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Le Langage

Introduction : Le langage pour dire l’être ? La relation intime du langage et de la vérité dans
l'ambition philosophique.

Révélation et dissimulation

Le langage nous renvoie nécessairement au point de départ de toute réflexion philosophique. Cette
notion inaugurait traditionnellement le thème de la Connaissance et la Raison. Si la conscience
reste bien la condition première de l'existence même d'une possible activité philosophique,
celle-ci ne peut s'accomplir que dans et par le langage.
Il n'y a de philosophie que parce que l'homme, être de conscience est doué de langage.

En effet, la philosophie occidentale se définit dès l'origine comme la recherche de ce savoir par
excellence que les Grecs ont nommé "Sophia", ce savoir est conçu comme savoir portant sur la
"nature des choses", sur la "Physis" dont il a pour fonction d'exprimer l'"ordre", le "Cosmos". Or,
cette expression de l'ordre des choses doit venir au jour dans un langage approprié : le "Logos".

Le "Logos", c'est le nombre, c'est la raison et la mesure, c'est le "discours" enfin, dans lequel
s'énonce, pourrait-on dire, la "formule" susceptible d'exprimer la présence d'une stabilité
substantielle, d'une constance régulière, cyclique, cohérente, immuable de l’Être comme Nature,
derrière la multiplicité mobile (apparemment dépourvue de toute ordonnance à l'unité d'un
principe), du paraître et du "devenir" sensibles.

La "science" dont la philosophie se met en quête est donc à l'origine la possession du " discours" qui
énonce la cohésion de l’Être comme Nature au-delà des apparences. Mais ce discours "ontologique"
- dans lequel il y va d'une science de l’Être - s'énonce à partir d'un langage qui n'est pas
nécessairement de lui-même révélateur de la raison des apparences ; car l'homme parle
quotidiennement un langage (à travers sa langue) soumis au règne de l'opinion et de l'apparence, et
qui se borne à refléter une expérience immédiate, subjective et désordonnée des "phénomènes".
Le problème de la vérité se trouve donc ainsi mis en jeu dans la simple question de l'essence et de
l'usage quotidien ou scientifique d'un langage au statut ontologique aussi ambigu que celui de la
réalité humaine qu'il reflète.
Ce n'est qu'au sein de cet élément du langage et du "monde parlé" vivants, que l'homme peut
entreprendre de "révéler" l'Être en le formulant et en l'exprimant, mais le langage détient aussi un
pouvoir de "dissimulation" de l'Être ; car le langage est médium (intermédiaire indispensable, mais
intermédiaire seulement). Et ce double pouvoir de révélation et de dissimulation n'appartient
justement qu'à l'homme, qui est le seul "Existant", pour lui seul la question de l'essence de l'Être et
de la nature des choses peut devenir un problème et prendre sens, dans l'inquiétude même qu'il est
de sa propre essence ; par et dans le langage.
"Le langage, dit Aristote, s'il ne manifeste pas, n'accomplit pas sa fonction propre".

Chez Aristote, le discours est donc dit apophantique : littéralement, discours qui « fait apparaître »
(phaiestai) la chose « à partir » (apo) d’elle-même. Aristote qualifie donc par là le discours
propositionnel, c’est-à-dire tout énoncé qui dit quelque chose de quelque chose. La proposition
(apophansis) est, à la différence de la question ou de la prière, un énoncé susceptible d’être vrai ou
faux.

Le discours que le langage porte en puissance est en effet révélation de l’Être à l'homme, dans la
mesure où le langage est ce au sein de quoi "l’Être se dit en plusieurs sens" (en ces catégories
fondamentales sans lesquelles nous ne saurions "habiter" ce monde comme étant justement le
"nôtre") ; ou encore il est ce sans le secours de quoi les choses n'apparaîtraient pas avec le SENS
qui, pour l'homme qui l'énonce, est "le leur".

Le langage est bien pour nous une forme d'appropriation du monde, c'est parce que nous
nommons les choses que nous les comprenons, que nous les faisons nôtres; (Nous les appréhendons
par la conscience, nous les comprenons par la pensées, c'est-à-dire par le langage).

Mais si le langage "manifeste", il ne le fait aussi qu'à la manière jamais dépourvue d'ambiguïté,
d'opacité irréductible, des oracles de Delphes, selon le vieux mot d'Héraclite : "Il ne dit ni ne
cache ; il SIGNIFIE".

Signification, Expression, communication...

Ainsi , la fonction de révélation "ontologique" du langage n'est-elle sans doute pas autre chose
que l'effet "philosophique" d'une fonction plus vaste du langage, qui dans son usage le plus
quotidien, est celle de la SIGNIFICATION.
Et avant de servir de support à la vérité d'un discours scientifique ou ontologique, le langage ne
sert-il pas de substance élémentaire, pré-réflexive et primordiale, à l’Expression et à la
COMMUNICATION des significations
Il permet de passer de l'expérience concrète au symbolisme, parmi lesquelles l'homme cherche son
sens, quel que soit leur contenu de vérité, d'illusion ou de fiction, pourvu que ces significations
soient pour lui pleines de sens.
La pensée moderne tente de développer une approche "positive" des faits de langage et de la
signification linguistique, afin d'en examiner la nature et le fonctionnement.
Une telle démarche épistémologique implique la mise à l'écart de toute attitude superstitieuse ou
spéculative à l'égard du langage. Cette démarche implique que le langage soit pris comme objet
d'une science descriptive (et non normative) : la linguistique structurale. Le langage y est considéré
dans la matérialité de ses procédés signifiants, dans la diversité indéfiniment particularisée de ses
systèmes de signes (les langues) et dans l'historicité de son devenir pluraliste.
I – Le langage pour l’animal du sens

1 – Qu’appelle t-on langage ?

