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CHAPITRE II

LE
LANGAGE

M. WONE
INTRODUCTION
Le langage désigne tout système de signes pouvant servir de moyen de communication.
Cette définition pose déjà l’idée que le langage est spécifique à l’homme, mais elle admet
implicitement l’existence d’autres types de langage : les gestes, l’écriture, le regard, l’art,
la musique, la gestuelle, le langage des fleurs, de la nature, des couleurs etc. Certains
reconnaissent le langage animal qui serait différent du langage humain par ses
caractères. Le langage animal est naturel, innée, instinctif et est l’expression des besoins
de l’animal. C’est aussi un langage répétitif, commun à une espèce particulière. A la
différence du langage animal, le langage humain repose sur des signes qui sont des
instruments, ce qu’on appelle outils linguistiques et ils sont conventionnels. Ils ne sont
pas innés, mais acquis. Dire que les signes sont arbitraires, c’est dire qu’ils ont été
librement choisis et n’entretiennent aucun rapport de ressemblance naturelle avec ce
qu’ils désignent. En d’autres termes, les signifiants (mots) ne ressemblent pas aux
signifiés (objets). Les signes sont aussi relatifs, c’est à dire ils varient d’une société à une
autre et d’une époque à une autre. Bref, nous étudierons ici les rapports entre le langage,
la langue et la parole. Ensuite, nous aborderons les rapports que le langage entretient
avec la pensée et enfin nous examinerons les différentes formes et fonctions du langage.

I- LANGUE, LANGAGE ET PAROLE


Le dictionnaire Lalande définit le langage comme « l’expression verbale de la pensée » ou
encore « tout système de signes pouvant servir de moyen de communication ». Pendant
que le langage est une faculté universelle de communication propre aussi bien à
l’homme qu’à l’animal, la langue désigne un produit social. La langue est une ensemble
de signes adoptés par un groupe social pour exprimer son vécu, ses réalités, ses
sentiments etc. C’est pourquoi il existe des mots d’une langue, intraduisibles dans
d’autres langues. La langue est un fait social, car elle est collective ; elle est également
culturelle. En effet, il n’y a pas de langue sans culture, tout comme il n’y a pas de culture
sans langue : c’est la langue qui spécifie la culture en la distinguant des autres cultures.
C’est ce que Sapir traduit en ces termes : « la langue est le dépôt de la culture ».
Pour ce qui est des rapports entre la langue et la parole, il faut retenir que la parole est
une émission de sons articulés, distinctifs, significatifs. C’est un acte concret et
personnel. La parole est un acte personnel parce que chaque personne s’exprime avec
une intonation et un débit particuliers. La parole est l’actualisation de la langue, c’est le
code propre à une communauté et qui permet à ses membres de communiquer. Le
linguiste, Ferdinand de Saussure, a fait une distinction entre la langue et la parole. Selon
lui, la parole est individuelle, elle est l’actualisation personnelle de la langue. Autrement
dit, la langue est le code dont l’individu se sert pour transmettre un message par la
parole. Tandis que la langue est collective, la parole est la réalisation effective de la
langue par un sujet individuel.

