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LE LANGAGE

I- L’origine du langage
A- Définition
Nous sommes sans cesse en contact avec le langage, qu’il soit écrit, parlé, entendu ou encore lorsque
nous pensons. Heidegger affirme ainsi dans Acheminement vers la parole que « c’est bien la parole
qui rend l’homme capable d’être le vivant qu’il est en tant qu’homme. L’homme est homme en tant
qu’il est celui qui parle ». Mais comment l’homme s’approprie-t-il la parole, pourquoi parle-t-il,
selon quelles modalités et à quelles fins ?
Si l’on prend l’exemple d’un nourrisson, on peut affirmer qu’il n’est pas de lui-même dans le
langage, au sens où il est incapable de formuler par la parole ses volontés. Il ne peut que pleurer, crier,
c’est-à-dire utiliser des signes non linguistiques pour attirer l’attention de ceux qui s’occupent de lui.
Ce n’est que plus tard qu’il s’approprie les mots nécessaires et leur articulation conventionnelle.
Mais comment à l’échelle de l’humanité peut-on concevoir l’acquisition du langage ? Pourquoi
l’homme s’est-il mis à parler, et selon quel modèle ?

B- L’intention de signifier
Pour penser l’origine du langage articulé, il faut d’abord supposer l’humanité sans la parole. Cela ne
veut pas dire sans capacité d’émettre des signes, des signaux ou des actes qui peuvent être compris.
Rousseau, dans le chapitre II de l’Essai sur l’origine des langues proposent de retenir le concept
de passion pour rendre compte de l’apparition du langage articulé. Ce n’est pas parce que nous
voulons exprimer des besoins que nous parlons, mais parce que nous éprouvons des affects : « pour
émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des
plaintes. Voilà les plus anciens mots inventés ».

C- Nature ou convention ?
Les premiers mots sont-ils dictés par la nature, par les choses elles-mêmes, ou sont-ils issus d’une
convention entre les hommes ?
o Si les mots sont dérivés des choses elles-mêmes, alors on soutient une thèse de la
naturalité des signes linguistiques.
o Si les mots sont issus de conventions, on soutient une thèse conventionnaliste.
Platon soulève la difficulté de ce choix dans le Cratyle, dialogue qui met en scène un partisan de la
thèse naturaliste, Cratyle, et un partisan de la thèse conventionnaliste, Hermogène.
o La difficulté de la thèse du langage naturel : si le nom vient de la chose en soi, il
faudrait un nom pour chaque chose et pour chaque état de cette chose. Que faire de
l’homonymie alors ? Si l’on suit cette thèse, on ne peut d’ailleurs pas rendre compte
de la pluralité des langues.
o La difficulté de la thèse conventionnaliste : comment le nomothète (celui qui statue
sur les noms) fait-il le choix de tel ou tel nom pour désigner telle ou telle chose ?
o La solution platonicienne : le signe linguistique est imparfait. Il relève de la
convention, mais pas d’un conventionnalisme outrancier : on ne peut pas décider
d’appeler un cheval « homme » de manière gratuite. Platon oppose ainsi le logos (le
mot et la représentation de ce mot) à l’eidos (l’Idée).
Ce problème est présent dans le mythe de la Tour de Babel : pour punir les hommes d’avoir voulu
atteindre le ciel par un monument, Dieu aurait dissout le langage unique, afin qu’ils ne s’entendent
plus, et ne puissent plus mener à bien leur projet.

II- Le langage et la pensée


A- La pensée, langage intérieur
Nous avons l’impression tenace de penser avec des mots. Si bien que la pensée se définit généralement
comme une réflexion articulée à l’intérieur : mais les mots accompagnent-ils notre pensée ou bien
sont-ils son extériorisation ?
Platon, dans le Théétète propose de concevoir la pensée comme « un dialogue intérieur de l’âme
avec elle-même », autrement dit, la pensée est redevable au langage. Lorsque nous formulons
intérieurement un jugement, selon Platon, nous nous parlons à nous-mêmes : « Ainsi, juger, selon moi,
c’est parler, et le jugement est un discours prononcé, non à un autre, ni de vive voix, mais en silence et
à soi-même. »

