soient nécessaires? Nullement. Ils gardent
à l'égard des
Ulïs et des autres les
rapports de nécessité ou de contingence qui
880 REVUE THOMISTE'
(1) « Cum igitur vohnitas divina sit eflîcacissima, non solmn soquitur quod fi;i"i ca
quEC Deus vult fi.eri, sed et quod eomodo fiant quo Deus ea lieri vult. Yult autein <|U.'''"a'" -
(1) El yàp Xéyot xiç, oxi v.atà xv\v â? àp-/ï]ç yévôcriv, eip|Mj> TtpofiaivEi xô 7tp5y|'.a, T0'J'
âv E'IYI XE'YMV, oxi xfl y.x(o-£i avwizâpyzi îrâv-tcoç r\ Ttpovota. NKMES. de Nat. hom., c. 'i°-
(2) « Deus non alia opération e producit res in esse et eas in esse conservai. i]K"-l\
cnim esse rerum permanentium non est divisibile nisi per accidens, prout alicui mo l
subjacet: secundum se autem est in instanti. Unde operatio Dei, quai est per se «i"""
quod res sit, non est alia secundum quod facit principium 'essendi, et essendi cou!'»''
tionem. » Pot. q. v, a. 1, ad 2.
(3) « Actus proedestinationis, cura mensuretur oelernilale, nunquam cedit m !"' 1
ritum, sicut nunquam est futurum ; unde semper consideratur ut egrediens a vcli" ' 1
])ieu est la fin de toutes choses, mais une fin qui perfectionne et
béatifie ce qui est sorti de lui. Dieu en créant ne peut que commu-
niquer sa bonté; déjà les êtres en possèdent quelque chose, parle
fait qu'ils sont : ce qui leur manque, ce qu'ils cherchent avec
toute l'activité dont ils sont capables, ils le trouveront dans la
même bonté. C'est donc elle qui attire, meut et perfectionne tout
ce qui existe; rien ne peut se soustraire à sa bénigne influence.
De sorte que saint Thomas ne craint pas d'appeler insensée l'opi-
nion de ceux qui restreignent la providence en lui refusant de
s'étendre aux êtres périssables, à l'enchaînement des espèces et
à la suite des événements humains (1).
La providence porte surtout ce qui existe; son réseau, Dieu l'a
déterminé dans tout son'détail et dans tout son ensemble. C'est
encore lui qui en est le principal, exécuteur, car il n'emploie que
les intermédiaires créés par lui. La providence se sert des causes
secondes, nous ne pouvons pas en douter. Certaines créatures ont
le pouvoir de se reproduire, toutes s'efforcent de conserver leur
être et de le perfectionner; elles répondent à l'idée providentielle
efprocurent sa réalisation. Si Dieu faisait tout par lui-même,
comme certains auteurs l'ont soutenu, il n'y aurait plus de rap-
ports véritables entre les êtres. L'univers ne serait pas un ensem-
ble de parties reliées entre elles, mais une collection d'individua-
lités directement issues de leur principe et directement ordonnées
à lui. Chaque être aurait une certaine activité, car aucun n'est
possible sans être actif; mais une activité qui ne se dépenserait
que devant Dieu, sans se mêler à celle de ses semblables. Léucippe
e' ses partisans se sont crus obligés d'armer leurs atomes de cro-
chets, pour qu'ils puissent s'unir et constituer les corps; ce ne
sont pas seulement des atomes, mais tous les êtres qui ont besoin
''échanger leurs activités pour former le monde qui se déroule à
nos yeux.
Ce concours n'est pas opposé à la providence. Quand il s'agit,
«
'lit saint Thomas, d'imprimer
aux êtres l'ordre prémédité, la pro-
vidence de celui qui les gouverne est d'autant plus digne et plus
parfaite, qu'elle s'étend à plus de choses et emploie un plus grand
"ombre d'intermédiaires; car l'ordonnance des moyens est une
(') I, q. cm, a. 5, c.
586 REVUE THOMISTE
(1) « Secl in hoc quod ordo prasmeditatus rébus imponitur, tanto est dignior et por-
fectior providentia gubernantis, quanlo universalior et per plura ministeria si'"-'"]
explicat pra3ineditationem; quia et ipsa ministeriorum disposilio magnam partem proM»
ordinis habet. » C. G. lib. III, c. 94, 5.
(2) « Sciendum... quod aliquid providere dicitur duplicité)' : uno modo proplci'se,
alio modo propter alia; sicut in domo propter se providentur ea in quibus essentuii'
consistit bonum doinus, sicut lllii, possessiones et hujusmodi : alia vero providenliu
horum utilitatem, ut vasa, animalia et hujusmodi. Kt similiter in universo illa prop
se providentur in quibus essentialiter consistit perfectio universi; et base perpol'"
1 1'
liabent, sicut et universum perpeluur.i est. Quoe vero perpétua non sunt, non jjrovi'len
nisi propter alium. » Vcrit., q. v, a. 3, c.
LA PROVIDENCE 587
produire ceux qui ne sont pas encore. Dieu est par lui-même auteur
de tout l'être, et par les causes secondes, auteur de tel être ou de
telle manière d'être. Il n'y a d'exception que pour les primordiali-
tés du monde et pour les substances qui n'admettent pas de
matière : ces êtres particuliers ne relèvent que de la toute-puis-
sance. Or l'ordre selon lequel les êtres procèdent de leur principe
est le même que celui selon lequel ils sont ramenés à leur principe.
La fin, en effet, correspond au principe et les moyens se conforment
à la nature des extrêmes qu'ils unissent; d'où l'axiome que les
causes qui président à la naissance des êtres sont les mêmes que
celles qui président à leur perfection. Tout est gouverné par Dieu,
parce que tout vient de lui ; mais il y a ordre dans le gouverne-
ment, parce qu'il y a ordre dans la causalité. Ce qui demeure est
directement produit et directement gouverné, tandis que ce qui
passe, procède de ce qui demeure et s'y rattache; ce qui sort de
Dieu par intermédiaire y est ramené par intermédiaire. « Dieu,
dit saint Grégoire, gouverne ce monde par lui-même, parce qu'il
l'a. créé par lui-même »; d'où l'on infère qu'il gouverne par
autrui ce qu'il produit également par autrui (1).
À ce qui demeure dans le monde matériel et fait l'objet direct
de la providence, la raison voit qu'il faut ajouter tous les êtres pu-
rement spirituels, s'il en existe au-dessus de l'homme ; car ces
êtres sont impérissables comme la substance du monde, comme
l'âme intellectuelle de l'homme. Dieu les a directement créés, et
immédiatement ordonnés, ils appartiennent donc à l'objet premier
et principal de sa. providence.
(1) « Mimdumper seipsum régit, quom per se ipsum condidil, » Moral.Aib. xxiv, c. 26.
588 REVUE THOMISTE
tellectuelle est celle de l'être, dont toutes les autres seront des
applications. Connaissant l'être, l'homme ressemble à Dieu ; ]e
connaissant sans limites assignables, sa science se rapproche de
l'infinie science ; mais là s'arrête la ressemblance. La connaissance
que l'homme prend de l'être n'est qu'une connaissance abstraite
et générale : positive dans ce que les sens lui apportent de concret
négative au delà, vague par conséquent et toujours incomplète.
Tels les feux allumés sur la terre : ils ont le même mode d'incan-
descence que le soleil ; ils peuvent plus ou moins grandir, sans
atteindre à l'éclat de l'astre-qui nous éclaire.
Il en est de la volonté comme de l'intelligence. En Dieu, la
volonté possède tout le bien, sans l'avoir désiré, sans pouvoir le
perdre. Elle est unie au souverain bien, qui est lui-même, et à
tous les biens qui en procèdent ou peuvent en procéder. Chez
l'homme, la volonté tend au bien infini que lui montre l'intelli-
gence; elle ne peut que l'aimer ; telle est la ressemblance. Mais
l'homme ne connaît et n'aime ici-bas le bien infini que par les
biens finis qui en émanent ; il ne le possède pas à la manière de
Dieu et n'en jouit pas pleinement. Ajoutons que Dieu est doué
d'une puissance qui lui permet de produire au dehors tout ce qu'il
juge à propos de produire. La création du monde, son gouverne-
ment, sont l'exercice de cette puissance.
Tout être est doué d'un pouvoir conforme à sa nature. L'homme
a reçu la liberté, c'est-à-dire le pouvoir de se porter lui-même vers
son bien. L'activité libre n'existe que dans une nature intellec-
tuelle ; c'est parce qu'il ressemble à Dieu que l'homme est doué de
liberté. Il est permis de le dire : la liberté est le comble des bien-
faits du Créateur à l'égard de sa créature. On peut la définir avec
les auteurs : un pouvoir relevant de l'intelligence et de la volonté ;
car elle suppose ces deux facultés. En Dieu, la liberté est sans li-
mite comme l'être qui la soutient, dans l'homme elle se propor-
tionne nécessairement à l'être reçu.
Notre liberté est attestée par un fait de conscience contre lequel
se brisent tous les raisonnements tendant à l'ébranler : elle nous
est connue et nous la possédons avant tout raisonnement. Ces
principes sont à rappeler pour ce qui va suivre. Douter de notre
liberté est plus impossible que de douter de notre existence. C'est
par notre activité que nous savons que nous sommes, par et noire
LA PROVIDENCE 591
FR. A. VILLARD.
(') Ta u.Èv O"JV <x).).a [tiâa.) IOXC tpavrautaiç Kj jraïç u.vr|U.aLç, EjjwtEpîaç 8è U.ETE'XEI
-/.ai
TÉV_VÏJ -/.ai ).o-i'tcr(j.cjtç. Met., lib. I, c. i, lin. 16.
TMV àvOpcôraov yivoç, y.al
V'v.fôv • TÔ 3E
« Nibil enim fit, nisi quod autipse l'acit, aut iîeri ipse perraittit. » De Dono Perse,
(2)
% volum. X.
'<•
LA B. MARGUERITE DE LOUVAIN
Louvain.
LA B. MARGUERITE DE LOUVAIN 593
.
»
^«sairedTIeisterbach, qui avait pu la voir, pouvait contrôler ses souvenirs par ceux
I
Meux frères (Jodofroid el llaynier, tous deux lovanistes et religieux de Villers.
.
II
ï ' :'
LA B. MARGUERITE DE LOUVAIN 595
III
(1) Plusieurs de ces convers sont restés célèbres par leur sainteté, comme Arnu'l""1'
Herman,.Nicolas, Evrard, etc., dont Cesaire (Hist. ms. mon. Villar., lib. III) nous a 'C'1"
serve le souvenir.
(2) Id ibid. — V. les plans du vieux Louvain.
(3) Ce qui ressort de la Vie écrite parCésaire (1230), et de Jean Gielemans, Us. /'*<"!
Vallis(U80).
(i) On la suppose née à Louvain en 1207 : elle aurait donc eu 11 ou 1S ans, en '—
(5) « Mirae pulchritudinis. » •—Petite chronique de Brabant (1311.)
(G) « Margaretula, » disent les chroniqueurs : « la petite Marguerite, Margrieti^"-
LA B. MARGUERITE DE LOUVAIN 599
service de son parent (1). Elle n'avait rien de cette vanité qui
répugne aux occupations du ménage, et d'ailleurs les moeurs de
l'époque l'en eussent préservée : les filles et les femmes des plus
grandes races ne dédaignaient pas de mettre la main aux humbles
besognes, surtout quand il s'agissait de bien traiter leurs hôtes, ou
les pauvres qui sont des hôtes envoyés par le bon Dieu (2). Gracieuse
et vive par nature, elle joignait à ces qualités un empressement et
une charité dont le souvenir restait vivant, longtemps après, dans
l'âme de ceux qu'elle avait servis, même des plus graves, comme
le rappelle le prieur des cisterciens. Aussi venait-on, de la ville et
des environs, à l'hôtellerie des Absoloens, pour y réjouir ses yeux
et son esprit au spectacle de cette aimable vertu.
L'auteur de la Vie anonyme emprunte ici au Cantique ses traits
les plus vifs pour peindre ce charme et cette beauté, qu'un poète
contemporain, "Wallher von der Vogelweide, semble avoir chantés
dans les strophes suivantes :
« L'âme d'une vierge pure est une brise pleine de doux par-
fums, un soufle embaumé de fleurs. Jamais on n'a vu rien d'aussi
délicieux dans le ciel où flottent les nuages, sur la terre où s'éten-
dent les ombrages verts. Auprès de cette beauté des vierges, auprès
de la joie qu'on éprouve à la contempler, les roses et les lis épa-
nouis dans la rosée d'une matinée de mai semblent sans couleur
et le chant des oiseaux est sans harmonie. Rien qu'à les voir, les
sombres pensées se dissipent; la douleur s'apaise, dès que le sourire
entrouve leurs lèvres Arermeilles et qu'un de leurs regards envoie
ses rayons dans les coeurs. »
Tous les yeux n'étaient pas purs,et des esprits frivoles ou pervers
rêvaient de troubler la paix de ce coeur virginal. Autour de Mar-
guerite s'agitaient bien des empressements et des hommages dont
elle eût pu redouter l'influence, si Dieu ne l'avait gardée avec un
soin jaloux. Jeunes élégants de la cour ducale, minnesingers au
•'toux langage, chevaliers de l'Arc aux allures guerrières, riches
"~ « Consanguincam suam », ajoute le Ms. Rubeae Vallis. — Elle tenait dans la maison
'l'Aiisoloens, la place d'une tille adoptive, suivant la très juste remarque d'un chroni-
queur contemporain. Comme sainte Agathe, elle eut pu dire : « Ingenua sum et spec-
labilis
génère, ut omnis parontela mea testatur: ancilla Christi sum et ideo me ostendo
s°i'vilom personam.
»
V-) Les servantes des bonnes maisons étaient traitées
avec beaucoup d'égards. Etienne
'lo Bourbon
nous les montre s'asseyant, aux côtés du maître, à la table de l'hôte qu'elles
'''cnncut de servir. De hospitalitate, 152.
—
600 REVUE THOMISTE
(1) Cf. MATTHIEU PAMS, — RUTEIIOEUF, — etc. Etienne de Bourbon (op. 'cit. J1'' 1'
1.
IV
(1) o Tabernarius qui vinum ad broham vendiderit, etc., » dit la charte de Landrecics
(1200). L'hospice Saint-Georges n'avait probablement pas de vin en réserve. —E. v-,x
EVEN [La B. Marguerite, p. 16) dit qu'elle alla chercher le vin au pressoir du vigû0'""
domanial, S. Hertogen Wyngaerd, qui longeait la rue des Chevaliers; mais c'est pc"
probable, en raison de la distance. (V, le plan de Louvain.)
(2) « Totamque familiam, ibidem repertam. »
(3) La. pila ou balle, dont nous parlons, a été conservée : elle est en peau blancheÇ
de petite dimension. — Le jeu de balle était fort en faveur à Louvain, comme en tén*°|
gnent les arrêtés qui en réglaient la pratique (Magistrat., lib. IV. fol. 38). — 0«j°11'"
à la balle jusque sur les tombes des cimetières.
LA B. MARGUERITE DE LOUVAIN' 605
U) Une des voies de ce quartier s'appelait le Chemin des femmes publiques (E. VAN ÉVEN,
''• c'l-), peut-être aujourd'hui la
nie des Pénitentes, par opposition.
(~) Acta SS., ad 2 sept. '
( 3) ,
Acta SS., loc. cit.
606 REVUE THOMISTE
(1) « Nec audemus respicere ad gloriam in quâ illa est. » — G. D'HEISTERBACII/ZOC. cit.
608 REVUE THOMISTE
•— pour
employer la naïve expression dont ils se servirent
eux-mêmes. Des chants tout célestes semblaient accompagner la
dépouille de celle qu'ils ne tardèrent pas à reconnaître pour la
fière Marguerite. Le flot la déposa doucement sur le sable, à
leurs pieds, et la terreur succéda vite à l'admiration, quand ils
virent la gorge sanglante et la bouche tuméfiée de la martyre.
Affolés par la crainte d'être pris pour auteurs ou complices de
l'attentat, ils creusèrent à la hâte une fosse dans l'étroite plage
el y déposèrent leur sinistre trouvaille, dont ils se gardèrent bien
réalité de cette prodigieuse translation, et il ajoute naïvement : <c Periculum enim vere
aa nie non suspicio. »
LA B. MARGUERITE DE LOUVAIN 609
!•) Notre récit est appuyé sur des documents contemporains de diverses
provenances,
J|U nous croyons avoir établi convenablement ainsi la concordance. Le lecteur curieux
'''monter aux sources jugera de notre effort et de ses résultats.
H « Margaretula.
» — MOI.ANUS, lib. XI, c. 3.
« Uomuncula lignea. » Capellula. Bile fut reconstruite en 1436.
l*
1)
— « »
610 REVUE TnOMISTE
VI
saint tombeau, en même temps que les miracles dont ils s au-
torisaient. Loin de s'y opposer, le clergé de la collégiale «'
l'évêque de Liège les favorisaient au contraire de toutes leurs
forces : ce qui fit bientôt du cimetière de Saint-Pierre un des
au dire des contemporains les plus dignes de foi (1). Les pro-
diges dont il était le principe,— en étendant au loin sa renommée,
— amenèrent le désir d'en posséder des parcelles, et dans les pre-
mières années du xvme siècle, on en commença la distribution
à des églises étrangères. Le chanoine baron de Rhoe, chantre de
Saint-Servais à Maestricht, obtint pour sa patrie une relique
insigne, qu'il emporta cachée dans sa poitrine. Il souffrait
depuis longtemps d'un mal qui semblait incurable. Au contact
du reliquaire, le mal céda tout d'un coup ; ce dont le chanoine
rendit témoignage par un acte authentique, déposé dans les
archives de Saint-Pierre, et connu de tout le public (2).
Tous les sept ans, un éclat particulier était donné à la fête de
Marguerite, qui se célébrait au deuxième jour de septembre. Ou
faisait alors une exposition solennelle des reliques, — auxquelles
on joignait le broc conservé par les Dielbeke, héritiers des
Absoloens, dans leur hôtel de Bruxelles. Ces gentilshommes se
faisaient une joie de contribuer à la glorification de leur sainte
parente, en envoyant cette buire aux chanoines de Louvain, avec
obligation toutefois de la leur rendre, à. la fin des solennités.
Il en fut ainsi jusqu'en 1726, époque à laquelle ils la cédèrent
au chapitre (3) qui la lit déposer près du cercueil.
Cette générosité avait été déterminée par l'incomparable mani-
festation de la piété lovaniste, l'année précédente, qui marquait
le cinquième centenaire du martyre. Une procession, telle qu'on
n'en peut donner l'idée à ceux qui ne connaissent pas la piété
ingénieuse des catholiques belges, se déroula suivant un immense
parcours, avec ses chars allégoriques, ses géants, ses animaux
sauvages, ses groupes historiques, entourés des diverses cor-
porations avec leurs bannières, suivis par les magistrats, les
professeurs et les étudiants de l'Université, les nobles, le clergé,
tous en grand costume, — marchant au son des instruments,
véritable fleuve d'or, de soie et de velours, roulant ses flots
harmonieux entre deux haies de gardes aux corselets d'aci-r,
(1) Voir les nombreux documents relatifs aux différentes reconnaissances de ce:-
reliques, conservés dans les archives de Saint-Pierre.
(2) Il est cité tout au long dans les Bollandistes et dans la Vie abrégée.
(3) La cession fut faite par une dame de Macliet ou Massiet, alliée aux Dielbeke d l,J'
eux aux Absoloens.
LA 11. MARGUERITE DE LOUVAIN 613
VII
(1) « Kersomve », mot de vieux flamand, — comme le mot Spyer, devise de Ja même
clia;nbre de rhétorique.
(2) Il est difficile en effet de
ne pas rattacher au patronage de la Fière Marguerite
sur la chambre de la Kersouwe,\e. culte qui distingua les docteurs lovanistes Ruard Tap-
Pc, .Tean Molanus, Pierre Marcelis, Ilerman Damen, et plus près de nous, Marien
Vei'hoeven et Jules de Becker. Sur les chars allégoriques de 172S, Margrietl;en por-
—
t!"l. les mêmes attributs
que sa patronne, avec laquelle on affectait de la confondre. —
W- E. VAN IÎVEN, la B. Marguerite,
p. 33.
(!) La chambre de la Rose avait pour devise : Minne, amour, comme on peut Je
—
v°ir par le triptyque de sainte Dorotliôe, dans la collégiale de Saint-Pierre, où celte
«evise alterne
avec des roses rouges, dans la bordure du tableau.
614 " REVUE THOMISTE
(1) Tout en face, de l'autre côté de la Dyle, à Ten-Hovc, les béguines s'élal'I"'011 ,
en 1230, et obtinrent, deux ans plus lard, la permission de bâtir une chapelle, uoiil
desservant était nommé par l'abbé de Villers. On le voit, la même pensée dirigeai! • •
fondateurs.
LA B. MARGUERITE DE LOUVAIN 615
vl Ou plutôt restaurée : car c'est seulement en 1878 que la façade extérieure a repris
•''' lormo primitive,
que les modifications dn 172! avaient singulièrement altérée.
*-) « Du petit choeur, » ainsi nommé à cause du service spécial qui s'y faisait.
(1) La tête est celle d'une toute jeune fille, avee des dents d'une, blancheur éclatante.
A en juger par les grands ossements, Marguerite était d'une taille élancée, élégant" cl
vigoureuse. La couleur des os prouve qu'ils n'ont pas séjourné dans la terre.
(2) Pierre-Joseph Verhaghen, né à Aerschot en 1728, mort à Louvain en 1811
.
