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14.

Le langage

Définition : La parole est la “faculté de s’exprimer par le langage articulé”, c’est la “capacité à
parler”. Elle est aussi définie comme “mot prononcé, phrase exprimant une pensée, un sentiment”.
En philosophie, la parole se définit comme la mise en pratique du langage. Bien que le verbe
“parler” renvoie à la pratique orale, la parole peut également être écrite.

La parole est donc une expression orale, ou écrite, individuelle à la différence du langage qui est
un fait social. Le langage est la “capacité, observée chez tous les hommes, d’exprimer leur
pensée et de communiquer au moyen d’un système de signes vocaux.”.

I. Le langage, une faculté propre à l’homme

Quelles sont les origines du langage ?

 Rousseau, Essais sur les origines des langues :


- la parole est une institution sociale = si l’homme a pu se réunir et s’organiser, c’est grâce à la
parole
- le langage rapproche les hommes, et grâce à lui, l’espèce humaine crée du lien et il commence à
“faire société”.
 si on peut se parler à soi-même, user de la parole pour soi, à l’oral ou à l’écrit, le langage, lui,
est avant tout une faculté d’expression pour communiquer avec nos semblables.

Quelles sont les différences entre les signes du langage et les signaux animaux ?

Lorsque l’on dit que le langage est une faculté propre à l’homme, cela ne signifie pas que les
animaux sont incapables de communiquer, mais ce n’est pas une forme de langage. Pour affirmer
ces propos, il est nécessaire de distinguer deux termes : le signal et le signe.

Du latin classique « signum », le signal est “tout signe, geste, cri, son, etc., destiné à avertir, à
donner une consigne, un ordre”.

Les espèces animales de même espèce échangent entre elles des signaux qui leur permettent de
se nourrir, se défendre, d’alerter ses congénères, de se reproduire…Ces signaux peuvent être :
- visuels comme l’expression faciale du singe ou du chat ;
- sonores tels que le chant des oiseaux ;
- tactiles comme la vibration de la toile d’araignée ;
- électriques comme l’émission ainsi que la réception électrique chez certains poissons.

Les animaux utilisent donc des signaux de communication pour échanger des informations, mais
ceux-ci sont limités. Les réactions à ces signaux sont toujours déterminées à l’avance. Mais quelle
est la différence entre un signal et un signe ?

Également issu de « signum », le signe est “ce qui permet de connaître ou de reconnaître, de
deviner ou de prévoir quelque chose”, c’est un geste ou une “mimique permettant de faire
connaître une pensée ou de manifester un désir, un ordre”.

Le signe est donc une intention, un signal volontaire : exprimer un signe de tête pour dire bonjour
à quelqu’un est un signal volontaire de bienvenue. L’individu n’est pas obligé de le faire.

Bien que les signes soient limités, l’être humain dispose d’une capacité qui lui est propre pour
dialoguer avec ses semblables : le langage. La prise de parole permet d’exprimer une pensée
originale. L’être humain possède donc une faculté qui ne le limite pas à échanger des signaux
pour se nourrir ou pour alerter ses congénères, mais qui lui permet d’exprimer ses pensées avec
ses semblables.
L’expression de la raison de l’être humain

Le langage est une faculté propre à l’être humain qui lui permet d’exprimer ses pensées. Cette
capacité est un signe qui prouve la présence d’une pensée, de la raison, dans un corps. Lorsqu’il
compare les animaux (animal-machine) et les hommes, Descartes met en évidence cette idée :
même si certains animaux, tels que le perroquet, disposent d’organes propres à la parole, ils ne
peuvent que reproduire les sons et pousser des cris ≠ de discours raisonnables, car l’expression
de la pensée via le langage n’est accessible qu’à l’être humain.
Ainsi, les animaux ne peuvent qu’exprimer leur besoin, liés à l’instinct, là où les hommes, “même
le + stupide”, utilisent le langage pour véhiculer leurs pensées.
ET il utilise le contre-exemple du muet pour démontrer que le langage n’est pas dépendant du
corps : lorsqu’un homme se trouve privé de l’organe de la parole, il lui est possible d’exprimer ses
pensées en utilisant un système de signes.

II. Quel est le rôle du langage dans l’élaboration de la pensée humaine ?

Les mots et les objets de la pensée

o La langue comme système de signes


Les signes linguistiques sont les briques élémentaires du langage : association d’un contenu de
pensée (signifié) ET une suite de sons (signifiant)
L’association d’un signifié et d’un signifiant est arbitraire

o L’utilisation des mots pour exprimer le réel


Il y a une adéquation complète entre la langue et la réalité = le signe et mots expriment cette
réalité

Si les mots sont compris, c’est qu’ils se rapportent à des pensées. Leur signification dépend de la
compréhension, de l’interprétation, par une conscience qui leur donne du sens :
* les mots utilisés ont du sens par celui qui parle, car il les emploie pour exprimer qlq chose
* ces mots sont ensuite entendus et compris par celui qui écoute et a un sens en lui

