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La communication en négociation

2.1 Communication : l'écoute active


Le succès d'une négociation repose en grande partie sur une communication intelligente. La
façon dont les deux négociateurs échangent des informations doit les aider à établir au
minimum une relation de travail. Elle doit aussi leur permettre de comprendre leurs
motivations, leurs contraintes respectives, afin de réduire les risques de malentendus. Voilà
pourquoi de bonnes compétences en communication sont un des moteurs d'une
négociation efficace.
Toutefois, communiquer efficacement n'est pas si simple que cela. D'abord, un négociateur
peut choisir de communiquer la mauvaise information. Celui qui parle est généralement
convaincu que son message est parfaitement clair pour l'autre, ce qui n'est pas
nécessairement le cas. Le destinataire de l'information peut la percevoir de la mauvaise
manière, et être persuadé que son interprétation est la seule correcte, creusant ainsi l'écart
entre les intentions des uns, l'impact perçu par les autres, des deux côtés de la table.
En outre, plusieurs biais cognitifs peuvent entraver ce processus de communication. Nous
allons vous citer quelques-uns, tels qu'ils ont été mis en évidence par les recherches en
psychologie. Le biais cognitif de la perception sélective signifie que le destinataire de
l'information a tendance à prendre uniquement en compte les éléments qui confirment son
jugement initial. A travers le biais de la projection, un négociateur projette ses propres
intérêts, ses propres craintes sur l'autre. Enfin, l'excès de confiance en soi entraîne de
nombreux négociateurs à négliger, voire à ignorer des éléments pourtant critiques qui leur
ont été communiqués par leur interlocuteur. Il faut donc prendre la communication au
sérieux. Comme nous le verrons plus tard, ce sera un des aspects à étudier attentivement
pour préparer une négociation. Pour le moment, nous allons insister sur le fait que la
communication n'est pas une rue à sens unique. Elle doit prendre la forme d'un dialogue, on
est deux autour de la table de négociation minimum, et cela renvoie donc à deux
compétences fondamentales, savoir écouter, puis savoir parler. Tous les types d'écoute ne
se valent pas.
On peut imaginer différentes écoutes très contreproductives :
L'écoute récalcitrante : bras croisés, visage fermé, regard fixé sur l'autre. Ce mode d'écoute
ne va pas vous aider à établir un minimum de relation et ne va pas encourager l'autre à
partager plus d'informations avec vous, et c'est pourtant ce dont vous avez besoin.
Évitez aussi l'écoute distraite, tripoter un crayon, jouer avec son téléphone portable,
regarder sa montre dès que l'autre commence à parler. Là aussi, l'impact est désastreux de
l'autre côté et c'est inefficace en termes de collecte d'informations.
On pourrait aussi mentionner l'écoute réactive. Dès que l'autre prend la parole, celui qui
écoute réagit, l'interrompt, soulève des objections, contredit, là aussi à éviter.
L'écoute directive, également à proscrire. Ici, celui qui écoute interrompt celui qui parle, pas
pour le contester, mais pour lui poser des questions qui vont orienter la conversation dans
une direction précise. On est plus dans un interrogatoire, et là aussi, cela a tendance à
braquer l'autre et à s'avérer contreproductif.
Les bons négociateurs ne vont pas utiliser ces approches-là. Ils vont préférer ce qu'on
appelle parfois l'écoute active. L'expression a fait florès, elle est un peu agaçante par certains
côtés, mais au fond, qu'est-ce que ça veut dire?
Voici les caractéristiques principales.
D'abord, il faut écouter en montrant : des signes visibles d'attention, contact visuel, quelques
hochements de tête. Il ne faut pas en faire des tonnes non plus, mais on est vraiment
concentré. Il faut résister à la tentation d'interrompre l'interlocuteur pour le contester. Le
moment de vos propres arguments viendra, mais il viendra après. Prêtez attention à ce qui
est dit, mais aussi à ce qui n'est pas dit, le ton de la voix, les hésitations. Si nécessaire,
prenez quelques notes. Cela accorde du prix à ce que l'autre dit. Mais ne vous trahissez pas,
en notant soudain fébrilement un détail révélateur qui vient d'échapper à votre
interlocuteur. De temps à autre, reformulez l'idée clé de votre interlocuteur, évidemment
sans vous transformer en une sorte de perroquet en répétant " si j'ai bien compris, vous avez
dit bla bla bla ", c'est agaçant et pas très efficace.
Par contre, il faut inviter votre interlocuteur à vous corriger si vous avez mal compris telle ou
telle chose, pour faire la chasse à tout malentendu. Vous posez des questions, des questions
ouvertes, qui vont amener un surcroît d'éléments pertinents. Il faut éviter les questions
pièges, l'autre comprend très bien ce que vous cherchez à faire, et c'est un mauvais
message. L'essentiel en tout cas est d'être authentiquement curieux, concentré, intéressé
par ce que l'autre souhaite vous dire.
