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Garder ses pensées pour soi sans les exprimer peut se montrer dangereux car cela
témoigne d’un enfermement contre le monde extérieur. Par exemple, dans le
domaine médical, lorsqu’une personne est atteinte d’une grave maladie qu’elle
ignore encore, c’est au rôle du médecin de le lui annoncer, de lui dire les choses
comme elles se présentent, d’expliquer le plus précisément les faits. Ainsi, la
personne prend connaissance de sa maladie et l’on constate que celle-ci s’enferme
très vite dans un silence ténébreux. Ce silence est normal et a un sens. C’est le
temps lui permettant de prendre conscience de sa maladie, de réfléchir, de
comprendre silencieusement, dans sa tête, avec ses propres mots. Le médecin doit
respecter ce silence mais celui-ci ne doit pas s’éterniser. Au bout d’un certain temps,
il faut ramener la personne à la réalité, il faut qu’elle s’exprime, parle, sinon cela
témoigne d’un trouble. Celui d’un choc très douloureux capable de l’enfermer, de la
couper du monde, de l’emprisonner dans ses « pensées ». Le silence est donc le
langage de la pensée, mais doit aussi se transformer progressivement en langage
verbal sinon celui-ci n’a plus de sens. Nous forgeons nos idées dans un silence
méditatif, mais elles n’existent, ne prennent sens, ne font sens que si elles sont
communiquées. Le silence n’a donc pas de sens s’il n’est pas accompagné de
paroles. Ainsi, la parole reste la manifestation première, fondamentale du langage
humain. Nous nous exprimons pour être compris et pas seulement pour se
comprendre soi-même. Sinon, toute communication devient impossible, le cas
extrême étant celui des autistes, enfermés dans leur univers. Pour être compris de
quelqu’un d’autre, il faut donc faire un véritable effort de clarification de notre pensée.
Ce que je dis à autrui, ce ne sont pas des mots, mais du sens. « Le langage réalise,
en brisant le silence, ce que le silence voulait et l’altérait pas » Merleau-Ponty.
Le silence a donc du sens, il est le « langage » de la pensée, de ce dialogue intérieur
et silencieux que notre âme entretient avec elle-même. Cependant, il n’y a pas de
pensée rationnelle sans langage car la pensée ne prend forme et n’existe que dans
les mots. Il faut les mots, le langage verbal, pour donner corps à la pensée. Les mots
n’existent pas sans le silence, le silence n’existe pas sans les mots. Le silence n’a
pas de sens sans ces derniers. Mais le silence, la pensée n’est-elle que rationnelle ?
Pour Bergson, les mots sont des « étiquettes collées sur les choses », sont trop
généraux pour dire l’unicité d’un sentiment ou d’une chose, c’est-à-dire pour
coïncider avec ce qu’il y a d’unique. En effet, les mots, notre langage verbal,
n’expriment que ce qui est le plus général, alors que nos sentiments ne le sont pas,
puisque chacun d’eux nous est propre et unique. De plus, nos sentiments ne sont
pas des pensées, presque des sensations. Ils ont été vécus instantanément, ils n’ont
pas été pensés donc il n’y a pas de mots à leur accorder. Les mots sont alors hors-
sujet. Certaines réalités comme le fait d’aimer sont donc intraduisibles par le
langage. Quand on aime quelqu’un, on ne pense pas, on l’aime. Alors, l’amour
véritable n’est-il pas ineffable ? Ainsi aimer, rêver, ressentir est-ce penser ? Et alors,
comment raconter l’amour, la douleur, la souffrance ? Existerait-il un autre mode de
langage associé aux sentiments ?