(3) La statuette qui figure au fronton delà chapelle extérieure, — oeuvre de M. Pol'J''
est de bien meilleur goût. Mais elle ne répond pas à
encore ce que je désirerais;] 1
—
voudrais voir là quelqu'une des naïves et nobles images qui décorent les portait ''
Chartres, de Reims ou d'Amiens, et d'après lesquelles j'ai esquissé plus haut le p01'"' 1
de Marguerite.
L'HYPNOTISME FRANC
THEORIE DE L HYPNOSE
connaît ainsi ce qui se passe dans chacun de nos cinq sens exté-
rieurs, en particulier dans le sens si étendu du toucher, l'analogie
nous autorise à penser qu'il peut aussi bien connaître les affec-
tions et les divers états du reste de l'organisme. Comme donc il
ne faut point multiplier sans raison les facultés, nous lui attri-
buerons encore ce rôle; et nous verrons dans le sens intérieur
central le siège de cette conscience d'ordre inférieur, ou cons-
cience sensible (1), qui non seulement nous renseigne sur notre
activité de surface, mais encore nous avertit de la disposition
intime de nos membres et, dans une certaine mesure, de nos
viscères, ainsi que du jeu de nos muscles.
Enfin, la dépendance où nous voyons les sens particuliers à
l'égard du sensorkim commune, nous induit à regarder les pre-
miers comme les prolongements diversifiés du second : et, d'après
cette vue, le sensorium serait comme le réservoir — saint Thomas
dit le principe et la racine commune — (2) de notre sensibilité
externe. "
-
Tel est, en substance, l'enseignement thomiste sur le sens inté-
rieur central. La science moderne est loin d'y contredire. Aujour-
d'hui lp.s nlrvcinlnoficl AC rl/StArmin AS liai' TIAC rnigonS pnî TIR- sont-
point indiscutables, n'admettent pas, il est vrai, que la perception
ait lieu dans le sens extérieur. Pour eux l'oeil, l'oreille, etc., ne sont
que des appareils périphériques récepteurs » (3), et. la perception
ne se produit que dans les éléments nerveux du cerveau. Mais en
même temps qu'ils soutiennent, au moins pour la plupart, cette
théorie, ils admettent tous « le grand principe des énergies spéci-
fiques des organes des sens formulé par Jean Millier » (4), c'est-à-
dire reconnaissent qu'une même espèce de sensation, visuelle,
auditive, etc. ne peut se produire que dans un seul et même
organe cérébral. Dès lors le raisonnement de saint Thomas garde
toujours sa valeur : L'organe de la vue — intro-cérébral ou non
— ou mieux nul organe sensoriel ne peut percevoir ni sa propre
opération — l'oeil ne peut voir sa vision — (S) ni les qualités des
objets perçues par les autres organes spéciaux. Donc, puisque nous
connaissons les actes de chacun de nos sens et unissons dans une
II
« Tous les êtres tendent vers quelque bien, et ceux qui sont
''oués de connaissance, et ceux-là mêmes qui en sont dépourvus...
''aïs l'on peut tendre vers quelque chose de deux manières : en se
625 REVUE THOMISTE
nature ne demande qu'à agir : elle n'attend qu'un objet, des cir-
constances propices, et l'impulsion dont elle peut avoir besoin.
,1e ne m'étends pas davantage sur cette belle théorie thomiste de
]a volonté, ou appétit naturel, « appetitus naturalis », qui nous dé-
couvre Un des ressorts profonds de l'activité des êtres. Tout au
plus ferai-je observer qu'il ne faut pas confondre cette volonté
naturelle avec l'habitude, par cette raison que, si l'habitude elle
aussi incline à agir, elle n'y incline pas comme 1' « appetitus
naturalis ». L' « appetitus naturalis » crée simplement le besoin
d'action : l'habitude sollicite à agir de telle ou telle façon parti-
culière, à poser telle ou telle espèce d'acte pour lequel elle vous
donne delà facilité et de l'attrait, «faciliter ac delectabiliter » (1).
Elle détermine et spécifie (2) le désir naturel d'activité qu'elle rend
en même temps plus intense.
Mais j'ai hâte d'ajouter que saint Thomas reconnaît deux autres
facultés de tendance qui nous sont révélées par deux vouloirs
nettement caractérisés et différenciés.
.
autdelectationem, sed hoc utile, vel hoc delectabile (1). » Nous possé-
dons cette dernière de commun avec les animaux, mais la pre.
mière est le glorieux apanage de notre nature d'homme.
Ainsi tout se tient et se répond à merveille dans la doctrine de
saint Thomas : ainsi, dans la question de la volonté comme dans
celle de la connaissance, marche-t-il toujours, d'accord avec la
raison et les faits, également éloigné des deux erreurs extrêmes
le matérialisme qui explique toute notre activité vitale par la
matière, le spiritualisme exagéré qui la rapporte tout entière à
l'esprit seul.
III
un organe et celles qui n'y résident pas — ont leur racine dans la
seule essence de l'âme, in unâ essentiel animas radicentur, (3) il est iné-
vitable que sil'unes'applique àsonacte avec une intensité excessive
égale entre les différentes facultés, mais (1), en certains cas afflue
vers quelques-unes, ou même vers une seule, de préférence; de
telle sorte que notre activité s'exalte sur un point, et s'abaisse
ou même devient inappréciable sur tous les autres. C'est cette loi
que Dante Alighieri constate et formule en poète, quand il s'écrie:
«
0 imagination, qui parfois transporte l'homme tellement hors
de lui-même, qu'il n'aperçoit plus rien de ce qui J'entoure, et
n'entendrait pas mille trompettes sonnant à ses oreilles. »
0 immaginativa, che ne rube
Tal vol ta si defuor, ch' nom non s'accorge,
Perche d'intorno suonin mille tube (2).
C'est cette loi que je n'ai pas été peu surpris de voir rappelée par
lebonDonat lui-même dans ses notes suri''Andrienne, quand expli-
quant ce mot « Ilabet » il écrit : « Habet signifie : il est atteint. Il
se dit proprement des gladiateurs, que les autres voient blessés
alors qu'ils ne se sentent pas encore blessés eux-mêmes, quia
prius alii vident quam ipsi sentiantp/ercussos (3)». Tout entier à Ja
pensée de combattre et de vaincre, le gladiateur ne s'aperçoit pas
de sa blessure. Et cela me fait souvenir de cette histoire que
raconte M. Taine et qu'il tenait d'un témoin oculaire : « Au bom-
bardement de Saint-Jean-d'Ulloa, une volée de boulets mexicains
arrive dans la batterie d'un navire français; un matelot crie:
«Rien, tout va bien». Une seconde après, il s'affaisse évanoui*.
un boulet lui avait fracassé le bras ; dans le premier moment, il
n'avait rien senti (4) ». Les faits de ce genre ne se comptent plus,
La nature de notre âme et de ses facultés telle que l'observa-
tion la révèle nous fait donc comprendre que les unes peuvent
agir, les autres n'agissant pas, et que l'activité des unes pourra
être| d'autant plus intense que celle des autres le sera moins, et
réciproquement.
Que si l'on demande par quelles causes peut être déterminée
celte concentration de l'activité psychique, je répondrai, avec
saint Thomas, que la cause peut en être ou hors de nous, ou en
nous-mêmes. Un chimiste, faisant une expérience mal combinée,
provoque l'explosion d'un mortier dont un fragment lui brise trois
(1) Sum. Theolog. I. II, q. xxxvn, a. 1, q. xxxvni, a. 2, et passim.
(2) Diviiia Commedia, Purgat., caut. xvn, v. 13-18.
P) In Andriam (TEKENTII), act. I, SCIÏN. I.
('0 De l'intelligence, lom. I, p. 100.
(1) De malo, q. m, a. 4.
636 REVUE THOMISTE
« M. l'abbé Gayraud ».
Évidemment, le R. P. Portalié, S. J., qui
a tenu la plume en cette circonstance, a voulu se montrer
envers moi critique obligeant. Mais le Révérend Père s'est sou-
venu qu'il était aussi un moliniste de race, et. en habile tacticien
qui cherche à tirer avantage de tout, il informe ses lecteurs que
s'il laisse à l'arrière-plan l'ouvrage soumis à son examen, pour
s'occuper à peu près exclusivement de mes articles, c'est que,
« pour lui, la victoire du molinisme dans cette affaire, c'est encore
« moins la brochure de M. Gayraud que la défense du tJiomisme
« qu'elle a provoquée ».
On voudra bien me permettre, au risque de calmer ou d'exnltei
peut-être — qui sait ? — l'enthousiasme du R. Père, d'introduire
quelques légères rectifications dans son bulletin de « victoire».
SAINT THOMAS ET LE PRÉDÉTERMINISME 643
nalion à tous les actes libres, j'avais dit : « La réponse est bien
simple, non erat hic locus. »
—« Et quand donc, s'écrie le R. P.
«Portalié, quand donc sera-ce le lieu d'en parler, si ce n'est dans
« une discussion où saint Thomas examine ex professo la motion
nie Dieu sur la volonté ? Comment! Dans le passage allégué, ni
11
l'o])jection soulevée par le grand Docteur, ni la réponse qui la
«résout, n'offrent aucun sens à l'esprit s'il ne s'agit pas d'une
"Motion déterminante rejetée par saint Thomas, et on croira se
l! tirer d'affaire en disant que ce n'était pas le lieu d'en parler !
" Décidément la légende du prédéterminisme de saint Thomas
"aura bientôt vécu si elle doit recourir à de pareils échappatoires.»
tout doux, je vous prie, mon Révérend Père ! A vous entendre,
011 Pourrait supposer que mon non erat hic locus était une fin de
''on-rccevoir toute gratuite, une sorte de question préalable op-
l'°Sfie
sans aucun fondement. Je l'avais cependant justifié par une
<llson, et il eût été loyal de la reproduire et de
vous attaquer à
'a- Et la preuve que cette raison vaut bien quelque chose, c'est
i'e voilà trois longs siècles qu'elle a été donnée, en propres
,1Ues,
par nos théologiens et notamment par Lémos; et pourtant
644 REVUE THOMISTE
'
(1) Res executive ordinare.., dirigere... perducere in finem hoc est gubernare (II»'1- '
._
Gubernalioest quoedam mutaliogubernatorum agubernante. Omnis autemmotus est ectus
lis amovente (Ibid. a. !3. ad 2).
SAINT THOMAS ET LE PRÉDÉTERMINISME 64S
(1) I, II, q. ix, a. 4, ad 3, dans cette question même où se trouve le fameux lox|c
jecté par le R. P. Portalié.
SAINT THOMAS ET LE PRÉDÉTERMINISME 647
(!) Il suffirait, je le répète, de placer ce titre dans le cadre tracé au début delà I, II,
pour éclairer toutes les conclusions de cette question et dissiper toutes les obscurités :
I)e motivo voluntatis
"
— in quantum homo et ipse est suorum operum principium. »
648 REVUE THOMISTE
le
ment par côté où la volonté se meut elle-même, que s'introduit ,
le péché. Ad 3m dicendum qiood Deus movet (initialiter) volun- ,j
pas trace ici, parce que Non erat hic locus. En ce qui concerne
le bien, nous avons déjà indiqué plusieurs fois où est le lieu d'en
,
parler. En ce qui regarde spécialement le péché, il enesttraité dans
les questions de la science et de la volonté de Dieu (1 P. q. XIY,
a. 10, q. XIX, a. 9), de la providence et de la réprobation (q. XXII,
a. 2. ad 4, q. XXIII, a. 3), et dans le traité du péché (1, 2, qq. 70]
79 et 80, )-. Introduire ici la question de la motion déterminante
commune à tous nos actes libres, c'est confondre les questions les
plus distinctes, et faire très véritablement que «ni l'objection
soulevée par le grand Docteur, ni la réponse qui la résout », ni
l'article 6, ni la question IX tout entière, « n'offrent aucun sens
à l'esprit».
On pensera ce que l'on voudra de mon interprétation (1') détail-
lée de la question IX et de l'article 6. M. l'abbé Gayraud dira pro-
bablement encore qu'il « ne sait pas si l'on parviendra jamais à
définir exactement quelle était, lorsqu'il rédigeait ce texte, la pen-
sée de saint Thomas ». Le R. P. Portalié trouvera peut-être que je
prends les choses de bien loin, et que cette manière d'interpréter
ainsi, à la suite et minutieusement, le texte du Docteur angélique
n'est plus aujourd'hui communément usitée dans la Compagnie de
Jésus, et qu'elle répond à un état d'esprit tout particulier chez-
A aise ! Quoi qu'il soit, et finir les équi-
nous. son en pour en avec
(1) Cette interprétation n'est mienne que dans la pensée du R. P. Portalié. En réalité,
elle est très explicitement et très exactement celle que donnait Thomas Lémos dans la
46e congrégation de Auxiliis, en réponse au P. Bastida qui lui avait opposé celte même
réponse ad 3m de l'article 6.
Ad quod respondeo. veram inteliigentiam hujus loci pendere ex his quoe docet S. Thomas
in art. 3 et iejusdem queestionis et ex his quoe docuit 1, 2,'q. 111,-a. 2... Et ista est iiiteUi-
gentid sancti Thonioe in isto loco : quod, videlicet, ad volitionemfinis voluntas non se more! il
îantuni movelur a Deo; at yero ad volitionem cujuscumqueboni particularis et môvetur et dtiW'ï
minaiur a Deo sicùt, a primo agente, et eliam ipsa in suo ordine sicut agens provint» >'*{
déterminai et movet'per rationem et deliberationem ; quod S. Thomas claritis proemise?àalcirt-*t
ejusdem quoestionis ad 3... Snbdit proeterea S. Thomas quod in his quos Deus movet2>er Sr"~î
tiam illos movet ad aliquid dtterminaiè volendum, ila quod ad illuddeterminate volendun '1" j
ut explicavit »""'f|
non se moveant, q. 111, a. 2 docejis quod per gratiam operantem Deus
hominem ad aliquid determinate volendum, ad quod volendum non se homo movet. Und& c:o '-' |
loco nullo modo colligitur quod licet homo se determinet per rationem ad hoc vel illud parti 0' |
lare bonum non determinatur ad id volendum a Deo. (Thomas Lémos.. Historia Coiig'lCr,|
de Auxiliis, col. 1298-1300.) Je profite de l'occasion pour restituer à Lémos un lei |
qu'une erreur typographique m'a fait faussement attribuer à saint Thomas (llev«eJ ' jj
misle 1895, page 574, ligne 4). Au lieu de « S. Thomas », il faut lire « Thomas JJO«IO|
a donné il y a
Unicuique suum.
longtemps la vraie formule ILfectus nec a sola prima causa,, cio- » ||
SAINT THOMAS ET LE PREDETERMINISME 653
II
suas bonas, ita alius libéré facit vias suas malas EX SEIPSO ET NON SK-
ctiNDUM QUOD MOVETCii A DEO, quia ad malufn et peccatum SOLIIM A SU
MOVETUR et ip>se est in hoc génère prima causa peccati.
Pour prouver mon dissentiment d'avec les thomistes. 1"
Rév. Père signale encore ces expressions : « Il est au pouvoir du
libre arbitre créé D'OPPOSER DES ORSTACLES cl la motion que Dieu lw
donne vers le vrai bien, et de fait il en oppose souvent. » — Cepen-
dant le concile de Trente dit que l'homme peut, s'il veut, résister
SAINT THOMAS ET LE PREDETERMINISME 657
à la grâce : cui dissentire possit, si velit; et il est dit des Juifs (Aet.
Apost. vn, 51) : Dura cervice et incircumcisis cordibus et auribus vos
semper Spiritui Sancto resistitis. Pour le plaisir de me trouver en
désaccord avec les anciens thomistes, le Rév. Père voudrait-il, par
hasard, les mettre eux-mêmes en opposition avec le concile de
Trente et la sainte Écriture? La prétention, il est vrai, rie serait
pas nouvelle ; mais l'on sait le succès qu'elle a eu dans les con-
grégations de Auxiliis. — Ou bien faut-il rappeler au R. P.
que la résistance ou l'obstacle n'est, en fait opposé qu'à
la motion suffisante ; et que sous la motion efficace reste, il est
vrai, dans la volonté créée la puissance à la résistance, mais sans
que jamais la volonté actu e cette puissance et résiste'effective-
ment, car à la volonté conséquente et efficace de Dieu nul, en fait,
ne résiste? V°luntati ejus quis résistif ? (Ad Rom. ix, 19). Vrai-
ment, le Rév. Père n'a pas eu la main heureuse pour établir mon
dissentiment d'avec les thomistes.
te tent une marche sûre vers une plus grande clarté. Les points
« communs aux deux écoles se délimitent, les questions secondaires
(1) Le Rév. Père a cité encore do moi cette définition de la prédétermiuation physique
des thomistes (les soulignements sont de lui) : « L'action de Dieu n'est pas... un concours
général qui donne à la volonté le mouvement au bien universel en lui laissant le pouvoir
indépendant d'opter pour tel objet ou pour tel autre... Elle est une motion prédétermi-
nante, qui cause l'acte particulier déterminé. » (Revue Thomiste 1895, p. 564.) Bien que ma
définition soit très acceptable, je présenterai sur la citation qu'en fait le Rév. Père
quelques observations. Je ferai remarquer : — 1° qu'il l'a extraite d'une objection pro-
posée, à l'occasion du péché, au nom des molinistes, et où, par conséquent, la prédé-
termination thomiste était présentée plutôt sous un aspect un peu forcé; 2° Que celle
—
définition recevait dans la réponse à l'objection son légitime correctif quant au péché,
et que je m'étais longuement étendu, tout le cours de mes articles, à expliquer comment
cette motion divine dans les actes bons, tout en causant effectivement l'acte particulier
déterminé, ne le causait pas immédiatement, mais le faisait produire librement, quoique
efficacement, par la volonté créée. — 3° Enfin, et surtout, je prie mes lecteurs de
remarquer que cette prétendue définition, telle que je l'avais donnée, était ainsi for-
mulée : L'action de Dieu... n'est pas seulement un concours général qui donne à la
volonté le mouvement au bien universel, etc. » Le terme' seulement a éié supprimé et
remplacé par des points de suspension... ce qui me donne l'air de nier la motion
générale au bien universel, sans laquelle cependant, je l'ai dit maintes fois, loule
motion particulière n'aurait plus aucun rapport avec la volition du bien universel:
racine de toute liberté. — O art des citations !!
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE
(Suite).
rien des chrétiens, de sorte que Tertullien aurait ajouté de son chef que la
pluie avait été obtenue peut-être par les prières de soldats chrétiens. Quoi
qu'il en soit, le fait et l'authenticité de la lettre de l'empereur doivent être
coonsidérés. comme historiques, sans qu'on puisse considérer le bas-relief
comme preuve de la croyance d'une intervention surnaturelle. Le P. Gri-
sar donne une description détaillée, accompagnée d'une planche, de la
représentation.
Puisque nous en sommes aux sculptures, mentionnons ici la monogra-
phie de M. Jules Mommèja sur les sarcophages chrétiens du Quercy (1).
Nous y trouvons la description archéologique détaillée de 16 monuments
de ce genre, provenant de Cahors, Mondoumerc, Perges et Moissac.
Trois étaient connus et avaient été publiés antérieurement, l'auteur en a
trouvé plusieurs autres, et beaucoup ne sont connus que par d'anciennes
descriptions bien vagues parfois. Les scènes et les décorations des sarco-
phages sont celles que nous connaissons par les publications de M. Le
Blant.
La bibliothèque impériale de Vienne en Autriche possède un manuscrit
précieux de la Genèse orné de miniatures. Dans l'étude de cette branche si
importante pour l'iconographie, il faut placer, sans le moindre doute, la
Genèse de Vienne en tête, tant à raison de sa haute antiquité que pour
l'exécution artistique des peintures. Publié déjà à plusieurs reprises, mais
sans l'exactitude désirable dans la reproduction, le précieux manuscrit
vient d'être livré à la connaissance du public par deux savants des plus
compétents dans la matière, MM. WicMioff et von Earlel (2). Sur 24 feuilles
en parchemin nous trouvons 48 miniatures qui illustrent le texte du pre-
mier livre de l'Ecriture sainte. La paléographie du manuscrit fait attribuer
son origine par M. Hartel au v° siècle ; il laisse même subsister la possi-
bilité de monter un peu plus haut, jusqu'au iv° siècle. M.. KondaJcojf,- l'un
des meilleurs connaisseurs de l'art byzantin, avait: cru devoir placer les
miniatures à la fin du v° ou au commencement: du vi°siècle (3). Nous pour-
rons donc, en toute confiance, retenir le v° siècle comme l'époque àlaquel'e
il faut assigner l'origine du manuscrit. Les miniatures ont été étudiéespar-
ticulièrenient par M. Wickhoff. Dans une introduction très importante,
l'auteur cherche à prouver l'originalité de l'art romain, qui n'aurait nulle-
ment subi l'influence de l'art gréco-alexandrin dans une mesure aussi con-
sidérable qu'on l'a admis jusqu'ici. Quant à nos miniatures, M. Wickhofl
(1) .T. MOM.MK.IA. Les Sarcophages chrétiens antiques du Quercy. Cahors, Girma, 18!l.'j.
(2) AV. von MARTEL und Fr. WICKHOFF, Die Wiener Genesis. Wien, 189o (Sépara!»''"
druck aus dem Jahrbuch der kunsthistor. Sammlungen des allerh. Kaiserhauses, 15- }il
u. xvi).
(3) KONDAKOFF, Histoire de Vart byzantin, I, p. 78.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 661
(1) Alfr. KOEM'KS. Der Teufel und die Hcelle in der clarstellcnden Ivunst von den Anfoen-
gen bis zum Zeitalter Dante's und Giotto's, Berlin, lS9a.-
(2) Altchristliche Bronze-Lampen. Dans la l\oem. Quarlalschrift, 189b', p. 309-311.
(3) Fidelis statt Anniser. Ibid, p. 313-318.
