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Le Langage

L’homme, un être à part dans la nature

Etre conscient, l’homme possède la pensée. Grâce à la culture l’humanité forme le


projet, en partie bien engagé, de se libérer progressivement des contraintes
naturelles et sociales. La pensée est le fer de lance de cette libération. Mais la
pensée a besoin d’un outil pour pouvoir s’exprimer. Chacun en fait l’expérience en
permanence : nous pensons avec des mots. Penser consiste à se parler à soi-même,
dans le silence de notre intériorité. Bref, sans le langage, la pensée resterait
impuissante à s’exprimer. Ou plus précisément, elle resterait totalement informe,
indéterminée. Ainsi, sans le langage, il n’y aurait pas de pensée.

Le caractère conventionnel du langage

Les langues humaines sont culturelles, propres à un peuple déterminé et qu’à ce


titre elles sont conventionnelles, la correspondance entre un son ou une graphie et
un sens restant parfaitement arbitraire, c’est-à-dire fondée sur aucune raison
naturelle ou logique. Ces signes arbitraires qui correspondent conventionnellement
à telle ou telle réalité ou telle ou telle action ou telle ou telle idée sont des
symboles. C’est pour cela que l’on évoque la pensée symbolique de l’homme. Cette
capacité permet de distinguer radicalement l’homme et l’animal comme le souligne
Hegel dans cet extrait de l’ « Encyclopédie des sciences philosophiques » : «
Employer un symbole est cette capacité... propre à l’homme et qui fait de l’homme
un être rationnel. La faculté symbolisante permet en effet la formation du concept
comme distinct de l’ objet concret, qui n’ en est qu’ un exemplaire.

(...) Prenons d’abord grand soin de distinguer deux notions qui sont bien souvent
confondues quand on parle du « langage animal » : le signal et le symbole. (…)
L’animal perçoit le signal et il est capable d’y réagir adéquatement. L’ homme
invente et comprend des symboles, l’ animal, non. Tout découle de là. La
méconnaissance de cette distinction entraîne toutes sortes de confusions ou de faux
problèmes. On dit souvent que l’animal dressé comprend la parole humaine. En
réalité l’animal obéit à la parole parce qu’il a été dressé à la reconnaître comme
signal ; mais il ne saura jamais l’interpréter comme symbole. Pour la même raison,
l’animal exprime ses émotions, il ne peut les dénommer.

D’une manière générale, on peut donc dire que les langues humaines, constituées
de signes ou de symboles, sont culturelles, conventionnelles, arbitraires. L’homme
est dépourvu de langue naturelle. Un enfant abandonné dès la naissance et qui
aurait par miracle pu survivre ne possèderait aucun système inné de communication
propre à son espèce. A ce titre, tout être humain possède une langue apprise, une
langue dite « maternelle », cette expression trahissant le fait culturel selon lequel ce
sont les mères qui assurent en général l’essentiel de l’éducation d’un enfant.
Remarquons à ce propos que même les onomatopées, c’est-à-dire l’imitation des
sons naturels, portent également la marque de la culture, c’est-à-dire des sons
spécifiques à notre langue maternelle.

Le caractère conventionnel du langage est d’ailleurs souligné par le fait qu’il n’y a
pas véritablement d’organes naturels du langage. Les grandes fonctions
physiologiques de l’organisme sont assurées par un organe spécifique : le cœur est
l’organe essentiel de la fonction circulatoire ; les poumons de la respiration ;
l’estomac de la digestion etc. Aucun autre organe ne peut les suppléer pour ces
fonctions respectives en cas de défaillances. Or, il n’y a pas l’équivalent concernant
le langage.

