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Préparation du DS du samedi 11 mars

1. Œuvres à revoir
Platon, Cratyle
Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral

2. Vous pouvez lire les textes suivants :

« L'homme ne peut échapper à son propre accomplissement. Il ne peut


qu'accepter les conditions de sa vie propre. Il ne vit plus dans un univers
purement matériel, mais dans un univers symbolique. Le langage, le mythe, l'art,
la religion sont des éléments de cet univers. Ce sont les fils différents qui tissent
la toile du symbolisme, la trame enchevêtrée de l'expérience humaine. Tout
progrès dans la pensée et l'expérience de l'homme complique cette toile et la
renforce. L'homme ne peut plus se trouver en présence immédiate de la réalité
; il ne peut plus la voir, pour ainsi dire, face à face. La réalité matérielle semble
reculer à mesure que l'activité symbolique de l'homme progresse. Loin d'avoir
rapport aux choses mêmes, l'homme, d'une certaine manière, s'entretient
constamment avec lui-même. Il s'est tellement entouré de formes linguistiques,
d'images artistiques, de symboles mythiques, de rites religieux, qu'il ne peut rien
voir ni connaître sans interposer cet élément médiateur artificiel ».

Cassirer, Essai sur l’Homme, pp. 42-44

« Comme Humboldt l’a fait remarquer, les termes grec et latin désignant la lune,
bien qu’ils se rapportent au même objet, n’expriment pas la même intention ou
le même concept. Le terme grec (men) désigne la fonction de la lune qui est de
mesurer le temps, le latin (luna, lucna) désigne la luminosité ou l’éclat de la lune.
Nous avons fixé notre attention sur deux caractères très différents de l’objet que
nous avons nettement isolés. »
Cassirer, Essai sur l’Homme, p. 192-193
« D'où viennent les idées qui s'échangent ? Quelle est la portée des mots ? Il ne
faut pas croire que la vie sociale soit une habitude acquise et transmise.
L'homme est organisé pour la cité comme la fourmi pour la fourmilière, avec
cette différence pourtant que la fourmi possède les moyens tout faits d'atteindre
le but, tandis que nous apportons ce qu'il faut pour les réinventer et par
conséquent pour en varier la forme. Chaque mot de notre langue a donc beau
être conventionnel, le langage n'est pas une convention, et il est aussi naturel à
l'homme de parler que de marcher. Or, quelle est la fonction primitive du
langage ? C'est d'établir une communication en vue d'une coopération. Le
langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans
le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate ; dans le second, c'est le
signalement de la chose ou de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action
future. Mais, dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle,
commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été
découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les
propriétés qu'il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot
sera donc le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la
même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la même propriété, se les
représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée,
partout où la suggestion du même parti à tirer, de la même action à faire,
suscitera le même mot. Telles sont les origines du mot et de l'idée ».
Bergson, La pensée et le mouvant, introduction (deuxième partie), « De la
position des problèmes »

« Le mot est ainsi la chose même, telle qu’elle existe, et telle qu’elle vaut dans la
sphère de la représentation. La mémoire reproductive possède et reconnaît la
chose dans le mot, et le mot avec la chose sans avoir besoin de l’intuition ni de
l’image. Le mot, en tant qu’existence du contenu dans l’intelligence constitue
l’extériorité de l’intelligence en elle-même, et la reproduction du mot, en tant
qu’intuition produite par l’intelligence, est en même temps la manifestation
extérieure de cette dernière… Dans le cas du nom « lion », nous n’avons besoin
ni de l’intuition, d’un tel animal, ni, non plus, même de l’image. C’est dans le nom
que nous pensons […] Nous n'avons conscience de nos pensées, nous n'avons
des pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme
objective, que nous les différencions de notre intériorité, et que par suite nous
les marquons de la forme externe, mais d'une forme qui contient aussi le
caractère de l'activité interne la plus haute. C'est le son articulé, le mot, qui seul
nous offre une existence où l'externe et l'interne sont si intimement unis. Par
conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée. Mesmer
en fit l'essai, et, de son propre aveu, il en faillit perdre la raison. Et il est
également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut
de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est
vrai, que ce qu'il y a de plus haut c'est l'ineffable...
Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité
l'ineffable c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne
devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à la pensée son
existence la plus haute et la plus vraie. Sans doute on peut se perdre dans un flux
de mots sans saisir la chose. Mais la faute en est à la pensée imparfaite,
indéterminée et vide, elle n'en est pas au mot. Si la vraie pensée est la chose
même, le mot l'est aussi lorsqu'il est employé par la vraie pensée. Par
conséquent, l'intelligence, en se remplissant de mots, se remplit aussi de la
nature des choses. »
Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, Philosophie de l’Esprit, §463

