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DE LA PENSEE AU LANGAGE

COMMUNIQUER AVEC DES MOTS

1
Les animaux communiquent

Seul homo sapiens 2


sapiens parle
Une communication sophistiquée

Le langage humain, qui utilise lui aussi des sons, n’est donc qu’une forme
de communication parmi d’autres. Mais une forme très sophistiquée. Car
parler, c’est convenir arbitrairement qu’une série de sons désigne une
chose. Le gros avantage comparé aux grognements et aux cris, c’est que
cette association précise entre un objet et une combinaison de sons
arbitraires permet de désigner l’objet même quand il n’est pas là !

L’une des fonctions les plus


spécifiques du cerveau humain est
la production et la compréhension
du langage. Un perroquet peut
imiter les sons du langage humain
mais ne communiquera jamais de
concepts abstraits avec ces sons.

3
Le langage, outil de la pensée

Les langues naturelles ont une double articulation, d’abord


lexicale, puis syntaxique. Le lexique, c’est l’ensemble des mots
d’une langue, son vocabulaire. Pour sa part, la syntaxe indique les
façons d’utiliser ces mots, les règles de grammaire qui permettent
d’assembler correctement les mots en phrases.
Mais le langage est aussi et surtout un outil qui entretient des
relations étroites avec la pensée en permettant de représenter,
c'est-à-dire de "rendre présent", par évocation, ce qui est
imaginaire ou simplement ailleurs dans l'espace ou le temps. C’est
le domaine de la sémantique, c’est-à-dire comment des
combinaisons complexes de sons ou de mots parviennent à porter
du sens.
Les processus de compréhension et de production du langage
nécessitent donc maîtrise à la fois lexicale, syntaxique et
sémantique. On pourrait presque parler d’une articulation
supplémentaire avec l’apparition de l’écriture moderne puisque les
phonèmes doivent être traduits par une lettre ou une combinaison
de lettres.

4
Le langage, outil de catégorisation

Les mots que nous connaissons forment un lexique mental où


chaque mot peut évoquer plusieurs significations selon le contexte
de son énonciation. Quand nous parlons, chaque mot est ainsi relié
à plusieurs autres mots avec qui il partage des liens de sens. C’est
ce qui permet au cerveau de construire des catégories.

Plusieurs expériences montrent que le langage permet cette


transformation de l’information en représentations abstraites. Si
par exemple on fait entendre à des sujets plusieurs phrases
formant le paragraphe d’un texte, la plupart vont être capables de
formuler l’idée générale dans leurs mots, mais pas selon les
phrases exactes qu’ils ont entendues. C’est comme si deux
transformations avaient lieu : une première nous permet de nous
représenter de manière plus abstraite et synthétique ce que nous
entendons, ce qui semble plus facile à mémoriser. Et une deuxième
transformation où la personne se rappelle la représentation et la
reconvertit en paroles en utilisant ses propres mots.

5
Le langage est spécifique à l’homme
1.  Tous les êtres humains
parlent

2.  Aucune autre espèce


animale ne possède un
système de communication
productif (construire un
nombre infini de phrases à
partir d’un nombre fini de
mots). L’appariement entre
son et sens est arbitraire au
niveau du mot. En revanche,
on n’a pas besoin de
connaître une phrase pour en
comprendre le sens. Le
cerveau calcule.

« Le livre racontait l’histoire d’un chat


grincheux qui avait mordu un facteur »

« Le livre racontait l’histoire d’un facteur 6


grincheux qui avait mordu un chat »
Les autres primates peuvent-ils
apprendre à parler?

Exemple de tentative d’apprentissage du


langage à des chimpanzés. Couple d’humains
avec leurs enfants et un bébé chimpanzé.

Nim Chimpsky
http://www.youtube.com/watch?
v=UhOiAVJubGQ&feature=fvsr

7
Les autres primates peuvent-ils
apprendre à parler?
Autre exemple: apprentissage du
langage des signes chez les
chimpanzés. Ils apprennent une
centaine de mots mais la
combinaison de mots (l’aspect
productif ou syntaxique du
langage) n’apparaît jamais.
Laura-Ann Petitto, Dartmouth College

8
Les singes parlent mais ils ne nous disent rien
« La parole des singes est une parole muette; il faut interpréter
leurs propos. Le langage des singes doit être interprété de
l’extérieur, il ne débouche pas directement sur une création de
sens: tel pourrait être le constat de 3 décennies de recherches
fiévreuses. Le singe n’a rien à dire mais que voulait-on qu’il dît?
(…) En voulant donner la parole au primate l’homme cherche à se
voir à travers les yeux du singe; en voulant lui donner un langage,
c’est son regard que l’homme traque. (…) Le singe ne dit vraiment
rien; il se contente de répéter ce que l’homme dit, d’être un sous-
homme au niveau de la sémantique de son discours, et cette parole
est effectivement muette et non pas silencieuse »
Dominique Lestel, « Paroles de singes », Ed La Découverte

« Il est à peu près aussi probable de prouver qu’un singe dispose


d’aptitudes au langage que de découvrir une île sur laquelle des
oiseaux incapables de voler attendraient que les humains leur
montrent comment s’y prendre »
Noam Chomsky

9
Pour parler, il faut…
Un appareil phonatoire adapté

Cavité buccale Cavité buccale d’un


Cavité buccale et Un cerveau adapté
d’un chimpanzé enfant de moins de
larynx chez l’homme
adulte 9 mois qui tète
adulte

Chez les singes, comme chez le nourrisson humain, le


larynx est placé très haut dans le cou ce qui le rendrait
incapable de produire tous les sons du langage humain.
Cette position a toutefois certains avantages puisque les
singes et les bébés peuvent respirer par le nez tout en
continuant de s'alimenter.
La position basse du larynx entraîne chez l’adulte le
croisement des voies de l'œsophage et des poumons,
augmentant ainsi les risques d'étouffement. Il semble donc
que l'avantage que lui procure ce larynx descendu réside
dans un système de communication vocal qui vaut le risque 10
d'étouffement.
De la pensée au langage

Le souffle de Dieu

« Puisque tout prend vie selon mes désirs, je vais façonner un être à
mon image. Et saisissant un morceau d’argile, il le façonna à son
image. Alors il se mit à parler à ce qu’il avait crée mais il n’en obtint
pas de réponse. Le regardant attentivement, il vit qu’il n’avait pas
d’esprit. Alors il lui donna un esprit. De nouveau il lui parla mais il
n’obtint toujours pas de réponse. L’examinant attentivement, il vit
qu’il n’avait pas de langue. Il lui donna une langue. Puis il s’adressa
de nouveau à lui mais il n’en reçut point de réponse. Le regardant il
vit qu’il n’avait pas d’âme. Alors il lui donna une âme. Puis, il lui
parla de nouveau et il dit presque quelque chose. Mais on ne
pouvait pas le comprendre. Alors Celui-qui-créa-la-Terre souffla
dans sa bouche, lui parla, et son image lui répondit. »

Indiens Zunis d’Arizona

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De la pensée au langage

L’enseignement du Livre

« Au commencement était la Parole, et la parole était avec Dieu, et


la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes
choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait
sans elle. En elle était la vie et la vie était la lumière des hommes »

Evangile selon St Jean

Le verbe est le trait d’union entre l’homme et la transcendance

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De la pensée au langage

1. D’où vient le langage?


2. Qui fut le premier homme parlant?
3. Quelle fut la première langue?
4. Pourquoi parlons-nous plusieurs langues?

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De la pensée au langage

D’où vient le langage?

Les théories vocales

Des modifications de la bouche et du pharynx couplées à


une augmentation du volume cérébral auraient conduit, il y a
environ 100 000 ans, au contrôle volontaire des productions
vocales qui étaient jusque là plutôt des cris instinctifs.

• Imitation des bruits de notre environnement.

• Cris d’alerte des primates

• Etats d’âmes

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De la pensée au langage

D’où vient le langage?

Les théories gestuelles

Le passage à la bipédie aurait eu pour première


conséquence de libérer les membres antérieurs et de
les rendre utilisables pour la communication gestuelle.
Dans un second temps, le langage vocal se serait
développé, rendant ainsi les mains libres pour d'autres
usages.

Pour les tenants de la théorie gestuelle, la transition


vers le langage parlé s’est probablement fait
progressivement jusqu’à il y a environ 50 000 ans,
période où la parole aurait pris radicalement le dessus,
libérant ainsi définitivement les mains pour permettre
l’explosion technologique et artistique de cette époque.

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De la pensée au langage

D’où vient le langage?


Les théories de la complexité du monde social
Vers le milieu des années 1990, l’anthropologue anglais Robin Dunbar a attiré l’attention sur
le fait que la majorité de nos échanges verbaux sont consacrés à prendre des nouvelles de
notre interlocuteur ou d’une tierce personne (le « gossip » des anglophones). Pour lui, la
fonction première du langage est donc d’échanger de l’information sur l’environnement social
de l’individu : qui est fiable, qui a fait des alliances avec qui, bref le potinage habituel…

Chez les primates, c’est l’épouillage mutuel


qui a cette fonction sociale, consolidant les
hiérarchies et favorisant la réconciliation
après les conflits. À mesure que le nombre
d’individus dans les groupes augmente
durant l’hominisation, Dunbar croit que le
langage est simplement devenu plus efficace
que l’épouillage comme outil de cohésion
sociale.

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De la pensée au langage

D’où vient le langage?

Les théories de l’animal politique

Certains scientifiques, comme Jean-Louis


Dessalles, affirment que c’est parce que
l’homme est avant tout un animal politique
qu’il s’est mis à parler.

D’autres encore, comme Bernard Victorri,


mettent l’accent sur la nécessité qu’a eu
notre espèce, à un certain point de son
évolution, de formuler des lois pour gérer les
crises découlant de la complexité croissante
du psychisme des membres d’un groupe
social.

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De la pensée au langage

Qui a parlé le premier ?

Prémisses du Langage évolué


langage, protolangage 200 000 à 50 000
?

4 millions 1,8 millions 230 000


Australopithèque Homo erectus Néanderthal Cro-Magnon H. Sapiens sapiens t

4 millions 1,8 millions 230 000

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De la pensée au langage

Néanderthal, premier
homme parlant?
On a longtemps cru que l’homme de Neanderthal était incapable
de communiquer verbalement. On pensait qu’il devait bien avoir
une forme primitive de langage, mais qu’il ne pouvait produire la
gamme complète des sons du langage humain. Son larynx n’étant
pas encore aussi descendu que celui d’Homo sapiens, il devait
avoir beaucoup de difficultés à prononcer les trois voyelles
principales (i, « ou » et a) présentes dans la majorité des langues
du monde.
Toutefois, certains font remarquer que la maîtrise de la totalité des
voyelles n’est pas nécessaire pour parler un langage rudimentaire,
s’il comprend un nombre suffisant de consonnes. Par ailleurs, il
semble difficile de croire que l'Homme de Néanderthal, produisant
des outils sophistiqués, s’ornant le corps de bracelets et de
colliers, enterrant ses morts et produisant des œuvres d'art, ne
communiquait pas ou peu verbalement.

Des reconstitutions à partir de crânes néanderthaliens ont montré qu’il avait une base crânienne
permettant l’existence d’un appareil phonatoire très proche de l’homme moderne. Par exemple, la
découverte, en 1989, d’un crâne d’homme de Néanderthal âgé de 60 000 ans et possédant un os
hyoïde (l’os qui supporte le larynx) a fait dire à certains chercheurs qu’il pouvait probablement
parler. Chose certaine, les néanderthaliens ont disparu il y a environ 28 000 ans, laissant la place à
son rival Homo sapiens sapiens qui, lui, avait tout ce qu’il faut pour utiliser un langage symbolique
articulé et doté d’une syntaxe. 19
De la pensée au langage

Le protolangage

Le linguiste Derek Bickerton a introduit l'idée


d'un "protolangage" qui permettrait de décrire la
langue des Homo erectus. Ce protolangage
primitif aurait deux caractéristiques: usage d'un
vocabulaire limité à des termes concrets
(désignant des objets, personnes ou actions) et
absence de grammaire. C'est le langage que
maîtrisent les enfants d'environ 2 ans. Il permet
d'énoncer des phrases comme "veux gâteau",
"chat gentil" ou encore "pas partir toi". Ce
protolangage est aussi celui que parviennent à
maîtriser les primates auxquels on enseigne la
langue des signes.
Le protolangage permet d'exprimer des
représentations ("moi partir sur la montagne" ou
"chien de Paul mort".,. ), mais il est inapte à
construire des récits complexes ou des discours
abstraits. Le protolangage serait donc un bon
candidat pour imaginer les premières formes de
langage.

20
De la pensée au langage

Le pidgin: une protolangue?


Un pidgin est le nom donné à un langage créé
spontanément à partir du mélange de plusieurs
langues. Poussés par le besoin de communiquer,
ceux qui développent un pidgin s’accordent sur un
vocabulaire limité, afin de permettre à des locuteurs
de langues différentes de se comprendre.
Le premier pidgin documenté, la Lingua Franca, était
utilisé par les marchands méditerranéens au Moyen-
Âge. Un autre pidgin bien connu fut développé à
partir d’un mélange de Chinois, d’Anglais et de
Portugais pour faciliter le commerce à Canton dans
la Chine du 18e et 19e siècle. Un autre cas classique
est celui des esclaves des Caraïbes, dont les
origines culturelles étaient trop variées pour
permettre à leurs langues de se perpétuer après leur
transplantation forcée.
Les enfants qui grandissent ensemble et apprennent
un pidgin tendent à leur imposer spontanément une
structure lexicale pour en faire des créoles, c’est-à-
dire de véritables langues dont le vocabulaire
provient d’autres langues. Mais ce n’est pas le cas
de tous les pidgins et certains se perdent ou
deviennent obsolètes.
21
De la pensée au langage

Quelle fut la première langue?


L’expérience scientifique de Psammetichus I,
roi d’Egypte, Ve siècle avant JC

" Avant son règne, les Égyptiens se croyaient le peuple le plus ancien de la terre.
Quand Psammetichus devint roi, il voulut savoir quel peuple méritait vraiment ce
titre. Il imagina ce procédé : il fit remettre à un berger deux nouveau-nés, des
enfants du commun, à élever dans ses étables dans les conditions suivantes :
personne, ordonna-t-il, ne devait prononcer le moindre mot devant eux ; ils
resteraient seuls dans une cabane solitaire et, à l'heure voulue, le berger leur
amènerait des chèvres et leur donnerait du lait à satiété, ainsi que tous les soins
nécessaires. Par ces mesures et par ces ordres, Psammetichus voulait surprendre
le premier mot que prononceraient les enfants quand ils auraient dépassé l'âge
des vagissements inarticulés. Il en fut ainsi ; pendant deux ans, le berger
s'acquitta de sa tâche, puis un jour, quand il ouvrit la porte et entra dans la
cabane, les enfants se traînèrent vers lui et prononcèrent le mot bécos , en lui
tendant les mains c'est, chez les Phrygiens, le nom du pain. Les Égyptiens
s'inclinèrent devant une pareille preuve et reconnurent que les Phrygiens étaient
plus anciens qu'eux. " 22
Hérodote, L’Enquête, II, 2
De la pensée au langage

Combien de langues
parlons-nous?

Chaque point représente le centre géographique des 6912 langues vivantes

On compte 6 912 langues parlées dont 1 000 utilisées par


une population très faible en nombre. Près de 40% de la
population (2,5 milliards de personnes) parle l’une des 5
langues majoritaires: chinois, espagnol, anglais, arabe,
hindi-ourdou.

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De la pensée au langage

Pourquoi parlons-nous
plusieurs langues?
« Au bout d’un certain temps Ala Tangana demanda à Hâ la main de
sa fille mais Hâ refusa. Ala décida d’enlever la fille. Le couple se
sauva dans la partie la plus éloignée de la terre. Là, ils vécurent
heureux et eurent quatorze enfants, sept garçons, sept filles. De ces
sept garçons, quatre étaient blancs et trois noirs. Il y avait
également quatre filles blanches et trois noires. A la déception des
parents, chacun ou chacune de leurs enfants parlait une langue
différente. Ils ne se comprenaient guère. Ala Tangana, ni la mère ne
les comprenaient. Ala alla voir son beau père, la mort. Hâ lui dit:
c’est moi qui t’ai puni pour m’avoir trahi. Tu ne devras jamais
comprendre ce que disent tes enfants. Mais quand même je
donnerai de l’intelligence à tes enfants blancs et du papier blanc
pour qu’ils y portent leurs idées. A tes enfants noirs, je donnerai la
boue, le sabre d’abatis et la hache pour se nourrir, fabriquer ce qu’il
faut et vivre contents »

Konos de Guinée 24
De la pensée au langage

Pourquoi parlons-nous
plusieurs langues?

"Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables" Et


l'on sait que, à ce moment, les hommes se sont révoltés contre
Dieu, tenté de l'égaler et qu'il les en a châtiés de la manière
suivante: Allons, descendons! Et ici même confondons leur langage,
de sorte que l'un ne comprenne pas le langage de l'autre. L'Éternel
les dispersa de ce lieu sur toute la face de la terre et les hommes
renoncèrent à bâtir la ville"

Genèse, XI

25
De la pensée au langage

Une origine unique


ou plurielle? (1)

Les langues ont-elles une origine commune,


une protolangue de laquelle seraient nées
toutes les langues, ou bien y a-t-il eu
émergence de plusieurs dialectes à différents
endroits?
Polygénisme ou monogénisme?

Les partisans du polygénisme


affirment que les premiers hommes ne
partageaient que le potentiel de la
faculté de parler.
Carte des migrations humaines élaborée à partir de la génétique
mitochondriale des populations. Les chiffres représentent le nombre de
millénaires avant aujourd’hui.

26
De la pensée au langage

Une origine unique


ou plurielle? (2)
Le monogénisme postule l’existence d’une protolangue à partir
de laquelle toutes les langues humaines actuelles auraient
dérivé. C’est le cas de chercheurs comme Meritt Ruhlen qui
tentent de remonter les racines étymologiques des langues
pour en trouver une commune.
Exemple: le mot mère est étrangement similaire dans des
langues aussi différentes que le latin, l’anglais, l’allemand,
le russe, le lituanien, l’irlandais ou le sanscrit. Cela donne:
mater, mother, mutter, mat’, motyna, mathair, matar.
Par ailleurs, on trouve des «universaux du langage»: par
exemple, l’organisation des phrases en sujet-verbe-
complément ou encore la marque du pluriel à la fin des
noms.
Les 430 langues de la famille indo-européenne proviennent
d’une protolangue née il y a des milliers d’années en
Anatolie (la Turquie actuelle). Il est envisagé que les 26
grandes familles linguistiques dérivent d’une même
«langue mère» qui aurait pris naissance au sein d’une
population africaine, il y a 50 000 ou 60 000 ans.

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De la pensée au langage

Naissance et vie des langues (1)


Naissance en direct d’une langue. Après la
révolution sandiniste de 1979 au Nicaragua, le
gouvernement a mis en place un programme
scolaire pour des élèves sourds et analphabètes.
En 1983, deux écoles abritaient 400 enfants. Ces
derniers ont commencé à inventer des signes
(mimicas) pour communiquer entre eux. Pour
comprendre le phénomène, le ministre de
l’Education a fait appel à Judy Shepard-Kegl, une
spécialiste de la langue des signes à la
Northeastern University de Boston. Cette dernière
a d’abord eu des échanges avec des adolescents.
Elle a pu déchiffrer des signes indiquant
“maison” ou “quoi de neuf?” mais ne comprenait
rien aux autres mimicas. Elle s’est alors
retournée vers des enfants plus jeunes. Ceux ci
étaient beaucoup plus avancés, avec notamment
une grammaire incluant notamment l’accord des
verbes selon les caractéristiques (sexe, nombre,
emplacement) du sujet. Les plus anciens
apprennent cette langue des plus jeunes. On
compte actuellement entre 900 et 1200
28
utilisateurs de cette nouvelle langue.
De la pensée au langage

Naissance et vie des langues (2)


Une robo-langue. L’AIBO est une famille de robot
créée par Sony. AIBO signifie compagnon en
japonais, il peut être interprété aussi dans le sens
A.I (artificial intelligence) bo (bot, robot). Grâce à
une caméra, des micros, des capteurs de contact,
des capteurs électrostatiques, infrarouge, de
pression, d'accélération, de vibration et de
température, le robot est capable de percevoir
son environnement (y compris les humains) et de
réaliser des actions en fonction de sa perception.
Il possède 5 instincts (l’affection, la curiosité,
l’exercice, la faim et le sommeil) et il est capable
d’exprimer 6 émotions différentes : le bonheur, la
tristesse, la colère, la surprise, la peur et le
dégoût.

L’expérience: deux Aibos déambulent autour


d’une balle. Quand chacun a celle-ci et son En 5000 lancers, les Aibos ont crée des phrases comme « pugiza
partenaire dans son champ visuel, il s’arrête. Un titelu », ladole gugita » ou « remibu voxuna votozu fupowi » qui
signifient « la balle s’est arrêté à ma gauche », « la balle roule devant
chercheur bouge alors la balle. Ils la suivent du toi » ou « la balle roule de ta gauche à ma droite »
regard jusqu’à ce qu’elle se fige. L’un des robots
dit ce qu’il a vu. L’autre acquiesce: il a compris.
Une langue est née. 29
De la pensée au langage

Vie et mort des langues


Langues mortes encore usitées: grec, latin, yidish…

Langues mortes disparues: Au moins 30 000 langues


sont nées et ont disparu au cours des 5 000 dernières
années. Au XVIe siècle, on comptait près de 14 000
langues.

95% des langues sont parlées par 6% de la population.


Près de 113 langues andines et amazoniennes reculent
devant l’espagnol et le portugais. 1900 langues sont
utilisées par moins de 1000 locuteurs.

Un idiome s’éteint tous les 15 jours et plus d’une


langue sur deux aura disparu d’ici la fin du siècle car
elle n’aura pas été enseignée par les parents à leurs
enfants.

En Australie, une langue, l’amurdag, était considérée


disparue. Mais on a retrouvé un homme, un seul, qui la
parlait encore.

30
1. Le langage est-il inné?
2. Comment apprenons-nous?
3. Quand apprenons-nous?
4. Existe-t-il une différence homme-femme?

31
De la pensée au langage

Le langage est-il inné?


Le petit d’homme, perdu dans la jungle peu après sa
naissance, apprend la langue des animaux.

Conserve-t-il sa capacité à parler la langue des hommes?


32
De la pensée au langage

Le langage est-il inné?

Au Moyen Age, l'empereur allemand Frédéric II


de Hohenstaufen chercha à savoir quelle
langue parlaient Adam et Eve. Selon le moine
franciscain Salimbene di Adam, « il demanda à
des nourrices d'élever les enfants, de les
baigner, de les laver, mais en aucune façon de
babiller avec eux ou de leur parler, car il
voulait savoir s'ils parleraient l'hébreu, le plus
ancien des langages (c' est tout au moins ce
que l'on croyait à cette époque) ou le grec, ou
le latin, ou l'arabe, ou peut-être encore le
langage des parents dont ils étaient issus ».
« Mais il œuvra pour rien, car tous les enfants
moururent... En effet, ils ne pouvaient pas
survivre sans les visages souriants, les
caresses et les paroles pleines d'amour de
leurs nourrices ».

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De la pensée au langage

La Gang Mahal ou «maison


des idiots»
L'expérience de Akbar le Grand (1542-1605),
empereur Mogol
« Il fit enfermer dans un Château, situé à six lieues
d'Agra, douze enfans à la mamelle. On les fit élever par
douze nourrices muettes, auxquelles on donna un portier
muet comme elles. Le Portier avoit défence, sous peine
de la vie, d'ouvrir jamais les portes du Château. Quand
les enfans eurent atteint l'âge de douze ans, Akbar les fit
venir en sa présence. Il rassembla alors dans son Palais
des gens habiles en toutes les langues. [ ] Lorsque ces
enfans parurent devant l'Empereur, on fut tout étonné
qu'ils ne parloient aucune langue. Ils avoient appris de
leur nourrice à s'en passer. Seulement ils exprimoient
leurs pensées par des gestes qui leur tenoient lieu de
paroles. Enfin ils étoient si sçauvages & si honteux,
qu'on eut bien de la peine à les apprivoiser, & à délier
leurs langues, dont ils n'avoient presque point fait
d'usage dans l'enfance »
François Catrou (1708) Histoire Générale de l'Empire du Mogol
depuis sa fondation

34
De la pensée au langage

Non, le langage n’est pas inné

Victor de l’Aveyron, découvert Genie, née en 1970 à Los Angeles. Maltraitée et


en 1800, à l’âge de 12 ans. Après isolée du reste du monde par une mère aveugle et
avoir été isolé toute sa un père dépressif, elle a été découverte à 13 ans.
jeunesse, les seuls mots jamais Communique avec quelques mots (« sauce tomate
appris ont été: lait et Oh Dieu acheter magasin »), certains signes et le dessin 35
De la pensée au langage

L’énigme de Kaspar Hauser,


« l’orphelin de l’Europe »
Kaspar Hauser apparaît le 26 mai 1828 dans une rue de
Nuremberg, épuisé, titubant, gesticulant et grognant de façon
incompréhensible. Il tient à la main une lettre adressée au
capitaine Wessnich, commandant d’un régiment de chevaux-
légers. La lettre précise que le père de Kaspar aurait appartenu à
ce régiment et un autre billet, joint à la lettre, le déclare né le 30
avril 1812. Les seuls mots qu'il est capable de prononcer sont :
«cavalier veux comme père été». Il sait aussi écrire son nom :
«Kaspar Hauser».
Il parvient peu à peu à assimiler un vocabulaire suffisant pour
raconter son histoire : vivant dans un réduit sombre, il dormait
sur la terre battue ou la paille sans jamais voir personne ; les
derniers temps, il avait reçu la visite d'un homme vêtu de noir qui
lui avait appris à marcher et à écrire son nom. Surnommé «
l'orphelin de l'Europe » par la presse internationale, Kaspar est
hébergé chez un professeur et apprend très rapidement à lire et à
écrire.
Les analyses génétiques à partir des cheveux de Kaspar auraient
démontré qu’il était un prince de la Maison grand-ducale de Bade.
Les archives indiquent que, le 29 septembre 1812, la princesse
Stéphanie de Beauharnais, nièce de l'impératrice Joséphine et
épouse de Charles de Bade, met au monde un fils qui meurt
brutalement 15 jours plus tard. Stéphanie n'est même pas
autorisée à voir le cadavre de son enfant. Manque toutefois la
confirmation. La Maison princière de Bade s‘est toujours refusée « Hic occultus occulto occisus est »
Ici, un inconnu fut assassiné par un inconnu
à laisser analyser les os du fils de Charles et Stéphanie de Bade.
De la pensée au langage

Le langage secret de Poto et


Cabengo
Poto et Cabengo sont des vraies jumelles (de leurs
vrais noms Grace et Virginia Kennedy), qui ont
utilisé un langage secret jusqu'à l'âge d'environ
huit ans. Elles sont nées en 1970 à Columbus, en
Géorgie. Les filles ont été confiés à la garde d'une
grand-mère, qui répondait à leurs besoins
physiques, mais ne jouaient pas avec elles. La
grand-mère ne parlait que l'allemand, tandis que les
parents parlaient l'anglais. Elles n'ont eu aucun
contact avec d'autres enfants, joué en plein air
rarement, et n'ont pas été envoyées à l'école.
À l’hôpital pour enfants de San Diego,
l’orthophoniste Alexa Kratze découvra que les filles
avaient une intelligence normale et avaient inventé
un complexe idioglossia. L'analyse linguistique de
leur langue a révélé qu’elle était composée d’un
mélange d' anglais etd’ allemand.
Un exemple:
« Pinit, putahtraletungay » (finition, salade de
pomme de terre affamées)
« NIS, Poto ? » (Ceci, Poto ?)
« Liba Cabingoat, il » (cher Cabengo, mangent)
« moa de La, Poto ? » (Ici plus, Poto ?)
37
« Ya » (ouais)
De la pensée au langage

Ce qui est inné, c’est la capacité


à apprendre le langage (1)
Le langage n’est pas inné:
les enfants abandonnés par Psammetichus ne se sont pas mis à parler

Ce qui est génétiquement déterminé c’est la capacité à apprendre une


langue. Malgré leur isolement précoce, certains enfants sauvages
apprennent à parler.

L’ apprenabilité de la règle du pronom est testée chez des jeunes enfants


(3-4 ans)
Scène avec Nounours, Nicolas et Pimprenelle
« Il a mangé les crêpes quand Nounours était dans la cuisine »
« Quand il a mangé les crêpes, Nounours était dans la cuisine »

Les enfants n’ont pas véritablement besoin


d’apprendre ces règles. Noam Chomsky a forgé
l’argument dit de la «pauvreté du stimulus».
38
De la pensée au langage

Ce qui est inné, c’est la capacité


à apprendre le langage (2)
Le langage n’est pas corrélé à l’intelligence:

•  les enfants dysphasiques présentent des


difficultés de langage associées à des
capacités intellectuelles normales par
ailleurs.
•  certaines personnes atteintes d’un handicap
mental (syndrome de Williams par exemple)
ont une capacité préservée à apprendre le
langage.

Il n’y a pas de corrélation entre la capacité à


apprendre le langage et la capacité à
apprendre d’autres choses

En outre, certains déficits spécifiques pour le


langage se transmettent de manière
héréditaire.
39
De la pensée au langage

Ce qui est inné, c’est la capacité


à apprendre le langage (3)
La réinvention des langues: les « créoles »

Les enfants d’une communauté parlant un pidgin


vont spontanément enrichir cette langue sans que drôle
quiconque ait pu leur apprendre de nouvelles
règles. Cas du créole hawaïen crée en 1900.

Naissance de la langue des signes. Crée sous la


sport
forme d’un pidgin par l’abbé de L’épée dans les
années 1780, ce dernier est devenu une langue
véritable (avec la même complexité grammaticale
qu’une langue parlée) grâce aux ajouts des enfants
arrivés plus tard.

Mais l’inné ne suffit pas. L’apprentissage est


irremplaçable.
40
De la pensée au langage

Les étapes de l’apprentissage (1)

La première année

Vers 3 mois, le langage de l’enfant se résume à des gazouillis constitués de sons produits de
manière non spécifique.

Entre 3 et 8 mois, le babillage rudimentaire de l'enfant l’amène à jouer avec sa voix, à produire
des sons très graves et très aigus, des hurlements ou des murmures.

Entre 5 et 10 mois apparaît ce qu’on appelle le babillage canonique. Il s’agit du point culminant
du développement pré-linguistique.

Vers 6-8 mois, les enfants commencent aussi à acquérir des éléments prosodiques (mélodiques
et rythmiques) spécifiques à la langue de leur environnement.

Entre 7 et 12 mois, l’enfant comprend des ordres simples et familiers accompagnés d’un geste.
C’est aussi la période du babillage mixte: les enfants commencent à produire des mots à
l'intérieur du babillage.

41
De la pensée au langage

Les étapes de l’apprentissage (2)

L ’étape du « pointer du doigt »

Vers 11-13 mois, tous les sons que l'enfant produit appartiennent à sa langue maternelle. Il utilise
de plus en plus fréquemment les gestes et les changements d'intonation pour donner du sens à
ses "proto-mots".

Juste avant les premiers mots cependant, une étape décisive doit être franchie: celle du «pointer
du doigt». En effet, jusqu’à 10 mois environ, un bébé coincé dans sa chaise haute manifestera
son désir de s’approprier un objet éloigné par un geste du bras, la paume ouverte vers le bas, et
une grande agitation.

Mais entre 11 et 13 mois, son attitude change radicalement car l’enfant parvient alors à pointer
son index pour désigner l’objet désiré. Ce simple geste plante ni plus ni moins quelque chose
dans le monde mental de l’autre.

42
De la pensée au langage

Les étapes de l’apprentissage (3)

Vers 2 ans, la compréhension du langage entendu est quasi complète et l’enfant demande ce qu’il désire en
formulant sa requête oralement. Les premières phrases de 2 ou 3 mots commencent à répondre à des règles
syntaxiques, mais n’utilisent ni pronoms ni articles, et les verbes demeurent à l’infinitif.

Vers 3 ans les déformations des mots ont presque toutes disparu et la structure syntaxique de base, sujet-
verbe-complément, est en place. Le vocabulaire compte alors près de 1000 mots et l’usage du « je » est
maîtrisé. L’enfant aime écouter des histoires, poser des questions et commence à raconter ce qu’il a fait ou
vu.

Vers 4 ans, c'est le déchaînement verbal dominé par des questions incessantes. Le temps est maîtrisé (hier,
aujourd’hui, demain…). Les « petits mots » (conjonctions) sont de plus en plus utilisés et permettent
d’enchaîner plusieurs idées dans la même phrase. À quatre ans les principales composantes du langage sont
donc en place et c’est à cet âge que les troubles spécifiques du langage peuvent être détectés.

À 5 ans, les pronoms relatifs et les conjonctions apparaissent. L'enfant conjugue et le langage est manié plus
finement même si de petites imperfections persistent. L’enfant apprend aussi à dire les choses de façon plus
appropriée au contexte. Ceci est rendu possible par le fait qu'il se distancie de sa propre perception pour
réaliser que les autres ne perçoivent pas la réalité de la même façon que lui.

À 6 ans, l'enfant utilise de plus en plus de substantifs, de verbes et d’adjectifs. Son vocabulaire compte
maintenant plus de 2500 mots.

43
De la pensée au langage

Les étapes de l’apprentissage (4)


Quand un enfant commence à parler, sa conversation est bien sûr orientée vers
les autres, mais aussi vers lui-même. Piaget et Vygosky ont nommé ce second
type de langage «le discours égocentrique». L’enfant s’en servirait pour
«réfléchir à voix haute».

