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LE SILENCE A-T-IL UN SENS?

LE SILENCE A-T-IL UN SENS ?


Lorsque nous ouvrons un dictionnaire, nous constatons que le mot « silence »
possède de nombreuses significations. Le premier est de ne pas parler, donc de se
taire. Le silence est ainsi l’absence de parole, l’absence de mots ; Le fait de ne pas
s’exprimer, de ne pas employer de langage articulé. Il s’agit de savoir si le silence a
un sens ou non. S’il possède des significations, des explications cachées. Le silence
comme absence de parole veut-il dire quelque chose ? Renvoie-t-il à une
signification, au-delà de lui-même ? Ces questionnements nous rapprochent donc de
la notion de langage et de la communication. Le silence fait-il partie du langage et
veut dire quelque chose, ou bien est-il radicalement hors du langage et dénué de
toute signification ? Renvoie-t-il à la présence d’un sens dont la signification pourrait
excéder, dépasser la capacité des mots ? Ou, au contraire, à l’absence et au néant
définitif de tout sens véritable ?
Dans la vie de tous les jours, le silence a un sens. Il peut refléter les humeurs des
personnes ; par exemple, l’embarras traduit par le silence lorsqu’une personne n’a
pas compris quelque chose et se demande ce que cela veut dire, ou encore la peur
lorsqu’il est question de parler devant un groupe de gens que l’on ne connaît pas.
La « minute de silence », minute par laquelle on rend hommage aux morts, en
demeurant debout, immobile et silencieux. Ce silence permet le respect dans
l’hommage rendu. Il permet de se remémorer, de se souvenir de la personne dans
un silence méditatif et habillé de sens.
Le silence permet de garder un secret, de respecter la parole de l’autre et de
promettre de ne pas la trahir, c’est-à-dire de ne pas divulguer ses confidences
secrètes. Ce silence est aussi valable dans le milieu de la médecine avec le silence
ou secret médical. Le médecin n’a pas le droit de divulguer des informations sur la
santé d’un patient à d’autres personnes même si elles sont des proches, sous peine
de sanctions pénales. C’est le secret professionnel.
Le silence permet d’écouter les autres, de leur prouver que l’on montre de l’attention
à leur discours, et du respect à leur personne, en elle-même, par le silence et
l’écoute. Dans le domaine de la musique, les pauses et soupirs sont des
interruptions de son d’une durée déterminée, sont indiqués sur la partition, et ont une
signification, créent le rythme musical.
Plus étrangement, le silence prend sens dans l’omerta qui est une loi en vigueur
dans la mafia et qui a pour but d’interdire de faire des révélations, même à ses
complices.
Au lycée, le silence est demandé en classe et permet ainsi le travail des élèves dans
le calme, dans la concentration et le respect envers les autres camarades et
professeur. En effet, sans le silence, se concentrer et bien travailler devient chose
difficile. Il est de même dans les salles d’attente, les cinémas, les théâtres, ou autres
lieux publics où le silence est avant tout le respect des autres afin de ne pas les
déranger.
Ces différents exemples nous permettent de constater que le silence a du sens, et
même plusieurs, et qu’il touche à de nombreux domaines. Le silence n’est donc pas
le néant. De la « minute de silence » à l’omerta, les significations du silence peuvent
se montrer étranges et diverses, mais on se rend compte qu’il a tout de même le
pouvoir d’exprimer un sens, sans bruit et sans parole certes. Puisque le silence
permet de se concentrer, de réfléchir, puisqu’il est capable de donner des
significations mais sans parole ; il y aurait alors un langage non verbal, sans
communication de vive voix. Le silence aurait donc un sens plus profond.