« Je crois que l’arbitraire se trouve seulement dans les mots et nullement dans
les idées. Car elles n’expriment que des possibilités ; ainsi, quand il n’y aurait
jamais eu de parricide et quand tous les législateurs se fussent aussi peu avisés
que Solon d’en parler, le parricide serait un crime possible, et son idée serait
réelle. Car les idées sont en Dieu de toute éternité, et même elles sont en nous
avant que nous y pensions actuellement, comme j’ai montré dans nos premières
conversations. Si quelqu’un les veut prendre pour des pensées actuelles des
hommes, cela lui est permis ; mais il s’opposera sans sujet au langage reçu […]
On, peut définir une parabole, au sens des géomètres, que c’est une figure dans
laquelle tous les rayons parallèles à une certaine droite sont réunis par la
réflexion dans un certain point ou foyer. Mais c’est plutôt l’extérieur et l’effet
qui est exprimé par cette idée ou définition, que l’essence interne de cette
figure, ou ce qui en puisse faire d’abord connaître l’origine. On peut même
douter au commencement si une telle figure, qu’on souhaite et qui doit faire cet
effet est quelque chose de possible ; et c’est ce qui chez moi fait connaître si une
définition est seulement nominale et prise des propriétés. ou si elle est encore
réelle. Cependant celui qui nomme la parabole et ne la connaît que par la
définition que je viens de dire, ne laisse pas, lorsqu’il en parle, d’entendre une
figure qui a une certaine construction ou constitution qu’il ne sait pas, mais qu’il
souhaite d’apprendre pour la pouvoir tracer. Un autre qui l’aura plus
approfondie y ajoutera quelque autre propriété, et il y découvrira par exemple
que dans la figure qu’on demande ; la portion de l’axe interceptée entre
l’ordonnée et la perpendiculaire, tirées au même point de la courbe, est toujours
constante ; et qu’elle est égale à la distance du sommet et du foyer. Ainsi il aura
une idée plus parfaite que le premier et arrivera plus aisément à tracer la
figure, quoiqu’il n’y soit pas encore. Et cependant on conviendra que c’est la
même figure, mais dont la constitution est encore cachée ».
Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain, Livre III, « Des mots », c. X
« De l’abus des mots ».