Le langage en tant que support de la pensée

o Le langage permet de fixer la pensée


Le langage a pour fonction de fixer les pensées pour les réutiliser et les enrichir
Les mots servent de repère pour que nous soyons en mesure de nous rappeler de nos pensées :
si l’homme était dépourvu du langage, il ne serait pas en mesure de fixer ses pensées, et celles-ci
tomberaient dans l’oubli
Si nous sommes capables de nous souvenir de ce que nous avons pensé, c’est grâce à cette
compétence qu’est le langage

o Le langage constitue la pensée


Nous pouvons nous demander si la pensée pourrait exister si le langage n’existait pas.
Les pensées n’auraient pas de forme et seraient inaccessibles si l’homme ne disposait pas du
langage : la forme linguistique est non seulement la condition de transmissibilité, mais d’abord la
condition de réalisation de la pensée

o Les pensées que le langage ne peut pas exprimer


Bien que la pensée s’exprime à travers le langage, tout ce qui est pensé n’est pas forcément
traduisible par le langage : l’expression de certaines pensées, notamment celles qui font intervenir
les sentiments, sont difficiles, voire impossibles à exprimer, d’où l’expression “je n’ai pas les
mots”. C’est ce qu’on nomme l’indicible = une pensée qu’on ne peut dire, exprimer
- Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience : le langage est avant tout une
fonction utilitaire / les mots généraux
Le langage est tourné vers l’extérieur et permet de diriger l’action ≠ ne permet pas d’exprimer
toutes les nuances des états de conscience (ils sont propres à chacun)
« Chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr. Cependant, le langage désigne ces états par
les mêmes mots chez tous les hommes »
DONC les mots, pour être compréhensible et avoir un sens pour tout le monde, ont un sens
général qui ne permet pas d’exprimer le mot selon la perception de chacun.
Ex : il existe autant de façons d’aimer qu’il existe d’être humain sur terre mais le sens du mot ainsi
que sa définition reste général car même si nous ne pouvons pas comprendre la façon d’aimer de
notre voisin, nous pouvons au moins nous entendre sur le sens de ce mot.
La généralité des mots nous fait croire à l’invariabilité de nos sensations
Les formes les plus profondes de la pensée d’un individu sont ineffables = une pensée qu’on ne
peut exprimer par des mots en raison de son intensité ou de sa nature »
Le langage est donc une faculté propre à l’homme qui dépend avant tout de l’esprit permettant à
l’être humain d’exprimer ses pensées via différents systèmes de signes.

III. Quel est la dimension symbolique du langage ?

La richesse de la langue

Étant donné que le rapport entre les mots et leur signification n’est pas toujours évident, il nous
est possible de jouer avec le langage. Nous pouvons alors créer des décalages entre les mots et
le vrai message en utilisant :
- l’ironie qui permet d’énoncer une pensée en disant le contraire de ce qu’on veut exprimer ;
- le double sens qui permet de jouer sur la double signification d’un même mot ;
- les sous-entendus qui permettent de suggérer une idée sans l’énoncer complètement =
déduire l’implicite.

La langue est une richesse qui donne tous les moyens nécessaires afin qu’un individu soit en
capacité de s’exprimer comme il le souhaite.

Le pouvoir des mots

En plus d’exprimer des pensées, la parole est créatrice permettant au locuteur d’avoir des effets
sur le monde extérieur, c’est ce qu’on nomme “l’acte de langage”.
Les “énoncés performatifs” : décrit l’action de celui qui les utilise, et qui, parallèlement, implique
cette action elle-même. Ainsi, diverses formules telles que “je jure que…”, “je te conseille de…”,
“je t’ordonne de…”, réalisent l’action qu’elles expriment au moment où elles sont énoncées.
Ex : le “Oui, je le veux” prononcé lors d’un mariage ne fait pas le reportage d’un mariage. Le “Oui”
à la valeur de serment et rend effectif l’union OU « je vous déclare mari et femme »
 en prononçant certaines paroles, on réalise certaines actions.

IV. Le pouvoir du langage

La prise de parole

La langue est “la première institution sociale”, c’est une institution commune à un groupe, tandis
que la parole est une performance individuelle.
La parole et la langue ne sont pas similaires. Le langage étant extérieur à l’individu, son
apprentissage ne lui conférera pas nécessairement une totale maîtrise de la langue, car celle-ci
dépend de chaque individu.
Le langage mène à la prise de parole, mais cette dernière n’est pas la même pour tous puisque
certains sont plus à l’aise que d’autres à l’oral : certains ont la capacité d’exprimer aisément leur
pensée en prenant la parole quand d’autres s’expriment de façon confuse. Cela n’est pas dû à
une insuffisance de pensée ou par une mauvaise maîtrise de la langue, mais à l’exercice de la
prise de parole qui est vécue de façon différente en fonction du locuteur. Par ailleurs, la rhétorique
(art de bien parler) étant dépendant de critères culturels et sociaux, ne sera pas maîtrisé de la
même façon en fonction du locuteur.

