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Dissertation

Dans son ouvrage L’Ombre Du Vent, l'auteur espagnol Carlos Ruiz Zafon a déclaré « Le sot parle, le lâche
se tait, le sage écoute. », faisant de la parole l'outil du sot, de l'ouïe celui du sage. Il semble à première vue
qu’il est naturel que certains soient enclin à parler ou non, et que certaines personnes prennent du temps
avant de prendre la parole par peur d'être jugé, ou encore par timidité tandis que d'autres s'expriment
spontanément sans réfléchir, utilisant le langage comme une extension de leur personne. . Mais au départ la
parole n'est qu'un véhicule, et on définit le langage comme la faculté d’exprimer des pensées et de
communiquer au moyen d’un système de signes. Issu du latin sapientia, la sagesse est relative à
l’intelligence, au jugement, au bon sens, à la prudence, au savoir, à la science, à la philosophie. Elle est
couramment utilisée pour désigner la personne dont le jugement et la conduite sont inspirés par la raison, le
bon sens et qui fait preuve de modération dans les désirs. Dès lors doit on opposer l'usage de la parole, un
outil de communication, à la raison, une valeur ? Des générations d’enfants ont entendu cette phrase : «
Tourner sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler. » ce qui nous pousse à nous demander pourquoi
fait-on dès lors de l'usage modéré de la parole une bonne chose ? Est-il toujours préjudiciable d'être
spontanée, et au contraire, toujours raisonnable de se taire ? Nous verrons ici que peu parler évite bien des
situations délicates , mais dans un deuxième temps que celui qui parle détient le pouvoir. Enfin nous verrons
en quoi la parole bien utilisée permet la régulation et l’assagissement de la société.