« Tant que l ’individu veut se conserver face à d’autres, il ne fait usage de son
intellect, la plupart du temps et dans des conditions naturelles, que dans le but
de dissimuler : mais comme il veut, en même temps, par nécessité et par ennui,
mener une existence sociale et grégaire, il lui faut conclure un pacte de paix et il
cherche à bannir de son monde le bellum omnium contra omnes, du moins dans
sa forme la plus brutale. Or un tel pacte comporte un aspect qui serait comme
une première étape vers cet énigmatique instinct de vérité. On établit alors ce
qui désormais est censé être la « vérité », c’est-à-dire qu’on invente une
désignation des choses uniformément valable et contraignante, et la législation
du langage fournit également les premières lois de la vérité : c’est, en effet, là
que, pour la première fois, surgit l’opposition entre mensonge et vérité ; le
menteur utilise les désignations valides, les mots, pour donner à ce qui n’est pas
l’allure de ce qui est effectivement ; il dit, par exemple, je suis riche, alors que «
pauvre » serait précisément la désignation juste pour sa condition. Il mésuse des
conventions établies en opérant des substitutions arbitraires, voire en inversant
les mots. S’il le fait de manière égoïste et, au demeurant, préjudiciable, la société
cessera de lui faire confiance et l’exclura. À cet égard, les hommes fuient moins
le fait d’être trompé que le préjudice provoqué par la tromperie. Même à ce
niveau, ce n’est pas tant, au fond, l’illusion qu’ils détestent, mais les
conséquences pernicieuses et néfastes de certaines espèces d’illusions. C’est en
ce sens restreint seulement que l’homme veut la vérité. Il désire les
conséquences agréables de la vérité, celles qui conservent sa vie ; il est
indifférent à la connaissance pure, sans effets ; mais il est franchement hostile
aux vérités sans doute néfastes et destructrices. Et de plus : qu’en est-il de ces
conventions de langage ? Sont-elles par exemple des productions de la
connaissance, du sens de la vérité ? Les désignations coïncident-elles avec les
choses ? Le langage est-il l’expression adéquate de toute réalité ? C’est grâce à
l’oubli uniquement que l’homme peut se risquer à penser qu’il posséderait une
vérité au niveau qu’on vient d’indiquer. S’il ne veut pas se contenter de la vérité
sous la forme d’une tautologie, c’est-à-dire d’enveloppes vides, il ne cessera de
troquer des illusions pour des vérités. Qu’est-ce qu’un mot ? La transposition en
sons d’une excitation nerveuse. Mais conclure d’une excitation des nerfs à une
cause extérieure à nous, c’est déjà le résultat d’une application erronée et
injustifiée du principe de raison. Si la vérité avait été seule déterminante dans la
genèse du langage, si le point de vue de la certitude l’avait été dans la formation
des désignations, comment pourrions-nous dire : la pierre est dure, comme si la
signification de « dur » nous était déjà connue, et pas simplement comme
excitation toute subjective ? Nous répartissons les choses selon des genres ; nous
désignons l’arbre comme étant masculin, la plante comme étant féminine :
quelles transpositions arbitraires ! Combien nous nous sommes éloignés du
canon de la certitude ! Nous parlons d’un serpent : la désignation ne concerne
rien d’autre que le mouvement de sa progression contorsionnée ; elle pourrait
donc aussi convenir à un ver. Quelles délimitations arbitraires, quels privilèges
accordés à telle ou telle qualité d’une chose ! Quand on les compare, les diverses
langues montrent qu’il ne s’agit jamais, dans les mots, de la vérité, jamais de
l’expression adéquate ; s’il en était autrement, il n’y aurait pas tant de langues
différentes. La « chose en soi » (c’est ce que serait la vérité pure et sans effets)
est tout à fait insaisissable même pour celui qui forge une langue, et elle est à
ses yeux complétement dénuée de valeur attractive ; il se contente de définir les
relations des choses aux hommes, et, pour les exprimer, il a recours aux
métaphores les plus audacieuses. Une excitation nerveuse d’abord trans- posée
en une image ! Première métaphore. L’image de nouveau transformée en un son
! Deuxième métaphore. Chaque fois, saut complet d’une sphère dans une autre,
toute différente et nouvelle. On peut se représenter quelqu’un qui serait
complètement sourd et n’aurait jamais eu une perception du son et de la
musique : de même qu’il s’étonnera, par exemple, des figures sonores de Chladni
qui se forment dans le sable, il trouvera leur cause dans la vibration des cordes,
et jurera ensuite qu’il sait nécessairement ce que les hommes appellent un son,
comme lui nous nous comportons tous ainsi à l’égard du langage. Nous croyons
savoir quelque chose des choses mêmes quand nous parlons des arbres, des
couleurs, de la neige et des fleurs, et nous n’avons pourtant rien d’autre que des
métaphores des choses, métaphores qui ne correspondent absolument pas aux
entités d’origine. De même que le son se mue en figures sur le sable, l’x
énigmatique de la chose en soi devient d’abord excitation nerveuse, puis image
et, enfin, son. La formation du langage ne procède en tout cas pas en suivant une
démarche logique ; et l’ensemble des matériaux avec lesquels, plus tard,
travaillera et construira l’homme de la vérité, le chercheur, le philosophe, ne
provient pas de l’essence des choses, voire de Sirius. Réfléchissons encore une
fois de plus près à la formation des concepts : tout mot devient d’emblée un
concept du fait qu’il n’est pas censé être le souvenir, par exemple, de de
l’expérience vécue initiale et de part en part singulière à laquelle il doit son
apparition, mais être adapté à d’innombrables cas, plus ou moins similaires,
c’est-à-dire jamais identiques, donc à des cas tout à fait différents. Tout concept
surgit d’une identification de ce qui est non-identique. De même qu’une feuille
n’est assurément jamais absolument identique à une autre, de même, il est
certain que le concept de feuille est forgé en négligeant arbitrairement ces
différences singulières, en oubliant ce qui crée la différence, et il suscite alors
l’idée qu’il y aurait dans la nature, outre des feuilles, quelque chose qui serait la
« feuille », un archétype, si l’on veut, d’après lequel toutes les feuilles seraient
tissées, dessinées, découpées, colorées, plissées et peintes, mais par des mains
malhabiles si bien qu’aucun exemplaire n’en sortirait correctement exécuté, de
manière fiable, en offrant une copie fidèle de l’archétype. Nous qualifions
quelqu’un d’honnête ; nous nous demandons pourquoi il a aujourd’hui agi de
manière si honnête ? D’ordinaire, notre réponse est que c’est en raison de son
honnêteté. L’honnêteté ! Ce qui signifie de nouveau que la feuille est la cause
des feuilles. Nous ne savons en fait absolument rien d’une qualité essentielle qui
s’appellerait l’honnêteté, mais nous connaissons de nombreuses actions,
imputables à des individus, donc des actions dissemblables que nous identifions
en négligeant ce qu’elles n’ont pas d’identique, et que nous définissons alors
comme actions honnêtes ; nous finissons par prédiquer à partir d’elles une
qualitas occulta à laquelle nous donnons le nom d’honnêteté. L’omission de ce
qui est individuel et effectivement réel nous donne le concept et la forme aussi,
tandis que la nature ne connaît ni formes ni concepts, pas non plus de genres,
mais seulement un x qui nous est tout aussi inaccessible qu’indéfinissable. En
effet, notre opposition entre individu et genre est elle aussi anthropomorphique,
et ne provient pas de la nature des choses, quand bien même nous n’irions pas
jusqu’à dire qu’elle ne lui correspond pas : car ce serait une affirmation
dogmatique, et, en tant que telle, tout aussi indémontrable que son contraire.
Qu’est-ce donc que la vérité ? Une foule de métaphores, de métonymies,
d’anthropomorphismes ; bref, une somme de rapports d’ordre humain qui ont
été relevés, transposés et ornés de manière poétique et rhétorique, et qui, après
un long usage, semblent établis, canoniques et contraignants à tel peuple : les
vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont ; des métaphores qui
sont usées et dépourvues de force sensible, des monnaies dont l’effigie est
effacée, et qui ne valent plus que leur poids de métal en perdant leur statut
monétaire ».
Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral : Langage et métaphore
(traduction Marc de Launay)

