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Grâce au langage, les hommes partagent leurs idées, leurs sentiments, leurs énergies,
leurs forces. Par la mise en commun des idées, les hommes deviennent plus savants et par la
mise en synergie de leurs forces ils augmentent leur puissance. Et parce qu'ils mettent en
commun leurs sentiments ils réduisent leurs distances, ils brisent les murs ou barrières
psychologiques qui existaient entre eux, en court, ils finissent par se reconnaître et
communiquer entre eux. Par cette communication, ils parviennent à organiser le travail et à
satisfaire leurs besoins. C'est dans ce sens que Henri Bergson parle de fonction utilitaire du
langage.
Outre la communication, le langage a une fonction conative, encore appelée fonction
appellative qui vise à créer ou à entretenir chez les interlocuteurs les sentiments ou des
émotions qu'on ne ressent pas soi-même mais qu'on simule. Le langage possède d'autres
fonctions telles que les celles esthétiques ou poétiques dont le but est de toucher la fibre
esthétique à l'effet de produire les effets d'admiration, la fonction métalinguistique, qui a pour
objet de réflexion, le langage lui-même dans la perspective de le décrire, de l'analyser,
d'indiquer ses formes et les règles du bon usage, de définir le parler correct, toute chose ayant
un impact sur la qualité du message transmis.
Les forces du langage
Au chapitre des forces du langage, nous pouvons retenir d'abord que le langage est et
avant tout création. Ainsi par la magie des mots, le langage rend présent ce qui est en vérité
absent, rapproche des réalités qui sont en vérité très distantes. Mise à part, les conceptions
métaphysiques et religieuses qui soutiennent qu'au commencement du monde, c'était le verbe,
qu'il a plu à Dieu de dire : « Que le monde fût, et que le monde soit », nous disons que par la
puissance du langage, celui qui parle crée. Qu'il s'agisse du professeur qui parle à ses élèves,
de l'homme politique qui parle des routes, des ponts à réaliser ou de l'homme de Dieu qui
parle de l'enfer ou du paradis, par les mots tous ces hommes transportent leurs interlocuteurs
au cœur même de ces réalités absentes.
Ensuite, le langage ne se contente pas seulement d'exprimer la pensée, il est même au
cœur du processus d'élaboration de la pensée. C'est dire que la pensée avant d'être exprimée
par le langage, fut d'abord dialogue intérieur, langage intérieur. Platon parle de « dialogue
intérieur et silencieux de l'âme avec elle-même ». Plus précisément la langue est ce par quoi la
pensée individuelle s'élabore, l'identité collective s'entretient. Cette pensée est non seulement
la marque de l'humanité de l'homme, ce qui le définit et le distingue des autres êtres vivants
mais aussi et surtout celle qui éclaire nos actions et les lie à des fins. Ainsi, pouvons-nous
conclure que le langage est par essence pensée.
Aussi le langage peut être regardé comme une action. Par la parole ou le geste, le
langage suggère, commande, instruit, décide. Les arrêts de justice à la suite desquels on jette
en prison, on pend, on fusille ou abat ou on libère, on blanchit, on affranchit illustrent les
propos de Austin quand il soutient que « quand dire, c'est faire. »
Enfin le langage au travers du discours est performatif. En effet les mots contenus
dans le discours peuvent marquer les esprits d'un fer rouge, créer un déclic psychologique,
modifier notre échelle de valeur. L'exemple de l'officier de l’État civil, qui dépose sa main sur
celles des candidats au mariage et dit ceci : « au nom de la loi, je vous déclare unis par les
liens du mariage ». Après cette phrase, les mariés, tout comme les témoins et les observateurs
sont convaincus que le mariage a eu lieu, que quelque chose s'est passé, qu'il y a eu un
changement, qu'il y a eu une métamorphose, voire une mutation.