D’emblée, l’action de peu parler peut nous paraître plus judicieux au vu du fait qu’elle nous préserve des
incommodités du langage. Il est important de faire preuve de prudence dans l'utilisation du langage et de
reconnaître le pouvoir qu'il peut avoir sur les autres. Peu parler évite de blesser autrui à travers nos mots car
contrairement aux violences physiques, les paroles ne laissent pas de traces visibles à l’œil nu. Si le langage
est instrumentalisé par l’individu à des fins « malveillante » il peut s’avérer tout aussi destructeur qu’une
arme. C’est ce que montre la pièce de théâtre Huis Clos, "l'enfer, c'est les autres" de Sartre où est explorée
l'idée que les relations humaines sont souvent motivées par le désir de pouvoir, de domination et de
manipulation. Dans la pièce, les personnages sont enfermés ensemble dans une pièce, et ils sont condamnés
à vivre ensemble pour l'éternité.Les personnages se blessent mutuellement en utilisant des mots pour
manipuler, humilier et rabaisser l'autre. La pièce illustre ainsi le potentiel destructeur de la communication
humaine lorsqu'elle est motivée par le pouvoir et le désir de domination. Toutefois, si les mots ont le pouvoir
de blesser, alors il est possible de réduire ce potentiel de blessure en limitant la quantité de mots que nous
utilisons. En choisissant soigneusement les mots que nous utilisons et en ne parlant que lorsque cela est
nécessaire, nous pouvons réduire les chances de blesser les autres et de construire des relations humaines
plus saines et plus harmonieuses. Dans l'Islam, la personne silencieuse est une personne considère comme
"sage" et peut être même récompensée de son silence car elle n'impacte pas ses semblables et elle-même.
Parfois, lorsqu’on nous insulte, la chose la plus spontanée à faire est de répliquer. Mais le Prophète
Mohamed a enseigné, si le musulman garde le silence, alors un ange répond au calomniateur, ce qui est la
meilleure défense que l’on puisse obtenir. Certains pourraient continuer à se demander pourquoi nous
devrions nous garder le silence quand l’autre personne est en tort ? Mais Mohamed a dit " Celui qui se tait
est sauvé " et " la plupart des péchés du fils de d'Adam provient de sa langue ". Le silence est ainsi associé à
la sagesse, qui permet d'éviter l'escalade de la violence. Ainsi, le sage réfléchit avant de parler et veille à ce
que ses paroles ne blessent pas ses semblables.
De surcroît, le fait de parler peu peut avoir des avantages dans plusieurs situations, notamment en évitant de
parler de travers. Le philosophe Henri Bergson considère que l'usage courant et irréfléchi de la parole est un
obstacle à la pensée créative et à la compréhension profonde. Il dénonce ainsi la tendance à utiliser le
langage de manière purement fonctionnelle. Cette utilisation superficielle de la parole est caractéristique de
la vie moderne, qui favorise l'efficacité et l'utilité immédiate au détriment de la réflexion profonde. La
parole ne doit pas être considérée comme un simple outil de communication, mais nous pourrions plutôt la
considérer comme un moyen de donner vie à la pensée et de la rendre tangible. Les mots sont le véhicule de
la pensée et ont le pouvoir de véhiculer des idées de manière plus ou moins précise. En préparant sa parole
dans le silence, on peut ainsi formuler des propos rigoureux et factuels. Cette réflexion préalable permet de
mieux exprimer ses idées et d'éviter les malentendus. Cela rejoint l'idée de Lao Tseu, un sage chinois du VIe
ou Ve siècle av. J.-C., qui affirmait que "qui parle peu est lui-même naturel". Cependant, l'usage immodéré
et superficiel de la parole peut avoir des effets négatifs sur la pensée et la communication. Il peut conduire à
une confusion de sens et à une incompréhension mutuelle, car les mots peuvent être interprétés de manière
différente selon le contexte et la personne qui les utilise. Dans ce contexte, parler peu peut être considéré
comme une forme de sagesse, car cela permet de mieux maîtriser les mots et de les utiliser de manière plus
réfléchie et plus consciente. Le sage sait écouter attentivement les autres et s'exprimer de manière concise et
précise, en évitant les excès et en privilégiant la qualité de la communication ce qui pourrait alors lui
permettre de s’élever encore plus spirituellement.
Enfin, parler peu peut paraître plus sage en nous évitant certaines mauvaises interprétations que le langage
n’éliminent pas, là se pose le problème de l’inadaptation du langage avec l’expression de nos états d’âme les
plus profonds. En effet, les mots ne peuvent pas toujours rendre compte de la complexité et de la richesse de
nos sentiments intérieurs. Par conséquent, il peut être difficile de se faire comprendre par les autres et de se
sentir pleinement entendu et compris. Cette idée est notamment développée par le philosophe Martin
Heidegger, qui considère que le langage peut être un obstacle à la compréhension authentique de soi et des
autres. Selon lui, le langage est souvent utilisé de manière banale et stéréotypée, ce qui peut masquer la
véritable nature de nos expériences et de nos émotions. Ainsi, il estime que la pensée authentique nécessite
un effort pour dépasser les limites du langage et atteindre une compréhension plus profonde de soi-même et
des autres. De même, le langage a ses limites en matière de compréhension et d'interprétation. Le langage ne
peut pas fournir une représentation exacte de la réalité, mais seulement des approximations et des
interprétations subjectives. Prenons l'exemple d'une situation où un ami proche traverse une période
difficile. Bien que nous souhaitions l'aider et le réconforter, nous pourrions avoir du mal à trouver les bons
mots pour exprimer notre soutien. Si nous disons quelque chose qui ne vient pas du cœur ou qui est
maladroit, cela pourrait même aggraver sa situation. Dans ce cas, il serait peut-être plus sage de parler peu et
d'écouter attentivement notre ami plutôt que de risquer de dire quelque chose de maladroit ou de blessant.
Nous pourrions simplement lui dire que nous sommes là pour lui, que nous le soutenons et que nous
sommes prêts à l'écouter s'il souhaite parler. Parfois, les mots sont inutiles, car ce sont nos actions qui
comptent le plus. Dans une telle situation, parler peu et écouter attentivement peut être une attitude sage et
bienveillante.

Ainsi, il peut paraître plus judicieux et plus sage de ne pas faire un usage total du langage en parlant peu afin
de ne pas se retrouver dans des situations délicates . Mais si l'on parle peu, ne s'empêche t-on pas d'exprimer
des choses justes, et de laisser d'autres personnes s'exprimer à notre place ?