La mère d’un enfant lui offre des chaussures neuves. Si quelqu’un appelle
ensuite l’enfant au téléphone et lui demande ce qu’il a reçu l’enfant peut avoir
deux réactions qui dépendent de son âge : à 3 ans, tous les enfants montrent les
chaussures au téléphone, tandis qu’à 4 ans, tous ou presque mettent des mots à
la place de l’objet. En précisant souvent que les couleurs des chaussures sont
belles, que maman est gentille, etc., l’enfant agit désormais avec des mots sur
les représentations et le monde mental de l’autre.

Un enfant acquiert le sentiment d’être soi vers l’âge de 5 mois, bien avant de
parler. L’émergence du langage requiert cependant deux choses : la maturation
neurologique, et l’environnement culturel et langagier. Vers l’âge de 3-4 ans, le
mot «mort» désigne par exemple ce qui arrive lorsqu’il fait «pan, pan !» en
pointant un adulte : celui-ci s’écroule sur le plancher en faisant une grimace.
Vers 5-6 ans, le même mot désigne l’éloignement, très loin quelque part, sur un
nuage, et pour longtemps… La maturation de son système nerveux lui permet Nombre de mots approximatifs du
alors de commencer à se représenter des choses très éloignées. Enfin, entre 7 vocabulaire d’un enfant de 0 à 3 ans.
et 10 ans, la mort désigne quelque chose d’absolu. À ce moment se forment les
connexions entre le lobe préfrontal de l’anticipation et le système limbique qui
gère les souvenirs. L’enfant accède alors à la représentation du temps. Le mot
«mort» met donc sept à dix ans pour devenir «adulte».
44
De la pensée au langage

Quelques définitions
Pour reconnaître les mots par leur son, le cerveau les décortique en phonèmes. Les
phonèmes sont les plus petites unités sonores qui servent à construire les mots d’une
langue. On peut ainsi définir un alphabet phonétique pour chaque langue. Celui du
français contient par exemple 37 phonèmes (19 consonnes, 15 voyelles, 3 semi-
consonnes) qui donnent la sonorité particulière du français.
La fonction ultime du langage est de transmettre de la signification. Une fois que l’on a
reconnu un mot par ses phonèmes, son sens va dépendre de plusieurs facteurs : ce
qu’il désigne dans le monde, le contexte de son élocution et, surtout, de la façon dont le
mot s’articule avec ses voisins dans une phrase, ce qu’on appelle la syntaxe.
Dans chaque langue, certains mots ne désignent rien en eux-mêmes, mais ont une
fonction syntaxique dans la chaîne de mots que constitue une phrase. Ces mots
«relationnels» comme et, le, un, avec montrent bien leur utilité lorsqu’ils viennent à
manquer. C’est le cas des titres de journaux ou des petites annonces où l’espace est
restreint : «Chien à donner. Mange de tout adore les enfants», «Vends armoire pour
dames aux pattes courbées», etc.
Le linguiste Noam Chomsky a montré toute la puissance de la syntaxe et son caractère
universel dans les langues naturelles. Sa fameuse phrase «Colorless green ideas sleep
furiously» (en français, «Les idées vertes incolores dorment furieusement») n’a
évidemment pas de sens, mais sa syntaxe correcte nous porte à en chercher un.

45
De la pensée au langage

Comment apprenons nous? (1)


L’apprentissage des phonèmes

Hypothèse 1: à la naissance, les bébés ne distinguent aucune


phonème puis ils apprennent à percevoir les phonèmes de
leur langue parce qu’ils les entendent dans leur
environnement.

Hypothèse 2: à la naissance, les bébés perçoivent tous les


phonèmes possibles qui pourraient exister dans n’importe
quelle langue du monde puis, petit à petit, au contact de leur
langue maternelle, ils oublient tous ceux qui ne servent pas.

Expérience de Peter Eimas (Figure 1). Non conclusive car les


enfants auraient pu apprendre les distinctions spécifiques à
leur langue en l’espace d’un mois.

Expérience de Janet Werker. Des bébés anglophones écoutent


des sons n’appartenant pas à leur langue maternelle (hindi,
salish). Entre 6 et 8 mois, 100% des bébés perçoivent les
contrastes étrangers; entre 8 et 10 mois, la performance est
intermédiaire; entre 10 et 12 mois, 0% des bébés perçoivent
les distinctions.
L’hypothèse 2 est la bonne. L’apprentissage se fait par
sélection. 46
De la pensée au langage

Comment apprenons nous? (2)


L’accent étranger
Difficulté à articuler ce que nous n’avons pas l’habitude de
prononcer ou difficulté à percevoir les sons d’une langue
étrangère?
Expérience de Christophe Pallier avec bilingues espagnols et
catalans (Figure 2). Tous étudiants à Barcelone mais
« catalans » sont nés de parents catalans et ont entendu
principalement du catalan jusqu’à 3 ans; espagnols ont
appris catalan entre 3 et 6 ans. En catalan, deux voyelles (é et
è); en espagnol, une seule. Il est donc difficile d’apprendre à
percevoir les phonèmes de la seconde langue.

Hypothèse 1: existence d’une période critique. Ex du chaton


avec œil couvert pendant les premières semaines qui
n’acquiert pas la vision en profondeur.
Hypothèse 2: existence d’une procédure d’apprentissage
spécifique pour les phonèmes qui ne fonctionne qu’une fois.
Hypothèse 3: interférence entre les langues de sorte qu’on
ne peut maîtriser plusieurs systèmes de phonèmes
simultanément.

Les trois hypothèses ne sont pas incompatibles.


H1: expérience de bilinguisme dès naissance
H3: expérience avec jeunes adultes étrangers adoptés vers
47
6-7 ans
De la pensée au langage

Quand apprenons nous? (1)


L’apprentissage des mots de la langue maternelle
Identifier la forme sonore des mots. Pas de pause comme
dans un texte écrit
« Ledécoupagedelaparoleenmotspourraitseffectuergrâceàlide « Le livre racontait l’histoire d’un chat
ntificationdesmots » grincheux qui avait mordu un facteur »

Utilisation de l’intonation pour réaliser des prédécoupages?


« Ledécoupage / delaparole / enmots / pourraitseffectuer /
grâceàlidentification / desmots »

Expérience d’Anne Christophe avec adultes et enfants


(Figure 3). Adultes appuient sur bouton dès qu’ils entendent
le mot chat. Temps mesuré en millisecondes.
Résultat: les adultes utilisent les frontières d’intonation.

Bébés de 10 mois habitués à tourner la tête chaque fois qu’ils


entendent le mot chagrin. Récompensés par un nounours qui
s’allume et s’anime.
Résultat: au mot « chagrin », ils tournent la tête dans 50%
des cas; à la phrase « un énorme chat / grimpait aux arbres »,
les bébés ne tournent la tête que dans 10% des cas.
Conclusion: les bébés de 10 mois exploitent les frontières
mélodiques pour trouver les mots dans les phrases. 48
De la pensée au langage

Quand apprenons nous? (2)


Dès trois mois, l’enfant serait prêt à
parler. Une équipe parisienne a montré
que les aires cérébrales liées au langage
s’activent chez le nourrisson de moins
de trois mois lorsque ces derniers
entendent parler. Ils ont observé une
corrélation étroite entre l’aire de la
compréhension (région temporale) et
l’aire de la production verbale (région
frontale inférieure gauche).
L’écoute de courtes phrases de deux
secondes provoque l’activation en
cascade des régions temporales puis
frontales. Ce qui est surprenant c’est
que la réponse augmente dans l’aire
frontale lorsque la phrase est répétée.
Cette région, cruciale chez l’adulte pour
la mémoire verbale à court terme,
assurerait une fonction similaire chez le
nourrisson.
Dehaene et al, PNAS, 2006

49
De la pensée au langage

Langage oral, langage écrit

Les premiers balbutiements du langage oral chez


l’humain remontent à environ 2 millions d’années
et fut accompagné par des changements
cérébraux qui ont permis de mieux le prendre en
charge. Ce n’est pas le cas du langage écrit qui
date d’il y a à peine 5 500 ans. On peut donc dire
que nous sommes biologiquement conçus pour
parler, mais pas pour lire et écrire.
Comme c’est souvent le cas, le développement de
l’enfant suit la même séquence que le
développement de l’espèce: la lecture et l’écriture
sont apprises plusieurs années après que l’enfant
ait maîtrisé le langage verbal. Ce système
graphique symbolique s’ajoute donc à un
système phonologique symbolique déjà en place

50
De la pensée au langage

Voir à travers les


yeux d’un autre

« Le langage permet ce qui ne devrait pas être


possible: voir à travers les yeux d’un autre », Oliver
Sachs, Mind’s eye

L’écrit permet au langage de voyager loin et en


silence.

En Chine, il existe de très nombreux dialectes mais


toutes les ethnies peuvent se comprendre en lisant
quelque 50 000 sinogrammes (écriture image). La
compréhension est écrite mais pas orale. D’autres
langues ont misé sur un nombre réduit de signes
(écriture phonétique). Cela économise la mémoire
mais la langue écrite est liée à la langue parlée. Il
faut apprendre chaque langue.
51
De la pensée au langage

L’alphabet selon
Victor Hugo
« Avez-vous remarqué combien l’Y est une lettre pittoresque qui a des significations sans nombre ? –
L’arbre est un Y ; l’embranchement de deux routes est un Y ; le confluent de deux rivières est un Y ; une
tête d’âne ou de bœuf est un Y ; un verre sur son pied est un Y ; un lys sur sa tige est un Y ; un suppliant
qui lève les bras au ciel est un Y." (…)
Toutes les lettres ont d’abord été des signes et tous les signes ont d’abord été des images." La société
humaine, le monde, l’homme tout entier est dans l’alphabet. (…)
" A, c’est le toit, le pignon avec sa traverse, l’arche, arx ; ou c’est l’accolade de deux amis qui
s’embrassent et qui se serrent la main ; D, c’est le dos ; B, c’est le D sur le D, le dos sur le dos, la brosse ;
C, c’est le croissant, c’est la lune ; E, c’est le soubassement, le pied-droit, la console et l’architrave, toute
l’architecture à plafond dans une seule lettre ; F, c’est la potence, la fourche, furca ; G, c’est le cor ; H,
c’est la façade de l’édifice avec ses deux tours ; I, c’est la machine de guerre lançant le projectile ; J, c’est
le soc et c’est la corne d’abondance ; K, c’est l’angle de réflexion égal à l’angle d’incidence, une des clefs
de la géométrie ; L, c’est la jambe et le pied ; M, c’est la montagne, ou c’est le camp, les tentes
accouplées ; N, c’est la porte fermée avec sa barre diagonale ; O, c’est le soleil ; P, c’est le portefaix
debout avec sa charge sur le dos ; Q, c’est la croupe avec sa queue ; R, c’est le repos, le portefaix appuyé
sur son bâton ; S, c’est le serpent ; T, c’est le marteau ; U, c’est l’urne ; V, c’est le vase (de là vient qu’on
les confond souvent); je viens de dire ce qu’est l’Y ; X, ce sont les épées croisées, c’est le combat ; qui
sera vainqueur ? on l’ignore ; aussi les hermétiques ont-ils pris X pour le signe du destin, les algébristes
pour le signe de l’inconnu ; Z, c’est l’éclair, c’est Dieu. »
Ainsi, d’abord la maison de l’homme et son architecture, puis le corps de l’homme, et sa structure et ses
difformités ; puis la justice, la musique, l’église ; la guerre, la moisson, la géométrie ; la montagne, la vie
nomade, la vie cloîtrée ; l’astronomie ; le travail et le repos ; le cheval et le serpent ; le marteau et l’urne,
qu’on renverse et qu’on accouple et dont on fait la cloche ; les arbres, les fleuves, les chemins ; enfin le
destin et Dieu, - voilà ce que contient l’alphabet. »

Texte extrait d'Alpes et Pyrénées, Victor Hugo, Paris, 1839.


52
De la pensée au langage

Comment lisons-nous?

Sleon une édtue de l'Uvinertisé de Cmabrigde,


l'odrre des ltteers dnas un mtos n'a pas
d'ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate est
que la pmeirère et la drenèire soit à la bnnoe
pclae. Le rsete peut êrte dnas un dsérorde
ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas
porlblème. C'est prace que le creaveu hmauin
ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe, mias le mot
cmome un tuot.

53
De la pensée au langage

Deux types de mémoires (1)

L’acquisition de la langue maternelle sollicite la mémoire


procédurale, la même qui est impliquée dans l’acquisition
d’habiletés comme rouler à bicyclette ou lacer ses
chaussures. La langue maternelle finit elle aussi par
devenir automatique, sans même que l’on ne prenne
conscience des règles qui la structurent, simplement à
force de baigner dedans.

Au contraire, l’apprentissage d’une langue seconde


s’effectue par un effort conscient de mise en mémoire du
vocabulaire et des règles de cette langue. Lorsqu’elle est
apprise ainsi, une langue seconde dépendra de la
mémoire déclarative. Il arrive toutefois qu’une langue
seconde soit apprise «dans la rue», comme la première,
sans qu’on lui porte une attention particulière. Auquel
cas, elle sera elle aussi prise en charge par la mémoire
procédurale.

54
De la pensée au langage

Deux types de mémoires (2)


Une lésion cérébrale peut également rendre une personne amnésique sans affecter sa capacité de
parler sa langue maternelle (mémoire procédurale). A l’inverse, une autre lésion pourra causer de
sérieux problèmes d’utilisation automatique de la parole, mais ne pas affecter sa capacité à se
remémorer ce que la personne a appris consciemment (mémoire déclarative). D’autres observations
vont aussi dans le sens de cette distinction. Par exemple, certains patients aphasiques semblent
récupérer leur langue seconde avec plus de succès que leur langue maternelle, alors que des
patients amnésique perdent complètement accès à leur langue seconde. Les patients souffrant de la
maladie d’Alzheimer conservent pour leur part les fonctions linguistiques basées sur la mémoire
procédurale mais perdent celles liées à la mémoire déclarative comme le vocabulaire.

55
De la pensée au langage

Deux types de mémoires (3)


La mémoire procédurale pour le langage repose
sur l’intégrité du cervelet, du striatum et d’autres
ganglions de la base ainsi que sur une région
circonscrite du cortex périsylvian gauche. Les
compétences linguistiques implicites feraient
également appel au système limbique qui règle
nos émotions et nos motivations.
La mémoire déclarative repose pour sa part sur
l’intégrité de l’hippocampe, du lobe temporal
médian, et de grandes régions du cortex
associatif des deux hémisphères.
Le phénomène neuronal du seuil d’activation
influence les compétences linguistiques. Le
substrat neuronal d’une représentation requiert
une certaine fréquence d’influx nerveux pour
atteindre son seuil d’activation. Chaque fois
qu’un mot ou une construction syntaxique est
utilisée, son seuil d’activation s’en trouve
abaissé et son utilisation subséquente facilitée.
Inversement, lorsqu’un circuit neuronal est
inactif, son seuil d’activation s’élève
graduellement. Les mêmes effets s’observent
d’ailleurs au niveau moléculaire sur deux
phénomènes qui jouent sur le seuil d’activation, 56
la LTP et al LTD.
De la pensée au langage

La mémoire de travail
Certaines aires cérébrales, qui participent à la
préparation du langage, sont activées lorsqu’on se
répète mentalement quelque chose sans le
prononcer. Ceci permettrait d’augmenter le temps
de maintien en mémoire de l’information verbale en
rafraîchissant le «tampon phonologique». Ces
régions frontales gauches sont ainsi impliquées
dans le maintien actif de l'information dans la
mémoire de travail.
Certaines études faites sur des enfants ayant des
problèmes de lecture ont montré que ceux-ci
avaient en fait des problèmes de compréhension de
la syntaxe causés par une déficience de leur La traduction simultanée est la tâche verbale
mémoire de travail. peut-être la plus complexe que l’on peut
C’est aussi la mémoire de travail qui nous permet i m a g i n e r. E n t r a d u i s a n t u n d i s c o u r s
de comprendre des phrases particulièrement simultanément, un interprète doit comprendre
longue ou complexe comme par exemple: “Le ce qui est exprimé dans une langue, le garder
clown qui porte le petit garçon embrasse la petite dans sa mémoire de travail jusqu’à ce qu’il
fille”. Ce que la mémoire de travail permet, c’est de l’ait encodé dans l’autre langue, puis
garder l’information verbale à l’esprit suffisamment prononcer ce bout de discours dans l’autre
longtemps pour que la séquence de mots d’une langue, pour ensuite aussitôt se re-concentrer
phrase prenne sens. sur ce que dit le locuteur dans le première
langue et recommencer le processus. 57
De la pensée au langage

Existe-t-il un dimorphisme
sexuel? (1)
Les femmes préfèrent parler de leurs états Des études démontrent que certaines difficultés de
d’âme tandis que les hommes aiment mieux communication dans la vie de couple
discuter de sujets impersonnels. Pour les proviendraient du fait que les hommes et les
femmes, parler est avant tout un moyen femmes utilisent le langage à des fins différentes.
d’entrer en relation alors que pour les Par conséquent, chaque sexe interprète ce que dit
hommes c’est davantage un moyen de l’autre selon ses propres critères, ce qui
transmettre de l’information. occasionne des malentendus.
Par exemple, selon une étude menée auprès Ainsi, le fait que les hommes sont naturellement
de 6609 individus dans 5 pays d’Europe, 66% moins loquaces que les femmes dans l’intimité ne
des femmes sont l’utilisateur principal du doit pas être pris pour un signe de rejet ou
téléphone tandis que 76% des hommes le d’indifférence par les femmes. Pas plus que le
sont pour l’ordinateur, ce qui appuie la besoin d’échange des femmes ne doit être perçu
préférence des premières pour les sujets comme une façon de contrôler la relation par les
personnels et celle des seconds pour des hommes.
sujets extérieurs. Autre cas de figure classique : alors que la femme
Les femmes utilisent aussi plus souvent le veut simplement discuter de ses problèmes,
«je» ainsi que des mots sociaux reliés aux l’homme cherche immédiatement une solution.
personnes; alors que les hommes utilisent Certains ont même comparé le degré de difficulté
plutôt le «nous» et s’intéressent davantage de la communication dans un couple à une
aux objets et aux événements. communication interculturelle !

