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Le parole est-elle la meilleure ou la pire des choses ?

l’engage, le fait exister intensément au point qu’il pourrait mourir pour défendre
ses convictions.

On connaît le proverbe : la parole est d’argent mais le silence est d’or ! Que veut dire **
la formule ? Elle semble dire que la parole n’est pas toujours une bonne chose et qu’en
certaines circonstances, on pourrait lui préférer le silence qui s’avère plus prudent, plus
modeste : se taire reste souvent la bonne solution. Pour autant, on sait les conséquences On a bien raison de voir dans la pensée et pas seulement dans les simples querelles
désastreuses qu’impliquent les non-dits, les tabous, l’absence en général de de mots l’origine des violences que les hommes font aux hommes. Les
communication et de parole ? Que faut-il alors penser : la parole est-elle la meilleure ou malentendus du langage et sans doute aussi les confusions de la pensée sont
la pire des choses ? Autrement dit, faut-il se réjouir de cette faculté de parler qui est effectivement responsables des tragédies que sont les crimes et les guerres. Mais
commune aux hommes et qui tend à les rapprocher ? Faut-il au contraire redouter ce qu’importe ici l’origine de ce qui nous sépare, qui peut prétendre y voir le
que la parole produit : les mensonges, les fausses promesses, les blessures, les meilleur, qui peut se réjouir des désordres que les opinions créent dans la cité ? Ne
confusions qui, même involontaires, sont souvent lourds de conséquences ? A tout le faut-il pas lutter contre certaines paroles qui nous égarent et nous entrainent du
moins, et quelle que soit notre opinion, personne ne peut nier que le langage soit côté du pire ? Ne faut-il pas, nous seulement interdire les mensonges et les fausses
d’abord une convention : les mots, les paroles comportent des sens multiples qui promesse, mais aussi brider, réprimer les confusions du langage ? Pourquoi ne pas
soulèvent des interprétations diverses et parfois contradictoires : que faut-il penser de établir un langage plus universel, plus univoque, moins enclin à susciter
cette propriété du langage qu’on nomme polysémie ou équivocité, et qui est la cause à approximations, confusions, frustrations ?
la fois de tant d’espoirs et de tant de frustrations ?
J’aimerais pouvoir croire que la polysémie soit, pas uniquement le problème, mais aussi
la solution à la question de la parole et de ses effets contradictoires. La polysémie est ***
une ressource qui devrait nous permette de surmonter toutes les difficultés dont elle est
la cause.
On ne peut pas ne pas reconnaître que le langage comme la pensée soient exposés
à l’erreur, laquelle peut violemment opposer les hommes les uns aux autres. Mais
* comment peut-on croire que la répression de la parole soit préférable à l’erreur ?
Interdire, brider, limiter l’usage de la parole ne sont-ils pas des fautes pires que des
erreurs ? Jamais nous n’avons prétendu que la parole soit bonne parce qu’elle
Il n’est pas anodin que les hommes parlent : ils parlent parce qu’ils pensent. Or la serait vraie - nous savons qu’elle peut produire le faux autant que le vrai - mais
pensée est le propre de l’homme. On ne saurait donc leur retirer la faculté de s’exprimer nous soutenons la thèse selon laquelle on doit absolument laisser la parole
sans risquer de leur enlever ce qui fait leur être et leur dignité. cheminer, s’exprimer librement, la polysémie étant sans doute la marque la plus
Parler n’est simplement le moyen d’extérioriser des pensées que nous garderions en haute de cette créativité. Or cette condition est incontestablement la condition sans
notre fort intérieur : les mots nous aident au contraire à penser et c’est en trouvant le laquelle aucune vérité n’est atteignable. La parole n’est pas la meilleure des choses
mot que la pensée accède à son propre contenu. Certains prétendent ne voir dans la – où a-t-on vu ici bas que tout soit parfait- mais elle est, à tout prendre, la chose
parole qu’un moyen d’illustrer ce qui a été conçu en amont par la pensée, comme si sans laquelle le pire peut advenir : c’est faute de pouvoir librement s’exprimer que
l’on pouvait dissocier fond et forme. La forme au contraire donne corps à la pensée et les hommes, surtout les meilleurs, sont acculés à se sacrifier et défendre leurs
fait émerger son contenu. C’est en se parlant à soi-même et en échangeant avec les convictions, fut-elle fausses, au prix de leur vie même. Ne pas laisser un homme
autres que l’homme rend sa pensée effective et réelle. dire ce qu’il pense, c’est l’entrainer clandestinement vers des actions irréversibles
C’est pourquoi les hommes parlent tant et sans doute parfois trop. Aucune espèce : la parole est forte précisément de n’être pas une action, les paroles peuvent se
animale ne déploie autant d’énergie pour produire des œuvres qu’il s’agisse d’art, de corriger, s’amender, s’effacer quand l’action elle produit des dommages
science, de morale ou de politique. Chacun se définit par ce qu’il dit : cette parole irréparables.

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