Parler est création

Comme nous venons de le voir, le langage propre à l’homme se caractérise d’abord


par son caractère conventionnel. Mais ce n’est pas la seule originalité du langage ni
peut-être même la plus importante. Le langage, témoignage de la pensée, à l’image
de la pensée qu’il exprime, porte la marque de la capacité de création de cette
dernière. Parler consiste non à puiser dans sa mémoire, au sein d’un stock de
phrases toutes faites, celle qui est la plus adaptée à notre intention de
communication, mais cela revient à créer de toutes pièces une phrase, souvent
nouvelle, et qui remplit cette fonction. En somme, le langage est une combinatoire
de signes que nous composons en fonction des besoins. Ce caractère créateur du
langage nous conduit à nous interroger sur les moyens techniques inventés par
l’humanité afin de le mettre en œuvre. Le problème que l’humanité se devait de
résoudre était le suivant : comment avec des capacités corporelles limitées traduire
les besoins illimités de la pensée en termes de communication ?

Il fallait donc trouver un système permettant, à partir d’un nombre limité de signes,
d’engendrer un nombre potentiellement infini de messages. Telle a été l’invention
géniale de l’humanité, à savoir le langage dit articulé.
Langage, langue, parole

Il ne faut pas confondre langage, langue, parole. Le langage renvoie à la capacité


générale de combiner des signes en vue d’exprimer des idées ou la pensée. C’est
une propriété qui définit à certains égards l’homme, qui le distingue des autres
espèces animales et qui à ce titre est universelle et naturelle.

Contrairement au langage, une langue n’a rien d’universel et encore moins de


naturel même potentiellement. Une langue présente un caractère particulier car il
est le fruit d’une culture bien située dans l’espace et le temps. Il s’agit de la manière
propre à un peuple de traduire par des signes qui lui sont spécifiques cette capacité
générale de combiner des signes qui constitue le langage. De ce fait, la capacité
d’acquérir une langue, c’est-à-dire un donné culturel et non une disposition
naturelle comme le langage, s’avère très inégale selon le milieu culturel. Enfin, la
parole renvoie en linguistique, non à la voix et aux sons exclusivement, mais à
l’utilisation individuelle d’une langue. De ce point de vue, un sourd-muet
communiquant avec la langue des signes gestuels accomplit un acte de parole.

La langue écrite comme mémoire collective de l’humanité

Afin de bien saisir l’importance et l’originalité du langage sous sa forme écrite, il


convient de rappeler une des caractéristiques fondamentales du langage. Ce dernier
a pour fonction d’exprimer la pensée, cette faculté créatrice de l’homme et qui en
conséquence se présente comme potentiellement infinie dans ses capacités de
produire de nouveaux signes, c’est-à-dire de nouvelles idées, de nouveaux contenus
de pensée. Le problème de l’humanité consistait donc à inventer des procédés
techniques qui permettaient de contourner, de surmonter, de dépasser les limites
naturelles de son corps. Sur le plan du langage oral, avec l’invention du langage
articulé.

Il en ira de même avec le langage écrit. Il s’agit ici de trouver les moyens de
surmonter les limites vite atteintes des mémoires individuelles. Lorsque, semble-t-il
entre le cinquième et le troisième millénaire av. JC, les Mésopotamiens notamment,
inventent les premières formes d’écriture, ils introduisent dans l’histoire de
l’humanité une innovation décisive et lourde de conséquences pour son avenir.

En effet, à la tradition orale, forcément limitée dans la transmission des


connaissances culturelles, immanquablement déformée de générations en
générations, va succéder une forme de mémoire collective de l’humanité, déposée
dans les bibliothèques, fidèle dans son mode d’expression, indéfiniment extensible
et se prêtant de ce fait à l’accroissement sans limite des connaissances. Le langage
écrit, vraisemblablement inventé sous la pression de besoins sociaux et
économiques lors de l’édification des premières cités, conséquence elle-même de la
découverte de l’agriculture et de l’élevage, avec l’intensification des échanges
commerciaux que cela vraisemblablement entraîne, marque un tournant décisif
dans l’histoire de l’humanité, et devient le point de départ d’une formidable
accélération de l’histoire et des progrès possibles de l’humanité.

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