(4) Un cul-do-lampe de l'ancienne abbaye d'Iiauterive. Dans la Revue de l'Art chrétien,
a" série, t. VI (1895) p. 66-67.
662 REVUE THOMISTE
(1) Un prétendu trésor sacré des premiers siècles (le « Tesoro sacro » duchev. Giancarlo
Rossi à Rome). Étude archéol., par H. GMSA.II, S. J. Rome, 1895.
(2) G. ROSSI, Risposta a cerlopadre Grisar D. C. d. G. sefittore nclla « Civiltà catlolica »..
attacca di falso il sacro tesoro... Roma, 1896.
(3) H. GIUSAK, S. J., Ancora delpreteso tesoro cristiano. Roma, 1896. —V. aussi J»:
WAAI., Der longobardische Pontificalschatz, dans la lloemischa Quartalschrift, 1S95,
p. 319-321.
(4) Acta Sanclorum, Octobris, t. IX, p. 489 ss.
(fi) PITRA, Spiailegium Solesmense, I, p. 554 ss.
BULLETIN ARCHEOLOGIQUE 663
(1) V. nu Rossi, Inscr. christianise urbis liotnte, t. II, p. i, pag. xn et suiv., avec la-lit-
lèi-ature citée par lui.
(2) Bulletin de correspondance hellénique, 1882, p. 518.
(3) Journal of hellenic studies, Octobre 1882.
664 REVUE THOMISTE
texte laconique était une preuve delà haute antiquité du monument (1). On
soulevé des difficultés contre cette conclusion. M. Lugari revient sur la
a
miestion et s'efforce d'écarter les difficultés et de montrer que le monu-
ment ne peut pas Être invoqué contre la tradition qui place l'épiscopat de
saint Syr au premier siècle (2).
Signalons enfin quelques notes sur des épitaphes chrétiennes publiées
dans la
« Roemische Quarlalschrift », parmi lesquelles nous relevons une
réplique de Mgr Wilpert contre les observations faites par M. H. Maionica,
directeur du musée d'Aquilée, au sujet de la publication d'inscriptions
conservées dans ce musée (3).
*
(1) Die christlichen Denkmaler Bosniens und der Herzegovina, von Dr Ciro TiUJiifii-K; i ;
dans la lioemische Quarlalschrift, 1895, p. 197-232 ; avec de nombreuses illustrations. ;.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 669
la « vision de Dieu » dans le ciel. Dieu a-t-il voulu, d'une volonté vrai<;)
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 671
Mais quels sont bien, d'une façon précise; ces moyens ou ces secours
672 REVUE THOMISTE
Sous la loi de nature, il n'y avait pas de rite déterminément fixé par
Dieu pour faire bénéficier lès enfants de là rédemption du Christ; il suffi-
sait d'un acte extérieur quelconque témoignant de la foi des parents. Sous
la loi écrite, ou même depuis Abraham, il y eut pour les enfants mâles, un
rite, déterminément fmé, qui, du reste, en vertu de la foi dont il était
le signe, entraînait après lui la collation de la grâce : c'était la circon-
cision. Sous la loi nouvelle nous avons le baptême. — Mais, comme
toute loi pour obliger demande d'être connue, on s'est posé-la ques-
tion de savoir s'il était possible de fixer un moment déterminé, et
lequel, où la loi du baptême devrait être tenue comme suffisamment pro-
mulguée pour obliger tous les hommes sans exception. LeR. P. Dublanchy
inclinerait à retarder beaucoup l'efficace de cette promulgation. Il irait
même jusqu'à ne pas réputer impossible que, de nos jours encore, il ne se
trouve certaines peuplades sauvages qui en seraient, comme obligations
rituelles, aux simples conditions de la loi de nature. Sur ce point, -nous
avons peine aie suivre et, sans Ivouloir fixer-de date mathématique, nous
n'oserions pas, pour notre part, reculer au delà du premier siècle, le
double effet de la promulgation exigée, savoir : l'obligation stricte du
baptême et l'abrogation totale de toute autre pratique. Et cette conclusion
n'est pas en contradiction avec la pensée de Mgr Freppel relativement à la
simple disposition à croire ou à l'acte de foi implicite, car, même en admet-
tant l'obligation stricte de la loi du baptême, elle n'oblige pas à ce point
que le simple désir, même implicite, ne puisse suffire, lorsque, pour raison
d'ignorance invincible ou d'impossibilité physique, la réception actuelle du
sacrement n'a pas lieu. Il est vrai que les petits enfants ne peuvent pas
bénéficier de cette restriction. Mais ici nous rentrons dans la grande loi
de la Providence qui, le R. P. Dublanchy l'explique admirablement bien,
mène les choses humaines suavement et permet beaucoup de defecius pour
ne pas briser toutes les lois humaines et physiques.
1- 1- -
Nul ne peut: avoir le ciel s'il ne vit pas ici-bas de la vie de la grâce, et,
pour vivre de cette vie de la grâce, il faut, régulièrement, conserver dans
une foi intègre l'ensemble des vérités révélées et participer aux sacre-
ments de cette foi. Mais ces vérités et ces sacrements où se trouvent-ils ?
Dieu, après les avoir livrés au inonde, les a-t-il laissés à l'arbitraire d'un
chacun ? ou bien les a-t-il confiés à un groupe d'hommes, à un corps cons-
titué, à une société spéciale qui en doive scrupuleusement conserver le
dépôt et y faire participer tous les hommes'? Si cette société existe, quelle
674 REVUE THOMISTE
est-elle ? et faut-il, sous peine d'être en dehors de la vraie foi et des vrais
sacrements, aller puiser en elle ?
Sous la loi de nature, il n'y avait pas une Eglise formant un corps spé-
cial et distinct de la famille ou delà société. C'est à l'aide des traditions
religieuses corroborées par la lumière intérieure de la grâce que les
hommes arrivaient à connaître la vérité et à pratiquer la vertu. — Sous la
loi mosaïque, il y eut déjà une véritable organisation extérieure, un magis-
tère, un sacerdoce, un culte spécialement déterminés. Seulement, ainsi que
l'auteur l'observe après saint Thomas, cette organisation, cette Eglise,
cette synagogue n'était pas directement pour tous les hommes, elle n'était
que pour le peuple juif prédestiné à préparer le Messie. — L'Eglise uni-
verselle destinée à tous sans exception ne devait exister que sous le Tes-
tament Nouveau. Elle devait être, jiar excellence, la marque, le signe et en
même temps le fruit de la venue du Christ. Or cette Eglise existe et tout
homme doit se soumettre à son magistère sous peine d'être en dehors de la
vraie foi et de la vraie voie. L'auteur le prouve aisément par l'autorité
même de l'Évangile : « Je suis avec vous jusqu'à la consommation des
siècles... celui qui vous écoute m'écoute... ce que vous délierez sera
délié... etc. » : ces passages sont innombrables et décisifs. — L'Eglise, au
magistère de laquelle il faut nécessairement se soumettre, est l'Eglise
catholique, puisqu'en elle seulement se trouve l'unité et en elle seulement
Y aposlolieitè sans lesquelles la véritable Église ne saurait être. » De fait,
écrivait dernièrement M. de Pressensé (1), il n'y a que deux conceptions
possibles : celle de l'Église visible, une, infaillible, qui exige la soumis-
sion,— c'est celle du catholicisme; celle de l'Église invisible, ne réali-
sant jamais au dehors son unité, se contentant de la communion mystique
des âmes, — c'est celle du protestantisme. » C'est dire que pour qui-
conque admet la nécessité d'une église visible, l'Eglise catholique seule
est la véritable Eglise.
Mais ici vient une question délicate, une question capitale et qui forme
le noeud de la thèse étudiée par l'auteur : — peut-on, sans faire actuelle-
ment partie de la véritable Église, de l'Eglise catholique, participer à la
vraie foi et aux moyens indispensables pour obtenir le salut. — A la vraie
foi d'abord. Il ne s'agit évidemment pas de ceux qui refuseraient d'adhérer
à l'Église catholique, sachant qu'elle est la véritable Église. Il s'agit de
ceux qui, étant dans l'ignorance invincible et de bonne foi, vivent, en fait,
hors de l'Eglise catholique. De tels hommes peuvent participer à la vraie
foi formellement ; ils ne le peuvent pas matériellement. Ils le peuvent for-
mellement, puisqu'ils peuvent être dans la disposition de croire tout ce
Son étude se divise logiquement en deux parties dont l'une est le com-
plément naturel de l'autre : Etude de la théorie de la Forme substantielle;
Exposé du Concept de l'âme.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 677
son objet, semble nous faire croire que l'on ne s'est pas mépris sur son
686 REVUE THOMISTE
sens et son contenu. Nous n'oserions cependant pas affirmer que, dans
quelques années, le R. P. Brucker ne nous en offrira pas une exégèse
savante, destinée à nous faire comprendre que le bref Gravissime Nos n'est
qu'une corroboration très éclatante des opinions.du R. P. Frins, et que
l'on s'est tu si longtemps par un sentiment de modestie bien compré-
hensible en présence d'un éloge si autorisé et si étendu. (Quinze pages
dans l'édition officielle des Acla Leonis XIII.)
En somme, bonne brochure un peu vive, mais claire et concluante. Elle
fera son chemin sans réclame.
P. M.
NÉCROLOGIE
ALBERT BARBERIS
Le Père Barberis' est mort le 2 juillet 1896 au collège Alberoni à
Plaisance.
Né à Montferrat le 14 janvier 1847, Albert Barberis joignait à l'illus-
tration de la naissance des qualités d'esprit et de coeur peu communes.
Après de fortes études accomplies à Gênes, il entrait le 27 juillet 1863
dans la Congrégation de Saint-Vincent-de-Paul. Sa carrière entière s'é-
coula dans l'enceinte du Collège Alberoni. Disciple de maîtres illustres
J.-B. Tornatore et J.-B.- Manzi, il se fit remarquer par une avidité de
;savoir extraordinaire. Hautes mathématiques, physique, physiologie,
psycho-physique, géologie, minéralogie, étude des langues orientales, des
langues anciennes classiques, de plusieurs langues modernes, mais sur-
tout philosophie et théologie, il aborda tout et en tout il sut se créer une
compétence. Professeur de théologie morale et depuis 1877 de philo-
sophie, c'est à saint Thomas qu'il demandait ses idées directrices. Il excel-
lait à les faire rayonner sur les questions modernes desquelles il était:
admirablement au courant.
Le 7 mars 1880, fête de saint Thomas, il éditait le premier fascicule de
l'excellente revue thomiste latine : Divus Thomas. Il y publia de nombreux
articles de psychologie et de métaphysique. En psychologie, il nous a
donné : un commentaire sur deux articles de la 77° question de la 1. P. de
Pot. animai, une réfutation des idées du Père Siciliani sur les services que
la psychologie moderne est appelée à rendre aux études biologiques, his-
toriques et sociales, des ,étucles de psychologie expérimentale, spéciale-
ment : JEstliesimetria ac doei/rma S. Thomoe, — des fragments sur l'union
de l'âme et du corps, dans.lesquels il réfute les vues de Leibnitz, Rosmini,
Scot et Suarez. En métaphysique,nous avons de lui les : Qusestiones de esse
formali. — Esseformale estne intrinsecum crectluris ? où il vise spécialement:
Rosmini,mais touche en passant nombre de questions du plus haut intérêt.
Barberis fut l'un des grands promoteurs des Congrès scientifiques inter-
nationaux des catholiques. On l'attendait à Fribourg l'année prochaine. Jl
s'employait avec activité,malgré la maladie et des souffrances croissantes:
à assurer au Congrès de 1897 une participation éclatante de l'Italie.
« Barberis était par lui-même une force pour la science catholique »
ainsi prononce, sur la tombe de ce regretté savant, l'éminent Dr Gommer,
de Breslau. Il meurt deux ans à peine tprès le vénérable Tornatore. 11
repose aux côtés de ce maître très aimé. La Revue Thomiste envoie une
seconde fois au Divus Thomas l'expression de son fraternel regret (1).
LE GÉRANT : P. SERTILLANGE S.
l'ARIS — IMI'lUMlîlUE F. LEVÉ, RUK CASSETTE, 17
REVUE THOMISTE
POLÉMIQUE AVERROISTE
DE SIGER DE BRABANT
didicit semper vult in sacra scriptura metaphysice procedere. Similiter qui geometriam
didicit semper loquitur de punctis et lineis in llieologia. Taies induunt regem vcslibus
sordidis et laceratis; item spargunt pulverem 'un lucem et inde nascuntur cyniphes.
Exod, VIII. A propos do ces paroles, Hauréau fait cette remarque : « Mais ces Domini-
cains de Paris, qui. traitent si mal la philosophie,-n'ont pas encore entendu saint Thomas.
Ceux qui l'auront eu pour maître en.parleront avec plus de respect, et la gloire de la
maison de Saint-Jacques sera d'avoir particulièrement honoré l'étude qu'elle méprise au-
jourd'hui. »(Ibid., p. 231.) Seulement cette conversion vers la philosophie, que Hauréau
croit être l'oeuvre de saint Thomas, est en réalité celle d'Albert le Grand.
(1) Les constitutions de 1228 portent ces paroles : In libris gentilium etphilosoplioi-um
non studeant [fralres], etsi ad horam inspiciant. Seculares scientias non addiscant, nec
etiam artes quas libérales vocant, nisi aliquando circa aliquos magister ordinis vel capi-
tulum générale voluerit aliter dispensais. (DENIFLE, Archiv., I, 222.) Cette constitution
semble avoir été appliquée jusque vers 1241-43. Mais déjà, à partir de 1244, son appli-
cation est profondément modifiée. L'ordre établit lui-même des écoles d'arts libéraux
dans son sein et met beaucoup de zèle à les promouvoir. Les affirmations émises par un
anonyme sur ce sujet dans les Analecta 0. P. t. II, p. 507, n'ont aucune valeur histori-
que. Elles sont contredites par les faits, aussi bien que parla législation des chapitres
généraux et provinciaux du xine siècle. Les écrivains, qui empruntent fréquemment ce
texte des constitutions primitives pour déterminer la position do l'ordre à l'égard <J°
l'étude des sciences profanes, ont tort de vouloir déterminer par un seul point une ira-
jectoire très étendue et qui a plus que notablement varié.
(2) HAUHÉAI:, Notices et extraits, t. vi, 215-16; PITIIA, Analecta Novissima, Tuscuh'111-
-1888, t. il. p 365. Tout le Sermo XVI ad scholares, est très instructif sur ce poml.
« Quum igitur libri theologici christiano possunt sulïicere, non expedit in libris natura-
libus nimis occupari (p. SCS). Illas scho.lasticas scientias secure possumus audirc qua'
pra;parant auditum ad scientias pietatis, sicut grammaticam dialecticam et rheloncain-
Sed de quadrivialibus, licet contineant veritatem, non tamen ducunt ad pielatem (ibi'l-;-
Taloslibros gentilium possumus audirc, ex quibus aliquem fructum valeamus eli^tsro...
aiioquin illa penitus respuere debemus (370). »
(3) DENII'LE-CIIATISLAIN, Cltart. Univers. Parisiens. I, 114, etc.
POLÉMIQUE AVEKHOISTE DE SIGER DE BRABANT ET DE S. THOMAS 691
(1) DENIFLE, Archiv. I, 612, etc. ; A. GIETL, Die Sentenzen Rolands, Freiburgi. B. 1891
p. xxi, etc.
{>-) Nous mentionnerons ici pour mémoire l'étude de F. PICAVET, Abélard et, Alexandre
de Haies créateurs de la méthode scolastique (Bibl. de l'École des Hautes Etudes, sciences
religieuses, septième volume, 24 pp.), en tant qu'elle parait contredire ce que nous affir-
mons dans le présent article. L'auteur est très loin d'avoir justifié le titre de son écrit,
spécialement en ce qui concerne Alexande de Haies. Il résume ainsi sa pensée sur cette
question : « Alexandre de Haies, s'inspirant d'Aristote comme des théologiens et des
philosophes antérieurs, a été le véritable créateur dé la méthode, employée par saint
Thomas et ses successeurs jusqu'au xixc siècle, utilisée en partie encore par des philo-
sophes contemporains, qui ne se réclament pas du thomisme » (p. 24). La thèse de M. Pi-
cavet pèche par la base. Son point de départ est une équivoque sur ce qu'il appelle la
méthode scolastique envisagée en bloc comme une notion unique. La vérité c'est qu'il y
a au moyen âge, comme aujourd'hui, une méthode philosophique et une méthode théo-
logique irréductibles l'une à l'autre. En parler d'une manière uniforme, c'est se vouer à
l'avance à toutes sortes de confusions et se fermer le chemin à des conclusions autori-
sées. Or,surla propagation delà méthode philosophique et de la philosophie, Alexandre
de Haies n'a pas à intervenir. Quant à la méthode et à la science théologiques, on ne
peut pas présentement, dans l'état de la critique, faire appel à Alexandre de Haies.
L'oeuvre attribuée à ce dernier et acceptée sans une ombre de doute par M. Picavet, est
«ne compilation de la seconde moitié du xni° siècle dans laquelle on a fait entrer comme
éléments fondamentaux les travaux d'Albert le Grand, de saint Thomas d'Aquin et de
saint Bonaventure. Nous sommes à même de démontrer que la méthode de la Somme
théologiquo, dite d'Alexandre de Haies, ne lui est pas propre et que la plus grande partie
de la matière qui la constitue n'est pas de lui. L'ouvrage ne peut en aucune manière
être apporté en témoignage pour établir l'état de la science théologique dans la première
moitié du xm° siècle. Quant à l'analyse sommaire du début de la Somme théologique
d'Alexandre, faite par M. Picavet pour justifier sa thèse, elle porte justement sur une
partie qui s'est fortement inspirée de la partie correspondante de la Somme théologique
d'Albert le Grand.
692 REVUE THOMISTE
sur saint Matthieu, déclarant qu'il donnerait Paris pour les avoir.
Cette pénurie de livres originaux qui rendait difficile là confec-
tion des grandes compilations, contribuait par contre à les rendre
d'autant plus précieuses que,par leur science condensée, elles sup-
pléaient à de véritables bibliothèques spéciales dont la constitu-
tion eût été alors impossible. La masse des esprits studieux qui ne
pouvaient, pour des obstacles multiples, aller aux sources elles-
mêmes, se désaltéraient à ces citernes scientifiques dont l'étendue
nous paraît aujourd'hui démesurée, mais qui plaisaient aux con-
temporains à cause même de l'abondance de leurs eaux.
Les grandes encyclopédies scientifiques sont d'ailleurs beaucoup
plus rares qu'on ne serait, porté à le croire tout d'abord. Le
xm° siècle n'en compte à proprement parler que deux, celles de
Vincent de Beauvais et d'Albert le Grand. On trouve d'autres tra-
vaux importants exécutés par des procédés analogues, mais aucun
n'a un pareil développement, quant à son objet, ni n'a exercé une
influence aussi universelle de son temps.
Les travaux de Vincent et d'Albert sont à leur tour fort dissem-
blables entre eux.
Vincent embrasse tout le domaine rationnel. Il vise à constituer
matériellement une bibliothèque avec son Spéculum Majus (1). La
partie historique qui y occupe une place importante demeure en
dehors des préoccupations d'Albert.
Mais c'est surtout au point de vue du procédé et de la méthode
que les deux oeuvres diffèrent. Vincent est un compilateur. L'effort
de recherches, de travail et de patience nécessité par la confection
de son Spéculum a dû être énorme (2); mais il n'est pas ou presque
pas sorti de son rôle de compilateur comme il le déclare lui-
même (3). Ce qui lui appartient en propre, après le labeur des
(1) « Mihi omnium fratrum mmimo plurimorum libres assidue revolventi ac longo tem-
père studiose legenti, visum est tandem, accedente etiam majorum consilio, quosdam
flores pro modo ingenii mei electos, ex omnibus fere, quos légère potui, sive nostrorum,
ul est, calholicorum Doctorum, sive gentilium, scilicet philosophorum et poetarum, et
ex utrisque historicorum in unum Corpus voluminis quodam compendio et ordine rédi-
gera. » Prolog., c. i.
(2) « Hoc opus ad tantaî magnitudinis immensiiatem excreverat, ut in triplo Biblio-
tliecoe sacroe mensuram excederet.
» [Prolog., c. xvi.) Un contemporain, peut-être Henri
de Gand, a ainsi jugé l'oeuvre de Vincent «Est opus magni ingenii et laboris. Liber de
: »
Scripl. écoles., cap. XI.II, éd. Fabricius, Bibl. eccl., Hamburgi, 1718, p. 12b.
(3) « Se non per modum auctoris, sed excerptoris ubique procedere. » Prol., c. vu.
698 REVUE THOMISTE
(1) « Antiquum (opus) esse aucloritale et materia, novum vero partium compilalione et
aggregatione » Prol., c. iv. — « Ego autem in hoc opère vereor quorunidam legentium
animos refragari, quod nonnullos Aristotelis flosculos, precipueque ex libris ejusdem
physicis et metaphysicis, quos nequaquam ego excerpseram, sed a quibusdam fralribtis
excerpla susceperam, non eodem verborum scemate, scilicet quo in originalibus suis
•jacent, sed ordine plerumque transposito, nonnunquam etiam mutata paululum ipsorum
verborum forma, manente tamen auctoris sententia, prout, vel prolixitatis abbreviande,
vel multitudinis in unum colligenda;, vel etiam obscuritatis explanandoe nécessitas
exigebat, per diversa capitula inseriii. » BOUTAMC, p. 28.
Nous profitons de l'occasion pour donner la liste des principales études sur Vincent
de Beauvais, car elle n'existe nulle part d'une façon un peu complète :
QuÉïiF-EciiAun, Script. Oral. Proed.,ï, 212-240.
Ilist. lill. de la France, XVIII, 449-519, XIX, 702-3.
