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CHAPITRE 5 : Le langage et la pensée.

Introduction :
Un langage =/= Le langage.
A. Qu’est-ce que le langage ?
1. Nous communiquons avec un langage.
Un langage, c’est par exemple : le langage des sourds et muets, le langage des fleurs, le code de la
route…
Un langage est toujours un système de signes pouvant servir de moyen de communication à ceux
qui comprennent ces signes. Par exemple, une langue est un langage parlé et écrit avec un système
de mots et de règles grammaticales ; et le code de la route est aussi un langage qui s’appuie sur des
signes abstraits, des panneaux.
2. Qu’est-ce qu’un signe ?
Un signe est une chose qui renvoie à autre chose qu’elle-même : lorsqu’on voit cette chose,
lorsqu’on l’entend, lorsqu’on en fait l’expérience, à travers elle on pense à autre chose. Bref c’est
une chose qui renvoie à une signification.
Par exemple quand on entend le son “arbre”, cela renvoie dans notre tête à l’idée, au concept de
l’arbre qui correspond à tous les arbres particuliers.
Mot = arbre = 1 signe.
Son ↔ concept = 1 signifiant ↔1 signifié.
On peut dire que le signe est l’association d’un signifiant et d’un signifié.
Le signifié, c’est l’aspect intellectuel du signe, le concept qui est pensé à travers lui. Et le signifiant
est l’aspect matériel du signe, c-a-d sensible (qui s’offre à nos sens).
Interpréter = comprendre = penser le signifié à partir du signifiant.
La définition du linguiste Ferdinand de Saussure : « Le signe linguistique unit non pas une chose et
un nom, mais un signifiant et un signifié. »
3. Le langage ou la faculté d’interpréter un signe.
Un langage = tout système de signes. Donc, pour avoir un langage il faut être capable de
comprendre un signe, c-a-d capable d’interpréter un signifié à travers signifiant. Bref il faut pouvoir
penser l’idée, le concept auquel renvoie le signe. Cette capacité de comprendre des signes pour
avoir un langage s’appelle Le langage.
B) Le problème de ce chapitre.
Il faut donc penser pour parler, avoir le langage, comprendre des signes et communiquer avec un
langage. Mais dire cela n’explique pas le rapport qu’il faut établir entre le langage et la pensée. Est
ce que il faut penser pour avoir le langage ? ou bien est ce que ce n’est pas en apprenant un langage
qu’on développe notre capacité de penser, de parler ?
I. En quel sens faut-il penser pour parler ?
A. Signification de cette hypothèse
Selon cette hypothèse, on pourrait penser intérieurement et indépendamment du langage. Et celui-ci
ne serait pas nécessaire pour penser, mais seulement pour extérioriser et communiquer aux autres
nos pensées. Bref, le langage servirait à matérialiser notre pensée - non pas pour en avoir
conscience mais - pour la rendre sensible aux autres. Les mots seraient comme l’enveloppe sensible
d’une idée.
Et si la pensée et première, et son expression par le langage seconde, il faudrait donc bien penser
pour bien parler. C’est ce qu’affirmait le poète Boileau au XVIIe :
Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. »
1er : pensée, 2nd : langage.
B) La justification de cette hypothèse.
1. L’argument du bon sens.
Lorsque nous cherchons un mot pour exprimer une idée, il faut d’abord penser ce que l’on veut dire
pour trouver l’expression la plus adéquate ; et lorsque nous trouvons le mot approprié - qui exprime
parfaitement l’idée qu’on voulait communiquer - on reconnaît en lui cette idée qu’on cherchait à
exprimer. Il faut donc bien avoir l’idée de ce que l’on veut dire pour reconnaître le mot capable de
l’exprimer. Par conséquent, la pensée précède le langage.
2. L’argument de l’ineffable.
a) Définition et explication de l’ineffable.
• L’ineffable c’est ce qui ne peut pas être dit par des mots, par le langage : ce qu’on arrive pas
à exprimer, qui échappe à toute expression.