« Nous disséquons la nature selon des lignes tracées par notre langue
maternelle. Il est faux de croire que les catégories et les types que nous
dégageons du monde des phénomènes, nous les y trouvons parce qu'ils sautent
aux yeux de tous les observateurs ; au contraire, le monde se présente dans un
flux kaléidoscopique d'impressions qui doit être organisé par notre pensée (et
cela signifie surtout par le système linguistique qui est présent dans notre
pensée). Nous découpons la nature, nous l'organisons en concepts et nous
attribuons des significations comme nous le faisons, surtout parce que nous
sommes impliqués dans un accord pour l'organiser ainsi (accord qui tient dans
toute notre communauté de langue, et qui est codifié dans les schèmes de notre
langue). Cet accord est, bien sûr, implicite et non établi, mais ses termes sont
absolument obligatoires ; nous ne pouvons pas parler sans appliquer les règles
d'organisation et de classification de données imposées par cet accord […] La
manière dont nous découpons et organisons le champ et le flux des événements
est due surtout au fait que notre optique est conditionnée par notre optique
maternelle, et non au fait que la nature elle-même est « compartimentée »
exactement de la même manière pour tout le monde. Les langues ne diffèrent
pas seulement par la construction de leurs phrases, mais aussi dans leur façon
de découper la nature afin d'obtenir les éléments qui prendront place dans ces
phrases. […] Par ces termes plus ou moins distincts nous assignons un isolement
semi-fictif à des fragments d'expérience. Des termes comme « ciel, colline,
marais » nous incitent à considérer un aspect insaisissable de l'infinie diversité
de la nature comme une CHOSE distincte, presque comme une table ou une
chaise. Ainsi l'anglais et les idiomes analogues nous amènent-ils à penser à
l'univers comme à une collection d'objets et d'événements relativement
distincts correspondant aux mots. C'est en fait l'image implicite de la physique
et de l'astronomie classique – suivant laquelle l'univers est essentiellement une
juxtaposition d'objets séparés de tailles différente ».
Benjamin Lee Whorf, Linguistique et anthropologie

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