B- Le langage, pensée extériorisée


Mais l’on peut également soutenir que les mots ne sont que les vecteurs extérieurs de notre pensée,
si l’on distingue, comme le fait Hobbes, un « discours mental » que nous menons à l’intérieur de
nous-mêmes, et un « discours verbal », c’est-à-dire une extériorisation langagière de notre pensée.
C’est d’ailleurs ce qui nous distingue des animaux. Ces derniers ne poussent que des cris et pas de
discours raisonnable, ayant une signification. Descartes en fait un des critères de notre spécificité.

III- Le pouvoir des mots


A- Dire et faire
Le droit d’expression indique l’importance que nous donnons à la possibilité de parler à nos
concitoyens. Smith insiste pour que toutes les opinions puissent s’exprimer, surtout si elles sont
contraires aux opinions publiques dominantes. Mais en dehors de son usage politique, la parole peut
être un acte en elle-même.
On appelle performatif un acte de langage qui produit immédiatement l’action qu’il
décrit. Austin dans Quand dire c’est faire, analyse le caractère performatif de certains actes de
langage, tels que « je vous déclare mari et femme », ou « Je baptise ce bateau le Queen Élisabeth ».
Une promesse fonctionne également par la performativité : si je dis « Je te promets de faire ceci ou
cela », je m’engage à exécuter cet acte, à condition que j’en ai l’intention.

B- Langage et pouvoir
La figure du sophiste est une illustration du pouvoir du langage : le sophiste est celui qui manipule le
langage pour obtenir la persuasion de son interlocuteur par le biais d’un jeu d’affects et d’imagination,
comme le sophiste Gorgias dans son Éloge d’Hélène. Quelle que soit la force des paroles, quand bien
même elles seraient sincères, le poids des actes paraît bien supérieur en politique, comme
l’indique Jankélévitch.
La poésie illustre quant à elle la capacité des mots à émouvoir, à susciter des images, notamment grâce
à l’équivocité. Elle permet de plier le langage aux spécificités sentimentales d’un individu. Sans cet
usage poétique de la langue, Bergson signale que l’usage des mots est trop général pour traduire
l'expression d’une âme qui se sent toujours restreinte devant l’indicible. Les mots ordinaires sont des
filtres trop larges pour retenir la complexité de nos sentiments.
L’écriture permet de fixer les paroles. C’est ce qu’exprime le proverbe latin Verba volant, scripta
manent (« les paroles s’envolent, les écrits restent »). En droit, seule une trace écrite authentique
possède une valeur de témoignage indubitable. Elle permet par ailleurs l’entrée de l’humanité dans
l’Histoire, comme récit organisé des traces cumulées du passé.

C- La diversité des langues


La multiplicité des langues ne doit pas d’abord être entendue comme un problème, qu’il nous faudrait
résoudre par l’adoption ou l’invention d’une langue commune universelle. Les tentatives pour faire
naître une telle langue se heurtent à la difficulté de décrire le réel en utilisant un lexique coupé de la
culture qui lui donne sens et en modifie lentement les significations. Au contraire, il faudrait souhaiter,
avec Cournot, pouvoir utiliser au moment opportun un lexique précis parmi tous ceux que les
cultures humaines ont fait naître.
L’impossibilité de connaître toutes les langues nous place dans une saine inquiétude d’après Arendt.
En effet, nous apprenons à traduire ; or cela ne consiste pas en un jeu d’équivalences, de mot à mot. La
traduction est celle d’une culture et d’une langue, et en apprenant la diversité des langues, nous
apprenons d’autres approches du réel, nous comprenons la puissance d’autres correspondances
entre les mots et le monde.
Cet apprentissage en implique un autre : le langage n’est pas le lieu d’une pleine superposition entre
les mots et les choses. Foucault en déduit que l’absence de transparence de cette équivalence permet
de conclure à un entrecroisement entre l’ordre du réel et sa représentation dans le langage.

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