1.1 - Un système ? (approche de la linguistique)


Le langage peut être définit comme système de signes :
Si l'on entend par Langage ce qui est simplement une structure formelle de signes, alors :
d'une part, ce concept recouvre toutes sortes de concaténation de séquences de symboles engendrées
par des règles (par ex. : a, aa, aaa, aaaa...), auxquelles spontanément on refuserait le rang de
langage.
d'autre part, c'est à un système formel parfaitement délimité et descriptible exhaustivement (qui ne
laisse rien de côté du sujet), que correspond un tel langage formel (on connaît d'ailleurs plusieurs
types de langages formels : en logique, en mathématiques...).

Dans un second sens le mot Langage est utilisé pour l'expression d'un contenu de signification
(on peut parler par ex. de langage pour de simples mimiques faciales)

Toutefois dans ce second sens c'est le langage vocal, vernaculaire qui reste le paradigme. Mais
même pris dans cette acception, le langage a toujours une dimension systématique, mais ce n'est
évidemment pas à système formel du type de ceux mentionnés ci-dessus que correspond le langage
naturel.

Quels sont les mécanismes fondamentaux de la fonction symbolique ?

Le langage humain présente à l'analyse des propriétés structurales spécifiques.

"Une langue est un instrument de communication selon lequel l'expérience humaine s'analyse,
différemment dans chaque communauté, en unités douées d'un contenu sémantique et d'une
expression phonique, les monèmes ; cette expression phonique s'articule à son tour en unités
distinctes et successives, les phonèmes, en nombre déterminé dans chaque langue, dont la nature et
les rapports mutuels diffèrent eux aussi d'une langue à l'autre".
Martinet, Éléments de linguistique générale

Les monèmes sont les plus petites unités signifiantes par elle-mêmes encore douées de sens quand
on analyse les énoncés d'une langue donné. (Par ex. dans la phrase : j'ai mal à la tête, il y a six
monèmes ; les formes vocales qui servent à les prononcer sont dits phonèmes).

Ils constituent en quelque sorte le vocable élémentaire d'une langue, ou son matériel sémantique (du
grec : sémaîneîn = signifier).
Un "monème" n'est pas nécessairement un mot ; il peut n'être qu'une racine sémantique, un préfixe
ou une désinence indiquant le genre, la personne verbale, le temps, la fonction dans une langue à
déclinaison, etc.
Les monèmes présentent la caractéristique essentielle à tout signe, c'est-à-dire l'association
psychique d'une marque dont le statut est sensible (trace écrite et, à l'origine purement sonore) qui
est le signifiant, à un contenu de sens qui est le signifié auquel renvoie le signifiant.

Signifiant et signifié constituent les deux faces indissociables du SIGNE.

Le référent est l'objet concret ou l'expérience de l'objet - réel ou idéal - à quoi "réfère" dans
l'expérience le contenu de sens du signe.

Outre le découpage caractéristique de son matériel sémantique, le système de la langue est


caractérisé par un ensemble de règles, ou structures syntaxiques, prescrivant l'ordre dans lequel les
monèmes doivent être rangés dans la succession linéaire de la chaîne des signifiants, afin que des
relations logiques déterminées se trouvent signifiées, entre les contenus de sens des monèmes.

Tout énoncé doué de sens se fait ainsi par juxtaposition syntaxique ("syntagmation") de monèmes
choisis par celui qui parle (le "locuteur") dans le" lexique de la langue et ordonnée selon des règles
syntaxiques propres à la grammaire de la langue.

L'analyse que le "locuteur" doit faire de l'expérience à communiquer linguistiquement est ainsi
conditionnée par le choix à faire dans le système des possibilités lexicales et syntaxiques qui définit
la langue.

L'articulation lexicale et syntaxique de l'expérience humaine, dans la langue constitue, la première


articulation du langage, l'articulation sémantique. Elle se fait par les monèmes.

La deuxième articulation du langage porte sur la façon dont l'aspect matériel du signifiant
sémantique est à son tour analysable, dans le langage, en unités phoniques élémentaires, distinctes
mais dépourvues par elles-mêmes de signification et sans référent dans l'expérience.

Les linguistes appellent phonèmes ces sons fondamentaux par lesquels on peut énoncer tout ce qui
peut être dans une sphère linguistique donnée ; ils ne correspondent que très grossièrement aux
voyelles et aux consonnes.

C'est indirectement que les phonèmes contribuent à la signification. En effet, les propriétés
signifiantes des phonèmes tiennent seulement à la place qu'ils occupent respectivement dans la
chaîne signifiante d'un énoncé, par rapport aux autres phonèmes possibles selon la palette
phonématique qu'offre la langue.
Ainsi le phonème ne signifie-t-il que par rapport aux phonèmes environnants dans l'énoncé, et par
opposition aux phonèmes possibles mais non choisis en un point donné de l'énoncé.
Cette découverte relative aux propriétés dites sémiotiques des phonèmes permet de rendre compte
aussi des effets de signification propres à tout choix sémantique au sein du système de la première
articulation linguistique.
Toute parole qui se dit dans la langue n'est qu'un certain usage de celle-ci parmi bien d'autre
possibles, elle privilégie, cette parole, tel ou tel énoncé, tels ou tels monèmes, telles ou telles
structures syntaxiques, par opposition à tous les autres énoncés différents.

De même, à l'intérieur du système de la langue, un monème n'est significatif que par opposition
différentielle avec tels ou tels autres, tant sur le plan du signifié que du signifiant.

Il n'y a donc de signification linguistique que différentielle :

"Dans la langue, il n'y a que des différences",


écrit F. de Saussure, Cours de linguistique générale, 2ème partie, chap. IV, La valeur linguistique.
Et toute parole ne dit proprement "quelque chose" que dans la mesure même où elle "diffère"
de toute parole effectivement dite à côté d'elle ; de toute autre parole dont la langue est en
puissance.

