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LA PAROLE PERMET-ELLE D’ATTEINDRE LA VÉRITÉ ?

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« Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme, ce sera moi ».
En exposant sans détour cette ambition dès l’entame de ses Confessions, Rousseau confère à la
parole écrite, et tout particulièrement autobiographique, la capacité d’atteindre la vérité personnelle
de l’écrivain. L’aveu des fautes, des faiblesses et des failles personnelles, données à juger au public
dans leur authenticité brute, serait la preuve d’un regard rétrospectif et dépassionné. Ainsi,
l’introspection nécessaire à l’écriture d’un tel ouvrage créerait les conditions d’une transparence à
soi, elle aurait la faculté de faire taire l’amour propre pour atteindre et révéler l’identité authentique
du narrateur. La prétention de Rousseau constitue un cas particulier de la capacité de révélation
prêtée à la parole. Il est donc intéressant de s’interroger plus généralement sur la faculté de la parole
à atteindre la vérité.
[NdA : cette accroche issue d’un paragraphe du manuel « 50 paragraphes tout cuits » serait
particulièrement efficace parce qu’elle combine l’éloquence et la pertinence. Dans le détail,
l’expression « toute la vérité » a l’avantage de renvoyer au processus, forcément pénible, des
confessions, et donc au mot clé de l’énoncé, le verbe « atteindre ». Il ne faut donc pas hésiter à
utiliser un paragraphe qui n’a pas été sélectionné pour le développement comme accroche – c’est
là un moyen très commode que nous ne pouvons que vous conseiller. Comme notre plan comporte
déjà un paragraphe avec une œuvre de Rousseau pour référence, nous n’avons pas retenu Les
Confessions pour le développement, ce qui nous a incités à la mobiliser comme accroche.]
La parole désigne l’usage qui est fait du langage et de la langue dans un contexte particulier,
et qui se distingue des communications orales diverses, comme les cris, les alertes ou les
gémissements. Concept lui éminemment complexe, la vérité peut être définie simplement comme
l’adéquation entre un énoncé et la réalité. Enfin, le verbe « atteindre » signifie parvenir à un lieu, un
état, une grandeur, à toucher ou prendre. Dès lors, l’expression « atteindre la vérité » présuppose
qu’elle est difficile à atteindre, et elle compare ce projet à une lente et périlleuse ascension.
[NdA : si la définition des termes n’est pas particulièrement difficile pour ce sujet, elle appelle
toutefois deux remarques : 1° comme le savent les intégrés qui ont passé le concours il y a deux
ans, la vérité est un concept très, et osons même « trop » difficile à définir, c’est pourquoi c’est faire
preuve d’une intelligence pragmatique que de se limiter volontairement à la plus courante et la plus
simple, quoiqu’elle ne soit bien sûr pas exhaustive ; 2° il ne faut pas oublier de définir le verbe
« atteindre », d’autant plus qu’il s’agit du mot clé du sujet, celui dont découlent le tremplin de la
réflexion et la problématique – attention, le mot clé n’est pas toujours le terme le plus évident !]
Apparaît donc de prime abord un contraste entre, d’une part, la facilité et l’instantanéité
propres à la parole, et d’autre part, et la difficulté de l’accès à la vérité. En effet, parler est de prime
abord ce qu’il y a de plus facile : la parole vient spontanément et l’homme parle d’abondance, si
bien que la situation la plus courante est qu’il se voit demander de se taire. La parole est si facile
qu’il est parfois reproché au locuteur de « parler pour ne rien dire ». En revanche, « atteindre » la
vérité est par définition un accomplissement, voire un exploit qui suppose d’en passer par un
cheminement (« atteindre » n’est pas « découvrir » ni « trouver ») – la vérité serait alors le résultat
d’un processus. De surcroît, le chemin de la vérité est semé d’embûches, et l’opinion commune
considère que la parole en est une, comme en témoigne par exemple l’adage populaire « il ne faut
pas croire tout ce qu’on dit ». La parole permettrait donc d’autant moins d’atteindre la vérité qu’elle y
ferait au contraire obstacle. Comment expliquer ce préjugé qu’inspire la parole ? Les différentes
« La parole permet-elle d’atteindre la vérité ? »