DENIKI.E, Documents relatifs à la fondation et aux premiers temps de l'Université de
Paris (Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France), t. X (1S8»),
p. 245, 253.
Bull. Ord. Proed.,t I, p. 259-263.
VOGEL A. Notizen ûber den millelallerlichen Gelekrlen Vincenz von Beauvais, Frei-
burg, 1843.
BOUHGEAÏ J', B. Éludes sur Vincent de Beauvais, théologien, philosophe, encyclopé-
diste, Paris, 1S56.
BOUTAMC E. Vincent de Beauvais et la science de l'antiquité classique au xme siècle
{Bévue des Questions historiques, 1875).
GAI-Z W. Vincenz vo?i Beauvais und das Spéculum morale (Zeilschrifl fur Kii'-
ch.engeschich.le, t. II).
GUTTMANN J. Die Bezieliungcn des Vincenz von Beauvais zum Judenlhum {Monals-
chrifl zur Geschic/ile des Judenlhums, N. F. III, 5).
RIEUNIEII A. Quelques mots sur la médecine au moyen âge d'après le Spéculum majus
de Vincent de Beauvais, Paris, 1S92.
FniEnnicii R. Vincenlius von Beauvais als Poedagog, und seine Schrifl « De erudi-
tione fûiorum regalium », Leipzig, 1883.
Scm.ossiïii G. F. Vincenz von Beauvais ûber die Erzieliung der Prinzen. Francfort,
5819,2 vol.
Wn.i.Auiîn A. Vincenz von Beauvais iiber die lirziehung. Ellwangen, 1887.
C HEVAi.iEii U. Répertoire des sources historiques (lu moyen âge, col. 2303.
POLÉMIQUE AVERROISTE DE SIGER DE BRABANT ET DE S. THOMAS 699
(1) « AUGUSTINUS in lib.II. De Civilale Dei, cap. xxv, dicit quod Philosopbi tripartite
diviserunt Pliilosopbiam in Pliysicam, Logicam et Etbicam. » ALBERÏUS MA&NUS, Summ.
Theolog. Pars I, q. xm, mem.br. m, S. •— Pbilosopbia dividitur in très partes, scilicet
Logicam, Pliysicam et Ethicam (début de la Summa Philosophie ou Isagoge). Albert ne
mentionne pas dans ces divisions les arts mécaniques ou pratiques qui sont moins inté-
gralement une partie de la philosophie, mais, comme il les a traités, il leur a certainement
assigné la place que leur attribue Hugues de Saint-Victor, dont il suit de tout point la
classification (HUGO a S. VICTOBE. Didascal. lib. II, cap. n et xxi).
(2) « Partes essentiales pbilosophiaî realis :... naturalis sive physica, metapbysica et
Hialhematica » (De Physico Audilu, ad initium). « Scientiam triplicem esse dixerunt
Platonici, pliysicam scilicet... mathematicani... metaphysicam D (Elhic. lib. VI, tr. II,
cap. xix, t. VIII, p. 435, éd. Paris.)
( 3) Nous n'examinerons pas ici le nombre et la classification des ouvrages compris
sous le titre de_ Physica ou Naluralia. Albert a donné lui-même au commencement de
ce groupe de traités (De Audilu Physico, lib. I, tr. i, cap. iv) le titre et l'ordre des dix-
l'uit traités d'étendue fort inégale d'ailleurs, qu'il se proposait d'écrire. Albert toutefois
n'a pas rigoureusement suivi clans le détail l'ordre qu'il s'était lui-même proposé. Con-
li"iint par des nécessités pédagogiques, il a quelque peu sacrifié les exigences de la clas-
sification rationnelle ainsi qu'il nous en avertit lui-même : Attendimus sicut soepe proies-
702 REVUE THOMISTE
tati sumus, principaliter facilitatem doctrina;, propter quod magis sequimur in traditione
librorum naturalium ordinem quo facilius docetur auditor, quam ordinem rerum nalura-
lium. Et haïe de causa non tenuimus in exequendo libros ordinem quem preelibavimus in
prooemiis nostris, ubi divisionem librorum naturalium posuimus (De inlelleclu et Intel-
ligibili, ad initium). Voy. G. VON HERTLING, Albertus Magnus, Beitràge zu semer Wiir-
digung, Kceln, 1881, p. 44, etc. ; JOUBDAIN, Recherches sur les anciennes traductions
latines d'Aristote, Paris, 1843, p. 310, etc.
(1) H. DE BLAINVII.LE, Histoire des sciences de l'organisation et de leurs, progrès,
Paris, 1845, t. Il, p. 1-95; F. A. POUCHET, Histoire des sciences naturelles au moyen
âge, ou Albert le Grand et son époque considérés comme point de départ de l'école
expérimentale, Paris, 1853 ; L. CIIOULANÏ, Albertus Magnus in seiner Bedeulung fur
die Nalurwissenchaften, hislorisch und bibliographisch dargestelll (Jauus, Zeilschrift
ftir Geschichle und Literatur der Medicin, 1846, 1,191-160, 687-90); BOHMANS, Mémoire
sur les livres d'histoire naturelle d'Albert le Grand (Bulletin de l'Académie royale de
Belgique, XIX (1852) ; P. X. PFEII'IÏII, Ilarmonische Beziehungen zwischen Scholaslik
und modevner Naturwissenchaft mil spezieller Bilcksicht auf Albertus Magnus,
St.Thomas von Aquino, Augsburg, 1881; E. ME'YEH, Albertus Magnus, ein Beilrag zur
Geschichle der Bolanih in XIII Jahrhunderl (Linnàa, X (1836), 641-741, XI (1837), 545:
Alberti Magni de Vegelabilibus libri seplem, editionem criticam ab E. Meyero coeptam
absolvit C. Jessen, Berolini, 1867; S. FIÎLLNEK, Albertus Magnus als Bolaiiiker, Wien.
1881 ; 'BuiiLE, De fonlibus mule Albertus Magnus libris XXVI animalium maleriam
hauserit (Commenlaliones Socielalis regise scienliarum. Gollingensis, vol. XII (1793—1).
94-40) ; Rectifications de JOURDAIN, l. c.
(2) Les meilleurs catalogues des oeuvres d'Albert le Grand sont ceux de Bernard Gui-
donis (DENIFLE, Archiv f. Lileratur u. Kircliengeschichle, t. II, 236), de HENRI DE HI-:B-
FORI) (Liber de rébus memorabilibus, éd. Pottbast, Gottingas, 1859, p. 202), de la vie
anonyme écrite au xiv° siècle et publiée par les Bollandistes (Catalogus codicum hagio-
graphicorum bibl. Bruxelleiisis, Pars I, Bruxellis, t. II, p. lOi); le texte publié es! lié*
incorrect, soit que la responsabilité en revienne aux éditeurs ou au manuscrit. Voyez
aussi le catalogue d'ïïcbard (Script. Ord. Proed., I, p. 169, etc.), confectionné d'après
Laurent Pignon et Louis de Valladolid. Nous savons par Albert lui-même qu'il a écrit
sur les mathématiques et cela après la composition des livres physiques, comme on 1°
verra plus loin. Voici la liste des écrits mathématiques d'après l'auteur anonyme q' 11
(1) « hase quidem quando adjuncta fuerint undecimo [libro] Primse Philosophia?,
Et
opus perfectum eril » (De Causis, lib. III, tr. V, c. xxiv, t. X, p. 619 éd. Paris). L'auteur
de la vie anonyme écrit donc avec raison : « Item ad complementum metaphysicas scripsit
universalia et de prima causa; de intelligentiis ac substantiis separatis libros-duos »
(p. 105). Tout le texte est relatif au seul traité « de Causis » qui contient deux livres, mais
le texte est ici très corrompu.
(2) « Ethica large dicta comprehend.it monasticam, oeconomicam et civilem ». Topic.
bb. I, tr. iv, c. ii, t. II, p. 278, éd. Paris.
,
(3) D'après Bernard Guidonis, Albert a écrit deux fois sur les Postérieurs Analytiques
elles Éthiques; d'après Henri de Herford, deux fois sur les Topiques et les Politiques,
704 REVUE THOMISTE
(1) « Naturalibus et doctrinalibus jam quantum licuit scientiis elucidatis, jam ad veram
pliilosophioe sapientiain accedamus ». (Melaphysica, ad initium.)
(2) Hugues de S. Victor qui nous a fourni une classification détaillée des sciences,
conforme à celle que nous avons donnée plus' haut, nous dit : « Mathematica doctrinalis
scientia dicitur (Didascal. Patr. Lat, t. CI.XXVI, col. 753). Eadem [scientia est) mathe-
matica, intelligibilis et. doctrinalis » (759). L'expression d'Albert le Grand qui a arrêté
Hertling, sermo pht/sicus de Coelo et Mundo, signifie les mathématiques) telles qu'elles
sont appliquées dans l'ouvrage de Physique De Coelo cl Mundo. Par un vice résultant
'le la classification d'Albert, la cosmographie est à la fois
une partie de la Physique et
des Mathématiques. Albert emploie lui-même ailleurs le mot équivalent do diseiplina-
liilis pour qualifier les Mathématiques : Matheniaticam [scientiam]
« quoe disciplinahilis
est. Mathesis enim grasce, latine sonat disciplinam » (Elhic, lib. VI. tr. II, c. xix, t. VII,
P- 435, éd. Paris.). S. Thomas écrit à son tour : « Procedere disciplinabiliter attribuitur
708 REVUE THOMISTE
.
mathômatica;, non quia ipsa sola disciplinabiliter procédât, sed quia ei proecipue com-
pelit » (In Boelium, de Trinit. quoest. vi, art. 1, t. XXVIII, p. 542, éd. Vives). Le fait
de la substitution du mot de disciplinabilis à celui de doctrinalis chez Albert est un
témoignage qu'il a écrit ses Éthiques après sa Philosophie réelle. Il s'était servi d'abord
de l'ancienne expression empruntée vraisemblablement à Hugues de Saint-Victor; puisi
quand il commenta les Éthiques, il y trouva l'expression beaucoup plus littérale de disci-
plinabilis et l'adopta. La traduction des Elliiques porte en effet : « Geometrici juvenes el
disciplinati fiunt. » (Elh., lib. X, lect. vu, S. Thomse Optera, éd. Vives, t. XXV, p. 501.)
Albert a soin d'ailleurs de faire lui-même une sorte de concordance entre les deux
expressions similaires dont il s'est successivement servi. Dans sa Logique qui parait
être la dernière partie écrite de sa Philosophie, il dit : in scientiis disciplinabilibus sire
doctrinalibus (Topic. lib. I, tr. I, c, u, t. II, p. 241, éd. Pans.
(1) Albertus Magnus, p. 44.
POLÉMIQUE AVERROISTE DE SIGER DE BRABANT ET DE S. THOMAS 709
(A suivre)
P. MANDONNET. 0. P.
(Suite)
IMMUTABILITÉ DE LA PROVIDENCE.
— A ce seul mot, l'objection se
dresse et trouble l'esprit. Nous ne pouvons pas nous empêcher de
penser que, si les événements sont réglés d'avance, au point que
rien ne peut en changer le cours, toute liberté et toute contin-
gence disparaissent. Notre activité ne modifiera pas les décrets
éternels; il n'arrivera que ce que Dieu a voulu. L'objection
devient plus pressante, quand on considère que Dieu est cause de
tout, de sorte que, non seulement les futurs sont déterminés et
prévus, mais ils sont encore produits par Dieu. Gomment res-
teront-ils libres et contingents sous.une cause toute-puissante?
La réponse n'est pas douteuse. Dieu connaît les choses, chacune
selon sa nature, et il ne change pas cette nature en les appelant à
l'existence. Quant aux rapports établis par Dieu entre les êtres
pour ajouter au bien qu'ils ont par eux-mêmes, le bien qui résulte
de leur société, ils sont toujours en conformité avec les natures.
Si des rapports contraires résultent de l'imperfection et du mau-
vais vouloir des créatures, Dieu les connaît et les tolère, sans
permettre qu'ils nuisent au bien de l'ensemble.
Si donc Dieu ne faisait qu'ordonner les êtres, son action ne leur
imprimerait aucune violence. Il les prendrait tels qu'ils sont, pour
leur donner l'arrangement. Il en est de même quand Dieu est
auteur, car il produit les êtres tels qu'ils les a conçus et il les
conçoit tels qu'ils sont en eux-mêmes. Si c'est par lui-même qu'il
produit, son action ne va pas contre ses décrets ; s'il emploie des
causes secondes, celles-ci ne peuvent rien contre sa volonté. La
toute-puissance garantit l'efficacité de la sagesse et de la bonté
712 REVUE THOMISTE
divine. Deux choses sont certaines : l'une que tout arrive selon la
prévision divine, l'autre que tout arrive selon la nature propre à
chaque être. Si donc il est nécessaire, d'une nécessité de supposi-
tion, que tout ce qui a été décrété se réalise ; il est également
nécessaire, d'une nécessité qui prime celle-ci, que tout arrive selon
la nature qui lui est propre.
Les obscurités, les incompréhensibilités même que l'esprit
humain rencontre dans la providence, sans pouvoir les dissiper,
tiennent à ce qu'il ne voit pas les choses comme Dieu les voit, et
à ce qu'il ne connaît pas suffisamment le mode d'action propre à
la cause première. Il faudrait être Dieu même pour comprendre
toute l'activité divine. Le soldat à son rang ne connaît pas les
mouvements de l'armée de la même manière que le général qui
les commande ; il ne voit que ceux qu'il exécute, tandis que le
général les connaît dans tout leur ensemble. La connaissance des
êtres juxtaposés et successifs est sujette, pour nous qui sommes
l'un de ces êtres, aux conditions du temps et de l'espace. Nous ne
voyons intuitivement que ceux qui sont présents. Il n'en est pas
de même de la connaissance divine : pour Dieu il n'y a ni passé,
ni futur tout est présent d'une présence éternelle, incompara-
:,
(1) « Sed Deus est omnino extra ordinem temporis, quasi in in arce aîternitalis cons-
titulus, quoe est tota simuï, cui subjacet totus temporis decursus secundum unum et
simplicem ejus intuitum ; et ideo uno intuitu videt omnia quae aguntur secundum tem-
poris decursum, et unumquodque secundum quod est in seijiso existens, non quasi
sibi futurum quantum ad ejus intuitum prout est in solo ordini suarum causarum
(quamvis et ipsam ordinem causarum videat), sed omnino oeternaliter sic videt unum-
quodque eorum quoe sunt in quocumque tempore, sicut oculus humaiius videt Socratem
sedore in seipso, non in causa.
« Ex hoc autem quod homo videt Socratem sedere, non tollitur qui contingenta quoe
respicit ordinem causoe ad effectum; lamen certissimi et infallibiliter videt oculus
liominis Socratem sedere dum sedet, quia unumquodque prout est in semetipsa jam
delerminatum est. Sic igitur rel'ïnqnitur, quod Deus certissime et infallibiliter cognoscat
eninia quoe fiunt in tempore ; et tamen ea quoe in tempore eveniunt non sunt vel fiunt ex
necessitate, sed contingenter. » Péri Herm., lib. I, lec. xiv, g 20.
714 REVUE THOMISTE
(1) « Similiter ex parte voluntatis divinoe differentia est atlendenda. Nam voluntas
divina est intelligenda ùt extra ordinem entium existens, velut causa quoedani profun-
dens totum ens et omnes ejus differentias. Sunt autem differentioe entis possibilc cl
necessarium; et ideo ex ipsa voluntate divina originantur nécessitas et contingentia in
rébus et distinctio utriusque secundum rationem proximarum causarum : ad elï'octus
enim, quos voluit necessarios esse, disposuit causas necessarias ; ad effectus autem,
quos voluit esse contingentes, ordinavit causas contingenter agentes, id est potentcs
deficere. Et secundum harUm conditiûnem causarum, effectus dieuntur vel necessaru
vel contingentes, quamvis omnes dependoant a voluntate divina, sicut a prima causa,
quoe transcendit ordinem necessitatis et contingentioe.
« Hoc autem non potesl dici de voluntate humana, nec de aliqua alia causa : <p,ia
onniis alia causa cadit jam sub ordine necessitatis vel contingentioe ; et ideo oportel
LA PROVIDENCE 71S
quod vel ipsa causa possit deficere, vel effectus ejus non sit contingens sed necessarius.
Voluntas autem divina indeficiens est; tamen non omnes effectus ejus sunt necessarii,
sed quidam contingentes. » (Péri Ilerm., lib. I, lec. 14, 22.)
716 REVUE THOMISTE
(il) Quiescit intellectus non evidentia veritatis inspecta sed altitudine inaccessibili
ver.italis ocultie... quoniam, ut ait Gregorius, minus de-Deo sentit, qui hoc lantum de
illo,crédit, quod suo ingenio metiri potest. Nec propterea negandum aliquid eorum, quoe
ad divinam immutabilitalem, actualitatem, certitudinem, atqueuniversalitatem, et similia
spectare scimus, aut ex fide tenemus suspicor, sed aliquod occultum latere, vel ex parte
ordinis qui est inter deum et exentum provisum vel ex glutino inter ipsum eventum et
esse provisum arbitror, et sic intellectum animoe nostroe oculum noctuoe esse consi-
derans, in ignorantia sola quietem illius invenio. Melius est enim tam fidei catholicoe,
t|uam philosophioe, fa ter i coecitatem nostram, quam asserere tanquam evidcntioe, quoe
intellectum non quietant, evidcntioe namque quietiva est. Nec propterea omnes Doc-
lores proesumptionis accuso, quoniam balbutiendo, ut potuerunt, immobilitatem et
edicaciam summam et oeternam divini intellectus, voluntatis, potestatisque insinuare
intenderunt omnes per infallibilitatem ordinis divinoe electioiiis ad eventus omnes,
ouorum nihil proefatoe suspicioni obstal quoe altius quid in eis latere crédit. » Theo-
dicoe, Discours de la Conformité,., g 48 (in I, q. xxn, a. 4).
718 REVUE THOMISTE
pas d'être créé qui ne procède de l'être qui est par soi. Une créa-
ture, par cela même qu'elle est active, est principe d'action ; elle
peut même devenir premier principe dans un ordre donné, comme
le soleil attire toutes les planètes, comme les corps lumineux
éclairent ceux qui ne le sont pas ; mais jamais une créature, si
puissante qu'elle soit, n'est premier principe sous tout rapport.
Comment le pourrait-elle, puisqu'elle n'a rien qu'elle n'ait reçu,
ce qui lui ôt'e toute possibilité d'une action complètement indé-
pendante ? Le soutenir implique contradiction. Les auteurs en
conviennent : aussi leurs controverses ne portent pas sur le fait
de la dérivation, mais sur la manière dont les causes secondes
procèdent de la cause première.
Trois opinions sont en présence : celle de Durandus, renouvelée
par les évolutionnistes ; elle met dans le premier terme, comme
dans un ressort, tout le mouvement futur du monde. C'est, nous
l'avons vu, confondre l'acte de gouvernement avec l'acte de créa-
tion. Le second sentiment est pour un concours simultané de
Dieu et de la créature. Ils se rencontrent dans l'effet produit, sans
s'unir auparavant, comme deux forces qui s'appliquent au même
objet et ne se combinent pas. Dieu sait par avance ce que fera sa
créature et il dispose en conséquence sa coopération et sa provi-
dence. N'est-ce pas mettre la cause seconde sur le même pied
la
que cause première et lui donner une indépendance qu'elle n'a
pas? 11 reste le sentiment de saint Thomas, d'après lequel Dieu
meut la cause seconde elle-même, l'applique à son objet, lui
donne d'accomplir son acte. Il n'y a pas à se préoccuper de la
manière dont l'acte sera accompli puisque la cause première
respecte toujours la nature des effets produits. « Dieu, dit le grand
Docteur, est la cause première, mouvant les causes et naturelles
et libres. Et de même qu'en mouvant les causes naturelles, il
n'empêche pas leurs effets d'être naturels, de même en mouvant
les causes volontaires, il n'empêche pas leurs actions d'être volon-
taires, il fait au contraire qu'elles sont volontaires, car il agit
dans chaque être selon la nature de cet être (1). »
(I) Deus est prima causa movens et naturales causas et voluntarias. Et sicut nalura-
l'bus causis, movendo cas, non aufert quin actus earum sint naturales, ita movendo
causas voluntarias, non aufert quin actiones earum sint voluntarioe, sed potius hoc in
ois facit; operatur enim in unoquoque secundum ejus proprietatem, I, q. LXXXIII, a. 1,
ad. 3m.
720 REVUE THOMISTE
(1) Nos adversus istos sacrilegos ausus atque impios, et Deum dicimus omnia sciro
antequam fiant, et voluntate nos facere, quidquid à nobis nonnisi volentibus fieri senli-
mus et novimus. Omnia vero fato fieri non dicimus quoniam fati nomen ubi sole! a
loquentibus poni, id est in constitutione siderum cum quisque conceptus aut natus est
(quoniam res ipsa inaniter asseritur), nihil valere monstramus. Ordinem autem causa-
ubi voluntas Dci plurimum potest, neque negamus, neque fati vocabulo nuncupamus.
rum,
Civ. lib. V, c. ix, § 3.
,
LA PROVIDENCE 721
(l)Non est autem consequens, ut, si Deo certus est omnium ordo causarum, ideo
nihil sit in nostroe voluntatis arbitrio. El ipsoe quippe nostroe voluntalcs in causai'"" 1
ordine sunt, qui certus est Deo ejusque proescientia conlinelur, quoniam et hiunan.'e
voluntates humanorum operum causoe sunt. Civ., lib. V, c. ix, § 3.
(2) Satagite, utperbona opéra certam vestram vocationcm et electionemfacialis. 2. P'-l''-
I, 10.
LA PROVIDENCE 723
(A suivre.)
_
R, P. VlLLARD, 0. P.