Un dernier point, quand vous écoutez, n'oubliez pas cette différence essentielle.
Comprendre ne veut pas dire être d'accord. En tant que négociateur, vous devez
comprendre l'autre et il est utile de montrer à l'autre que vous comprenez ce qu'il veut dire,
mais cela ne signifie pas que vous êtes du même avis. Vous expliquerez votre propre point
de vue à travers une prise de parole quand viendra votre tour.
2.2 Communication : la parole active
Dans une négociation, les mots comptent. Les mots justes, délivrés de la bonne façon, au
bon moment, vous aideront à faire passer votre message de manière efficace. Le
négociateur doit donc être capable d'écouter, mais aussi de parler de manière active,
percutante.
Rappelons les trois niveaux de la rhétorique classique, tels qu'analysés par Aristote.
La raison, les passions, on dira aujourd'hui, les émotions, et enfin le style.
Pour Aristote, le locuteur doit développer un raisonnement solide, afin de convaincre
l'autre, mais ça ne suffit pas. Il doit aussi miser sur les bonnes émotions pour persuader
l'autre. Et il doit choisir, pour faire tout cela, un style adéquat afin de séduire l'autre. Alors,
aujourd'hui est une époque contemporaine, mais à partir de ces trois règles de la rhétorique
classique, on vous propose 10 facettes pour façonner vos prises de parole dans vos
négociations.
1. se concentre sur son auditoire : votre parole s'adresse à un auditoire spécifique, sur
lequel on se concentre entièrement. N'essayez pas de parler à quelqu'un tout en
faisant autre chose en même temps, même au téléphone, et les études le prouvent.
L'interlocuteur sent rapidement que vous êtes en train de regarder vos e-mails sur
votre écran.
2. S’adapter à l’autre : pour être active et percutante, la parole s'adapte à un public
précis. Les négociateurs talentueux ne s'adressent pas de la même façon à différents
publics. Ils font toujours preuve du même respect, adapté au contexte, peu importe
qui se trouve face à eux. Un préfet, des syndicalistes, un diplomate, un chef
d'entreprise, peu importe. L'enjeu, c'est toujours d'essayer de se mettre sur la même
longueur d'onde que l'autre, quelle que soit cette personne, ses responsabilités.
3. Etre concis : la concision en négociation est une qualité. Faites simple, percutant, ne
submergez pas l'autre sous un long discours ennuyeux. Ciselez des formules. Et
comme cela ne s'improvise pas, cela renvoie aussi, on le verra, à la préparation.
4. Etre précis : l'ambiguïté conduit l'autre à mal interpréter ce que vous dites. Ne soyez
jamais ambigu, sauf bien sûr si vous voulez l'être. Donc, il faut réserver ce flottement
aux situations où on choisit d'être ambigu, parce que l'on a une bonne raison de
créer ce qu'on appelle une ambiguïté constructive.
5. Etre inclusif : la parole doit être intégrative. Évitez les formulations de type exclusif
comme oui, mais. Préférez oui, et. Au lieu de séparer les deux parties en présence,
vous, moi, essayez de montrer que vous considérez que nous sommes sur un même
bateau. Utilisez le nous, le on.
6. Suggérer au lieu d’imposer : la parole active suggère plutôt qu'elle n'impose. Si
l'autre négociateur découvre avec vous une solution en y apportant de lui-même, il y
a moins de risque qu'il la rejette.
7. Mobiliser des formulations positives : il s'agit d'un point crucial, la parole active
privilégie des formulations positives. De multiples expériences en psychologie sociale,
notamment celles de l’économiste Kleinman, ont démontré que les gens sont attirés
par des formulations positives, et ils ont au contraire tendance à rejeter des
formulations négatives, même si les deux formulations positives, négatives, décrivent
une même réalité sur le fond.
8. Saisir les opportunités : dans la même veine, la parole active insiste sur les
opportunités à saisir, plutôt que sur les risques à éviter ou les obstacles à surmonter.
9. Se tourner vers l'avenir : la parole active est tournée vers l'avenir. Elle ne se focalise
pas sur les événements passés. On ne peut pas changer le passé. Seul le futur peut
être façonné, et c'est ce dont nous décidons au présent.
10. Eviter de mentir. Permettez-moi d'insister sur ce dernier point. Il y a quatre raisons
pour lesquelles un négociateur ne devrait jamais mentir. Primo, ce n'est pas bien.
Chacun de nous décide des principes éthiques selon lesquels régler sa conduite. C'est
une question personnelle, mais c'est une question vraiment importante, à vous de
voir. Deuxio, quand vous mentez à quelqu'un, vous sous-estimez son niveau
d'informations, vous sous-estimez aussi sa capacité à vérifier ce que vous avancez. Et
si vous vous faites prendre, les conséquences sont extrêmement négatives. L'accord
ne sera pas signé, le dialogue sera rompu, votre réputation sera compromise.