manières par lesquelles celle-ci complique la recherche de la vérité incitent certains à préférer se
taire ; cette position ne semble pourtant, à y regarder de plus près, considérer tout l’éventail des
facultés de la parole. La parole ne pourrait-elle pas tout de même contribuer à atteindre la vérité ?
De quelque façon qu’elle y contribue, cela est difficile : la parole paraît ainsi davantage rapprocher
de la vérité, que véritablement l’atteindre. Pourquoi ne serait-elle donc toutefois pas capable
d’exprimer toute la vérité ?
[NdA : la problématisation de ce sujet est plutôt facile. En effet, il suffit de mettre en évidence
le contraste entre la facilité de la parole et la difficulté présupposée par le verbe « atteindre ». On
retrouve une fois de plus (comme dans le sujet « Le geste et la parole », mais sous un autre angle)
le préjugé selon lequel la parole offre la quantité, mais pas la qualité. Retenez donc que vous pourrez
vous servir de ce préjugé dans pas mal de sujets, sans toutefois y recourir de manière systématique
(appuyez-vous sur votre travail de l’année tout en gardant toujours votre esprit critique).]
La vérité est-elle pour la parole un exploit inaccessible ?

Si la parole est souvent suspectée de faire obstacle à la découverte de la vérité (I), elle possède
toutefois des vertus qui peuvent au contraire y contribuer (II), mais ses propres limites tendent à
faire de la vérité une cime inatteignable (III).
[NdA : ce plan découle naturellement du tremplin de la réflexion : il explique le préjugé dont
souffre la parole, en prend le contrepied et dépasse enfin les deux premières positions. Notez 1° la
précision des termes (les « vertus » et les « limites » de la parole) qui est cruciale pour la pertinence
de la réponse globale à l’énoncé ; 2° la relative simplicité du plan ; 3° la modération de la réponse
(marquée par les mots « souvent », « suspectée », « peuvent », « tendent ») ; 4° sa progressivité, car
elle va du plus évident au moins évident ; 5° sa structure logique en double opposition (marquée
par les connecteurs « toutefois » et « mais ».]

☆ ☆ ☆

La parole est communément suspectée de rendre plus difficile l’accès à la vérité.


Elle est tout d’abord perçue comme le véhicule privilégié du mensonge. En effet, le contexte
d’élocution entraîne souvent celui qui parle à préférer mentir. Si le mensonge est en théorie
condamnable, l’exclure totalement n’apparaît pas souhaitable dans la pratique, car la vérité peut
nuire très fortement à l’intérêt du locuteur. Celui-ci devrait par conséquent prendre en
considération les circonstances de l’énonciation et les effets potentiels de sa parole, plutôt que de
se sentir moralement tenu par un devoir de dire la vérité. Dans Le droit de mentir, Benjamin
Constant considère en effet qu’un tel devoir est tout simplement impossible en pratique, ce qui
explique pourquoi la parole rend la vérité si difficile à atteindre. S’opposant à Kant, qui voit la vérité
comme un devoir absolu dans la mesure où elle fonde tous les devoirs d’un contrat et que la
moindre exception la rendrait chancelante (D’un prétendu droit de mentir par humanité), le
philosophe français objecte qu’une telle morale détruirait la société. Elle trouve ses limites dans nos
autres devoirs : dire la vérité ne constitue une obligation qu’envers ceux qui ont droit à la vérité.
« L’idée de devoir, écrit-il, est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits
d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs ». Ainsi, nul homme n’a droit à une vérité qui
nuirait à autrui. Dès lors, la parole peut entraver l’accès à la vérité par le mensonge.
Elle a également tendance à préférer la virtuosité à la vérité. Elle est en effet susceptible de
se dégrader jusqu’à se prendre elle-même pour finalité. Délaissant le service de la vérité, elle serait
alors à elle-même sa propre raison d’être : on parlerait pour parler, purement et simplement pour
perpétuer la vie des mots, ainsi qu’il est couramment reproché au bavard. Dans cette conception
autoréférentielle de la parole, la forme du discours prime le fond, car c’est de sa virtuosité, et non
de l’adéquation à la réalité, que la parole tire sa valeur. Jacqueline de Romilly voit dans les sophistes
de l’Antiquité l’incarnation de cette remise en cause du concept de vérité (Les Grands Sophistes