Par la double articulation qui la caractérise, la langue est donc le système de signes qui permet à
l'homme d'engendrer par l'acte de la "parole", une infinité ouverte de monèmes distinctifs, et cela à
partir d'une liste fermée et restreinte de phonèmes ainsi que d'une logique de la différenciation
sémiotique.

Le jeu des différences sémiotiques est donc ouvert à l'infini d'une prolifération de signification
différentielles du SENS qui est la pensée même ; et la raison de l'homme dépend de la maîtrise de
son langage en un discours réglementé qui ne permet pas de tout dire.

1.2 – L'expression et la communication de la pensée ?

Il n'en reste pas moins que la positivité d'une telle approche, qui est scientifiquement instructive
quant à la production du "sens" en quelque sorte entre les signes, ne saurait pour autant faire oublier
au philosophe du langage que le langage est plus qu'un simple "instrument" de communication ; il
est plutôt le milieu propre à l'humain, ou l'élément au sein duquel l'humain est "chez lui" dans le
monde, il renvoie à cette façon propre qu'à l'homme d'"habiter" le monde intimement, dans
l'intersubjectivité de ses semblables comme dans l'intériorité de son rapport à soi :

"La pensée, dit Platon, est le dialogue silencieux de l'âme avec elle-même".
Le langage n'est donc pas simplement une association de sons et de sens, comparable à une "boîte
noire" où s'échangeraient des significations et des valeurs de vérité.

Le langage est un phénomène social, une partie de l'action, humaine.

L'action verbale est une action rationnelle qui est soumise, comme toutes les actions rationnelles à
un certain nombre de contraintes et de régularités.
Ces régularités prennent la forme de conventions dans les communautés linguistiques et culturelles.
Ces conventions sont l'objet d'une connaissance mutuelle de la part des locuteurs.

La description de la forme exacte de ces conventions et la détermination de leur degré de socialité


est l'une des tâches de la sociolinguistique.

Le Problème philosophique posé par l'action relative au langage est double : c'est à la fois celui
d'une apparente circularité, et celui d'une réflexivité manifeste.

Circularité : dans la mesure où pour communiquer, je dois communiquer mon intention de


communiquer, qui doit être reconnue. Mais si je dois communiquer mon intention de communiquer
mon intention de communiquer, je dois communiquer mon intention de communiquer mon intention
de communiquer, etc.

Question qui se pose par rapport à ce premier Problème, comment la communication parvient-
elle à s'instaurer, à commencer, à s'arracher à l'impossibilité logique du commencement ?

Réflexivité : puisqu'il existe une classe d'expressions linguistiques qui ont la propriété curieuse
d'accomplir une action par le fait de l'énoncer. (Par ex. "je promets" c'est, dans des conditions
correctes, faire l'action de promettre). On parle alors d'énoncés performatifs.

Question que se pose par rapport à ce second problème :, comment le langage peut-il cesser de
référer à des états de choses pour référer seulement à lui-même ?
A quoi réfère vraiment le langage ?

Pour répondre à de telles questions, il peut être intéressant de s'intéresser à la production et à la


compréhension du langage.

2 – Le sens propre de l'homme ?

Pourquoi le langage fait-il de l’homme un être irréductible à l’animalité ?


Les conduites qui implique la production et la compréhension du langage sont contrôler par des
opérations cognitives complexes.
Pour cette raison, peut-on affirmer qu'il existe un langage animal ?

Existe t-il un "langage" animal ?


Dans de nombreuses mythologies, tous les animaux parlent jusqu'à ce qu'une catastrophe réserve
cette faculté aux humains, ou empêche du moins ces derniers de comprendre les autres animaux.
Comme on le sait, la philosophie occidentale a lié la capacité linguistique humaine à la raison, c'est-
à-dire à une faculté spécifique, non présente dans le reste du règne animal. C'est ce qui à fait
longtemps obstacle à la reconnaissance de modes de communication non humains.
Le dualisme cartésien a renforcé cet obstacle : le langage témoigne en l'homme d'une raison ou
d'une âme, aussi il n'est pas question d'accorder cette faculté à d'autres êtres.

Deux éléments sont venus bouleverser la question :

D'abord, la théorie de l'évolution, qui replace l'homme dans le règne animal (Darwin lui-même s'est
intéressé à l'expression des émotions).

Ensuite, au début de ce siècle, la description de codes non humains de communication, il y a eu des


travaux sur les abeilles par ex. (K. von Drisch). Il y a eu quantité de travaux en zoosémiotique
(néologisme dû à T. Sebeok). Il y a eu aussi des tentatives de communication plus ou moins
réussies avec des mammifères supérieurs.
Aussi, le véritable problème philosophique n'est pas de savoir si les animaux parlent ou non (c'est
un fait trivial que de remarquer qu'il peuvent communiquer mais pas comme nous). Le véritable
problème philosophique consiste à situer l'exacte différence entre le langage humain et les autres
modes de communication existant dans le règne animal.
En analysant nos connaissances sur le "langage" des abeilles, Benveniste remarquait qu'il ne s'agit
pas d'un véritable langage au sens défini par le langage humain, mais d'un code de signaux. C'est à
dire qu'on y trouve :
- une fixité du contenu,
- invariabilité du message
- rapport à une seule situation (absence de création dirions nous aujourd'hui)
- la nature indécomposable de l'énoncé
(c'est-à-dire, que la double articulation que nous avions mentionnée plus tôt est ici absente : pas de
décomposition en unité minimal du signifiant qui ne ne correspondent pas)
- une transmission unilatérale (absence de dialogue et d'opérateurs d'énonciation).