Troisième raison, un peu contre-intuitive, nous disons souvent, ne mentez pas, parce
qu'on risquerait de vous croire. Par exemple, que feriez-vous si après avoir prétendu
que vous aviez un formidable plan B pour mettre la pression sur votre interlocuteur,
celui-ci vous répondait, dans ce cas-là, avec un tel plan B, nous, on préfère quitter la
table des négociations. De même, le bluff vous conduira à prendre des engagements
que vous ne pourrez pas tenir. Vous allez prétendre que pouvez apporter certaines
solutions qu'en fait vous ne maîtrisez pas très bien. Et là aussi, si on vous croit, cela se
retournera contre vous.
Dernière raison pour laquelle il faut éviter de mentir, il existe d'autres outils, qui ne
retourneront pas contre vous en tant que négociateur. Par exemple, une bonne
préparation.

Pour progresser en tant que négociateur, il faut déjà être conscient de certains biais
trompeurs, d'intuitions contre-productives. Tout d'abord, il est faux de croire qu'il n'y a
pas de cercle d'apprentissage en négociation, et que donc, on n'apprend jamais rien.
C'est faux. Adopter le point de vue radicalement inverse.
Considérez toute négociation importante comme une occasion d'apprentissage.
Autrement dit, à la suite d'une négociation, prenez un peu de temps pour analyser votre
performance. Cette analyse ex-post ou ce ret-ex (retour d'expérience) comporte deux
volets.
D'une part, identifiez ce qui a fonctionné, et pourquoi. Cela vous aidera de savoir si vous
avez été bon, vraiment bon, ou simplement si vous avez eu un coup de bol terrible. Vous
pourrez ainsi identifier vos points forts et vous reposer dessus en toute confiance pour
votre prochaine négociation.
D'autre part, identifiez tout aussi lucidement ce qui n'a pas fonctionné, et pourquoi.
Cela vous évitera de simplement rejeter le blâme sur l'autre en disant, " la négociation a
échoué parce que l'autre n'a pas compris à quel point nous sommes excellent ". Et vous
pourrez ainsi peu à peu identifier vos points faibles, ceux que vous avez tout intérêt à
améliorer avant votre prochaine négociation.
Selon l'importance de la négociation, le fait de réfléchir à ces deux questions simples,
qu'est-ce qui a bien marché et pourquoi, qu'est-ce qui n'a pas bien marché et
pourquoi, peut prendre quelques minutes ou plusieurs heures et vous pouvez le faire
seul ou avec des collaborateurs. Pratiquer de manière informelle cet exercice de ret-ex
peut s'avérer excellent pour développer un bon esprit d'équipe et une capacité collective
à aller un cran plus loin dans les négociations. Votre analyse vous aidera à vous
concentrer sur les bonnes questions lors de votre prochaine préparation, et donc
d'obtenir de meilleurs résultats lors de la négociation, que vous analyserez à leur tour,
etc.
Une autre idée fausse mais répandue est notre tendance naturelle à sous-estimer
l'autre partie et à nous faire un peu trop confiance. Mieux vaut adopter le point de vue
inverse, votre interlocuteur a justement été choisi par son organisation parce qu'il ou elle
est capable et compétent. Évitez de tirer des conclusions trop rapides du type " non mais
s'il ne comprend pas, c'est qu'il est stupide ". Non, peut-être que c'est vous qui n'avez
pas été suffisamment clair, explicite.
Autre exemple, " il est nerveux parce qu'il ne sait pas se contrôler ". Non, peut-être que
c'est vous qui ne savez pas vous contrôler, qui avez une tendance à témoigner une
agressivité qui bloque tout.
Une troisième idée reçue tout aussi fausse consiste à croire que la négociation serait
toujours et uniquement une pure compétition. L'objectif serait de battre l'autre. Au
contraire, personne n'aime être battu par son adversaire.
Beaucoup de gens croient que la négociation serait toujours une affaire de concession. Ils
pensent que c'est forcément un jeu à somme nulle : ce que je gagne, l'autre doit le
perdre, et vice versa. Non, la réalité est différente. Et comme nous le verrons plus tard, la
négociation va vous aider à créer des choses ensemble. Je ne suis pas toujours obligé de
prendre à l'autre ce dont j'ai besoin. Je peux le créer avec lui, avec son soutien. Et l'autre
acceptera de m'aider sur ce point parce qu'il sait que je l'aiderai à faire de même sur un
autre point de la négociation par un esprit de réciprocité, et cela change tout. Voilà
pourquoi il faut aussi éviter cet autre écueil. Croire qu'il n'existe qu'une solution donnée
dans une négociation, et évidemment la nôtre.

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