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« La parole permet-elle d’atteindre la vérité ? »

dans l’Athènes de Périclès). Ils sont en effet des maîtres à penser et à parler apparus à la fin du V e
siècle à Athènes, une époque où la vie intellectuelle prenait la forme d’un jeu, d’un concours : les
thèses étaient défendues par des concurrents auxquels un juge souverain, qui est souvent le public,
décerne le prix. Dans leur contexte démocratique, toutefois, où l’influence politique et les décisions
de l’État dépendaient du peuple, lui-même dépendant de la parole, ils proposaient une éducation
intellectuelle payante qui permettait de savoir parler en public. Contre l’accusation d’onanisme
verbal, il serait donc aussi possible de défendre le sophisme comme une première affirmation de la
supériorité de la vie sociale sur la vie intellectuelle. Le courant paraît néanmoins être à la racine d’un
certain cynisme intellectuel et politique empêchent d’atteindre la vérité.
Enfin, la parole en tant qu’enjeu de pouvoir semble remplacer la vérité par l’idéologie. Cela
serait tout particulièrement le cas de la parole médiatique. Non pas la source d’une information
objective, elle serait implicitement le relais de l’idéologie des dominants. Dans cette optique, les
événements historiques ou politiques sont traités par les médias de manière à faire adhérer les
individus à la vision du monde et à l’action des dirigeants. Dans La fabrication du consentement,
Noam Chomsky met en évidence l’existence d’un système médiatique servant à communiquer des
messages et des symboles à la population, et non pas à atteindre la vérité. Les médias auraient en
réalité vocation à distraire, amuser, informer, et à inculquer à leurs destinataires les croyances et
codes comportementaux qui les intégreront aux structures sociales au sens large. Dans un monde
où les richesses sont fortement concentrées et où les intérêts de classe entrent en conflit, accomplir
cette intégration nécessite une propagande systématique. Plus précisément, le modèle de
propagande proposé par Noam Chomsky et Edward Herman identifie cinq filtres principaux de
l’information qui empêche l’accès à la vérité : la dimension économique du média, le poids de la
publicité, le poids des sources gouvernementales ou économiques, les contre-feux qui peuvent être
utilisés contre le média, et un filtre idéologique principal (comme l’anticommunisme, ou la guerre
contre le terrorisme). Bien loin de constituer un « quatrième pouvoir » en démocratie, la parole
médiatique ferait donc régner une forme particulière de désinformation qui servirait les intérêts des
élites politiques et économiques et empêcherait d’atteindre la vérité.
[NdA : les arguments de cette grande partie sont rangés du plus général au plus précis, mais
aussi du plus évident au moins évident : le mensonge, la parole pour la parole, et l’idéologie.]

La parole est donc préjugée faire obstacle à la vérité pour trois raisons principales. Pour
autant, résumer son rapport à la vérité à ces seules dimensions semble réducteur. L’éventail des
facultés de la parole permet en effet d’entrevoir d’autres possibilités.

☆ ☆ ☆

La parole possède des vertus qui peuvent contribuer à atteindre la vérité.