Ces caractéristiques se retrouvent dans tous les codes non humains que l'on est parvenu à décrire
jusqu'à présent.
Dans la ligne évolutive qui est censée mener de ces formes de communication non verbales
présentes à divers stades du règne animal jusqu'au langage humain, il manque des chaînons
linguistiques.
C'est pourquoi la démarche qui consiste à apprendre à des singes supérieurs un langage humain
(sous forme de langage de signes) revêt un grand intérêt. Mais les résultats sont loin d'être clairs et
restent très limités (par ex les capacités de numération ne semblent pas aller au-delà du nombre 5 ou
6). Cela reste donc très limité, même si les chimpanzés semblent par ailleurs capables d'employer
des signes en dehors de la réalité correspondante, c'est-à-dire qu'ils sont capables de les combiner,
voire d'inventer même de nouvelles combinaisons (mais c'est là un point qui reste soumis à
controverse).

Si le langage humain demeure semble t-il spécifique, comment est-il possible de l'acquérir ?

Les modalités d'acquisition ?

Contrairement à une idée reçue, il ne faut pas considérer qu'il y a d'abord une langue adulte,
achevée, dont on connaîtrait bien la nature et que l'enfant devrait s'approprier peu à peu dans son
apprentissage.
Mais inversement, c'est en observant les processus d'acquisition du langage qu'il nous sera possible
peu à peu de mieux comprendre ce qui se passe dans la langue achevée. (Il ne nous faut pas
raisonner, comme nous le faisons souvent à partir de notre savoir acquis, à posteriori, car alors, nous
privilégions la forme par rapport au fond).
Nos descriptions de la langue sont principalement centrées sur la syntaxe, les différents contenus
lexicaux venant en quelque sorte se mouler dans cette forme, alors qu'on doit plutôt se représenter
l'enfant comme allant précocement de la sémantique et de la pragmatique à la syntaxe.

Sémantiquement, l'enfant est capable de marquer des oppositions (animé/inanimé, processus/état), il


organise ainsi des messages bien avant de distinguer sujets et objets, verbes et adjectifs (qui sont
d'ailleurs des organisations syntaxiques variables selon les langues).
Pragmatiquement, on part bien plus des "actes de langage" (ex. demander, accepter, refuser,
montrer) que des formes spécialisées.
De la même façon encore, un enfant sait organiser un texte, raconter, argumenter, jouer avant
d'avoir acquis les structures syntaxiques complexes.

Comme on le voit l'acquisition du langage est complexe, mais la compréhension l'est aussi.

La compréhension du langage oral se fait par la perception de la parole, mais comment expliquer la
perception de cette parole. La perception de la parole soulève un double Problème :
- celui de l'intégration de multiples traits phoniques en tout point de la séquence de parole sous la
forme d'un percept unifié,
- et celui, inverse, de la segmentation du flux vocal en unités initiales dont la combinaison formera
des unités de sens ou mots.
Ce qui conduit à se demander s'il y a un mode spécifique de perception du Langage.
II - Langage et pensée

1 – Peut-on penser sans les mots ? (Force et limites de la langue naturelle)

Le support ou véhicule du langage ordinaire est ce qu'on appelle langue naturelle, langue commune,
langue d'usage, langue de communication, parfois même langue vulgaire..

Le langage ne s'identifie pas avec son support il consiste plutôt en une manière de l'utiliser.

Toutes les langues parlées par une communauté culturelle, quel que soit son degré de complexité
idiomatique (grec....chinois) sont des langues communes.
La langue commune constitue la matrice de toutes les langues spécialisées qui se différencient en
son sein : elle est ce à partir de quoi tout est construit et ce par quoi tout est commenter
(métalangue). Ses propriétés sont :

Lexicales : richesse et polysémie des termes, approximations assez souples pour servir à la
communication, en toutes circonstances avec un potentiel expressif et imagé.
Syntaxiques : la grammaire résulte d'une évolution historique et non d'une contrainte logique, d'où
la variété des tournures, les exceptions.
Ainsi que les traits pragmatiques : la référence et la signification des propos doivent être interprétés
en fonction du contexte, de l'identité des locuteurs, circonstances d'énonciation etc.

Toutes ces propriétés rendent donc la langue commune parfaitement apte à l'usage
communicationnel ordinaire et beaucoup moins apte à l'usage de la notation de contenus
scientifiques.

1.1 - Doit-on alors réformer du langage ?

En fait l'idée de langue ordinaire est proche de ce que Leibniz appelait l'usage civil qu'il distinguait
de l'usage philosophique.

"L'usage de la communication est de deux sortes. Le civil consiste dans la conversation et usage de
la vie civile. L'usage philosophique est celui qu'on doit faire des mots pour donner des notions
précises et pour exprimer des vérités certaines en propositions générales".
Nouveaux essais sur l'entendement humain.
Plus précisément, "l'usage des signes civiles consiste à appliquer les préceptes généraux à l'usage
de la vie et aux individus. L'usage philosophique est de trouver et de vérifier ces préceptes".
La langue naturelle semble donc être un piètre instrument pour l'expression de la pensée rigoureuse,
car elle est vague, assujettie à des conventions sociales, en somme elle est encombrée des vestiges
de l'histoire naturelle des hommes.
Aussi, on a souhaité, de façon radicale, construire un langage formel pour l'expression de la pensée
pure (c'est-à-dire un langage qui serait dégagé de toutes les contingences naturelles et sociales.

Ce projet d'une langue caractéristique ou idéale a été formulé par Leibniz. Il a été réalisé
partiellement par la logique mathématique.

Pourquoi partiellement ? Parce qu'il y a des expressions, comme celles qui expriment la causalité, le
temps, la modalité, qui résistent à un traitement purement formel..

Or, dans un langage idéal, il ne peut pas y avoir d'ambiguïté, tout doit être explicite. Aussi ce projet
d'une réforme du langage semble nécessaire pour mener à bien une analyse philosophique, car celle-
ci alors ne tomberait plus dans les pièges de la surface linguistique.

A cette méthode de réforme et de rectification du langage s'oppose une méthode de description du


langage ordinaire. Les auteurs qui se sont réclamés de cette seconde méthode on d'ailleurs préféré
cette épithète d'"ordinaire" de préférence à celle de "naturel" pour sortir justement de la
confrontation entre langage naturel et langage formel.