LES ANESTHÉSIQUES
ET LA QUESTION DE LA TRANSCENDANCE
DU PRINCIPE VITAL
(1) Cl. BEBNAnn, Phénomènes de la vie commune aux animaux et aux végétaux.
728 REVUE TnOMISTE
II
Les faits qui ont été exposés dans cet article me permettront de
présenter les quelques considérations suivaiites dont l'importance
me paraît très grande.
Grâce aux anesthésiques, nous avons pu séparer en deux grands
groupes bien distincts les phénomènes qui ont pour siège les
tissus des êtres organisés : les uns qui sont suspendus par l'action
des anesthésiques, les autres qui sont respectés par eux. Ces der-
niers sont des phénomènes nettement physico-chimiques; ils
ont leurs analogues, leurs équivalents en dehors des êtres vivants;
les premiers sont au contraire des phénomènes caractéristiques de
la vie. Certains biologistes cherchent aujourd'hui à ramener ces
derniers phénomènes à de simples manifestations d'ordre pure-
ment mécanique, purement physique, ou purement chimique, si
bien que, pour eux, dans l'être organisé vivant, n'intervient au-
cune force autre que les forces dont nous pouvons constater les
effets dans le monde inorganisé. Je ne veux point examiner ici la
valeur de ces théories antivifalistes; je tiens seulement à faire
remarquer que les biologistes dont il s'agit devront nous explique!'
pourquoi et comment les anesthésiques ne touchent pas à certains
Dr Maurice Aimius,
Professeur de physiologie à l'Université de Fribourg (Suisse).
QUATRIÈME ARTICLE
OU
(Suite)
de celle qui est l'apanage des justes ici- bas ; elle en diffère simple-
ment comme la consommation ou le couronnement d'une oeuvre
se distingue de ses commencements, comme un fruit arrivé à
maturité se distingue, de la semence qui l'a produit, comme
un homme adulte se discerne d'un embryon. La grâce, en effet,
est la semence de la gloire ; elle inaugure ici-bas, quoique
d'une manière imparfaite, la vie qui nous est réservée dans le
ciel.
Or la vie éternelle consiste dans la connaissance du seul Dieu
véritable et de son envoyé Jésus-Christ : Hsec. est vita seterna, ut
coqnoscant te, solum Deum verum, et quem misisti, Jesum Chris-
tum (1) ; non pas clans cette connaissance médiate, abstraite, obs-
cure, qui est notre partage en cette vie, et que nous puisons dans
les oeuvres de Dieu (2), et dans la vérité révélée; mais dans la Vue
directe, et immédiate, dans la contemplation claire, faciale, intui-
tive de la divine essence; dans la possession et la jouissance du
souverain bien; c'est dire, en d'autres termes, qu'elle consiste clans
la présence réelle et substantielle de Dieu' dans l'esprit et le coeur
des bienheureux en tant qu'object direct de leur connaissance et de
leur amour : ut cognitum in cognoscente et amatum in amante.
Si donc nous voulons nous faire une idée nette et précise de ce
genre de présence, il faut la considérer non pas telle qu'elle s'offre
à nous dans la personne des justes de la terre, où elle n'est en-
core qu'à l'état rudimentaire, sous forme de germe ; mais telle
qu'elle existe dans les saints du paradis, en qui elle est parvenue à
son complet épanouissement; de même que, pour se bien rendre
compte de ce qu'est l'homme, de sa nature, de ses facultés, de ses
opérations, il faut l'étudier non pas à l'état d'embryon ou de foetus,
pendant les premiers mois de son existence dans le sein maternel,
mais à l'état d'être parfait, durant cette période de la vie où il est
arrivé à son plein développement, à sa perfection régulière et nor-
male. Cherchons donc comment Dieu est uni aux bienheureux déjà
parvenus au ternie de leur pèlerinage.
C'est une vérité de notre foi que les élus dans le ciel voient Dieu
(1) « Auctoritate apostolica definimus quod omnes beali, etiam ante resumptionem suo
mm corporum..., viderunt et vident divinam essentiam visione intuitiva et etiam faciali-
nulla mediante creatura in ratione objecti visi se habente, sed divina essentia immédiate
se uude, clare et aperte eis ostendonte, quodque sic videntes eadem divina essentia per-
fruuntur, neenon quod ex tali visione et fruilione, eoi'um animaî, qui jam decesserunl,
sunt vere beata;, et habent vitam et requiem oeternam ». Ex Const. Benedictus Sens,
Bened. xn, an. 1336.
Item conc. Florent, (an. 1439) in decreto unionis àeRnivh : animas sanctorum post mor-
tem « in coelum mox recipi et intueri clare ipsum Deum trinum et unum, sicuti est, pro
meritorum tamen diversitate aiium alio perfectius ».
(2) « In reliquo reposita est mihi corona juslitiaî, quam reddet mihi Dominus in il'a
die justus judex : non solum autem mihi, sed et iis qui diligunt adventum ejus. »H-
Tim., îv, 8.
(3) Il n'y a d'exception que pour l'intelligence de l'ange dans la connaissance de lui-
même. Pour se connaître, l'ange n'a pas besoin d'une espèce intelligible distincte de sa
propre substance; car celle-ci citant immatérielle et intelligible en acte, et intimemcnl
unie à l'entendement, joue par elle-même le rôle de forme intelligible, en sorte qi'c
l'ange se connaît par lui-même, par sa substance. Cf. S. Th., I, q. LVI, a. i.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 741
Il
(1) « Manifestum est quod cum intellectus noster nihil cognoscat nisi per aliquam spe-
ciem ejus, impossibile est quod per speciem rei unius cognoscat essentiam alterius ; et
quanto magis speci.es per quam cognoscit intellectus, plus distat a re cognita, taiïto
intellectus noster imperfectiôr.em cognitiomem liabet: de essentia rei illius... Manifestum
est autem ex superioribus, quod nullum creatum communicat cum Deo in génère. Per
quamcumque igitur spéciem creatam non solum sensibilem sed intelligibilem, Pjeus uo-
gnosci per essentiam nonpotest. Ad hoc igitur quod ipse Deus per essentiam cognoscatur,
oportet quod ipse Deus fiât forma intellectus ipsum cognoscentis, et conjungatur ci non
ad unam naturam conslituendam, sed sicut species intelligibilis intelligenti. Ipse enim
sicut est suuin esse, ita est sua veritas, quoe est forma intellectus ». S. Th., Comp. Theol.
(Opusc. III), .cap. cv.
(2) Summ. Theol... I, q. xn, a 2.
(3) S. Th. Comp. Theol., cap. cv.
(4) « Necesse est autem quod omne quod consequitur aliquam formam, consequatur dis-
position em aliquam ad formam illam. Intellectus autem noster non est ex ipsa sua natiira
inultima dispositione existons respecta formoe illius quas est veritas, quia sic a principe
eam assequeretur. Oportet igitur quod eum eam consequitur, aliqua dispositione denovo
addita elevetur, quam dicimus gloria; lumen ». lbid.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 743
titre d'agent qu'il est dans les bienheureux, mais encore et surtout
comme objet de connaissance et d'amour, de connaissance intui-
tive, d'amour béatifique; une union enfin qui, sans aboutir à l'u-
nité de substance, et, tout en respectant la double personnalité de
Dieu et de Y être créé, les met dans de tels rapports d'intimité que
l'un devient la béatitude et la suprême perfection de l'autre.
Ce que sera cette vision de Dieu, cette contemplation de la
beauté infinie, ce qu'elle apportera de joie, de douceur, de délices,
nul ne le sait hormis celui qui la donne et celui qui en jouit, nemo
scit, nisi qui accipit (1). Les auteurs inspirés, auxquels l'Esprit-
Saint a daigné en révéler quelque chose, nous disent que ce sera le
plein rassasiement de tous nos désirs (2), un vrai torrent de délices
capables non seulement de remplir notre coeur, mais de l'inonder
véritablement (3); ce sera sûrement une connaissance non pas
sèche et froide comme un pâle rayon d'hiver, mais ardente, savou-
reuse, souverainement délectable, qui engendrera clans la volonté
un amour immense, irrésistible, ininterrompu, et une jouissance
aussi grande que le comportera la capacité de notre coeur.
III
il nous apparaîtra tel qu'il est, que nous lui serons pleinement
semblables. Scimus quoniam, cum apymruerit, similes ei erimus
quoniam videbimus eum sicuti est (1). C'est alors que nous vivrons de
sa vie, le connaissant et l'aimant, quoique d'une manière finie
et limitée, comme il se connaît et s'aime lui-même: Tune cognos-
eam sicut et cognitus sum (2) ; car la vie intime de Dieu consiste
dans la connaissance et l'amour qu'il a de son être et de ses
divines perfections.
Cette fin obtenue, notre désir de savoir sera pleinement satis-
fait, notre soif de bonheur complètement apaisée, car l'essence
divine, unie à notre intelligence, sera un principe suffisant pour
nous faire connaître toute vérité: et, d'autre part, possédant la
source de tout bien et de toute bonté, que pourrions-nous
désirer encore (3)? Alors sera définitivement accomplie la prière
que le Sauveur formulait la veille de sa mort pour ses disciples
et ceux qui devaient croire en lui dans la suite des siècles :
« Père saint, gardez en votre nom ceux que vous m'avez donnés,
« afin qu'ils soient un comme nous... Qu'ils soient tous un, ô
(i) ibid.
(2) / Cor., xni, 12.
(3) « Hoc autem fine adepto, necesse est naturale desiderium quietari : quia essentia
divina, quos modo prsndicto conjungelur intellectui Deum videntis, est sufficiens princi-
pium omnia cognoscendi, etfons totius bonitatis, ut nihil reslare possit ad desiderandum.
Et hic etiam est perfectissimus modus divinam similitudinem consequendi, ut scilicet
ipsum cognoscamus eo modo quo se ipso cognoscit, scilicet per essentiam suam ; licet
non comprehendamus ipsum, sicu'; ipse se comprehendit, non quod aliquam ejus partem
ignoremus, cum partem non habeat, sed quia non ita perfecte ipsum cognoscemus sicul
cognoscibilis est. » S. TH. Comp. Theol. cap. cvi.
(4) Joann., xvn, 11-23.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 747
IV
(1) « Spes futura; beatitudinis potest esse in nobis propter duo primo quidem, prop-
:
ter aliquam proeparationem, vel dispositionem ad futuram beatiludinem, quod est per
modum mcriti : alio modo, per quamdam inehoalionem imperfeclam futurse beatitudinis in
viris sanctis etiam in hae v'ua. Aliter enim habétur spes fructificationis arboris, cum
virescit frondibus; et aliter, cum jam primordia fructuum incipiunt apparere ». I"-lIa<!)
q. LXIX, a. 2.
752 REVUE THOMISTE
rôle de l'affinité dans le monde des corps (i). D'où cet adage que
l'amitié suppose ou produit une certaine parité entre ceux qu'elle
unit : Amicitia pares invenit aut facit. Et suivant la nature des diffé-
rents biens qui nous sont communs avec d'autres, proviennent les
différentes sortes d'amour : l'amour fraternel fondé sur la commu-
nauté de sang, l'amour conjugal basé sur la communauté de vie
et de droits, l'amour entre citoyens qui repose sur la communauté
de patrie.
Or, quiconque possède, avec la grâce, la charité qui en est l'insé-
parable compagne, aime Dieu polir lui-même d'un amour souve-
rain et il eu est aimé à son tour. Ego diligentes me diligo (2). C'est
une chose bien surprenante que celte mutuelle dilection du
Créateur et de la créature. Que nous aimions Dieu, la beauté
infinie, la bonté inépuisable, l'océan de toutes les perfections, quoi
de plus naturel, de plus conforme tout à la fois à la loi divine et
aux inclinations de notre coeur? Mais que l'Être infini attache
quelque prix à notre amour; que non seulement il nous permette
de l'aimer, mais qu'il nous y invite en termes d'une tendresse fort
touchante, comme lorsqu'il nous dit : Mon fils, donne-moi ton
coeur : Prsebe, fili mi, cor.tuum mihi (3) ; mes délices sont d'être avec
les enfants des hommes : Delicioe mese esse cumfiliis hominum(i);
qu'il nous en fasse même un commandement, le premier de tous
et celui qui résume tous les autres (5), en s'engageant à nous payer
de retour; voilà ce qui est de nature à nous jeter dans la stupeur.
Job n'en peut revenir et il s'écrie ; « Mon Dieu, qu'est-ce donc que
(1) Non quilibet amor habet rationem amicitia?, sed amor qui est cum benevolentia,
quando scilicet sic amamus aliquem ut ei bonum velimus..; sed nec benevolentia sufiîcit
ad rationem amicitiaî, sed requiritur quaîdam mutua amatio, quia amicus est amico
amicus. Talis autem mutua benevolentia fundatur super aliqua communicatione. Cum
ergo sit aliqua communicatio hominis ad Deum, secundum quod nobis suam beatiludi-
nem communicat, super banc communicationem oportet aliquam amicitiam fundari....
Amor autem super banc communicationem fundatus, est charitas. Unde manifestum est
quod charitas amicitia quaîdam est hominis ad Deum ». S. Tu., II"-II110, q. xxm, a. 1.
(2) Prov. vin, 17.
(3) Prov.. xxm, 26.
(4) Prov., vin, 31.
(5) Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde-tuo, et in iota anima tua, et in tota
mente tua. Hoc est maximum et primum màndatum ». Matth., xxn, 37-38. —« Plénitude
legis estdilectio ». Iiom., xn, 10.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 753
l'homme pour que votre coeur se repose ainsi sur lui (1)? ». Et le
grand évoque d'Bippone disait de son côté i « Seigneur, que suis-
« je donc à vos yeux pour que vous m'ordonniez de vous aimer,
« que votre colère s'allume contre moi, et que vous me menaciez
«
d'effroyables maux si je vous refuse mon amour, comme si ce
u
n'était pas une assez grande misère que de ne pas vous ai-
« mer (2) ? »
On comprend sans peine que Dieu réclame nos adorations et
nos hommages ; c'est dans l'ordre, puisqu'il est l'Etre souverai-
nement parfait. Qu'il daigne également nous admettre à l'honneur
de le servir, c'est une chose qu'expliquent suffisamment, d'une
part, sa condescendance infinie, de l'autre, la qualité de serviteurs
qui nous revient en tant que créatures. Mais croire qu'il puisse
s'établir entre lui et nous des rapports de familiarité, des liens
d'étroite union, bref, une véritable amitié, n'est-ce pas une ambi-
tion démesurée, un rêve, une chimère? Si, parmi les hommes,
l'amitié n'est pas de mise entre un serviteur et son maître, comment
serait-elle séante, comment serait-elle possible entre le Maître des
maîtres et ses chétifs serviteurs? N'est-ce pas une vérité, passée
à l'état de proverbe, que la majesté et l'amour ne vont point
ensemble et ne sauraient s'asseoir sur un même trône? En effet,
pendant que la majesté éloigne et lient à distance, l'amour rap-
proche et unit; la majesté inspire le respect et la crainte, l'amour
chasse la crainte et provoque la familiarité et l'abandon. Comment
concilier dès choses tellement dissemblables qu'elles en paraissent
incompatibles ?
Et puis, qu'est-ce que Dieu peut bien trouver en nous qui
attire son amour et lui fasse désirer le nôtre? Qu'a-t-il besoin de
nous? Quel intérêt a-t-il à nous aimer? La créature lui serait-elle,
par hasard, nécessaire pour satisfaire ce besoin du coeur, pour
goûter cette joie intime, si douce et si convoitée, d'aimer et de se
sentir aimé? A qui le prétendrait le psalmiste répond : « J'ai dit au
Seigneur : vous êtes mon Dieu, et vous n'avez nul besoin de mes
(1) Quid est homo, quia magnificas eum? aut quid apponis ergâ eum cor tuum? »
Job. vu, 17.
(2) « Quid tibi sum ipse, ut amari te jubeas a me, et nisi faciam, irascàris mihi, et
mineris ingénies miserias? Parvane ipsa est, si non amem te?» S. AUG.. Conf. 1, I.,
cap, v.
IVEVUE THOMISTE. — 4° .Y\NÉE. — 51 .
754 REVUE THOMISTE
(1) « Dixi Domino : Deus meus es tu, quoniam bonorum meorum non eges ». Psalm,
xv, 2.
(2) « Ubi eras... cum me laudarent simul astra malulina, et jubilarent omnes filii Déi ? »
Job., xxxvni, 7.
(3) « Lise et ex se beatissimus ». Conc. Valic. Const. I)ei Filius, cap. I. •
(4) « Hic solus verus Deus, bonitate sua et omnipotenli virtute, non ad augendam suam
beatudinem, nec ad acquirendam, sed ad manifestandam perfectionem suam per bona,
qua?. creaturis impertitur, liberrimo consilio, simul ab initio temporis, utramque de
nihilo condidit creaturam, spiritualem et corporalem, angelicam videlicet et mundanam,
ac deinde humanam quasi communem ex spirilu et corpore constitutam ». Conc. Vatic,
Const. Dei Filins, cap. i.
Saint Hilaire avait depuis longtemps formulé la même pensée, quand il disait : « Homi-
nem, non quod officio ejus in aliquo eguerit, instiluit; sed quia bonus est, participera
beatitudinis sua; condidit, et rationale animal in usum largiendoe sua; oeternilalis vila
sensuque perfecit » S. Ilil., in Ps. il, n. là.
(5) « Ipse solus est maxime libe:*alis, quia non agit prppter suam utilitatem, sed solum
propler suam bonitatem ». S. Th., Summ Theol., I, q. XLIV, a. 4, ad 1.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 755
VI
VII
Voir, dans la Somme contre les Gentils, les deux magnifiques chapitres xxi et xxn
(1)
du 4° livre, où saint Thomas expose, les effets produits par l'Esprit-Saint dans les
âmes où il habite.
(2) Cant., m, 4.
(3) Rom., xn, 12.
760 REVUE THOMISTE
datur alicui habetur aliquo modo ab illo. Persona autem divina non potest
(6) « Quod
haberi à nobis nisi vel ad fructnm perfectum, et sic habetur per donum gloria? ; aut
secundum fractura imperfeclum, et sic habetur per donum gralia? gratum façientis ».
S. TH., I Seat., dist. xiv, q. n, a. 2, ad 2.
762 REVUE THOMISTE
(1) « In via charitas perfectior est cognitione. Possumus enim in via Deum per essen-
tiam amare, non cognoscere ; unde in patria amor estejusdem rationis ac nunc, sed dif-
ferens tantum secundum plus et minus; cognitio vero diversa? rationis ». S. TH., III,
Sent., dist. xxvn, q. i, a. 1, ad. 3.
(2) u Aliqui homines etiam in statu viaîsuntmajorosaliquibus Angelis, non quidem actu,
sed virtute, in quantum scilicet habenl charilatein tanloe virtutis, ut possint mereri ma-
jorera beatitudinis gradum quam quidam Angeli habeant; sicut si dicamus, semen ali-
cujus magnas arboris esse majus vinute quam aliquam parvam arborera, cum lamen
multo minus sit in actu ». S. TH., I, q. cxvn, a. 2, ad 3.
(3) S. Tu.,. I" II»0, q. i.xix, a. 2.
(4)S. Tu., I,q. XLHI, a. 3.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 763
VIII
(1) «Non qualiscumque cognitio sufficit ad rationem missionis, sed solum illa quoe
accipilur ex aliquo. dono appropriato persona?., per quod efficitur in nobis conjunctio
ad Deum, secundum modum proprium illius personaî, scilicet peramorem, quando Spiri-
tussanctus datur. Unde cognitio ista est quasiexperimehtalis. ». S. Tu., I. Sent., dist. xiv,
q. II, a. 2, ad 3.
764 REVUE THOMISTE
: (i) Ibid., ad 2.
(2) « Vel potius sicut id per quod fruibili conjungimur, in quantum ipsa?. personoe di-
vina?. quadam sui sigillatione in animabus nostris relinquunt quoedam dona quibus for-
maliter fruimur, scilicet amore et sapientia ; propter quod Spiritus sanctus dicitur esse
pignus lisereditatis nostraî. » Ibid. ad 2.
(3) « Ad hoc quod aliqua persona divina mittatnr ad aliquem per gratiam, oportet
quod fiât assimilatio illius ad divinam personam qua», mittitur, per aliquod gratioe do-
num. Et quia Spiritus sanctus est amor, per donum charitatis anima Spiritui sancto assi-
milatur. Unde secundum donum charitatis attenditur raissio Spiritus sancti; Filius autem
est verbum, non qualecumque sed spirans amorem... Non igitur secundum .quamlibet
perfectionem intellectus mittitur Filius, sed secundum talem instructionem intellectus,
quaprorumpat in affectum amoris... Et ideo signanter dicit Augustinus, quod Filius mit-
titur, cum a quoquam cognoscilur alque percijntur. Perceptio autem experimentalem quam-
'dani notitiam signilicat'; et hsoc proprie dicitur sapientia, quasi sapida scientia ». S. Tu.,
1, q. XLIII, a. 5, ad 2.
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LES AMES JUSTES 765
gnage que nous sommes enfants de Dieu » ; Ipse enim Spiritus tes-
timonium reddit spiritui nostro quodsumus filii Dei (1) :non pas sans
doute par une voix extérieure s'adressantà l'oreille du corps, mais,
comme l'explique saint Thomas « par l'effet de l'amour filial qu'il
produit en nous » \per effectum amorisfilialis,quem in nobis facit (2).
Nous ne voyons pas cet hôte intérieur, un voile impénétrable nous
dérobe l'éclat de sa présence, la cloison de la chair nous sépare du
Bien-Aimé; aussi « gémissons-nous dans l'attente de notre pleine
adoption ». Et ipsi intra nos gemimus, adoptionemfiliorum expec-
tantes (3). Mais, que dis-je ! ce n'est même pas une cloison, c'est un
simple treillis à travers lequel le Bien-Aimé nous contemple. En
ipse statpostpainetevi nostrum, respiciens per fenestras;, prospiciens
per cancellos (4) ; et quand, dans sa bonté, il daigne passer la main
et faire sentir davantage sa présence, notre coeur en est tout ému.