Pour commencer, elle peut être conçue comme nécessaire à l’intelligence humaine. Dans
cette perspective, elle serait plus précisément le support de la réflexion abstraite. Alors que le
concret se donne à saisir simplement dans la perception du monde matériel, l’abstrait ne pourrait
lui s’exprimer que par l’intermédiaire du langage, à l’oral ou à l’écrit. Par exemple, un triangle
imaginé est un triangle spécifique avec des caractéristiques précises, mais la définition générale du
triangle – c’est-à-dire l’idée de triangle – est dépendante de la parole. Acquis à cette thèse, Rousseau
affirme que l’impossibilité de concevoir les idées abstraites autrement que par le discours implique
qu’il faut d’abord parler pour avoir des idées générales, et ainsi atteindre la vérité (Discours sur
l’origine de l’inégalité parmi les hommes). Imaginant le processus d’acquisition de la parole, il fait
l’hypothèse que les hommes usèrent d’abord du cri (« de la nature ») dans des situations d’urgence.
Ce n’est qu’à partir du moment où ils s’assemblèrent qu’ils éprouvèrent le besoin de raffiner leur
communication : « ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu : ils multiplièrent les
inflexions de la voix, et y joignirent les gestes, qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins

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« La parole permet-elle d’atteindre la vérité ? »

d’une détermination antérieure ». Si les premiers mots avaient une signification bien trop étendue,
postule le philosophe, le langage gagna progressivement en précision et en subtilité, au fur et à
mesure que la curiosité humaine faisait augmenter les connaissances pour atteindre la vérité. La
sophistication de la parole aurait donc permis le développement de l’intelligence humaine.
En deuxième lieu, la parole peut apparaître comme une condition épistémologique de la
découverte de la vérité. Dans cette perspective, comme la vérité est inconnue, il est nécessaire que
des hypothèses, potentiellement vraies, puissent être exprimées par le biais de la parole. Sans parole,
pas de possibilité de vérité. Ce rôle de la parole justifie l’utilité du débat, et plus généralement de
toute forme d’échange de paroles, comme au sein de la communauté scientifique, par exemple, où
la communication est assurée et encouragée par les publications, les revues ou encore les colloques.
Dans La logique de la découverte scientifique, Karl Popper explique ce rôle en concevant la vérité
comme négative et temporaire. Étant donné qu’il n’est possible d’avoir de certitude que sur ce qui
est faux, et non pas sur ce qui est vrai, le philosophe distingue la vérité de la certitude : il est possible
d’atteindre la vérité, mais pas la certitude, car toute connaissance doit être considérée comme
incertaine. Dès lors, le scientifique peut atteindre la vérité en proposant, grâce à la parole, de
nouvelles connaissances sur le mode de l’incertitude : elles ne demeurent vraies que de manière
précaire, tant qu’elles n’ont pas été invalidées par des tests. Le débat, qui met à l’épreuve les
arguments, est ainsi une forme de test. La parole permet donc à l’esprit humain de progresser sur
le mode de l’essai et de l’erreur. C’est à partir de cette théorie que Popper met en évidence
l’importance politique de la liberté de la presse. La parole est donc utile à la vérité parce qu’elle est
nécessaire au processus d’essai et erreur qui accouche de la vérité.
Dans le prisme de cette thèse, c’est tout particulièrement le dialogue qui contribue à atteindre
la vérité. Au niveau de l’individu, en effet, la parole dialoguée est un moyen de détruire les préjugés.
Les dialogues socratiques mis en scène par Platon témoignent du fait que les échanges de parole
permettent, sous certaines conditions, de faire progresser les interlocuteurs vers la vérité.
Conversations de hasard dans les marchés, dans les stades, dans les maisons de riches, toutes les
circonstances convenaient à Socrate pour exercer la maïeutique (ou l’art de faire accoucher les
esprits). Celle-ci consiste à pousser l’interlocuteur à faire une introspection profonde sans
concession qui le transforme, qui lui fasse perdre sa fausse tranquillité et le mette devant ses
contradictions personnelles, dans le but qu’il se retrouve en accord avec lui-même. Le rôle de la
parole dans la maïeutique repose sur l’idée que l’homme croit qu’il sait, qu’il est même fier de savoir,
alors qu'il est surtout dans l’ignorance et dans l’erreur, y compris vis-à-vis de lui-même. C’est
Apollon, affirme modestement Socrate, « qui lui avait assigné pour tâche de vivre en philosophant, en se
scrutant lui-même et les autres » (Apologie de Socrate, Platon). Malheureusement, c’est probablement
son extrême liberté de parole qui a perdu le fameux philosophe. Le dialogue socratique donne donc
à la parole la mission d’abattre les fausses vérités afin d’atteindre la vérité authentique.
[NdA : dans cette deuxième partie également, les arguments sont classés du plus général au
plus précis. Il s’agit en effet d’une manière à la fois claire et bien commode de structurer
l’argumentation ; c’est pourquoi elle fonctionnera très bien dans la plupart des cas.]