II- FORMES DU LANGAGE


Le langage a plusieurs formes : il y a l’écriture, le regard, l’art, la musique, le langage des
fleurs, la gestuelle etc. La gestuelle est un langage, un système de communication dans
lequel les énoncés sont véhiculés par des gestes. Ce langage parvient à exprimer des
concepts, des émotions, des sensations et à représenter des objets et éléments de la
nature au moyen du geste. Exemple la mimique chez les sourds-muets.
Au-delà de ces différentes formes du langage, est-il possible de parler d'un langage
animal ? Selon certains penseurs, il existe un langage animal. C’est le cas du zoologiste
autrichien Karl Von Frish qui a mené une étude exhaustive du système de
communication chez les abeilles. Certes ses travaux ont montré qu’il y a un échange
d’informations chez les abeilles mais cela ne dénote pas forcément de l’existence d’un
langage. Et cela, un certain nombre de raisons nous autorise à l’affirmer. Le premier
critère discriminatoire est celui de la pensée. En effet Descartes dans Le discours de la
Méthode affirme que « la parole est l’expression de la pensée et elle n’appartient qu’à
l’homme puisque les animaux n’ont aucune pensée ».
Bien avant lui Aristote dans sa Politique opposait le logos à la phoné  : le logos c’est le
discours humain ou la faculté d’expression des sentiments et des idées, la phoné c’est le
cri animal, la simple expression de besoin naturel. C’est par instinct que l’animal trouve
l’équipement physique et physiologique dont il a besoin pour communiquer avec ses
semblables. Cependant il peut arriver que l’animal dépasse sa nature, c’est le cas du
dressage ou de la domestication qui n’est que le simple résultat d’un conditionnement ;
d’une éducation provoquée par l’homme ; de ce point de vue l’animal ne fait que
répondre par accoutumance à des signaux, à des existants conditionnés car le rapport du
signal conditionnel au comportement attendu est simplement vécu et non pensé par
l’animal (cf. : Réflexe conditionnel de Pavlov).
Mais là où le langage humain se démarque réellement de la communication chez les
animaux, c’est là où il cesse d’être expressions des besoins et des émotions, pour devenir
représentation d’un fait objectif, éloigné des tendances.
En définitive, la communication animale prisonnière des automatismes, c’est un langage
instinctif et expressif qui ne fonctionne que par des signaux, alors que la faculté
d’abstraire et de symboliser les objets et les impressions par des signes inventés lui fait
défaut. Et c’est précisément cette faculté qui fait du langage une expérience
spécifiquement humaine.

III- FONCTION DU LANGAGE


La principale fonction de la langue est la fonction de communication. Il s’agit de
l’échange d’informations entre un ou plusieurs locuteurs (émetteurs) et un ou plusieurs
interlocuteurs (récepteurs, destinataires). Cette communication peut être verticale, c’est
le cas du maître qui inculque des valeurs à des apprenants ou du chef à ses subalternes.
Elle peut aussi être horizontale. Dans ce cas, il y a livraison d’informations, échange. La
fonction de communication peut être subdivisée en plusieurs fonctions.
- La fonction d’expression ou expressive : Le langage exprime, manifeste et
extériorise l’intériorité de l’individu. Lorsqu’on parle, notre vie intérieure ne nous
appartient plus, car on livre à autrui notre intériorité. Hegel disait justement que le
langage est une manifestation par laquelle l’individu ne s’appartient plus parce qu’il sort
de lui-même pour livrer à autrui son intimité. Mais le langage exprime aussi notre façon
d’être et de parler et en dit long sur notre personnalité.

- La fonction magique ou créatrice peut être perçue dans la pratique du sorcier qui,
par ses incantations, arrive à agir sur le réel, la nature. Avec son abracadabra ou toute
autre formule, le magicien produit l’effet souhaité. La dimension magique du langage
trouve son expression la plus achevée dans le verbe divin. Dans les religions révélées,
Dieu a créé le monde par le pouvoir du verbe en disant à la lumière « sois » et la lumière
fut.
- La fonction thérapeutique : Le langage soigne, il peut permettre de soigner l’individu
de ses peines et souffrances. Celui qui croule sous le poids du remords se soulage
lorsqu’il se confesse. La psychanalyse guérit par la méthode du divan ; le « ndëpp »
(exorcisme, cérémonie pleine de rituels) guérit également.

- La fonction sociale : Le langage est nécessaire à la compréhension de l’autre et à


l’existence d’une vie sociale faite d’entente et de compréhension mutuelle.

- La fonction poétique ou esthétique : Elle accorde une importance particulière à


l’aspect esthétique du message transmis. Elle utilise des procédés qui permettent de
mettre le langage lui-même en valeur, et cela dans des œuvres poétiques.

On constate que le langage a d’autres fins en plus de sa fonction essentielle qui est la
communication. Si le langage rapproche, il peut aussi séparer. En effet, certains mots
peuvent blesser, choquer, nuire à l’intégrité d’autrui. On peut donner l’exemple des
injures, des calomnies. Le langage peut également être source d’incompréhension, de
quiproquo. C’est parce que les mots peuvent avoir plusieurs sens et peuvent être
diversement interprétés. En résumé, on retiendra que le langage peut, à la fois, unir et
séparer. C’est pourquoi Holderlin disait : « Le langage est le bien le plus précieux et le plus
dangereux que les dieux ont donné aux hommes ». Ces différentes fonctions du langage
révèlent ainsi son pouvoir et son efficacité.