Une des manifestations de la hiérarchie sociale

La maîtrise de la langue permet au locuteur de manifester une certaine forme de supériorité. En


fonction de la classe sociale à laquelle l’individu appartient, la maîtrise du langage sera différente :
employer un vocabulaire très spécifique, voire inaccessible pour la plupart des individus, permet
au locuteur de manifester sa supériorité ainsi que sa culture.

 Pierre Bourdieu : le langage est + qu’un moyen de communication, il serait également


une manifestation symbolique de pouvoir.
- Plus qu’exprimer un contenu informatif, le locuteur exprime la valeur de ce qu’il dit en fonction du
ton de sa voix, de l’accent et du choix de ses mots.
- Le mode d’expression employé (le familier, l’argot, le verlan, l’intégration de mots étrangers, le
français conventionnel et le langage soutenu) exprime l’appartenance sociale du locuteur.
 Si la langue n’est pas qu’un moyen de communication, mais qu’elle est aussi un instrument de
pouvoir, alors nous pouvons dire que prendre la parole, c’est, en quelque sorte, prendre le
pouvoir.

Un outil de domination

Nous avons tendance à faire preuve de respect lorsqu’une personne donne l’apparence de
maîtriser parfaitement son sujet comme lorsque nous faisons intervenir des spécialistes pour
parler d’un sujet en particulier. Pour autant, ce n’est pas parce que l’on maîtrise le sujet dont on
parle qu’ils expriment forcément la vérité. En effet, c’est ce sur quoi se base l’argument
d’autorité qui soutient qu’une affirmation est juste simplement parce qu’elle se fonde sur le fait
qu’une autorité l’a affirmé comme étant vraie.

Ex : “D’après une étude de l’AESA, 97 % de nos aliments contiennent des pesticides”. Dans cette
phrase, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) fait figure d’autorité bien que
l’affirmation soit décontextualisée et tronquée.

Les arguments d’autorité permettent donc de prendre pour vrai quelque chose qui ne l’est pas
forcément, simplement parce qu’une figure d’autorité l’a affirmé.

L’art de la rhétorique en tant qu’outil de domination était déjà dénoncé par Platon lorsqu’il
critiquait les sophistes*, maîtres dans l’art de la persuasion, qui défendaient des idées au
détriment de la vérité.
Aujourd’hui, on a tendance à adresser le même reproche aux démagogues (homme politique) qui
ont pour objectif de flatter un groupe de personnes afin de gagner leur adhésion et/ou
d’augmenter leur popularité.
* le sophiste : « maître de rhétorique et de philosophie qui enseignait l’art de parler en public et de
défendre toutes les thèses »

En permettant de véhiculer n’importe quel contenu, le langage a un pouvoir important et peut se


révéler dangereux s’il est employé de la mauvaise façon. L’histoire nous l’a prouvé notamment
avec la maîtrise du langage d’Adolf Hitler qui a su augmenter sa popularité grâce à ses idées afin
de nourrir ses propres objectifs.
Peut-on tout dire ?

On peut se demander s’il est possible de tout dire, non pas au sens de la capacité car on vient de
voir qu’il était impossible de tout dire, mais au sens de la légitimité : est-il permis de tout
dire ? Non, il n’est pas permis de tout dire.

- Pascal : la vie sociale suppose une forme d’hypocrisie


On doit cacher certaines choses pour garder le lien social = si l’on disait tout, alors il ne
subsisterait pas plus de 4 amis dans le monde DONC il vaut mieux garder pour soi certaines
pensées, ne pas les exprimer pour préserver le lien social.
Le thème de la liberté d’expression est important : on peut tout dire, mais cette liberté à des limites
à partir du moment où elle inciterait à la haine ou qu’elle nuirait à la liberté des autres.
La liberté d’expression est différente de la libération de la parole : la liberté d’expression est un
droit, une liberté négative : je peux m’exprimer car une institution politique ne m’empêche pas de
le faire ≠ la libération de la parole est un processus car la parole n’est plus censurée par des
principes que je m’impose souvent moi-même.
Ex : psychanalyse selon laquelle par le langage je vais réussir à mettre des mots sur des
pensées, des pulsions, des désirs refoulés, un passé qui me hante, mais que je n’arrive pas à
conscientiser. C’est par le langage que je vais alors me libérer de la névrose en prenant
conscience de ceux-ci.

Conclusion :
Le langage est une faculté propre à l’homme qui permet d’exprimer une pensée. Si celle-ci est
compréhensible par les autres, c’est simplement parce que les mots employés ont un sens
général qui fait écho à tous les individus ≠ lorsque l’on essaie d’exprimer les émotions, cela
devient beaucoup plus complexe, car les sentiments ressentis sont singuliers à chaque individu.
Si le langage est riche et que nous avons énormément de mots à disposition pour pouvoir
s’exprimer (Le Robert en recense 90 000), il arrive encore que nous n’ayons pas les mots pour
décrire ce que nous ressentons.
Le langage est un pouvoir qui est maîtrisé de façon différente par les individus, en fonction de
leurs appartenances sociales et culturelles, mais également de leurs connaissances propres.
Utilisé à mauvais escient, le langage peut s’avérer être dangereux en étant employé comme outil
de domination.

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