En effet, on aura tendance à faire preuve de révérence à l'égard de quelqu'un qui donne l'apparence de
maîtriser parfaitement ce dont il parle, comme lorsque l'on fait intervenir des spécialistes pour expliquer
certaines choses. Pourtant, maîtriser la langue ne signifie pas nécessairement que l'on maîtrise le sujet dont
on parle les mots ont une force extraordinaire, et ce en dépit du fait qu'ils n'expriment pas forcément la
vérité. C'est ainsi que Platon condamnait l'art de la rhétorique qu'utilisaient les sophistes, lesquels étaient
maîtres dans l'art de la persuasion, en dépit de la vérité de ce qu'ils défendaient. On adresse d'ailleurs le
même reproche aux démagogues, qui utilisent un langage flatteur pour acquérir une légitimité : ils
instrumentalisent le pouvoir des mots pour gagner les esprits. Le langage s’exprime également par l’art de la
rhétorique en faisant preuve d’une éloquence creuse qui donne du pouvoir à son utilisateur. Tel est le cas des
orateurs qui utilisent la rhétorique qui est selon l’aveu du sophiste Gorgias « le pouvoir de persuader par ses
discours les juges au tribunal, les sénateurs dans le Conseil, les citoyens dans l’assemblée du peuple. Selon
Socrate, le discours rhétorique est une forme de flatterie adaptée à ceux qui l’écoutent. L’orateur dit à son
public ce qu’il souhaite entendre. Son but n’est pas de produire le « plus grand bien » en cherchant à élever
les citoyens à la vertu mais bien de plaire au plus grand nombre. C’est ainsi que pour le plus grand malheur
de l’humanité, Hitler incarne la figure la plus aboutie du rhéteur capable d’entraîner des foules entières vers
des comportements immoraux et irrationnels. Il serait alors plus sage de parler pour contrer le rhéteur qui
conduit la société à l’immoralité.
De surcroît, nous pouvons considérer que le langage est le propre de l’Homme qui est le seul à pouvoir
manier les mots pour en faire des phrases sensées. C’est ce qu’énonce Rousseau pour qui se priver du
langage, c’est se priver de la conscience, de la pensée et de la science. Le langage humain permet
d’exprimer des pensées. Celles-ci peuvent être ses représentations de ce qui affecte l’homme, mais aussi des
idées sans relation avec ses impératifs vitaux. L’usage poétique de la langue en est le meilleur exemple. La
poésie offre un espace pour explorer des concepts abstraits, des émotions profondes et des expériences
intérieures. Elle permet à l'homme de donner forme et sens à des aspects de sa réalité qui ne sont pas
uniquement liés à ses besoins essentiels.Elle transcende les limites de la communication purement
fonctionnelle en utilisant des images, des métaphores et des rythmes pour susciter des émotions, des
réflexions et des questionnements. Les poètes utilisent le langage de manière créative et esthétique pour
exprimer des vérités intimes, des observations du monde et des visions de l'existence et en explorant les
possibilités de la langue, la poésie nous rappelle que les pensées humaines ne sont pas uniquement définies
par les exigences biologiques et les préoccupations pratiques. Elle révèle la capacité de l'esprit à s'élever au-
delà de la simple survie et à se connecter à des vérités universelles et intemporelles.
De la même manière, le langage prouve ainsi que l’Homme n’est pas un organisme répondant
mécaniquement à des stimuli. Selon Rousseau, reprocher au langage de trahir la pensée est ridicule. En effet
le langage est l'instrument de la pensée : il a donc le pouvoir de la pensée. Son pouvoir est de nommer les
choses. Le langage donne le pouvoir de convaincre, c’est-à-dire de produire l’accord des esprits. Tel est le
cas lorsque le locuteur fonde son discours sur des définitions strictes et enchaîne de manière cohérente et
rigoureuse les énoncés. Le discours est alors rationnel et produit une vérité en droit partagée par tous les
hommes. L'homme exprime sa connaissance de la nature avec le langage. Le langage peut également être
utilisé à des fins politiques ou religieuses (par exemple : textes sacrés). Ainsi il apparaît que le langage est le
propre de l’homme et qu’il serait donc même plus sage de s’exprimer avec d’y exprimer sa pensée.

De cette manière, nous pourrions en déduire qu’il faut adapter notre aptitude à exercer le langage et
apprendre à le réguler en fonction des situations. Cependant il est également nécessaire de souligner que la
parole unit et guérit apportant ainsi une stabilité et une pacification sociale.