IV- LANGAGE ET PENSEE


Ici, il s’agit d’examiner les rapports entre la pensée et le langage d’une part et ses
rapports avec la réalité environnante d’autre part. Les rapports entre la pensée et le
langage sont d’habitude posés en termes d’antériorité de l’un par rapport à l’autre. Est-
ce le langage qui précède la pensée ou le contraire ? Logiquement, c’est la pensée qui
précède le langage : nos paroles sont l’extériorisation, l’expression de la pensée, de nos
idées. Il nous arrive même de chercher les mots pour exprimer une pensée déjà faite,
déjà construite. Mais il n’en est rien, la pensée ne vient pas avant le langage. En effet, dès
qu’on pense, on parle, car on ne peut penser qu’avec les mots comme l’écrit Oscar Wilde
« nos pensées naissent toutes habillées ». Plutô t qu’un rapport d’antériorité, langage et
pensée entretiennent un rapport de simultanéité dans le processus de leur élaboration.
Pour Hegel, « c’est dans les mots que nous pensons », c’est à dire que nous formulons nos
idées avec les mots. La pensée serait même une sorte de langage intérieur, c’est « le
dialogue silencieux de l’âme avec elle-même ».

V- LE LANGAGE ET LE REEL
Une rupture peut cependant s’établir entre la pensée et le langage. Dans le lapsus et le
délire, le langage est séparé de la pensée. Il arrive aussi que ce que nous disons ne
traduit pas fidèlement la pensée. C’est pourquoi on dit souvent que le langage est
infidèle à la pensée puisque incapable de traduire exactement nos pensées, nos
sentiments, nos émotions etc. Parfois, quand la personne est sous l’effet d’une colère
excessive ou d’une joie débordante, elle a du mal à exprimer ses sentiments. Le langage
présente des limites et c’est pourquoi il peut manquer royalement la réalité ou même la
masquer. Il lui arrive même assez souvent d’être incapable d’exprimer des émotions et
la personne se tait tout bonnement parce qu’elle entre dans l’univers de l’ineffable, de ce
qui ne peut être dit, faute de mots adéquats. C’est à ce titre que Ludwig Wittgenstein
disait : « Ce qu’on ne peut dire, il faut le taire ».
Mais selon Hegel, il est faux de dire que le langage est inapte à traduire nos pensées. A
l’en croire, une pensée qui ne trouve pas son mot n’est pas encore arrivée à maturité,
elle est une pensée « à l’état de fermentation » et trouvera forcément son mot lorsqu’elle
sera mû re. Hegel critique ainsi l’ineffable ; pour lui, tout peut se dire, car tout a un mot. Il
affirme que c’est seulement dans et par le langage que la pensée peut se réaliser. Dès
lors, on peut comprendre Boileau qui disait : « Ce qui se conçoit bien, s’annonce
clairement et les mots pour le dire viennent aisément ».

Conclusion
Le langage a toujours intéressé la philosophie et il doit être l’affaire de tous, surtout des
philosophes. C’est pourquoi Alain a dit : « Celui qui n’a jamais réfléchi sur le langage n’a
pas encore vraiment commencé à philosopher ». Le linguiste Roman Jakobson, dans ses
Essais de linguistique générale démontre que la plupart des actes de langage mettent en
œuvre 6 facteurs : un émetteur (ou locuteur / destinateur) qui transmet un message à
un récepteur (ou destinataire) dans un contexte, selon un code qui est commun à
l’émetteur et au récepteur et par le biais d’un canal (ou contact) qui établit et maintient
la communication (la parole ou l’écrit).
L’étude des langues a considérablement progressé avec l’avènement de la linguistique.
Cette discipline connaîtra son essor avec Ferdinand de Saussure. Ce dernier considère la
langue comme un ensemble, un système de signes (mots). Le signe linguistique est
constitué de deux parties : le signifiant et le signifié. Le signifiant est la partie sonore,
alors que le signifié est l’idée, le concept auquel renvoie le signifiant. Ferdinand de
Saussure dit que le rapport signifiant-signifié est arbitraire et c’est ce qui explique le
caractère conventionnel des langues.

Rappelons enfin que le langage est à la fois animal et humain. Dans le langage humain,
chaque locuteur a un niveau de langage et de vocabulaire en rapport avec ses
préoccupations personnelles, ses intérêts, sa vie professionnelle, comme l’écrit
Wittgenstein : « Les limites de mon langage sont les limites de mon monde ».

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