Parler oralement n’est pas le seul moyen permettant à quelqu’un de s’exprimer. En
effet, lorsque nous sommes silencieux, que nous nous taisons, nous ne le sommes
pas forcément en nous, dans notre intériorité. Chaque homme, être doué de raison,
a la faculté de penser, réfléchir, concevoir des idées et juger. Tout ce qui se passe
dans notre conscience, tout ce que l’esprit aperçoit immédiatement en lui est
rassemblé en pensée. Lorsque nous sommes silencieux, c’est que nous pensons,
nous « cogitons ». « Dès que nous avons vraiment quelque chose à nous dire, nous
sommes obligés de nous taire. » Maeterlinck. Le silence est bruissant de paroles
intérieures, nous nous parlons à nous-même. Il est impossible de cesser de penser
car nous pensons toujours à quelque chose, consciemment ou inconsciemment. Par
exemple, quand quelqu’un nous parle, nous avons l’impression de ne faire que
l’écouter, et de ne pas penser. Or, dans notre tête, nous nous répétons ses mots,
bruits sonores à décoder, pour les comprendre, et de plus, nous avons la capacité de
penser à autre chose au moment où il nous parle. Celui qui se tait s’adresse alors à
lui-même un discours intérieur, nous nous parlons à nous-même. Comme le disait
Platon, nos pensées sont donc notre langage intérieur, penser c’est entrer en
discussion avec nous-même. Par exemple, lorsque nous lisons un livre, un témoin à
nos côtés dirait que nous lisons en silence, sans faire de bruit, alors que dans notre
tête ce serait plutôt un « boucan » infernal car pour lire, interpréter les formes des
lettres, en faire des mots, des phrases, des idées, nous devons nous les lire « à voix
haute ». Dans notre esprit résonnent des bruits, raisonnent des idées.
Euripide a dit: « Parle si tu as des mots plus forts que le silence, ou garde le silence.
» En effet, il est fréquent de constater que nos pensées intérieures sont plus fortes
que notre langage extérieur, c’est-à-dire la parole. Et qu’il est donc très souvent
difficile d’exprimer les choses comme on le perçoit en soi dans notre langage
extérieur, par manque de mots. « Le silence est l’élément dans lequel se façonnent
les grandes choses » Thomas Carlyle. Mais les pensées ne peuvent pas être
séparées des mots. Réfléchir, comprendre, raisonner, donner son avis, prononcer un
discours, c’est se servir du langage. Le silence, c’est l’absence d’émission sonore,
mais le langage c’est la faculté de signifier extérieurement ce que le sujet qui parle
sent, ou pense. Ainsi, sans émission sonore, comment quelque chose d’intérieur à
un sujet peut-il être dit ? Le silence a-t-il toujours un sens s’il n’est pas accompagné
de parole ? Qu’est-ce que la pensée sans le langage ?
La deuxième partie nous a permis de comprendre que le silence avait un sens
puisque c’est en silence que nous pensons le plus souvent ; dans le silence, il y a
nos pensées. Lorsque nous réfléchissons, nous avons besoin de nous parler à nous-
même pour comprendre, interpréter, et pour cela, paradoxalement, nous avons
besoin de nous taire. Nous taire devant la réalité pour la, nous penser ; Le silence
est le langage de notre pensée. Mais le silence a-t-il toujours un sens si son but final
n’est pas d’exprimer quelque chose verbalement, à haute voix, à une personne autre
que moi ? Qu’est-ce que le silence, la pensée, s’il n’y avait pas les mots ? Nous
vivons dans un monde où la verbalisation est la règle et le silence l’exception. Nous
vivons au milieu d’un torrent de mots, si bien que la valeur du silence nous échappe
le plus souvent. Et pourtant, il est difficile de séparer le silence et la parole, le silence
et l’intention de signification. Sans un espace entre les mots, les mots eux-mêmes
seraient-ils compréhensibles ?
« Les âmes se pèsent dans le silence, comme l’or et l’argent se pèsent dans l’eau
pure, et les paroles que nous prononçons n’ont de sens que grâce au silence où
elles baignent », disait Maurice Maeterlinck. En effet, s’il n’y avait pas ces silences,
ces courts extinctions de voix entre chaque mot, les mots seraient-ils
compréhensibles ? Notre langage aurait-il un sens ? Et existerait-il sans ces espaces
permettant de mettre des repères, de découper chaque mot pour ensuite créer des
phrases ? Certes non, ainsi le silence a un sens dans la compréhension de notre
langage, mais en aurait-il encore si justement il ne serait pas à exprimer ces pensées
que le silence permet de créer ? Et puis, que seraient nos pensées si nous n’avions
pas été soumis à l’apprentissage de mots dès la plus tendre enfance, ces signes-
signifiants nous permettant de se faire une idée, de nous représenter une chose ?