58
De la pensée au langage

Existe-t-il un dimorphisme
sexuel? (2)
Quatre personnes aphasiques sur cinq sont des Les femmes sont avantagées en ce qui
hommes ! Le cerveau des femmes semble donc concerne plusieurs aptitudes verbales,
avoir une organisation pour le langage qui le rend comme par exemple la fluidité qui permet de
plus résistant que celui des hommes aux aphasies. dire le maximum de mots ou de phrases
Même lorsque les dommages cérébraux sont dans un temps limité. De plus, les troubles
comparables, les femmes s’en tirent généralement du langage sont plus fréquents chez les
avec moins de déficits langagiers que les hommes. garçons, peu importe le type d’éducation
reçu. Par exemple, 4 fois plus de garçons
Alors que les hommes ont tendance à parler peu
que de filles souffrent de bégaiement, de
dans les situations intimes, ils peuvent devenir très
dyslexie ou d’autisme.
volubiles en public. Si les hommes parlent
davantage et plus longtemps que les femmes en
public, il semble que ce soit lié au fait qu’il s’agit de Bien que d’autres facteurs ne soient pas
bonne occasion de confirmer ou de s’approprier un exclus, la testostérone, qui retarde le
statut social. En revanche, les femmes développement de l’hémisphère gauche,
préféreraient s’exprimer dans la sphère privée qui pourrait être impliquée pour expliquer ce
privilégie l’expression des émotions. phénomène.

59
1. Qu’est-ce qu’une dysphasie?
2. Qu’est-ce qu’une aphasie?
3. Pourquoi bégaie-t-on?

60
De la pensée au langage

Les troubles du langage

Il est commode de distinguer parmi les troubles du langage ceux qui apparaissent
durant le développement, ou dysphasies, de ceux qui surgissent suite à une lésion, ou
aphasies.
La dysphasie est une anomalie du développement du langage lié au mauvais
fonctionnement des régions du cerveau qui traitent le langage. Les enfants
dysphasiques entendent bien mais sans saisir le sens des mots ou l’ordre du discours.
Ce déficit est toutefois circonscrit au domaine langagier et l’enfant fait preuve par
ailleurs d’une intelligence tout à fait normale. Il ne s’agit pas non plus de troubles
relationnels puisque les enfants dysphasiques cherchent à communiquer par tous les
moyens, à l'inverse des enfants autistes par exemple.
Les causes de la dysphasie demeurent mystérieuses et multifactorielles. Il semble y
avoir une composante génétique puisqu’il existe des formes familiales de dysphasie et
que les garçons sont trois fois plus touchés que les filles. Mais l’exposition à la langue
et les interactions précoces pourraient aussi jouer un rôle, d’où l’appellation de
troubles neuro-développementaux pour désigner les dysphasies.

61
De la pensée au langage

Les dysphasies
Les troubles dysphasiques les moins graves et les plus faciles à traiter sont les
troubles articulatoires. Ils portent le plus souvent sur les consonnes. Les troubles
articulatoires comprennent par exemple le chuintement ou le zézaiement. Ils peuvent
aussi se traduire par l’omission permanente d’un son ou par des remplacements de
phonèmes. Ainsi, «radio» deviendra «adio» ou «chat» deviendra «ta».

Les retards de la parole constituent une autre catégorie de dysphasie. Ils peuvent être
dûs par exemple à une mauvaise perception des sons, bien que l’enfant ne soit pas
sourd.

D’autres dysphasies concernent les troubles de la composante syntaxique du langage.


Normalement, celle-ci se met en place de façon naturelle autour de 3 ans. Mais les
enfants de 4 ou 5 ans atteints de ce trouble montrent encore une grammaire incorrecte,
parlent en style télégraphique, emploient à mauvais escient les pronoms personnels, ou
ne conjuguent pas les verbes.
Les difficultés langagières reliées à la dysphasie ne sont pas insurmontables : une
évolution favorable est souvent la règle, mais l’enfant parle tard et son langage garde
généralement, à des degrés variables, la marque du trouble initial.

Les enfants dysphasiques accusent généralement assez tôt un retard sur les
étapes normales de développement du langage. Ils resteront par exemple
silencieux la première année de leur vie, ne diront pas encore de vrais mots (papa,
maman…) à 18 mois, ne diront pas de phrases de 2 - 3 mots à 2 ans ou ne
commenceront pas à poser des questions avec « pourquoi » vers l’âge de 3 ans. 62
De la pensée au langage

La dyslexie
H.C Andersen
La dyslexie consiste en une difficulté plus ou
moins grande à apprendre à lire et à écrire. C’est
un trouble du développement que l’on découvre
quand l’enfant apprend à lire, vers 6 – 7 ans et qui
est plus fréquent chez les garçons et chez les
gauchers.
L. Pasteur

La personne dyslexique confond différents sons


(p et b, f et v) ou des lettres proches visuellement
(m et n). Des lettres peuvent aussi leur apparaître
renversée (un d vu comme un b) ou même des
mots (sac vu comme cas). Dans la dyslexie dite
profonde, les patients lisent carrément un mot A. Rodin
pour un autre, les deux mots étant liés par le sens
(par exemple «vache» à la place du mot «cheval»). T. Edison
La dyslexie touche 5 % à 10 % des gens dont les
autres capacités cognitives sont par ailleurs tout à
fait normales. Le degré des atteintes varie
beaucoup chez les personnes dyslexiques, allant
de légères difficultés de lecture à
l'analphabétisme complet.

A. Einstein L. De Vinci 63
De la pensée au langage

L’autisme
L'autisme est un trouble du
développement, qui se manifeste dès les
premières années de vie de l'enfant.
Les signes sont divers et d'intensité
différente d'une personne à l'autre; ils
varient avec l'âge:

• L 'enfant est indifférent ou réagit


bizarrement aux autres
• L'enfant ne parle pas ou a un langage
inhabituel (répétition de mots ou de
phrases entendus en écho)
• L'enfant ne s'intéresse pas aux objets
ou joue d'une manière étrange (agite ou
fait tourner des objets de manière
répétitive).
• L'enfant réalise des activités répétitives
avec son corps (agitation des mains,
64
tournoiement, etc.)
De la pensée au langage

Les aphasies

L'aphasie est un trouble du langage acquis suite à une lésion survenant à un moment précis
dans la vie d’un individu qui maîtrisait déjà le langage. Le plus souvent d’ailleurs, l’aphasie
n’altère pas les facultés cognitives, ni l’aptitude à mobiliser les muscles utilisés dans
l’articulation des mots.
La lésion à l’origine de l’aphasie affecte l’hémisphère dominant et ses causes peuvent être
multiples : un accident vasculaire cérébral, un traumatisme crânien (accident de la route,
chute, etc), une tumeur cérébrale, un processus dégénératif (maladie d’Alzheimer…), une
infection (encéphalite…).
Bien qu’on ait établi une classification des différents types d’aphasie et que deux grandes
catégories se démarquent, on trouve rarement des cas « pures » de ceux-ci. C’est que les
lésions cérébrales à l’origine des aphasies endommagent généralement plusieurs régions du
cerveau en même temps.

65
De la pensée au langage

L’aphasie de Broca

L’individu qui en souffre cherche ses mots, parle au ralenti et son discours a un style
télégraphique. À la question: « Pourriez-vous expliquer ce que vous faites à l’hôpital ? », un
patient aphasique répond par exemple : « Oui. Bien sûr. Moi vais, euh, heu, neuf heures,
parler… deux fois…lire…éc…, euh écri…, écrire…pratiquer… progres…-ser. »

L’aphasique utilise surtout les mots qui ont un contenu et a de la difficulté avec ceux qui ont
seulement une fonction syntaxique (articles, pronoms, conjonctions) ainsi qu’avec les
terminaisons des verbes conjugués. Il leur est également très difficile de distinguer le sujet de
l’objet dans les phrases à la forme passive (par exemple, «l’élève est félicité par le maître»).

La compréhension d’un aphasique de Broca est généralement assez bien conservée,


contrairement à l’autre forme fréquente d’aphasie, celle de Wernicke.

66
De la pensée au langage

L’aphasie de Wernicke

Au niveau de la production langagière, le jargon, les néologismes et autre mots


incompréhensibles ponctuent le discours. La grammaire est souvent intacte, mais il y a tant
de mots mal utilisés que la conversation avec un aphasique de Wernicke est très difficile et
n’est pas sans rappeler la fameuse phrase de Chomsky «colorless green ideas sleep
furioulsy ».

À la question : «Qu’est ce qui vous a amené à l’hôpital ?», le patient aphasique de Wernicke
répond par exemple : «Eh bien, je transpire, je suis terriblement nerveux, vous savez, de
temps en temps, je ne peux plus bouger, alors que, d’autre part, vous savez ce que je veux
dire, il faut que je m’agite, regarde tout ce qui se passe, et tout le reste avec.» Un autre à qui
l’on demande de décrire une tortue répond : « la torpie, un amidjan qui va dans les jardins ».

Le discours d’un aphasique de Wernicke est donc un étrange mélange de clarté et de


charabia soutenu par un débit qui demeure très fluide. Enfin, contrairement aux personnes
atteintes d'aphasie de Broca, les aphasiques de Wernicke ne présentent habituellement pas
d’atteintes neurologiques au niveau moteur (hémiplégie).

67
De la pensée au langage

Les autres aphasies (1)

Les aphasies vont de subtiles altérations du discours à la suppression complète de la parole.

L’aphasie globale équivaut à avoir à la fois une aphasie d’expression et une aphasie de
compréhension. De vastes lésions au cortex frontal, temporal et pariétal conduisent à une
perte totale de la capacité de comprendre le langage, de le parler, de lire ou d'écrire.

Ceux qui souffrent d’aphasie globale ne parviennent à prononcer que très peu de mots qui ne
sont liés par aucune syntaxe. Ces personnes ont tout au plus une certaine forme de langage
automatique, spécialement des exclamations émotionnelles. Les expressions faciales, les
gestes des mains et l’intonation vocale peuvent également être préservés.

Dans l’aphasie de conduction, la compréhension et l’expression verbale spontanée sont


normales. Ces patients ont toutefois beaucoup de difficultés quand on leur demande de
répéter des mots ou des phrases. Quand ils s’y essaient, ils mêlent les sons dans les mots et
font de nombreuses transformations et omissions de mots.

68
De la pensée au langage

Les autres aphasies (2)


Dans l’aphasie anomique, la principale difficulté consiste à retrouver certains mots, alors que la
structure syntaxique durant l’expression verbale est correcte. Ces aphasiques compensent la
difficulté à trouver le mot juste par d’autres mots plus vagues («chose» ou «truc»). Ou encore
par des périphrases comme «l’instrument qu’on porte au poignet et qui dit l’heure». Si on lui
une photo de John F. Kennedy, il dira que c’était le président des États-Unis, qu’il a été
assassiné, mais ne trouvera son nom que si vous l’aidez en disant « John F… ». La
communication avec un patient anomique demeure toutefois possible si l’interlocuteur connaît
le contexte ou le sujet de conversation.
De nombreuses autres formes d’aphasie moins fréquentes ont été décrites:
•  l’alexie, où le patient est incapable de lire tout en demeurant capable d’écrire;
•  l’agraphie, où le patient raisonne normalement, mais il est incapable d'écrire;
•  l’anarthrie où le patient est incapable d'articuler les mots qui pourraient traduire sa pensée;
•  l’aphasie progressive, qui s’installe insidieusement et amène un manque de mot qui
s’accentue peu à peu;
•  l’aphasie sous-corticale, qui présente une variétés de symptômes rencontrés dans les autres
aphasies;
•  l’aphasie motrice transcorticale, caractérisée par des anomalies de l’expression spontanée
mais où le patient se distingue de l’aphasique de Broca par sa capacité à répéter de longues
phrases, alors que l’aphasique de Broca ne peut répéter que de simples mots.

69
De la pensée au langage

Les autres aphasies (3)


Les patients aphasiques qui conservent une L’un des types d’aphasie les plus rares et les
bonne compréhension et sont motivés à plus curieux est le syndrome des accents
réapprendre à parler ont de bons pronostics étrangers («foreign accent syndrome», en
de récupération langagière. L’amélioration anglais). Du jour au lendemain, les
peut se poursuivre pendant près de 3 ans personnes qui en sont atteintes (moins de 20
après la l’accident. À l’opposé, s’il n’y a pas cas rapportés au cours des 80 dernières
eu d’amélioration au bout de 3 mois, les années) se mettent à parler avec ce qui
pronostics sont assez sombres. ressemble à un fort accent étranger. Une
femme qui était née et avait vécu toute sa vie
à Boston sans jamais avoir voyagé outre-mer
ou avoir appris une langue étrangère s’est
L’anosognosie désigne un état où le patient ainsi retrouvée un bon matin à parler anglais
dénie son handicap, qu’il soit moteur comme si elle avait été d’origine française!
(hémiplégie), mnésique (amnésie) ou encore Une analyse acoustique du discours de cette
langagier (aphasie). Dans le cas de l’aphasie
femme a par la suite montré qu’elle ne parlait
de Wernicke par exemple, le patient n'a pas
pas réellement avec un accent français. Elle
conscience de la désorganisation de son
s’exprimait plutôt avec un trouble de
langage. Ni de ses difficultés à comprendre le
production de la parole qui s’apparentait au
discours des autres. Le fait que le patient «ne
niveau du spectre acoustique à l’imitation de
sait pas qu’il ne sait pas» complique la
l’accent étranger que peuvent faire les
communication avec eux.
comédiens.

70
De la pensée au langage

Aphasie et langue étrangère

Chez les personnes sourdes qui utilisent le


Il est difficile de prédire les effets d’une lésion langage des signes, les lésions de l’hémisphère
cérébrale sur les facultés langagières des gauche entraînent des déficits du langage
personnes bilingues. L’ordre dans lequel les comparables à ceux observés chez l’aphasique
langues ont été apprises, la facilité d’expression verbal. Il existe par exemple des cas très proches
dans chacune des deux langues ainsi que la de l’aphasie de Broca où il devient très difficile
langue utilisée la plus récemment sont tous des pour la personne de parler avec ses mains, mais
facteurs qui peuvent influencer la récupération où ni sa compréhension, ni ses gestes autres que
d’une ou des deux langues. ceux impliqués dans le langage des signes ne
On sait par exemple que si le sujet a appris les sont altérés.
deux langues en même temps, la lésion affecte De même, il existe une manifestation de l’aphasie
habituellement les deux langues de la même de Wernicke chez les sourds. La personne utilise
façon. Pour des langues apprises à des moments alors les signes avec facilité, mais se trompe
différents, l’une d’elle sera vraisemblablement souvent tout en ayant de la difficulté à
plus affectée que l’autre. comprendre les gestes d’autrui.

71
De la pensée au langage

Aphasie et troubles moteurs


Chez les aphasiques de Broca, à l’incapacité à
communiquer s’ajoute souvent d’autres
déficits créés par les dommages au lobe Selon certains spécialistes, la gravité des
frontal gauche. La paralysie du côté droit du aphasies de Broca et de Wernicke dépend de
corps est la plus fréquente. Cette paralysie l’étendue du cortex affecté par la lésion en
peut être sévère (hémiplégie) ou légère dehors des aires de Broca et Wernicke.
(hémiparésie).
Des structures sous-corticales non
On observe aussi des cas d'apraxie où la représentées dans le modèle, comme le
personne est incapable d'exécuter des thalamus et le noyau caudé, ont aussi une
mouvements volontaires alors que ces influence sur l’aphasie. Les attaques cérébrales
mêmes mouvements peuvent être faits de qui lèsent à la fois les structures corticales et
façon automatique (lécher un cornet de crème sous-corticales amènent des déficits plus
glacée et être incapable de sortir la langue graves que les lésions uniquement corticales.
volontairement). La vision peut même être
affectée par la présence d'une hémianopsie, Enfin, le fait que l’on observe souvent une
c'est-à-dire la perte d'une partie du champ récupération importante du langage après une
visuel. attaque cérébrale indique aussi que d’autres
aires cérébrales peuvent compenser ce qui a
Tous ces problèmes associés impliquent disparu.
qu'en plus d'une rééducation du langage, une
physiothérapie et une ergothérapie peuvent
être nécessaires.