Dans ce domaine, l'influence de Wittgenstein et de ses Recherches logiques a été déterminante.


Cette description du langage a voulu, en fait, servir elle aussi à "purifier" en quelque sorte le
langage philosophique.

Cette concurrence de deux méthodes a une signification considérable pour la philosophie car c'est
toute la question du langage de la philosophie qui est posée. Les Problèmes philosophiques ne sont
certes pas tous des problèmes de la philosophie, mais quand une question philosophique est liée à
l'exercice même de la philosophie, à sa possibilité même, cette question prend alors un tour vital et
crucial.

Un des problèmes qui intéresse la philosophie du langage consiste à rendre compte des liens qui
existent entre langage et pensée.

1.2 - La réduction de la pensée au langage

"C'est dans le mot que nous pensons"


La fonction essentielle du langage, selon Hegel, est de tirer l'esprit du monde complexe et confus
que lui présente la perception brute. L'esprit pourra alors accéder à un monde plus intellectuel, un
monde "purifié", celui des mots. :
"L'intelligence se trouve comme remplie par l'objet qui lui est donné immédiatement et qui entraîne
avec lui la contingence, l'inanité et la fausseté qui sont le propre de l'existence extérieure"
Hegel, Philosophie de l'Esprit, Psychologie, Esprit théorique.
(inanité : inutilité, vanité)
mais le rôle de l'intelligence est de "purifier" le "contenu de l'objet qui s'offre à elle d'une façon
immédiate, en effaçant tout ce qu'il a d'extérieur, d'accidentel et d'insignifiant".

Or, c'est le son articulé, le mot qui accomplit cette fonction, car :
D'un côté, le mot est une forme externe mais il est aussi l’œuvre de l'esprit : il est un signe et il est
par là une forme interne.

"Le son s'articulant suivant les diverses représentations déterminées, c'est-à-dire la parole et son
système de langage, donne aux intuitions et aux représentations une seconde existence, plus haute
que leur existence immédiate, en un mot, une existence qui a sa réalité dans la sphère de la
représentation".
(citation qui se retrouve dans La Philosophie de l'Esprit mais aussi dans l'Encyclopédie des sciences
philosophiques.

Par ex., "en entendant le mot lion, nous n'avons besoin ni de l'intuition, ni même de l'image de cet
animal, le mot une fois compris est la représentation simple sans image. C'est en mots que nous
pensons", c'est-à-dire non en images.

C'est pourquoi Hegel considère, en opposition à Leibniz, que le langage alphabétique est
supérieur au langage hiéroglyphique, qui est trop près des choses.

En effet, ce dernier "désigne des représentations par des figures spatiales ; mais l'écriture
alphabétique exprime des sons qui sont en eux-mêmes déjà des signes. Cette langue consiste donc
en signes de signes ; elle ramène les signes concrets de la langue des sons, les mots, à leurs
éléments simples, et exprime ces éléments".
Et Hegel conclut alors :
"Il suit de là qu'apprendre à lire et à écrire l'écriture alphabétique est un moyen d'éducation
intellectuelle d'un prix infini, et qu'on ne saurait trop apprécier. Car cela détourne l'esprit de
l'existence sensible et concrète, et dirige son attention sur un domaine plus intellectuel, le mot parlé
et ses éléments abstraits, et remplit par là une condition indispensable pour fonder et épurer la vie
de l'esprit".

Il semble qu'il n'y ait pas d'autres textes qui ait affirmé avec autant de force l'indissolubilité du
langage et de la pensée, et la fonction primordiale du langage dans son ex.

1.3 - La pensée demeure incommensurable avec le langage


(Cf. texte de Bergson)
Reprise d'analyses déjà abordées dans le cours sur la conscience.
1.4 - Parole et pensée sont enveloppées l'une dans l'autre
Renvoi aux textes et analyses de Merleau-Ponty sur l'échange dans le dialogue.
+ texte de Sartre

Þ Mise à jour des rapports entre langage et pensée (synthèse des points de vue).

On voit maintenant (après avoir confronté quelques grandes thèses sur ce sujet), comment peut se
résoudre le problème souvent débattu, des rapports du langage et de la pensée.

Certains auteurs avaient admis l'antériorité du langage sur la pensée. D'autres au contraire n'ont vu
dans le langage que l'enveloppe de la pensée toute faite.
En réalité, "le langage est à la fois l'effet et la condition de la pensée logique" (Delacroix). La
pensée et le langage progresse corrélativement, la pensée, en se développant conduit à une
expression plus exacte, et le signe permet à la pensée de se préciser.

Deux réserves sont cependant nécessaires.

La première, c'est qu'au-dessous de la pensée proprement dite, de la pensée logique et réfléchie, il


existe certainement des formes de pensée indépendantes du langage. C'est surtout du point de vue
psychologique que cet aspect est intéressant. En effet, les psychologues ont signalé, chez l'enfant,
l'existence d'une pensée "inverbale" qui n'est en fait que le reflet de l'action et où les habitudes
tiennent lieu de concepts. Sans doute on peut dire que même à ce stade la pensée est déjà
symbolique, car elle n'est jamais une chose, un état ou une action, mais tjs la représentation d'une
chose, d'un état ou d'une action. Mais à ce niveau la pensée ne se sait pas elle même comme
symbolique. La sensation par ex. est un signe mais elle s'ignore elle même comme signe.

En outre, il existe aussi une pensée réfléchie, mais encore implicite ou intuitive, où le sentiment de
ce qu'on veut exprimer précède l'expression même.

En ce sens, la pensée déborde de beaucoup le langage : une même idée peut se créer à elle-même
des expressions différentes, et le langage n'en exprime jamais qu'une partie ou qu'un aspect.