• En effet, lorsque nous ressentons une émotion comme l’amour, la joie, la tristesse, celle-ci
est toujours personnelle, singulière, riche et profonde. Or, pour exprimer notre sensibilité,
nous disposons de mots limités qui réduisent ce que nous ressentons à ce qu’il y a de
commun pour tout le monde et selon des expériences similaires. Par exemple, dire “je
t’aime” pour exprimer son amour, c’est utiliser une expression que tout le monde peut
utiliser pour exprimer le même sentiment alors que chacun le vit différemment, par ce qu’il a
une sensibilité particulière. Autrement dit, ce qui est signifié à travers un mot est toujours un
concept et celui-ci est toujours général, c’est une idée qui retient à travers un mot
uniquement les caractères communs d’une même expérience. Bref, dire “je t’aime” à
quelqu’un revient à gommer tout ce qu’il y a de singulier dans notre sensibilité, de riche, de
profond pour ne retenir de notre sentiment que son aspect le plus impersonnel et superficiel.
Ainsi, le sentiment authentique n’est pas exprimé fidèlement, il est appauvri : les mots
trahissent notre pensée et nous avons conscience que notre sentiment est ineffable.
L’ineffable est donc tout ce qui ne peut pas être exprimé, et qui vient d’un décalage entre à
une sensibilité bouillonnante et ce que le langage peut exprimer de cette sensibilité.
b) L’exemple de Bergson.
Voir texte.
Dans ce texte, Bergson affirme qu’il faudrait être artiste et pouvoir créer un langage unique et assez
riche pour exprimer ce bouillonnement de notre sensibilité, mais le plus souvent, à défaut d’être
artiste, les hommes n’expriment de leur vie intérieure que ce qu’il y a d’impersonnel et superficiel,
c’est pourquoi à cause du langage nous avons conscience de l’ineffable. Nous sentons qu’on ne peut
pas tout exprimer de ce que l’on ressent, aux autres et à soi-même.
c) Formulation de l’argument.
L’ineffable, c’est la conscience qu’on n’arrive pas à exprimer tout ce qui est en nous. Or si on a
conscience d’un décalage entre ce qui est dit avec des mots et ce que notre sensibilité veut exprimer,
c’est bien la preuve qu’on a d’abord conscience de ce que l’on veut dire, qu’on pense quelque chose
avant de le dire, pour pouvoir ensuite constater qu’on n’arrive pas à tout dire. Donc la pensée
précède le langage.
Conclusion du I.)
Il existe bien quelque chose qui précède son expression par le langage : il faut en effet vouloir dire
quelque chose sinon on ne dirait rien. Cependant, ce qui précède le langage, est-ce déjà de la
pensée ? Est-ce que ce n’est pas au contraire le bouillonnement de notre sensibilité, ce mélange de
sentiments et d’émotions qui a besoin d’être exprimé, nommé, pour devenir de la pensée ?
Autrement dit, pour penser ce que l’on ressent est ce qu’il ne faut pas passer par l’intermédiaire du
langage ?
II. En quel sens faut-il parler pour penser ?
A) La pensée s’actualise dans les mots.
En puissance → en acte (par le langage, et un travail sur le langage).
1. La thèse d’Hegel.
Voir texte.
Selon Hegel, il faut penser pour parler car : “c’est dans les mots que nous pensons”.
En effet, sans les mots notre vie intérieure reste un bouillonnement de sentiments et d’émotions,
confu, où tout se mélange. Pour distinguer nos sentiments qui se mêlent et en faire un objet clair
dont on a conscience, il faut pouvoir le nommer. Sans le mot, ce qui est ressenti n’est pas identifié.
On ressent quelque chose, sans savoir ce que l’on ressent. Il faut mettre des mots sur ce qui est
ressenti pour l’identifier, et penser ce que l’on ressent. Or le mot est un signe, l’association d’un son
(signifiant) et d’une idée (signifié) : la pensée n’existe que dans le mot sous la forme d’idée, c’est le
concept clair et objectif. Donc il faut le langage pour penser ce que l’on ressent, exprimer sa
sensibilité.
2. Conséquence pour la pensée et l’ineffable.
Il est impossible de penser sans les mots, c’est comme vouloir marcher sur les pieds. La pensée
n’existe pas hors des mots. Du coup, l’ineffable n’est pas la pensée la plus haute, la plus riche, la
plus personnelle ; au contraire, dans l’ineffable tout est encore obscur et confus, et pour arriver à
penser ce qui est ineffable, il faudra pouvoir le nommer en passant par un travail sur le langage. Il
faut mettre des mots sur nos ressentis pour penser ce qui est éprouvé. Donc en réalité : “l’ineffable
est de la pensée en fermentation”, C’est à dire, une pensée en puissance qui doit passer par un
travail sur le langage pour devenir une pensée en acte, une pensée réelle. C’est donc : “Le mot qui
donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie”.