Pour faire comprendre cette vérité, sainte Thérèse se sert d'une
comparaison ingénieuse. Elle «dit qu'il en est en quelque sorte de
« l'âme comme d'une personne qui, se trouvant avec d'autres clans
«""'un appartement très clair, cesserait tout à coup de les voir si l'on
« fermait les fenêtres sans néanmoins cesser d'être certaine de leur
« présence... Pourvu que cette âme soit fidèle à Dieu, jamais, à
« mon avis, Dieu ne manquera de lui donner cette vue intime et
« manifeste de sa présence» (5).
Si vous demandez à quels signes on peut reconnaîtrela présence
du Saint-Espritdansuneâme, saint Bernard, parlant de lui-même
répond qu'il la connaissait au mouvement de son coeur : Ex motu
cordis intellexi prsesentiam ejus ; c'est-à-dire par la fuite des vices
et des affections charnelles, par les reproches intérieurs qui. lui
étaient adressés au sujet de ses fautes les plus secrètes, par l'a-
mendement de sa vie et le renouvellement de l'homme intérieur.
« Vous me demandez, dit-il, comment je peux connaîtrela présence
« de Celui dont les voies sont impénétrables. Sitôtqu'ilest présent,
« il réveille mon âme endormie; il meut, il amollit, il blesse mon
.
(4) Cant. v, 9.
!..
intérims gustus divina? sapientia?, qua? est quasi quaîdam prajlibalio fulura? beatitudinis;
unde in Ps. xxxm, 9 : Gustàle et videle. quoniam suavis est Dominus, scilicet per'graliam
suam in nobis «S. TH., Opusc. LX, de Humanitate Christi, cap. xxiv.
•(3) Sap., xn,
(4) S. AUG., Conf., lib. I, cap. V. '
768 REVUE THOMISTE
IX
(1) « Novus modus secundum quem Deus est in creatura rationali, est. sicut cognitum
in cognoscente et amatum in amante. Cognoscere autem Deum, et amareDeum in quantum
est objectum beatitudinis, est per g:?atiam gratum facientem » S. TH., opusc. LX, de Su-
manit. Christi, cap. xxiv
DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT DANS LUS AMES JUSTES 769
(1) V. le n° de novembre.
772 REVUE TUOMISTIC
qu'il veille; quand leur activité, est suspendue, nous disons qu'il
dort. Le sommeil est donc une affection de la sensibilité : ce n'est
donc pas un état qui appartienne seulement à l'âme ou seulement
au corps, c'est une manière d'être du composé (l).Mais le composé
et la sensibilité elle-même sont choses fort complexes; où est le
siège du sommeil ? — Puisque le sommeil arrête l'activité non pas
d'un sens en particulier mais de tous à la fois, il doit avoir propre-
ment sa place clans cette puissance qui est la source ou le réser-
voir de la sensibilité. Or cette puissance est le sensorium commune :
elle liée et réduite à l'inaction, l'on comprend que, par le fait
même, toute activité s'arrête en chacun des sens. C'est donc en
elle qu'il faut placer le siège vrai du sommeil (2): et le sommeil,
d'après cela, pourra se définir : une immobilisation, ou mieux —
les juristes me pardonneront, et ne se tromperont point sur la
signification peu usitée que je vais donner au mot — une saisie-
arrêt au sensorium commun. « Tco Trpwtou abOr^piou y-axoTAr/kç^poi;
TO \j:tt SûvasÔat èvspystv » (3),« immobilitas sensus et quasi vinculum » (4).
Diverses causes peuvent le produire : la fatigue, la' maladie,
l'âge ; mais la cause propre, normale, du sommeil, ce sont les
vapeurs auxquelles donnent naissance les aliments reçus et élabo-
rés par l'estomac et le foie : ces vapeurs montant au cerveau s'y
condensent, redescendent en provoquant de l'obstruction dans les
veines, refoulent ainsi la chaleur et les esprits animaux (5) néces-
saires au fonctionnement des organes, et du même coup immobi-
lisent le sensorium commun (6).
Quant au but assigné au sommeil par l'a nature, c'est, en répa-
rant les forces de l'organisme,de rendre la veille plus active: « car
la veille n'est pas moyen, mais fin. A qui est doué, en effet, de
sensibilité ou de raison, sentir ou penser est ce qui est meilleur:
el ce qui est meilleur est fin,[3sXTio"va yzo Ta3-a xb Se -riXoç [3ÏXTIOTOV » (7).
Ainsi pensait et raisonnait Aristote sur la nature du sommeil et
sur ses causes.
(1) IIEPI ÏTLNOT. â.
(2) S. Commentai: de Somno et Vigilia. lect. 3.
THOMAS,
(3) IIEPI TIINOY, y.
(4) S. THOMAS, Commentai-, de Somno et Vigilia, lect. 2.
(5) V. ALUEKT LE GHANH, De Somno et Vigilia, lib. I, tract. I, cap. vu.
(G) IIEPI YIINOT, y-
(7) IbUl.,$.
L'HYPNOTISME FRANC N'EST PAS, DE SOI, DIABOLIQUE 773
Que la fin qu'il lui assigne soit bien celle que veut la nature, les
physiologistes modernes n'y contrediront point (1). Il n'en sera pas
de même en ce qui concerne sa cause productrice. Sans doute, l'on
admet encore une influence de la nourriture sur le sommeil, mais
on l'explique d'une façon qui paraît inconciliable avec l'interpré-
tation aristotélicienne. Il semble bien, en effet, qu'Aristote,
par sa théorie, doive être compté parmi ces physiologistes qui,
comme Bouchard, Pflùger, Ilerzen, Sergueyeff, etc., expliquent
l'origine du sommeil par une stase ou congestion cérébrale: or
cette explication n'est plus.en faveur h l'heure qu'il est (2). L'on
se souvient de la curieuse expérience de Durham -qui, ayant tré-
pané le crâne d'un chien et mis un verre de montre à la place de
la couronne d'os qu'il lui avait enlevée,observait ainsi directement
le cerveau, et le voyait pâlir et s'affaisser toutes les fois que le
chien s'endormait, iandis qu'il reprenait son volume et sa colpfa-
tion dès le moment du réveil. Cette expérience a été refaite, avec
beaucoup plus de soin, par Claude Bernard, Tarchanoff, etc. ; et
toujours elle a donné le même résultat. D'où il paraîtrait que le
sommeil a bien plutôt pour cause l'anémie que la congestion (3).
Et c'est ainsi que s'expliquerait justement le fait que prendre une
certaine quantité de nourriture aide à dormir. Les expériences
directes des physiologistes ayant établi, en effet, que toute intro-
duction d'aliments provoque, un afflux du sang à la muqueuse de
l'estomac, l'on croit pouvoir en inférer qu'il se produit simultané-
ment une anémie du cerveau, et que, par suite, la nourriture
cause le sommeil, ou à tout le moins y dispose. Quant à soutenir
qu'il consiste essentiellement dans ce que je me suis permis
d'appeler une saisie-arrêt du sensorium commun, c'est une thèse
ingénieuse et l'on peut même dire rationnelle, mais qui n'est
point démontrée.
11 est vrai que nos modernes n'ont pas, que je sache, rien de
mieux à y substituer. Le dernier ouvrage un peu complet sur le
sommeil a été écrit par une femme (1). Comme cette qualité de
l'auteur ne saurait dispenser d'être juste, je dois reconnaître que
l'étude est sérieuse, riche d'observations, bien conduite et parfai-
tement à jour pour tout ce qui concerne la littérature du sujet.
Mais le voile qui nous cache la nature du sommeil n'a pas été
entièrement levé. Mme de Manacéine réfute aisément et par de
bonnes raisons la plupart des théories du sommeil que l'on a pré-
sentées : théories localisantes, théories chimiques, théorie vaso-
motrice; puis elle s'applique à prouver que le sommeil, dans son
essence, est « le repos de là conscience » (2). Mais tout en admettant
comme établi que l'homme, pendant le sommeil, ne jouit pas lade
conscience et de la parfaite possession de soi-même, je ne, vois pas
et l'auteur ne fait pas voir, comme il le faudrait pour que sa défini-
tion fût irréprochable, que la réciproque soit vraie. Aristole
disait : « Le sommeil est une suspension de l'activité des sens;
mais toute suspension de l'activité des sens n'est pas le sommeil;
car une telle insensibilité se remarque aussi dans le délire, dans
l'asphyxie, dans la syncope » (3). Je dirais de même : Le sommeil
se caractérise par la perte le
ou repos de la conscience :
mais toute
perte ou repos de la conscience n'est pas le sommeil; et cette défi-
nition n'en exprime pas la nature propre et spécifique.
La vérité est que personne jusqu'ici n'a pu encore nous en
donner la notion adéquate et précise. Heureusement que nous
sommes mieux renseignés sur l'existence de plusieurs phéno-
mènes, propriétés ou conditions, dont il s'accompagne, et dont
quelques-uns, pour la solution de notre problème, ont une impor-
tance spéciale.
Avant tout, il nous faut observer que si le sommeil restreint
notre activité il ne la supprime pas tout entière, a Pendant que
nous dormons, dit saint Thomas, nos sens demeurent inacf ifs, mais
le travail de nos facultés de nutrition n'en est que plus intense, est
tamen magis labor virtutum naturalium : et sunt virtutes naturales qux-
operantur digestiones » (4). Serait-il même exact d'affirmer que le
(1) MARIE DE MANACÉINE, le Sommeil, tiers de notre vie; physiologie, pathologie, hygiène,
psychologie, traduit du russe par Ernest JAUHERT, in-12, p. 3uS. Masson, Paris.
(2) p. 68-69.
(3) IIEPI Y1INOT, y-
(4) Comment, de Somno et Vigilia, lect. 4.
L'nYPNOTISME FRANC N'EST PAS, DE SOI, DIABOLIQUE 775
(1) D 1' OSKAH VOGT, Zeitschrift fur Hypnotismus, Band IV, Heft I, p. 45.
(2) De Somno et vigilia, lib. I, tract. II, cap. v : « De bis qui faciunt in somno opéra
vigilantium. »
(3.1 V. GRASSET, Leçons de Clinique médicale, p. 4' et suiv. D ENGEI.DEUT LOUENZ
: — 1'
particulier, chez les personnes qui gardent les malades, chez les
mères qui élèvent leurs enfants, les militaires, les employés de
chemins de fer. L'on dirait que, sous l'action de la raison et de.la-
volonté fixant la durée du sommeil, la sensibilité de ces sujets se
monte comme un système d'horlogerie,et qu'à l'heure déterminée,
une sorte de déclanehement vital se produit, qui amène le réveil.
Chez certains même, il se passe une chose plus remarquable
encore; c'est que, tout en dormant, ils suivent et ^remarquent les
heures. « Broussais rapporte qu'un M. Chevalier possédait cette
faculté à un degré très développé : on pouvait le réveiller à n'im-
porte quel moment de la nuit et lui demander quelle heure il
était : il répondait à la question sans même jeter un regard sur sa
montre, et ne se trompait jamais (1).--» Un autre de ces dormeurs
privilégiés, sachant que sa pendule avancé d'une demi-heure,
décide qu'il s'éveillera non au son de huit" heures, mais quand
l'aiguille marquera huit heures et demie. Il s'endort à minuit. Le
matin il se réveille en sursaut, avec la crainte d'être en retard,
mais non; il avait continué de dormir quand la pendule avait
sonné fortement huit heures, et il s'était, bien exactement réveillé
au moment où l'aiguille arrivait silencieusement sur la demie (2).
En résumé :
Le sommeil, quelle qu'en soit la nature spécifique et la vraie
cause, a certainement pour effet ou pour condition un état de
perturbation dans la sensibilité. Quand il se produit, ou bien les
sens, tant externes qu'internes, cessent totalement d'agir, ou bien
les uns agissent et les autres ne le peuvent pas; et parmi ceux
qui agissent, les uns le font très faiblement sous le coup d'exci-
i
tations violentes, les autres répondent par une explosion d'activité
'intense à des excitations faibles.; quelques-uns manifestent même
aine activité « élective » et en quelque sorte partiale. En ce sens,
;M. Mathiàs Duval a dit très justement : «Ce qui est essentiel-
lement aboli pendant le sommeil, c'est la fonction régulière qui
lie les impressions extérieures aveu le travail cérébral et celui-ci
avec les réactions volontaires, c'est la coordination normale des
fonctions de relation (3). » Cette saisie des sens, qui arrête leur
11
malade; et, se tournant vers ses élèves : « Vous le voyez, dit il, je
n'ai pas eu la peine de l'endormir : j'ai simplement transformé
son sommeil. Ce n'est pas bien difficile : cependant je dois vous
prévenir qu'on ne réussit pas avec tous les sujets : il faut ou un
entraînement préalable, ou une prédisposition particulière, et
toujours, bien entendu, procéder très doucement. Maintenant
vous allez voir comme il va être obéissant. »
S'adressant alors de nouveau à son malade, sur le ton ordinaire
de la conversation : « Tiens, dit-il, vous avez là dans votre main
droite un joli bouquet de roses... il faut en respirer le parfum...
il sent très bon. » Sur les lèvres du jeune homme se dessine un
sourire de satisfaction ; il lève sa main pour odorer à son aise le
bouquet imaginaire et aspire avidement la senteur. M. Bernheim
poursuit: « Il n'y a plus de bouquet, le bouquet a disparu: mais
voici sur l'index de votre main gauche un bel oiseau... c'est un
pinson. ..caressez-le. » Le jeune homme dirigé ses yeux vers sa
main gauche: les paupières sont légèrement entr'ouvertes; la
physionomie exprime un contentement mêlé d'une certaine sur-
prise : il fait le geste de caresser un oiseau qui serait posé sur sa
main gauche. Cela dure quelques instants ; puis les mains se
détendent et retombent : la vision a sans doute disparu. « Ecoutez,
reprend M. Bernheim, écoutez... le tambour... Voici maintenant
les clairons... un régiment qui défile... Allez voir-à la fenêtre d'en'
face. » Le malade ne se le fait pas dire deux fois ; il se lève vive-
ment, va à la fenêtre : il ne l'ouvre pas, mais il regarde avec un
vif intérêt, et, frappant des deux pieds le parquet, marque éner-
giquement le pas en prêtant l'oreille pour mieux entendre les tam-
ibours. La figure prend un peu de couleur et s'anime : il prononce
imême quelques mots imparfaitement articulés et qui nous échap-
ipent. « Tiens, lui dit alors M. Bernheim, vous êtes soldat... mais
oui, vous êtes soldat... Je vois même aux chevrons que vous
portez sur le bras que vous êtes sergent... sergent... oui, vous êtes
sergent. » A. ce moment, il se déroule une petite scène curieuse :
le jeune malade est tout transformé : il se dresse ; il se met à aller
et venir d'un pas ferme, avec une démarche fière, en étirant et
roulant une moustache qui à en juger par le geste, doit être d'une
belle longueur. Le voici qui s'arrête, les yeux grands ouverts et
fixés sur le mur :« Garde à vous !... alignement!... Voyez-moi cette
784 REVUE THOMISTE
.
espèce de chou-fleur !
» Il fait un pas en avant avec Un air de me-
nace. « Chargez!... joue!... feu! » A l'entrain que montre le
sergent, l'exercice pourrait bien ne pas finir tout de suite :
mais M. Bernheim lui fait entendre que les soldats sont ren-
trés à la caserne et que lui doit retourner à son fauteuil,
où il se réinstalle en effet tranquillement comme si rien
n'était arrivé. Lui présentant alors une tasse de la tisane qu'il a
l'habitude de prendre, l'habile opérateur lui dit : «Vous vous
êtes un peu échauffé en commandant : voici un petit verre d'eau-
de-vie qui vous fera grand bien... buvez '.. — Il boit. — Allez
doucement, car c'est un peu fort. » — Il fait la grimace et tous-
sotte.— «Maintenant vous allez encore dormir deux heures...
bien tranquillement... d'un bon sommeil... Quand vous vous
réveillerez, dans deux heures, vous vous sentirez très bien... vous
serez de belle humeur... et vous trouverez très bonne la viande
qu'on vous servira. »
vous portez les chevrons. » Ces mots font saillir sa propre image
dans le cerveau du sujet ; il se voit en costume de soldat, sergent
bien chevronné. Sa raison ne lui disant point que c'est absurde, il
se croit tel qu'il se voit, comme, en rêve, un vieillard se croit
petit enfant (1), un forçat, président de tribunal, un marmiton,
grand seigneur. Mais cette image de sergent évoque en lui toute
une nuée d'autres images et de souvenirs. Ah les sergents, il les
!
(1) V. N° de novembre.
(5.*) Summa Cont. Gentil., lib. I, cap. 55.
L'HYPNOTISME FRANC N'EST PAS, DE SOI, DIABOLIQUE 793
LES LIVRES
[Suite]
-
Parce qu'if nous reste, pour adhérer à la vérité, la loi morale présente à
la conscience et lui commandant. La loi morale postule clé notre côté la
liberté d'agir, « car elle nous oblige de regarder comme possible ce qu'elle
nous commande dans la supposition implicite que nous pourrions ne le
pas faire » (p. 73). Elle postule du côté de l'objet de celte liberté, un
monde donné, au moins comme champ d'exercice de l'activité morale. Nous
avons ainsi tourné, sans sortir de l'immanence, les conséquences scej>-
tiques du principe de la relativité. Si nous ne connaissons pas le monde
extérieur par l'évidence, nous pouvons, nous devons y croire.
(1) Voir Rev. thom., juillet 1S96.
BULLETIN PHILOSOPHIQUE 795,
(t) Revue des Deux Mondes, 1« mai 1895, la oct. 1896. Articles de M. BRUNETIISHE.
796 REVUE THOMISTE
Aristote le regarde comme une capacité vide, ayant pour tout acte et tout
apport la pure forme de la puissance, sensible ou intellectuelle. L'un n'est
pas plus impossible que l'autre. Et la nécessité de nos jugements intellec-
tuels s'explique aussi bien, si l'universel existe fondamentalement dans
les choses où l'a déposé, en le produisant, l'Intelligence suprême qui
constitue son unité originelle, que clans l'hypothèse des jugements syn-
thétiques à priori.
Il n'est pas davantage démontré que les principes fondamentaux du
dogmatisme, le principe de causalité en particulier, soient des jugements
synthétiques. Dans l'idée d'effet est impliquée analytiquement l'idée de
cause. Un effet n'est pas « ce qui arrive à l'existence ». Un effet est un effet,
c'est-à-dire une réalité que l'esprit perçoit par intuition comme étant le
fond, l'essence des choses'qui arrivent, hanovitas essendi n'est que-l'enve-
loppe de l'effet : elle contient des éléments hétérogènes, dont l'intuition
abstrait l'élément formel et commun, l'ordre à la cause. Voilà ce qui a
trompé liant. Il a pris pour l'effet le bloc dont il fait partie; il a reconnu
l'hétérogénéité d'un tel être avec l'être qui le cause (et justement, car ces
deux êtres ont chacun son existence) et il a fait ainsi du principe de causa-
lité un principe synthétique. Il n'a pas démêlé l'essence propre d'effet,
laquelle ne vit crue dé son rapport à sa cause propre qu'elle implique
comme son terme, identique en essence, ne différant que par la relation
d'agent et de patient.
Si l'on peut dire que le contre-examen victorieux de la critique kan-
tienne n'a pas été fait, on peut dire tout aussi bien que la critique kan-
tienne n'est nullement victorieuse. D'ailleurs, que-M. Renouvier se ras-
sure. La renaissance du thomisme date de dix-huit ans. Elle n'a pas dit
son dernier mot (1).
(1) M. Renouvier cite environ vingt, fois saint 'Thomas ou les thomistes dans son opus-
cule do 100 pages, mais c'est à propos de telles généralités qu'il ne nous a pas été pos-
sible de reconnaître s'il avait une connaissance sérieuse de leurs oeuvres.
798 REVUE THOMISTE
C'est celle qui nous permet de nous élever au transcendant comme être
premier. Et pourquoi ne pourrions-nous pas déduire de la qualité de pre-
mier être celles d'être inconditionné, d'être par soi, d'acte pur, d'être
absolu et infini, toutes propriétés que rien ne saurait démentir puisqu'elles
font partie d'un monde extraprédicamental.
(1) On lira avec intérêt les critiques que M. Pillon fait à M. Boutroux, du point de
Vue de M. Eenouvier, dans la Revue philos, du l»'janvier 1897.
REVUE THOMISTE. — 4° ANNÉE. — 54.
'802 REVUE THOMISTE
(1) Voir le développement de ces vues dans la Revue critique de M. Pillon : les Lois
naturelles, (Rev. phi.l., 1er janv. 1897.)
BULLETIN PHILOSOPHIQUE 803
enchaînera-t-il notre liberté ?... Quoi qu'il en soit nous retenons l'aveu ou la
concession, profitant de la liberté qu'on nous laisse pour formuler notre
manière de voir, laquelle d'ailleurs ne repose pas sur ce fondement
aveugle et arbitraire, mais sur l'évidence objective.
-
antireligieuse battait son plein et, non contente de nier le miracle, faisait
briller aux yeux de la foule le nom de l'entité divine qu'elle entendait subs-
tituer au Dieu des autels chrétiens : la Science. Les jeunes gens de cette
génération se rappellent les échos douloureux qu'éveillait dans leurs coeurs
l'antinomie partout prônée des deux objets de leur culte : Dieu, dont ils
sentaient le besoin, qui seul leur semblait répondre au lourd problème de
la destinée s'éveillant pour eux; la Science, qu'ils chérissaient à l'égal
de la liberté. Cependant, personne ne se levait pour résoudre l'antimonie.