72
De la pensée au langage

Le bégaiement

Le bégaiement n’est pas à proprement parler un trouble du langage. C’est un trouble du


débit de l’élocution en situation de communication qui touche quatre fois plus les garçons
que les filles. Le bégaiement émerge entre deux et cinq ans chez l'enfant qui a hérité d'un
système de parole plus fragile. D’autres deviennent bègues d’un coup, à la suite d’un choc
psychologique comme un décès dans la famille. En général, les sons surtout affectés par le
bégaiement sont les sons « durs » du type « q », « g », « p », etc. Le bégaiement est dit
clonique lorsque l’élément répété est une syllabe (« je veux pa-pa-pa-pa-pa partir ») et
tonique lorsqu’il s’agit du premier phonème seulement (« je veux p-p-p-p-p partir »).

Le bégaiement disparaît quand la personne chante, récite un texte ou le lit. En fait, toutes
situations qui ne le placent pas en situation de communication spontanée et nécessitent
une adaptation conséquente de la prise de souffle. Comme le bégaiement est un problème
intimement relié à la "mécanique de la parole", les personnes qui bégaient sont sensibles
au stress, à la fatigue, aux émotions et à l'excitation. Enfin, comme le disent certains
spécialistes pour souligner le fait qu’on connaît au fond encore très mal le bégaiement : «
La seule différence entre une personne qui bégaie et une autre qui ne bégaie pas, c’est que
la personne qui bégaie bégaie ! »

73
1. Existe-t-il des aires du langage?
2. Où est engrammée la deuxième langue?
3. Quelle est la plasticité du cerveau langagier?

74
De la pensée au langage

L’aire de Broca
L’année 1861 marque le début de l’identification de
régions du cerveau impliquées dans le langage.
Cette année-là, le neurochirurgien français Paul
Broca examine le cerveau d’un de ses patients qui
vient de décéder. Ce patient ne pouvait prononcer
d’autres syllabes que « tan », bien qu’il comprenait
ce qu’on lui disait. Sans être atteint d’aucun trouble
moteur de la langue ou de la bouche qui aurait pu
affecter son langage, ce patient ne pouvait produire
aucune phrase complète ni exprimer ses idées par
écrit.
En faisant l’autopsie de son cerveau, Broca a trouvé
une lésion importante dans le cortex frontal inférieur
gauche. Par la suite, Broca a étudié huit patients aux
déficits semblables qui tous avaient une lésion dans
l’hémisphère frontal gauche. Cela l’amène à déclarer
son célèbre «Nous parlons avec l'hémisphère
gauche» et à identifier pour la première fois
l’existence d’un «centre du langage» dans la partie
postérieure du lobe frontal de cet hémisphère. En
fait, l’aire de Broca fut la première région du cerveau
associée à une fonction précise, en l’occurrence le
langage. 75
De la pensée au langage

L’aire de Wernicke

Dix ans plus tard, Carl Wernicke, un polonais émigré en


Allemagne, met en évidence une autre région impliquée
celle-là dans la compréhension du langage. Elle est située
dans la partie postérieure du lobe temporal gauche. Les
patients qui ont une lésion à cet endroit peuvent parler
mais leur discours est souvent incohérent et dénué de
sens.

Ces observations ont été maintes fois confirmées et


l’on s’entend aujourd’hui sur le fait qu’il y a, autour de
la scissure de Sylvius de l’hémisphère gauche, une
sorte de boucle neurale impliquée dans la
compréhension orale du langage et sa production par
la parole. À l’extrémité frontale de cette boucle, on
trouve l’aire de Broca, habituellement associée à la
production du langage. À l’autre extrémité, plus
précisément dans la partie supérieure et postérieure
du lobe temporal, se situe l’aire de Wernicke,
associée au traitement des paroles entendues,
autrement dit à l’input du langage. L’aire de Broca et
l’aire de Wernicke sont connectées par un important Un cerveau avec une lésion responsable d’une
faisceau de fibres nerveuses appelé le faisceau aphasie de Wernicke 76
arqué.
De la pensée au langage

L’aire de Dejerine

En 1891, Jules Dejerine (1849-1917), neurologue


français, décrit une aire spécialisée dans la
lecture. La personne peut parler, comprendre le
langage oral, écrire mais ne peut plus lire, y
compris ses propres écrits. On parle de cécité
pour les mots.

77
De la pensée au langage

Les autres aires du langage (1)


Cette boucle est présente dans l’hémisphère gauche chez
environ 90 % des droitiers et 70% des gauchers, le
langage étant l’une des fonctions traitée de manière
asymétrique dans le cerveau.
Étonnamment, on la retrouve aussi au même endroit chez
les sourds muets qui utilisent le langage des signes.
Cette boucle ne serait donc pas spécifique au langage
oral ou parlé, mais serait plus largement associée à la
modalité principale du langage d’un individu.
Outre l’aire de Broca et de Wernicke, une troisième région
d’importance pour le langage, située dans le cortex
temporal, a été décrite par la suite.

À un an, le lobe temporal qui inclut l’aire de Wernicke est encore très immature et représente à peine plus de
50% de la surface du lobe temporal adulte. De plus, sa partie centrale qui, chez l’adulte, est associée au
stockage lexical, a à peine 20% de sa taille adulte. Même chose pour le lobe pariétal inférieur, relié à l’aire de
Wernicke, qui permet d’assigner des mots à des événements visuels, sonores ou somatosensoriels: ses
neurones sont relativement peu myélinisés durant la première année et sa surface est moins de 40% de celle de
l’adulte.
À environ 20 mois, âge auquel l’enfant peut dire presque 100 mots et en comprendre le double, la surface du
lobe temporal est passée à environ 65% de celle de l’adulte. À 30 mois, alors qu’il maîtrise environ 500 mots,
son lobe temporal est à 85 % de celui de l’adulte. La maturation de l’aire de Wernicke semble donc être un
facteur favorisant les capacités lexicales de l’enfant.
78
De la pensée au langage

Le territoire de Geschwind (1)


Pendant longtemps, notre compréhension des
bases cérébrales du langage était plutôt simple :
l’aire de Wernicke prenait en charge la
compréhension de la parole et la relayait à l’aire
de Broca par un dense faisceau de fibres pour que
celle-ci produisent la prononciation des phrases.
Mais des expériences en imagerie cérébrale ont
mis en évidence l’existence d’une troisième
région indispensable au langage.
Il s’agit du lobe pariétal inférieur, aussi appelé
«territoire de Geschwind» en l’honneur du
neurologue américain Norman Geschwind qui en
avait déjà pressenti l’importance dans les années
1960. Grâce à l’imagerie cérébrale, on a pu
montrer que le cortex pariétal inférieur était
connecté par d’importants faisceaux de fibres
nerveuses à la fois à l’aire de Broca et à l’aire de
Wernicke. L’information pourrait donc transiter
entre ces deux régions soit directement par le
faisceau arqué, soit en passant par le territoire de
Geschwind, une seconde route parallèle. 79
De la pensée au langage

Le territoire de Geschwind (2)

Le lobe pariétal inférieur de l’hémisphère


gauche occupe un endroit clé dans le cerveau,
à l’intersection des cortex auditif, visuel et
somatosensoriel avec qui il est massivement
connecté. De plus, les neurones de cette région
ont la particularité d’être « multimodaux »,
c’est-à-dire qu’ils sont capables de traiter
simultanément des stimuli de différentes
natures (auditif, visuel, sensorimoteur…). Ces
caractéristiques font donc du lobe pariétal
inférieur un candidat idéal pour appréhender
les multiples propriétés d’un mot : son aspect
visuel, sa fonction, son nom, etc. Il aiderait
ainsi le cerveau à classifier et à étiqueter les
choses, une condition préalable pour former
des concepts et une pensée abstraite.

80
De la pensée au langage

Le territoire de Geschwind (3)

Le lobe pariétal inférieur est l’une des dernières


structures du cerveau à s’être développé durant
l’évolution. Il existerait sous une forme
rudimentaire dans le cerveau des autres primates,
ce qui indique que le langage aurait pu évoluer
grâce aux changements survenus dans des
réseaux neuronaux préexistants, et pas
nécessairement suite à l’apparition de structures
cérébrales complètement nouvelles.
Le lobe pariétal inférieur est aussi l’une des
dernières structures à devenir mature chez
l’enfant et l’on a des raisons de penser qu’il
jouerait un rôle clé dans l’acquisition du langage.
Sa maturation tardive expliquerait entre autres
pourquoi les enfants doivent attendre d’avoir 5 ou
6 ans avant de commencer à lire et à écrire.

81
De la pensée au langage

Des sous-régions au sein de


l’aire de Broca
Au fil des ans et surtout depuis l’avènement de l’imagerie cérébrale, les frontières anatomiques et
fonctionnelles des aires du langage ont beaucoup varié. Il est probable, comme c’est le cas dans
d’autres systèmes, que ces variations reflètent l’existence de plusieurs sous-régions aux
fonctions distinctes.

On identifie généralement l’aire de Broca


comme chevauchant les aires 44 et 45 de
Brodman situés à l'avant de l’aire prémotrice
dans la région inféro-postérieur du lobe frontal.
Bien que ces régions contribuent toutes deux à
notre fluidité verbale, il semble que chacune ait
une fonction particulière et que l’aire de Broca
puisse être ainsi séparée en deux unités
fonctionnelles.

La partie postérieure du gyrus frontal extérieur (aire 44) serait impliquée dans le traitement
phonologique et la production comme telle du langage, rôle qui serait facilité par sa position
proche des centres moteurs de la bouche et de la langue. La partie antérieure de ce même gyrus
(aire 45) serait davantage impliquée dans les aspects sémantiques du langage. Sans être
directement impliquée dans l’accès au sens, l’aire de Broca participe donc à la mémoire verbale
(sélection et manipulation d’éléments sémantiques). 82
De la pensée au langage

Des sous-régions au sein de


l’aire de Wernicke (1)
Tout comme l’aire de Broca, l’aire de Wernicke n’est
plus perçue comme une région anatomique et
fonctionnelle uniforme. L’analyse de plusieurs
expériences en imagerie cérébrale amène en effet à
distinguer une sous-région répondant à la parole (y
compris celle du sujet) et aux autres sons, une autre
qui répond uniquement à des paroles prononcées
par quelqu’un d’autre en plus d’être activée par le
rappel d’une liste de mots, et une autre encore qui
serait davantage liée à la production de la parole
qu’à la perception. Ces résultats demeurent toutefois
compatibles avec le rôle général de cette région du
lobe temporal gauche que l’on associe à la
représentation de séquences phonétiques, qu’elles
soient entendues, générées intérieurement ou
évoquées de mémoire par le sujet.

L’aire de Wernicke, dont une composante anatomique clé est le planum temporale, est située sur le
gyrus temporal supérieur, dans la portion supérieure de l’aire 22 de Brodmann. Il s’agit d’une
localisation stratégique compte tenu de ses fonctions dans le langage. L’aire de Wernicke se trouve
en effet située entre le cortex auditif primaire (aires 41 et 42) et le lobe pariétal inférieur.
Ce dernier est principalement composé du deux régions distinctes: caudalement, le gyrus angulaire
(aire 39), lui-même au voisinage des aires occipitales visuelles (aires 17, 18, 19), et dorsalement, le
gyrus supramarginal (aire 40) qui chevauche l’extrémité de la scissure de Sylvius, adjacent 83 à la
partie inférieure du cortex somato-sensoriel.
De la pensée au langage

Des sous-régions au sein de


l’aire de Wernicke (2)
Le gyrus supramarginal semble impliqué dans le
traitement phonologique et articulatoire des mots
tandis que le gyrus angulaire serait impliqué davantage
dans le traitement sémantique (de concert avec le
gyrus cingulaire postérieur). Le gyrus angulaire droit
serait également actif, révélant ainsi une contribution
sémantique de l’hémisphère droit dans le langage.
Le gyrus angulaire et supramarginal constituent une
région associative multimodale recevant des
informations à la fois auditives, visuelles et somato-
sensorielles. Les neurones de cette région sont donc
très bien placés pour traiter l’aspect phonologique et
sémantique du langage qui permet l’identification et la
catégorisation des objets. Il existe une importante variabilité de taille et de
position des aires de Broca et de Wernicke selon
Les aires du langage sont distinctes des circuits de la les auteurs qui les ont décrites. Les régions de
perception auditive des mots entendus ou de la haut niveau d’intégration sont plus hétérogènes
perception visuelle des mots lus. Le cortex auditif que les fonctions primaires, ce qui pourrait
refléter une sensibilité plus importante à
permet la reconnaissance des sons, préalable essentiel
l’influence de l’environnement et au phénomène
à la compréhension du langage. Le cortex visuel, de plasticité. L’organisation fonctionnelle du
responsable de la vision consciente du monde, est langage serait même variable chez un même
aussi crucial pour le langage en permettant la lecture individu à différents moments de sa vie !
des mots et la reconnaissance d’objets comme 84
première étape de leur identification par un nom.
Odorat et langage

Des sens diversement connectés


aux aires du langage
Le système limbique (thalamus,
hippocampe, amygdale, circonvolution
cingulaire, fornix, hypothalamus) joue un
rôle très important dans le comportement
et dans diverses émotions comme
l'agressivité, la peur, le plaisir ainsi que la
formation de la mémoire. Il influe sur le
système endocrinien et le système nerveux
autonome.

Le système limbique est parmi les plus anciennes parties


du cerveau en terme d'évolution.
De la pensée au langage

Aires du langage et bilinguisme

Chez les personnes bilingues, plus la seconde langue a Un problème général auquel se heurte toute tentative
été acquise jeune, plus les aires cérébrales de de localisation des fonctions cérébrales est l’unicité
compréhension et de production associées aux deux de chaque cerveau. En effet, si tous les cerveaux ont
langues sont similaires. Dans le cas d’une deuxième les mêmes grandes structures cérébrales, la taille et
langue apprise plus tardivement, l’imagerie cérébrale la forme de ces structures peut varier de plusieurs
révèle que ce ne sont pas toujours les mêmes aires millimètres d’un individu à l’autre. Des mesures
corticales qui sont impliquées dans la compréhension moyennes sont bien sûr utilisées, mais reste qu’une
des deux langues. D’ailleurs, des personnes bilingues lésion donnée chez différents individus ne produira
peuvent, suite à un traumatisme, perdre l’usage d’une pas toujours exactement le même déficit.
seule langue, sans que la langue préservée soit Avec les cartographies fonctionnelles des fonctions
nécessairement la langue maternelle. cérébrales normalisées pour la taille des différents
Mais le bilinguisme est un phénomène complexe dont cerveaux, on obtient un cerveau de référence mais
les bases fonctionnelles demeurent encore méconnues. un qui ne correspond à aucun cerveau d’un individu
Considérant par exemple que l’italien utilise des en particulier.
phonèmes et une syntaxe beaucoup plus proche du
français que du chinois, le cerveau d’une personne
Lorsque l’on entend un son, le cerveau distingue
bilingue français / italien fonctionnera-t-il comme celui
automatiquement s’il s’agit d’un son provenant
d’un bilingue français / chinois ? Et chez ce dernier,
existe-t-il des différences entre ceux dont la langue d’une voix humaine ou d’une autre source; ensuite si
ce son « humain » est une syllabe ou non; enfin si
maternelle est le français et ceux pour qui c’est le
chinois ? Et quel est l’effet de la fréquence d’usage c’est un véritable mot ou un pseudo-mot (groupe de
sons n’ayant pas de sens). L’écoute de ces différents
d’une langue sur l’organisation cérébrale ? Comme on
sons en imagerie cérébrale permet de distinguer
peut le constater, le nombre de paramètres susceptible
d’influencer les aires du langage du cerveau des entre les aires impliquées dans la simple écoute de
sons de celles intervenant dans leur compréhension.
personnes bilingues est considérable.
86
1. Quels sont les systèmes neuronaux en jeu?
2. Quelle est la part de l’inné et de l’acquis?
3. A quoi ressemble un cerveau de gaucher?
4. Existe-t-il une pensée sans langage?

87
De la pensée au langage

Le modèle de Geschwind
Le modèle de Geschwind, dit «connexionniste»,
s’inspire des études lésionnelles. Son hypothèse
centrale est que les troubles du langage proviennent
d’une rupture dans un réseau de modules fonctionnels
connectés en série. Selon ce modèle, chaque module
prendrait en charge les différentes caractéristiques du
langage (perception, compréhension, production, etc.)
et seraient reliés entre eux par une chaîne de
connexions bien précise.
Le son d’un mot entendu est d’abord traité dans le
cortex auditif primaire. Celui-ci transmet ensuite de
l’information à l’aire voisine, celle de Wernicke, qui
associe la structure du signal sonore avec la
représentation d’un mot conservé en mémoire. C’est
ainsi que l’aire de Wernicke permettrait de faire surgir le
sens d’un mot particulier.
S’il s’agit maintenant de lire un mot à voix haute,
l’information est d’abord perçue par le cortex visuel
pour ensuite être transférée d’abord au gyrus angulaire,
et de là à l’aire de Wernicke.