En effet le langage au travers du discours est performatif. Les mots contenus dans le discours peuvent
marquer les esprits d'un fer rouge, créer un déclic psychologique, modifier notre échelle de valeur. Quand
l'officier de l'État civil lève sa main et déclare : « au nom de la loi, je vous déclare unis par les liens du
mariage » les mariés, tout comme les témoins et observateurs sont convaincus que le mariage a eu lieu,
qu'un contrat a été passé, qu'il y a eu un changement sur lequel on ne peut plus revenir, et c'est donc à
travers le langage que sont régulés les mœurs humaines. L'homme politique, de la même façon, fait par des
discours, une prestation qui doit unir les citoyens autour d’un avenir commun insinuant une même
mobilisation. L'appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle à la radio de Londres est un exemple de discours
qui marque les consciences et qui a fait naître chez un certains nombre de concitoyens français un esprit de
résistance. La parole est dès lors l'outil qui permet de raisonner les hommes face au choix de la collaboration
avec un régime antisémite. Le langage a également le pouvoir de soigner. C'est le cas de la psychologue qui
par la parole réussi à soigner ses patients. Lorsque nous nous sentons mal, la meilleure des façons de se
sentir mieux est d’extérioriser, de parler. Dans ce cas là, le psychologue utilise le langage à des fins sages,
dans un but d'apaisement.
De plus, le langage permet de prôner la sagesse en repoussant la violence à travers le dialogue. Descartes
affirmait que « Par la sagesse, on n’entend pas seulement la prudence dans les affaires, mais une parfaite
connaissance de toutes les choses que l’homme peut savoir, tant par la conduite de sa vie que par la
conservation de sa santé et l’invention de tous les arts», l’action de dialoguer peut alors exprimer une
certaine sagesse d’agir selon le bon sens. Le dialogue est un moyen de pacifier les relations mais aussi de
reconnaître autrui ainsi que ma propre rationalité, en tant que le langage est une spécificité humaine. Or,
dialoguer atténue les conflits, en retire la violence et permet d’entreprendre une voix plus sage . Choisir
librement de dialoguer, c’est choisir d’écarter les impulsions, les emportements qui pourraient nous mener à
la violence physique. Chercher à expliquer et être à l’écoute permet de régler de nombreux problèmes ; et ce
pour la raison simple que les conflits entre les hommes n’ont souvent pas d’autre origine que
l’incompréhension de l’autre faite sous l’impulsion de l’irréflexion. Il existe de nombreux exemples
historiques dans lesquels l’instauration d’une communication a permis à deux pays, même antagonistes de
ne pas basculer dans le violence. En 1962 par exemple, la crise des missiles de Cuba aurait pu faire basculer
la Guerre Froide dans un conflit ouvert entre les Etats-Unis et l’URSS. Cependant, l’instauration du «
téléphone rouge » entre la Maison Blanche et le Kremlin a permis d’engager le dialogue entre les deux pays,
marquant ainsi le début de la « coexistence pacifique ». Ainsi, le dialogue apparaît comme un élément
pacificateur, un préalable à instaurer pour ne pas basculer dans la violence. Les conflits ici prennent la forme
de débats, où il s’agit, grâce au langage, de n’être pas violent mais d’être fort. Ce sont les arguments qui
priment, et le déroulement d’une réflexion construite et rationnelle témoignant d’un comportement sage.
Cette forme de dialogue a permis au langage de remplacer en grande partie la violence physique dans la
société, et jusque dans le système politique.
Enfin, le langage peut amener à la mise en place d’une organisation socio-politique favorable à la stabilité.
Les sociologues Elias et Dunning ont ainsi mis en évidence la corrélation positive entre la pacification de la
vie politique et sociale et l’apparition du parlementarisme. En effet, le système parlementaire privilégie le
débat et la discussion autour de tous les sujets. Les lois sont par exemple discutées par le Parlement avant
d’être adoptées. La norme du dialogue s’est par la suite répandue dans la société, et y a remplacé la norme
de la violence. Le dialogue devient alors la base de l’organisation sociale. Il est ce qui organise et rend
possible de durables interactions entre des citoyens rationnels éduqués au dialogue pacifique. Ainsi, ne pas
« parler peu » mais s’exprimer via le langage apparaît plus sage que de se restreindre au silence. Sans la
parole, on peut dès lors faire les mauvais choix, accepter l'injustice, faute de comprendre, faute de voir chez
autrui l'usage de la raison.

En somme, pour être sage, il faut savoir se retenir et se demander s'il est nécessaire de le faire avant chaque
prise de parole. Cependant, nous pouvons toujours être sage en parlant davantage tant que l'on fait attention
à ne pas trahir sa pensée, à ne pas blesser autrui. Il est par ailleurs nécessaire de parler pour éviter que
d'autres fassent un mauvais usage de la parole, profitant de notre silence. Il est également nécessaire de
parler quand le silence implique de mauvaises interprétations, ou démobilise les esprits face à des situations
difficiles. Être sage implique alors de parler vrai et juste lorsque les circonstances le demandent, puis de se
taire lorsque nos mots ne font plus qu'ajouter du bruit.

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