Ainsi, contrairement au préjugé communément exprimé à son égard, la parole peut


contribuer à faire émerger la vérité. La méthode de Socrate, progressive et laborieuse, témoigne
toutefois de la difficulté à atteindre la vérité, si bien qu’il est légitime de se demander si la parole
permet vraiment d’exprimer toute la vérité.

☆ ☆ ☆

Les propres limites de la parole tendent à faire de la vérité une cime impossible à atteindre.
Tout d’abord, sa capacité à décrire le réel serait en effet par essence limitée : le mot ne se
superpose pas à la chose, matérielle ou spirituelle, il est au contraire entre eux un abîme, une béance

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« La parole permet-elle d’atteindre la vérité ? »

qui rend l’être irréductible au dire. Dans cette perspective, l’acte de parler serait purement extérieur
à l’essence de la réalité, dont il n’offrirait qu’une représentation infidèle et dégradée. Cette non-
correspondance de la parole à la pensée trouve son explication dans la faculté du langage. Pour
Bergson (Le rire), le langage est tout simplement incapable d’atteindre la vérité des sentiments de
l’individu et la réalité authentique des choses, parce que les mots ne décrivent que l’aspect extérieur
de toute chose, y compris de l’intériorité du sujet. Telle est l’incapacité dont témoigne le rire, et
plus précisément le jeu de mots. « Tandis que, écrit le philosophe, la comparaison qui instruit et l’image qui
frappe nous paraissent manifester l’accord intime du langage et de la nature, envisagés comme deux formes parallèles
de la vie, le jeu de mots nous fait plutôt penser à un laisser-aller du langage, qui oublierait un instant sa destination
véritable et prétendrait maintenant régler les choses sur lui, au lieu de se régler sur elles. » Ainsi, la capacité de la
parole à faire rire montrerait qu’elle en fait intrinsèquement incapable d’atteindre la vérité.
La parole exprimerait plutôt un système inapte à atteindre la vérité, conçue comme
adéquation d’un énoncé à la réalité. Elle correspond en effet à l’usage de la langue, qui peut être
conçue, dans son organisation interne, comme un ensemble d’éléments interdépendants. Selon
cette conception, le signe linguistique a un caractère arbitraire, en vertu de quoi il ne peut pas
atteindre la réalité. Ferdinand de Saussure, l’initiateur de cette thèse, définit ainsi le langage comme
une faculté humaine servant à s’exprimer de façon générale au moyen de signes (Cours de
linguistique générale). Cette faculté se construit d’après le sens que les signes prennent les uns par
rapport aux autres, selon des règles d’opposition et de distinction, et non pas d’après la réalité. Au
sein de ce système, le signifiant (le son) et le signifié (le contenu sémantique) forment les deux
facettes d’un même signe et symbolisent tous deux une particularité de la langue. Or, d’une langue
à une autre, le signifié existe, est absent, ou encore est opposable à un autre concept existant dans
une autre langue. De ce fait, les concepts auxquels une langue a recours n’expriment pas des choses
préexistantes ou une réalité, puisque les mots ou les catégories grammaticales d’une langue n’ont
pas toujours de correspondance dans une autre. De surcroît, entre le signifiant, le signifié, la forme
acoustique et l’idée, le lien est seulement de convention, car le signifiant n’a aucun lien naturel avec
le signifié, dans la mesure où rien ne permet d’établir une relation entre une image acoustique et un
concept. Conçue comme un système, la parole n’exprime donc pas la réalité elle-même, c’est-à-dire
qu’elle n’a pas vocation à atteindre la vérité.
Plus profondément, cependant, ce pourrait être la vérité qui constituerait un au-delà de la
parole. Elle serait alors pour celle-ci une cime impossible à atteindre. Cette hypothèse est par
exemple étayée par l’apparente incapacité de la parole à véhiculer les sentiments. Il pourrait en effet
lui être reproché de figer les états d’âme. Dès lors, il s’agirait de trouver un langage à nouveau
capable de traduire l’authenticité de la confidence lyrique, par exemple, c’est-à-dire de faire
fusionner mots et états spirituels pour atteindre la vérité de l’âme. C’est dans cette perspective que
Verlaine manifeste dans ses Romances sans paroles sa méfiance à l’égard des mots et des concepts
qu’ils véhiculent. Il éprouve dans ce recueil les limites d’une langue qui fige et trahit la vérité de
l’âme ; c’est pourquoi il le compose sur un modèle essentiellement musical. Ainsi, inspiré par la
musicalité de chansons comme les ariettes de Favart (que Rimbaud lui a fait découvrir), il associe
dans les « Ariettes oubliées » la musique des mots à leur pouvoir évocateur : il les sélectionne
comme autant de notes de musique, moins pour le sens qu’ils portent que pour la mélodie qu’ils
jouent. De surcroît, il donne également à sa poésie une dimension picturale dans les « Aquarelles »
et les « Paysages belges ». Mettant l’accent sur les couleurs visuelles et le flou pour créer un
sentiment de légèreté, Verlaine peint l’instabilité et la spontanéité du monde contemporain. Ces
choix s’intègrent dans la quête d’une « poésie objective », une parole susceptible, elle, d’atteindre la
vérité.
[NdA : cette troisième et dernière grande partie est structurée de manière différente parce
qu’il était plus difficile de lui trouver des références. Il s’agit d’une structure logique plus élaborée
que la précision croissante précédemment utilisée : aspect du III – cause n°1 (propre à la parole)
du III – cause n°2 (propre à la réalité) du III.]