88
De la pensée au langage

Le modèle de Geschwind-
Wernicke
Qu’on l’entende ou qu’on le lise, c’est dans le
lexique mental de l’aire de Wernicke que le mot
est reconnu et correctement interprété selon le
contexte. Il serait ensuite acheminé par le
faisceau arqué à destination de l’aire de Broca
qui planifie l’élocution du mot. L’information
chemine ensuite jusqu’au cortex moteur
responsable des muscles qui s’occupent de la
prononciation physique du mot.
Le modèle Geschwind-Wernicke est donc basé
sur la localisation anatomique d’aires
cérébrales ayant des fonctions distinctes.
Grosso modo, ce modèle est en accord avec la
description des principaux troubles du langage,
comme l’aphasie de Broca ou de Wernicke.
Mais il a aussi ses limites. L’une d’entre elles
est que son organisation en série suppose que
chaque étape n’est réalisée qu’à partir du
moment où la précédente est achevée, ce qui
n’est pas toujours ce que l’on observe. Ce
modèle n’expliquant pas non plus certains
troubles partiels du langage, d’autres furent
proposés pour pallier à ces lacunes. 89
De la pensée au langage

Lecture et systèmes neuronaux

Des recherches récentes montrent qu’il pourrait y avoir au moins deux


systèmes neuronaux distincts impliqués dans la lecture. Le cerveau lirait
principalement en traduisant les caractères écrits en éléments
phonologiques correspondant dans le langage oral. Mais le cerveau ferait
aussi le lien entre l’image complète du mot écrit et sa signification, un
rappel qui pourrait en quelque sorte court-circuiter la correspondance
avec la signature phonologique du mot.
Quoi qu’il en soit, la lecture est quelque chose qui se déroule très
rapidement. On estime que le cerveau n’a que quelques dixièmes de
secondes pour traduire chaque symbole en son. La rapidité de traitement
serait à ce point cruciale pour la lecture que de légers troubles dans le
traitement de l’image, de sa couleur ou de son contraste suffiraient
rendre la lecture fastidieuse.
Des lésions majeures dans la région pariéto-occipitale gauche peuvent
quant à elles rendre une personne incapable d’écrire et/ou de lire tout en
laissant intactes ses capacités orales de langage. Mais des lésions des
aires associatives auditives comme celle de Wernicke vont empêcher à la
fois la compréhension orale et la capacité de lecture de l’individu.

90
De la pensée au langage

Le modèle de Mesulam
Dans les années 1980, Marsel Mesulam a proposé un modèle
alternatif basé sur un modèle en réseaux hiérarchisés où le
traitement de l’information procède par paliers de complexité.

Par exemple, pour les traitements simples, comme dire les mois de
l’année dans l’ordre, les aires motrices et prémotrices du langage
sont directement activées. Dire un énoncé nécessitant une analyse
sémantique et phonologique plus poussée fera pour sa part
intervenir d’autres aires en amont des aires motrices.

Pour ce qui est des paroles entendues, elles sont perçues par l’aire
auditive primaire, puis traitées par des aires dites associatives
unimodales: les régions temporales supérieures et antérieures
Localisation approximative du gyrus frontal
ainsi que la région operculaire du gyrus frontal inférieur gauche. inférieur. Il est divisé en trois parties :
operculaire, triangulaire et orbitale. La partie
Selon le modèle de Mesulam, ces aires unimodales transmettent triangulaire du gyrus frontal inférieur forme
ensuite leurs informations à deux sites d’intégration distincts : au l’aire de Broca.
pôle temporal appartenant au système paralimbique donnant accès
au système de mémoire à long terme et au système émotionnel; et
à la partie terminale postérieure du sillon temporal supérieur qui
permet l’accès au sens. Les régions triangulaire et orbitaire du
gyrus frontal inférieur participent aussi au traitement sémantique.
91
De la pensée au langage
Un traitement parallèle et non
sériel
Plusieurs chercheurs rejettent aujourd’hui les modèles
localisationnistes classiques et proposent une conception du langage
et des fonctions cognitives comme étant distribuées sur des aires
anatomiquement distinctes qui traitent l’information en parallèle
(plutôt que de façon sérielle d’une «aire du langage» à une autre).
Les tenants de cette vision «en parallèle» du traitement de
l’information linguistique acceptent tout de même une certaine
localisation des fonctions primaires, tant auditives qu’articulatoires.
Pour les tenants de ce paradigme, l’étendue de l’activation des
différentes zones de l’hémisphère gauche ainsi que le grand nombre
des processus psychologiques impliqués exclut une association
précise des fonctions à des aires anatomiques. Seulement pour le
rappel des mots par exemple, il est le produit d’un réseau très
distribué localisé de façon prédominante à gauche et incluant le lobe
temporal inférolatéral, le lobe pariétal postérieur inférieur, les régions
prémotrices du lobe frontal, le gyrus cingulaire antérieur et l’aire
motrice supplémentaire. Quant à la contribution de chaque région à
cette tâche spécifique, un réseau aussi largement distribué exclut,
pour les tenants du traitement en parallèle, l’attribution précise de
fonctions à des structures.
92
De la pensée au langage

Une activation corticale


complexe
Les études d’imagerie cérébrale ont montré à
quel point les tâches cognitives comme celles
impliquant le langage correspondent à un patron
complexe d’activation de différentes aires
distribuées sur l’ensemble du cortex. Le fait
qu’une aire cérébrale particulière s’active lors de
certaines tâches n’implique donc pas qu’elle
constitue à elle seule la localisation clairement
définie d’une fonction. En accord avec une L’accès au sens semble fonctionner selon des
conception plus distribuée des fonctions catégories qui sont localisées physiquement dans le
cerveau : la catégorie «personnage célèbre » est perdue
cognitives qui prévaut de plus en plus en quand le pôle temporal est touché et la catégorie
sciences cognitives, cela signifie seulement que «animaux» quand la lésion a lieu dans la partie
les neurones de cette région particulière du intermédiaire et inférieure du lobe temporal. Il semble
cerveau sont davantage impliqués dans cette aussi que les réseaux qui participent à l’encodage des
représentation que leurs voisins. Cela n’exclut mots fassent appel à des aires faisant partie du système
aucunement que d’autres neurones situés moteur ou visuel. Nommer des outils active les aires
prémotrices frontales et nommer des animaux recrute
ailleurs, et parfois très loin de cette région, des aires visuelles, alors que dans les deux cas les aires
puissent être tout autant impliqués dans cette de Broca et de Wernicke ne sont même pas activées.
représentation.

93
De la pensée au langage

Inné et acquis
Les capacités générales de lecture sont en
général plus développées chez la femme et
cette différence s’exprime souvent de manière
évidente dès l’école primaire. On s’interroge
encore sur la part d’inné et d’acquis qui
explique cette différence, mais il semble que la
valorisation de la lecture auprès des filles y soit
pour quelque chose. Les filles seraient donc, en
partie du moins, meilleures en lecture parce
qu’elles lisent plus, tout simplement, pendant
que les garçons se livrent souvent à des
activités sportives. Des spécialistes pensent
qu’en augmentant le temps de lecture et
d’écriture chez les garçons, et surtout en
adaptant les contenus pour les intéresser, on
pourrait réduire de façon substantielle l’écart
qui les sépare des filles. Les personnes aveugles utilisent leurs doigts
pour lire les caractères en points saillants du
Les filles semblent aussi plus performantes en braille. Chez les aveugles de naissance, on sait
ce qui concerne l’orthographe. L’utilisation de maintenant que c’est le cortex visuel qui prend
leurs deux hémisphères dans le traitement des en charge l’information en provenance des
sons (comparé aux hommes qui utilisent doigts lorsque ceux-ci lisent le braille et ce,
surtout le gauche) pourrait être ici en cause. En malgré l’absence totale d’influx visuel !
effet, on peut imaginer que mieux décortiquer
les sons d’un mot permet de mieux le décoder,
94
et donc de mieux l’écrire.
De la pensée au langage
Les anomalies corticales
de la dyslexie
On commence ainsi à identifier des signes
pathologiques variés dans le cerveau des
dyslexiques. Des anomalies évidentes dans la
Si la lecture exige le fonctionnement
disposition des cellules corticales, plus
spécialement dans certaines régions des aires coordonné du système visuel et
corticales frontales et temporales gauche, ont été linguistique, l’écriture repose pour sa
part sur l’interrelation des systèmes
rapportées. Elles se développeraient probablement
linguistiques et moteurs, ce dernier
dès le milieu de la période de gestation, période
permettant d’exécuter les gestes précis
pendant laquelle on observe une migration cellulaire
de l’écriture.
active dans le cortex cérébral.
Des changements dans les voies sensorielles des On appelle «alexie» les troubles de la
patients pourraient également être responsables de lecture et «agraphie» les troubles de
leurs difficultés à lire. Des examens post mortem ont l’écriture. Ces deux troubles du
montré que les neurones des dyslexiques étaient langage semblent dépendre de deux
plus petits que ceux des témoins dans les aires systèmes spécialisés distincts et
magnocellulaires du corps genouillé latéral où les autonomes.
neurones étaient à la fois plus petits et agencés de Une autre condition appelée «anomie»
façon désorganisée. Il se pourrait que ces anomalies consiste en une difficulté à trouver les
nuisent au traitement rapide qu’exigent des signaux noms des objets. Elle s’observe
changeants comme ceux impliqués dans la lecture. souvent suite à une lésion du gyrus
angulaire.
Des études en imagerie cérébrale ont par ailleurs
montré une activation moindre dans l’aire visuelle
V5/MT responsable de la détection du mouvement ou 95
dans la partie inférieure du lobe temporal gauche.
De la pensée au langage

La latéralisation du cerveau

Roger Wolcott Sperry, Prix Nobel en 1981

for his discoveries concerning the functional


specialization of the cerebral hemispheres

La démonstration avec Illidge Laubeuf et


Adeline Lenglet

96
De la pensée au langage

Langage et latéralisation (1)


L’une des caractéristiques anatomiques les plus
frappantes du cerveau est sa division en deux
hémisphères. Par conséquent, pratiquement toutes les
parties du cerveau humain se retrouvent en double. Ces
deux exemplaires de chaque structure cérébrale, la
gauche et la droite, ne sont cependant pas exactement
symétriques. Ils présentent souvent des différences tant
dans leur taille, leur forme que leur fonction. On nomme
ce phénomène la latéralisation cérébrale.
Les deux fonctions les plus latéralisées chez l’humain
sont la motricité et le langage. Quand une fonction est
latéralisée, cela signifie souvent qu’un des deux côtés du
cerveau prend davantage en charge la fonction en
question.
En ce qui concerne la motricité, ce phénomène est à
l’origine de ce qu’on appelle la préférence manuelle,
c’est-à-dire le fait d’être droitier ou gaucher. Les
personnes ambidextres, qui sont aussi habiles d’une
main que de l’autre, ont pour leur part un cerveau qui est
partiellement ou pas du tout latéralisé pour la motricité.
Les droitiers ont leur hémisphère «dominant» pour la
motricité dans l’hémisphère gauche et les gauchers dans
l’hémisphère droit. 97
De la pensée au langage

Langage et latéralisation (2)

Le phénomène de latéralisation dans le cerveau


implique qu’une fonction donnée est contrôlée
préférentiellement par un côté du cerveau. Les
hémisphères droit et gauche du cerveau sont ainsi
le siège de fonctions cognitives distinctes dont la
complémentarité est assurée par le corps calleux,
principal faisceau de fibres nerveuses reliant les
deux hémisphères.
La latéralisation semble être une ingénieuse
stratégie mise en place au cours de l’évolution
pour rentabiliser au mieux l’espace disponible
dans le cerveau. Elle augmente par exemple la
vitesse de traitement en évitant les longues
connexions nécessaires pour relier entre elles
deux régions situées de part et d’autre de
l’encéphale. De plus, lorsque deux zones
symétriques n’assument pas la même fonction, on
«double» d’une certaine manière les capacités
cognitives du cerveau.

98
De la pensée au langage

Si vous la voyez tourner dans le sens des aiguilles d'une montre,


vous utilisez en priorité votre hémisphère droit. Si vous la voyez
tourner dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, vous
utilisez alors votre hémisphère gauche.
Encore plus sophistiqué: http://www.newscientist.com/blogs/
nstv/2011/10/friday-illusion-dizzying-silhouettes-change-
99
direction.html
De la pensée au langage

Langage et plasticité cérébrale


L'hémisphère droit, même lorsqu’il n’est pas l’hémisphère dominant
pour le langage, participe à la compréhension de mots simples, de
phrases courtes, au langage métaphorique et à la prosodie. De plus,
lorsque l'hémisphère gauche est lésé, l'hémisphère droit peut jouer
un rôle encore plus important au niveau du langage.
C’est ce qui se passe chez de jeunes enfants qui souffrent parfois de
crises d’épilepsies fréquentes qui ne répondent pas bien aux
traitements médicamenteux et compromettent leur développement
cognitif. Or chez certains d’entre eux, le foyer épileptique peut être
localisé dans un seul hémisphère, mais l’épilepsie peut envahir les
deux lors des crises.
Une opération appelée hémisphérectomie permet d’enlever une
grande partie de l’hémisphère malade et de contrôler avec succès les
crises. Mais qu’arrive-t-il lorsque l’hémisphère enlevé est
l’hémisphère dominant pour le langage, le plus souvent le gauche ?
Si l’opération a lieu durant les premières années de la vie de l’enfant,
l'hémisphère droit prendra en charge presque parfaitement la
fonction du langage.
Ce phénomène suggère que l’hémisphère droit possède ce qu’il faut
pour s’occuper des principaux aspects du langage. Ces opérations
ont aussi montré que la plasticité de l’hémisphère droit persiste au-
delà de la période critique généralement admise pour l’acquisition du
langage. 100
De la pensée au langage

L’effet d’une lésion sur le langage

La personne cérébrolésée du côté droit peut


par exemple souffrir d’héminégligence, un
déficit qui fait en sorte que le patient néglige ou
ignore les stimuli de différentes modalités
sensorielles présentés du côté controlatéral à la
lésion.

Les dessins 2, 4, 5 et 6 ont été faits par un patient héminégligent.

Elle peut aussi être atteinte d’anosognosie, c’est-à-dire


une non-reconnaissance de ses déficits. En fait, il arrive
même aux personnes qui ont une lésion juste à l’arrière
de la scissure centrale droite de ne pas reconnaître
certaines parties de son propre corps comme étant les
siennes. La notion d’indifférence rejoint ici un aspect
émotionnel qui s’avère important dans l’établissement
d’une communication harmonieuse.

101
De la pensée au langage

Une majorité de droitiers


Environ 9 adultes sur 10 sont droitiers. Cette proportion
semble avoir été stable pendant des millénaires et dans toutes
les cultures.

Bien qu’il n’y ait pas de lien direct entre les deux, la
latéralisation de la main habile influence néanmoins celle du Les anthropologues parviennent
langage. De nombreuses études, ont ainsi montré que 92 à à évaluer les latéralisations
96% des droitiers ont leur hémisphère gauche spécialisé dans manuelles dans les anciennes
le langage. cultures en examinant par
Pour les gauchers, c’est un peu plus compliqué et les résultats exemple les marques de la taille
des études présentent des disparités. Pour certaines, environ d’une hache de silex qui
70% des gauchers seraient latéralisés à gauche pour le indiquent qu’elle a été fabriquée
langage, 15% à droite et 15% seraient ambilatéraux, c’est-à-dire par un droitier ou par un gaucher.
que les fonctions du langage sont réparties entre les deux On examine aussi la proportion
hémisphères. Pour d’autres, seulement 15% des gauchers sont des personnages qui se servent
latéralisés à gauche, 15% à droite et 70% sont ambilatéraux à de la main droite ou gauche dans
divers degrés. les représentations artistiques à
partir de l’antiquité.
Bien que la préférence manuelle influence l’hémisphère
cérébral qui nous fait parler, il semble y avoir une
prédisposition naturelle de l’hémisphère gauche pour le
langage, prédisposition qui trouve un écho au niveau
anatomique.
102
De la pensée au langage

L’asymétrie du planum temporale


L’une des asymétries les plus significatives est
observée dans le planum temporale situé à la surface
supérieure du lobe temporal. Cette région triangulaire,
qui s’enfonce dans les profondeurs de la scissure de
Sylvius, forme le coeur de l’aire de Wernicke, l’une des
zones fonctionnelles importantes du langage.
Le planum temporale serait plus développé à gauche
dans 65% des cerveaux, et plus développé à droite
chez seulement 10% des individus. Dans certains
cerveaux, le planum temporale est plus de cinq fois
plus développé à gauche qu’à droite, ce qui en fait la
structure la plus asymétrique du cerveau.
La taille supérieure du planum temporale gauche par
rapport au droit est déjà présente chez le fœtus où il
est plus étendu à gauche qu’à droite dès la 31e
semaine de gestation. Cette observation renforce
l’hypothèse d’une prédisposition génétique pour
l’asymétrie cérébrale.