Pour Hegel : « Vouloir penser sans les mots est une tentative insensée. » Seul le
langage donne forme à la pensée. Ainsi, ce qui est informe, obscur, inachevé, bref
informulé, devient clair dès lors qu’on trouve les mots pour le dire. Le langage donne
à la pensée son existence la plus vraie. En effet, la pensée n’existe vraiment que si
elle est dite, exprimée dans une parole rigoureuse et articulée. Il faut qu’elle soit
sortie de notre tête, dite de notre plus belle voix et entendue par des personnes
autres que nous. Les pensées servent donc à peu de chose si elles ne sont pas
communiquées.

Garder ses pensées pour soi sans les exprimer peut se montrer dangereux car cela
témoigne d’un enfermement contre le monde extérieur. Par exemple, dans le
domaine médical, lorsqu’une personne est atteinte d’une grave maladie qu’elle
ignore encore, c’est au rôle du médecin de le lui annoncer, de lui dire les choses
comme elles se présentent, d’expliquer le plus précisément les faits. Ainsi, la
personne prend connaissance de sa maladie et l’on constate que celle-ci s’enferme
très vite dans un silence ténébreux. Ce silence est normal et a un sens. C’est le
temps lui permettant de prendre conscience de sa maladie, de réfléchir, de
comprendre silencieusement, dans sa tête, avec ses propres mots. Le médecin doit
respecter ce silence mais celui-ci ne doit pas s’éterniser. Au bout d’un certain temps,
il faut ramener la personne à la réalité, il faut qu’elle s’exprime, parle, sinon cela
témoigne d’un trouble. Celui d’un choc très douloureux capable de l’enfermer, de la
couper du monde, de l’emprisonner dans ses « pensées ». Le silence est donc le
langage de la pensée, mais doit aussi se transformer progressivement en langage
verbal sinon celui-ci n’a plus de sens. Nous forgeons nos idées dans un silence
méditatif, mais elles n’existent, ne prennent sens, ne font sens que si elles sont
communiquées. Le silence n’a donc pas de sens s’il n’est pas accompagné de
paroles. Ainsi, la parole reste la manifestation première, fondamentale du langage
humain. Nous nous exprimons pour être compris et pas seulement pour se
comprendre soi-même. Sinon, toute communication devient impossible, le cas
extrême étant celui des autistes, enfermés dans leur univers. Pour être compris de
quelqu’un d’autre, il faut donc faire un véritable effort de clarification de notre pensée.
Ce que je dis à autrui, ce ne sont pas des mots, mais du sens. « Le langage réalise,
en brisant le silence, ce que le silence voulait et l’altérait pas » Merleau-Ponty.
Le silence a donc du sens, il est le « langage » de la pensée, de ce dialogue intérieur
et silencieux que notre âme entretient avec elle-même. Cependant, il n’y a pas de
pensée rationnelle sans langage car la pensée ne prend forme et n’existe que dans
les mots. Il faut les mots, le langage verbal, pour donner corps à la pensée. Les mots
n’existent pas sans le silence, le silence n’existe pas sans les mots. Le silence n’a
pas de sens sans ces derniers. Mais le silence, la pensée n’est-elle que rationnelle ?
Pour Bergson, les mots sont des « étiquettes collées sur les choses », sont trop
généraux pour dire l’unicité d’un sentiment ou d’une chose, c’est-à-dire pour
coïncider avec ce qu’il y a d’unique. En effet, les mots, notre langage verbal,
n’expriment que ce qui est le plus général, alors que nos sentiments ne le sont pas,
puisque chacun d’eux nous est propre et unique. De plus, nos sentiments ne sont
pas des pensées, presque des sensations. Ils ont été vécus instantanément, ils n’ont
pas été pensés donc il n’y a pas de mots à leur accorder. Les mots sont alors hors-
sujet. Certaines réalités comme le fait d’aimer sont donc intraduisibles par le
langage. Quand on aime quelqu’un, on ne pense pas, on l’aime. Alors, l’amour
véritable n’est-il pas ineffable ? Ainsi aimer, rêver, ressentir est-ce penser ? Et alors,
comment raconter l’amour, la douleur, la souffrance ? Existerait-il un autre mode de
langage associé aux sentiments ?

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