En résumé, ce qui est vrai, c'est que le langage est nécessaire à la pensée pour s'expliciter et se
définir : "la formule verbale sort d'une nébuleuse intellectuelle", elle permet à la pensée de
"prendre conscience de soi". (Delacroix).

Essayons de préciser en quoi consiste cette réaction du langage sur la pensée.

La pensée, nous venons de le voir, resterait souvent implicite et confuse si, pour l'exprimer, nous
n'étions forcés de l'analyser.
Condillac a bien mis en évidence ce rôle du langage : "on ne peut parler sans décomposer la
pensée en ses divers éléments pour les exprimer tour à tour, et la parole est le seul instrument qui
permette cette analyse de la pensée (Logique, 2e p.). Condillac en conclut qu'une langue est, au
sens propre du mot, une méthode et qu'"une science n'est qu'une langue bien faite".

C'est une conclusion qui est manifestement exagérée pour celui qui ne verrait dans le langage qu'un
système d'images unies mécaniquement par des liens purement associatifs ; mais une telle
conclusion renferme, au contraire une grande part de vérité si l'on se rend compte que l'élaboration
du langage est, comme nous venons de le voir inséparable du travail même de la pensée.

Le langage fixe la pensée. En la traduisant par des mots, le langage fixe cette réalité essentiellement
dynamique qu'est la pensée conceptuelle.

"Un signe est nécessaire pour donner de la stabilité à notre progrès intellectuel, pour fixer chaque
pas de notre marche, et en faire un nouveau point de départ pour de nouveaux progrès. Une armée
peut se répandre sur un pays, mais elle n'en fait la conquête qu'en y établissant des forteresses. Les
mots sont les forteresses de la pensée." (Hamilton, Lectures on logic).
En fixant ainsi la pensée, le langage permet de se transmettre de génération en génération :

"Nos prédécesseurs sur la terre ont employé leurs forces intellectuelles à observer, à déduire, à
classer ; nous héritons dans le langage des résultats de leurs travaux." (Whitney, La vie du
langage)

Mais d'autre part, en cristallisant ainsi les concepts dans des mots, le langage risque d'en faire des
"concepts figés", sans rapport avec l'expérience ; et, de plus, en donnant au concept une sorte
d'existence concrète, le langage est le principal responsable de cette tendance à réaliser les
abstractions.

Le langage véhicule avec lui toute une métaphysique spontanée. Quand nous disons : "Le temps est
froid", nous en arrivons à concevoir le temps comme une substance à laquelle nous attribuons une
qualité. Quand nous disons : "La pluie bat les vitres", nous faisons de la pluie une force agissante,
analogue à la volonté qui s'exerce sur un objet.

Nos langues issues de l'indo-européen relèvent donc d'un animisme substantialiste qui est fait de
représentations primitives.

Mais, en prononçant ces mots, n'est-ce pas tout autre chose que nous voulons dire ? Ainsi, les cadre
grammaticaux (sujet, copule, attribut ; sujet, verbe, objet) du langage fausse la pensée et la logique
elle-même en faisant croire à un illusoire "parallélisme logico-grammatical", alors que les valeurs
grammaticales sont tout autres que les valeurs logiques.
Mais le langage socialise et rationalise la pensée. Il est produit social et instrument de
communication entre les esprits, le langage contraint la pensée à se dépouiller de ce qu'elle a de
purement individuel, d'autistique, et par conséquent d'affectif, car c'est l'affectivité qui représente ce
qu'il y a de plus subjectif en nous.

Il est donc le grand instrument de socialisation et de rationalisation de la pensée : le concept c'est


précisément ce qu'il y a dans la pensée de communicable et de rationnel.

Enfin, le langage en est venu à s'incorporer si intimement à notre pensée que bien souvent, sans
même nous en rendre compte, nous ne pensons plus qu'à travers les mots : c'est ce qu'on appelle le
langage intérieur.
" Le mot est senti comme un miroir si transparent que normalement le présence n'en est pas perçue
entre l'objet qu'il reflète et l'image qu'il en fournit... Que nous soyons moteur, visuels ou auditifs, à
supposer que ces distinctions répondent à de biens évidentes réalités, il nous faut les avertissements
des psychologues pour nous rendre compte que ce n'est pas notre pensée pure et nue, mais des mots
que nous prononçons, lisons ou entendons, ainsi dans l'intimité de la conscience" (Blondel, La
conscience morbide)
Nous arrivons même, dans un certains cas, à ne plus penser que des mots. C'est ce que Leibniz a
appelé la pensée aveugle ou symbolique :

"il arrive très souvent, surtout dans une longue analyse, que nous n'embrassons pas à la fois toute
la nature de l'objet, mais que nous substituons aux choses des signes dont, en vertu d'une certaine
pensée actuelle, nous avons coutume par abréviations d'omettre l'explication, sachant que nous
pouvons la donner... Ces mots, dont le sens ne se présente à mon esprit d'une manière obscure ou
du moins imparfaite, me tiennent lieu des idées que j'en ai, parce que ma mémoire m'atteste que je
connais la signification de ces mots et que l'explication n'en est pas maintenant nécessaire à mon
jugement. J'ai coutume d'appeler cette pensée aveugle ou symbolique ; et nous en faisons usage
dans l'algèbre, dans l'arithmétique et presque partout."
Leibniz, Sur la connaissance, la vérité et les idées.

Si l'on songe, par ex. à l'emploi que l'on fait de mots rares et complexes, avec des significations très
précises dans des domaines donnés (tels que logarithme, valence, diastase, etc.), ne les employons-
nous pas, le plus souvent sans prendre pleinement conscience du savoir virtuel qu'il recouvrent ?
Ici encore il y a évidemment danger. C'est qu'en prenant l'habitude de ne plus expliciter notre
pensée, nous tombions dans ce "psittacisme" dont parle Leibniz, et qui, ne fournissant plus rien à
l'esprit, n'es plus qu'un vain verbiage. "Les concepts, a-t-on dit, sont le papier-monnaie de la
pensée."Mais, pour conserver leur valeur, les concepts, et par suite, les mots qui les représentent,
doivent toujours pouvoir être " remplacés par des faits réels, comme on change un bon billet contre
des espèces sonnantes" (Brochard, Revue philosophique). C'est en veillant à traduire ainsi nos
formules abstraites en exemple concrets que nous éviterons le psittacisme.
2 – Peut-on tout dire ?
Réformer le langage ou le décrire ?