Ils le croyaient du moins.
Vingt ans après, nous trouvons l'élite de la jeunesse pensante
groupée autour d'un maître écouté, dont les leçons suscitent dans leur
pensée de véritables drames. La science, l'idole d'hier, n'a pas répondu
aux espérances qu'avaient conçues les ennemis.de la religion. C'est de
cela qu'on s'entretient dans cette salle de Sorbonne. Mais on laisse à
d'autres le souci d'enfler leurs voix et de faire retentir avec l'éclat de la
trompette la nouvelle de la «banqueroute de la science ». Ici, le maître
avec modestie, avec précision, avec une simplicité qui n'est pas exempte
de cette éloquence que Pascal a définie une peinture de la pensée, se con-
tente de redire ce que, candidat, il soutenait il y a vingt ans dans cette
même enceinte de Sorbonne. Car l'Idée de loi naturelle, qu'est-ce autre
chose qu'une transposition de la Contingence des lois? Et il se trouve que
ces paroles-d'il ya vingt ans sont les paroles mêmes du temps présent.
Elles ont prophétisé, — maintenant elles expliquent, — la crise que
traverse une science qui, pour avoir trop longtemps promis, subit une
défaveur sans doute excessive et dont il importe peut-être de limiter les
excès.
Rétablir les choses au point, et, de la même et libre pensée qui prêchait
la modestie aux temps prospères, réhabiliter la science en précisant la
« nature » des lois qu'elle découvre, en déterminant leur degré « d'objec-
vité », en démêlant leur « signification » (1) : telle est la tâche qu'assume
,M. Boutroux. Ainsi, d'une part, à la science de reprendre une juste con-
fiance dans son oeuvre ! mais d'autre part, limitant ses excessives ambi-
tions, elle laissera place aux vérités de l'ordre moral et religieux qu'elle
avait rêvé de proscrire. Tel est, si je ne me trompe, le double but qu'as-
pire à réaliser ce titre, qui nous apparaît maintenant comme un pro-
gramme : De la contingence des lois naturelles.
L'entreprise est trop importante pour que nous, philosophes thomistes,
nous ne nous sentions invités à comparer la méthode et les conclusions
qu'elle met enjeu avec nos propres conclusions et notre propre méthode.
Ce serait pour nous du plus sérieux augure si nous pouvions noter de
-
nombreuses coïncidences, et sur les légères divergences, jalonner les
points de repère d'une conciliation éventuelle.
1° Exposé et comparaison.
retrouve dans les choses, si elle n'est pas un effortde l'esprit, si les causes
(principes réels des liaisons réelles) se confondent avec les lois (considé-
rées comme liaisons intellectuelles) (1).
Si cette coïncidence est vérifiée, si la nécessité de l'entendement cons-
titue intrinsèquement la réalité, alors, pas de sjDontanéité particulière, de
contingence; la finalité se réduit à l'ordre nécessaire des causes efficientes,
le libre arbitre se ramène à l'ignorance des causes nécessaires, seules
véritables causes de nos actions. C'est le fatalisme en psychologie, en his-
toire, en sociologie. Enfin, on ne comprend plus la raison d'être de l'ob-
servation et de l'expérimentation dans la formation de la science.
Si, au contraire, les lois qui régissent les phénomènes manifestent un
degré de contingence, il y'aura lieu de penser que les lois de la nature ne
se suffisent pas, qu'elles ont leur raison d'être dans des causes qui les
dominent.
Voilà le problème tel que le pose M. B. Des scolastiques auront peut-
être quelque peine à se placer à ce point de vue. Habitués à regarder l'es-
prit comme le miroir des essences, miroir vivant à la vérité ou plutôt
jugeant, mais jugeant des réalités et non des apparences, ils trouveront
tout simple le parallélisme des deux nécessités. Pour comprendre M. B. il
(1) Cf. Revue des Cours et cohf. (i juillet 1895). M. Boutroux : « De la' notion de loi
physique selon la critique kantienne ».
(2) Cours du 29 avril 1896.
BULLETIN PHILOSOPHIQUE 807.
(1) Pour prévenir d'avance tout malentendu, nous avertissons qu'en prononçant ce
mot : absolu, nous ne prétendons pas que notre objectivisme s'étende à la matière indi-
viduelle, pour nous inintelligible. Individum ineffabïle ! Cet axiome scolastique quo rappe-
lait récemment M. Fonsegrive est capital dans notre doctrine (Cf. Quinzaine, l" jan-
vier 1897). Ce serait mal entendre les formules de l'objectivisme thomiste : veritas est
adssqualio rei et intellectus, ou encore : intellectus in actu est intelleclum in actu, que d'y
voir une prétention à « égaler l'être à l'intelligence », à « épuiser la plénitude de l'être»
(Sillon, décembre 1S9C. p. 538). Nous prétendons seulement à l'égalité entre certaines
aflirmations que nous faisons et la part d'être formellement représentée dans ces affir-
mations. Le reste, qu'il nous échappe par son inintelligibilité, ou nous dépasse par
808 REVUE THOMISTE
•
Au fond, les deux ouvrages que nous recensons ne sont que le dévelop-
pement du passage que l'on vient de lire. On y voit par quelle méthode,
précisément, M. Boutroux aboutit à la contingence des lois. C'est par un
procédé plutôt négatif. Le réel n'est pas enserré par la nécessité analy-
tique laquelle n'est pas transposable hors de l'esprit. Il n'est donc pas
nécessité, de par les lois de la nature du moins; donc il est contingent au
regard de notre science et laisse ainsi la place à la liberté et à ses postu-
lats,si la liberté peut être affirmée d'ailleurs. On sait qu'elle le sera comme
Croyance.
Discussion.
IL0
=
quia pour formule A A. » Or, cette proposition, si on la sort de la
pure pensée pour l'appliquer aux objets devient aussitôt synthétique. La
proposition « Tous les hommes sont mortels signifie » que l'espèce homme
est une partie du genre « mortel » et laisse indéterminé le rapport du
nombre des hommes au nombre des mortels. Si l'on connaissait ce rapport,
1
i
,on
'
pourrait
. dire
.
'
être) des quantités. Et qui sait si l'analyse intellectuelle ne serait pas une
analyse qualitative?
En quoi diffèrent ces deux analyses ? Je détermine le poids des compo-
sants de l'eau, je divise un mètre en 10 parties. Voilà, dit-on, de l'analyse
quantitative. Encore n'est-ce-pas sûr, en ce qui regarde le premier
exemple, car le poids n'est rien moins que de la quantité pure. Quel est le
caractère de l'analyse quantitative ? C'est d'être une division absolue, c'est
de former des parties discrètes, sans lien entre elles. Peu importe que je
transporté le morceau qui figure le premier décimètre du mètre que je
viens de divisera la cinquième place ou réciproquement. J'en serai pour
une nouvelle graduation. De parties devenues indifférentes, je recompo-
serai par synthèse un nouveau mètre. — Il n'en va pas ainsi dans l'analyse
qualitative. Voici un spectre solaire. Le prisme décompose le rayon de lu-
mière blanche en sept couleurs qui se suivent invariablement dans l'ordre :
violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge. Dans le prisme tout se
fond, par le prisme tout est décomposé. Si je change l'angle d'incidence
,
du rayon sur le.prisme, je vois les rayons sans perdre leur rang ordinal,
s'éloigner ou se rapprocher. Je puis même les fondre ensemble de telle
sorte que les voilà de nouveau à l'état de lumière blanche. Leur multiplicité
n'a pas compromis un instant leur unité. En vérité, il n'y a jamais eu de
multiplicité étrangère ou contraire à l'unité, car, séparées qu'elles étaient,
des sept couleurs du spectre n'ont pas cessé -de garder, grâce à l'influence
du prisme, un ordre déterminé à la reconstitution du rayon primitif.
Voilà un exemple de l'analyse qualitative. La multiplicité loin de s'opposer
à l'unité, l'exige et la nécessite. '
L'analyse intellectuelle, ai--je dit, ne serait-elle pas du genre des ana-
lyses qualitatives,? C'est le moment de l'examiner. A est A, tel est selon
M. Boutroux le type des principes analytiques. Soit ! Le prédicat peut se
décomposer en parties par définition. M. Boutroux les désigne par les
lettres B, C, D, etc. soit encore Mais l'esprit, qui en s'attachant à A, en
!
a détaché les concepts B, C, D etc, ne les perd pas de vue. Ils ne seraient
plus des concepts. Il les garde sous son regard et leur conserve par rap-
port à A la note qualitative .qu'il leur a reconnue au moment même qu'il
..les distinguait. Dans la logique aristotélicienne ces notes qualitatives s'ap-
peffent les prédicables ; il y en a cinq : le genre, la différence, l'espèce,
le propre et l'accident. Il n'y aurait' clone rien de plus contraire à la vérité
.'de l'analyse intellectuelle que d'introduire, grâce à l'égalitarisme clu signe
mathématique -f-, je ne sais quelle égalité dans les rapports des parties
du prédicat B, C, D, au prédicat total A, lequel est par hyjjothèse iden-
tique lui-même au sujet A. Les cinq prédicables ordonnent les concepts,
entre eux et par rapport au concept essentiel qu'ils se partagent, suivant
BULLETIN PLIL0S0PH1QUE 815
laquelle n'exclut pas « d'ailleurs une certaine sorte de nécessité » (p. 13).
Parallèlement aux quatre espèces de rapports pour lesquels, selon
M. Boutroux, se pose la question, nous trouvons dans Aristote trois rela-
tions nécessaires, la relation de la définition au sujet défini, de la propriété
à l'essence, de l'effet à la cause. Il n'est sans cloute pas improbable que
ces relations ne coïncident avec celles que M. Boutroux énumère. Le rap-
port de cause à effet, de moyen à fin est reproduit en propre termes ; le
rapport de substance à attribut semble bien avoir son équivalent dans
celui d'essence à propriété ; le rapport de défini à définition j>ourrait être
représenté clans celui de tout à partie, bien que M. Boutroux y voie juste-
ment, à un autre point de vue, une forme/de finalisme.
Quoi qu'il en soit de la valeur du travail d'élimination qui permet à
816 REVUE THOMISTE
3° Conclusion. — j
Il a. des principes analytiques dont les points de
départ sont les concepts donnés par l'intuition. Les trois principes analy-
tiques des plus généraux sont les principes d'identité entre la définition
et le défini, de rapport nécessaire delà propriété d'une essence à cette
essence, de l'effet propre d'une cause à cette cause en tant que telle. On
en trouverait d'autres, tout aussi légitimes, en analysant les notions qui
servent de points d'attache aux différentes sciences.
CONCLUSION GENERALE
dix ou vingt ans,et cela pour toutes les sciences. Et que dire des systèmes
qui émergent à chaque instant dans les Revues ou dans les Mémoires des
Académies et n'arrivent pas à l'honneur du cours ou du manuel ?
Si la théorie de la gravitation universelle a survécu, elle le doit sans
doute à l'indétermination de ses causes concrètes et par suite à sa flexi-
bilité. La force attractive ne dupe personne et l'on sait que les choses
se passent comme si...
Disons néanmoins pour la consolation de la science que ses efforts ne
sont pas tout à fait infructueux. Elle n'est pas une simple « collection de
timbres-poste » (1). Elle découpe dans, la trame instable des faits des
séries invariables, des liaisons fixes. En considérant certaines associa-
tions comme des lois, elle arrive à en découvrir d'autres. La chimie per-
fectionne chaque jour ses familles atomiques par exemple. Cela semble
bien indiquer l'existence d'un nécessaire en soi sous les choses. Mais par
sa méthode même la science s'interdit de l'atteindre. Elle regarde les
faits en eux-mêmes, dans leur être concret; elle ne cherche pas à lire
leurs essences par un travail d'intuition abstractive. Elle est condamnée à
rôder autour des vraies et nécessaires lois, multipliant ses efforts pour
les enserrer et n'étreignant jamais qu'une sorte de gangue plus ou moins
modelée sur elles.
Maintenant, que le coeur ait ses raisons que la raison ne conrprend 23as;
que le coeur, guidé 2)ar l'action de Dieu surtout, mène au vrai, nous
le reconnaissons volontiers. Aussi a2>rjlaudirons-nous cette année
M. Boutroux nous interprétant le grand 2>orte-2>arole des raisons du
coeur. Pascal ! voilà donc le dénoûment de cette trilogie mouvementée,
grande aux yeux des esj)rks, qui se déroule en Sorbonne dej>uis quatre
ans et dont les deux premières journées furent les études sur les lois de
l'a. nature et sur Kant.
Nous es23érons que M. Boutroux ne transformera 2>as la croyance, ins-
(1) Les scolastiques disaient tout cela d'un mot lorsqu'ils regardaient comme l'objet
propre de l'esprit ce qu'ils appelaient intentio universalitalis. L'universel n'existe
dans les choses que fondamentalement. Les formes et les lois dégagées par l'induction
et l'abstraction viennent marquer leur similitude dans l'intellect passif., L'intellect
s'empare de cette similitude et revient vers les choses (in tendit), leur attribuant d'une
manière explicitement universelle ce qui ne l'était qu'implicitement on elles. La garantie
de la bonté de ce travail est dans l'évidence qui s'attache aux opérations de l'esprit,
induction, abstraction, formation du concept, durant toute son élaboration.
BULLETIN PHILOSOPHIQUE 821
Fr. A. GARDEIL, O. P.
(1) Pensées.
(2) Ibid.
LA VIE SCIENTIFIQUE
.
communes dans le droit aragonais : origine, histoire, état actuel, législation
comparée et critique.
VI. Prix cle l'Académie Royale juridico-pratique aragonaise : Le Délit
collectif.
VII. Prix du collège des avocats de Saragosse : Etude sur l'école thèolo-
gico-juridique espagnole du Droit international.
VIII. Prix de Son Excellence le Gouverneur civil de la Province D.Clé-
ment Martinez dei Çamjjo ila Région et la province comme organes naturels
de l'Etat.
IX. Prix de l'alcade de la Ville D. Ladislas Goizueta : Étude historique
sur les troubles d'Aragon et de Navarre, à l'occasion des démêlés entre D. Juan
II et le prince de Viana.
X. Prix du 23résident honoraire de l'Académie, M. le marquis de Valle-
Ameno : La Peine et sa fin d'après saint Thomas d'Aquin.
Tous les travaux devront être remis, avec le nom de leurs auteurs, sous
envelop23e cachetée, avant le 1S février 1897.
Les 2>rix seront distribués en séance solennelle et pmblique, le 7 mars,
fête de saint Thomas d'Aquin.
LA VIE SCIENTIFIQUE 825
esjsère que le 2>rochain numéro cle la Revue Biblique, qui va juraître dans
quelques jours, contiendra le récit de cette 23érilleuse mais très intéres-
sante excursion,
Christ et de ses
23éché, grâce à l'a2323lication des mérites satisfactoires du
Saints [p. 122). La définition est exacte, et si l'on ajoute les conditions
dans lesquelles les Indulgences 2>euvent être distribuées, gagnées et trans-
mises, on aura un a2>erçu de cette thèse, qui se recommande 2>ar sa doc-
trine et sa clarté.
Fr. H. HAGE.
Dis Lehre des h. Thomas von Aquino uéber die Moeglichkeit einer anfangslosen
Schoepfung (Doctrine cle saint Thomas d'Aquin sur la possibilité d'une
création sans commencement), von Fr. THOMAS ESSEH, Orcl. Praed. In-8°
176 23. Munster, 1895, Aschendorff'sche Buchhandlung.
giens « les 2>réliminaires delà foi » [proeambula fidei), pour les distinguer
des vérités 23urement surnaturelles, qui sont « les articles de foi »[articuli
fidei).
Cela étant, le Révérend Père se demande à la suite de saint Tho-
mas : La création du monde clans le temps est-elle un article de foi
ou simjilement un 23i'éliminaire ? La ré2>onse à cette question se trouve
dans la Somme théologïque clans laquelle le saint Docteur affirme, que
la création clu monde clans le temps est connue seulement 23ar la révéla-
tion et que 2>ar conséquent cette vérité constitue un article de foi.
La question de foi tranchée, l'auteur entame celle de la 230ssibilité d'une
création sans commencement. Pour éviter toute confusion il détermine et
2>récise soigneusement la thèse. Il nous prie de ne jias confondre les deux
questions : « Le monde a-t-il été créé? »— «Aquel moment le monde a-t-
il été créé ? » La création du monde jieut être démontrée 2>ar des 2>reuves
apoclictiques. Mais à quel moment le monde a-t-il été créé ? la réjionse à
cette question nous est connue, suivant saint Thomas, jiar révélation seu-
lement. Poursuivant toujours sa marche avec l'Ange de l'École, il
demande : Peut-on démontrer 2>ar la force naturelle de la raison l'impossi-
bilité intrinsèque d'une création sans commencement? C'est ici que nous
voyons admirablement le 23oint cle vue, auquel s'est 2>lacé le saint Docteur.
Le Rév. Père exfiose en ce sens, à notre avis, la 2>ensée du Maître : saint
Thomas ne 2>ose 2>as une thèse 2>ositive. Il lui suffit de montrer que les rai-
sons qu'on a232>orte 2>our 2>rouver l'inqsossibilité d'une création sans com-
mencement ne sont 2>as 23robantes ; mais celles qu'on allègue 2>our son
éternité ne firouvent pas davantage. Le Maître se 2>lace par conséquent à
un point de vue 23urement critique. Pour n'avoir 2>as conpris ce 23oint de
vue, les 2>hiloso2)hes et les théologiens se sont divisés sur la véritable
23ensée de saint Thomas. Le Rév. Père réduit à quatre les 023inions. La
divergence vient uniquement de ce que ces auteurs se sont2>lacés au point
de vue 2>ositif, au lieu d'examiner la question simplement au-point de vue
négatif. La conclusion de saint Thomas 23eut se formuler ainsi ? On ne 2>eut
démontrer 2>ar le raisonnement l'impossibilité d'une création éternelle,
mais on ne 23eut 2>rouver davantage sa possibilité. Toute l'argumentation
de Thomas d'Aquin consiste à montrer l'insuffisance des raisons ajijior-
tées dans l'une et l'autre opinion.
S'il y a impossibilité qu'une création soit éternelle, elle ne peut pas
venir clu côté de Dieu; car Dieu, ayant toujours existé, a pu toujours
opérer. Ici il n'y a 2>as cle distinction à a23]3orter entre les 02>érations de Dieu
ad inlra et ad extra. La liberté avec laquelle Dieu crée le monde ne 2>eut
avoir aucune influence sur sa Toute-Puissance, qui est toujours la même.
Et 2>uis, quand j'affirme qu'un être a été créé, j'exprime seulement cette
REVUE THOMISTE. — 4° ANNÉE.
— !>6
834 REVUE THOMISTE
pensée, que cet être a reçu l'être d'un autre, jiar 023230sition à celui qui l'a
de soi-même.
Par conséquent, quand je dis que le monde a été créé, je n'ex23i'ime en
aucune manière l'idée de commencement. Être créé et commencer ne sont
2>as deux idées équivalentes, ou dont l'une inclut l'autre.
Il n'y a jias davantage contradiction entre « j'actum esse » et « nunquam
nonfuisse ». Un exensple montrera cette vérité. Si nous jjartons de cette
idée que le soleil a toujours illuminé l'air, il faudrait affirmer que l'air est
illuminé 2>ar le soleil. Suit-il de là que l'air ait jamais été non illuminé?
Non, sans doute; mais il faut en conclure que sans le soleil l'air serait non
illuminé. '
Si le inonde est sans commencement, il est éternel. Oui, il serait éternel
mais à sa manière, c'est-à-dire négativement, Dieu seul est éternel 2>ositi-
vement: L'Eternité, suivant Boèce, «est interminabilis vilce lola simul et
perfectapossessio ». Or, dans toute créature, il y a succession, changement,
dévelo232>ement, mouvement, toutes choses inconciliables avec la notion cle
l'éternité.
Un monde sans commencement exigerait une série infinie d'actes. A cette
objection saint Thomas réjiond dans l'ojrascule De JEtemitale mundi .-
« Adhuc non est demonslralum quod Deus non possitfacere ut sint infinita
actu. » De cette 2>ro230sition ilne suit d'aucune manière « possibilem igitur
censet esse numerum actu infinitum ». Saint Thomas affirme du reste la pos-
sibilité d'une série infinie de causes non subordonnées, 2>ourvu qu'on 2>ré-
su23pose une cause su2>érieure, 23rémière.
Nous n'avons fait que glaner çà et là quelques idées dans l'ouvrage du
P. Esser. On 2>eut juger de la 23rofondeur et du sérieux cle sa monogra-
pîiie. Ce n'est pus un livre comme on en rencontre tant cle nos jours, qui
font les délices des intelligences su2>erficielles ; cet ouvrage est cajiable de
satisfaire les es2>rils les 23lus subtils.
L'auteur met au service dé cette interprétation une raison jmissante et
une grande sou23lesse de dialectique.
Fr. CESLAS DIER, O. P.
Voici une bonne nouvelle 2>our les amateurs cle grande et forte théo-
logie. Les 2>récieux commentaires de Jean Capreolus sur les quatre livres
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 83S
des « Sentences », qu'il était très difficile et très coûteux de'se 23rocurer
d'occasion, sont au moment d'être réédités. Ce travail a élé enlre23ris 2>ar
le R. P. Paul Bonnet, des Oblats cle Marie, professeur de théologie; et le
S2>écimcn qui acconpagne le 23ros23ectus en donne une idée favorable.
L'édition aura le format grand in-4°, à deux colonnes, avec manchettes
indiquant le sujet du texte en regard ; les conclusions 23lacées en tête cle
chaque article se détachent en caractères gras qui fixent immédiatement
l'attention, elles caractères ordinaires, quoique'assez fins et 23eut-être un
j)eu fatigués, sont ce23endant suffisamment nets.