Les faiblesses du Langage
Quand nous parlons de la faiblesse du langage, nous pensons à son incapacité traduire comme
il le prétend, la pensée et la réalité dans toutes leurs richesses. Pour Henri Bergson le langage simplifie
et appauvrit le monde. Ainsi affirme-t-il : « Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui
emmagasine ce qu'il y a de stable, de commun et par conséquent d'impersonnel dans les impressions
de l'humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre
conscience individuelle. » Le langage est traître du vécu, de la réalité, bref de la pensée. En effet de
par la généralité des mots ou des concepts, leur polysémie, leur stabilité ou immobilisme, le langage
peine pour traduire fidèlement des réalités mouvantes et ondoyantes telles que nos états de conscience,
la nature humaine et même la nature physique. La permanence des incompréhensions dans les
relations interpersonnelles qui débouchent souvent sur des conflits latents ou ouverts est révélatrice de
cet état de fait.
Aussi, les paralangages viennent à la rescousse du langage. Les gestes, les mimiques, le
regard, la démarche qui viennent suppléer le langage, mieux qui semblent plus expressifs que le
langage sont malheureusement limités dans le temps et dans l'espace ; autrement dit leurs
significations varient en fonction des espaces culturels et des époques.
Pire les illusions du langage liées à la magie des mots conduisent les récepteurs à la
schizophrénie, à un télescopage entre leur monde artificiel et le monde réel. Nous sommes de conclure
que le langage est l'expression de la misère humaine : les cris qui sont les formes primitives du
langage sont comme l'expression de la détresse de notre nature dans une nature en détresse.
La valeur du Langage
À l'instar des espèces animales, la langue obéit à des besoins relatifs à une configuration
temporelle et géographique ; parce qu'elle est propre à une communauté, elle est comme un instrument
identitaire, élément fédérateur qui permet aux individus de se reconnaître comme membres d'une seule
et même communauté ; elle est malheureusement un instrument de repli identitaire dans la mesure où
elle est une machine de guerre anti universelle, un dispositif tribal. Autrement dit, la diversité des
langues qui devrait traduire la diversité et la richesse culturelles, facteur de rapprochement et
d'enrichissement mutuels, est dans les faits source de division, de xénophobie et d'exclusion. Une
langue universelle, cosmopolite et globale qui se construit sur l'ouverture, l'accueil et l'élargissement
reste une utopie dans le concert des langues. La construction de cette langue universelle devrait fin à la
malédiction divine (confusion des langues) et consacrer l'avènement d'un idiome capable de combler
les incompréhensions des peuples, la réalisation ou l'accomplissement du vœu de Périclès selon lequel
« était grec quiconque parlait le grec ».
D'autres questions en relation avec le langage restent posées : la faiblesse du langage tient-elle
à la complexité de la nature ou trouve-t-elle son explication et sa justification dans son origine ?
Autrement dit, les cris (formes primitives du langage), expression de la misère de notre nature, ont-ils
marqué de façon perpétuelle ou indélébile le langage même dans ses formes les plus précises
(langages mathématiques, scientifiques) ? Ou au contraire, faut-il voir dans les « lacunes » du langage,
le signe de sa vitalité ou de sa richesse ?
Conclusion
Du débat sur le langage, nous retenons qu'il est un thème carrefour dans la mesure où une
réflexion sur le langage porte aussi sur les données de l'existence (nature et la culture) tout comme sur
l'analyse du processus d'élaboration de la pensée (le sens et l'irrationnel). Ce sont toutes ces
conjonctions qui expliquent et fondent la complexité et l'ambiguïté du langage. L'ambivalence du
langage vient de cette ambiguïté qui fait que par-delà ses multiples fonctions, il fait l'objet de plusieurs
appréciations divergentes : tantôt comme condition de possibilités de la pensée, de la reconnaissance,
de la paix, tantôt comme une arme puissante pour la violence, fautrice de guerre et de calomnie, de
malédictions : « le langage fournit à la violence ses premières armes, il est l'instrument le plus adéquat
pour diviser pour diviser, opposer, rejeter, semer le doute et l'incompréhension ».