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« La parole permet-elle d’atteindre la vérité ? »

☆ ☆ ☆

Atteindre la cime de la vérité peut apparaître comme un objectif bien trop ambitieux pour la
parole, elle si facile et si spontanée. En effet, la parole est souvent suspectée de faire obstacle à la
vérité, qu’elle soit le véhicule du mensonge, qu’elle tombe dans une logique autoréférentielle où la
virtuosité évince la vérité, ou bien qu’elle confine à l’idéologie pure quand elle est un enjeu de
pouvoir. Pour autant, l’éventail des facultés de la parole laisse à penser que l’hypothèse envisagée
par l’énoncé n’est pas dénuée d’intérêt. À y regarder de plus près, ainsi, la parole possède en réalité
des vertus qui peuvent au contraire contribuer à atteindre la vérité. Elle apparaît déjà, très
fondamentalement, comme le support de l’intelligence humaine. Elle semble également être une
condition épistémologique de la découverte de la vérité, comme le montre la capacité du dialogue
à abattre les préjugés. Pour autant, la parole paraît bien incapable d’exprimer toute la vérité : ses
propres limites font de la vérité une cime inatteignable. Elle ne pourrait pas véritablement décrire
le réel, car elle fonctionne selon un système qui en est détaché. De surcroît, la vérité conçue comme
adéquation à la réalité peut en fait sembler appartenir à un au-delà de la parole.
[Rappel de la NdA des précédentes dissertations : « nous avons résumé succinctement tout le propos
de la dissertation. En effet, la seule et unique fonction de la conclusion est de fermer le propos en rappelant les résultats
de la réflexion. Si cette partie est néanmoins importante, c’est parce que la probabilité qu’elle soit lue par le correcteur
est élevée – celui-ci donne généralement la priorité au couple introduction/conclusion et parcourt le reste de la copie en
diagonale »].

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