Autrefois, les instituteurs pensaient qu’un enfant gaucher écrirait nécessairement mal et les
forçaient à écrire de la main droite. Les scientifiques ont quant à eux longtemps pensé que les
gauchers étaient plus susceptibles de bégayer, d’être dyslexique ou d’être allergiques que les
droitiers. Mais les études récentes montrent que les gauchers ne sont pas plus atteints de 103
troubles physiques ou psychologiques que les droitiers.
De la pensée au langage

Les autres asymétries dans


les aires du langage

D’autres asymétries dans les aires du langage:


•  le gyrus angulaire dans les aires postérieures
•  l’extension du lobe frontal droit et du lobe occipital
gauche. Ces extensions pourraient cependant provenir
d’une légère rotation des hémisphères par rapport à
eux-mêmes plutôt que d’une différence de volume de
ces régions. On appelle ces asymétries les «petalias»
frontales et occipitales, un terme originellement
employé pour désigner l’indentation fait à l’intérieur du
crâne par ces extensions.

104
De la pensée au langage

Testostérone et maturation

Les structures impliquées dans la production et la compréhension du langage semblent se


mettre en place selon des commandes génétiques qui entrent en jeu dès la migration neuronale.
Cela n’empêche pas que les deux hémisphères puissent demeurer à peu près équipotent jusqu’à
l’acquisition du langage. Normalement, la spécialisation langagière bascule vers l’hémisphère
gauche dont la maturation serait légèrement plus hâtive. L’activité neuronale plus précoce et
plus intense de l’hémisphère gauche mènerait alors à l’usage préférentiel de la main droite et à la
prise en charge des fonctions langagières.

Mais si l’hémisphère gauche est lésé ou déficient, le langage peut être acquis par l’hémisphère
droit. Une surabondance de testostérone fœtale due à un stress à la naissance pourrait bien être
l’une des causes les plus fréquentes de ralentissement du développement de hémisphère
gauche entraînant une plus grande participation de l’hémisphère droit.

Cette hypothèse d’un rôle central de la testostérone est appuyée par des expériences faites sur
des rats et qui ont montré que l’asymétrie corticale est modifiée si l’on injecte aux rongeurs de la
testostérone à la naissance. L’hypothèse hormonale expliquerait également pourquoi les deux
tiers des gauchers sont des hommes.

105
De la pensée au langage

Une latéralisation
d’origine phylogénétique
Chez de nombreuses espèces aussi loin de
nous que la grenouille, le cerveau est latéralisé Les femmes ont la réputation de pouvoir parler
à gauche pour la fonction de vocalisation. et écouter en faisant toutes sorte de choses en
Pour les régions anatomiques qui même temps, alors que les hommes
correspondent aux aires de Broca et de préféreraient parler d’une chose ou en écouter
Wernicke, la latéralisation cérébrale existe déjà une autre, mais successivement plutôt que
chez le chimpanzé même si elle ne correspond simultanément. L’imagerie cérébrale a peut-être
pas encore à la fonction du langage. Et comme révélé un fondement anatomique à cette
chez l’être humain, la majorité des chimpanzés différence de comportement en montrant que le
utilisent préférentiellement leur main droite langage sollicite davantage les deux
plutôt que la gauche. hémisphères chez les femmes et serait plus
latéralisé (surtout à gauche) chez les hommes.
Ces asymétries chez les autres primates Davantage de fibres nerveuses relient aussi les
constituent autant de preuves de l’origine deux hémisphères cérébraux chez la femme, ce
phylogénétique ancienne de la latéralisation qui va aussi dans le sens de plus grands
cérébrale. L’expansion massive du cortex échanges d’information entre les deux
préfrontal pourrait d’ailleurs en partie refléter hémisphères.
son rôle dans la production du langage.

Une contribution plus grande de l’hémisphère droit chez les gauchers pourrait
expliquer pourquoi on retrouve proportionnellement plus de mathématiciens et
de musiciens gauchers, deux habiletés faisant appel aux fonctions de
visualisation normalement situées dans l’hémisphère droit. 106
De la pensée au langage

Langage et musique

Même si le langage a une «musique», musique et


langage sont des fonctions distinctes puisque les
sons musicaux et les sons du langage ne semblent
pas traités dans les mêmes régions du cerveau. Deux
cas célèbres montrent l’indépendance des fonctions
langagières et musicales.
D’abord le compositeur de musique Maurice Ravel qui,
suite à une atteinte à l’hémisphère gauche, est devenu
aphasique. Au niveau musical, bien qu’il ne pouvait
plus retranscrire les mélodies, il pouvait néanmoins
encore les reconnaître, preuve que sa perception
musicale était préservée.
On pourrait s’attendre à ce que les
L’autre exemple est celui d’Ernesto «Che» Guevara. sourds utilisant la langue des signes
Tout en étant un orateur hors pair, le Che souffrait voient leur hémisphère droit prendre
d’amusie congénitale ce qui le rendait complètement en charge ce langage étant donné sa
incapable de percevoir la musique ! prédilection pour les tâches visuo-
spatiales. Or il n’en est rien: on
retrouve autant de signeurs que
d’entendants latéralisés à gauche.
107
De la pensée au langage

Le langage corporel est droitier


La communication entre deux personnes passe également par des éléments
non verbaux: l'apparence physique, l'habillement, le maintien ou l’attitude
générale qui forment un contexte dans lequel le message verbal prendra une
coloration particulière; la position particulière du corps durant la conversation,
le mouvement de nos yeux, nos gestes et nos mimiques qui vont transmettre
eux aussi une certaine charge émotionnelle à notre discours.
Il y a aussi ce qu’on appelle souvent la musique de la langue, c’est-à-dire toutes
les variations de tonalité, d’intonation et de rythme qui modifient le sens de nos
paroles.
Quand on parle de langage, il est donc utile de distinguer entre le langage
verbal, c'est-à-dire le sens littéral des mots, et tout ce qui enrobe les mots et
leur donne une connotation particulière. C’est la grande différence entre dénoter
et connoter. Le message perçu ne dépend donc jamais seulement de ce qui est
dit, mais toujours également de la façon dont c’est dit.
Une autre bonne raison de distinguer entre ces deux aspects du langage, c’est
qu’ils sollicitent des régions différentes du cerveau. En effet, chez la grande
majorité des gens, c’est l’hémisphère gauche qui permet de formuler et
comprendre le sens des mots et des phrases. Mais pour ce qui est de la
connotation émotionnelle des mots, qui est transmise par la musique de la
langue, c’est l’hémisphère droit qui s’en occupe.
108
De la pensée au langage

Le signifié du langage
La contribution de l’hémisphère droit dans le
comportement langagier est récente. Elle concerne la
capacité d’aller au-delà du sens littéral des mots et de
développer une intelligence sociale. Elle recourt pour
ce faire à de multiples processus. Cette nouvelle
science de la communication, du point de vue de
«l’hémisphère mineur» du langage, est appelée
pragmatique.
La fonction pragmatique désigne la capacité de
comprendre le signifié du discours, par exemple le
sens d’une métaphore ou d’une question comme
«Avez-vous du feu?» Lorsqu’un droitier est atteint
d’une lésion à l’hémisphère droit, la fonction
pragmatique est affectée et il est porté à interpréter une
telle question à la lettre. En fait, ces patients réagissent
exactement comme des étrangers devant des formules
idiomatiques : leur grammaire et leur phonologie sont
correctes, mais ils ne comprennent pas l’humour
verbal ni les métaphores que nous employons Activité du cerveau d’une femme qui doit décider si des
quotidiennement. En contribuant aux composantes mots riment ou non. On voit que l’hémisphère droit est
grandement sollicité. Shaywitz & Shaywitz, Yale Medical
émotionnelles et tonales du langage, l’hémisphère droit School.
apporte ainsi un supplément de signification à la
communication verbale. 109
De la pensée au langage

La prosodie
La prosodie fait référence à l’intonation et à l’accentuation
des phonèmes. Ainsi, un patient à l’hémisphère droit
cérébrolésé dont la prosodie est déficiente est incapable
d’exprimer une émotion réellement ressentie de façon
adéquate. Par conséquent la personne souffrant d’aprosodie
Expérience avec deux images: jeune
se comporte et tient des propos semblant manquer
fille en pleurs et jeune fille portant un T
d’affectivité. Autre aspect de la pragmatique pouvant être shirt avec un cœur. Si par exemple on
touché par des lésions à l’hémisphère droit est le discours demande à un patient ayant une lésion
ou plutôt son organisation découlant des règles qui dans l’hémisphère droit de nous
régissent sa construction. On note ainsi chez certains montrer l’image caractérisant le mieux
patients une moins grande capacité à distinguer les indices la phrase « Elle a le cœur gros », il vous
montrera l’image du personnage avec
permettant d’établir un contexte communicationnel, les
un gros cœur dessiné sur son chandail,
nuances apportées par certains mots, les intentions du laissant de côté la jeune fille en pleurs.
locuteur, le langage corporel ou les conventions sociales. Même chose pour la moindre remarque
Concernant les conventions sociales par exemple, on ironique : dites-lui «Il est vraiment
n’aborde généralement pas son frère ou son patron de la gentil, ce type !» et il sera convaincu
même façon, distinction que font pourtant difficilement qu’il a affaire quelqu’un de très bien…
certains cérébrolésés droits. Enfin, dernière catégorie de
trouble pragmatique mais non la moindre, la compréhension
du langage non-littéral. On estime en effet que plus de la
moitié des phrases que l’on prononce ne désigne pas
littéralement ce qu’on veut dire, du moins pas totalement.
C’est le cas de l’ironie, des métaphores et des actes de
langage indirects, tous reliés aux intentions des locuteurs. 110
De la pensée au langage

La théorie de l’esprit

Plusieurs hypothèses tentent d’expliquer l’origine de la


pragmatique. C’est le cas de la théorie de l’esprit. Celle-ci
consiste selon Premack et Woodruff (1978) en l’habileté
permettant aux gens d’attribuer des phénomènes mentaux
à autrui, de raisonner à partir de ceux-ci et de comprendre
les comportements qui en découlent. Ces auteurs ont été
les premiers à utiliser le terme «théorie de l’esprit» et ce,
dans le cadre d’une étude sur la capacité des chimpanzés
à inférer des croyances et des intentions à un humain.
Cette théorie a depuis surtout été étudiée dans une
perspective développementale chez des enfants normaux
et autistes.
Par exemple, si l’on demande à des individus d’identifier la
teneur émotive de phrases enregistrées qu’on leur fait
entendre dans une seule oreille, ils réalisent de meilleures
performances lorsque c’est l’oreille gauche (qui envoie
l’information à l’hémisphère droit) que lorsque c’est
l’oreille droite (qui l’envoie à l’hémisphère gauche).

111
De la pensée au langage

Existe-t-il une pensée sans


langage?
« Ce développement supérieur de la langue qui va de
pair avec une utilisation plus importante de ce que
l'on appelle les concepts abstraits est ce qui en fait
un instrument de pensée au sens propre du mot. Mais
ce développement est aussi ce qui fait de la langue
une dangereuse source d'erreur et d'illusion. Tout
dépend dans quelle mesure les mots et la manière de
les associer sont conformes au monde de
l'expérience. »
« Qu'est-ce qui unit de façon si étroite la langue et la
pensée ? Ne peut-on pas penser sans avoir recours à
la langue, c'est à dire au moyen de concepts et de
mises en relation de concepts, auxquels ne doivent
pas nécessairement correspondre des mots ? Tout le
monde n'a-t-il pas déjà cherché ses mots, alors même
que les rapports entre les « choses » étaient déjà
clairs ? »
Albert Einstein, Londres, 25 septembre 1941

112
De la pensée au langage

Oui, il existe une pensée


sans langage?
Les arguments scientifiques

•  Des aphasiques sévèrement touchés dans leur langage


peuvent être intellectuellement très performants. Il est
important de noter que les aphasiques ont perdu le
langage intérieur aussi bien que le langage extérieur.
Ces témoignages sont confirmés par les études
d’imagerie fonctionnelle du cerveau qui montrent que
les zones cérébrales mises en activité sont les mêmes,
que le langage soit exprimé ou reste intérieur.
•  Les patients ayant subi une callosotomie (section des
fibres réunissant les deux moitiés du cerveau)
parviennent à penser. « Clairement, l’hémisphère droit
perçoit, pense, apprend, et se souvient, à un niveau tout
à fait humain. Sans le recours du langage, il raisonne,
prend des décisions «cognitives», et met en œuvre des
actions volontaires nouvelles. » (Sperry)
•  Les sourds-muets non éduqués parviennent à
conceptualiser, catégoriser et créer un nouveau
langage.
L’existence d’une pensée sans langage laisse entrevoir la possibilité de fonctionnement quasi autonome du langage à
l’origine des raisonnements purement verbaux, une sorte de « langage sans pensée » !
113
De la pensée au langage

Existe-t-il une conscience


animale?
Plusieurs éléments de la conscience
peuvent être observés chez les
animaux

•  T h é o r i e d e l ’ e s p r i t . L e s
chimpanzés ont la capacité,
comme les humains, de « lire dans
la pensée » des autres.
•  S t a d e d u m i r o i r. D a u p h i n s ,
éléphants et les grands singes se
reconnaissent dans le miroir.
•  Métacognition. Le processus de
«penser sa pensée» a été observé
chez les singes et peut être les
dauphins.

"Le jour où l'on comprendra qu'une pensée sans langage existe chez les animaux, nous mourrons de honte
114
de les avoir enfermés dans des zoos et de les avoir humiliés par nos rires". Boris Cyrulnik
De la pensée au langage

Comment fonctionnent les neurones du langage?


Quels gènes font de nous des êtres parlants?

115
De la pensée au langage

Serendipity:
les neurones miroirs

Giacomo Rizzolatti

Leonardo Fogassi Vittorio Gallese

Au début des années 1990, une équipe italienne


(Parme) a identifié chez le singe un groupe de
neurones du cortex frontal qui s’active quand le
singe exécute une action particulière avec la main
ou la bouche. Ces neurones, situés dans une
région motrice du cerveau, s’activent également
lorsque le singe ne fait que regarder l’un de ses
congénères exécuter la même action ! D’où le nom
de neurones miroirs qui leur a été attribué.
De la pensée au langage

L’expérience princeps

Les neurones miroirs désignent une


certaine catégorie de neurones du
cerveau qui présentent une activité à la
fois lorsqu'un individu (humain ou
animal) exécute une action et lorsqu'il
observe un autre individu (en particulier
de son espèce) exécuter une même
action, d'où le terme miroir.
La particularité de ces neurones tient au
fait qu'ils déchargent des potentiels
d'action pendant que l'individu exécute
un mouvement (c'est le cas pour la
plupart des neurones du cortex moteur
et prémoteur) mais aussi lorsqu'il est
immobile et voit (ou même entend) une
action similaire, ou qu'il pense qu'elle va
Umilta et al, Neuron, 2001
être effectuée par autrui.
De la pensée au langage
Faire ou voir, une
même activation?

Le cortex prémoteur, situé en avant du cortex moteur


dans les lobes frontaux, recrute certains neurones
qui vont faire se contracter certains groupes de
muscles de notre corps en vue de produire une
action. On sait maintenant que les neurones miroirs
de cette aire prémotrice, qui s’activent pour préparer
une action donnée, vont également s’activer à la
simple vue de cette action exécutée par quelqu’un
d’autre.
De la pensée au langage

Les neurones de l’imitation

Lorsqu’un bébé voit ses parents tirer la langue,


ses neurones miroirs qui correspondent à ce
mouvement sont activés, ce qui constitue un
effet d’amorçage suffisant pour que les mêmes
neurones soient activés plus facilement l’instant
d’après. Ceux-ci vont ensuite activer à leur tour
des neurones spécifiques du cortex moteur
primaire qui vont déclencher concrètement
l’étirement de la langue chez le bébé.
De la pensée au langage

Agir ou imiter,
une même activation?
Sachant que 1) les neurones miroirs déchargent
plus lors de l’exécution que de l’observation
d’une action et 2) durant l’imitation, nous
observons et nous agissons, il peut être prédit
que les neurones miroirs humains doivent
montrer une plus grande activité durant
l’exécution ainsi que durant l’imitation.