Mais ce qui surtout attirera des souscri23teurs à la nouvelle jrablication,
c'est l'importance même cle l'ouvrage et l'autorité exce23lionnel)e de son
auteur. Suivant l'usage encore en vigueur au xve siècle, l'ouvrage est
conqsosé sous forme cle Commentaires du livre de Pierre Lombard, mais
il est, avant tout, un ex230sé fidèle et abondant de la doctrine de saint
Thomas, ce qui lui a valu le titre aussi de Defensiones doctrinx Divi Thomoe.
Tout le xive siècle avait été jrenqsli des discussions soulevées autour
de la doctrine de l'Ange de l'École 2>ar les Scotistes et les Noininalisles.
Dans le nombre, il y en eut sans doute d'oiseuses qui contribuèrent à la
décadence de la scolastique ; mais il y en eut aussi de subtiles et d'ingé-
nieuses qui aidèrent à mieux 2>énétrer et 23réciser la 23ensée clu Maître, et
à en manifester la su2>ériorité etla solidité. Ca23réolus arrivant au début du
xve siècle, revisa toutes les 2>ièces de ce long débat, écartant les conclu-
sions inutiles ou hasardées, recueillant et enregistrant celles qui 2>ou-
vaient favoriser le 2>rogrès de la science sacrée et de la 23hiloso23hie, réfu-
tant les fausses inteiprétations ou les attaques des adversaires, mettant en
2>leine lumière le sentiment de saint Thomas 2>ar le ra2>23roehement des
divers textes disséminés dans ses OEuvres. Ca2>réolus est donc un témoin
et, on 2>eut.le dire, cle tous le 2>lus fidèle, le 2)lus éruditet le 23lus judicieux,
de la tradition théologique durant-les cent cinquante années qui sé2>arent
Ile Docteur Angélique clu concile de Constance; il est incontestablement
avant l'a2parition de Cajetan, le 23lus 2>réeieux anneau cle cette chaîne
ïninterromjme de disci2)les et d'inteiprètes qui nous ont transmis, avec leur
admiration 23our le génie de saint Thomas, le culte et l'intelligence cle sa
merveilleuse doctrine. Notre é2>oque qui a la noble 23assion cle remonter
aux sources des traditions, de remuer tous les matériaux qui ont servi à
l'édifice cle la science, de suivre à travers les âges l'enchaînement et l'évo-
lution des êtres et des idées, accordera une attention particulière à l'ou-
vrage d'un homme qui tient une si grande 2>lace dans l'histoire, cle la théo-
logie.
Nous désirerions que cette nouvelle édition de Capréolus méritât, au
23oint de vue typographique, les éloges que fait Echarcl de la 23remière édi-
836 REVUE THOMISTE
tion gothique 2>arue à Venise en 1483 : « quai est élegantissimct, seu chctr-
tamnitidissimam, seucharacteresoeneospurissimos, seuatrameniumnigerrimum
spectes. » Mais surtoutnous souhaitons vivement que l'éditeur surveille avec
un soin jaloux la correction du texte. Dans ces derniers tereqps, il est
sorti des 2>resses catholiques des rééditions de nombreux ouvrages théo-
logiques anciens, que le 2>ublic a accueillies avec emjiressement. Malheu-
reusement — il faut bien le dire — jjlusieurs étaient entaillées de tant cle
fautes, cle tant d'incorrections, et quelquefois de contre-sens, que non seu-
lement les acheteurs ont eu le droit de se croire frustrés clans leur attente
et lésés dans leurs intérêts, mais que, au lieu de 2>ousserle clergé à l'étude
de la grande théologie, comme les éditeurs en avaient la louable intention,
on l'en aurait 23lutôt détourné, tant la lecture était laborieuse et hérissée de
suiprises. La science du R. P. Bonnet et l'amour qu'il a 23our son entre-
2>rise nous sont un garant qu'il en sera tout autrement cle son édition.
S'il nous était 23ermis d'exjn'imer encore un voeu, ce serait que le
Rév. Père res23ectât,. soit pour les citations cle la sainte Écriture et des
Pères, soit surtout jiour celles cle saint Thomas, la version donnée 2>ar
Ca2>réolus, quitte à mettre en note les variantes adoptées 2>ar la version
officielle et par l'édition Léonine de saint Thomas. Le texte jn'imitif 2>eut,
en effet, donner des indications jirécieuses, et même, en certains cas, être
tout à fait nécessaire à l'intelligence dû raisonnement de l'auteur.
L'édition nouvelle comprendra six volumes. Le 2>rix pour les Souscrip^
leurs est de 20 francs le volume.
Fr. H. F. G.
s'intéresser clans le cours cle la même année. Il n'est pas encore tout à
fait oublié cle nos contenporains ; à Paris même, il a toujours son église.
Nous .devons toutefois remercier M. l'abbé Billard d'avoir ravivé son
souvenir, en emju'untant aux vieux conteurs leur formepsoétiquë, la 23lus
convenable 2>eut-âtre à ce genre cle récits. Le 23ublic 2>araît en avoir ainsi
jugé, puisque l'auteur a dû donner 2>lus d'étendue à sa deuxième édition,
,
du même format que la première, et faire un troisième tirage d'un format
2>lus maniable et 23lus élégant (1). Nous souhaitons 23lein succès à cette
oeuvre charmante, d'autant plus volontiers qu'elle est 2>ubliée au 2>rofit des
écoles chrétiennes, « qui 2>èsent, dit très bien l'auteur, aux é23aules cle
leurs 2>atrons aussi lourdement que l'enfant Jésus à celles clu bon 23as-
seur ».
Fr. MARIE-JOSEPH OLLIVIER,
DIVUS THOMAS
INDEX VOLUMINIS V. 1894-1896.
COMMENTARIA.
A. ROTELLI. — In quoestiones I-XXVl 3 p. Summse Thëologioe, lect.
120-151.
G. RAMELLINI.
— De intelligere Dei. Ratio ordinis 'arguriientorum in
Summa 23hiloso23hica, ca2>. 54-61.
Commentaria in Encyclicam : De Studiis S. Scriptura?.
OPUSCULA.
De Deo uno. —M. F.
De Authentia Evangeliorum. — VINATI.
De humanâ 23ersonalitate. — P. M. A. F.
De unione anima? et coiporis. — P. M.
Testimonium D. Thoma? Aq. pro dogmate Infallibilitatis R. Pon-
tificis. — P. A. GORNISIEWICZ.
DlSSERTATIONES.
' De vi nutritiva accidentium eucharistîcorum juxta D. Th. verio-
rem sententiam. — M. F.
De bono et malo. —Eug. KADERAVEIC.
De naturis individualibus quoad qua3stioneni socialem. —r- Prof.
J. MARTANI.
.
.''' '
In doctrinam S. Th. Aq. De Bono. — D. VALENSISE.
An aliquam vim habeant ad corroborandam existentiam legis
naturaî in liomine conscientiae aculasi quibus exagitari videntur
ejusdem legis refractarii. — P. U. FALIJÀ.
De religione. — Fr. EVANGELISTA.
Potentia obedientialis creaturarum. — VINATI.
Pro23a3deutica acl 23hiloso23hiam scholast.
— D. P. A.
De gratia sancti secundum quod est cajmt Ecclesiaî. — ROSPINI.
De incom2)onibilitate actus fidei et scientias. — FUEGLISTELLER.
De naturâ principii causalitatis juxta DD. de Màrgerfe et Fuzier.
VINATI.
—
BIBLIOGRAPHIE.
— Gontinet 36 recensiones novissim. operum theol. et
philos.
VARIA.
— Continent necrologias, congressum, descri23tiones de Schoke
et Academise thomislicse.
SOMMAIRES DES REVUES 839
JAHRBUCH
.
REVUE NEO-SGOLASTIQUE
Novembre. 1896
XIII. J. HALLEUX. — L'objet de la science sociale. Introduction générale
•
à la sociologie.
XIV. S. DEPLOIGE. — Saint Thomas et la question juive.
840 REVUE THOMISTE
Les Illusions de l'Idéalisme et leurs dangers pour la foi. R.P. Schwalni,0. P. 413
L'Evolution.en archéologie. Florentin Loriot 442
,.. „
De l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes (suite). R. P. Froget.. 455
Surabondance des indications touchant le site del'Eden. R. P Etienne
.
.." Brosse,' 0. P
.
,.', 484
...
;
Bulletin archéologique, Mgr Kirsch,
......
:
.... 519
Notes bibliographiques 535
Sommaires de revues 542
,. ......
LE GÉRANT : P. SERTILLANGES.
PARIS — IMPRIMERIE P. LEVÉ, RUE CASSETTE, 17
QUATIÈME ANNÉE, N°r MARS 1896.
REVEE THOMISTE
-PARAISSAIfT TOUS LES BEUX MOIS _./•-—
^ —
X^SMOMS DU ^EJ\e>S ^RÉSKNÏ
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V"y~i ._•/' ". -".;: ^S-ôjrKlRfr -': /y "f y ^
Ce qu'ilsme semble qû-ô^h>doit penser de"I'Hy-pnotisme.-—R. P. Côoonnier.
.Polémique Averfoïstè. — R. ;P.: Maiidonîïet.' __-'_ c :
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Revue des Sciences physicochimiques. — J. Franck,
Sommaire des Revues. ,-- <
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FAUBOURG
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PARIS . ..
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BRUXEi/J-'ES (Société belge (le librairie, 10, rue Treurenberg), — LONDRES (Burns et Oates, 28, Oi'chanl
Uiçot),— FRIBOURG (Suisse) (Librairie ,do l'Université). — FRIBOURG (Grand-Duché deBaflo) (II. Mer-
der).'— VIENNE (Mayor et C", 7,. Singerstrasso). — MADRID (Grcgorio "dei Amo, G, oallo de la Paz). —
LEIPSIG' (In A. Kittler, et F. A. Brockhaus, Quorstrasso). ±- MUNICH (LeutncrrKauapgorstrasse, 20). —
UATISBONNE ^Fr. Pustet). — ROME (Sarraceni, 13, via délia Univorsita). —NEW-YORK & CINCINNATI
(Fr. Pustot). --:ST-,UO.P.IS:(U.S...of. A.) (B. Herder). '
Gobothnner et'Wolff). V|:
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ST-PÉTERSBOURG (Rickor). VARSG'VïE- -
. .
La Revue Thomiste est rédigée, par des Pères Dominicains, avec
l'a collaboration de plusieurs savants de France et de l'Etranger. Elle pâraîl
tous les deux mois, par livraisons d'au moins 128 pages grand in-8°, et
forme chaque année un volume d'environ 800 pages. Les abonnements
sont annuels; ils sont payables d'avance et datent du mois de mars cle
chaque année. - -
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AVIS "/
L'acceptation du premier numéro d'une nouvelle année est considérée
1....
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comme Un réabonnement payable dans le courant du mois, à moins
que l'on ne préfère payer à ^domicile, par voie postale, dans le cou-
jïaut du, mois- suivant; ^ "r
2. Les fascicules parus dans le courant des^années 1893^ 1894 et 1893 oui
été réunis en volumeet sont en vente aux bureaux de la Revue, 222,
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-' faubourg Saint-Honoré, au prix de 12 fr. "_ "
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PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DES RR. PP. DOMINICAINS
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cl celles des-stations balnéaires si fréquentées de Fécamp, Etre lai, Yporl,
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QUATIÈME ANNÉE.
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RUREAUX DE LA REVUE
222, FAUBOURG SAINT-HONORIS, PARIS
BRUXELLES (Société bolgo do librairie, i(i, rue Trcuronbcrg). — LONDRES (Btiras ot Oates, 28, Orchard
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dor). VIENNE (Mayer et C", 7, Singerstrasse). — MADRID (Gregorio dei Amo, G, callo do la Paz).—
LEIPSIG (L. A. Kittlor, et F. A. Brockhaus, Qucrstrasse).— MUNICH (Loutacr, KatUfingerstrasse, 20). —
RATISBONNE (Ft. Pustet). — RfflME (Sirraaeni, 13 via dolla UniversiSa). —NEAV-YORK &CINCINNATI
(Fr. Pustet). — ST-LOUIS (U. S. of. A.) (B. Herdor). '— ST-PÉTERSBOURG' (Riokor).
Sobethnnur et Wo'.'ff). i
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VARSOVIE
La Revue Thomiste
est rédigée par des Pères Dominicains, avec
la"collaboration de plusieurs savants de France et de l'Etranger.-Elle parai!
tous les deux mois,, par livraisons d'au moins 128 pages grand in-8°, et
forme chaque année un volume d'environ 800 pages. Les abonnements
sont annuels; ils sont payables d'avance et datent du mois de mars de
chaque année.
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1. L'acceptation du premier numéro d'une nouvelle année est considérée
'comme un réabonnement payable dans le courant du-mois, à moins
! que l'on ne préfère payer à domicile, par voie postale, dans Je cou-
' rant du mois suivant.-, ' v
' ,-,
2'.Les fascicules parus dans le courant des aimées 1893, 1894 et 1895 ont
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LE CLERGÉ FRANÇAIS:
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ANNUAIRE ECCLÉSIASTIQUE POUR 1896
Cette édition, refonduexsûr un plan entièrement neuf; considérablement
'augmentée et condenséeen-; un volume compact in-8°,de ,1200 pages, est
devenue, par la variété et l'exactitude des renseignements puisés aux sources
officielles et revus par MM. les secrétaires d'évêché, le guide indispensable de
tous ceux que leurs études ou leurs affaires mettent en rapport avec le clergé,
les congrégations ouïes établissements d'instruction ecclésiastique...'
; Elle contient :
1° Le Sacré Collège, la France à Rome (ambassade, églises, etc.), le Ministère
(direction des cultes), la Nonciature, le Haut Clergé, la.Statistique des diocèses,
.lès OEuvres militaires paroissiales, les Missions, etc.
2° B.ans chaque diocèse (Algérie, colonies et Alsace-Lorraine comprises), un
court historique • le costume canonial, MM. les Vicaires généraux, le Secrétariat
de l'évêché, l'Ofllcialité, le Chapitre (chant, lit., préb., lion, résid. et non rési-
dants; le CLERGÉ PAROISSIAL", curés, vicaires, aumôniers, etc., avec les dates do
r. naissance et de promotion et l'indication des bureaux de poste et des gares; les
Congrégations religieuses;'les Facultés catholiques,,Séminaires, etc.; les Pèle-
rinages, les Journaux catholiques.
!3° Les tables, notamment celle des localités possédant des maisons mères et
la Table générale des Congrégations avec indication de leur but respectif et renvoi
aux pages de l'annuaire où leurs établissements sont mentionnés.
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REVUE THOMISTE
PARAISSANT TOUS LES DEUX MOIS
Directeur : Administrateur
IV P. CÔCONNIER, O. P. II. P. SERTILLA-NGIiiS, O.P.
Professeur Lecteur
:t l'Uiiivvnitô de pribourg ($UMS« ' en Sacrôe Tfiéoïoi{ic,
SOMMAIRE
De l'habitation du-Saint-Esprit dans les âmes justes. —- R. P. Frogol.
La moralité dei l'Hypnotisme. — R. P. Coconnier.
Théorie du juste salaire. — R. P. Alexandre Mercier.
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BUREAUX DE LA REVUE
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lîllUXEIjIiES (Sooielo belge do librairie, 10, rue Treuronborg). — LONDRES (Bui-ng et Oatos, 2S, Orchard
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•!(!!>.
_ VIENNE (Maycr.ct C;', 7, Siiigorstrasso). — MADRID (Grcgorio dol Anio, 0, ealle do la Paz). —
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't'VTl'SBONNB (Kr. Pustet). KOME (Sirrasoni, U via délia Universita). —NEW-YORK & CINCINNATI
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VARSOVIE
REVUE BIBLIQUE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DES RP. PP. DOMINICAINS
DU COUVENT OK SAINT-ÉTIISNNK D]2 JÉRUSALEM
LA REVUE ^
ECCLÉSIASTIQUES .
DES SCIENCES
Fondée en -i800, par M. l'abbé Houix, publiée par un groupe de professseurs de
l'Université Catholique de Lille, cultive toutes le,s branches de la science sacrée, et
l'orme par sa collection une véritable encyclopédie ecclésiastique.
Elle parait le 23 de chaque mois en un lascicule d'environ 100 pages et l'orme par
année deux beaux volumes in-8° de 000 pages chacun.
Le prix de l'abonnement courant cle janvier à janvier est de 12 fr. l'an.
Exceptionnellement, pour l'année 1890, il a été créé des abonnements semestriels
courant de Janvier à Juin et de Juillet à Décembre inclus, au prix de 7 francs.
S'adresser à Amiens, à Mme Vve Rousseau-Leroy ou à. M. P. Jourdain, rue des
Jacobins, -lu.
-A Paris, chez MM. Roger et Chérnoviz, libraires-éditeurs. 7. rue des Grands-
Augustins.
REVUE THOMISTE
PARAISSANT TOUS LES DEUX MOIS
Directeur : Administrateur
R. P. COCONNIER, O. P. R. P. SERTILLANGES, O.P.
I'roFesscur Lecteur
*i rUniversilé tic Fribourg (Suisse en Sacrée Théologie
SOMMAIRE
Les illusions de l'Idéalisme et leurs dangers pour la foi. — R. P. M.-B. Schwalm.
L'Évolution en Archéologie. Florentin Loriot.
—
De l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes (suite).— R. P. Froget.
Surabondance des indications touchant le site de l'Eden. — R. P. Etienne Brosse.
Bulletin Archéologique. •— ll.-P.-J.-P. Kirsch.
Notes bibliographiques.
Sommaires des Revues.
BUREAUX DE LA REVUE
222, FAUliOURG SAINT-HONORÉ, PARIS
LA REVUE MAME
paraissant tous les dimanches; le numéro : 15 centimes; abonnements :
France et Algérie. 8 francs!par an ; Étranger, 11 fr. 50. Bureaux 78, rue
les Saints-Pères, Paris. — :
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N.-S. JÉSUS-CHRIST
PAR
J.-JAMES TISSOT
Directeur : Administrateur ;
R. P,. COCONNIER,- O. P. R. P. SERTILLANGES, O.P.
FrofeiBCur -Lecteur
à l'Université de Fribourg (Suisse en Sacrée Théologie
SOMMAIRE
Théorie du juste salaire. — R. P. Mercier.
La Providence. — R. P. A. Villard.
La B. Marguerite de Lôuvain. — R. P. Ollivier.
L'hypnotisme franc n'est pas, de soi, diabolique. — R. P. Coconnier.
Saint Thomas et le Prédéterminisme. — R. P. Guillermin.
Bulletin Archéologique. — Mgr Kirsch.
Bibliographie.
Nécrologie.
BUREAUX DE LA REVUE
222, FAUBOURG SAINT-HONORÉ, PARIS
BRUXELLES (Société belge do librairie, 10, rue Treurenberg). — LONDRES (Burnis et Oates, ','28, Orchard
Street), — FRIBOURG (Suisse) (Librairie' de l'Université). — FRIBOURG (Grand-Duché do Bade) (II. Hor-
der). — VIENNE (Major et C;t, 7, Singorstrasse). — MADRID (Gregorio dol Amo, 0, oalle de la Paz). —
LEIPS1G (L. A. Kittler, ot F. A. Brockhaus, Quorstrasse). — MUNICH [Leutncr,. Ivaufingerstrasse, 20). —
UATISBONNE (Fr. Fustot). — ROME -(Sii-raoem, 13 via dolla UniversitaJ. — NEW-YORK & CINCINNATI
(Fr. Pustet). -
ST-LOUIS (U. S. of. A.) (B. Herdor). — ST-PÉTERSBQURG (Riokor).
Gebctlmncr ot Wolff).
-
VARSOVIE
QUATRIÈME ANNÉE. '; JANVIER 1897.
REVUE THOMISTE
PARAISSANT TOUS LES DEUX MQIS^
Directeur
BLP. COGONNIBR, Ô.'P. t Adyiùiistratew*
Rr. P. SERTILDANGES," O.P..
? Trofetseur - Lecteur -
à l'DniVersitÂ"de Fâbourg (Suisse en Sacrée Théologie -
.
SOMMAIRE
Polémique averroïste de Siger de Brabaht
;
et de saint Thomas d'Aquin (suite). — R. P. Mandonnet.
La Providence (suite). — R. P. A. Villard.
Les Anestésiques -
"7
_.
et la question de transcendance du principe vital. — Dr M. Arthus.
De l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes (suite). — R. P. Frogôt.
L'hypnotisme franc n'est pas, de soi, diabolique (suite). —R. P. Cbconhier^..-.
; Bulletin philosophique. — R. P. Gardeil.
La vie scientifique.-— R. P. Côconniër.
Notes bibliographiques. — Sommaires. — Tables
BUREAUX DE LA REVUE
.222, FAUBOURG SAINT - HONORÉ, PARIS
BRUXELLES (Société bèlgo do librairie, 16, ruo Trourenborg). — LONDRES (Burns ot Oatos, 28, Orohard
Btreot), — FRIBOURG (Suisso) (Librairie do l'Université). — FRIBOURG (Grand-Duché de Bade) (H. Her-
der). — VIENNE (Mayer et C'*,7» Singorstrasso). — MADRID (Gregorio-del Amo, 6, oallo do la Paz).—
LEIPSIG.(L. A. Kitflpr, et F. A. Brockhaus, Querstrasso). — MUNICH (Leutnor, Kaufingerstrasso, 26). —
RATISBONNE (Fi. Fustot). — ROME (S«ra«eni, 13 via dolla Universita». —NEW-YORK & CINCINNATI
(Fr.Pustet). -
ST-L'OUIS (U. S. cf. A,) (B. Herdor).
Gobelhnnor ot Wolff).
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ST-PÊTERSBOURG (Rickor). VARSOVIE -