L’hypothèse d’un langage privé pour éclairer l’ambition…


Présentation d'une analyse particulière : celle de Wittgenstein

Dans les Investigations philosophiques (IP), Ludwig Wittgenstein introduit la notion de Langage
privé pour désigner un certain type de langage qui sert uniquement à décrire l'expérience intérieure
d'une personne (ses sentiments, ses intentions, son introspection, etc.)

A partir de cette notion, il construit une argumentation dans le but de prouver que l'existence du
langage privé est impossible.

L'argument du langage privé constitue l'un des problèmes les plus curieux de la philosophie
moderne. Il a donné lieu à des interprétations les plus divergentes quant aux intentions de son
auteur, quant à sa cible...
Quoi qu'il en soit cet argument est devenu l'objet d'études importantes.

Il faut d'abord constater que l'argument du langage privé ne se présente pas sous forme argumentée,
voire technique ; il s'agit en fait d'une suite de réflexions où se mélange des questions, des
exemples, des images, des paraboles et des paradoxes, qui sont suivies de méta-réflexions, mais
sans conclusion générale.

(Rien n'indique vraiment où commence l'argument. Il a été généralement admis que c'est au § 242 ;
Kripke, par contre, maintient que c'est là qu'il se termine, alors que le commencement véritable
serait au § 138.)

Quelles sont les caractéristiques de ce langage privé ?,

Le langage privé "serait intrinsèquement et non pas accidentellement, privé... un langage dont la
nature même implique qu'il n'est pas concevable qu'un autre que son utilisateur puisse le
comprendre". Cette définition exclut la possibilité que ce langage se réfère à des objets directement
observables. Les objets désignés par le L privé seraient donc eux-mêmes privés, objets de
"connaissance immédiate", non accessibles aux sens, mais à une "expérience intérieure".

"La chose essentielle dans le vécu privé n'est pas à proprement parlé que chacun possède son
propre exemplaire, mais que personne ne sait si l'autre a également ceci, ou quelque chose d'autre."
IP § 272.
Le Langage privé serait donc une expression linguistique des expériences inaccessibles à toute autre
personne que celle qui les exprime.
"Dans quel sens mes sensations sont-elles dès lors privées ? Eh bien, il n'y a que moi qui puisse
savoir si je souffre réellement ; une autre personne pourra seulement s'en douter".
IP § 246.

En fait, le Problème du langage privé est conçu par Wittgenstein comme un problème de règles :

Est-ce qu'un individu seul peut introduire, établir et suivre une règle ? Peut-il appliquer cette règle
correctement ?
Wittgenstein analyse ce problème en donnant l'exemple d'un journal intime dans lequel il se propose
de décrire une sensation :
"Imaginons le cas suivant. Je veux tenir un journal intime sur la récurrence d'une certaine
sensation. Pour cela je l'associe avec le signe "S" et j'écris dans un calendrier, à chaque jour
auquel j'ai la sensation, ce signe "S"
IP § 258.

Il n'y a que moi seul qui ai accès à cette sensation, le signe "S" se réfère à un spécimen de sensation
unique, le mien. La définition de "S" est de caractère privé :

"...je peux bien me la donner à moi-même comme une sorte de définition ostensive, je prononce ou
j'écris le signe, et, ce faisant, je concentre mon attention sur la sensation - je la montre donc pour
ainsi dire dans mon for interne", je me fixe la signification du signe", "j'imprime fortement en moi-
même la liaison du signe avec la sensation".

Mais est-ce que de cette manière je me procure une règle dont l'acquisition me rendra capable
d'employer correctement "S" dans le futur ?

"En vérité, écrit Wittgenstein, je n'ai aucun critère pour la correction".

L'introduction, l'application et le contrôle de l'emploi de la règle dépendent uniquement de moi.

"On voudrait dire ici : est correct ce qui, quoi que ce soit, m'apparaît comme correct. Et cela veut
dire uniquement que l'on ne peut parler ici de "correct". Dans mon expérience intérieure tout ce que
je crois être correct n'est pas discernable de ce qui est correct. Et croire suivre la règle n'est pas
suivre la règle.
On ne peut donc pas suivre la règle privativement, parce que sans cela, croire suivre la règle et
suivre la règle, ce serait la même chose.

Witt reconnaîtra donc que le défaut de son procédé c'est qu'il ne s'extériorise pas. Il interdit en effet
que d'autres personnes y participent et qu'une régularité "extérieure" ne s'établisse.
Un règle privée est donc déjà, en un certain sens une contradiction. "Et c'est pourquoi suivre la
règle est une pratique".
IP § 202.

Ainsi tout en admettant que l'on peut décrire des sensations, Wittgenstein montre qu'on se fait une
fausse idée de celles-ci et du langage qui les exprime, lorsque qu'on conçoit l'expérience intérieure
comme celle d'un sujet isolé face à son intériorité inaccessible.

"Un "processus interne" a besoin de critères externes".


IP § 580

C'est-à-dire qu'il fait partie des "formes de vie" de notre communauté linguistique et il trouve sa
place dans les pratiques que nous avons en commun avec les autres.
Il existe, indépendamment des individus, une "grammaire", qui est issue des pratiques et des "jeux
de langage", qui détermine l'endroit où ce processus interne se trouve. Le signe "S" ne pourra être
introduit que si la place à laquelle il sera mis aura été préparée.