3. Mise au point sur l’ineffable.
Le musique et l’Ineffable, Armand Colin, 1961.
Par conséquent, comme le fait Jankélévitch, il faut distinguer, l’indicible de l’ineffable. Car ce qui
ne peut pas être dit n’est pas ineffable mais indicible. L’indicible est ce qui ne peut être dit parce
qu’on n’en a aucune expérience. Il n’y a rien à dire. Au contraire, l’ineffable est ce qui exige sans
cesse de nous d’être exprimé pour pouvoir le penser. On ne cesse d’en parler pour arrive à mettre
des mots dessus, pour pouvoir le penser.
C’est ce que dit Vladimir Jankelevitch en 1961, dans La musique et l’ineffable :
« Est indicible ce dont il n'y a absolument rien à dire, et qui rend l'homme muet en accablant sa
raison et en médusant son discours. Et l'ineffable, tout à l'inverse, est inexprimable parce qu'il y a
sur lui infiniment, interminablement à dire : (…) tel l'inépuisable mystère d'amour, qui est mystère
poétique par excellence »
Vladimir Jankélévitch, La Musique et l'Ineffable, Armand Colin, 1961

B. Conséquences.
• S’il n’y a pas de pensée sans langage, alors la pensée intérieure est en réalité un langage
intérieur, lorsqu’on pense en soi-même, même si c’est silencieux, c’est toujours à travers une
langue. Même si on ne se parle pas à haute voix, c’est à travers des mots que nous pensons
(la preuve, lorsqu’on vit dans un autre pays et qu’on parle une autre langue, on pensera en
nous-mêmes dans cette langue).
“Cette vie intérieure est un langage intérieure” – Merleau-Ponty → Platon : “La pensée est un
dialogue de l’âme avec elle-même”.
• S’il y a de l’ineffable, ce n’est pas à cause du langage, mais de l’utilisation qu’on en fait.
C’est parce qu’on se sert d’un langage trop simple et appauvri qu’on n’arrive pas à tout dire.
Au contraire celui qui travaille le langage - comme l’artiste - exprime ce qu’il y a
d’ineffable. Contrairement à ce que dit Boileau, il faut bien parler pour bien penser. C’est en
travaillant le langage, pour arrive à une expression nuancée, précise, qu’on arrive à une
pensée claire et élaborée.
• Si c’est dans le langage que nous pensons, alors, notre pensée est déterminée par le langage.
A chaque langue va correspondre une manière de pensée. Nous sommes déterminés, dans
notre façon de penser, par la langue que nous parlons. C’est pourquoi, si l’on voulait réduire
l’esprit critique des individus, les empêcher de parler librement pour contrôler leurs pensées,
il suffirait de réduire le langage à quelque chose de tellement pauvre et simple qu’on
deviendrait incapable d’une pensée complexe. C’est ce qu’imagine Orwell, dans son roman
d’anticipation 1984, où le pouvoir totalitaire parvient à une « police de la pensée », en
inventant une nouvelle langue : “La novlangue”. Le « ministère de la vérité », simplifie
progressivement la langue en retirant des mots, en simplifiant la grammaire, la conjugaison.
Mais avec cette « novlangue », les individus n’ont pas plus le moyen de développer une
pensée complexe et nuancée et le pouvoir qui s’exerce sur eux et total.
Conclusion du chapitre 5
Si c’est à travers la langue que nous pensons, spontanément notre pensée est déterminée par le
langage. Chacun pense en fonction de sa langue. Cependant la langue n’est pas une prison
infranchissable : on peut s’en libérer, on peut penser autrement comme le prouve notre capacité à
apprendre d’autres langues, pour penser autrement et voir autrement le monde. Si nous étions
totalement déterminés dans notre façon de penser par le langage, nous serions incapables de penser
dans une autre langue, ni même de faire évoluer la langue que nous parlons.

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