L’expérience: une étude d’IRM fonctionnelle


basée sur les mouvements de doigts. Les sujets
observent ou imitent le levée de l’index ou du
majeur. Dans les conditions de vision seule, ils
observent 1) une croix apparaissant sur l’index
ou le majeur d’une main statique ou 2) un point
dans un rectangle gris. Dans les conditions de
contrôle moteur, les sujets lèvent l’index ou le
majeur en réponse à l’apparition de la croix.
Résultat: L’aire de Broadmann 44 dans le cortex
frontal inférieur et la partie rostrale du cortex
pariétal postérieur sont les zones les plus
activées. Une activation plus forte est observée
durant l’imitation.
De la pensée au langage
Des neurones pour
comprendre autrui?
La théorie de l’esprit postule que nous sommes conscients que les autres ont des croyances et des
désirs qui diffèrent des nôtres et que ces désirs et croyances peuvent expliquent leur comportement.
Lorsqu’ils sont en groupe, les humains tendent à s’imiter les uns les autres de manière automatique.
C’est l’effet caméléon. Et plus on imite les autres, plus on est porté à l’empathie. Quel est le rôle des
neurones miroirs dont on sait qu’ils sont connectés au système limbique?

23 sujets regardent trois séries d’images. Les actions


incluses dans leur contexte induisent une activation
supérieure de la partie postérieure du gyrus frontal inférieur
et du cortex ventral prémoteur où les actions manuelles sont
représentées. Les neurones miroirs sont impliqués à la fois
dans la reconnaissance des actions mais participent
également au déchiffrage des intentions d’un tiers. Cela
pourrait expliquer la capacité d’empathie des humains.

Iacoboni et al, PLoS, 2005


De la pensée au langage

Des neurones dédiés


aux interactions sociales
Etude d’IRM fonctionnelle sur 48 sujets. L’observation du
dégoût active automatiquement des réseaux de neurones qui
sont excités lors du ressenti du dégoût: l’insula antérieur
gauche et le cortex cingulaire antérieur droit.

Wicker et al, Neuron, 2003

En utilisant nos neurones miroirs, nous développons des formes


élaborées d’interactions sociales.
De la pensée au langage

Des neurones qui associent


sons et mouvements
Lorsque nous apprenons une nouvelle action
associée à des sons, le cerveau connecte
rapidement les régions responsables de l’action
avec les régions où sont déchiffrés les sons. Cela
pourrait nous aider à comprendre comment nous
pensons aux actions simplement en entendant
leurs sons.
L’expérience: 9 sujets sans expérience antérieure
de pratique instrumentale sont entraînés à jouer
sur un piano une chanson de 24 secondes
comprenant 5 notes. Le cerveau des sujets est
ensuite analysé par IRM fonctionnel. Durant
l’examen, les sujets écoutent la chanson qu’ils ont
mémorisée puis une chanson différente utilisant
les 5 mêmes notes et enfin une chanson avec des
notes additionnelles.
Résultat: bien que les sujets étaient immobiles, il a
été observé une activation bilatérale de l’aire de
Broca, de la région prémotrice, du sulcus
intrapariétal, autrement dit les circuits associés au
réseau des neurones miroirs. L’écoute des notes
dans un ordre différent conduit à une activation
moindre tandis que l’écoute d’une chanson
familière non pratiquée n’active pas le réseau.
De la pensée au langage

Des neurones dédiés


à l’apprentissage du langage?
La région cérébrale où l’on trouve ces neurones
miroirs chez le singe - l’aire F5 du cortex
prémoteur ventral - correspond chez l’humain à
l’aire de Broca, une région du cerveau dont on
connaît le rôle important dans le langage depuis le
XIXe siècle.
Une autre catégorie de neurones présents dans
l’aire F5, les neurones « canoniques », pourraient
aussi, à l’instar des neurones miroirs, être
impliqués dans nos facultés langagières. Ces
neurones canoniques ont la particularité de
s’activer à la simple vue d’un objet saisissable. Si
par exemple un singe regarde un ballon, les
neurones canoniques qui s’activent sont les
mêmes que ceux qui vont s’activer si le singe
décide de prendre réellement le ballon. À l’opposé,
ses neurones miroirs ne sont pas activés à la seule
vue du ballon, mais seulement si le singe voit un
congénère le prendre ou s’il le prend lui-même.
De la pensée au langage
Des gestes à l’origine
du langage?
Les neurones miroirs permettent à un animal de mimer un
mouvement des mains ou de la bouche d’un autre animal
pour copier un geste ou reproduire un son auquel est
attaché une signification. De cette manière, deux
individus pourraient en venir à partager un vocabulaire
commun. Cette hypothèse s’accorde plutôt bien avec la
théorie gestuelle de l’origine du langage où une partie des
zones cérébrales du contrôle moteur aurait pris en charge
celui du larynx. Mais comme on le constate encore
aujourd’hui, le mouvement des mains continue d’être un
complément important à la parole. Le fait que le langage
des signes des personnes sourdes soit également d’une
grande efficacité est un autre exemple de
complémentarité entre la bouche et les mains comme
outils de communications, deux parties du corps
auxquels sont justement assignés des neurones miroirs.
Cette hypothèse s’accorde également avec les intuitions
du psycholinguiste Alvin Liberman qui, dès 1965,
proposait une théorie motrice de la perception de la
parole. Celle-ci postulait que la compréhension des mots
se fait par comparaison/imitation des gestes articulatoires
du locuteur avec son propre répertoire moteur. Ces
gestes en venant ensuite à être inscrits dans les mots
entendus eux-mêmes.
De la pensée au langage

Des neurones finalistes

Les neurones miroirs sont activés par une main qui


saisit un objet, mais pas par un outil qui saisit le
même objet. Cela s’explique par le fait que les
parties du corps, contrairement aux artéfacts
humains, sont représentées dans les aires
motrices et prémotrices des lobes frontaux. D’autre
part, les neurones miroirs ne réagissent pas à
n’importe quel mouvement de la bouche ou de la
main, mais seulement à ceux qui sont impliqués
dans une action orientée vers un but.
Par ailleurs, des neurones miroirs existent
également chez l’humain pour les phénomènes
d’audition : les mêmes neurones sont activés lors
de l’exécution d’une action qui produit un son que
lorsque l’on écoute simplement le son produit par
cette action.
Ecouter des phrases décrivant des actions
réalisées avec la bouche, la main ou la jambe
conduit à l’activation de diverses aires motrices, en
particulier le pars opercularis, situé dans l’aire de
Broca.
Tettamanti et al, J Cogn Neurosci, 2005
De la pensée au langage

Des neurones clés pour


les comportements sociaux
Ce n’est que lorsque l’action a un sens que les
neurones miroirs s’activent. Leur réponse est
donc liée à l’expression d’une intentionnalité, au
but du geste observé. Si des neurones miroirs
s’activent par exemple quand un singe manipule
un objet, ces mêmes neurones, commandant
aux mêmes muscles, resteront toutefois
silencieux quand le singe fera une action
similaire mais dans un but différent (se gratter,
s’épouiller, etc.).
Il apparaît de plus en plus évident que le
système moteur dans le cerveau n’est pas limité
au contrôle des mouvements mais est aussi
capable de lire, d’une certaine manière, les
actions exécutées par autrui. Les neurones
miroirs pourraient ainsi jouer un rôle
fondamental pour tous les comportements
sociaux des êtres humains.
De la pensée au langage

Une perception visuelle


et auditive
L’implication possible des neurones miroirs dans la
communication verbale suggère que la perception
des phonèmes pourrait passer autant par l’audition
que par la vision des mouvements de la bouche.
«L’effet McGurk », un phénomène mis en évidence
au milieu des années 1970 par l’anglais Harry
McGurk, vient appuyer cette idée que la perception
de la parole est multimodale.

L’effet McGurk se manifeste lorsque l’on regarde


l’image vidéo de quelqu’un qui prononce une
syllabe dont le son a été remplacé par une autre
syllabe : nous percevons alors ni la première
syllabe, ni la deuxième, mais une troisième,
différente des deux autres. Si l’on fait par exemple
le montage sonore de "ba" sur une image de
quelqu’un que l’on voit prononcer "ga", l’immense
majorité des gens percevront plutôt un "da" !
Existe-t-il un ou des gènes du langage?
De la pensée au langage

Existe-t-il des gènes


liés au langage?

Une composante héréditaire au langage était


suspectée depuis longtemps mais on ne savait
pas grand-chose sur les gènes qui étaient
impliqués. Cela a changé grâce à l’étude d’une
famille britannique d’origine pakistanaise
connue sous l’abréviation de «KE». Dans cette
famille, sur 37 membres répartis sur 4
générations, 15 souffraient d’altérations
spécifiques du langage. Cette grande
proportion d’individus atteints dans la même
famille permit tout d’abord de constater que le
désordre pouvait être attribué à un seul gène
transmis par l’un ou l’autre des parents. De
plus, ce gène semblait se transmettre selon le
modèle dominant/récessif classique et n’était
pas situé sur un chromosome sexuel. Arbre généalogique de la famille KE montrant en noir
les membres atteints d’altérations spécifiques du
Le gène a été localisé en 7q31 langage. Les cercles représentent les femmes, les
La région d’intérêt à été estimée à 5,6 cM carrés les hommes.
Fisher, S. E., Vargha-Khadem, F., Watkins, K. E., Monaco, A. P. &
Pembrey, M. E. Localisation of a gene implicated in a severe
speech and language disorder. Nature Genet. 18, 168-170 (1998)
De la pensée au langage

KE + CS = FOXP2
En 1998, une relation fut établie entre un court segment du
chromosome 7 et l’altération spécifique du langage. Mais
cette région contenait encore 70 gènes et l’analyse de
ceux-ci un par un est une tâche qui s’annonçait
fastidieuse. Entre alors en scène «CS», un jeune garçon
anglais souffrant d’altérations spécifiques du langage
mais ne faisant pas partie de la famille KE. Parce que CS
avait un défaut qui était visible sur son chromosome 7
(technique de FISH), les chercheurs ont immédiatement
concentré leurs efforts sur ce segment d’ADN. Et comme
on s’y attendait, ce gène, qui reçut le nom de FOXP2, était
directement relié à l’altération spécifique du langage.
Comme pour l’identification de n’importe quel gène,
l’étape suivante consistait bien entendu à trouver quel
type de protéine était produit à partir des plans de ce gène.
Quand ces études ont été publiées, fin 1990 début 2000,
certains médias grand public se sont empressés de titrer
qu’on avait découvert «le gène du langage». Évidemment,
la réalité d’une fonction comme le langage est bien trop
complexe pour résider en un seul gène. Il aurait été plus
juste de parler «d’un gène qui pourrait être impliqué dans
le langage», et même plus précisément dans le
développement des structures cérébrales qui sous-tendent
le langage.
De la pensée au langage

Un facteur de transcription

Les travaux ultérieurs ont permis d’en


savoir plus sur la protéine produite par
ce gène. Il s’agit de ce qu’on appelle un
facteur de transcription, c’est-à-dire
une protéine qui peut se fixer
directement sur la molécule d’ADN
pour réguler l’expression d’autres
gènes, notamment dans le
développement des aires cérébrales
associées au langage. En d’autres
termes, si l’ensemble des gènes
contribuant au langage forment un
arbre, alors on peut dire que le gène
FOXP2 forme le tronc.
De la pensée au langage

Une atrophie des noyaux caudés


Dès qu’une des deux copies de ce gène est
défectueux chez une personne, celle-ci souffre
d’altérations spécifiques du langage. Des
études d’imagerie cérébrale ont montré que les
cerveaux des personnes atteintes d’altérations
spécifiques du langage montrent plusieurs
anomalies dans des régions clés pour le
langage. En particulier, les deux noyaux caudés
et l’aire de Broca avaient une taille réduite et
montraient une hyperactivité durant les tâches
d’expression orale (noyau caudé gauche
seulement). Les grandes difficultés à bouger
les lèvres et la langue chez les personnes ayant
la version mutante du gène FOXP2 pourraient
être reliées à cette atrophie du noyau caudé,
une structure impliquée dans le contrôle
moteur. Pour cette raison, certains chercheurs
pensent que la version humaine du gène
FOXP2 permet une finesse des mouvements de
la bouche et du visage qui nous donnerait Activation moyenne enregistrée par IRMf chez des sujets
accès au langage articulé. normaux et chez des sujets atteints d’altérations
spécifiques du langage lors d’une tâche de génération
de mots.
De la pensée au langage

Des troubles moteurs?


Certains chercheurs ont affirmé que FOXP2 n’était peut-être pas « un
gène du langage » mais plutôt un gène dont la défectuosité
entraînerait des troubles moteurs suffisamment graves pour
empêcher le langage. D’autres explications évitent aussi de lier
directement FOXP2 au langage, comme celle voulant que le gène
puisse diminuer les facultés intellectuelles à un point tel que le
langage deviendrait inaccessible. Mais des expériences ultérieures
ont montré que les liens entre FOXP2 et le langage semblent très
étroits.

Ainsi, si la maladie tend à frapper les membres des familles qui ont
les moins bons résultats aux tests de quotient intellectuel (QI),
certaines personnes atteintes ont cependant des résultats normaux
aux tests de QI, et d’autres ont même des résultats supérieurs à des
membres de leur famille qui n’ont pas d’altération spécifique du
langage…

De plus, les personnes atteintes ont également des difficultés à


identifier des sons élémentaires du langage, à comprendre des
phrases, à utiliser la grammaire, etc. Sans parler de l’atrophie
observée au niveau de l’aire de Broca, siège de neurones miroirs et
région dont la destruction provoque des aphasies de toutes sortes.
De la pensée au langage

Une protéine conservée


au cours de l’évolution

Les problèmes que la mutation de ce gène engendre


demeurent toutefois difficiles à cerner, ce qui n’est pas
étonnant lorsque l’on considère la famille à laquelle
appartient ce gène. Il s’agit en effet d’un gène de la
famille FOX qui sont des facteurs de transcription. En
d’autres termes des gènes qui produisent des protéines
capables, grâce à leur forme fourchue (« forkhead »), de
réguler l’expression de plusieurs autres gènes en se
fixant directement sur l’ADN.

On semble donc avoir affaire à un gène important jouant


un peu le rôle de chef d’orchestre lors de la mise en
place des voies neuronales durant le développement
embryonnaire. Et de fait, on constate qu’il est
extrêmement bien conservé d’un point de vue
phylogénétique: la protéine qu’il produit est presque
identique chez la souris et les primates qui sont séparés Forme générale de la protéine FOXP2. La
par environ 130 millions d’années d’évolution. partie rouge montre l’emplacement de la
mutation qui a causé les altérations
spécifiques du langage chez les membres de
la famille KE.
De la pensée au langage

Trois acides aminés


qui font la différence?

La protéine produite par le gène FOXP2 humain


diffère de celle de ces espèces par deux ou trois
acides aminés seulement. Deux ou trois acides
aminés qui font vraisemblablement la différence
entre des animaux incapables de parler et l’être
parlant que nous sommes… On estime par
ailleurs que ces mutations ont eu lieu il y a entre
200 000 et 100 000 ans, ce qui correspond à la
période d’émergence du langage articulé chez
l’humain.
De la pensée au langage

Une histidine à la place


d’une arginine

L’étude détaillée de la séquence du gène FOXP2 défectueux chez plusieurs membres de la


famille KE a aussi permis d’identifier le site précis de la mutation responsable du mauvais
fonctionnement du gène chez ces individus. La mutation survient sur l’exon 14 du gène FOXP2
lorsque la guanine d'un nucléotide est remplacée par une adénine. Notons au passage que cette
région où se produit la mutation est justement celle qui code pour la partie «forkhead» de la
protéine, celle qui se fixe sur l’ADN d’autres gènes. Ce changement d’un seul nucléotide sur le
gène FOXP2 aura ensuite une répercussion directe sur la protéine correspondante: le
remplacement d’un acide aminé arginine par une histidine.

Or, chez les centaines de sujets normaux testés, la protéine produite par FOXP2 a toujours un
arginine à ce locus particulier. Et chez les membres de la famille KE souffrants d’altérations
spécifiques du langage, toujours une histidine. Il n’y a donc pas l’ombre d’un doute sur la
mutation qui cause ce déficit. Cela dit, il est tout de même étonnant de constater que la mutation
d’une seule des 2 500 bases nucléiques du seul gène FOXP2 est suffisante pour ruiner une
faculté aussi vitale que le langage!
De la pensée au langage

A la recherche d’autres gènes

SRPX2: Sushi Repeat Protein, X-linked 2

138
139
De la pensée au langage

L’autisme, un défaut des


neurones miroirs?

Afin d’examiner d’éventuelles anomalies des


neurones miroirs dans l’autisme, le cerveau de
9 enfants autistes et celui de 9 enfants contrôles
a été examiné durant des tâches d’imitation et
des tâches d’observation d’émotions. Bien que
les deux groupes ont réalisé des scores
Contrôles
équivalents dans les deux tâches, les enfants
souffrant d’autisme n’ont montré aucune
activation des neurones miroirs dans le gyrus
frontal inférieur (pars opercularis). Autistes

Il est à noter que l’activité dans cette zone était


inversement proportionnelle à la sévérité des
symptômes dans le domaine social. Cela
Différence
suggère qu’un fonctionnement anormal du
système de neurones miroirs pourrait être à
l’origine des déficits de socialisation observés
Dapretto et al, Nature Neuro, 2005
dans cette maladie.

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