Quelles sont les conditions pour l'introduction de "S" ? "S", comme toutes les descriptions des
expériences internes, ne pourrait pas être introduit "s'il n'y avait pas des jugements d'identification,
de reconnaissance et donc également de réminiscence. Or j'applique dans mes pratiques ces
jugements sans problème :

"Comment sais-je que la couleur de ce papier, que j'appelle "blanc", est la même que celle que j'ai
vue hier ? Par le seul fait que je la reconnaît, et que ma reconnaissance est ma seule source pour ce
savoir".

L'acquisition des premières règles ne peut faire appel à aucun savoir préalable.
Pour obtenir de l'enfant les premiers comportements réguliers, l'entourage exerce un véritable
"dressage" sur lui. C'est ainsi qu'une pratique peut être établie, qui conduit à une conformité de
définitions, mais qui conduit aussi, et cela peut paraître étrange à une conformité de jugements.
L'enfant apprend à suivre la règle comme il apprend une technique, il suit la règle "aveuglément". Je
sais quels sont mes sentiments parce que je les ai, je n'ai donc pas besoin d'instance de justification.
Mais il est vrai aussi que les autres peuvent être dans le doute quant à mes sentiments. Mon
entourage contrôle ce que je dis sur mes sentiments et forme en même temps des énoncés sur mes
expériences intérieures.
Les descriptions à la 3e personne ont besoin de critères observables qui permettent deux tâches à la
fois : reconnaître les sentiments d'un autre et contrôler ce qu'il en dit. Tandis que nous n'avons pas
besoin de critères pour identifier nos propres sentiments et pour les décrire, nous produisons des
critères par notre comportements qui permettent à la communauté linguistique de nous comprendre
ou de nous corriger.
Il existe donc une certaine asymétrie" entre les expressions des sentiments à la 1ère personne et
celle à la 3ème.

Le mythe de l'intériorité est rejeté par le fait crucial qu'on ne peut pas suivre une règle seul.
On peut reconnaître et décrire les expériences intérieures, mais ce qu'on reconnaît et décrit ne sont
pas des objets.

C'est ce qu'il explique dans la "parabole des scarabées" :


"Supposez que chacun ait une boîte avec quelque chose dedans : nous l'appelons un "scarabée".
personne ne pourra regarder dans la boîte d'aucun autre, et chacun dira qu'il ne sait ce qu'est un
scarabée que pour avoir regardé le sien propre."
IP § 293
Le jeu de langage s'établit, les participants parlent de leur "scarabée" et de ceux des autres. Mais
cette expression ne sert pas à désigner une chose : "la chose dans la boîte n'appartient d'aucune
manière au jeu de langage ; pas même comme un quelque chose : car la boîte pourrait aussi bien
être vide."
Le jeu de langage est joué par la communauté, ses membres s'expriment et se comprennent mais le
mode de fonctionnement du langage est particulier :
"Si l'on construit la grammaire de l'expression de la sensation d'après le modèle "objet et
désignation", alors l'objet tombe en dehors de notre considération comme non pertinent".
C'est la grammaire qui dit quel objet est quelque chose.
III - Les pouvoirs du langage

Comme nous l'avons vu,

Pour certains, la nécessité de s'extérioriser par les voies du langage constitue pour la pensée une
sorte d'obstacle, un handicap.
Pour ces auteurs, les mots sont reconnus être indispensables, mais ils figent abusivement les idées,
c'est-à-dire qu'ils affaiblissent le sens propre et premier de la pensée.

Pour d'autres, c'est exactement le contraire, non seulement la pensée ne peut pas se passer du
langage (elle n'aurait aucun autre mode d'existence structurée), mais de plus, l'organisation des mots
est intiment liée avec celle des idées (aussi l'ineffable est impossible, il n'est rien d'autre que le non
pensable tout simplement)

On peut ici faire un rapprochement avec ce qui se passe dans cet autre support du langage qu'est
l'écriture.

Ou l'on considère que c'est une notation fixe et rigide du langage ; c'est-à-dire qu'elle fige la parole
orale, le langage oral semble alors perdre sa fluidité et son pouvoir créateur.

Ou, au contraire, on considère que cette fixation dans la trace écrite donne une stabilité au langage
qu'il ne possède pas naturellement.

De plus cette trace écrite permet la propagation de la parole dans l'espace et dans le temps. L'écrit
contribue ainsi à l'accumulation des connaissances.

1 – L’appropriation théorique (l’outil de l’émancipation ?)


Dire le monde…

C'est grâce au langage que nous connaissons, c'est en maîtrisant les mots que nous nous assurons la
maîtrise des choses.

Nommer les choses et les idées, c'est la première condition de possibilité du savoir.

Le langage donne la possibilité de classer et d'utiliser les connaissances à travers lesquelles on


s'approprie symboliquement le monde.

Or, cette maîtrise symbolique du monde c'est ce que l'on appelle la culture.La maîtrise du
langage a donc un rôle essentiel dans notre culture, et cette partie de la culture qu'est la langue
occupe, au sein de l'ensemble, un statut tout à fait privilégié.
La façon dont une langue est organisée "coïncide" en quelque sorte avec l'organisation de
l'ensemble de la culture correspondante.

Si la variété des langues ne reflétait que la diversité des étiquettes servant à désigner, par ailleurs, à
peu près les mêmes choses, les traductions dites "mot à mot" seraient parfaitement claires, or on sait
à quel point elles ne le sont pas, même entre des langues parlées par des populations culturellement
proches.

En ce sens les mots ont un très grand pouvoir, c'est à travers eux que se structure la
perception de l'univers dans lequel nous vivons.

2 – La maîtrise pratique (l’outil de manipulation ?)


Dire au monde…

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Pour travailler cette dernière partie et approfondir certaines partie de ce cours :

- Renvoi à l'étude de l’œuvre de Platon, Gorgias.


(Analyses de la rhétorique, de l'éloquence / de la dialectique)...

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